vendredi 29 novembre 2024
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L’Odyssée rendue à Télémaque

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Odyssée Blandine Soulage

Après avoir mis en scène Iliade et ses combats, Pauline Bayle s’est attachée au retour au pays du rusé Ulysse, avec une fidélité subtilement dramatisée du récit homérique, et une modernité tout aussi directe des choix de mise en scène. Le spectacle a été créé en 2017 avant qu’elle ne prenne la direction du Théâtre de Montreuil. Depuis il  tourne depuis sur toutes les scènes nationales, et est enfin parvenu jusqu’à la Méditerranée qui est son décor littéral, à Marseille et à Port-de-Bouc.

Cette Odyssée a toute la qualité des tendances dramatiques contemporaines : un attachement aux récits, une place centrale donnée aux acteurs, une adresse directe aux spectateurs alternant avec des passages dialogués, des costumes qui sont des vêtements de ville, un décor qui n’est que matière et couleurs. Et, surtout, cinq comédiens, trois femmes et deux hommes, qui jouent tous les personnages sans s’attacher à leur genre, passent d’un rôle à l’autre  avec brio et fluidité, ajoutant chacun une touche à Ulysse ou Pénélope, incarnant l’héroïsme  de la nourrice ou du porcher, avec la même noblesse que les rois et les dieux. Et cette incroyable affirmation, répétée tout au long de l’Odyssée, du devoir qu’ont les peuples autochtones d’accueillir et protéger les étrangers en détresse.

Seul Télémaque est incarné par le même acteur. Il ouvre et ferme la pièce comme il introduit et conclut l’épopée homérique, héros en devenir, enfant encore, cherchant son père, puis combattant à ses côtés, devenant héros à son tour, sauvant ses parents des prétendants et des mythes, incarné. Il est, au sens littéral, Télé-maque, le combat déplacé. L’ailleurs, une nouvelle voix s’accomplissant, comme le théâtre de Pauline Bayle : paritaire, dégenré, jeune, collectif, ancré dans l’histoire, revendiquant la solidarité humaine au présent.

AGNES FRESCHEL

Odyssée a été joué les 15 et 16 mai au ZEF, scène nationale à Marseille et au Sémaphore, Port de Bouc, dans le cadre du Train bleu

Mozart sans sel

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Les Noces de Figaro photo Christian DRESSE 2024

C’était il y a cinq ans, il y a un siècle. Jean-Claude Gaudin était maire de « son » opéra, le Covid et ses confinements n’étaient pas passés par là, les 1200 sièges de la place Reyer se clairsemaient souvent et peinaient à rajeunir leurs occupants. Dans ce contexte la dispendieuse production de l’opéra, jamais programmée ailleurs qu’en ses murs, semblait bien plus moderne et inventive, par ses décors enchâssés, ses scènes de chasse et ses chœurs enturbannés, que bien des productions précédentes, moins audacieuses. Mais on n’y percevait pas la révolte sociale de Figaro, qui n’était vêtue ni du rouge de la révolution ni du récent jaune des Gilets, et disparaissait dans l’obscurité chaude des décors et costumes voulus par le metteur en scène Vincent Boussard. Surtout, #Me too  n’était pas encore passé par l’opéra, et l’adaptation de La folle journée de Beaumarchais pouvait passer sans qu’on y remarque la violence exercée sur les corps féminins, de la Comtesse à Marceline ; la solidarité interclasse des femmes est fondatrice du livret de Da Ponte, le profond désespoir de Barbarine qui semble avoir perdu, entre le bras de Chérubin bien plus qu’une épingle, sonne comme le chant d’une jeune fille abusée.

Ombres insensées

Après le Covid et #Me too, devant un public rajeuni et renouvelé, comment se reçoit cette reprise ? On admire la voix et la présence d’Eléanore Pancrazi dans Chérubin, on s’émeut de la grâce absolue des déplorations de la Comtesse – incarnée à nouveau par Patrizia Ciofi, merveilleuse dans ses arias, mais très gênée par le voile constant qui couvre ses graves dans les récitatifs. Hélène Carpentier incarne à merveille une Suzanne qui prend de l’assurance au fil de la pièce et Robert Gleadow (Figaro), même s’il rate un peu les aigus de son premier air, habite la scène de sa présence massive. Jean-Sébastien Bou (le comte Almaviva) passe son air de bravoure avec panache, mais dans l’ensemble les voix d’hommes peinent un peu à se faire entendre. Peut-être parce que le propos n’est pas clair ? Lorsque Figaro chante « si tu veux danser, mon petit comte », comment pousser ses « Si » aigus si sa révolte se perd dans les couleurs ternes du décor, et les chœurs décadents et noirs qui tournent autour de lui, l’observent et le manipulent ? Quel est le sens de toutes ces ombres ?

Décalages

Cette hésitation sur le sens semble aussi habiter l’orchestre qui a du mal à régler son rapport au plateau, décale légèrement, surtout quand les chœurs chantent depuis les balcons. Les ensembles se croisent dans le flou au lieu de dessiner des lignes franches, et on perd un peu du sens musical si particulier des fins d’actes de Mozart, où les individus mêlent leurs voix intérieures à celles du peuple qu’incarnent les chœurs. L’évidente clarté de la musique, du livret de Da Ponte/Beaumarchais, de leur propos révolutionnaire et féministe, de la joie des bons mots et du jeu, est escamoté.

Reste que l’œuvre, indestructible, résiste à ces petits obstacles, portée par des solistes et des musiciens d’exception. Comme un plat fabuleux auquel il manque juste quelques grains de sel.

AGNÈS FRESCHEL

Les Noces de Figaro ont été reprises à l’Opéra de Marseille les 24, 26, 28 et 30 avril
À venir
3 mai
Opéra de Marseille

Istrati : vers le sensible !

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De gauche à droite. Aurelia Grosu, Christian Pellicani, Golo et Jean Poncet. ©R.G. (2)

Le point d’exclamation dans le titre de la BD de Golo « Istrati ! » n’est pas dû au hasard tant la figure de l’écrivain Panaït Istrati est éclatante. La librairie marseillaise Jeanne Laffite Les Arcenaulx accueillait Golo à l’occasion de la publication de son roman graphique sur la vie de l’écrivain roumain de langue française. Cette rencontre s’est aussi faite en la présence de Jean Poncet, poète et traducteur émérite de la poésie roumaine, qui a animé et enrichi les discussions. Golo a dû se documenter énormément sur la vie de l’artiste pour dessiner 496 planches. Il raconte comment la tuberculose a conduit Istrati à apprendre le français, et indirectement à devenir l’écrivain qu’il fut par la suite. Soigné dans un sanatorium suisse, il s’évertue à maîtriser pleinement la langue de Molière, d’abord dans l’objectif de travailler, puis dans le but d’écrire, lorsque l’écrivain français Romain Rolland le prend sous son aile et devient son mentor. La vie de Panaït Istrati, c’est celle d’un voyageur qui a fait de la Méditerranée son terrain de prédilection, celle d’un écrivain autodidacte, communiste et antistalinien, idéaliste et profondément humain.

« À l’amitié »

L’intertitre de la BD « Istrati ! » s’intitule « à l’amitié »… et pour cause ! Il n’y a pas de chose plus importante pour Istrati que ce sentiment, pour lequel il a donné corps et âme, comme en témoigne ce passage du roman Nerrantsoula que lit Jean Poncet : « […] nous avions deviné dans nos regards francs, la nuance de nos désirs, le miracle de nos ressemblances […] je me livre à eux sans marchander, avec frénésie. Cela coûte cher, mais jamais les déceptions subies n’ont diminué, jamais elles ne diminueront la somme de mes désirs […] On ne perd rien quand on se livre entièrement, autrement, autant dire du soleil qu’il s’épuise quand il se livre sans ménagement ni choix ». Une ode à l’amitié entre les individus mais aussi entre les peuples, comme en témoigne la présence lors de cette rencontre de la consule de Roumanie à Marseille, Aurélia Grosu. Ces deux pays, réunis par l’histoire de leurs littératures et la proximité de leurs langues latines, ont de quoi s’entendre.

RENAUD GUISSANI

La rencontre avec Golo s’est tenue le 17 avril à la librairie Jeanne Laffite Les Arcenaulx, Marseille.

De l’enfermement des filles

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A la marge © Matis Lombardi

En colonne vertébrale de la pièce a été choisi le texte de Sonia Chiambretto, Peines Mineures, paru aux éditions de L’Arche en février 2023. À ce texte qui évoque en parallèle les voix de jeunes filles enfermées dans les enceintes d’un internat du Bon-Pasteur dans les années 1950-60 et dans un Centre éducatif fermé d’aujourd’hui, s’insèrent des fragments d’enquêtes, d’interviews de mineures. Un personnage armé d’un micro fait le lien entre les diverses paroles et permet l’articulation de l’ensemble. Les époques se voient délimitées par les tenues des protagonistes, leur langage, tandis que les conditions de « détention » présentent de cruelles similitudes. Il s’agit non d’éduquer ou de préparer à une réinsertion, mais de juguler les caractères.

Face cachée de la justice

Dans À la marge, Wilma Lévy s’empare de ce corpus documentaire pour le transmuer en objet théâtral. La mise en scène des bribes de dialogues, de confessions, de constats, s’articule en une chorégraphie qui passe autant par la danse, moments de jubilation libératoire, que par l’occupation du plateau qui offre divers lieux d’énonciation : témoignages d’éducateurs et d’éducatrices, de juges, de sociologues, de religieuses… Le simple fait d’être considérée comme « paresseuse » suffit dans les années 1960 pour justifier la perte de la liberté… Se posent les questions de pouvoir, de marginalité, de justice, de réinsertion, par le biais de plus de vingt jeunes interprètes au plateau. La vivacité, le naturel confondant des artistes en herbe, l’intelligence de leur occupation de l’espace scénique dans un dispositif scénographique minimaliste, accordent une belle fraîcheur à l’ensemble du propos et donnent envie d’aller plus loin dans l’appréhension de cette face cachée de la justice appliquée aux mineures. Clairement, la délinquance des filles est ici symptomatique d’un ordre sexué.

MARYVONNE COLOMBANI

À la marge était donné le 26 avril au Théâtre Antoine Vitez, Aix-en-Provence.

Refugee Food Festival : solidaire et culinaire

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(C) caroline Dutrey

Faire évoluer les regards portés sur les personnes, valoriser leur patrimoine culinaire, accélérer leur insertion professionnelle dans la restauration et rassembler la société civile autour de la table, tels sont les objectifs du Refugee Food Festival. C’est la 8e édition qui se tiendra à Marseille du 16 au 20 juin. En constituant des binômes inédits formés de chefs ou artisans d’ici et de cuisinier·e·s réfugié·e·s, cet événement solidaire a pour but de faire découvrir patrimoines et matrimoines culinaires. Sept établissements s’engagent et partageront leurs fourneaux

Du dîner franco-géorgien par Ani Tarkhnishvili et Charlotte Crousillat à la Villa Gaby le 16 juin au dîner franco-syrien par Samar Mawazini Damlakhi, Nahed Damlakhi et Pierre Meynet à l’Abri le 20 juin, on pourra se régaler toute la semaine. Et pour les Ciotadens, le 18 juin, au Café de l’Horloge, un déjeuner franco-syrien et pâtisseries syriennes par Rowaida et Joseph Zaher Alban et Camille Lhomme

« Cuisiner est un acte de partage et d’amour » comme le dit la cheffe, Alessandra Montagne, marraine de cette édition qui se tiendra dans 12 villes, en France et à Genève.

ANNIE GAVA

Tous les détails ici : https://festival.refugee-food.org/marseille

Du tri et des héritages

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Inscrit dans la thématique de la filiation dès son titre, Ligne directe, le recueil poétique de la comédienne et poète Sarah Kéryna, instaure un faux jeu de miroirs entre les années 2018 et 2019,réalités diffractées, variations infimes. S’élabore un subtil exercice de collage où se voient juxtaposés extraits de journaux intimes de l’auteure, de sa mère, de sa grand-mère, dates des deuils, mais aussi, la tragédie de la rue d’Aubagne à Marseille, l’incendie de Notre-Dame de Paris.

Ces évènements sidérants deviennent des marqueurs indélébiles et scandent notre perception du temps. Autour, les détails du quotidien, un parfum, une couleur, un tas de linge, ancrent le discours dans la matérialité du vivant. La brièveté de la forme -souples distiques parfois construits en quatrains, vers isolés où se condense une émotion-, le goût des étymologies, matière à histoires, tout contribue à la construction d’une esthétique du fragment. Peu à peu l’ensemble s’orchestre en une musique douce et amère, nostalgique et sans concession, dont les vides sont à la fois des mises en relief des mots qui émergent en îlots denses et l’affirmation de l’importance du mystère des non-dits.

Reprenant l’origine du terme « histoire » cher à Hérodote qui dénomma ainsi ses recherches, -en grec ancien « histoire » signifie « enquête »-, l’auteure réordonne par des tris et des rangements multiples les héritages matériels et les éléments de la mémoire. Le texte s’organise en strates où musique, cinéma, peinture se conjuguent en « syntonie »: « lumière laiteuse des films japonais », anamorphoses, « bras droit étiré de la Vierge Marie dans / L’Annonciation de Léonard de Vinci », rêves, reflets de l’enfance, « espace de fiction », douleur de l’écriture qui s’égare lorsque la douleur de la perte est trop forte… Un diamant poétique dans lequel on aime à se perdre et à se retrouver.

MARYVONNE COLOMBANI

Ligne directe
Sarah Kéryna
éditions Plaine Page

A l’échelle d’une internationalité plurielle

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the smell of cement eman hussein © Caroline Lessire

La 19e  édition des Rencontres à l’Echelle se tient  à Marseille du 2 au 15 juin

Ces Rencontres sont unrendez-vous incontournable des amateurs de théâtre, danse, musique, cinéma et arts visuels de l’Afrique, du monde arabe et des diasporas.

Accueillis à la Friche la Belle de Mai, au Théâtre Joliette, à la Criée, au Zef, à Klap ou à la Librairie Les Sauvages, c’est à La Baleine que le festival débute avec la projection du Le Retour d’Aida de la cinéaste libanaise, Carol Mansour (voir ci-dessous).

Depuis leur création, les Rencontres se distinguent par un regard singulier sur le monde que porte leur fondatrice Julie Kretzschmar. Rigoureux, sans concession mais avec la volonté ferme de rester « sur la crête », position équilibrée et nuancée offrant l’occasion aux artistes internationaux de présenter leurs créations mais davantage encore de porter leurs voix, leurs gestes et leurs messages jusqu’à nous.

De l’identité mahoraise questionnée par Lil’C dans Shido, articulant gestuelle traditionnelle et danse contemporaine, à Smell of Cement de la chorégraphe égyptienne Eman Hussein, le geste est soigné, documenté et mobilise l’espace symbolique de nos imaginaires. La diversité des continents, des insularités comme des centralités y est respectée pour déployer toute la finesse des paroles situées.

Au programme

ALGERIA ALEGRIA de David Wampach et Dalila Khatir, célèbre par l’anagramme une Algérie contemporaine heureuse où s’affirment la joie, la fièvre et l’humour.

La puissance de la prose et de la dramaturgie des artistes contemporains en Haïti évoque le déracinement, la violence et la transmission. Héritières du soleil, de Gaëlle Bien-Aimé, metteuse en scène, autrice, comédienne offre l’opportunité d’entendre les textes de la romancière, Marie-Célie Agnant native d’Haïti  et qui vit au Québec.  Elle a publié une quinzaine d’ouvrages parmi lesquels, Le Livre d’Emma, qui évoque les épreuves endurées par les femmes esclaves dans les Antilles, et la difficulté d’aborder cet héritage encore aujourd’hui. Andrise Pierre, autrice de Elle voulait ou croyait vouloir et puis tout à coup elle ne veut plus, s’intéresse aux questions d’équité de genre, de droits des femmes et des enfants. L’occasion de revenir sur comment la France et Haïti sont unies par une relation indissoluble, fruit d’une longue histoire, où se mêlent le souvenir douloureux de la traite et de l’esclavage mais aussi un héritage commun forgé dans le même idéal républicain.

En langue béti, du peuple bantou, N’gângveut dire merci.Antonia Naouele nous le rappelle dans son solo sous forme de don aux femmes et à la culture camerounaise.

En proie aux normes masculines

Avec Thurayya de Tamara Saade actrice, autrice et metteuse en scène libanaise, nous allons à la découverte du récit initiatique d’une jeune étudiante. Dressing Room de Bissane Al-Charif, metteuse en scène syrienne, évoque le corps féminin et les transformations qu’il subit suite aux guerres et crises politique.

L’artiste plasticien Mohamed Bourouissa assemble et met en scène dans le texte écrit par Zazon Castro à partir de paroles de femmes recueillies en centre pénitentiaire, Quartier de femmes. Des récits évocateurs des marges et des exclusions mais qui n’oublie pas l’humour.

Avec l’exposition Les intruses de la photographe Randa Maroufi, ce sont les postures des femmes et les dynamiques sociales à l’œuvre dans les espaces publics qui sont questionnées. Cette exposition accueillie au Théâtre de la Criée sur proposition d’Ancrages, est produite par l’Institut des Cultures d’Islam.

Pour un temps sois peu de Laurène Marx est un seule en scène : l’œuvre de cette artiste trans non binaire s’attache aux thèmes de la normativité, du rapport à la réalité, de la neuro-atypie et de l’anticapitalisme.

Filles-Pétroles de Nadia Beugré invite à sonder la société ivoirienne : Anoura Aya Larissa Labarest et Christelle Ehou s’approprient des pas masculins, coupé-décalé, roukasskass, figures acrobatiques et font surgir leur quartier d’Abidjan.

Et aussi…

Ne manquez pas non plus les rencontres littéraires Premières secousses, autour des Soulèvements de la terre, à la librairie Les Sauvages. Et sur le toit terrasse de La Friche, programmé avec l’AMI, les musiques actuelles tanzaniennes s’illustrent par les boucles frénétiques de la house, avec Sisso & Maiko, précurseurs du mouvement Singeli, suivis par Missy Ness, élément important de la scène tunisienne alternative.

SAMIA CHABANI

Rencontres à l’échelle
Du 2 au 15 juin
Divers lieux, Marseille

Des fourches contre des canons

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Omnia sunt communia (Toutes les choses sont communes) © X-DR

Ce n’est pas rien lorsque l’on a une vingtaine d’années de se mettre dans la peau de femmes et d’hommes abrutis de travail, vivant dans la peur des seigneurs. C’est pourtant la proposition de Malte Schwind, metteur en scène dont on connaît l’exigence depuis ses Métamorphoses d’Ovide en 2022. Avec son complice Arnaud Maïsetti, maître de conférences à Aix, qui a rédigé les textes, il met en scène les paysans opprimés qui se révoltent, demandent justice et égalité, conquis par les prêches de Thomas Müntzer qui, d’abord soutien de Luther, était devenu son adversaire : « Vous ne pouvez pas servir Dieu et les riches ».

Après vingt jours de répétition acharnée, le spectacle est là, vivant, sobre et violent. Dans un espace presque vide, les étudiant.e.s des Arts de la scène de l’Université Aix-Marseille (15 comédiennes et 2 comédiens) évoluent avec force et confiance dans les costumes et décor qu’ils ont fabriqués.

Violence des actions et scènes burlesques : le contraste donne un rythme bienvenu.  Malgré la noirceur, on rit beaucoup avec des passages joués sur des tréteaux, qui ridiculisent le pouvoir avec truculence. À l’opposé, les références à la peinture religieuse dominent avec l’évocation du travail des artistes de l’époque qui montrent un Christ en croix ou au tombeau, chairs décomposées, regard vide. Comme celui du Retable de Grünewald. A-t-il-lui-même fait partie de ces révoltés, conspirateurs du « Soulier à lacets » qu’ils peignent sur leurs étendards ?

CHRIS BOURGUE

Omnia sunt communia (Toutes les choses sont communes) s’est donné salle Seïta à la Friche, du 24 au 27 avril

Chroniques d’une disparition

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Quelque chose a disparu mais quoi ? © X-DR

Le texte s’attache sous forme d’une performance virtuose à réfléchir sur ce que notre mode de fonctionnement induit. Un décor de plastique animé de souffles d’air symbolise ce qui reste de notre planète. Sur le côté, trois écrans superposés affichent des images qui défilent, classées dans des fichiers, tandis qu’un androïde (Paolo Cafiero aussi aux lumières et musiques) semble être l’ultime lien entre la vieille femme (Joëlle Cattino), dernière représentante de l’espèce humaine, « la dernière des vieilles, même la seule qui tient encore debout » dit-elle, et des populations qui auraient fui sur d’autres planètes. Autour d’elle, le vide. Ses interlocuteurs se réduisent à l’androïde et ses sonorités électroniques et un animal, en cage. Au cours de quatre actes, baptisés « dossiers » sur les écrans numériques, s’orchestre la reconstitution d’une mémoire disparue : la vieille femme elle-même n’a pas connu ce qu’elle décrit, les vagues, la mer, le bourdonnement des insectes, le chant des oiseaux… témoin de témoins, elle rapporte le parfum des fleurs, le calme des forêts, reprenant le principe du disque d’or de Voyager. Les mots hésitent, « s’approximativent », se reconstruisent. Le langage, ultime trace, redessine un monde oublié, s’émerveille de « la terre d’avant ». « C’était quand même pas si moche, mince » ! Le subtil creuset de l’art nous réconcilie alors avec notre capacité d’émerveillement. On est subjugués, emportés par le flux poétique où se conjuguent tous les registres. Il n’est pas de leçon mais une projection dystopique qui nous donne à percevoir plus que d’ennuyeux discours le sentiment de notre fragilité. Un bijou ciselé.

MARYVONNE COLOMBANI

L’Ouvre-Boîte, Aix-en-Provence les 18, 19 et 20 avril

L’opéra, un art des jeunes et d’aujourd’hui

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Belongings, dédié au jeune public et créé à Glyndebourne en 2017, puis à la Philharmonie de Paris avec ses chœurs d’enfants et de jeunes en 2023, est l’œuvre d’un jeune duo compositeur/librettiste, Murphy&Attridge, qui impose aujourd’hui sa singularité sur les scènes d’opéra. Benoît Benichou, qui a mis en scène la version française à Paris, reprise à Montpellier par son orchestre et son opéra junior (chœur d ‘enfants et jeunes solistes), en a conçu une version qui transcende les époques et parle de tous les enfants victimes des bombardements et exils.

Le sujet, le départ des enfants londoniens lors des bombardements de Londres, se colore discrètement, avec quelques costumes et allusions, d’allusions contemporaines, Ukraine et Méditerranée, qui dessinent une universalité très émouvante. Les vidéos et jeux de transparences tracent des espaces de départ, de confinement, de collectivité subie par les jeunes réfugié·e·s et les accompagnant·e·s, tandis que l’avant-scène est réservée aux expressions intimes, individuelles, des protagonistes.

Entendre la jeunesse

L’orchestre est réduit à un ensemble de chambre pour ne pas couvrir les jeunes voix, et un grand dispositif de percussions, qui sonne bien et tonne rarement, donne de l’épaisseur au flux constant de la musique, dont la très belle complexité harmonique sait se simplifier pour accompagner les chants d’enfants. Le chœur est constamment remarquable, vocalement très présent, bien que les choristes soient moins nombreux-euses qu’à Paris, et scéniquement mobile et juste. Les voix solistes, juvéniles, manquent un peu d’ampleur, et auraient nécessité une amplification plus conséquente, pour rendre plus audible la justesse constante de leurs intonations et de leurs émotions.

Nul besoin pourtant de tendre trop l’oreille pour être saisi par l’ambition du propos : celui d’affirmer à travers l’histoire, celle de l’opéra et celle du monde, la place prépondérante des enfants et des jeunes gens (Lewis Murphy a composé Belongings à 25 ans). Leur composer un répertoire, produire des œuvres jeunesse, organiser des classes opéra est essentiel, afin qu’ils puissent eux-mêmes porter un message de paix et de nécessaire protection de l’enfance.

AGNES FRESCHEL

Belongings a été joué à l’Opéra Comédie, Montpellier, les 19 et 20 avril