mercredi 24 décembre 2025
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Laboratoire de l’art et du design émergents

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Maya Inès Touam Paravent Ce que le jour doit à la nuit (2024) Tirage Fine Art contrecollé encadrement métal sculpté Courtesy de l'artiste et Les filles du calvaire Paris

Pour cette édition 2025 d’Art-o-rama, plus de soixante galeries venues d’une quinzaine de pays vont s’installer dans les espaces de la Friche à Marseille. Parmi elles, des figures de la scène française comme Les filles du calvaire, mais aussi des historiques telles que In Situ – fabienne leclerc ou Suzanne Tarasieve. Et de la scène internationale, avec aaa nordhavn(Copenhague), dédiée aux pratiques conceptuelles nordiques, Alice Amati (Londres), qui met en avant de jeunes artistes à la croisée du numérique et de la performance, Polansky (Prague), tête chercheuse de la scène d’Europe centrale, ou encore Sabot (Cluj, Roumanie), qui défend une génération d’artistes post-conceptuels. 

Stands concepts

Les propositions des galeries témoignent d’un soin particulier accordé aux projets : chaque stand se pense comme une exposition autonome, et non comme un simple étalage d’œuvres.

Ainsi, Sabot présente, avec les artistes Alexandra ZuckermanDaniel Moldoveanu et Pepo Salazar Lacruz, une exposition autour de l’abstraction comme outil critique explorant formeset significations. 

Dans son stand immersif, la galerie Neven (Londres) présente un solo de H. M. Baker, série de sérigraphies sur moquette de bureaux, « des formes architecturales qui informent et symbolisent l’autorité, l’ordre professionnel et le mouvement collectif, ainsi que les fantasmes et les esthétisations du travail ». Quant à Vacancy (Shanghai), elle expose des œuvres d’Anna Gonzalez Noguchi, de Kristian Touborg et de Jesse Zuo, explorant « les formes résistantes de la mémoire, la sensibilité incarnée et les traces persistantes de soins dans les structures quotidiennes ».

À noter également un hommage collectif au galeriste Roger Pailhas (1945 – 2005), figure emblématique de l’histoire artistique marseillaise, fondateur d’Art Dealers, premier salon international d’art contemporain à Marseille dans les années 1990. Huit galeries (Air de Paris, Art : Concept, Esther Schipper, Galleria Continua, Catherine Bastide, Les Filles du Calvaire, Loevenbruck, Mennour) ayant participé à son salon historique présentent chacune une œuvre dédiée dans un stand qui lui est consacré.

Showroom Région Sud

Comme chaque année, Art-o-rama accueille le Showroom Région Sud, qui présente les jeunes artistes et designers présélectionnés pour les deux prix soutenus par la Région : le Prix Région Sud Art et le Prix Région Sud Design.

Les préselectionnés en art sont Ix DartayreJuliette GeorgeRémi Lécussan et Léon Nullans avec des propositions qui oscillent entre installation, vidéo et performance, autour d’enjeux très actuels : écologie, mémoire des territoires, hybridation entre images et langages.En design, ce sont Chloé BerthonFabrice PeyrollesEdda Rabold et Atelier Zerma présentant des recherches mêlant innovation formelle et attention aux matériaux, entre upcycling et expérimentation autour du mobilier urbain.

Trois jours de rendez-vous 

Pendant ces trois jours, le public est invité à participer à de nombreux rendez-vous :conférences et tables rondes, performances et projections. Vendredi 29 août, ce sera notamment à 18 h l’annonce des Prix Région Sud Art, Prix Région Sud Design et du Prix François Bret de l’École des Beaux-Arts de Marseille. Le lendemain à 14h30, une rencontre entre Éleonore False, artiste et Muriel Enjalran, directrice du Frac Sud – Cité de l’art contemporain, et à 17h15 une discussion organisée par la revue 02 : Néo-médiéval – enjeux esthétiques, politiques et sociétaux, avec Clémence AgnezCamille Minh-Lan GouinLou Le Forban et Alexis Loisel-Montambaux. Le dimanche à 14h30 une projection de Le Gai Savoir de Jean-Luc Godard suivie d’une discussion, organisée par Alphabetville.

MARC VOIRY

Art-o-rama
Du 29 au 31 août
Friche La Belle de Mai, Marseille

Retrouvez nos articles Arts-Visuels ici

« Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles » : amour et botanique

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 « Je voudrais savoir pourquoi toutes ces choses sont belles » C’est le projet que Frère Marie-Victorin expose à Marcelle Gavreau quand il la rencontre. Elle en fera des années plus tard la devise de l’Ecole de l’Eveil qu’elle initie en 1935.

Frère Victorin, auteur d’un ouvrage de référence sur la flore laurentienne, fondateur du Jardin Botanique de Montréal est un universitaire charismatique très connu au Québec.

Marcelle, bien à l’étroit dans la condition faite aux femmes de l’époque – sans droit de vote, orientées vers les Humanités plus que vers les Sciences, cantonnées aux métiers d’auxiliaires et vouées in fine au mariage et à la maternité, fut sa brillante élève, sa secrétaire, sa disciple, son âme-sœur, son alter ego, son amour impossible, célibataire jusqu’à sa mort.

Ces deux-là, rescapés de la tuberculose, sont émerveillés par le monde et la vie, portés par leur foi commune au Ciel mais aussi à la Nature comme œuvre divine. Tous deux pensent que l’amour s’incarne. Que rien de ce qui a été créé, les fleurs comme le sexe, n’est laid. Que le mal c’est l’incuriosité, et le diable, la frustration et le secret imposés par les dogmes.

Lyne Charlebois est fascinée par l’histoire entre le Religieux et la jeune femme, par leur amour persistant qui n’effeuille jamais la marguerite, par leur riche relation épistolaire.  Bondieuseries et considérations très crues sur le sexe, propos convenus et discours amoureux quasi extatique, coexistent dans ces échanges bien peu conformistes mais ancrés dans leur époque. On retrouve cette coexistence dans le film qui passe du biopic bien sage à des scènes torrides de désirs domptés mais acceptés.

Apprendre à voir

La réalisatrice choisit de lier les années 30 à notre présent, de proposer un film dans le film. De glisser sur le tournage, d’intervenir dans son propre rôle et de basculer les relations amoureuses des personnages sur celles des acteurs : Antoine joue Frère Marie-Victorin ( Alexandre Goyette); Roxanne joue Marcelle (Mylène Mackay). Antoine et Roxanne finissent une relation adultère, passagère, douloureuse, de « sexe sans amour », tout en donnant corps à l’amour sublimé de Marie-Victorin et de Marcelle, sans sexe, sensuel, éternel. La romance du présent ne pèse pas grand-chose face à celle du passé. Parfois les époques semblent converger, révélant des constantes. Ainsi lorsque Marcelle avec un sérieux scientifique dénué d’affects et d’artifices de langage, interroge ses amies mariées, sur leur plaisir (ou non-plaisir) hétéro qu’elle cherche à définir.

Le film parfois trop bavard sent un peu l’hommage. Son plus grand intérêt est sans doute de placer le regard au centre du projet. Celui de Marcelle et Marie-Victorin qui photographient le monde, le dessinent, pour mieux le définir en mots et concepts. Celui du spectateur saisi par la beauté des arbres, des feuilles, des algues, des fleurs vives, frémissantes ou séchées, collées sur les pages d’un herbier.

Le poème de Rimbaud « Sensation », infuse de bout en bout ce film qui se conclut en quatrain :

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :

Mais l’amour infini me montera dans l’âme,

Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien

Par la Nature, heureux comme avec une femme.

ELISE PADOVANI

Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles de Lyne Charlebois

En salles le 20 août

Sans sexe, avec amour

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Slow (C) Totem film

Elena enseigne la danse contemporaine à des malentendants. Dovydas interprète  son cours en langue des signes. Deux langages très différents, ce qui n’empêche pas que ces deux jeunes gens s’attirent. Une histoire d’amour nait mais une histoire très particulière comme on en voit peu- peut-être jamais  au cinéma.- Dovydas est asexuel. Il n’a jamais éprouvé de désir pour quiconque et n’en aura jamais. Quand il l’ annonce à Elena, elle pense d’abord qu’elle ne lui plait pas d’autant que sa mère semble ne pas lui avoir permis de prendre confiance en elle  durant son enfance et son adolescence. La séquence où Dovydas, qui s’est invité à un repas, fait connaissance avec cette femme dure est éclairante.

 Peu à peu la relation se construit, une alchimie opère entre cet homme qui aime sans désir et la sensuelle Elena, une relation faite de silences, de signes, de caresses, de fous rires, de gestes esquissés et de malentendus aussi. Filmées en 16mm,  les séquences des cours de danse, ou la danse des corps sont superbes, au rythme de la musique et des chansons de la compositrice d’Irya Gmeyner. La caméra de Laurynas Bareisa filme au plus près le grain de la peau, les mains qui d’abord se frôlent, les corps de ces deux êtres qui cherchent une nouvelle façon d’aimer, sans sexe mais avec beaucoup de tendresse. Sans  doute le film aurait il gagné à être un peu plus resserré car il a tendance à s’essouffler. Heureusement les scènes de danse où Greta Grinevičiūtė exulte de sensualité  sont superbes tout comme celles, étonnantes, où Kestutis Cicenas signe les chansons.

Slow de Marija Kavtaradze, (dont le titre original, Tu man nieko neprimen signifie : Tu n’es rien pour moi, tu ne me rappelles rien) avait été présenté en compétition du festival Music et Cinéma de Marseille.

Annie Gava

© Totem film

Couleurs sonores, nuances en palettes

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Le Festival de la Roque d’Anthéron se décline hors-les-murs entre tradition picturale et avant-garde

Sous les lumières tamisées du Musée Granet à Aix-en-Provence, puis dans l’acoustique attentive de l’auditorium Marcel Pagnol, l’édition 2025 offre un double visage, à la fois intime et expérimental, qui a su captiver un public comme toujours nombreux, curieux et exigeant.

Nathalia Milstein, un Chopin ciselé dans l’écrin de Cézanne

Lundi 4 août, sous le regard des toiles de Cézanne, Nathalia Milstein proposeun récital où Schumann et Chopin dialoguent comme les couleurs d’une même palette. Les Scènes de la forêt op. 82 de Schumann se déploient comme autant de petits tableaux : du Chasseur aux aguets à l’Adieu empreint de douceur, chaque pièce dessine un univers sonore précis, tout en nuances.

Avec les Mazurkas op. 50, Milstein donne à entendre un Chopin méditatif, presque aérien, où la liberté des tempi invite à la rêverie. L’intégrale des 24 Préludes opus 28 se dévoile comme un kaléidoscope d’émotions et de textures, du premier prélude au vingt-quatrième presque orchestral. La pianiste, loin d’une démonstration technique pure, fait preuve d’une interprétation picturale et vivante, où chaque phrase semble s’imprégner des couleurs impressionnistes du lieu.

Márton Illés et l’atelier du son en scène
Jeudi 7 août, le Centre Marcel Pagnol a accueilli une expérience rare : une répétition publique consacrée aux œuvres du compositeur hongrois Márton Illés. Sous le regard passionné du compositeur, Florent Boffard et les instrumentistes complices ont exploré un langage musical novateur, où les gestes, les nuances et les techniques étendues redéfinissaient la production sonore.

Les pièces Drei Aquarelle et Négy Tárgy ont mis en lumière une esthétique du détail, du frottement d’archet sans attaque aux résonances obtenues par des objets non conventionnels, brouillant les frontières entre instruments et sons. Plus qu’un concert, ce laboratoire sonore sollicite tout particulièrement le piano tous terrains de Jiyoun Shin. Et révèle la genèse même de la musique d’aujourd’hui, avec ses questionnements et son intensité dramatique, inscrivant Debussy et Bartók en arrière-plan comme des ombres tutélaires. Un moment tout simplement passionnant.

SUZANNE CANESSA

A feu doux.: « Il faut bien que vieillesse se passe »

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A Feu doux (C) Arizona distribution

Une octogénaire est en plein préparatifs culinaires. Après avoir dressé la table, elle s’habille avec soin et élégance dans une atmosphère feutrée. Elle attend un homme… un rendez vous galant. Lorsqu’il arrive et à sa demande, il se présente Il s’appelle Steeve (H. Jon Benjamin) et il est architecte. Il lui demande des nouvelles de sa santé. puis lui annonce qu’ils vont partir : un voyage surprise. Il semble gêné devant les regards et un geste tendre de Ruth. C’est par cette séquence qui met le spectateur un peu mal à l’aise que commence le film de Sarah Friedland, A Feu Doux ( Familiar touch). Et le voyage surprise en est bien un ! Ruth, qui perd la mémoire, est placée dans un établissement spécialisé, Bella Vista, un lieu où tout est fait pour rendre le plus agréable possible la vie des personnes qui ont perdu leur autonomie. Elle est prise en charge par la douce Vanessa, (Carolyn Michelle) et l’équipe médicale. Et c’est cette nouvelle vie que nous fait partager Sarah Friedland qui a écrit son scenario à partir d’expériences à la fois personnelles et professionnelles : la relation avec sa grand-mère et son travail en tant qu’assistante pour  artistes new yorkais en proie à des troubles de la mémoire. «J’’ai compris que si je voulais vraiment faire un film contre l’âgisme, mes méthodes devaient refléter l’éthique du projet. » Elle a donc travaillé avec les résidents de la Villa Gardens Health Center Community qui ont, dit –elle, apporté beaucoup de nuances dans le ton, l’humour, l’absurdité et la bizarrerie du film. Contrairement à nos craintes de spectateur sur le sujet, le placement d’une femme en maison de retraite, on ne sort pas de ce film démoralisé. Car si Ruth, perd la mémoire, elle garde sa vivacité dont vont faire l’expérience soignants et résidents. Les scènes cocasses se succèdent ; recette du bortsch donnée au médecin qui l’examine, préparation, à la place du cuisinier,  d’assiettes alléchantes pour les pensionnaires, atelier de décorations. Ruth est certes déconnectée du réel mais emmène souvent, dans sa réalité à elle, son entourage, emporté par sa joie de vivre et son sourire. Sur le visage de Kathleen Chalfant qui l’interprète superbement passent successivement la joie, l’enthousiasme, l’énergie, le désarroi, la colère, la tristesse parfois  de cette femme qui a vieilli.

Un film dont la mise en scène, en particulier dans la manière de filmer les corps, le cadre, les couleurs,  aborde sans pathos, avec beaucoup d’humanité la question du grand âge et de l’oubli. « J’espère que certains sortiront de la salle plus liés à leur propre incarnation et avec ce que signifie vieillir. » précise Sarah Friedland.  On l’espère…

Annie Gava

A feu doux, qui a obtenu à la dernière Mostra de Venise le Lion du futur du meilleur premier film,  la meilleure réalisation « Orizzonti » et le Prix de la meilleure actrice pour Kathleen Chalfant ,sort en salles le 13 août

« Brief History of a family » : l’Intrus

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@Tandem Films

La singularité d’un film se dévoile souvent dès les premiers plans. Le premier long métrage de Jianjie Lin est de ceux-là. Un jeune garçon, vu de dos, opère une traction sur une barre fixe de gymnastique. On ne voit que le haut de son corps, ses bras contractés ; on entend son râle de souffrance marquant sa détermination à tenir le plus longtemps possible. Image minimaliste, léchée, délimitant le réel comme un cache opératoire. Un ballon lancé par quelqu’un hors champ, frappera l’adolescent provoquant sa chute. On est dans un lycée chinois d’une grande ville indéterminée. Tu Wei (Lin Muran), enfant unique d’une famille aisée vient d’agresser on ne sait pas pourquoi Yan Shuo (Sun Xilun), élève studieux, solitaire, mutique, et d’origine modeste. Est-ce pour se faire pardonner que Wei l’invite chez lui ? Est-ce par curiosité ? Ou encore pour en faire un partenaire de jeu ? En tout état de cause, cette décision va enclencher un processus de parasitage de la cellule familiale de Wei ; un jeu de manipulations, qui révèlera sous la surface lisse et polie de cette famille modèle, les frustrations, les émotions réprimées, les non-dits.

Le père de Wei est biologiste. Un chercheur-conférencier, spécialiste des mécanismes de pénétration d’agents pathogènes dans les cellules. Comme Yan Shuo, le virus SARL CoV2 entre dans les cellules-hôtes grâce à la médiation des protéines – qui par analogie, seraient ici des désirs refoulés. Dans un cache circulaire figurant le cercle d’un microscope, on voit ces pénétrations. Shuo ne fait qu’utiliser les faiblesses et les rêves de chacun pour s’installer et se faire peu à peu adopter. Culpabiliser ces nantis qui vivent dans une belle maison au design élégant. Se faire complice des mensonges de Tu Wei, passionné d’escrime, peu intéressé par les études et branché en permanence sur des jeux vidéo. Émouvoir sa mère (Ke-Yu Guo) en lui racontant qu’il a perdu la sienne à 10 ans et que son père alcoolique le bat ; en partageant avec elle les corvées de courses et de cuisine, en l’interrogeant sur ses goûts. On saura qu’elle a renoncé à sa carrière d’hôtesse de l’air pour devenir femme au foyer. On apprendra plus tard que la politique de l’enfant unique et la carrière de son mari lui ont imposé un avortement. Yan Shuo va séduire également le père (Zu Feng), obsédé par la réussite sociale, en incarnant le fils qu’il aurait voulu avoir, ambitieux, persévérant, mélomane. L’antithèse du sien.

Le flou et le net

La joie revient dans ce foyer un peu glacé en même temps que grandit le malaise. Wei est jaloux de ce garçon qui le supplante. Qui est vraiment Yan Shuo ? Un orphelin à protéger ? Un psychopathe ? un calculateur incapable de sentiments ? un parricide ?  Quelle est la part de vérité dans ses récits ? Est-on dans un Théorème pasolinien à la chinoise ? Un thriller social ? Avec une grande virtuosité, le scénario égrène les doutes, cultive la paranoïa. On voit trouble à travers l’eau d’un aquarium. Les brise-vue aux motifs floraux de l’intérieur du foyer, et les vitres fumées brouillent les pistes. Le flou et le net se répondent dans une mise en scène au cordeau. La musique de Toke Brorson Oden accentue la tension et Le Clavier bien tempéré de J-S Bach, admiré par le père de Tu Wei et Yan Shuo, décline ses préludes sur tous les tons, en mineur et majeur. On en redemande.

ELISE PADOVANI

Brief History of a Family, Jianjie Lin,

En salles, le 13 août

Claviers en clair-obscur et cordes complices

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Récitals romantiques et dialogues lyriquissimes : une édition dense et habitée des Nuits Pianistiques 2025

Au fil de trois soirées, les Nuits Pianistiques ont décliné trois univers distincts. L’édition 2025, fidèle à sa tradition de caractère et d’exigence, s’est ouverte cette année à un répertoire davantage chambriste. Le résultat se révèle enthousiasmant : un panorama élargi et passionnant où le répertoire romantique côtoyait des alliances instrumentales plus inattendues, dans l’acoustique limpide de l’auditorium Campra. Et qui aura, de fait, séduit un public plus large.

Chopin en clair-obscur
Le récital de Gianluca Luisi, consacré à l’intégrale des 24 Préludes opus 28 et des quatre Ballades, a d’emblée plongé le public dans un voyage intérieur au cœur de l’univers chopinien. Du premier Prélude, aux dissonances subtilement soulignées, à la mélancolie voilée du tout dernier, en passant par des élans héroïques et tragiques jalonnant l’opus, le pianiste déploie un art du phrasé laissant respirer chaque ligne mélodique. Sa clarté d’articulation dans les préludes rapides, son rubato souple dans les pages plus méditatives, et la finesse du toucher dans la Ballade n°4 en fa mineur font de cette soirée un sommet de sensibilité, sans esbroufe ni affèterie.

Romantisme voilé

Le lendemain, le trio formé par Nikita Mndoyants (piano), Pierre-Stéphane Schmidlet (violon) et Véronique Marin (violoncelle) propose un programme tissé comme un fil rouge : l’ombre de Brahms semble planer sur son inspirateur Beethoven comme sur son protégé Dvořák. Dans le Trio « Les Esprits » n°1 opus 70 en ré majeur, les élans lumineux des mouvements rapides contrastent avec un Largo assai presque spectral, où la retenue expressive des interprètes renforce la tension à l’œuvre. Le Trio Dumky n°4 opus 90, plus expansif, amalgame un spleen fin de siècle et l’énergie solaire des danses populaires d’Europe centrale. Un souffle dramatique affleure, porté par la puissance technique et la cohésion d’un trio pourtant réuni, depuis quelques jours peine, autour de l’académie afférente.

Espagne rêvée

Changement d’atmosphère le 5 août : la flûte de Jean Ferrandis et la guitare d’Emmanuel Rossfelder entraînent l’auditoire dans un programme lumineux, où les rythmes syncopés de l’Histoire du Tango de Piazzolla et les arabesques de Tárrega (Recuerdos de la Alhambra, La Gran Jota) côtoient la vivacité de l’Entr’acte d’Ibert et la pureté contrapuntique de la Sonate en le mineur BWV 1030 de Bach. La Carmen Fantaisie de Bizet, revue et transcrite par Borne, conclue le programme sur une note théâtrale et virtuose. Les bis – une Vocalise de Villa-Lobos et une Sérénade de Schubert – révèlent une complicité instrumentale rare, les timbres se mariant en un équilibre chatoyant et l’entente rythmique se révélant particulièrement solide.

SUZANNE CANESSA


Le festival s’est déroulé du 29 juillet au 8 août

De mémoires et de luttes

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Photo © Karina Cabral

Le 31 juillet est la Journée Internationale des Femmes Africaines depuis 1974, une consécration qui a vu le jour grâce à Aoua Keïta, une sage-femme et femme politique malienne, le jour anniversaire du premier Congrès de l’Organisation Panafricaine des Femmes, ayant eu lieu en 1962 au Sénégal.
À Marseille, ville cosmopolite, c’est pourtant la première fois que la JIFA est célébrée… manque de moyens, explique Mialy Razakarivony, mais aussi d’un manque de reconnaissance ? C’est elle qui a pensé l’initiative aux côtés de ses consœurs, il y a quelques mois seulement. L’idée est alors de permettre aux femmes issues de la diaspora africaine à Marseille de se rassembler, de faire communauté, et surtout de les mettre en lumière.

« À nos ancêtres africains »

La soirée commence à 18h par une cérémonie spirituelle et collective guidée par Marisoa Ramonja, accompagnée d’un trio de percussions. Un rituel pour honorer les ancêtres africains et souhaiter la bienvenue en cette journée spéciale. Marisoa a tenu à rappeler une chose fondamentale : l’Afrique est un continent, pluriel et comptant un grand nombre de pays — qu’elle a pris le soin de nommer un à un. Puis Fatima Ahmed a chanté une berceuse comorienne, reprise en cœur par quelques femmes de l’assemblée et toutes les personnes qui se sentaient appelées à la reprendre.

À l’entrée des Grandes Tables des stands des associations Cap Vert Avenir et DMMC accueillent chaleureusement le public avec des pâtisseries orientales et capverdiennes. Plusieurs personnes portent leurs habits en tissu africain : l’ambiance est à la célébration et au partage.

Prendre la parole

S’ensuit une table ronde, essentielle, dédiée à la parole des femmes africaines, trop souvent amoindrie et invisibilisée. Un panel de femmes puissantes s’affiche devant l’audience : l’artiste plasticienne et visuelle Daja Do Rosario, Mathilde Ramos, fondatrice de l’association Couleur Terre, Thérèse Basse, entrepreneuse sociétale, à Belsunce avec le concept store « Carrefour du Monde » et Marisoa Ramonja, autrice et performeuse, animé par Jacqueline Corréa, coach en emploi-insertion.

© Karina Cabral

Avant que la discussion commence, Mathilde Ramos verse de l’eau à terre : pour se mettre en relation avec les ancêtres d’origine. L’échange se concentre autour des « Empreintes Africaines », celles qui ont été laissées et celles que l’on dépose à notre tour. Les quatre invitées ont toute une empreinte ancrée sur le territoire marseillais : Daja Da Rosario évoque sa démarche de création autour du tissage de matériaux naturels et de récupération (raphia, fil de fer, chutes de tissu, cuir), ses productions sont exposées pour décorer la salle. Marisoa Ramonja remémore des rituels autour des menstruations (« seul sang qui s’écoule naturellement »), du corps, mais aussi les questions liées à son métissage, à la maternité et à la mort. Thérèse Basse rappelle l’importance de la transmission des traditions, de l’héritage, de l’animisme. Elle répète que les empreintes sont aussi un geste simple envers son prochain. Mathilde Ramos invoque enfin son amour pour l’écriture dans laquelle elle entend laisser ses empreintes et celles du monde, notamment à travers le récit panafricain.

Un hommage est également rendu aux femmes qui les ont inspirées : les mères en premier lieu, dites utérines, mais aussi celle que l’on considère comme telles : les sœurs, les amies…

© Karina Cabral

Incarner la culture

La soirée s’est terminée par un défilé de Djivani Créations, entre tradition et modernité. Des vêtements traditionnels ont été présentés : des tenues de mariages comoriennes, ou revisités avec les tissus comoriens, de grands drapés aux couleurs chaudes, faits de pièces de kanga ou des chemises maouwa, sont venues compléter le tableaux.

Puis un concert inédit fait se rencontrer trois cultures : amazighe (Algérie), sérère (Sénégal) et maloya (Réunion). Très vite, l’énergie féminine a embarqué les Grandes Tables de la Friche, portée par un chant berbère — à la fois berceuse et cri de lutte.

LILLI BERTON FOUCHET

La série d’évènements autour de la Journée Internationale des Femmes Africaines s’est déroulée du 21 juillet au 3 août dans divers lieux à Marseille.

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Bijou Brut

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© Ruth Walz

Lors d’une conférence en hommage à Pierre Audi, son dramaturge et conseiller Timothée Picard évoquait l’aspect le plus secret – et sans doute le plus singulier – de sa vision artistique : un opéra conçu comme un rituel, traversé par une spiritualité discrète mais essentielle. C’est là tout le cœur de The Nine Jewelled Deer, opéra-monde adapté des Jātakas, récits des vies antérieures du Bouddha. Ce conte composite, à la fois méditatif et incarné, invite à une communion rare : le public y entonne une ritournelle en tamoul puis un bourdon vibrant qui clôt cette fresque de l’intime – fait presque inimaginable dans un festival qui interdisait il y a peu d’applaudir entre les airs. 

Le spectacle se déploie en trois tableaux : une fresque rupestre chinoise où une biche miraculeuse sauve un homme de la noyade ; une cuisine indienne contemporaine, refuge de soin et de transmission ; et enfin, le jardin d’un moine où s’enseigne l’« Éveil ». Le livret poétique dépouillé de Lauren Groff et les paysages picturaux de Julie Mehretu peuplent cet opéra d’ombres et de lumières. Créé en partenariat avec la Fondation LUMA, il prolonge la quête de Pierre Audi : faire de l’opéra un espace de transformation intérieure.

Trois femmes puissantes

Porté avec élégance par Peter Sellars, le projet laisse pleinement rayonner les voix complices qui l’animent, au premier rang desquelles celle de la compositrice Sivan Eldar et de la chanteuse Ganavya Doraiswamy. Formée à Berkeley et à l’IRCAM, Eldar s’impose ici en observatrice attentive, laissant toute latitude à l’inspiration de son interprète américano-indienne. Poétesse, chanteuse, improvisatrice singulière, Ganavya Doraiswamy conduit les spectateurs vers des territoires inconnus avec une douceur presque chamanique.

Leur dialogue donne naissance à un langage musical à deux têtes, aux croisements féconds. On y entend la musique instrumentale dite « classique– avec Nurit Stark, au violon et à l’alto, et Sonia Wieder-Atherton, bouleversante au violoncelle. Le souffle du jazz et de la musique contemporaine irrigue aussi la partition, à travers les anches fiévreuses de la clarinettiste Dana Barak et du saxophoniste Hayden Chisholm. La matière électronique, pilotée avec finesse par Augustin Muller, s’enlace aux rythmes traditionnels indiens, portés par les percussions de Rajna Swaminathan et les voix habitées de Ganavya Doraiswamy et d’Aruna Sairam – légende du chant carnatique et véritable mémoire vivante, qui incarne ici Seetha Doraiswamy, la grand-mère de la chanteuse.

C’est dans cette invocation intime que The Nine Jewelled Deer trouve sa force la plus émotive. La figure de Seetha, fondatrice d’un « kitchen orchestra » dédié au soin des femmes, dit la transmission, la résistance, la réparation. L’opéra devient alors un geste de guérison, où le chant panse les blessures, où la voix protège. Lorsque surgit un chant en forme de cri étouffé, confronté aux clameurs d’un violoncelle primitif, le spectacle se fait plus sombre, évoquant le pillage – humain, spirituel, symbolique – qui traverse les siècles.

SUZANNE CANESSA

The Nine Jewelled Deer a été joué du 6 au 8 juillet au LUMA -Arles et du 13 au 16 juillet au Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence

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Bach et Brahms à l’abbaye

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Zvi Plesser © X-DR

C’est toujours une grande émotion lorsque retentissent les premières notes du prélude de la Suite N°1 en sol majeur BWV 1007 de Bach. Dans la belle acoustique de l’Abbaye de Sainte Croix, l’un des cadres du Festival international de musique de chambre de Salon, celui-ci résonne magistralement d’autant qu’il est interprété non pas par un mais deux violoncellistes. 

Le projet de Zvi Plesser et de Hillel Zori deux musiciens israéliens de dimension internationale est audacieux : transformer la voix solitaire du violoncelle en un dialogue à deux instruments, en distribuant les voix. À Salon, ZviPlesser est accompagné par Benedict Kloeckner. La Suite N° 1 estsans doute une des œuvres les plus célèbres du répertoire pour violoncelle. Et si Bach reste Bach, avec cette exigence, cette sacralité, ce recueillement, le jeu entre les musiciens allège le propos qui prend parfois le chemin d’une douce allégresse. Tout au long de l’œuvre, Prélude, Allemande, Courante, Sarabande, Menuets I & II, Gigue, les violoncelles se répondent et se complètent. Zvi Plesser, le plus âgé harmonise, dans un rôle de basse continue qui ne lâche rien de la ligne originale. Benedict, avec ses gestes amples, ses pizzicatos à l’élégance d’un luth, virevolte. 

Tempête musicale

Changement total de programme avec l’arrivée sur scène de la violoniste Clémence De Forceville, élégante et délicate, de l’altiste Amihai Grosz et du pianiste Franck Braley qui rejoignent Benedict sur scène pour le Quatuor pour piano et cordes n°3 en ut mineur, opus 60, œuvre majeure de Johannes Brahms, surnommée le « Quatuor Werther», référence au roman de Goethe Les Souffrances du jeune Werther, à son intensité émotionnelle et son atmosphère tragique.

Depuis son Steinway, en fond de scène, Braley, à la beauté christique (ou diabolique), virtuose, précis, énergique, dirige les trois cordes endiablées dans les deux premiers mouvements, sereines dans l’Andante débutant par un solo de violoncelle apaisé qui marque l’accalmie après cette tempête musicale. La connexion entre les instrumentistes est totale jusque dans leurs respirations et leurs souffles qui s’accordent. On mesure à leur contact, dans la richesse de la proximité de la musique de chambre, ce qu’excellence veut dire. L’œuvre donne large place aux solos, qui permet d’apprécier les qualités exceptionnelles de chaque instrumentiste. Le final est un feu d’artifice dont on peine à se remettre. 

Il faut bien quelques minutes pour entrer à nouveau dans la Suite N°3 en ut majeur BWV 1009 de Bach interprétée, elle aussi, par les deux violoncellistes. Maispleine d’énergie, affirmée et rayonnante, elle finit par s’imposer.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Le concert s’est déroulé le 29 juillet, à l’Abbaye de Sainte-Croix

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