vendredi 4 juillet 2025
No menu items!
Accueil Blog Page 57

[Berlinale 2025] : Chine des Villes, Chine des champs

0
Living the Land

Living the land, rural, se développe sur un cycle de saisons. Girls on wire, urbain, se déroule sur une trentaine d’années. Tous deux situent leur narration à partir du basculement historique de la Chine dans l’économie de marché, en 1991.

Ours d’argent du Meilleur réalisateur : Living the land, du printemps à l’hiver.

Plan serré sur un groupe de paysans entassés dans une charrette tirée par un tracteur entre des champs givrés. Un enfant tient une urne funéraire dans ses bras. Le tracteur peine à s’extraire de la boue grasse qui charge ses  roues. Elargissement progressif et lyrique du cadre.  Le regard s’envole des herbes roussies par l’hiver au paysage complet : une langue de terre limitée par la mer. Voilà les dernières images de Living the Land, deuxième long-métrage de Huo Meng, superbement photographié par Guo Daming . Métaphore de l’essor économique du pays et de l’effort douloureux pour s’arracher à cette terre qui nourrit les vivants et accueille les morts.

On est dans un village perdu au fin fond de la campagne chinoise. Pas d’électricité. Pas de téléphone. Pas de motorisation : on fauche les blés à la main,  on laboure avec des bœufs. On inhume, on exhume en respectant des rites funéraires millénaires. On réunit les corps des époux. On met en scène le deuil de la famille tout de blanc vêtue, accompagnant le défunt à grandes gesticulations et lamentations ostentatoires -pas forcément sincères. On est pauvre. Le travail est harassant. On est soumis aux caprices météorologiques, au prélèvement par les autorités d’une partie de la récolte et nul ne trouve à y redire.

Là, vit Chuang ( Wang Shang). Il a10 ans, fait pipi au lit. Ses parents travaillant à la ville, l’ont confié à leur famille paysanne. Il entretient une relation privilégiée avec Li (Zhang Yanrong) son arrière grand mère, nonagénaire, fumeuse et frondeuse, ainsi qu’avec Xiuying (Zhang Chuwen), sa tante amoureuse en secret de l’instituteur. On capte la tristesse de la jeune femme quand elle est mariée contre son gré à un homme qu’elle n’aime pas. On suit le jeune Chuang à l’école, dans les champs au fil des travaux agraires.  On le voit  rire, jouer avec ses camarades, défendre son cousin handicapé mental des cruautés des villageois, et lire. Sa soif d’apprendre le prépare déjà à une autre vie. Loin de tout misérabilisme, on s’immerge dans la vie de ce village qui n’est plus tout à fait coupé du reste du monde. Le secrétaire du parti vient faire appliquer les directives du pouvoir central : visite médicale obligatoire, surveillance du ventre des femmes, des accouchements. Une télé arrive, puis un tracteur. Le réalisateur respectueux ne porte aucun jugement, laisse ressentir la beauté et le poids de la vie. L’individu est peu de chose face à la Nature et à l’Histoire qui s’incarne dans cette fresque paysanne.

Girls on wire, famille je vous hai-me

Productrice de Black Coal Ice, Ours d’or en 2014, Vivian Qu revient à la Berlinale en tant que réalisatrice pour présenter son 2è long métrage : Girls on wire

Une ouverture en filtre rouge au fond d’un tunnel prison bien noir où les coups pleuvent sur une jeune femme recroquevillée sur le sol. Suivie d’une évasion digne de Lisbeth Salender et d’une traque qui durera jusqu’à la fin de ce film hybride. Mélodrame social, thriller dérapant vers le pastiche voire la comédie. Comme si Les deux Orphelines rencontraient le polar coréen et le kung-fu. Le réel se frotte aux décors de la Cinecità chinoise à Chengseng. Par des allers retours entre présent et passé la réalisatrice laisse au spectateur le soin de reconstituer le destin de deux cousines, bousculant la chronologie et trouant le récit de nombreuses ellipses.

Fang Di (extraordinaire Wen Qi)  a vu arriver chez elle sa cousine Tian Tian (Liú Hào-Cún) encore bébé et ses parents. Elles ont passé leur enfance ensemble comme deux sœurs. Le père de Tian Tian, resté seul, a sombré dans la drogue obligeant sa fillette à mentir et voler pour payer ses doses. Fang Di fuit la maison devenue irrespirable, pour devenir actrice et connaît une célébrité télévisuelle. Tian Tian reste, tombe aux mains des dealers de son père endetté, et se drogue à son tour, harcelant sa cousine pour obtenir de l’argent. L’entreprise de sa mère périclitant, Fang Di se retrouve également à rembourser les dettes familiales.

Quand le film commence les deux cousines ne se sont pas vues depuis 5 ans. Tian Tian vient de tuer un homme et Fang Di, désargentée, désabusée, est devenue cascadeuse dans des films d’arts martiaux, soumise à la volonté de metteurs en scène bien peu empathiques. On assiste avec Tian Tian à une scène de tournage insoutenable. On plonge, prise après prise, Fang Di suspendue par des câbles, depuis un pont, dans l’eau glacée d’un fleuve pour la propulser ensuite à son point de départ, sabre à la main, encore et encore, jusqu’au malaise de la jeune femme. Retrouvées par les mafieux, Fang Di et Tian Tian  s’enfuient ensemble. Le drame social tourne au thriller avec des Méchants très méchants, des poursuites et des bagarres. Le fil évoqué par le titre anglais est celui du funambule qui cherche à garder l’équilibre. Mais il est d’autres fils pour ces filles, ceux qui les relient depuis l’enfance et tissent une sororité, une solidarité. Ceux – plus cordes que fils, qui attachent à une famille mortifère dont on ne peut se libérer et dont le film serre le nœud coulant.

ELISE PADOVANI

 [Berlinale 2025] Mère ou pas mère

0
The best mother in the world

La meilleure mère du monde

Une femme vient porter plainte pour violences domestiques. C’est Gal (Shirley Cruz), une éboueuse, que son mari, Leandro (Seu Jorge ) qui boit bat régulièrement. Son visage est marqué par les coups ; son regard est intense.  Elle décide de s’échapper avec ses deux enfants les embarquant dans sa charrette de recyclage pour une  « grande  aventure », le seul moyen de les protéger d’un réel plus que difficile.  Tel un buffle, elle tire sa carriole à travers les rues de Sao Paulo : il lui faut trouver des endroits pour dormir, de quoi manger, tenter de faire quelques travaux pour  survivre. Sa route croise celle de Munda, « une femme libre » qui lui propose un squat. Mais Gal a un but ; aller chez son cousin et, puissante, tenace, elle continue de  tirer sa charrette où trônent, tels des princes, son fils ; Benin, ravi d’avoir croisé la route du cheval, Biro- Biro et sa fille, Rihanna qui a parfois envie de rentrer à la maison. Mais  les enfants sont heureux de vivre cette aventure car Gal a le pouvoir de ré enchanter le monde  comme le père dans La Vie est belle de Benigni. Une fontaine publique devient un endroit où on se lave, certes,  mais aussi où se baigne, s’éclabousse en riant ;  une des plus belles séquences du film d’Anna  Muylaert, A Melhor Mãe do Mundo (The Best Mother in the World), un film qui témoigne de la violence que subissent les femmes mais aussi de la puissance de celles qui la refusent et arrivent comme Gal à gagner leur liberté. La meilleure mère du monde. Car pour Anna  Muylaert, « La mère est la figure la plus importante de la société .Si une mère est battue par son mari, son fils battra sa femme, ou sa fille pensera que c’est normal d’être battue par son mari aussi. C’est un cycle de violence qui dure toute la vie. » . Shirley Cruz incarne brillamment cette femme forte qui se bat, pleine d’imagination et d’espoir en la vie.

The Best Mother in the World de la réalisatrice brésilienne qu’on avait découverte en 2015 avec The Second Mother était présenté dans la section Berlinale spécial

Johanna Moder, Mother’s baby

On ne nait pas mère : on le devient …ou pas

Un couple riant aux éclats et hurlant dans un manège qui tourne à toute allure…Un symbole de leur  vie future.  Elle c’est Julia, une cheffe d’orchestre reconnue,  lui c’est Georg ( Hans Löw).° Ils n’arrivent pas à avoir d’enfant et vont consulter le Dr Vilfort, spécialiste de la fertilité dans une clinique privée. Julia se retrouve enceinte et se prépare à devenir mère mais rien ne se déroule comme prévu. L’accouchement se passe très mal ; la caméra le filme longuement, s’attardant sur le visage en souffrance de la parturiente et, en un travelling circulaire, sur les’ infirmières rassemblées autour de la sage-femme Gerlinde (Julia Franz Richter)  qui vont l’aider à mettre au monde ce bébé. Un bébé qu’on n’entend pas crier et qui est emmené immédiatement par l’inquiétant Dr Vilfort (Claes Bang)  Après une longue attente, on annonce  à Julia et Georg que le bébé va bien. Pour Julia, ce bébé à qui elle  ne donne pas de nom, qu’elle a du mal à allaiter, est un étranger, un bébé  aux drôles d’yeux, trop calme. Elle essaie de le faire réagir par de la musique très forte, jouant du violon tout près ou le pinçant pour le faire crier « Il ne pleure pas, ne ressent aucune douleur et n’a jamais faim.-. Tu préfèrerais un bébé qui crie ? lui rétorque Georges. Tu voulais un enfant ?  – Pas celui-là ! » Commence à germer chez elle l’idée que ce bébé n’est pas le sien, qu’il  a été échangé. « Tout va bien »  lui répète, comme un mantra,  son entourage ainsi que  Dr Vilfort qu’elle va consulter à plusieurs reprises .Il lui offre un axolotl, une sorte de salamandre qui semble le fasciner. Tout comme le narrateur de la nouvelle de Cortazar, Axolotls. Le doute s’insinue de plus en plus chez Julia : ce bébé qui n’est pas le sien n’a-t-il pas été conçu dans une éprouvette. Non ! Tout ne va pas bien !

 Le film de la réalisatrice autrichienne Johanna Moder, Mother’s baby, construit  comme un thriller psychologique, met en avant les difficultés à devenir mère et la dépression post partum qui n’est pas toujours reconnue.  Le spectateur est emporté dans le monde de Julia grâce au jeu parfait de Marie Leuenberger   «Mother’s baby est pour moi un film très personnel. Précise la réalisatrice  C’est une sorte de règlement de comptes, même si je ne sais pas avec qui ni quoi. Le bonheur promis ne se concrétise pas avec la naissance de l’enfant. C’est plutôt le début d’un mauvais rêve. Rien n’est comme avant. Et ce qui était, inexorablement, fond et ne peut plus être retenu. » 

Mother’s baby qui tient le spectateur en haleine jusqu’au bout était en compétition à la 75é Berlinale

Annie Gava

Constellation de films

0
Semaine asymétrique
Control Anatomy@ Mahmoud Alhaj

Depuis une vingtaine d’années, le Polygone Étoilé organise et accueille la Semaine Asymétrique, un événement cinématographique hors-norme, qui – et le Comité Semaine Asymétrique (CSA) insiste – n’est pas un festival. Et pour cause, le CSA ne visionne pas les films en amont, et donc ne fait pas de sélection. Les seules conditions pour voir son film projeté est de l’avoir envoyé suffisamment tôt au Polygone Étoilé, et d’être présent pour en discuter avec le public. Ce fonctionnement permet d’offrir au public une diversité étonnante de films, autant dans leurs formats que dans leurs thèmes. 

« On suit aussi certains artistes en particulier, notamment le peintre Damien Cabane qui fait des films de poésie, et qui est présent chaque année » explique Martine Derain, administratrice et artiste membre du Polygone Étoilé. Comme chaque année, un certains nombres de films réalisés ou travaillés au Polygone étoilé sont projetés lors de la Semaine, à l’instar de la sélection de courts-métrages « Fenêtres sur la Joliette », fruit d’ateliers menés par l’association Film Flamme avec des jeunes de ce quartier (23 février). 

Regards sur la psychiatrie 

Malgré l’absence de sélections, un thème marque par sa récurrence : l’hôpital psychiatrique. Selon Martine Derain, « il y a un intérêt contemporain pour ce que permettent ces lieux en terme de création, pour les formes qui émergent quand on travaille avec les patients ». C’est le cas d’Un Café allongé à dormir debout, un documentaire dans lequel Philippe de Jonkheere filme le passage à l’âge adulte de son fils neurodivergent et hospitalisé (22 février), ou de Coma du Collectif Robin Wood (24 février). Mais aussi de films plus anciens, comme les courts-métrages réalisés​ par les patients de Céry, un hôpital psychiatrique de Lausanne, entre 1964 et 1981 (23 février). Enfin, Jean-Pierre Daniel sera présent le 22 février pour présenter Le Moindre geste, un film de 1971 qui met en lumière le travail mené par Fernand Deligny, éducateur et artiste, auprès de jeunes patients en psychiatrie.

Regards sur la diffusion 

Enfin, le CSA ménage un temps de réflexion collective autour de la diffusion cinématographique. Lors de discussions intitulées « Manœuvrer dans la diffusion », les 24 et 25 février, plusieurs professionnels du cinéma débattront des lacunes de l’industrie en la matière, et des possibilités nouvelles qui émergent pour favoriser la visibilité des œuvres. Des alternatives dont la Semaine Asymétrique est elle-même un bel exemple. 

CHLOÉ MACAIRE 

La Semaine Asymétrique 
Du 20 au 27 février 
Polygone étoilé, Marseille

Retrouvez nos articles Cinéma ici

Rusalka

0
Rusalka

Le décor représentant l’intérieur d’une piscine en petits carreaux blancs, avec son plongeoir, son escalier et son échelle, dans laquelle les chanteurs évoluent, est impressionnant de réalisme. En fond de scène, sont projetées des vidéos sur grand écran. Elles sont un élément essentiel de la mise en scène de Jean-Philippe Clarac et d’Olivier Deloeuil, habitués avec leur Lab à mélanger les genres d’expression dans des productions pluridisciplinaires. Ellesdéroulent les ébats de petites championnes de natation synchronisée qui s’échauffent, babillent et se confient à la caméra. On leur demande de se maquiller -trop-, de sourire -tout le temps-, de se comporter comme des petites sirènes évanescentes -pourquoi toujours petite ? s’interrogent-elles-, leurs corps de jeunes pubères, qui enchaînent des chorégraphies désuètes,sont livrés en pâture aux spectateurs sur scène et dans la salle. Transposer ainsi l’histoire de La Petite sirène dans le monde des petites nageuses était un pari osé, même si on perçoit immédiatement la résonnance avec le conte d’Andersen. Pari réussi.

Retour aux sources

C’est un retour aux sources pour cette œuvre dont la première représentation en France eut lieu à Marseille en 1982. Le livret écrit par le tchèque Jaroslav Kvapil met en scène Rusalka, créature des eaux -la somptueuse Cristina Pasaroiu-, qui avoue à son père Vodnik, l’esprit du lac, devenu un manager libidineux sous les traits de la basse Mischa Schelomianski, qu’elle est amoureuse d’un prince, humain -le ténor Sébastien Guèze-, en habit de James Bond. Elle décide de quitter son père et ses sœurs de bassin pour vivre son amour terrien. Pour cela, elledoit demander à la sorcière Jezibaba de l’aider à devenir une femme. Cette dernière exauce ses vœux. Rusalka peut rejoindre le monde des humains mais devra perdre sa voix, se taire. Exilée loin d’un monde aquatique de conte de fée, souligné par la harpe, un univers factice et artificiel certes mais protecteur, la jeune femme bascule dans l’univers violent, des chasseurs,des hommes avides de possession, prompts aux faux discours et à la trahison. Le prince, d’abord épris de cette beauté silencieuse, sauvage comme une biche blanche, la délaisse pour une princesse étrangère –Camille Schnoor. Dès lors, Rusalka tourne en rond comme un poisson rouge dans un bocal, ni sirène, ni femme, ni vivante, ni morte, rongée par son incapacité à hurler à haute voix sa colère ou sa tristesse. La soprane roumaine à la voix de velours Cristina Pasaroiu tient la scène de bout en bout, émouvante dans le Chant à la lune du premier acte, puis rebelle, puissante, fragile et désespérée. Elle s’avère une actrice exceptionnelle, brille et éclipse les solistes hommes dans cette partition qu’il est vrai ne leur rend pas hommage. Les chanteurs et petites danseuses évoluent sur scène ou dans les vidéos,dans une mise en abyme qui sert puissamment la dramaturgie du spectacle.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Rusalka a été donné les 11, 13 et 16 février à L’Opéra de Marseille

Retrouvez nos articles Musiques ici

Repartir à l’abordage

0
procès du siècle
© G.C.

Le 17 février, plus une place dans l’auditorium Germaine Tillon pour les retardataires. Comme tous les lundis jusqu’au 17 mars, la 4e saison des Procès du siècle, intitulée « Oser l’utopie », se demande comment « avancer vers plus de démocratie, plus d’écologie, plus de solidarité ». L’affluence montre que l’appétence est là. Pourtant le sujet du jour semble peu familier à une bonne moitié du public, quand la journaliste Nora Hamadi fait un sondage à main levée : qui sait ce qu’est l’éducation populaire ?

Ses deux invités, Hélène Balazard, chercheuse en sciences politiques, et Robin Renucci, directeur du théâtre La Criée, se lancent donc dans un historique. Lui fait remonter ses origines à Condorcet, selon qui l’éducation devait émanciper les citoyens de la sujétion, car « même sous la constitution la plus libre un peuple ignorant est toujours esclave ». Elle évoque le programme du Conseil National de la Résistance et sa volonté de rénovation sociale, après l’emprise fasciste sur le pays durant la Seconde Guerre mondiale.

Quand les fondamentaux se réveillent

L’éducation populaire, c’est « apprendre de tous, par chacun » pour l’un ; « conscientiser ses propres capacités, gagner en pouvoir d’agir », pour l’autre. Depuis une dizaine d’années, les vieilles recettes connaissent un renouveau, relèvent-ils, après des décennies où elles s’étaient assoupies dans les MJC, devenues parfois de simples lieux de consommation de loisirs. Utiliser les méthodes les plus démocratiques possibles, cela devient tellement urgent dans un contexte politique tirant de plus en plus à droite, assorti d’un libéralisme économique qui détruit les services publics. « L’éduc’ pop’ a un bel avenir si l’on lutte encore et toujours contre les dominations », s’enflamme Robin Renucci. « Cela se travaille dans le débat, la reconnaissance de l’opposition, l’acceptation du conflit, du dissensus. Considérer l’altérité comme précieuse, aller chercher la singularité de chacun plutôt que le nivellement qu’apportent les réseaux sociaux. »

Pas facile à mettre en pratique, reconnaît-il, face au rouleau compresseur de l’autoritarisme. Cette difficulté s’est d’ailleurs vue en direct, lors des échanges avec la salle. À peine un auditeur avait-il pris la parole, pour déplorer la réduction de l’éducation populaire au « simulacre participatif », qu’il se faisait sèchement rembarrer par Nora Hamadi. Ce n’est pas en répondant sur ce ton à la critique que l’on va « susciter le désir de s’exprimer », l’un des grands principes fondamentaux de l’éducation populaire. Celui ou celle qui contrôle le micro a décidément le pouvoir…

GAËLLE CLOAREC

Le prochain Procès, Où sont les nouveaux territoires de solidarité ?, réunira Juliette Rousseau, directrice de collection aux éditions du commun, et Kamel Guemari, fondateur de l'Après-M, le 24 février.

Retrouvez nos articles Société ici

Mars en baroque lance le printemps 

0
mars en baroque

L’Opéra de Marseille fête ses cent ans. Le festival Mars en baroque se devait d’honorer cet anniversaire en mettant cette grande invention de la période baroque à l’honneur. Fruit d’un premier partenariat entre l’Opéra et le festival -qui devrait en appeler d’autres-, le mythique Orfeo de de Claudio Monteverdi. Pour ce projet audacieux, Jean-Mars Aymes, directeur du festival a associé le chœur de l’Opéra et fait appel aux instrumentistes du Concerto Soave, rompu aux secrets de l’interprétation baroque (2 mars, Opéra de Marseille). Cette production phare du festival ne doit pas occulter la riche programmation de cette édition -concoctée par Romain Bockler-, qui retrouve sa vitesse de croisière après une année 2024 difficile. Marie Paule Vial, sa présidente s’en désole : « Partout en France et à l’étranger, la culture est danger. Grâce à la Région, la Drac mais surtout à Jean-Marc Coppola, maire adjoint à la culture de Marseille que nous remercions, Mars en baroque peut continuer à voguer ». Le festival collabore aussi cette année avec Marseille Concertspour une soirée De Bach à Debussy avec la flutiste Lucie Horsch et le claveciniste Justin Talylor, (15 mars, Palais du Pharo). Jean-Marc Aymes s’en félicite : « Travailler avec des structures existantes est une bonne façon de faire vivre la musique ». 

Concerto Soave @ Concerto Soave

Hamlet en Italie

Le festival ouvrira avec Les Fantômes d’Hamlet, programme construit par Franck Emmanuel Comte et Le Concert de l’Hostel Dieu, avec des fragments d’opéras perdus de Scarlatti, Gaspirini ou Vignati exhumés par des musicologues autour du mythe d’Hamlet et des femmes qui auraient traversé sa vie. Elles seront incarnées par la soprane et grande tragédienne Roberta Mameli (28 février, église Saint-Ferréol). Italie toujours avec la venue à Marseille, grâce au soutien de l’institut culturel italien, de l’ensemble Dolci Accenti qui puise aux sources de l’Opéra que sont les cantates interprétées par la soprano Nadia Caristi (8 mars, salle Musicatreize).

©SAS

Haendel, what else


Le génial Haendel, qui à lui seul résume l’Europe baroque, valait bien qu’on lui consacre deux soirées. Ce sera le cas avec Dans l’ombre du « Caro Sassone », consacré aux oratorios du compositeur, grande forme musicale née, elle aussi à l’époque baroque. Le contre-ténor Rémy Brès, formé à Marseille, et qui foule déjà les plus grandes scènes internationales interprétera aussi des œuvres des successeurs anglais du compositeur que sont Maurice Green, John Stanley et William Boyce (14 mars, église Notre-Dame du Mont).  De leurs côtés, le jeune organiste Emmanuel Arakelian et Jean-Marc Aymes au clavecin offriront Une heure avec Haendel avec des pièces instrumentales de celui qui fut aussi maître de chapelle (30 mars, Temple Grignan). 

Baroqueux du sud

Hommage sera rendu à celui sans qui l’Opéra de Marseille n’existerait peut-être pas. C’est en 1685 que Pierre Gaultier obtint du grand Lully la permission de créer le premier opéra de province, Le Triomphe de la Paix. Il devient le centre de la vie culturelle de la région. En l’articulant sur des œuvres instrumentales de Gaultier, Concerto Soave a construit un programme autour de l’opéra français de la fin du XVIIe siècle. Lully y est bien sûr présent, mais aussi Campra et Mouret, immenses compositeurs nés dans la région (22 mars, Musée d’histoire de Marseille). Le lendemain dans le même lieu, le truculent musicologue Lionel Pons tiendra une conférence sur les lieux de diffusion musicale à Marseille du XVIIIe au XXe siècle. 
Enfin, Les Voix Animées nous ouvriront leur Jardin des muses, célébrant la féminité dans la musique de la Renaissance.  On s’y promènera en compagnie d’Anne de Bretagne, Marie-Madeleine, La Reine de Saba ou Vénus, mais surtout de deux créatrices du XVIe siècle, Rafaëlla Aleotti et Maddalena Casulana qui écrivait : « Je veux montrer au monde, autant que je peux dans cette profession de musicienne, l’erreur que commettent les hommes en pensant qu’eux seuls possèdent les dons d’intelligence » (25 mars, Archives Départementales des Bouches du Rhône). 

Jeunesse baroque

Mars en baroque c’est aussi une ouverture à la jeunesse. Le chœur Unacorda mêlant chanteuses professionnelles et élèves du Conservatoire d’Istres illustreront la tradition vocale française de Marc-Antoine Charpentier à Francis Poulenc, et interprèteront une création contemporaine de la compositrice Lisa Heute (16 mars, Temple Grignan). De leurs côtés les élèves du Conservatoire Pierre Barbizet donneront, en fin d’année scolaire, une série de concerts hommage à Pierre Gauthier.

Unacorda

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Mars en baroque
Du 28 février au 30 mars
Divers lieux, Marseille

Retrouvez nos articles Musiques ici

Johnson, le battant

0
johnson

Fils d’esclaves né en 1878, premier boxeur noir champion du monde des poids lourds en 1908, le texan Jack Johnson devint malgré lui, et bien avant Rosa Parks, Malcom X, Mohamed Ali ou Angela Davis,  un modèle de l’émancipation des noirs américains : « Il y avait très peu d’hommes de ma race parmi les spectateurs. Je me rendis compte que ma victoire avait plus d’importance que d’habitude. Ce n’était pas seulement le titre qui était en jeu mais mon honneur personnel et dans une certaine mesure l’honneur de ma couleur de peau ».  

Car ce titre déclencha des émeutes raciales dans tous les Etats-Unis. Sa vie fut menacée plusieurs fois. Pourtant, Johnson ne fut jamais un militant anti-raciste ; ce qui lui sera aussifortement reproché. L’ex petit gamin de Gavelston, qui avait travaillé dès 13 ans sur les docks, gagna -et perdit- beaucoup d’argent, ouvrit des boîtes de nuit dont le futur Cotton club et épousa des femmes blanches. Ce qui lui valut la réprobation unanime des noirs et des blancs.

Johnson avait choisi de vivre dans une liberté totale avec comme armes ses poings, son indifférence face à ses détracteurs et « son sourire en or » décrit par Jack London. « Je n’ai jamais trouvé de meilleure manière de combattre le racisme qu’en agissant envers les personnes d’une autre race que la mienne comme si le racisme n’existait pas ». 

De l’exil rocambolesque à la prison sportive

Sa vie fut aussi un roman d’aventures rocambolesques qu’il raconte avec humour et sincérité. Injustement accusé de « traite des blanches », il est contraint à l’exil. On le retrouve sur la scène des Folies Bergères à Paris, toréador à Barcelone au côté de Joselito, en Russie, ami d’un conseiller du tsar, espion pour les services américains en Europe, sous les bombes de la première guerre mondiale à Londres. Il se rend en Argentine, à Cuba, auprès des aborigènes d’Australie. Partout il est accueilli par des foules en liesse et même le révolutionnaire Pancho Villa tente d’organiser pour lui un championnat du monde au Mexique. On lui fait aussi du chantage. S’il acceptait de perdre face à un boxeur blanc, les charges retenues contre lui seront abandonnées…

De retour volontaire aux États-Unis, il est emprisonné et devient directeur sportif de la prison. A sa libération des festivités immenses sont organisées. Le 10 juin 1946, après s’être vu refuser l’accès à un restaurant réservé aux Blancs, Jack Johnson reprend le volant, percute un poteau et décède en Caroline du nord, à 68 ans. 

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Jack Johnson 
Traduction François Thomazeau
Sortie le 20 février 
Éditions l’Écailler

Retrouvez nos article Littérature ici

Un nom pas toujours très propre

0
consentement

Avec Le Consentement, (Grasset 2020) dans lequel elle dénonçait l’emprise exercée sur elle par l’écrivain Gabriel Matzneff lorsqu’elle avait 14 ans et lui 49, Vanessa Springora s’est fait un nom dans le monde littéraire. Et c’est ce nom qu’elle interroge aujourd’hui dans son dernier livre Patronyme

Attendue sur le plateau de La Grande Librairie pour parler de son premier ouvrage, l’autrice est appelée par la police pour venir reconnaître le corps sans vie de son père, qu’elle n’a pas revu depuis 10 ans. Dépressif, manipulateur, toxique, mythomane, il était revenu vivre avec sa mère (la grand-mère de Vanessa) dans un petit deux pièces de Courbevoie en banlieue parisienne jusqu’au décès de celle-ci. Il y avait ensuite vécu, dans des conditions pitoyables jusqu’à sa propre mort. En vidant l’appartement, Vanessa tombe sur deux photos de Joseph, son grand-père chéri, portant avec fierté les insignes SS. On est bien loin de la version familiale du jeune homme tchèque enrôlé de force dans l’armée allemande puis héros déserteur caché en France par celle qui allait devenir sa femme. Et quid de ces noms de famille retrouvés sur des vieux papiers :  Springer, Springor, Springerova jamais les mêmes ?  C’est le début d’une quête obsessionnelle qui va mener Vanessa en Tchéquie à Zábreh, en Moravie, à l’est du pays à la recherche de ses origines ; un voyage aussi dans les temps troublés de la seconde guerre mondiale et dans les territoires de Bohême et des Sudètes où va débuter le conflit.

Sidérés par les révélations et la force dénonciatrice du Le Consentement, on n’avait sans doute pas assez souligné l’écriture limpide de Vanessa Springora, son sens précis du dévoilement.  Dans Patronyme on retrouve ce style percutant, d’une précision historique et d’analyse extrême qui déroule un périple haletant dans lequel on mesure combien les récits familiaux, les secrets, les non-dits, les mensonges arrangés, les semi-vérités se transmettent, génération après génération, impactant douloureusement les descendants.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Patronyme
Vanessa Springora 
Grasset, 22€

Retrouvez nos articles Littérature ici

Le Lavandou, objet d’art

0
Expo Regards sur Le Lavandou © Raphaël Dupouy
Expo Regards sur Le Lavandou © Raphaël Dupouy

L’ancienne maison du peintre Théo Van Rysselberghe (1862-1926) au Lavandou, devenu la Villa Théo en 2017, organise tous les deux ans, entre autres propositions, une exposition consacrée à ce petit coin de la Côte d’Azur, fréquenté depuis la fin du XIXe siècle par de nombreux artistes. À l’automne 2023, c’était une exposition d’Éric Bourret, photographe marcheur, invité par le service culturel de la ville à arpenter le territoire communal, des crêtes au littoral (lire sur journalzebuline.fr). En ce début 2025, c’est Regards sur Le Lavandou, une quarantaine d’œuvres, du milieu du XIXe siècle à aujourd’hui, sélectionnées dans le fonds municipal, accompagnées de quelques prêts de particuliers. 

Le Château et La Baleine

Des œuvres signées d’une trentaine d’artistes, peintres et photographes (très majoritairement hommes), certains connus (Doisneau, Lartigue, Plossu, Rosenstock , Bénézit) d’autres plus confidentiels, voire anonymes. L’accrochage non chronologique fait se succéder, dans les trois salles de La Villa, le noir et blanc de petits ensembles de photographies avec les couleurs de peintures de paysages. Deux motifs paysagers sont très présents : la plage Saint-Clair avec le rocher de La Baleine (peints notamment par Maximilien Luce en 1903, Isidore Rosenstock vers 1940, René Marchand vers 1950, Pascale Hemery en 2022, Didier Lapène en 2023, photographiés par Bernard Plossu en 2019) et le port du Lavandou avec son château (photographié par Marius Bar en 1900, Jacques Berger vers 1960, peint par Johannès Son en 1900, Max Raphel en 1894, Emile Chepfer en 1898). D’autres artistes tournent leurs regards vers d’autres motifs plus urbains : gare routière, façade de bar, d’hôtel, route, parking. Ou vers les habitants : un grand ensemble de 90 photographies signées du directeur du lieu, Raphaël Dupouy, également en charge de la vie culturelle à la ville, alterne paysages, portraits d’habitants ou de touristes, réunions d’amis, couples, moments conviviaux de toutes sortes, accrochées sur un filet de pêche déployé sur un grand mur. Une exposition qui, par son objet unique, Le Lavandou, sur une temporalité longue, à travers des regards différents, joue sur deux tableaux : art et document. 

Tableau Luce © Raphaël Dupouy

MARC VOIRY

Regards sur le Lavandou
Jusqu’au 31 mai
Villa Théo, Le Lavandou

Retrouvez nos articles Arts Visuels ici

Sourire en hiver

0
Arpentages Vitry © Serge Bachère hivernales
Arpentages Vitry © Serge Bachère

Peuple de la danse

« Sourire encore, sourire toujours ». Tel était le mot d’ordre en exergue du programme des Hivernales de la danse. En conséquence, l’allégresse habitait la horde de danseurs amateurs et professionnels réunis par Sandrine Lescourant à La Garance, scène nationale de Cavaillon. À son affaire dans les mouvements de masses, la chorégraphe catalyse avec Blossom le désir de partage qui anime les publics qui s’obstinent à peupler les salles de spectacles.

Une création dévoilée

La fantaisie trônait, immanente, dans les tableaux composés par le quintet de danseurs-acteurs-chanteurs chapeautés par Erika Zanueli. Toiles de plastiques, fripes vestimentaires, Le Margherite feuillette les postures, dilemmes et brèches intimes qui traversent notre temps en réchauffement perpétuel. L’entrain des interprètes, le patchwork musical orchestré par Sébastien Jacobs, aussi à l’aise dans ses contre-ut baroques que dans les riffs mélancoliques de Niagara, emportent cette sortie de résidence écoresponsable plus que prometteuse.

Danser la colère

Ça papote, ça tricote, ça crochète dans le seule-en-danse d’Ambra Senatore. La performeuse brode sur le tricot, qui en Iran, en Afghanistan… reste l’ultime tâche accordée aux femmes. Dans le pur esprit italien, l’artiste assaisonne ironie et gravité, colère et fantaisie. Le corps se plie, se cambre face aux assignations affectées au féminin. Sur les parois de la boîte noire, les lignes s’entrecroisent telles un tissage dont les mailles se métamorphosent au « fil » de la proposition, en cage, en prison.

© Serge Bachère

Un solo-bulle

L’enfermement enserre Jimmy, solo conçu pour Jazz Barbé par Pierre Pontvianne. Sous une bôme où se décrypte en chiffres romains un énigmatique 1981, un corps se courbe, s’écrase, se love dans la peau de chagrin de son espace vital. Edgar Poe, son Puits et son Pendule hantent cette bulle aussi mentale que hiératique, qui envoûte et titille les imaginations.

Boris et Odile 

Parmi les têtes d’affiche, Boris Charmatz revient à Avignon à la FabricA, qu’il avait enchanté et embouteillé l’été dernier avec Forever, majestueux hommage à Pina Bausch, dont il dirige depuis 2021, le Tanztheater Wuppertal. Aux côtés de Emmanuelle Huynh, au centre d’un vaste tapis blanc, Boris-danseur salue Odile Duboc (1941-2010) à travers les effusions cérémonieuses du Boléro 2. Étrangler le temps ralentit Ravel et décortique l’attraction, la communion, les frottements et érosions qui accompagnent les corps en couple et en duo. Délicat et magistral !  

Joyeux anniversaire Ex Nihilo

Pour le trentième anniversaire de la compagnie marseillaise Ex NihiloLes Hivernales ontoffert à ses fondateurs, Anne le Batard et Jean-Antoine Bigot, une résidence et une installation. Apparemment, ce qui ne se voit pas, compile de courts solos tournés dans 11 villes du monde. Et Arpentages # 11_Vitry-sur-Seine, qui accroche les photographies, témoins d’un Contrat local d’éducation artistique, au sein de cette cité de la région parisienne. Agencé dans une intelligente épure, l’ensemble raconte l’inclusion de la poésie du mouvement au sein de l’architecture urbaine. En place jusqu’au 28 février à L’Espace pluriel sur la Rocade et au Grenier à sel en centre ville, voilà l’occasion idéale de mesurer les synergies entre des artistes et des collectivités publiques, attentives aux activités non productives et néanmoins essentielles.

MICHEL FLANDRIN

Les Hivernales se sont tenues du 30 janvier au 15 février, à Avignon et alentours. 

Retrouvez nos articles Scènes ici