samedi 30 novembre 2024
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L’Amérique latine sur la Canebière

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Tierra Quebra de Nina Marin © X-DR

Depuis Marseille et le cinéma des Variétés, cap sur le Brésil, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Cuba, Mexique, Pérou… Mais cette année, la focale sera mise sur l’Argentine, dont le cinéma, pourtant riche et reconnu internationalement, est mis en danger par l’ultralibéralisme trumpien du président Javier Milei en croisade contre ce qu’il appelle le marxisme culturel. Du 11 au 18 mai, le festival des Rencontres du Cinéma Sud Américain placent trois longs métrages argentins sur les huit en compétition pour le Colibri d’or, et cinq courts métrages sur les dix sélectionnés.  

Ouverture à Buenos Aires avec le féministe et antilibéral Unicornio de Natural Arpajou qui nous emmène dans le quartier Constitución à la suite de quatre femmes qui vivent l’amour de façons très différentes et que l’amitié et l’entraide sauveront. Clôture dans la même ville, côté université avec El Profesor de Maria Alché (qui sera là pour débattre avec le public) et Benjamin Naishat :une« comédie dépressive » où un prof de philosophie brigue le poste de son mentor décédé et se voit concurrencé par plus jeune et plus brillant que lui.  

Des femmes par des femmes

Plus nombreux dans le programme des courts, les réalisateurs sont quasi absents de la sélection compétitive des longs-métrages (un seul co-réalisateur). Ces réalisatrices nous parlent de la violence sociale et politique de leur pays. Comme la Colombienne Nina Marin –invitée elle aussi –, dans Tierra Quebrá, filmé en noir et blanc, entre tragédie et réalisme magique. Ou l’Argentine María Victoria Menis avec Miranda de Viernes a lunes dont l’héroïne épouse le combat de ses élèves contre l’impunité machiste. Portraits de femmes par des femmes. Celui d’Emilia, première institutrice du village amazonien d’Islandia brossé par la Péruvienne Ina Mayyushin – présente aux Variétés. Ou de la Bertha de Porto Principe de María Emilia de Azevedo, en butte à l’hostilité de son fils parce qu’elle se lie d’amitié avec le migrant haïtien qu’elle a accueilli dans sa ferme isolée. Projection suivie d’un débat animé par Les Philosophes publics.

Il sera question aussi de maladie et de mort comme révélatrices avant tout de la valeur de la vie. C’est le documentaire Memoria Infinita de la Chilienne Maite Alberdi sur Augusto Góngora, célèbre journaliste, chroniqueur des crimes du régime Pinochet, atteint par la maladie d’Alzheimer et sur Paulina Urrutia sa compagne, actrice et femme politique, unis par leur amour et cette lutte contre la déchéance annoncée. C’est le tendre requiem de Totem de Lila Avilés (sélectionné pour représenter le Mexique aux Oscars)où on pénètre par le regard d’une fillette de 7 ans, un microcosme familial dans lequel se prépare la fête d’anniversaire (et d’adieu) de son père mourant.

La cérémonie de remise des Prix (meilleur long-métrage, meilleur court, meilleur acteur et actrice, Prix spécial du jury, Prix du public et Prix du jury jeune) aura lieu avant la projection de AM-PM de Alejandro Gil (hors compétition) qui se déroule dans un immeuble de 12 étages et « nous plonge dans une mosaïque de vies et d’émotions ». Une synthèse en somme de la philosophie de ce festival solidaire.

ÉLISE PADOVANI

Rencontres du Cinéma Sud Américain 
Du 11 au 18 mai
Les Variétés, Marseille
cinesudaspas.org

Jeux olympiques : la mystification

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© Tnk1Prdz

Zébuline. La flamme olympique est arrivée le 8 mai à Marseille, quelle est son histoire ?
Aymeric Mantoux.
La flamme, emblème des Jeux est née à Olympie. Mais son parcours sous forme de relais est l’idée de Carl Diem chargé par Hitler d’organiser les Jeux de Berlin en 1936. À son initiative, la torche fabriquée par les usines d’armement Krupp est allumée dans le sanctuaire de Zeus, en Grèce, avant d’être acheminée à pied jusqu’à Berlin. Ce n’est ni une invention de Pierre de Coubertin, ni du Comité international olympique (CIO). On a choisi par la suite de conserver ce cérémonial… de propagande nazie.

Dans votre livre vous démontez le mythe du baron Pierre de Coubertin.
J’ai écrit ce livre car j’avais du mal à comprendre le décalage entre les activités très lucratives du CIO et l’humanisme affiché par ses membres se référant sans cesse aux valeurs de cet aristocrate de la fin du XIXe siècle. Les Jeux olympiques modernes favoriseraient la paix dans le monde, les rapprochements entre les peuples, le sport amateur. La « communauté des anneaux » a fait du baron Pierre de Coubertin un héros de l’olympisme, un demi-dieu. Or, le mythe ressemble plutôt à une mystification.

« C’était un opportuniste, un des premiers lobbyistes moderne »

Aymeric Mantoux © X-DR

C’est-à-dire ?
Par exemple, il n’a jamais inventé les Jeux modernes. Beaucoup avait eu l’idée avant lui. Il a surfé sur une idée qui était dans l’air du temps. Les devises olympiques qu’on lui prête « Citius, Altius, Fortius » ou « l’important est de participer » ne sont pas non plus de lui.
C’était un opportuniste, un des premiers lobbyistes moderne. Il s’est battu vingt ans contre vents et marées pour imposer son projet de « néo-Olympiades ». Avec ses « coubertinades » il vante à Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique, les bienfaits du sport pour les enfants, au nationaliste Maurras, la nécessité de revitaliser la France, aux hommes de gauche la faculté d’étendre la paix dans le monde. Il ira jusqu’à prôner des idées marxistes espérant que le prolétariat puisse participer « tenacement, mais calmement, à sa propre élévation ». Il fut anti dreyfusard puis… dreyfusard. Le baron de Coubertin avait indéniablement des qualités : la diplomatie, la ténacité, le machiavélisme même qu’il a utilisé pour réaliser son grand œuvre mais l’humanisme, sûrement pas.

Il a même collaboré avec le régime nazi.
Tout à fait. Après la Première Guerre mondiale, les Allemands sont exclus des jeux mais sous couvert d’apolitisme Coubertin milite pour les réintégrer. Hitler y est peu favorable, souhaitant organiser des jeux aryens, puis se laisse convaincre. Il y voit un moyen de montrer au monde la supériorité de la race allemande. Coubertin a fait campagne pour les Jeux de Berlin. Intellectuel, introduit dans les milieux les plus influents du monde, il ne pouvait ignorer ce qui se passait outre-Rhin : les arrestations, les pogroms. Mein Kampf avait déjà été diffusé à des millions d’exemplaires. Les dirigeants du CIO, y compris Coubertin, se sont inclinés plus bas que terre devant le régime hitlérien. Les Jeux de Berlin signent la fin des valeurs de l’olympisme à considérer qu’elles aient existé.

Vous lui reprochez aussi sa misogynie
Beaucoup d’hommes soutenaient l’entrée des femmes aux JO. Pour lui, c’était inconcevable. Des années de rencontres avec des femmes athlètes ou militantes ne convaincront pas le baron. Il avait une conception martiale, élitiste du sport. Il faudra attendre son départ à la tête du CIO pour qu’elles puissent y participer.

« La seule raison d’être des Jeux olympiques est l’argent »

Et son racisme.
Conçus par des Blancs pour des Blancs, les Jeux olympiques ont été créés pour les pays « civilisés ». En 1904, Coubertin accepte que soient organisées les « Journées anthropologiques », des compétitions réservées aux représentants des « tribus sauvages » pour éviter de les intégrer dans ses Jeux. S’il a été en avance pour concrétiser les Jeux olympiques modernes, il était en retard sur tout le reste.

Que pensez-vous des J.O. contemporains ?

Je ne suis pas contre les jeux, j’ai d’ailleurs travaillé au service communication des J.O. de Paris. Mais je refuse que l’on nous berne avec un discours s’appuyant sur une biographie tronquée. À ces niveaux de compétition, le sport amateur n’existe plus. La seule raison d’être des Jeux olympiques est l’argent. Ils rapportent des milliards d’euros au CIO qui est devenu une multinationale commercialisant à prix d’or ses droits de retransmission télé, ses emblèmes et ses anneaux olympiques, à Visa ou Coca-Cola. C’est une énorme machine à cash dont on peut se demander ce qui en est fait.

Et des Jeux qui nous attendent ?
Ils sont là, autant les célébrer. Mais on nous avait promis des Jeux pour tous, inclusifs. Force est de constater qu’au prix des places, elles sont réservées à des « happy few ». J’aurais mieux compris qu’au nom de l’olympisme on construise 24 stades de baskets dans les quartiers sensibles. 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ANNE-MARIE THOMAZEAU 

Pierre de Coubertin : l’homme qui n’inventa pas les Jeux Olympiques 
Éditions du faubourg.
Sortie le 15 mai

Horde au numérique 

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(LA)HORDE / Ballet national de Marseille _ AgeOfContent

Internet, les jeux vidéos et les réseaux sociaux sont-ils des endroits privilégiés d’expression de soi et du monde ? ou au contraire sont-ils en partie responsables du développement de la violence  ? Ce sont ces possibilités qu’explore la nouvelle pièce chorégraphique du collectif (LA)HORDE avec le Ballet National de Marseille, Age of Content, qui été présenté du 2 au 4 mai au Grand Théâtre de Provence.

Et de violence il est question dès le premier tableau. Sur scène, une voiture sans carrosserie, télécommandée, se meut et cabre tandis que les danseur.euses, qui arrivent les un.es après les autres, cherchent à monter dessus, à s’y maintenir, et se battent pour y parvenir. Tous.tes sont vêtus du même ensemble de jogging vert clair, capuche sur la tête et visage dissimulé derrière une sorte de masque en nylon. Iels sont ainsi anonymisé.e.s et les différences sexuées complètement gommées. A l’inverse, pour le reste des tableaux, chacun.e porte une tenue ultra-personnalisée. De même, la chorégraphie alterne entre des mouvements exécutés simultanément par toustes, reprenant selon les tableaux les mouvements de personnages de jeux vidéos ou des danses virales sur les réseaux, et des solos. Ces contrastes permettent d’explorer la question de l’identité sur internet de manière intelligible et subtile.

Art sexualisé

La sexualisation des corps est omniprésente, et certains passages sont explicitement sexuels – comment pourrait-il en être autrement dans un spectacle interrogeant l’impact d’internet sur nos corps ? Les interprètes reproduisent avec grâce certaines pratiques, qu’elles soient sensuelles, provocatrices ou dégradantes. Si la répétition de ces passages flirtent avec la caricature, ils ne tombent pas dans la pornographie grâce à la qualité de la proposition artistique : c’est peut-être dans ces moments que la technique des danseur.euses se déploie le plus pleinement, avec de très beaux portés d’une grande légèreté. 

Sans transiger sur l’esthétique, (LA)HORDE propose ici une plongée dans un univers numérique à la fois perturbant et exaltant. 

CHLOE MACAIRE 

À venir 
Du 25 au 27 juin 
La Criée, théâtre national de Marseille dans le cadre du Festival de Marseille
Petit pour tous
Du 2 au 5 mai avait lieu dans ses locaux une vente d’une partie des fonds de costumes du Ballet National de Marseille, datant pour certains de la direction de Roland Petit, son fondateur, il y a une cinquantaine d’années, ou de Frédéric Flamand, plus récemment. Les costumes extravagants y ont côtoyé des vêtements beaucoup plus portables -à condition d’avoir un corps très ciselé- à des prix très bas (pantalons à cinq euros, chemises à quatre…). La vente a rencontré un franc succès, et ses bénéfices, dont le montant n’a pas été communiqué, seront reversés à des artistes et des structures de la région, qui n’ont pas encore été sélectionnées. C.M.

Danse d’équipe 

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Ballet Jogging. Le ZEF © Yohanne Lamoulère - Tendance Floue

Dans le cadre de l’Olympiade culturelle, destinée à soutenir des créations travaillant les liens entre les arts et la pratique sportive, le chorégraphe Pierre Rigal a développé son projet de Ballet Jogging, qui sera présenté ce vendredi 10 mai par le ZEF au stade Pierre Delort à Marseille. Près de 200 amateur.ices de course à pied, accompagné.e.s de quelques professionnel.les, courent de concert dans une chorégraphie inspirée par les murmurations des oiseaux. Un projet qui semble bien mieux incarner les valeurs d’inclusivité et de concorde qu’entendent promouvoir les J.O., que les J.O. eux-mêmes. 

Sport co(régraphique) 

L’envergure impressionnante du Ballet Jogging a attisé la curiosité de nombre de marseillais.es qui se sont porté.es volontaires. « Ça m’intriguait qu’on puisse créer une performance sportive avec autant de monde » explique l’une d’entre elle, Nathalie, passionnée de course et de trail et très amatrice de danse « c’était le combo parfait pour moi, je n’en revenais pas que ça puisse exister ». 

Si toutes les participantes interrogées disent leur affection pour la course et la danse, elles mettent surtout en avant l’aspect collectif de ce projet qui a été « déterminant » dans leur choix d’y prendre part, notamment pour certain.es participant.es récemment arrivé.es à Marseille. « Tout a été fait pour qu’on aille les uns vers les autres dès le début » décrit Isabelle. Toutes mettent en avant l’écoute et l’attention du chorégraphe, des professionnel.les qui l’accompagnent et des équipes du Zef. « C’est beau de rencontrer des gens autour d’un enthousiasme partagé et de participer à un évènement culturel » s’enthousiasme Léa, trentenaire fraîchement débarquée dans la cité phocéenne, « on vit des moments forts tous ensemble ».

La force de ce collectif est aussi sa mixité à la fois de genre, d’âge et de niveau sportif. « Il y a des gens comme moi qui courent un dimanche sur huit et des personnes beaucoup plus sportives, et tout le monde a sa place » se réjouit Léa. Si les participant.es ne sont pas « force de décision », Pierre Rigal est cependant « très attentif au ressenti des coureurs » et s’y adapte, selon Isabelle. La chorégraphie a donc évolué au fur et à mesure des week-end d’entraînements.

Une expérience si enrichissante que nos trois participantes en oublieraient presque la représentation de vendredi : pour Léa, « ce sera une fois de plus où on le fait tous ensemble ». Nathalie ajoute « cela m’impressionne un peu, mais je sais qu’on pourra compter les uns sur les autres ».

CHLOE MACAIRE 

Ballet Jogging 
10 mai
Stade Pierre Delort, Marseille 
Programmé par le Zef, scène nationale, dans le cadre de l’Olympiade culturelle

Luxe®, FlammeTM et Corbusier©

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Marseille, suivie par les autres villes qui accueilleront la flamme, s’apprête à vivre un grand moment de son histoire. Faut-il pour autant bouder son déplaisir, et se joindre au chœur presque unanime pour chanter avec Sopra l’arrivée du Belem© ? 

Cet hebdomadaire du 8 mai relève des contradictions récurrentes : cette Olympiade culturelle fait courir les citoyens et expose les Champions aux archives municipales mais promeut Coca-Cola®, pourvoyeur de plastique et d’obésité. Décidément, ouvrir l’espace public à tous et l’animer d’événements culturels ne peut aujourd’hui se faire sans les grandes entreprises qui redorent leur image en s’associant à des financements majoritairement publics. 

Sponsoring et mécénat défiscalisé constituent désormais un apport indispensable pour les grands événements culturels, et le mélange des genres peut s’avérer détonnant, ou équilibré. Ainsi La CitadelleTM construite pour surveiller et punir les Marseillais et fermée durant 360 ans leur est enfin ouverte, grâce au Groupe SOSTM, et au mécénat qui sait rester discret de la CMA-CGM®. L’esprit du lieu patrimonial n’est pas dévoyé, ni même simplement conservé, mais sublimé, loin des aberrations historiques et écocides du Rocher MistralTM.

Haute-culture ? 

Sur le toit de la Cité Radieuse© et au fort Saint-Jean une autre partie s’est jouée, celle du luxe, et de Chanel®. L’exposition de la Galerie 19MTM au Mucem, bâtiment public d’Etat, promeut les intérêts de la 3e fortune française en faisant l’apologie des métiers créatifs de la haute couture. Quant à la présentation de sa Collection croisière, animée par une prestation, poing levé, du Ballet national de Marseille, il signe l’accaparement  définitif de l’utopie du Corbusier. Son toit-terrasse qui devait accueillir des services publics et des promeneurs ne s’ouvrira-t-il que pour des événements lucratifs pailletés ? L’État, dès 1952, vendait ses duplex conçus en 1945 pour un habitat social collectif et un partage actif des parties communes. Que reste-t-il de son manifeste architectural et politique, dont le génie consistait dans l’usage ? 

Les industries françaises du luxe caracolent en tête du CAC 40. En 2023, les redistributions de dividendes et d’actions ont atteint le record de 97 milliards. Les actionnaires ont donc encaissé en un an près d’une fois et demi le budget de l’État (69 milliards). Le chiffre est sidérant, abyssal : si l’État français taxait les revenus du capital comme il taxe ceux du travail il n’y aurait plus aucun déficit public. Faut-il dans ce contexte économique inédit accepter les dons intéressés des industries du luxe et participer à leur promotion ? 

AGNÈS FRESCHEL

Sous vos grands airs

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© Laurent Martini

La formule a fait ses preuves plutôt vingt fois qu’une : depuis 2020 et le premier confinement, le CALMS-Collectif des artistes Lyriques et des Musiciens pour la Solidarité déconfine l’opéra en l’amenant au plus près des habitants des cités populaires. L’idée, celle de profiter d’un concert depuis son balcon ou sa fenêtre en temps de Covid, a largement survécu à la pandémie et depuis les spectateurs descendent dans les cours et sur les places, surpris au départ, curieux, et de plus en plus enthousiastes et nombreux au fil des huit semaines de programmation !

Cela a commencé à Aix en Provence et Marseille, puis à Manosque, Orange, Boulbon, Paris, Bastia… Dans la quinzaine de villes traversées, le même succès. Pas forcément celui d’une foule rassemblée, ou d’une salle comble emportée par l’enthousiasme d’une représentation lyrique, mais celui d’un enfant qui « n’avait jamais écouté ça » et veut devenir chanteur d’opéra, celui de familles qui se donnent le droit d’apprécier l’opéra, la beauté de la voix et de ce répertoire universel.

Les concerts durent 20 minutes, et auront lieu durant 5 semaines devant le centre social Le Bartas (15h45) puis place des rameaux (16h45) à Vitrolles puis au City stade (18 h) et sous les pins de la médiathèque (18h45) de Berre. Un clavier tenu par la pianiste Olga Bondarenko accompagne les duos de solistes dans des programmes thématisés d’airs connus, drôles ou dramatiques, solos et duos, habilement présentés par Mikhaël Piccone, directeur artistique du CALMS. Gounod, Verdi et Delibes ouvriront la première session sur les amours difficiles de Roméo et Juliette, La Traviata et Lakmé. Rendez vous chaque mardi, jusqu’à Carmen et Offenbach en juin !

AGNÈS FRESCHEL

Opéra déconfiné
Du 7 mai au 25 juin 
Berre L’Étang

À une absente

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« Regarde-moi, Anna. J’ai mis mon jean délavé que tu détestais tant ». C’est à son épouse disparue depuis un an que Severino s’adresse ici. Et c’est à elle qu’il s’adressera tout au long d’un récit vibrant et polyphonique : un périple explorant sa Sicile natale à la recherche de son amour perdu. De Stromboli, l’île sur laquelle ils s’étaient établis, à Librizzi, leur ville natale, l’époux délaissé explore à rebours ce couple construit sur une série de rancoeurs et de malentendus. Moins solaire, moins solide que sa jumelle Nina, Anna menaçait pourtant de fuir dès le jour de son mariage. « Moi, je serai malheureuse toute ma vie », annonce-t-elle à un Severino bien trop énamouré pour l’abandonner ici. L’ombre de Peppe, père déserteur d’Anna, plane sur cette existence mélancolique comme un mauvais souvenir, mais aussi comme la promesse d’une autre vie. « Il faut quand même du courage pour s’enfuir et ne plus revenir, pour essayer d’être quelqu’un d’autre tant qu’on est encore en vie », conclura ce dernier.

Peinture précise

Le rêve d’une vie loin des contraintes de la vie de famille et de ces foyers étouffants du Sud, où l’amour ne semble jamais être une option pérenne, traverse cette fugue à plusieurs voix. « L’amour vient avec les enfants », promettra la mère, Serafina, à une Anna perplexe. Loin des joies qui lui avaient été promises, le chemin vers la maternité sera, lui aussi, douloureux. Donner de la voix à une absente, disparue à elle-même avant même de s’être soustraite aux autres, est une des belles idées au cœur de ce premier roman. 

Diplômé en philosophie et en sciences humaines, installé dans la province de Messine, Mattia Corrente s’est déjà vu saluer en Italie des prix du Parco Majella et du Città di Erice pour sa peinture précise et inspirée d’une région à l’histoire aussi lourde que ses paysages demeurent sublimes. Pour les servir, un sens aigu de l’image et de la réminiscence, mais également de la formule, se déploient tout au long du texte – on devine, pour servir le style sans jamais le dénaturer, un très beau travail de traduction par Jacques Van Schoor.  

SUZANNE CANESSA 

La fugue d’Anna, de Mattia Corrente
Bruit du Monde - 23 €
Traduit de l’italien par Jacques Van Schoor 

Sortir  de l’enfance…

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Le cinquième tome de la quatrième pentalogie d’Aki Shimazaki, est en librairie. L’autrice d’origine japonaise, qui vit au Canada et écrit en français, excelle à entrer dans l’intimité de ses personnages, livrant leurs hésitations, leurs petits secrets ou leurs erreurs dans une langue épurée aux phrases courtes et simples.

Susuko, 15 ans, narratrice du cinquième tome d’Une clochette sans battant, se réjouit de l’arrivée prochaine de son frère Torû, son aîné de onze ans, ingénieur automobile dans une ville éloignée. Elle lui est très attachée. En réalité, il n’est que son cousin, fils de sa tante, décédée peu après sa naissance. Son père avait ensuite épousé sa belle-sœur. Ces indications sont livrées peu à peu au fur et à mesure de l’évocation des souvenirs de son enfance. En fait Susuko est amoureuse de son demi-frère et rêve de l’épouser. À l’âge de 12 ans n’avait-elle pas fait cinq heures de train toute seule sans prévenir sa famille pour aller lui rendre visite ? Aussi veut-elle déclarer ses sentiments. Comme on pouvait s’y attendre son frère lui dit qu’il l’aime profondément, mais comme sa sœur.

Affronter son avenir avec confiance

Après avoir beaucoup pleuré, Suzuko, décide de renoncer à son rêve. Attirée par les arts, elle s’intéresse à une pratique ancestrale, le kintsugi, qui consiste à réparer les poteries en les recollant avec de la laque et de la poudre d’or. Cela évoque pour elle sa famille recomposée et la profonde affection dans laquelle ils ont tous vécu jusqu’alors.

L’occasion d’effectuer un stage d’initiation à cette technique lui ouvre de nouveaux horizons. Son amour de petite fille admirative et rêveuse va s’orienter vers une passion artistique et la rencontre d’un garçon de son âge. Enfin prête à devenir une adulte, au terme d’un récit plein de finesse qui procède par touches légères, soulignant les changements d’une société traditionnelle qui s’adapte aux mutations de notre époque.

CHRIS BOURGUE

Urushi  d'Aki Shimazaki
Actes Sud - 16 €

Derrière l’émeute

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Marseille, juin 2023 : un hélicoptère survole la ville qui s’embrase. Feux de poubelles, tirs de mortiers. Antoine arpente la rue Saint Ferréol pillée. Ce « soulèvement » le ramène des années en arrière lorsque jeune sociologue, il débutait sa carrière dans une ville du 9.3. 

Tout avait commencé avec un hold-up. Trois jeunes avaient surgi dans une bijouterie de la Courneuve, raflé la caisse et les bijoux. Une patrouille les avait pris en chasse, sans succès. Furieux, les policiers avaient débarqué aux Boqueteaux par fourgons entiers. Construite dans les années 1950, la « cité de l’avenir » était connue pour posséder l’immeuble le plus long d’Europe. Les habitants en étaient fiers. Ils gardaient « le souvenir d’une cité travailleuse où l’on partait bosser le matin, avec un rythme d’homme qui entraient le soir fatigués mais pleins des bruits de la vie, du chantier de l’usine ». Avec la crise, tout s’était « ratiboisé » : le travail, l’usine, la fierté et la vie. 

En envahissant la cité que cherchaient les policiers ? « Les bijoux, la bagarre, l’affrontement, le coupable, l’apaisement, la discussion, des coups, la provocation » ? Certes, les mômes des Boqueteaux ont des choses à dissimuler : des baskets volés, quelques grammes de shit ou « la terreur que l’on ressent devant les flics et qu’on cache derrière les pierres qu’on lance ». Mais de butin, aucun. Pour les « flics » rebrousser chemin, c’est perdre la face. Alors les arrestations tombent, arbitraires. Le lendemain « ce ne sont plus des cailloux qui volent mais des cocktails molotov ». Puis le drame se produit. Un policier poursuit et vise à la poitrine un jeune armé. Il tombe… Mort. Ce dernier était-il prêt à tirer comme l’affirme la police ? Les témoignages s’affrontent. La légitime défense est retenue, le non-lieu proclamé. Samuel Ka, trafiquant de cocaïne n’était pas aimé. Pour autant méritait-il la peine de mort ? s’interrogent les habitants qui se replient dans l’humiliation, la honte et la résignation. 

Flics cowboys

 « Derrière une émeute, il y a une mèche et quelqu’un qui l’allume» déplore Jean Marc Fontaine. Sous sa plume, les protagonistes se déplacent comme sur un terrain de foot. Jeunes en défense, flics cowboys à l’attaque, éducateurs pris entre deux feux. On y trouve aussi les politiques en campagne, les journalistes plus intéressés par les voitures brûlées que par les associations, le sociologue appelé en renfort et utilisé « comme de la vaseline pour faire glisser le suppositoire », « les professeurs qui ont le savoir et les parents qui n’ont pas les mots ». 

Fontaine signe un roman inspiré de faits dont il a été témoin lorsqu’il était engagé au sein d’une association du 9.3. Les émeutes de Marseille ont été le déclencheur pour écrire. « Dans les cités, il n’y a pas la même justice, pas la même école, pas la même santé, pas la même police. Depuis les Minguettes en 1983, cela fait un demi-siècle qu’on ne fait rien ».

Anne-Marie Thomazeau

Trois fois la mort de Samuel Ka de Jean-Marc Fontaine
Éditions Globe
sortie le 2 mai

Mucem : deux collections face-à-face  

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JM Basquiat, She Installs Confidence, 1988 © JM Basquiat/Artestar Cnap. Coll.Lambert

Marie-Charlotte Calafat et Stéphane Ibars, commissaires de l’exposition Passions partagées, qui s’ouvre au Mucem jusqu’en septembre, ont eu pour mission de faire dialoguer deux collections. Celle, d’art contemporain, constituée au fil des décennies par le galeriste Yvon Lambert, né en 1936 à Vence (Alpes-Maritimes). Et celle du musée, axée sur les arts, techniques et traditions populaires en Europe et Méditerranée. Ils ont choisi de se focaliser sur « l’histoire intime que l’on entretient avec les objets », qu’ils soient conçus pour la vie quotidienne, ou reconnus comme œuvre d’art. D’un côté, « la relation indéfectible qu’entretiennent les artistes avec leur environnement quotidien, la manière qu’ils ont d’en révéler la beauté, d’en transformer l’expérience ». De l’autre, la grâce des créations humaines usuelles, quand la forme répond parfaitement à la fonction, ce qui en décuple le plaisir d’utilisation.

Une résonance et des limites

Les fonds du Mucem sont riches d’items surprenants, souvent émouvants, parfois propres à secouer : aussi mettre au mur d’une exposition, sur le même plan, un tableau de Jean-Michel Basquiat, aux prises avec ses démons, et l’œilleton de métal du centre pénitentiaire des Baumettes, d’un bleu presque Klein, frappe l’esprit. Les procédés scénographiques conçus par George-Henri Rivière, à l’origine des missions ethnographiques des musées de société, favorisent cette résonance. Dès l’entrée, un costume de gardian Camarguais soutenu par des fils de nylon, sans mannequin, chevauchant un cheval fantôme, impose une présence-absence forte. Mais au-delà de certaines juxtapositions efficaces, de par la qualité des œuvres ou la pertinence de leur mise en perspective, le parcours peine à convaincre. Les visiteurs non familiers de l’histoire de l’art ou des missions du Mucem pourront être déroutés : il est facile de passer à côté de l’intention ou du fil rouge. D’autres seront étonnés par le ton des textes de la poétesse Ryoko Sekiguchi, invitée à rédiger le texte de vingt et un « cartels imaginaires ». Dommage, car les centres d’intérêt d’Yvon Lambert, notamment tout ce qui a trait à la culture méditerranéenne, ont indéniablement des points de convergence avec le travail des conservateurs. 

GAËLLE CLOAREC

Passions partagées
Jusqu'au 23 septembre
Mucem, Marseille