jeudi 18 septembre 2025
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Cliquez sur l'image pour vous abonnerspot_img
Accueil Blog Page 185

Du chant et de la Pataphysique

0
Le Quatuor A'dam à L'Ouvre-Boîte, Aix-en-Provence

Sur la petite scène de L’Ouvre-Boîte, lieu décidément dédié à la création, arrivent les quatre larrons, Ryan VeilletOlivier Rault (ténors), Louis-Pierre Patron (baryton) et Julien Guilloton (basse). On s’attend à une entrée par le chant, et bien non, ce sera par l’une des saynètes désopilantes et iconoclastes de Boris Vian, Conversation avec un adjudant. Le duo/duel des protagonistes, Vian et un adjudant, est porté par les interprètes qui portent les voix des deux personnages en les doublant : deux face à deux. L’être n’est jamais simple n’est-ce pas, même lorsqu’il s’agit de l’adjudant du dialogue au vocabulaire et aux intonations rudimentaires. « Ah ! Vous faites dans la littérature… J’aurais dû m’en douter. / Oh Je fais dans pas mal de choses, n’adjudant, ingénier, auteur, traducteur, musicien, journaliste, interprète, jazzologue, et maintenant directeur artistique d’une maison de disques… / (…) / Les petits malins comme vous, ça ne m’impressionne pas ! Je connais la chanson ! / (…) / Je vais vous concocter un manuel de l’aspirant chansonneur, vous m’en direz des nouvelles… »

L’introduction ouvre le spectacle aux chanteurs qui entonnent On n’est pas là pour se faire engueuler avec un humour et une verve jubilatoire. Les chansons entrecoupées parfois par de délicieux intermèdes extraits des œuvres de Boris Vian sont mises en scène avec une intelligence et une fantaisie débridée. Les chanteurs-comédiens affublés de costumes à la fois conventionnels et délirants passent de Moi, j’préfère la marche à pied à La complainte du progrès puis au génial Vous mariez pas les filles ou à Bourrée de complexes. Les paroles résonnent fortement encore aujourd’hui : on est encore époustouflés par la modernité de Boris Vian, qui s’insurge contre les dérives du consumérisme, de la mécanisation, de l’assujettissement imposé aux femmes, du choix du genre (Vous mariez pas date de 1958). 

On se délecte des reprises des chansons que l’on connaît par cœur, Je boisLe blouse du dentisteCinématographeLa java des bombes atomiquesLe tango des bouchers de la VilletteLe petit commerce… Là encore l’actualité tragique des paroles frappe. Les velléités guerrières actuelles rappellent le poids terrifiant de l’industrie de l’armement. Il ne faut pas oublier le texte de Boris Vian : « Je vendais des canons dans les rues de la terre/ Mais mon commerce a trop marché/ (…)/ Tous mes bons clients sont morts en chantant». L’esprit du Satrape, Promoteur Insigne de l’Ordre de la Grande Gidouille, membre du Collège de Pataphysique, plane sur ce spectacle à la fois profond et déjanté, servi avec un talent fou par le quatuor dont les voix savent épouser les moindres nuances de sens, passent des aigus aux graves, font un détour par le chant diphonique, tissent des accords sublimes et ironiques, bref, interprètent avec panache. Les artistes, férus de l’œuvre du poète, n’oublient pas l’antimilitariste et controversé chant Le déserteur, écrit en février 1954 lors de la guerre d’Indochine et dont le Quatuor A’dam conserve la fin modifiée par Mouloudji : il remplaça le « je sais tirer » (sur les gendarmes) par « ils pourront tirer ».

On a du mal à s’extraire de la magie de cette soirée, de ses rires, de son intensité et se sa profondeur. En bis le duo Vian Salvador refait surface avec Donne, donne, donne. Et on en redemande !!!

MARYVONNE COLOMBANI

23 février, L’Ouvre-Boîte, Aix-en-Provence

Femmes puissantes

0

On a tous entendu parler de la méthode Montessori, un système éducatif centré sur l’enfant qui apprend à son propre rythme. On connait moins peut-être son initiatrice et fondatrice, Maria Montessori à qui Léa Todorov consacre son film La nouvelle femme, choisissant de nous faire partager ses années d’expérimentation auprès d’enfants neuro-atypiques, communément appelés à son époque « idiots » ou déficients. La cinéaste qui s’est abondamment documentée sur Maria, a choisi de créer un personnage fictif, une cocotte parisienne, Lili d’Alengy (superbement interprétée par Leïla Bekhti) qui va nous servir de guide.

Lili est au faite de sa gloire. Elle cache sa fille, Tina, qui n’est pas comme les autres et qu’elle ne peut même pas supporter de regarder. Craignant pour sa réputation et sa carrière, elle décide de l’emmener à Rome et de la placer dans un institut. C’est ainsi qu’elle fait la connaissance de Maria (Jasmine Trinca) et approche un monde qu’elle rejette, d’abord. Un endroit où on s’occupe de ces enfants différents : avec elle, on découvre les bains et les soins qui les calment, les jeux qui les socialisent, la musique qui les fait danser, les leçons qui les font avancer, les progrès constatés par l’élite scientifique masculine. Des séquences très émouvantes tournées avec des enfants neuro-atypiques. « C’était aussi l’idée politique du tournage, de faire se rencontrer une équipe de cinéma et ce groupe d’enfants. Tout le monde a vite réalisé qu’il n’y avait pas besoin d’être spécialisé pour être en lien, qu’il suffisait au contraire d’être dans le travail, dans l’exigence », explique la réalisatrice. 

Affirmer sa place

Tina, incarnée par la bouleversante Rafaelle Sonneville-Caby, fait des progrès et peu à peu, Lili d’Alengy prend conscience que sa fille est un être humain. Elle se rapproche aussi de Maria qui lui confie son secret : un enfant né hors mariage, qu’elle a eu avec son collègue médecin Giuseppe Montesano (Raffaele Esposito) et qu’elle a été obligée de placer en nourrice à la campagne pour pouvoir exercer. En ce début de siècle, être femme médecin est loin d’être évident. Lily va l’introduire dans le monde des puissants : pour être libre, une femme doit être riche ! Car « peut-on vraiment confier son destin à un sentiment aussi inconstant que l’amour ? »Avec l’aide de Betsy (Nancy Huston) une femme puissante, Maria va pouvoir « révolutionner l’école et libérer l’enfance ».

Une mise en scène classique, des décors soignés, des plans superbement éclairés participent à la réussite de ce film dont le titre La nouvelle femme vient de l’expression utilisée par les historiens pour désigner les femmes féministes, éduquées et indépendantes de 1900 qui affirmaient une place dans la société par le savoir. Si Maria Montessori a ouvert la voie aux générations qui ont suivi, beaucoup reste encore à faire dans le domaine de la condition féminine comme dans celui de l’éducation !

ANNIE GAVA

La Nouvelle Femme, de Léa Todorov
En salles le 13 mars

La Nuit de la guitare joue la corde féminine

0
Eleonora Strino © DR

Le flamenco est une musique métissée, qui aime se confronter à d’autres styles. C’est justement ce que propose le guitariste Juan Carmona dans cette nouvelle édition de la Nuit de la Guitare. Au Théâtre Comoedia d’Aubagne le 23 mars, il invite quatre femmes guitaristes, toutes dans des horizons musicaux divers. Sont attendus le jazz d’Eleonora Strino, la pop de Virna Nova, du classique pour Sandrine Luigi et le Brésil de Cristina Azuma. Autant de rencontres qui risquent de créer quelques étincelles acoustiques dans la nuit aubagnaise.

JOURNAL ZÉBULINE

Christine Angot : dire ou ne pas dire ?

0

« Papa » est le premier mot du film Une famille. Une fillette, une baguette de pain à la main marche, filmée parle le camescope de son père le 12 mai 1995 : la fille de l’écrivaine Christine Angot qui réalise là son premier documentaire, revenant sur le viol commis par son père. Déjà raconté, cet inceste est au cœur de son film, mais cette fois pour tenter de savoir l’effet que cela a eu sur les autres et tenter d’effacer le déni familial.

Suivie et filmée de près par la directrice de la photo, Caroline Champetier, Christine Angot, toute de noir vêtue, s’introduit presque de force dans l’appartement de celle qui a partagé la vie de son père, Elizabeth Weber, pour la mettre face à son silence. « Qu’est-ce que je peux te dire ? » S’engage un non-dialogue d’une violence terrible. Christine Angot a beau lui rappeler les propos obscènes que lui tenait son père « je bande quand j’entends ta voix au téléphone » ou lui rappeler qu’elle était violée par lui à partir de ses 13 ans, le week-end ou pendant les vacances, sa belle-mère continue à affirmer qu’elle admirait cet homme, que c’était l’homme de sa vie. Un non dialogue brut filmé sans effets de montage. Champ, contre-champ : l’une parle, l’autre répond, et c’est terrifiant. Et quand elle va jusqu’à reprocher à Christine d’être venue chez elle se faire violer par son père, sous son propre toit, faisant qu’ainsi son mari la trompait, on est dans l’abjection la plus totale. Christine Angot va aussi essayer de comprendre le silence de sa propre mère ; elle regrette que sa fille se soit éloignée d’elle lorsque son père la violait et dit : « Je ne suis pas capable d’en parler. »

Une histoire qui appartient à tout le monde

La photo du père est là, sur une étagère. Une séquence troublante mais pas aussi glaçante que celle des images d’archives de Christine Angot face aux moqueries misogynes sur le plateau d’Ardisson en 1999 au moment de la sortie de son livre L’Inceste. Et quand elle apprend que la veuve de son père et ses deux demi-frères ont porté plainte pour violation de domicile et atteinte à sa vie privée, son avocat lui dit : « Ton histoire, d’une certaine manière, appartient à tout le monde. […] On peut faire autant de mal en ne disant rien, qu’en disant les choses. Et parfois on fait beaucoup plus de mal on ne disant rien. » L’échange,  émouvant, avec sa fille Léonore prouve qu’il a sans doute raison.

Qu’on apprécie ou non la personne et/ou l’écrivaine, le premier film de Christine Angot, présenté dans la section Encounters de la 74e Berlinale, d’une force incroyable, ne laisse pas indifférent.

ANNIE GAVA
À Berlin

Une famille, de Christine Angot
En salles le 20 mars

OCCITANIE : Le temps des mues est arrivé

0

Le théâtre est une bulle, un moment suspendu et expérimental dans un lieu fictif. Quand Marie arrive en tenue de randonnée dominicale dans le décor fantaisiste de Mues, mélange de nature sauvage et de rustres demeures où habitent d’étranges personnages masqués, on se dit aussi qu’on assiste à une parenthèse de ce genre. Potentiellement à un choc des civilisations. Au fil de conversations surréalistes et souvent décousues, le spectateur découvre qu’une rumeur affirme que dans ce coin perdu des Cévennes vivent des femmes « handicapées », ou « inadaptées », disons des femmes qui flanchent. Marie dit elle-même (à la troisième personne) que bien qu’elle soit très fatiguée, elle ne veut surtout pas mourir, ni devenir folle. Non, elle doit encore trouver quelque chose. Mais la frontière est si mince entre ce qui est normal et ce qui ne l’est pas. D’autant plus que les autoproclamées « Gogoles » l’incitent à se perdre, dans l’espace comme dans la temporalité. 

Une fable déconnectée, féministe et décroissante

De toute évidence, Marion Aubert, autrice et comédienne de ce texte, et Marion Guerrero, la metteuse en scène, se sont amusées à créer cette fable déconnectée, féministe et décroissante qui frôle parfois avec le grotesque comme avec le mythologique. Alors oui, il faut parfois grossir les traits pour saisir l’essentiel, rire fort pour sourire un peu, se jeter à l’eau pour se sentir vivre. Les femmes qui arrivent ici sont vieilles ou moins vieilles, parfois fêtardes, ou méditatives, ou randonneuses… Peu importe. Ce sont des femmes. Quoique… Henriette la Gardoise ne semble pas bien les distinguer de ses vaches. Après tout, elles aussi ont leurs secrets et leurs blessures. Pour Marie, il arrive ce qu’il arrive aux autres : la mue. Ce moment où on enlève les couches qui nous pèsent pour révéler ce qui se cache en dessous, où au lieu de voguer en surface sur les eaux limpides des Cévennes, on choisit de sauter dans la cascade, se laisser attirer par les profondeurs, prendre le risque de se noyer. Alors seulement, le laisser-aller commence. Dans une transe étrange portée par sept comédiennes survoltées, Marie s’ensauvage, se laisse gagner par ses pulsions, vit l’extase de la nature. À travers les couleurs brutes des « Gogoles », elle se libère d’un traumatisme qui n’est pas jamais clairement nommé sans pour autant nier son existence. Contre toute attente, Marie se retrouve et sort de cette bulle salvatrice visiblement changée. Sûrement plus elle-même que jamais. 

ALICE ROLLAND

Mues par la Cie Tire pas la nappe a été présenté le 13 mars au Théâtre des 13 vents, Montpellier

Les couches multiples du silence

0

Que sait-on de l’Afghanistan ? Le nom de ce pays nous est familier par des informations de guerres sans fin, d’abolition des droits les plus élémentaires, le trafic d’opium et les forces opposées, britanniques, russes, américaines et talibanes… Mais la culture de cette région du monde, étouffée par les occupations successives ne nous est guère familière. Pourtant, point de passage incontournable de la route de la soie dans l’antiquité, ses reliefs furent le centre de grands empires, dont la Bactriane ou l’empire Kouchan. Aujourd’hui, on ne perçoit plus que l’ombre. Aussi, la représentation d’une pièce écrite de nos jours par un auteur issu de ce pays est à marquer d’une pierre blanche. Durant plus de vingt ans la scène artistique et culturelle s’était tue (de 1979 à 2001, occupation soviétique, puis guerre civile et enfin gouvernement des talibans, hostile à la pratique artistique et à toute forme de représentation). « Le pays s’est retrouvé coupé du monde, l’éducation a été interrompue et des millions d’afghans ont migré à l’étranger, explique Guilda Chahverdiles salles de spectacle se sont transformées en espaces de refuge, en terrains de combat ou en salles de torture ». Si en 2001 avec la chute des talibans, une certaine effervescence intellectuelle s’est dessinée, l’attentat suicide dans la salle de spectacle de l’Institut français d’Afghanistan à Kaboul du 11 décembre 2014, année du début de l’écriture de La Valise vide, marque un tournant tragique : la scène culturelle et artistique qui résistait encore disparaît quasiment en Afghanistan. Depuis le retour des talibans au pouvoir, en 2021, la culture a totalement cessé d’exister publiquement. 

Un fragment d’histoire

Le sujet de l’œuvre de Kaveh Ayreek s’inspire des exils des Afghans. L’arrivée des talibans a suscité une vague de départs. Les parents de Maryam et Hamid, les deux protagonistes de la pièce, s’étaient réfugiés en Iran lors de la longue série des guerres afghanes. Les jeunes gens nourris par les images d’un Afghanistan fantasmé, d’abondance, de joie, de jardins paradisiaques, d’eaux vives et libres, de raisins mûrs aux « cent-vingt-et-unes variétés », de grenades gorgées de jus, décident de retourner à Kaboul d’où leurs familles sont originaires. Malgré les mises en garde des parents, le couple part. Peu à peu la violence s’installe, -un jeune homme exécuté devant eux lors du voyage en car, la vision des maisons détruites par la guerre, l’expulsion de leur maison pour y faire loger un « personnage important » que même la police ne peut empêcher-, s’immisce dans le quotidien, pervertit les esprits, détruit lentement les relations de confiance, la spontanéité. La dernière scène scelle le départ et la séparation : désormais deux personnes et deux valises vides… 

Naissance d’un nouveau théâtre

Le texte, tout de tension, est très court, une vingtaine de pages. Il nous livre des fragments, utilisant un vocabulaire dépouillé, en une prose qui s’appuie sur des faits simples, concrets. Les douze scènes de la pièce sont autant de tableaux, chacun baigné dans une lumière particulière, crue, ombrée, flirtant avec le clair-obscur. Les gestes des personnages sont symboliques, marche ralentie, courses, regards qui suivent le même mouvement… On croirait voir émerger ces couples des portraits flamands du XVème au XVIIème siècle, unis parfois sans se toucher, et d’une infinie complicité.  Les deux acteurs, magnifiques Alice Rahimi et Shahriar Sadrolashrafi, interprètent aussi les rôles de la grand-mère, de la mère, du père des jeunes voyageurs. Ils avertissent en vain : « ton identité, c’est ta pensée pas cette terre de mépris. Là-bas, la terre est devenue sale ». Les dialogues sont peu nombreux cependant. Maryam et Hamid se racontent, font la narration de leurs états d’âme, de leurs vies, face au public, entrelaçant leurs récits. Si la jeune femme s’enthousiasme au début : pas d’eau courante, pas d’électricité, seulement des bougies ? « Comme c’est romantique ! », elle devient rapidement celle qui doit prendre des décisions pour survivre, jusqu’à vendre en cachette les tableaux de son compagnon et les présenter sous son nom… La peur qui règne autour d’eux s’infiltre dans leur relation. L’écriture accorde une place essentielle aux silences. Ils nimbent les moments de parole, accordent aux mots de nouvelles résonances, soulignant la chappe de plomb qui jugule les êtres. La lenteur liée aux silences laisse émerger les fragments de scènes, de textes, comme un puzzle que le spectateur doit reconstituer. Se compose ainsi un long poème empli de vides, d’ellipses, d’absences, de dilatations du temps. Pas de pathos ou de digression enflammée mais une tentative très aboutie pour narrer l’histoire d’un peuple sous le joug. Magistralement beau et bouleversant.

MARYVONNE COLOMBANI

Le 21 février, théâtre Vitez, Aix-en-Provence

La Valise vide, Kaveh Ayreek, texte traduit par Guilda Chahverdi, publié aux éditions L’Espace d’un instant

À l’ombre d’un cerisier

0

Le roman confronte deux époques, les débuts de la Seconde Guerre mondiale puis les années 1950, et celle, contemporaine, de 2022-2023. En trait d’union, un lieu, terrible, le Camp des Milles. La Première Guerre mondiale scelle les tragédies à venir : Élisa, infirmière de guerre née en Alsace, soigne un blessé allemand, Andreas. Les deux êtres se rapprochent et se marieront. L’un des frères d’Andreas, l’hautboïste Hans, fascine la jeune femme, un amour interdit dévore les jeunes gens. Une seule « entorse » au devoir et une enfant va naître. Alors que le nazisme s’installe en Allemagne, Hans, puis le couple Andreas / Élisa partent en France, terre d’accueil. Veuve bien trop tôt, Élisa se retrouve à Aix-en-Provence. L’Alsace reprise, elle est française. Cela ne suffira pas. Hans sera interné au Camp des Milles, car allemand, donc considéré comme « sujet ennemi », alors qu’il a fui le nazisme. 

Renouer les fils 

Le travail d’Aurélie Tramier, fortement documenté, s’appuie sur les archives du Camp des Milles, des livres comme celui de Lion Feuchtwanger qui fut interné aux Milles, Le Diable en France. On vit les abandons volontaires des enfants, confiés à l’OSE afin de les sauver lorsque les parents étaient envoyés dans les camps d’extermination, les chantages, les exactions, les mauvaises conditions de vie, les suicides des désespérés, mais aussi on découvre la force d’êtres qui persévèrent à jouer de la musique, créer, agir pour sauver les autres, mettant leur vie en jeu… En 2022, Esther, après avoir reconnu la montre que lui a léguée son père sur une photo au Camp des Milles, renoue les fils de son histoire familiale. Le regard contemporain se pose sur l’histoire, lui donne relief et sens. Mieux qu’un simple roman historique, Bien-Aimée ouvre la porte aux interprétations, soulève les questions de notre attitude par rapport à l’histoire et notre contemporanéité. Le style précis, aisé et fluide de l’autrice, qui sait rendre à chacun sa voix, sa manière de conduire le récit, de ménager une tension, tout concourt à rendre le texte captivant. On ne le pose qu’à la dernière ligne, émus profondément.

MARYVONNE COLOMBANI

Bien-Aimée, de Aurélie Tramier
La Belle Etoile - 20,90 € 

Les Trois Mousquetaires à l’assaut du présent 

0
© X-DR

Si certains jugent la qualité d’un spectacle au nombre de fois où ils regardent leur montre, en assistant aux Trois Mousquetaires du Collectif 49 701, on aimerait que le temps se prolonge, tant on se réjouit du spectacle sous nos yeux. Et jouer du temps, le déstructurer, l’amalgamer, c’est justement la grande force de cette pièce, où l’œuvre de Dumas est confrontée à notre époque, dans des allers-retours aussi judicieux qu’hilarants.

Après la Citadelle en octobre dernier et avant La cité des arts de la rue en avril, c’est à La Friche la Belle de Mai que La Criée donnait rendez-vous pour cette deuxième saison de la série Les Trois Mousquetaires – qui sera servie en six opus. La pluie en invité surprise, c’est dans les méandres des grands couloirs de cet espace singulier qu’est jouée cette pièce baladeuse, prévue initialement en extérieur.  

Heurts actuels 

Poncho pour les frileux, tabouret pliable Décathlon pour le séant, le public est invité à s’installer en enfilade pour assister à la première scène. Arrivent les principaux personnages du récit : Le roi Louis XIII, Athos, Porthos, Aramis, D’Artagnan… Puis très vite, l’échange savoureux est interrompu par les gardes du Cardinal, qui débarquent en voiture à vive allure, sirène de police, pétards et fumigènes, et grimés en CRS. Une première effraction du présent qui ne sera pas la dernière. 

Pendant toute la déambulation, on rira beaucoup : le ressort comique « passé / présent » fonctionne toujours, et il serait regrettable de ne pas en profiter. On appréciera particulièrement le roi, joué par un Grégoire Lagrange maniant la perfidie du pouvoir et la légèreté nobiliaire avec brio. Ou Loup Balthazar, campant tour à tour la reine, garde du cardinal ou journaliste – de Cnews – avec la même aisance. La force du Collectif 49 701 est surtout de réussir à ne presque rien enlever à l’intensité dramatique du récit original, sans pour autant se limiter dans l’exercice créatif et humoristique, ou en jouant des codes télévisuels. Si l’on était devant Netflix, nul doute que l’on aurait lancé immédiatement la suite, mais il faudra attendre le week-end du 19 avril pour assister à la saison 3 à Marseille. On regarde déjà la montre. 

NICOLAS SANTUCCI

Les Trois mousquetaires a été donné du 8 au 10 mars à La Friche la Belle de Mai, Marseille.
Une programmation de La Criée, centre dramatique national de Marseille

À venir

Le 30 avril
La Garance, scène nationale de Cavaillon

La Flemme : du garage-rock, pour l’amour du zèle  

0

Si les musiques avaient une adresse, nulle doute que le garage rock chanté en français serait domicilié à Marseille, peut-être même dans le 13005. Et il y a dans La Flemme, jeune formation marseillaise, ce quelque chose qui les rattache à cette histoire de la musique made in La Plaine, tels Pogy & les Kefars ou Tommy & les Cougars avant eux. Il faut dire que ses quatre membres grenouillent depuis longtemps dans ce milieu, qui trainaît jadis à la Machine à coudre et qui se retrouve désormais à l’Intermédiaire. Il n’y a qu’à voir le CV de ses membres, toute et tous dans des groupes reconnus de la jeune scène rock marseillaise : Jules dans Technopolice et Flathead, Charles dans Avenoir, Ronie dans Crache et Stella avec Tessina. Des talents qui ont eu la bonne idée de se réunir « dans une fin de soirée un peu trop longue »… Qui a dit que l’alcool était de mauvais conseil ?  

Le diable en quatre 

Les musiques rock ont toujours aimé l’ironie et la contradiction. La Flemme en use aussi, comme dans le nom du groupe que se sont donnés ces hyperactifs du son. Une frénésie que l’on ressent dès Somnifères, le premier des quatre morceaux du disque, où guitares dopées et ruptures rythmiques secouent agréablement l’auditeur. On retrouvera la quiétude dans finesses mélodieuses du titre – que ce soit dans les lignes de chant ou dans la guitare lead aux envolées toujours bien senties. Des atours qui restent présents tout au long de l’écoute, à l’instar de Bruxisme, avec encore une fois une ligne de chant accrocheuse qui vient en contrepoint d’un instrumental plus énervé, limite high energy. On écoutera – et réécoutera – aussi le réjouissant solo de clavier sur Sculpture. La partie de quatre se termine avec La Crasse, l’atout charme du disque, une flèche réjouissante qui s’encalmine dans la tête bien longtemps après son passage. 

Avec ce premier disque qui ne souffre d’aucune faiblesse, et signé sur le reconnu label Exag’Records, La Flemme s’invite comme la nouvelle formation garage-rock à suivre ces prochains mois, et à qui l’on peut simplement souhaiter un succès plus franc qu’à ses « illustres » prédécesseurs marseillais. 

NICOLAS SANTUCCI 

La Flemme, S/T
Exag Records 
À venir
29 mars
L’Intermédiaire, Marseille

Changer de cap

0

Le premier roman de Marion Lejeune vous emportera dans le monde peu connu des îles Féroé, qu’elle nomme tout au long de son récit l’Archipel. Contrées d’îlots sauvages battus par les vents, fouettés par les vagues, dont la seule ressource est fournie par la mer. Grigori est gabier sur un grand voilier de commerce forcé à une escale. Il trouve refuge chez un couple d’instituteurs qui utilisent la langue insulaire pour leur enseignement. Pour que leur langue ne meure pas, ils résistent à l’obligation de parler danois et impriment de la poésie en secret. Gregori, qui se cache pour échapper à une dette de jeu, rencontre Alda, jeune femme solitaire qui, pour vivre, ramasse des œufs de Fous de Bassan dans les falaises, et les vend aux habitants. Funambule, elle l’entraine un jour dans cette expédition périlleuse : « Je te ferai oiseau pour savourer l’air. » Ces deux êtres solitaires parlent peu. Elle rêve de partir, de quitter ces îles où le temps s’étire au rythme des saisons, tandis que Gregori commence à apprécier la terre ferme.

Au début de l’été, un cri repris dans tous les îlots, « Grind ! » déclenche le départ pour la chasse traditionnelle aux baleines, encerclées, harponnées dans une mer de sang. Chacun repart avec sa part du massacre et une fête de danse, de chants et de vins anime la communauté.

Prendre le large

Une botaniste norvégienne, venue pour étudier la flore, demande à Alda de la guider. Le récit de Marion Lejeune est nourri de ses expériences de grande voyageuse des pays nordiques. Elle excelle dans les descriptions de la mer, du « froufrou des nuages », des moutons et des oiseaux, avec sensibilité et poésie. Son attachement à ces contrées d’un autre monde qui paraissent hors du temps nous entraîne à sa suite tandis qu’Alda et Gregori choisiront enfin chacun leur destin.

CHRIS BOURGUE

L’escale de Marion Lejeune
Le bruit du monde - 21 €