La fabuleuse acoustique de l’auditorium est propice aux enregistrements et à une écoute dans des conditions idéales. Le Geister Duo (ou « duo des esprits » si l’on se fie à une traduction littérale) propose un programme entièrement consacré à la musique de Brahms.
David Salmon et Manuel Vieillard jouent, non comme les magnifiques solistes qu’ils sont tous les deux, mais en parfaite symbiose (il est déjà intéressant d’arriver un peu avant le concert et voir l’accordeur préparer les pianos en harmonie). C’est cette qualité chambriste, reconnue par le premier prix du concours de l’ARD de Munich en duo de piano, qui les pousse à « enrichir le piano de leurs quatre mains » et arpenter les répertoires dédiés à cette forme particulière. Le piano, un instrument solitaire ? Absolument pas.
Si les Seize valses opus 39 à quatre mains dédicacées au romancier et critique musical Eduard Hanslick (ami de Brahms) connaissent deux versions, la facile et la difficile, on se doute bien que les deux artistes ne choisissent la moins intéressante. Les doigts volent, dansent sur le clavier, épousant avec une élégante espièglerie les voltes de la partition. Même le sérieux Brahms était capable de légèreté ! Changement de configuration pour les Variations sur un thème de Haydn opus 56 pour deux pianos : les instrumentistes se retrouvent face à face. Un échange de regards, une main qui s’élève, une mimique, un plissement des paupières, tout se dit dans les attaques, les accords, les arpèges qui se lient, les mélodies qui s’imbriquent. Les deux pianos, à l’instar du gamelan qui se déploie en une foule d’instruments percussifs, ne sont plus qu’un, avec des performances multipliées, des sonorités qui rappellent un orchestre au complet, tournoyant dans l’émulation de variations toujours plus audacieuses et inventives. Hommage au génie de Haydn (« un siècle exactement avant l’époque où nous vivons, Haydn créa notre propre musique » déclarait Brahms, ainsi que le rappelle la feuille de salle, détaillée, travaillée, éclairante), cette œuvre tient de la symphonie par son ampleur. Enfin, transcription pour deux pianos de son Quintette pour piano en fa mineur opus 34 (qui avait déplu à Clara Schumann et Joseph Joachim), la Sonate pour deux pianos vient clore le concert avec sa palette harmonique colorée, ses contrastes, le jeu complexe de sa construction. Si certains déplorent, connaissant parfaitement le Quintette, le manque d’épaisseur instrumentale que les cinq voix de la pièce originelle conjuguent, la virtuosité des deux interprètes permet de découvrir une œuvre pleine, qu’il ne faut surtout pas chercher à comparer mais à apprécier dans son écriture propre et la plénitude de l’émotion qu’elle procure. Une danse hongroise, de Brahms faut-il le préciser, venant en bis, onde de joie vive.
MARYVONNE COLOMBANI
Concert donné le 28 juillet, au Conservatoire Darius Milhaud à Aix-en-Provence, dans le cadre du Festival international de Musique de Chambre de Provence