samedi 30 novembre 2024
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Magie intime

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© Baptiste Le Quiniou

C’est lors d’un moment de détente que Thierry Collet, qui avait laissé tomber la prestidigitation pour devenir comédien professionnel, a trouvé son chemin artistique. En tournée, après une journée de répétitions, les comédiens de la troupe ayant appris son passé d’illusionniste, lui demandent un tour. Il les bluffe, jouant le magicien maladroit, déconfit, puis triomphant. Il en est ravi. Et sent que l’alliance de ses deux passions, la magie et l’art dramatique, ce sera son truc ! Contribuant ainsi à la reconnaissance de la magie en tant que discipline artistique, accueillie de plus en plus fréquemment sur les scènes du théâtre public.

Miracle
Thierry Collet partage d’autres moments intimes de sa vie dans ce spectacle, créé en 2017. Sa volonté de devenir magicien à l’âge de 7 ans, c’est-à-dire, apprend-t-il plus tard, au même âge que la plupart des magiciens. Le machisme au sein des congrès et compétitions de magie, les achats de tours, sa façon de s’entraîner au close-up, les remarques sur son style aux gestes « efféminés », son homosexualité… Les épisodes sont mêlés à des séquences de prestidigitation, dont il dévoile les trucs avec malice. 

Ou pas, et là on en reste comme deux ronds de flan ! Parmi lesquels « Le barman du diable » où, avec une seule et même canette, il sert à la demande, en se déplaçant parmi les spectateurs, du jus d’orange, du whisky, du thé, du café, du champagne, du porto… encore plus fort que l’eau changée en vin ! Ou la séquence finale : tout en décrivant les multiples poches des costumes des prestidigitateurs pour les tours de cartes, le magicien, bientôt sexagénaire, se déshabille intégralement. Et fait apparaître et disparaître des cartes de nulle part, dans une sorte de danse cérémonielle. Nu comme un enfant venant de naître, réunissant vérité crue et illusion virtuose, fin et origine, comme dans un rêve.

MARC VOIRY

Dans la peau d’un magicien a été présenté du 9 au 13 avril au Théâtre des Bernardines

Prendre le temps

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© X-DR

Les directeurs de la salle du Petit Duc, Myriam Daups et Gérard Dahan savent repérer les talents ! Rencontré sur un quai de gare,  Max Atger est ensuite entendu au conservatoire d’Aix, lors d’une master classe, puis les directeurs du Petit Duc attendent que le projet du jeune saxophoniste se construise. La sortie de Refuge ne pouvait avoir lieu que chez eux !

Aux côtés de ses complices, Sébastien Lalisse au piano et Pierre-François Maurin à la contrebasse, le saxophoniste déploie un univers en suspension. La soirée débute par le dernier titre de l’album, Un peu de neige : les premiers accords au pian semblent comme fascinés par leurs propres vibrations sonores, avant que d’amples vagues viennent accorder leur houle fluide aux premiers phrasés du saxophone. 

On reste parfois aux frontières entre la respiration humaine et sa métamorphose. Le souffle se matérialise en notes, puis s’enivre de modulations tantôt voilées, tantôt éblouies de clartés nouvelles. On sourit à 5.03, numéro d’une chambre d’hôtel dans lequel les musiciens furent hébergés lors d’une résidence. On se retrouve dans un road-movie, promenade aux scansions entrecoupées qui s’étirent en discours facétieux où naissent des éclats de rire tandis que se dessine un paysage mouvant aux multiples facettes. Une série de tableaux s’ourle de clins d’œil à Thelonious Monk. 

Le saxophone, sotto voce, répond aux méditations du piano et aux accents de la contrebasse. L’inventivité des thèmes s’amuse à de sublimes unissons qui s’ouvrent à de savants tissages à l’apparence improvisée. La musique éclot, libre, vivante. Une histoire sous-tend chaque titre, anecdotes, figures d’êtres aimés… Essentiel est alors le temps de rêver, d’accepter une écriture minimaliste et profonde, d’écouter le monde et ses résonances musicales. Rêveries délicates…

MARYVONNE COLOMBANI

Le 12 avril, Petit Duc, Aix-en-Provence 
Refuge, label Free Monkey Records

18 avril 
Cinéma Le Royal, Toulon

Se (dé)mêler de l’Histoire

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Poupées persanes © Alejandro Guerrero

Les Poupées persanes nous entraînent dans les méandres de récits enchâssés dans les strates de l’histoire de l’Iran. La dramaturge tisse la trame de son œuvre sur celle du poème de Ferdowsi (Xe siècle) narrant les amours tragiques de Bijan et Manijeh, issus de deux pays ennemis. 

Tout commence par « il était une fois » en langue persane ou farsi. Il était une fois des êtres dans la tourmente politique, qui voulaient changer l’histoire ; il était une fois une histoire qui change mais pas comme ils l’auraient voulu… 

Deux amis de fac rencontrent leur âme-sœur, s’aiment, s’engagent dans la lutte contre le shah, qui, dans les années 70, déconnecté de son peuple, appuie son pouvoir sur la police secrète et la répression. Les deux couples d’étudiants, Bijan et Manijeh, et Haroun et Niloofar, luttent, animés par le rêve d’une révolution apportant la justice… mais c’est l’exil, la mort, les séparations qui les attendent, tandis que se met en place le système liberticide instauré par les captateurs de la révolution, Khomeiny et les sbires de l’état islamique. 

On passe avec fluidité d’une scène à l’autre, d’un pays à l’autre, Iran, France, chambre, station de ski, gare : un accessoire, une démarche, une intonation permettent aux acteurs, d’une poignante justesse, d’endosser plusieurs rôles, brossant une humanité foisonnante dont les secrets peu à peu se dévoilent dans la mise en scène efficace de Régis Vallée. « Qu’avons-nous fait ? » se disent les révolutionnaires devant la dictature qu’ils ont contribué à installer malgré eux. Le temps humain et le temps théâtral se catapultent et éclairent de sens les mécanismes de l’Histoire. 

MARYVONNE COLOMBANI

Les poupées persanes ont été jouées du 9 au 13 avril au Jeu de Paume, Aix-en-Provence 

Negar : la mort à trois

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Negar © OONM

Tout commence sur la scène de l’Opéra Comédie, où les spectateurs sont invités à devenir foule, assistant aux retrouvailles entre trois amis d’enfance : Shirin, Negar et Aziz, tous les deux sœur et frère. On est à Téhéran en 2013. La date importe peu. La rencontre, oui. Cela fait plus de trente ans qu’ils ne se sont pas revus, la famille de Shirin s’étant exilée en France au moment de la Révolution islamique. Autant dire que cela replonge nos trois protagonistes dans une nostalgie au goût doux-amer qui n’a rien d’une partie de plaisir. Quoique… Dans un pays où la révolution est un mot qui a perdu sa révolte, la jeunesse iranienne tente de conserver en secret le goût de la danse, de la musique et de l’amour. Et pour une femme, tout ceci est bien risqué. Surtout si elle aime une autre femme. Alors que les souvenirs troublent les relations de la fratrie de ses amis d’enfance, une attirance mutuelle rapproche Shirin, enfermée dans les souvenirs de sa terre maternelle, et Negar, musicienne en cage dans un pays où la femme est condamnée au silence. 

Strates mélodiques

Les corps s’enflamment tandis que leur futur part en cendres. Aziz, pris en tenailles entre son amour pour Shirin et son désir de contrôle de sa sœur, les filme en secret. Ce qui va les conduire à leur perte. Depuis le début, Aziz filme tout, c’est une obsession. Pour documenter, témoigner, à défaut de changer les choses. Ce parti-pris audacieux fait de ce théâtre musical, oscillant entre fiction et documentaire, un spectacle en mouvement qui se regarde sur la scène comme sur de grands écrans où se mêlent des images filmées en live et des scènes enregistrées. Le tout dans un clair-obscur qui suggère les émotions et flatte les corps. Dans cet imaginaire cinématographique affiché, la musique de Keyvan Chemirani se fait bande originale aux multiples strates mélodiques, entre orient et occident, grâce à des voix sensibles aux riches tessitures et un bel équilibre entre instruments classiques et traditionnels. Il n’en fallait pas moins pour faire revivre la beauté d’un monde perdu. Celui de l’exil. Et des amours mortes. 

ALICE ROLLAND

Negar a été présenté à l’Opéra Comédie les 5,6, 9 et 10 avril, une programmation de l’Opéra Orchestre National Montpellier

OCCITANIE : Le « je » de la dame 

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Dissection d'une chute de neige © Geraldine Aresteanu

Une femme est là, devant nos yeux, enfermée dans une cage de verre dans laquelle plane une neige légère comme une plume. Prison ou refuge, difficile à dire. Les portes se verrouillent de l’intérieur et non de l’extérieur tandis que le monde s’y reflète sans pour autant l’atteindre. On sait peu de choses d’elle, mise à part que cette « fille roi » aime les mots, les étoiles et réfléchir. Mais pas se marier, ni enfanter, encore moins faire la guerre. Elle refuse tout en bloc : les exigences du pouvoir comme les règles que la société inflige à son genre. Elle voudrait faire ce qu’elle veut, aimer qui elle veut, homme ou femme (notamment cette Belle qui fait vibrer son corps), comme elle l’entend. On pourrait y voir une belle leçon de féminisme. C’est là que la dissection nous glace. Et nous replonge dans l’Histoire comme dans les combats de notre temps. 

Caligula au féminin

La pièce de Sara Stridsberg est librement inspirée de la vie sulfureuse du mythique « roi » Christine de Suède qui régna de 1632 à 1654. De manière aussi intelligente que poétique, l’auteure suédoise nous donne à voir l’introspection d’une femme qui en prenant le titre de roi ne fait que perpétuer les stéréotypes d’une société patriarcale sans pitié. La mise en scène très réussie de Christophe Rauck renforce la sensation que cette reine d’un autre genre est prise au piège de son propre jeu. Car jamais elle n’en maîtrise les règles. Pas plus que ses pulsions qui la transforment peu à peu en Caligula au féminin, tenté de sombrer dans une folie morbide par idéalisme. Face à elle : un amoureux transi, une amante malmenée, un conseiller qui tient les comptes, une mère devenue folle à force de mépris, un père fantôme… Et un philosophe qui pose les bonnes questions l’air de rien, l’entraînant malgré elle dans une maïeutique socratique salvatrice. Les douleurs traversées finissent par la faire accoucher de son propre destin. Parfois, combattre c’est renoncer. 

ALICE ROLLAND

Dissection d'une chute de neige a été présenté du 3 au 5 avril au Domaine d’O, Montpellier

DIASPORIK : Se former, pour lutter contre les discriminations

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Plaque "Stationnement interdit aux nomades et forains ambulants". Collection Sasha Zanko courtoisie de Sacha Zanko © Yves Inchierma, Mucem

Zébuline. Vous organisez trois jours de formation sur les discriminations en direction des tsiganes. Pourquoi avoir eu envie de commencer par ce sujet ? 

Samia Chabani. L’entrée principale de cette formation est la prise en compte des discriminations dans les pratiques professionnelles. Il est essentiel de préciser qu’elle est soutenue par la Fondation de France. Au sein de l’enjeu de lutte contre les discriminations, l’antitsiganisme demeure l’un des « angles morts ». À Marseille, le contexte de rejet autour de la possible création d’un village d’insertion pour populations romanis [projet finalement reporté par la préfecture, ndlr], illustre l’enjeu d’une meilleure connaissance des parcours résidentiels, migratoires et des conditions de vie de ces populations.

À qui s’adresse cette formation ? 

À une mixité de publics : des professionnels, agents de service public qui sont en charge de ces questions, mais aussi à des intervenants bénévoles ou en service civique, intervenant dans le cadre de l’accompagnement social ou culturel, l’hébergement d’urgence, l’accès aux droits et aux soins. Des personnes qui interviennent, sans avoir nécessairement bénéficié d’une formation initiale ou continue sur la prévention des discriminations. Sophie Latraverse, juriste experte en RSE rappelle que 82% des employeurs déclarent n’avoir reçu aucune formation sur les discriminations. 

En quoi cette discrimination se distingue-t-elle des autres formes de racisme ? 

Il y a chez les populations tsiganes, un cumul de représentations péjorées qui font d’eux une « classe dangereuse » : suspicion de traite humaine, de vol, de délinquance, criminalisation du nomadisme… Autant de stigmates liés à un mode de vie singulier autant qu’à l’assignation sociale produite par la catégorisation administrative et plus largement à l’exclusion. Beaucoup de gens associent romanis, tsiganes, gens du voyage… alors que l’on parle de groupes sociaux différents. C’est intéressant aussi de voir qu’aujourd’hui combien on promeut la mobilité comme une compétence à haute valeur ajoutée, alors que le nomadisme apparaît toujours comme un mode de vie marginal et déprécié. 

Vous invitez Ilsen About, un historien qui s’intéresse à l’histoire des politiques antitsiganes au XXe siècle. Comment cette discrimination d’État s’est elle matérialisée ?

De différentes manières : l’enfermement des tsiganes, mais aussi par la création du carnet anthropométrique [document administratif créé en 1912 pour surveiller les déplacements des populations nomades, ndlr]. On peut dire que les tsiganes ont subi une forme de contrôle social et administratif (fichage) extrêmement puissant – qui a pu concerner d’autres populations – mais qui perdure encore, et participe à cette représentation de « classe dangereuse ». Sans oublier que les tsiganes ont également été déportés pendant la Seconde Guerre mondiale.  

Comment peut-on analyser, ou quantifier, le racisme dont sont victimes les populations tsiganes aujourd’hui ?

L’objet du cycle en trois sessions est d’invoquer différentes formes de discriminations, mais aussi d’introduire des concepts qui nous permettent de les penser. L’approche pluridisciplinaire et l’alternance d’interventions entre chercheurs et professionnels y contribuent. Si les discriminations sont réelles, on a une difficulté à les documenter et à les prendre en compte, car on n’a pas le droit de faire des statistiques ethniques mais également à faire valoir le droit pour aboutir à de véritable recours juridique. Il y a quelques années, la Cnil a autorisé la création d’une enquête qui s’appelle Trajectoires et origines, qui a permis de quantifier les discriminations et de les distinguer [sous la direction de Cris Beauchemin, Christelle Hamel et Patrick Simon, qui intervient dans la session de juillet, ndlr]. L’enquête statistique réalisée conjointement par l’Ined et l’Insee éclaire la question des inégalités et des discriminations. Elle illustre l’impact systémique des discriminations en France, notamment celles des discriminations liées à l’origine. L’assignation raciale est un concept qu’on a du mal à penser en France. La reconnaissance de l’absence de race ne suffit pas à résoudre la question du racisme. Tout l’enjeu de cette formation est de montrer comment la construction sociale de la « race » permet d’identifier les processus de racialisation. Le cycle de formation mobilise les experts du sujet, comme la sociologue Sarah Mazouz, autrice de Race aux éditions Anamosa, ouvrage qui propose une approche critique de la notion de race. Nous nous faisons également l’écho des actions du réseau local ou du Défenseur du Droit. La formation se tient à la Maison départementale de lutte contre les discriminations.

Le champ culturel joue-t-il suffisamment son rôle dans la lutte contre les discriminations envers les tsiganes ? 

C’est paradoxal. Le champ culturel a pu contribuer à lutter contre l’antitsiganisme, en valorisant ces cultures (on pense à des artistes comme Django Reinhardt), tout en renforçant des stéréotypes, tels que la figure hyper sexualisée de la « gitane ». Récemment, on peut saluer la scénographie de l’exposition Barvalo au Mucem, qui a été une très belle réussite. Le projet a été pensé avec les peuples romanis, qui ont pu apporter le regard des concernés… Le musée du Gadjo de l’artiste Gabi Jimenez était une forme innovante de retournement du stigmate. Cette méthode participative devrait être la règle, pas l’exception. La commissaire de l’exposition Julia Ferloni et William Acker seront présents pour partager leur expérience. Enfin l’institut Calam sera présent pour évoquer l’articulation entre les identités religieuses et LGBTQ+. 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR N.S.

Approche multifactorielle des discriminations 
Du 14 au 16 mai : La question des discriminations en direction des tsiganes, romanis. 
Du 9 au 11 juillet : Introduction à l’enquête Teo2 et approche juridique des discriminations 
Du 7 au 9 octobre : Introduction à la sociologie de la race et articulation des discriminations  Lgbtophobie.
S’inscrire auprès de formation@ancrages.org
Lieu: Maison départementale de lutte contre les discriminations 
67 av de Toulon 13006 Marseille 

Sacrifice pascal 

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La Semaine Sainte, d’Andrei Cohn © Shellac

Troisième long-métrage du réalisateur roumain Andrei Cohn, sélectionné à la 74e Berlinale dans la section Forum, Semaine Sainte est la libre adaptation d’une nouvelle de Ion Luca Caragiale: Le Cierge de Pâques

Dans une douce campagne, un homme attaché on ne sait pourquoi et qu’on conduit on ne sait où, tire sa longe pour agresser une femme enceinte. Tout est déjà en latence dans cette ouverture : un monde accueillant, nourricier, beau, une communauté apparemment liée par des lois communes et l’irruption de la violence, portée sur cette femme, qui reste seule avec son mari, tandis que les paysans sortent du cadre, sans un geste de solidarité. On est au début du XXe siècle dans un village roumain. Avant la shoah et le bolchévisme. L’agressée est juive, épouse de Leiba, l’aubergiste.

Ce sont les derniers Juifs de ce village chrétien où se prépare la Semaine Sainte. Les autres ont sans doute eu de bonnes raisons de partir mais Leiba (Doru Bem) s’accroche, même s’il vend moins bien son vin, que clients et voisins deviennent hostiles. À l’auberge, les buveurs philosophent. Entre deux verres on évoque Darwin, l’évolution qui doit bien s’accompagner d’une « involution », mais aussi les théories racistes du criminologue Cesare Lombroso. L’idée – qui fera son chemin – que certains hommes valent moins que d’autres, est bien dans l’air du temps. Il suffit d’un rien pour que, légitimée, la haine n’explose. Ce rien, c’est l’altercation entre Leiba et Gheorghe (Ciprian Chiriches), son jeune employé chrétien qu’il renvoie après lui avoir refusé un congé pour la célébration pascale. En retour, Gheorghe le menace de le clouer à sa porte avec femme et enfant la nuit de Pâques. Paroles en l’air ? Ou véritable danger ? 

La mécanique du Mal

Dès lors toutes les rancœurs accumulées à l’encontre du Leiba vont se solidariser, et sa paranoïa décupler. La mécanique du mal est lancée sans que quiconque ne puisse l’arrêter, la peur menant à la folie et la folie au meurtre. L’angoisse se glisse dans tous les plans d’une singulière beauté. On tremble pour Eli, le fils de Leiba chaque fois qu’il disparaît dans les bois, on a peur pour le bébé à naître et pour sa mère. Les espaces extérieurs saturés de lumière, le fleuve idyllique, les chemins bucoliques, ce décor « primitif et brut » comme le qualifie le réalisateur, attend les méfaits humains. Leiba, bon père, bon mari, n’est toutefois pas idéalisé. C’est un commerçant un peu buté – bien moins fûté que sa femme –, et qui, malgré son statut social de patron, n’est pas protégé par la loi rangée du côté de la meute coalisée. Acculé, il sera « incapable de distinguer les menaces réelles et imaginaires » précise le réalisateur. Gheorghe est tout aussi buté mais sans doute inoffensif. L’ambiguïté sera maintenue. « Certains auront peut-être du mal à trouver comment s’approprier cette histoire mais j’espère éveiller des doutes auxquels je ne peux cependant pas offrir de réponses. » ajoute Andrei Cohen. La dernière séquence de son film, terrible dans ce qu’elle suggère, s’associe à l’agneau sacrifié et nous renvoie, à travers l’actualité, à d’autres images moins suggérées et non fictives, insoutenables.

ÉLISE PADOVANI

La Semaine Sainte, d’Andrei Cohn
Sorti le 10 avril
Le film a obtenu le Prix Giuseppe Becce

Et si quelque chose changeait…

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Pour un premier roman, Donatien Leroy ne manque pas de culot. N’entreprend-il-pas de nous décrire par le menu sept journées de la vie d’un homme ordinaire, marié, un fils, un chien et des poissons dans un bocal ! Cela s’accompagne d’une particularité qu’il convient de souligner : chacun des sept chapitres commence par une lettre minuscule et il n’y a aucun point. Sans que les lectrices et lecteurs en soient gênés. La lecture est fluide et s’écoule de virgule en virgule. On se prend au jeu. On repère la répétition des habitudes décrites avec précision, du réveil du matin au coucher du soir. Ainsi, lundi, premier jour, commence : « le réveil tonne, le même réveil, la même grimace […], le même lit, la même odeur […], ”tu as bien dormi ?”, “Oui, et toi ?”, la même question, la même réponse, la caresse au chien ». Tous ces détails reviendront au cours du récit, dans le même ordre, sans variante. Et ça marche. Le déroulement des journées se répète, précision d’horloge. Cela en dit long sur notre monde : horaires de bureau, journal télévisé, courses au supermarché, rapport sexuel occasionnels…

Spectateur de sa propre vie
Mais quelque chose s’est passé, madame le sent, monsieur ne le dit pas tout de suite. Son père est décédé. Madame s’occupera de tout, car madame est parfaite et sait ce qu’il faut faire. Cet événement met un grain de sable dans l’engrenage. Quelques souvenirs reviennent. Des beignes et des billes. Ça se résume à ça, une vie ? Mais aussi des parties de pêche à la rivière avec le père. Monsieur réfléchit au sens de la vie, de l’éducation qu’il a ressentie comme un dressage. On nait loup et on finit chien, se dit-il. Constat amer. Pour monsieur l’enterrement est un mauvais moment à  passer, un moment sans émotion. Cependant il retournera à la rivière de son enfance.

CHRIS BOURGUE

Sisyphe, de Donatien Leroy
Inculte - 23 €

Mozaïc célèbre ses dix ans

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Compagnie Antipodes © Hugo Gueniffey

Situé à Toulon, Mozaïc est un pôle d’accompagnement des structures artistiques et culturelles régionales. Autrement dit : une association varoise qui, depuis 2014, soutient des structures artistiques et culturelles, adhérentes de l’association, dans le développement de leurs projets. Dans des champs artistiques et culturels nombreux : arts numériques, bibliothèque, cirque, danse, marionnettes, musique studio d’animation, théâtre. À l’occasion de sa décennie d’activités, Mozaïc a décidé de faire la fête à travers quatre jours de programmation à Châteauvallon, scène nationale d’Ollioules du 25 au 28 avril (ouverte au public du 26 au 28, la première journée étant réservée aux professionnels), avec les compagnies locales qu’elle accompagne au quotidien.

Au menu
Un gros gâteau à déguster pendant les trois jours ouverts au public, fait de théâtre, de danse, de cirque, de musique, et de performances. Le vendredi 26, ce sera du cirque avec Passages de la Compagnie Ar à 18 h à l’Altiplano, de la musique et du dessin avec Amiral Sirius

de la Cie Des Trous dans la Tête à 19 h aux Studios du Baou, et à 21h30 du théâtre avec Les pieds tanqués par Artscénicum Théâtre au théâtre couvert. Le samedi 27 débutera en danse avec The world is finally quiet de la Compagnie Antipodes à 15h30 à l’Altiplano, continuera en musique et en théâtre avec Connaissez-vous ? du Collectif Animale à 17h  aux Studios du Baou, où l’on pourra également voir à partir de 19h un ensemble de petites formes autour du spectacle Il faudra que ça continue de la Compagnie Vertiges. La journée se conclura en musique avec le Guinguette Hot Club à partir de 21 h au théâtre couvert. Enfin le dimanche 28, à partir de 14h30, déambulation artistique : une balade de 3 heures pour découvrir des performances au gré des chemins de Châteauvallon. Par petits groupes guidés, à la rencontre de six propositions artistiques d’une quinzaine de minutes chacune, signées Collectif Ô 77, Cie Grand Bal, Cie Kokerboom, Le Volatil, Kaïros Théâtre, et la Compagnie Souricière.

MARC VOIRY

Mozaïc fête ses 10 ans
Du 25 au 28 avril
Châteauvallon, scène nationale d’Ollioules
asso-mozaic.fr

Marseille groove au féminin

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LES FEMMES S'EN MÊLENT 2024 - EESAH YASUKE et MAICEE © X-DR

Les scènes de musiques actuelles sont trop souvent le mauvais élève de la parité. Les Femmes s’en Mêlent s’est donné pour mission de visibiliser les artistes femmes, pour que les programmateurs ne puissent plus se dédouaner en disant « mais on n’en a pas trouvé ! ». Créé en 1997 à Paris, le festival voulait à l’origine « apporter une réponse à leur sous-représentation dans la plupart des festivals (principalement estivaux) ». On lui doit la mise en lumière d’artistes de grand talent, comme Jeanne Added, La Grande Sophie ou Christine & The Queens. Désormais, la structure entend aussi favoriser l’accès des femmes aux moyens de production artistique, et leur mise en réseau pour qu’elles puissent peser plus dans les négociations. Elle s’appuie sur un dispositif d’actions, Les Femmes s’engagent, qui propose ateliers, conférences, rencontres, projections et débats.

Une prog’ solide

Trois dates printanières sont prévues à Marseille. Le 18 avril, Jil Caplan sera accueillie… dans un cinéma, L’Artplexe sur la Canebière. Un beau lieu, propre à recevoir la chanteuse qui défendra son dernier album, Sur les cendres danser, avec sa complice, compositrice et musicienne accomplie, Émilie Marsh. Le 26 avril, c’est au Makeda que résonneront les voix de deux jeunes femmes, Maëlle et Alice. Dans un registre similaire, empreint des tourments affectifs de leur génération, elles se succéderont sur la scène de la rue Ferrari, la première avec, notamment, des airs de Fil rouge,  la seconde avec ceux de Photographie, deux albums sortis en 2023. Le lendemain, des artistes aux prestations plus rageuses attireront les marseillaises prêtes à ne pas s’en laisser compter par le patriarcat. Eesah Yasuke vient du rap et cela s’entend : elle a obtenu un prix au Printemps de Bourges 2022, récompensant une vraie personnalité dans cet univers musical souvent très formaté. Quant à Maïcee, son flow rapide et ses thèmes crus devraient séduire le public du Makeda.

GAËLLE CLOAREC

Les Femmes s’en mêlent
Les 18, 26 et 27 avril
Cinéma Artplex et Makeda, Marseille