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Accueil Blog Page 186

OCCITANIE : Balade dans les ruines plurielles

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Austerlitz © X-DR

Il y a des spectacles intenses, qui tout de suite nous accrochent et nous entraînent dans un tourbillon d’émotions et de sensations. Et puis il y en a d’autres qui nous emportent, mais plus doucement, nous bercent et nous ouvrent à d’autres réalités. C’est de ceux-là qu’est Austerlitz, de la chorégraphe Gaëlle Bourges.

Une voix off d’abord, raconte les premiers contacts de la narratrice avec la danse. Un spectacle, quand elle avait cinq ans, dans lequel elle devait bercer un poupon en plastique. Elle dit son amour immédiat pour la scène, et puis révèle qu’elle n’a jamais pu avoir d’enfant, que son ventre n’en accepte pas. « Plus tard, j’ai eu d’autres enfants, des enfants imaginaires, mais ça je ne peux pas vous en parler, c’est un secret ». 

Son récit est accompagné de diapositives, projetées sur un petit écran blanc, sur la gauche du mur derrière la scène. Apparaissent sur le plateau les interprètes derrières un autre écran, transparent cette fois, et vêtus de costumes divers – habits de la Renaissance, justaucorps… un par un, ils se détachent du groupe puis y reviennent, tandis que des voix diffusées par les haut-parleurs s’adonnent à un énigmatique comptage, un, deux, six, deux-mille.

Tout au long de la pièce, la lumière se coupe et se rallume, faisant apparaître un nouveau tableau, disparaître certains personnages. Séparés du public par l’écran transparent, les interprètes semblent eux-mêmes peupler des diapositives comme celles projetées derrière la scène. Cette impression est amplifiée par les paroles, les voix pré-enregistrées sur la bande-son. Ils accompagnent celle de la narratrice de façon plus ou moins littérale, mêlant imitation de chorégraphies de grands danseurs américains, polka et longues traversées. Par moment, à cause de la diversité des costumes, le spectacle ressemble à un gala de danse d’enfants, comme celui dont parle la narratrice au début. Peut-être est-ce eux, ses enfants imaginaires ? 

Une mémoire collective 

La narratrice déroule le récit de sa vie, et celles des personnes qu’elle rencontre. Elle navigue entre les lieux et les époques où parfois les expériences, les passions ou les traumatismes des différents protagonistes se recoupent. Cette autobiographie collective rencontre l’histoire, les génocides des Juifs ou des Amérindiens, les guerres coloniales, l’esclavage. Et puis l’histoire de l’art et de la danse, du chorégraphe Steve Paxton à la vie en clinique psychiatrique d’Aby Warburg, en passant par les spectacles de Buffalo Bill et le film Le Bonheur d’Agnès Varda. 

Elle raconte aussi ses rêves, et fait transparaître dans son récit la genèse du spectacle, révélant au fur et à mesure le sens énigmatique du titre. 

On ressort abasourdi de cette longue ballade à travers les ruines d’une mémoire plurielle, ce long récit d’histoires personnelles et collectives, dans lequel chacun peut un peu se retrouver, doucement désarmant. 

CHLOE MACAIRE

Austerlitz de Gaëlle Bourges, était joué les 6 et 7 mars au Théâtre de la Vignette à Montpellier

Femmes hybrides

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© Laurent Eisler

En prélude à + de genres David Dibilio, chargé de programmation à Klap, présentait une programmation entièrement féminine, et féministe. La performance Jum’s de Marion Sage est une conférence multimodale, espiègle et mutine, pince-sans-rire toutefois. Elle repose sur un travail passionnant de recherche sur Julia Marcus, danseuse juive et communiste fuyant Berlin en 1942 et jouant à Paris à la « Jument de fiacre ». Une évidente analogie avec la courtisane, femme libre en résille qui affirme son désir et mène la course. La conférencière parle, illustre son propos par des photos, puis parcourt la scène en s’équidant peu à peu, hybride de jument, finissant par une belle chanson slamée. Un petit bijou revêche et féministe, version L.

Appropriation féministe

Après deux résidences au 3bisF Maud Pizon crée son Cover avec ses trois musiciennes et affirme  tranquillement comment l’appropriation culturelle – celle du répertoire chorégraphique par les femmes – est réjouissante. De l’image du Cygne voletant à celle de l’Elue violée du Sacre, les femmes écrites par des hommes de la danse sont dynamitées, et rapprochées de celles des chorégraphEs : arrimées à terre comme la Sorcière de Mary Wigman, éplorée et touchante comme la Mère d’Isadora Duncan, ou sans contrefaçon comme Mylène Farmer.

Les trois musiciennes, Yuko Oshima à la batterie Christelle Séry à la guitare, Olivia Scemma à la basse et toutes sortes de sampler, sont cocréatrices et interprètes, dansant avec Maud Pizon, mais surtout accompagnant magnifiquement son dynamitage, de musiques toutes (sauf Mylène) écrites par des hommes. En commençant par une version rock très dézinguée du Cygne de Saint Saëns, puis en offrant une version du Sacre du Printemps d’anthologie : n’en conservant que la rythmique, et quelques citations mélodiques, comme le squelette réhabillé, et pourtant visible, de l’œuvre. 

AGNÈS FRESCHEL

Jum’s et Cover ont été créés à Klap - Maison pour la danse, Marseille
À venir
+ de genres se poursuit jusqu’au 27 mars

BIENNALE DES ÉCRITURES DU RÉEL : Écrire notre réel, ensemble

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MEMM - au mauvais endroit au mauvais moment © Jerome-Heymans

Zébuline : Comment définiriez-vous les écritures du réel ?

Laura Falzon : Ce sont des écritures qui partent des gens, de récits de soi et d’histoires vécues. Elles naissent d’une volonté de questionner l’état de nos sociétés et l’ordre du monde, et engagent la vision d’un artiste,  d’un auteur ou d’un chercheur qui pose sur le monde un regard sensible et poétique mêlé de politique. 

Comment ont été pensées les trois grandes traversées autour desquelles s’articulent la programmation ?

Les traversées, c’est vraiment un fil rouge, une dialectique, une entrée possible dans la programmation. Elles sont conçues pour dérouler un chemin,  de la première « Se dire » à la dernière « Faire nous ». L’idéeest d’entrer dans la programmation par le récit de soi, qui est la matière initiale des écritures du réel. Cette première traversée propose surtout des solos intimes, des histoires vécues qui questionnent la manière dont advient la construction de soi au sein du corps social et de la société. 

La deuxième, « Renverser », élargit la focale pour venir interroger des enjeux plus globaux, politiques, sociétaux, contemporains. Ce mot évoque à la fois l’affrontement, le détournement, le changement de perspective pour comprendre et parfois détricoter les systèmes qui régissent nos sociétés. Le croisement art-science est très présent sur cette traversée-là, avec des rencontres, des conférences, des formes hybrides, qui vont inviter à croiser les regards d’artistes et de chercheurs et chercheuses. 

La troisième traversée est une tentative de dépassement par le « nous ». Il s’agit de questionner la manière de faire du collectif à l’heure des individualités reines, un appel à l’action collective. Cette troisième traversée est marquée par des créations partagées, des scènes ouvertes, des journées immersives. L’idée est d’inviter chacun à ajouter sa pierre à l’édifice. 

Il y a plusieurs « journées festives et partagées » dans cette édition. En quoi consistent-elles ? 

Nous voulons amener des programmations pluridisciplinaires dans des lieux non dédiés, vers des territoires qui, très souvent, en restent éloignés. On sera toute une journée dans les quartiers Nord de Marseille, avec une programmation plurielle qui mêlera à la fois des pratiques non professionnelles avec une scène ouverte, par exemple, et puis les spectacles professionnels. On partagera aussi un goûter préparé par les habitants et encadré par l’association du Bouillon de Noailles. C’est une autre manière de tisser des programmations. On expérimente aussi pour la première fois des programmations partagées, avec Cap à l’Est. On a proposé à des complices, qui suivent l’activité du théâtre et de la biennale depuis un moment, de choisir une programmation et de participer à l’organisation d’une journée. 

ENTRETIEN REALISE PAR CHLOE MACAIRE 

7e   Biennale des Ecritures du réel 
Du 20 mars au 25 mai
Divers lieux, Marseille
theatrelacite.com

Trois programmes

La biennale s’ouvrira le 20 mars au Théâtre Joliette avec Portraits sans paysage, fruit d’une enquête menées par les acteur.ice.s du Nimis Groupe sur la question des camps de réfugiés dans le monde. Cette première soirée, organisée en partenariat avec SOS Méditerranée, initiera une réflexion autour des migrations à laquelle  participeront d’autres spectacles de la première traversée, comme Tijuana (22 et 23 mars) de la compagnie mexicaine Lagartijas tiradas al sol, ou encore Pirates (27 mars), lecture performée de Mohamed Bouadla, Manon Davis et Luanda Siqueira. Aura également lieu une projection du film Leur Algérie de Lina Soualem à La Baleine le 28 mars
« Se dire » abordera aussi la condition des ouvriers dans les usines avec A la ligne (22 et 23 mars), mis en scène par le responsable artistique du Théâtre de la Cité Michel André, et proposera des étapes de création  de Macc(h)abées de Sophie Warnant (23 mars) et  de SurMoi de Iraki (le 29 mars). 
Le 26 mars aura lieu la première soirée de la traversée « Renverser » avec La visite curieuse et secrète de David Wahl, qui sera suivie d’une rencontre entre l’artiste et la navigatrice Capucine Trochet.  C.M.

Dansez Jeunesses !

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Paysage apres la bataille © J.C Carbonne

Voilà désormais près de dix ans que la jeune formation affiliée au Ballet Preljocaj, devenue Ballet Preljocaj Junior en 2017, accueille de jeunes danseurs tout juste sortis de leur écoles supérieures et leur sert de tremplin à de belles carrières. Un dispositif d’insertion qui accueille chaque année douze apprentis, de même que le Jeune Ballet d’Allemagne en accueille huit, et le Ballet Junior de Genève environ dix-huit. 

Trois belles formations que le public pourra découvrir respectivement le 16 mars à 14h30 et 19h dans Paysage après la bataille, chorégraphie signée par Angelin Preljocaj en 1997 ; le 19 mars à 20h, avec Un lien solitaire, pièce signée Raymond Hilbert portée par la musique de Schubert, et créée en 2020 ; et enfin le 21 mars à 20h dans la pièce déjà culte du barcelonais Marcos Mauro, Cathedral, créée en 2019 sur la sublime partition d’Arvo Pärt. Les grandes écoles seront également à l’honneur, puisque la néerlandaise Codarts s’attellera le 19 mars au pièces de Keith-Derrick Randolph et Cayetano Soto, A song for you et Sortijas & Masarylova Ulica, avant que la classe du CNSMD de Paris n’interprète le célèbre Concerto de Lucinda Childs, grand classique de la danse moderne (ou l’inverse ! ). 

Le jeune ballet helvétique partagera également l’affiche le 21 mars avec le CNSMD de Lyon et le CNSMD de Paris, respectivement sur Half Life, pièce brève réjouissante de Sharon Eyal et tHe BaD du génial Hofesh Shechter

La soirée du 23 mars célèbrera elle aussi les écoles et académies : celle du Théâtre de la Scala, qui présentera côte à côte le classique de Marius Petipa Paquita et une relecture plus contemporaine du pas-de-deux par Demis Volpi ; celle du CNSMD de Lyon, de retour pour Streams & Overflows du grec Harris Gkekas ; et enfin le Cannes Jeune Ballet Rosella Hightower cloturera avec Un momento di felicità de Renato Zanella

SUZANNE CANESSA

Les rencontres des ballets juniors européens
du 16 au 23 mars 
Pavillon Noir, Aix en Provence

Lire c’est créer

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© X-DR

« Lire est un acte de création » explique Éric Blanco, co-fondateur des éditions Plaine Page avec Claudie Lenzi. Aussi, les deux infatigables amoureux des mots et des livres ont relié textes et créations plastiques dans ce projet, Les Premières pages : la mémoire du livre. La genèse de l’exposition remonte à 2006. Récemment installés à Barjols, les deux artistes ont fondé une librairie-galerie au 22 de la rue de la République. Était née la ZIP 22, Zone d’Intérêt Poétique. Au cœur de la démarche de faire connaître les auteurs, s’est posée la question de ce que ces derniers lisent… Ce fut d’abord la vingt-deuxième page, en écho à l’adresse physique de la ZIP 22, qui servit de support à une présentation par les auteurs, autrices, plasticiens et plasticiennes, créateurs et créatrices : la page 22 était annotée remodelée, dessinée, objet de rêveries, de coupures, d’ajouts, de strates multiples, ajoutant à la lecture le déploiement de l’imaginaire qu’elle induit. Puis, la mise en scène de la lecture réclama une entrée plus directe : la « première page » du texte devint le lieu d’une mise en scène de la lecture, d’une « interrogation sur les liens possibles entre la première page, le livre et l’acte créatif développé par l’artiste » (É. Blanco). 

Woolf, Pétrarque et Saint-Ex

La lecture, cet acte intime rendu public dans la présentation de ces premières pages de livres aimés, préférés, de chevet, de secours, de soutien, culte, incontournables, se transforme grâce au prisme de la subjectivité de chaque lecteur en recréation littéraire. S’ajoutent aux pages exposées, les performances in situ des artistes qui commentent leurs choix, féminisme de Virginia Woolf, équilibre d’un poème de Pétrarque, Lettres à un jeune poète de Rilke, rêverie sur la plage de Tipaza de Camus, baobabs du Petit Prince de Saint-Exupéry… L’installation s’enrichit au fil des années de nouvelles contributions. L’art s’affirme exercice de liberté.

MARYVONNE COLOMBANI

Les Premières pages : la mémoire du livre
9 au 24 mars
Médiathèque Chalucet, Toulon
toulon.fr

DIASPORIK : les cultures de l’exil ont leur chronique  

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Samia Chabani : « Sur les parcours hérités des marges et des délaissés, Ancrages apporte sa contribution à la transmission des cultures et mémoires d’exil de Marseille. 

Dépasser la confidentialité de la recherche et valoriser les parcours d’habitant·e·s m’ont offert de nombreuses occasions de rencontre. Cette chronique sera l’occasion de poursuivre et de vous emmener à la rencontre de figures emblématiques. Celles valorisant un quartier populaire, une communauté diasporique ou un événement scientifique ou culturel

Samia Chabani © X-DR

À Marseille, les identités narratives sont multiples, métissées, aux contours perméables… Cet espace narratif propose de se départir des catégories administratives et identitaires qui enferment, assignent, épuisent toute créativité, dans un contexte où la condition cosmopolite prévaut. C’est une invitation régulière que je vous propose, ouvrant sur les sciences sociales et la poésie, la recherche comme le sensible. Ici, les frontières se voudront imaginaires, les histoires vraies croiseront les mythes, les imaginaires et les utopies viendront disputer l’argument du réel. 

Etes-vous prêt à embarquer pour un nombre d’escales inconnu, à travers les ports et leurs habitant·e·s ? 

Car si l’histoire de la Méditerranée est fameuse par les sièges, les chutes et prises de possessions et de pouvoirs, elle a également su transmettre une culture d’hospitalité qu’il apparaît urgent de remettre au-devant de la scène.

Au travers de mon expérience, j’ai pris la mesure du nombre de celles et ceux qui se sentent à la marge du droit au récit, du droit à la ville ou de la mobilité ! Alors, nous porterons notre attention sur les angles morts de l’histoire des habitants des quartiers populaires, des artivistes, des femmes, des étrangers, des voyageurs et autres « sans voix » dont on ignore l’opinion et l’avis, dont on conteste la légitime expression et que les conditions assignent trop souvent au silence. 

À Marseille, l’altérité prend naissance dans son mythe fondateur, celui de Gyptis et Protis.
En attendant que la vérité émerge entre mythe et légende, entre archéologues et conteurs, faisons nôtres, toutes ces pistes qui fondent nos héritages communs. Relevons le défi de la construction du récit, parce que se raconter à soi et aux autres participe de notre humanité.

C’est par le récit que nous existons et que nous nous désignons au monde ! C’est ainsi que nous parviennent les paroles de la poétesse et du sage, de Kharboucha et de Moha autant que d’Hermès et de Gaïa. Ce sont les paroles de félibre, du griot, du chaman que porte le vent jusqu’à Marseille… Les contes s’entremêlent tel un sabir et s’inscrivent dans le vent quand il se lève, comme pour nous rappeler que le sens du vent comme celui de l’histoire n’attend pas ! L’histoire a un sens parce qu’elle est le lieu où se fait notre humanité. 

Alors, le mistral nous rendra-t-il fous en chalant ces paroles jusqu’à nous ?

Longtemps les diasporas ont désigné des communautés dispersées, parfois apatrides, souvent minoritaires. Aujourd’hui, cette notion s’adapte au changement de paradigme des migrations et les mobilités humaines. L’horizon qu’elles dessinent est cosmopolitique, et n’équivaut ni à la « gouvernance mondiale », ni à la « communauté internationale », ni à la « mondialisation » économique et financière. Dans ce contexte, le processus de racialisation prend une résonnance transnationale avec des connexions qui s’opèrent autour de questions clés. »

En partenariat avec l’association Ancrages, Diasporik est à retrouver chaque semaine dans nos pages. 

DIASPORIK : La Savine : une histoire de « rénovation sociale »

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Michel Peraldi et Soly Mbaé © X-DR

Il y a plus de 20 ans, la Politique de la Ville mettait en place des programmes de rénovation urbaine pour les quartiers populaires, sans concertation ou presque avec les habitants. Dans le quartier marseillais de La Savine en 1996, au contraire, des habitants et voisins d’origines multiples, ont pris en main la « rénovation sociale » de leur quartier. 

La Savine se trouve en haut d’une colline et s’étale sur 13 hectares tout en ayant compté près de 1 400 sociaux logements à sa construction en 1973 et plus de 3 000 habitants. Dans le cadre de la rénovation menée par l’Anru, le quartier a subi la destruction de plusieurs centaines de logements, réduisant le nombre d’habitants à moins de 1 000 en 2018.

La soirée animée par la journaliste Nina Hubinet ouvre le débat sur les conditions de vie actuelles dans ces quartiers et les effets durables de ces politiques publiques de rénovation. Quel en a été l’impact de la transformation de l’habitat sur la place des habitants et en matière de mixité sociale ? 

Le film La ville en marche projeté en présence du réalisateur Dominique Bidaubayle donne la parole aux habitants de La Savine en 1996 et témoigne de leur enthousiasme à participer à l’amélioration de leur cadre de vie. Comme pour Nedjma Sellami, arrivée à 9 ans dans le quartier, et qui a connu la vie dans les anciens blockhaus datant de la Seconde Guerre mondiale, puis dans la cité provisoire avant d’accéder finalement au logement social développé par la Logirem…

Issus des migrations post-coloniales, en provenance des Comores, du Laos ou de Tunisie, La Savine est une cité-monde au cœur des collines marseillaise. 

Soly Mbaé, membre du groupe B-Vice et Michel Péraldi, sociologue, reviennent sur l’enclavement de la cité qui compte rapidement plus de 5 000 personnes. Pour Soly, La Savine est un grand village qui souffre de l’absence de mobilité – avec une seule ligne de bus pour le desservir –, un niveau de commerce insuffisant, mais une entraide réelle entre acteurs associatifs. 

Michel Péraldi revient sur la dégradation du tissu associatif de proximité, l’institutionnalisation des dispositifs de concertation et le « rapt » des décisions qui ont largement échappé aux concernés pour mener à une rénovation qui désenclave le bâti mais déconstruit durablement le lien social. Une rétrospective de l’engagement des habitants, violemment ébranlée par l’assassinat d’Ibrahim Ali le 21 février 1995, un enfant de La Savine, ainsi que sous l’effet des politiques sociales qui destituent les acteurs de leur rôle plutôt que de le renforcer. 

Les échanges évoquent les souvenirs d’une dynamique portée entre voisins, entre communautés migrantes mais avant tout de destin !Le partenariat avec le bailleur Logirem constitue un axe fort de prise en compte des doléances et favorable au développement d’une vie associative de proximité dont on peut regretter l’épuisement, aujourd’hui.

Dans le documentaire, les portraits des figures emblématiques se succèdent, Nedjma Sellami, présidente de l’ASVT, Association de Locataires Savine Vallon des Tuves et de l’association Ensemble, l’enseignante Suzanne Ragonne, Mohamed Said Soihili dit Bruce, Loutfi Blaiej, du club sportif savinois, Simon Phrav, Ibrahim Mze, monsieur Boivin y compris celle de Frédéric Vidal de l’unité de prévention de la Police qui témoigne de l’enjeu de cette communauté de « veille » en faveur de l’entraide dans le quartier.

À l’heure des JO 2024, où l’on s’interroge sur l’enjeu du sport, la culture et l’engagement comme leviers d’inclusion, le gouvernement annonce via décret l’annulation de nombreux crédits dont ceux de la politique de la ville à hauteur de 49 millions. Il semble grand temps de doter la vie associative d’un « grand plan pour Marseille ». 

SAMIA CHABANI

DIASPORIK : Comment décoloniser les arts ? 

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La conférence « Décoloniser les arts : déboulonnage ou pédagogie ? » s’est tenue le 11 mars au Mucem © X-DR

Les « procès du siècle » sont devenus des rendez-vous incontournables pour les amateurs de questions contemporaines en quête de débat qualitatif : les échanges s’y construisent autour de l’argumentation et la présentation de pièces à conviction, invoquées sous forme d’œuvres, de témoignages, voire de photos de famille… L’espace de délibérations fait la part belle aux citoyens, conservateurs et chercheurs dans une savante articulation. La commission d’enquête et la restitution du débat contradictoire étaient assurées le 11 mars par les élèves de seconde du Lycée Pierre-Gilles de Gennes de Digne-les-Bains. 

Restitution, hommage public dans la toponymie, patrimoine statuaire, étaient interrogés. Des questions qui illustrent les combats et agitent nos sociétés contemporaines. Le titre « Décoloniser les arts : déboulonnage ou pédagogie ? » semblait annoncer un débat clivé, mais c’est autour d’expertes du sujet que se tient le procès mené par Rokhaya Diallo. Faut-il faire du « cas par cas », traiter une allégorie de la même façon que la statue d’un militaire ayant massacré des populations civiles sous l’esclavage ou les guerres coloniales ?

Qui sont ces personnalités qui ont assuré leur postérité et mobilisé la souscription citoyenne, pour que le récit national garde leur trace ? Faut-il rééquilibrer en genre, origine et personnalités locales ou plus radicalement, « renverser la table » et ne plus laisser l’empreinte de ceux qui commis l’inacceptable au « nom de la patrie reconnaissante » ?

Interroger la « radicalité »

Eva Doumbia (autrice, metteuse en scène, comédienne), membre fondatrice du collectif d’artistes Décoloniser les arts, invite à interroger les pratiques artistiques à l’aune des « rapports raciaux » hérités de la colonisation française et de l’histoire de l’esclavage. Elle préconise de poursuivre cette sensibilisation comme une démarche à la fois personnelle et collective et d’analyser la colonialité à l’œuvre dans le monde des arts et de la culture en France, en s’appuyant sur l’ouvrage Décolonisons les arts ! de Leila Cukierman, Gerty Dambury et Françoise Vergès. Pour Nacira Guénif-Souilamas, autrice d’essais de sociologie sur la question des représentations qui font date, il s’agit de s’émanciper d’une occultation délibérée en articulant pédagogie et interpellation, et de démystifier l’idée que nos institutions patrimoniales « prennent soin » des objets collectés dans les colonies.

Il s’agit de décentrer le regard et d’admettre que la dépossession et la scénographie encore écrasante soient dénoncées. 

La radicalité des postures est souvent interrogée dans le champ de la recherche universitaire ou de l’action militante autour des dialogues féministes décoloniaux, ou des préconisations autour des restitutions. Ces évolutions, souvent qualifiées de « radicales », ont produit de nouvelles formes de savoirs qui diffusent durablement la pensée décoloniale. 

SAMIA CHABANI

La conférence « Décoloniser les arts : déboulonnage ou pédagogie ? » s’est tenue le 11 mars au Mucem, Marseille

Mistral gagnant ?

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© Tnk1PrdZ

Les langues vivantes doivent beaucoup aux artistes qui l’utilisent, l’animent, en jouent. Dans son discours annonçant la troisième édition de « Une année, un auteur », le conseiller régional Jean-Pierre Richard rappelle que le provençal est une langue qui a été construite et codifiée par Frédéric Mistral. En défendant cette langue et les traditions provençales, le natif de Maillane a inscrit la Provence dans un imaginaire auquel nous nous référons toujours aujourd’hui. Le directeur de l’Observatoire de la langue et de la culture provençales Terry Chabert le rappelle, cette année est celle d’un triple anniversaire : les 110 ans de la disparition de Mistral, les 120 ans de son prix Nobel et les 170 ans de la création de son association Félibrige vouée à la défense de la langue et de la culture provençale. Pour l’occasion, une pièce de théâtre inédite mise en scène par Gérard Gelas et parrainée par Jean Reno débutera dès cet été et tournera dans tout le territoire. Quant au reste des projets, c’est surtout la structure Félibrige qui s’en charge, aux côtés des villes et des associations locales. Le président du Félibrige Paulin Reynard déclare que le but de son association est d’enrichir la langue provençale, de créer autour de celle-ci et de la partager, pas uniquement régionalement mais aussi nationalement. Il affirme que le provençal est une langue vivante et qu’elle n’a pas fini de faire parler d’elle. C’est d’ailleurs le thème du premier événement s’intitulant : « À 170 ans, non, le Félibrige n’a pas tout dit ! » qui se déroulera à Gréoux-les-Bains. L’année labellisée Frédéric Mistral par la Région peut se résumer en un souhait qu’exprime Jean-Pierre Richard en reprenant les mots provençaux de Mistral, traduisibles ainsi : « nous la garderons coûte que coûte, notre belle et rebelle langue d’Oc ». 

Prendre garde aux vents contraires

La figure de Frédéric Mistral peut nous fédérer autour d’un socle commun de traditions provençales qui s’inscrivent plus largement dans notre patrimoine français. À cet égard, Jean-Pierre Richard souligne que le poète a obtenu un prix Nobel de littérature qui l’a fait reconnaître nationalement et internationalement en tant que grand écrivain français. Cependant, l’héritage mistralien divise aussi, au sein de la lengo nostro. La langue d’Oc a deux écoles, deux graphies : l’une dite provençale ou mistralienne et l’autre dite occitane ou classique. Les deux courants sont souvent en désaccord et il faut prendre garde à ce que cette année Mistral ne devienne pas le théâtre de querelles linguistiques contreproductives. La langue d’oc, quels que soient ses variantes (languedocien, provençal, alpin, auvergnat, limousin, gascon etc.), souffre de la même perte de vitesse et a plutôt intérêt à faire front commun pour perdurer. 

Et plus récemment le nom de Mistral s’est vu rattaché à des contentieux juridiques. L’entrepreneur Vianney d’Alançon, devenu membre du Félibrige en 2022, vient d’être condamné à remettre en l’état l’extérieur du château de la Barben dont il se servait illégalement pour son parc à thème provençal du Rocher Mistral. Or ce parc d’attraction a reçu plusieurs millions d’euros de subventions de la part des différentes collectivités. De plus, des historiens comme Xavier Daumalin redoutent un « projet politique » derrière le Rocher Mistral, à la manière du Puy du Fou dont les distorsions historiques à visées idéologiques ne sont plus à prouver [lire notre entretien avec Xavier Daumalin]. Jean-Pierre Richard déclare néanmoins « attendre pour voir » – Vianney d’Alançon a fait appel – tout en affirmant que le parc suit une ligne historique sans « erreurs fondamentales » et que « la représentation en matière de culture et de langues régionales tient la route ». On compte en tout cas sur la Région et le Félibrige pour que cette année prometteuse ne soit pas entachée par de telles polémiques. 

RENAUD GUISSANI 

Une année un auteur : Frédéric Mistral, inventeur de la Provence
Jusqu’au 13 décembre
Région Sud 

Une féministe dans la résistance

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Berty Albrecht © Tnk1PrdZ

Inscrit dans le cadre du « Forum Femmes, debout, femmes en résistance », ce temps fort de la vie du Camp des Milles nous fait découvrir le personnage fascinant et avant-gardiste de Berty Albrecht, née à Marseille en 1893 dans une famille protestante suisse. Suivant la « tendance historiographique actuelle qui s’intéresse aux gens qui ont agi plus qu’aux grands mouvements », Robert Mencherini présente son dernier opus Berty Albrecht, de Marseille au Mont-Valérien, une féministe dans la résistance

Un problème de proportion 

Son travail s’est appuyé sur une collecte documentaire qui reçoit encore aujourd’hui, après la publication de son ouvrage, de nou- veaux éléments. Un considérable corpus de lettres conservées au Musée d’histoire de Marseille qui dispose d’un fonds Berty Albrecht, et permet de comprendre de l’intérieur le parcours de cette femme brillante ainsi que son engagement dans la Résistance. « Elle est l’une des six femmes “compagnon de la Libération” sur les 1038 compagnons, ce qui est très en-deçà de leur proportion dans la Résistance. De même elle est l’une des deux femmes à être inhumée au Mont-Valérien sur les 1008 personnes à s’y trouver… là encore, la proportion est loin d’être juste », explique l’historien qui déroule le fil chronologique de la vie de cette héroïne qui reçut « une formation scolaire laïque, grâce à la loi Camille Sée, au lycée Montgrand ».

Infirmière durant la Première Guerre mondiale, elle fondera la revue féministe Le Problème sexuel, défendant le droit à l’avortement et l’homosexualité en 1931. En 1941 grande résistante, elle organise le mouvement Combat aux côtés d’Henri Frenay… Sa vie s’arrête le 13 mai 1943 à Fresnes, où elle se pend dans sa cellule. Les lectures subtiles de Marie Rodrigue et la guitare et le violon virtuose de Christian Fromentin de la Compagnie Padam Nezi, venaient apporter un surplus d’humanité et de fraîcheur au récit de l’historien. La Complainte du partisan (chanson d’Anna Marly écrite en 1943) venait clore la soirée sa poésie désespérée : « et la liberté reviendra/ on nous oubliera/ nous rentrerons

MARYVONNE COLOMBANI

Conférence donnée le 7 mars à auditorium du Camp des Milles, Aix-en-Provence. 

Les artistes face au génocide au Rwanda
Le Camp des Milles, dont la particularité a été d’interner un grand nombre d’artistes, privilégie la part de l’art comme outil de résistance et de réflexion. Trente ans après le génocide visant les Tutsis au Rwanda, la question continue de se poser : « comment cela a-t-il été possible ? ». Depuis la stigmatisation d’une minorité, l’usage d’un vocabulaire qui dénie peu à peu les caractéristiques humaines, à la persécution, aux actes racistes et à leur extension de masse, la réflexion sur le tragique engrenage se pose. La nouvelle exposition temporaire, Vies d’après : des artistes face au génocide des Tutsis du Rwanda  offre un florilège des œuvres de Bruce Clarke, qui présente ici une résistance artistique contre l’oubli et la réitération des engrenages meurtriers qui n’épargnent aucune partie de la planète. M.V.

15 mars au 9 juin 
Entrée libre
Camp des Milles, Aix-en-Provence
04 42 39 17 11 
campdesmilles.org