vendredi 29 novembre 2024
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Surfer sur les notes

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Si « l’intérieur des terres » foisonne de propositions festivalières de haut-vol lors de la saison d’été, la côte semblait ne se reposer que sur le charme de ses plages. Grâce à La Vague Classique, l’excellence s’invite aussi en bord de mer. Les grands noms, Khatia BuniatishviliNelson GoernerAlexandre Kantorow, pour ne citer que les trois premiers concerts, sont familiers des scènes les plus prestigieuses, mais ici, dans l’écrin de la Maison du Cygne, ou plus tard, de la Villa Simone, de la Collégiale Saint-Pierre ou la Maison du Patrimoine « François Flohic » située au-dessus de la lagune du Brusc, site classé Natura 2000, le public est installé juste à côté des interprètes, peut en discerner la moindre expression, le moindre souffle. Pas d’effets entre l’auditeur et les sonorités produites, pas de filtre aux émotions !

Le choix d’un temps long

Le festival s’étale comme une véritable saison estivale, du 18 mai au 14 septembre, évitant l’écueil des autres rendez-vous musicaux traditionnels de l’été. Le symbole des deux concerts qui ouvrent et closent le festival est symbolique : la première représentation convie la pianiste Khatia Buniatishvili, aussi encensée que décriée en raison de sa fougue, de ses tenues vertigineuses, des enthousiasmes débridés des spectateurs à l’instar de ceux que peuvent susciter les stars du rock, (un engouement populaire fait oublier à certains que l’artiste parle couramment cinq langues et a une maîtrise technique souveraine). Le dernier concert offrira la scène à la toute jeune et déjà invitée de plusieurs festivals en France et en Europe et lauréate 2018 du concours international Jeune Chopin, Arielle Beck. Elle a d’ailleurs remplacé la star Khatia Buniatishvili qui attendait un heureux évènement le 7 juin 2023 au ClassicCestfffou à Nantes.

Un feu d’artifice

On reconnaît ici la finesse malicieuse du directeur artistique du festival, Gérard Lerda qui a su concocter une programmation aussi éclectique qu’ambitieuse, passant de solistes à des formations chambristes et orchestrales, sur des univers classiques, romantiques, baroques ou jazzy. « Nous cherchons à toucher le plus grand nombre et à convier les spectateurs à sortir de leur zone de confort en leur proposant par le biais d’artistes virtuoses d’aborder des styles et des genres qui ne leurs sont pas toujours familiers » explique Gérard Lerda qui écume les salles de concerts afin de trouver les perles rares de ses futurs calendriers.

Il y a désormais des fidèles, Renaud et Gautier Capuçon, l’ensemble Matheus dirigé par Jean-Christophe Spinosi, les rendez-vous avec les lauréats de la Fondation Gautier Capuçon, cette année la jeune pianiste Nour Ayadi, beaucoup de piano avec entre autres, Guillaume Bellom, Sélim Mazari, Frank Braley, Shani Diluka, mais aussi du jazz avec le Paul Lay Trio ou Nicolas Folmer en quatuor, du lyrique grâce à la mezzo-soprano Marina Viotti ou le contre-ténor Rémy Bres-Feuillet… Comment tout citer ! Un vrai feu d’artifice ! 

MARYVONNE COLOMBANI

La Vague Classique

18 mai au 14 septembre 

Divers lieux, Six-Fours-les-Plages

Gallotta, danse de rêve  

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Le jour se rêve de Jean-Claude Gallotta

Il n’y a pas d’histoire à proprement parler qui sous-tend le propos de la pièce de Jean-Claude Gallotta, le spectateur est libre de ses interprétations. Au début, dans un silence des origines, les danseurs entrent sur le plateau nu. Vêtus de combinaisons académiques colorées et flashy (signées Dominique Gonzalez-Foerster), de vestes noires et de masques les personnages évoluent sur la musique composée spécialement pour le spectacle par Rodolphe Burger. Ses pulsations organiques se conjuguent au dynamisme des corps comme galvanisés par les tonalités rock qui exorcisent le monde et célèbrent les hasards de l’élan vital. 

L’espace est redessiné par les trajectoires classiques, lignes frontales, diagonales, pas de deux, soli, ensembles aux articulations aléatoires qui s’orchestrent subtilement pour refonder une géométrie rigoureuse. Sauts, tournoiements, unissent les dix danseurs en une harmonie plastique qui semble appréhender la scène comme un tableau mouvant sans cesse remodelé. La même frénésie s’empare des corps et peu importe les tailles, les âges, les corpulences, le bonheur du geste transcende les enveloppes : virtuosité de chacun alors que les masques tombent, que les costumes dévoilent les individualités en échappées ludiques. L’abstraction chère à Merce Cunningham, « maître à penser » de Jean-Claude Gallotta qui dans sa Nuit rêvée expliquait combien le compagnon de route de John Cage lui a donné « le courage d’inventer ».

En écho au processus créatif du « maître », Jean-Claude Gallotta intervient lui-même entre les trois tableaux qui évoquent les troubles solaires de la nature, les vibrations des grandes villes et un avenir aux allures de comédie musicale débridée. Ses apartés qui rendent hommage en même temps qu’ils ironisent sur l’art de la danse, apportent un contre-point délicieusement espiègle. Derrière une fausse innocence enfantine, la précision et l’élégance des artistes tissent un ballet jubilatoire et envoûtant.

MARYVONNE COLOMBANI

Le jour se rêve a été donné le 7 mai au Théâtre Durance, Château-Arnoux-Saint-Auban.

Flamme poétique

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Au fil des ans ou des eaux de l’Argens qui mènent de Barjols à la côte toulonnaise, le festival des Eauditives s’est affirmé comme le temps fort poétique du printemps. Y est rendu visible le travail effectué par les membres de la Zone d’Intérêt Poétique (ZIP) de Barjols auprès des scolaires, depuis l’école primaire au lycée grâce aux restitutions de leurs ateliers

Cette année sont à l’œuvre le poète performeur, et fondateur de la revue Freeing our bodyYoann Sarrat, du poète et performeur Dominique Massaut, de la plasticienne et auteure Nicole Benkemoun et des poètes, plasticiens, performeurs, éditeurs (éditions Plaine Page) et fondateurs des EauditivesClaudie Lenzi et Éric Blanco. Comme tous les ans, sous la houlette de leurs professeurs, les étudiant.e.s de l’Ecole Supérieure Art et Design proposeront leur déambulation  poétique avec les Furoshiki, une  technique de pliage et nouage de tissu  détournée pour envelopper des créations plastiques construites autour des textes des auteurs en présence. Ils s’adonneront aussi aux performances baptisées Poessonies, mot qui unit poésie, son et eau.

Subtils éclairages

S’orchestrent des rencontres d’auteurs, Yoann SarratNadine Agostini, Frédérique Guétat-Liviani pour son livre 4 de chiffre et Sarah Keryna qui évoquera son nouvel opus Ligne directe, paru cette année aux éditions Plaine Page. 

Conférence, lectures, performances, vernissages d’expositions précèdent le dernier évènement de la manifestation : une journée consacrée aux écritures sourdes, qui s’achèvera par une table ronde sur le thème des Générations créatrices avec quatre femmes, Chantal Liennel, Emmanuelle Laborit, Zohra Abdelgheffar et Marine Comte. Ici, selon Éric Blanco, « mieux qu’une seule flamme spectaculaire et médiatisée, plusieurs lumières de poche ou bougies de proximité, relient et croisent les différences, connectent les œuvres, les textes et les idées ». 

MARYVONNE COLOMBANI

Les Eauditives

Du 14 mai au 1e juin

Barjols, Châteauvert, Toulon, Brignoles, La Garde, Saint-Raphaël

Danser avec les éléments

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Dans un clair-obscur ocré de silence, des êtres s’avancent, hésitent, essaient l’espace, se rétractent avant de retourner en fond de scène en une ligne lumineuse. Les costumes empruntés au baroque, semblent faire émerger les danseurs d’un tableau de Velázquez. Une géométrie classique dirige les évolutions premières, hiératiques, mouvements mesurés où les bras n’apparaissent que tardivement pour que s’enlacent les danseurs en une danse proche des reproductions des vases antiques. La ligne originelle se module en pointe qui s’avance vers le public, se résorbe en vague lente, encercle l’espace scénique, se reforme en quatrième mur, dos au public, se mue en signe de l’infini, double boucle, amorce de la construction de l’œuvre. 

Le déchaînement voisin d’une rave party enjouée qui suit sera repris totalement à la fin ; entre temps, se seront dressés sept ventilateurs industriels déployant leur pleine puissance sur les quatorze danseurs. Les tableaux se succèdent, convoquant chacun son histoire. Histoire d’une humanité, histoire de la danse. La grammaire classique parfaitement maîtrisée se mâtine des modes contemporains, se parodie elle-même, reprenant les pas d’un sage Lac des cygnes ou enserrant les gestes à la barre dans une mécanique rappelant celle de Coppelia. En pivot de la pièce, un clin d’œil au solo de Nelken de Pina Bausch  qui se moquait de la virtuosité classique : « je vais sauter (…) je vais vous montrer ! manège, batterie, jetés, glissade, triolet, saut écart… ». 

Le vent mécanique qui gagne jusqu’aux gradins agite les voiles légers qui vêtent les protagonistes, aériens comme les tissus diaphanes d’un Botticelli, animés dans leur transparence par les souffles. Les danseurs luttent contre l’apocalypse, les danseuses évoluent, droites, chaussées de pointes, résistant au déluge. La danse débridée du début reprend,  précise malgré la tempête, et affirme sa pérennité face aux éléments, narguant l’impossible… La danse de Calcagno englobe sa propre histoire, ne renie rien, mais assimile le tout dans une écriture fructueuse et foisonnante de la contrainte. Et c’est très beau. 

MARYVONNE COLOMBANI

Storm a été dansé les 6 et 7 mai, Pavillon Noir, Aix-en-Provence

Route enchantée

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Trois Grammy Awards, prix Thelonius Monk, prix Django Reinhardt, Cécile McLorin Salvant s’affirme comme l’une des étoiles du jazz contemporain. Née aux Etats-Unis mais entrée au Conservatoire d’Aix-en-Provence en 2007 en classe de chant lyrique, elle est remarquée par le professeur de jazz et saxophoniste Jean-François Bonnel. C’est à lui qu’elle dédiera le concert donné dans la belle acoustique du théâtre des Salins de Martigues aux côtés de l’Orchestre national Avignon-Provence dirigé par Bastien Stil et de ses fantastiques musiciens, Sullivan Fortner (piano, orgue), Kush Abadey (batterie) et David Wong (contrebasse). 

A star is born

Le concert sous forme de carte blanche permettait de découvrir la riche palette de cette artiste qui chante aussi bien les standards de jazz que des pépites de la chanson française, liant son amour de la mélodie et celui des mots, passant de versions orchestrales à l’intimité d’un trio de jazz ou d’un solo piano/voix. La beauté et maestria des variations de registre, écarts acrobatiques d’octave, modulations superbement maîtrisées, sûreté des attaques, amorces en pianissimo dans les aigus, plongées dans des graves veloutés… se rehaussent  d’une approche fine et intelligente des œuvres, une articulation parfaite et un sens aigu des tempi et des phrasés.  

En ouverture, l’Orchestre national Avignon-Provence offrait le bel équilibre de ses pupitres avant de suivre la chanteuse et ses musiciens dans une exploration délicate où se croisent Chris Barber, Duke Ellington, des extraits de comédies musicales. En référence à son costume coloré, elle interprète Send in the Clowns d’A Little Night Music, composée par Stephen Sondheim pour Glynis Johns, immortalisé par Sarah Vaughan. L’artiste explique brièvement l’enjeu des textes anglais, précise la distance entre la prononciation du patronyme de Sarah Vaughan et son orthographe, parle d’amours ratées, d’amours heureuses, de revirements, de souvenirs. On relit les Parapluies de Cherbourg à la suite de Michel Legrand, on retrouve ensemble le sentiment d’être vivant !

 En bis La route enchantée de Charles Trenet vient célébrer la « jolie fête du printemps » où « l’amour est le plus beau poème ».

MARYVONNE COLOMBANI

Ce concert a eu lieu le  5 mai, Scène nationale des Salins, Martigues

Faire entendre Le bruit des mots

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L’association Nouvelles Hybrides ne cesse de défendre avec une passion éclairée la littérature vivante en invitant des auteurs, suscitant des temps de performances, de musique, d’analyses, de rencontres. Durant trois semaines, à l’occasion du rendez-vous Le bruit des mots, plus de quinze lectrices et lecteurs professionnels et amateurs vont proposer leurs lectures de textes variés issus de livres aimés. Défileront Romain Gary, Marcus Malte, Philippe Delerm, Daniel Pennac, Umberto Eco, René Daumal, Éric-Emmanuel Schmitt… La première édition décline la thématique du rire. 

Ainsi, une soirée spéciale sera consacrée à Milan Kundera, sans doute parce qu’il a écrit La PlaisanterieLivre du rire et de l’oubliRisibles Amours. Malgré les titres, le rire n’est pas évident, certains soulignent que « face à la bêtise et au cynisme, il choisit l’infinie bonne humeur » (André Clavel, Le Temps). Le rire se fait alors outil d’analyse et de critique, vivifiant dans sa manière de mettre en évidence les travers de notre humanité. La lecture musicale de Stanislas Roquette et Éric Charray (clarinettes), le jour où Panurge ne fera plus rire précédera Personne ne va rire qui met en scène un universitaire refusant d’écrire une lettre de complaisance pour un pseudo savant… le jeu littéraire des apparences, de la polysémie inhérente aux mots et à leurs agencements devient un plat de fin gourmet… Lectures-intermèdes, lectures-apéro, « grandes lectures », mais aussi lectures-enfants, tout se conjugue dans les médiathèques ou chez l’habitant pour faire de la lecture non un acte solitaire mais une communion collective de partage… l’amour des livres peut commencer par là…

MARYVONNE COLOMBANI

Le bruit des mots

Du 18 mai au 9 juin

Divers lieux, Luberon 

« Fainéant·e·s », la route de la fortune ?

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Quatre mains menottées. Intérieur d’un fourgon de police, la nuit. Et par la vitre arrière, comme sur un écran, des affrontements avec les CRS et les lueurs rouges des gaz lacrymogènes. Les mains sont celles des deux protagonistes du dixième  long métrage de Karim Dridi, Fainéant.e.s : Nina (Faddo Jullian) et Djoul (.jU.) deux copines inséparables. Chassées de leur squat, elles reprennent la route à bord de leur camion « Cristori Logistique » dont une pancarte affiche le programme « Entre qui veut, Sort qui peut ».

Nous allons suivre leur route, ensemble, puis en séquences alternées quand, au fil des rencontres, leurs routes divergent. Elles piquent de l’essence, fouillent dans les poubelles pour manger, se font embaucher pour la taille des vignes, travaillent à la chaine, ont des aventures et surtout l’envie de faire la « teuf ». Quand Nina, aux cheveux bicolores, piercing au nez et à la lèvre, trouve un mec, qui travaille à la vigne avec elle, Djoul le supporte mal et reprend la route, seule, embarquant au passage un chien abandonné. Qui sont-elles ces deux marginales ? La zonarde Nina et la punk Djoul ? Pourquoi ont-elles opté pour cette voie ? Karim Dridi et sa coscénariste Emma Soisson ont choisi de ne rien dire de leur passé. On sait juste que la famille de Djoul avec qui elle a rompu, vit dans un village puisqu’on la voit aller assister aux obsèques de sa mère ? De Nina, on ne sait rien. On la retrouve à Marseille, sur la Canebière ou se baignant aux Goudes avec un gars rencontré dans un squat sordide où elle a fait une fausse couche.  « C’est ça leur vie, une perpétuelle fuite en avant. Elles avancent sans jamais se retourner. D’où l’importance d’être dans l’instant présent. Bien sûr, on imagine qu’elles ont un passé. Mais je ne prends pas le spectateur par la main. Je n’explique pas. »

Tourné en scope, le format du western et du road movie, avec une mise en scène très posée, une caméra qui filme les corps de ces deux femmes corpulentes, tatouées, peu soignées, inspirées à Karim et Emma par celles qui les incarnent, Fainéant.e.s, n’est pas un film confortable. Il peut déranger avec son atmosphère souvent glauque et les odeurs qu’on imagine. Et la conception de la liberté de ces nomades – pas de murs, pas d’attache(s), résolument individualiste peut sembler, à certains, irresponsable. Il peut plaire à tous ceux qui galèrent dans leur vie actuelle, rêvent de tout laisser et de partir sur les routes, ailleurs. À ceux qui aiment la musique punk et ceux qui retrouvent avec plaisir les chansons de Colette Magny. « Je crois que le film lui ressemble : il est à la fois subversif, empreint d’une profonde tendresse et d’un souffle de liberté. »

On connait l’affection de Karim Dridi pour les marginaux et les couches sociales les moins favorisées. Il a voulu ici  rendre hommage aux « fainéant.e.s ». « Fainéant, c’est ne rien faire. Fainéant, c’est faire le vide. Fainéant, c’est être. Juste être. Et c’est un travail énorme. Être fainéant, ça se mérite, ce n’est pas donné à n’importe qui. Moi par exemple, je n’ai pas la force de ces deux femmes. » Aura-t-il su susciter un peu d’émotion, d’empathie, ce n’est pas si sûr !

ANNIE GAVA

Fainéant.e.s, de Karim Dridi 
En salles le 29 mai

Greenhouse, crimes et châtiments

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Greenhouse de Lee Solhui nous est présenté comme un thriller. Et de fait, le mécanisme du suspense sous-tend le film de bout en bout. Mais, comme souvent dans le cinéma coréen, le thriller s’hybride, devient drame social et se noircit d’ironie tragique. Moon-Jung, l’héroïne de Greenhouse se trouve piégée non seulement par un engrenage fatal mais aussi par le malheur ordinaire des prolétaires, un passé traumatique et la folie qu’elle côtoie dans une société qui ne va pas bien.

Moon-Jung est aide-soignante à domicile. Elle prodigue ses soins à un vieux couple de bourgeois intellectuels, Tae-Kang et Hwa-ok, dont le fils a fait sa vie ailleurs. Lui, doux, courtois, gentil, est désormais aveugle. Elle, hostile, agressive, paranoïaque, souffre d’un Alzheimer avancé. Moon-Jung s’acquitte de sa tâche avec une douceur, et une bienveillance sans faille. Elle s’occupe aussi avec abnégation de sa propre mère, atteinte de sénilité, et qui, sans argent, est placée dans un hôpital-mouroir. Mais comment ne pas profiter de l’occasion qui lui est donnée de rééquilibrer l’injustice ? Pour l’heure, la méritante Moon-Jung économise pour louer un appartement où elle accueillera son fils à sa sortie de prison. Elle vit seule dans une ancienne serre aménagée, recouverte d’une bâche noire, au milieu d’un terrain vague. Cette « greenhouse », devenue une « black house », loin d’un lieu lumineux et chaud où la vie s’épanouit, est le sombre refuge dans lequel la jeune femme se gifle et se punit d’on ne sait quoi.

Pas plus qu’on ne connaît le motif de l’incarcération de son fils. La folie rôde autour de Moon-Jung et couve en elle. Trop pauvre pour se payer les services d’un psy, elle s’inscrit à un cercle thérapeutique de paroles, destiné à «  soulever le bloc de pierre qui pèse sur le cœur ». Elle y rencontre Soon-nam, plus seule, plus « victime » qu’elle, si on en croit ses récits. Mais qui et que croire ? Le monde se dérobe. Cette incertitude, Lee Solhui, qui signe le scénario de son film, choisit de la maintenir jusqu’à la fin. Le spectateur, la poitrine quelque peu oppressée, aura le choix d’imaginer un après. Quelque chose peut-il être sauvé après un crime ? Le feu purifie-t-il ou ne fait-il que brûler et détruire ? Le phénix renaît-il de ses cendres ou demeure-t-il poussière ?

Dans le rôle principal, l’impressionnante Kim Seo-hyung joue avec une grande maîtrise toute la complexité de son personnage. Elle a obtenu pour cette interprétation, un Grand Bell Award (équivalent des Césars en Corée). Premier long métrage de la réalisatrice de 29 ans, formée à la Korean Academy of Film Arts, Greenhouse témoigne de la qualité du cinéma au Pays du Matin calme. On en redemande.

ÉLISE PADOVANI

Greenhouse, de Lee Solhui
En salles le 29 mai

Ouste à l’air !

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Comme à chaque édition, Toustes dehors (enfin) ! a cherché l’emplacement le plus adapté à chaque proposition, sélectionnée parmi le meilleur du spectacle vivant en extérieur. Pour cette 11e édition, les spectateurs sont cueillis dès 7h du matin au Parc Galleron, le long de la rivière Luye, à deux encablures du centre-ville de Gap. Un petit écrin verdoyant apte à tendre l’oreille à une saga familiale intimiste, dans seul en scène campé par Laurent Eyraud-Chaume, de la compagnie veynoise du Pas de l’oiseau, qui clôt avec cette date une tournée entamée à vélo depuis Nice.

Le festival envahit ensuite les ruelles de la vieille ville et irrigue jusqu’au Parc de la Pépinière,  dont l’espace convivialité se renforce cette année, avec des animations jusqu’à 2h du matin (concerts, DJ, bar, foodtrucks…). Parmi les 16 propositions pluridisciplinaires, le théâtre se fait ludique et engagé, via des performances solo campées à la force du poignet. Le charismatique Brice Lagenèbre retrace en paroles et actions les luttes homosexuelles depuis les années 60, dans un déambulatoire à mi-chemin entre manif et documentaire (Le Pédé, collectif Jeanine Machine). Habituée du festival, Maëlle Mays délivre pour sa part de nouvelles Leçons impertinentes de Zou, en duo cette fois avec deux comédiens provisoirement échappés du Muerto Coco, pour nous entretenir de la temporalité avec Maxime Potard et du rire avec Coline Trouvé. Martin Petitguyot, émérite comédien de rue, relit quant à lui le mythe Molière !, retraçant la vie du plus fantasmé des metteurs en scène dans une fausse conférence pleine de panache. Quant au geste, il s’invite au milieu du public, qu’il soit dansé (duo de La Méandre,mêlant sévillane et électro), circassien (fil tendu entre les spectateurs pour du micro funambulisme avec La Fauve), sportif (freestyle sur ballon de football avec Paul Molina, ancien champion du monde ; cirque et parkour avec Said Mouhssine).

Grâce suspendue

De plus grandes formes s’échappent du centre ville pour des moments collectifs, tels Les Urbaindigènes et leur chantier circassien faussement participatif revisitant l’histoire de l’architecture. Entre chien et loup, c’est un moment littéralement suspendu qui nous est offert avec Ourse de Bélé Bélé : une troublante et fascinante ode à la beauté, dans laquelle le talent de Sophie Deck – son goût pour les accessoires incongrus et son irrésistible touche de fantaisie teintée de gravité – éclatent une fois de plus. De lunaires ours en peluches, des panoplies évolutives et 4 comédiennes nous enchantent via une succession de tableaux oniriques, envoûtants et d’une mélancolique tendresse, à la tombée de la nuit… De ces spectacles qui s’incrustent durablement en nous.

Enfin, deux créations s’invitent dans cette 11e édition. Failles de La Féroce, dans lequel Laurette Gougeon laisse éclater son amour des cîmes. Après un 1e volet solo – présenté à Marseille à l’orée des calanques en février 2023 -, la circassienne s’adjoint cette fois les services du metteur en scène Loïc Leviel.

Autre première accueillie durant le festival : celle de Tempête du Collectif du prélude, une mise en abyme du classique de Shakespeare, dans laquelle s’entrecroisent l’histoire de deux naufrages. Cet accueil est emblématique de l’engagement de La Passerelle en faveur des spectacles en  espace public, une démarche que son directeur Philippe Ariagno, sur le départ pour d’autres fonctions dès la rentrée prochaine, a eu à cœur de développer au long des 12 ans passés à la tête de la scène nationale : accompagnement en résidence et en coproduction, volet saisonnier Curieux de nature, noyau dur de partenaires privés devenus complices de l’événement, les Mécènes des cîmes… Gageons que son action perdurera, et que nous retrouverons une 12e  édition du festival l’an prochain!

JULIE BORDENAVE

Toustes dehors (enfin) !
du 31 mai au 2 juin
Scène Nationale la Passerelle, Gap

The Echo : curieux de naissance 

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Tropical Fuck Storm © Adam Donovan

Il y aurait donc de la place pour un festival à la fois pointu, alternatif et ambitieux à Marseille. On aurait pu en douter, tant ces propositions ne courent pas les rues de la cité phocéenne ou de la région depuis des années maintenant. On pense à la disparition du festival B-Side il y a une dizaine d’années, et plus récemment de Tinals (Nîmes) et du Pointu (Six-Fours). C’est dans ce marasme que naît le festival The Echo, qui invite à la découverte du 31 mai au 2 juin, en déployant dans plusieurs salles du centre-ville de Marseille des artistes aux esthétiques multiples mais toujours exigeantes. Une gageure qui s’est réalisée grâce à l’alliance des agences artistiques Vedettes, Limitrophe Production, et de la Responsabilité des rêves, désormais à la tête de l’Espace Julien. 

« Ca faisait longtemps que l’on voulait organiser un festival, mais on ne savait pas où et quand », explique Marion Gabbaï, directrice de Vedettes, basée à Paris. Une réponse qu’elle a fini par trouver en discutant avec les professionnels du milieu. « Des agents nous disaient qu’avec la disparition de Tinals et du Pointu, ça ferait sens d’avoir un nouvel événement dans le Sud de la France. »

D’autant plus que Marseille bénéficie désormais d’une hype, et d’une aura internationale. « Beaucoup de groupes nous disent qu’ils ont envie de venir jouer à Marseille » poursuit-elle. « On travaille de plus en plus à Marseille, chose que l’on ne faisait pas il y a quelques années, et les dates que l’on a faites ont plutôt bien fonctionnées. Signe qu’il y a de la place pour ces musiques-là dans cette ville. » Un constat partagé du côté de l’Espace Julien : « Avant Marseille c’était casse gueule, maintenant ça change, il y a un vrai public qui est là, on est a 70% de remplissage à chaque fois avec L’Espace Julien », explique Marion Bayol, responsable de la communication de la salle du centre-ville.

L’histoire prend alors forme en novembre 2023, quand Vedettes prend contact avec Limitrophe Production et la Responsabilité des Rêves. « Ce qui nous a intéressé c’était de prendre part dans une programmation un peu plus pointue, proposer quelque chose d’alternatif. Il y a aussi du militantisme à travailler avec des tourneurs indépendants, et des musiques qui le sont aussi » explique encore Marion Bayol.

Itinérance musicale

En quelques mois, se dessine alors une programmation qui se veut à la fois exigeante et alternative. À côté des deux têtes d’affiche que sont Flavien Berger et Nils Frahm, le rendez-vous invite aussi le punk-psychédélique des Australiens d’Exek, ou l’indus-synth-punk des Espagnols de Dame Area. Autres curiosités sonores, le rock désaxé de Tropical Fuck Storm, ou la noise de brooklyn signée Model/Actriz. Autant de groupes à l’énergie musicale qui respire l’air du temps, où les anciennes chapelles musicales laissent place à la transversalité des genres. De quoi faire de ce festival un véritable écho du monde, dans une ville qui lui va si bien. 

NICOLAS SANTUCCI

The Echo
Du 31 mai au 2 juin
Divers lieux, Marseille
theecho-festival.com
Au programme
30 mai
(Before avec Humeur Massacrante) : DR Sure’s Unusual Practice + Lùlù – L’Intermédiaire
31 mai
Mary Lattimore – Théâtre de l’Œuvre – 19 h
Nils Frahm – Le Silo – 19 h
Model/Actriz + Tropical Fuck Storm + Trae Joly + King Kami – Makeda – 20h30
1er juin
Parade – La Mesòn – 18 h
HTRK – 19h30 – Théâtre de l’Œuvre – 19h30
Exek + Dame Area – Makeda – 20h40
Faux Real + Jessica Winter + Doucesoeur + Pompompom + MJ Nebreda + KSU – Espace Julien – 22 h
2 juin
Astrel K + Slow Pulp – Makeda – 19h30
Loïs Lazur + Baby’s Berserk + Flavien Berger – Espace Julien – 20h30