vendredi 1 août 2025
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La poésie du bordel

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© Axel Gaudin

L’auteure, metteuse et scène et comédienne Fanny Delgado et son co-auteur et scénographe Guillaume Finocchiaro conservent de la pièce matrice de Regnard (1696) le scénario de l’enfermement d’une jeune fille par son tuteur, auquel est conjugué le motif baroque de l’illusion emprunté à Calderón. 

Mais le XVIIe siècle dialogue avec de nombreuses autres influences : l’idéalisme désillusionné d’Éraste rappelle celui du Perdican de Musset et le lyrisme amoureux laisse entendre la voix d’Aragon. Cette poésie transposée dans un lupanar tenu par Albert rencontre des thèmes plus contemporains avec le féminicide et le viol racontés par Éraste qui complexifient la glaçante relation d’emprise qu’Albert exerce sur sa pupille. Loin de constituer une fin heureuse classique, la réunion des deux amants au dernier acte propose une méditation sur la fugacité de l’amour qui n’aura pas résisté au quotidien et une réflexion sur l’illusion théâtrale. Ambre, personnage principal de la pièce qu’elle se raconte, est devenue une bête de foire dans un cirque anxiogène, avec Albert comme impresario (et mari ?). 

La palette de tons et d’émotions est subtilement nuancée  par les comédiens :  Charles Leys (Crispin) plante un digne héritier du valet de comédie avec sa malice énergique qui tempère la sensibilité mélancolique de Gabriel Ponthus (Éraste). Dario Tarantelli excelle dans la partition du barbon-proxénète qui drape sa perversité dans sa veste de soie. La pétillante Cristal Steimen (Lisette) apporte une respiration dans cette atmosphère suffocante. Enfin, Fanny Delgado incarne magistralement la diversité des registres incombant à son rôle : jeune ingénue qui rêve dans la dentelle ; amante incandescente qui entame un pas de deux dans le bordel où elle admire les « charmants oiseaux sauvages perchés sur leur soulier de cuir » (« Ce sont des putes », lui rétorque Crispin), et enfin, Médée furieuse et rugissante. 

Mathilde Mougin

Une Folie amoureuse ou ça ira bien l’amour a été joué à la Manufacture de la Cité du Livre le 15 février 

Composer ses a(e)ncrages

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Alice Zeniter © M.C.

À son étape de Pertuis, en primeur, la romancière, traductrice, scénariste, dramaturge et metteuse en scèneAlice Zeniter offrait au public de l’auditorium de la médiathèque des Carmes les premières pages de son prochain roman. « Je ne l’ai même pas encore envoyé à mon éditrice ! » 

La voix de l’autrice se pose sur ses lignes toutes fraîches, rythme fluide, nuancé, vivant dans la théâtralisation subtile des pensées des personnages. On ne divulguera rien, sinon que cela se déroule entre la métropole et la Nouvelle Calédonie ! Il faudra attendre la fin de l’année pour lire enfin ce qui s’annonce comme un petit bijou de finesse, d’humour et de pertinence dans son examen du passé colonial, thème qui n’est pas sans évoquer celui de L’Art de perdre

Lors de son entretien avec Élodie Karaki, l’autrice revenait sur le voyage, le motif de la traversée, si fécond. Employé déjà dans L’Art de perdre, le voyage n’est pas qu’un trajet. Elle revient aussi sur une technique d’écriture qui lui est familière : les personnages se racontent à eux-mêmes dans une mise en abîme du récit. « Quand je crée un personnage, ce ne sont pas deux adjectifs qui le définissent, mais sa voix intérieure qui fait la narration. J’ai ainsi tendance à vouloir croire que même le dernier des racistes a une petite voix derrière lui qui lui dit qu’il est con. Ce n’est pas chercher des excuses, mais les êtres monobloc ne m’intéressent pas, c’est pour cela que je les construis comme des poupées russes afin qu’ils soient dotés de plusieurs épaisseurs. » 

La publication d’ouvrage féministe a aiguisé sa façon d’accéder à des manières politiques d’analyse : « Les questions en elles-mêmes sont très belles : quand je vois des gens qui se demandent pourquoi il faut détruire certaines choses, les repenser, c’est extrêmement stimulant. Les livres décloisonnent, changent nos angles de vue ». Elle écrivait déjà, dans Toute une moitié du monde qui recense l’écriture invisibilisée des femmes, mais aussi et surtout l’expérience, pour une femme, de lire (enfin) des femmes  « dès qu’on porte le regard un peu plus loin, on s’aperçoit que mille lignes se poursuivent ».

MARYVONNE COLOMBANI

Alice Zeniter était présente à Pertuis le 16 février (médiathèque des Carmes) dans le cadre des Nouvelles Hybrides, le 14 février à Marseille (L’hydre aux mille têtes), le 15 février à La Seyne-sur-Mer (Librairie Charlemagne) le 17 février à la Ciotat (Cinéma Eden) dans le cadre des Tournées générales de Libraires du Sud

Frac In Vivo

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Exposition Apophenie Frac Sud - Cité de l’art contemporain © M.V.

Après 40 ans d’achats, la collection du Frac Sud comprend aujourd’hui plus de 1400 œuvres, signées par plus de 650 artistes, réunies dans des réserves au sein même du bâtiment marseillais. Qu’il ne s’agit évidemment pas de laisser s’ endormir. De nombreux projets sont inventés tout au long de l’année, pour diffuser et valoriser cette collection, faisant intervenir des partenaires divers, dans toute la région. Cette diffusion et valorisation de la collection se fait aussi au sein des espaces d’exposition du bâtiment à Marseille, avec, jusqu’au 24 mars, l’exposition Apophénie

Troubles de la perception

On apprend à cette occasion que le terme d’« apophénie » signifie en psychiatrie « altération de la perception, qui conduit un individu à attribuer un sens particulier à des événements banals, en établissant des rapports non motivés entre les choses ». L’exposition a été conçue pour le plateau « expérimentations » du Frac par neuf étudiant.e.s du master Art et Scénographie du Pavillon Bosio  ( Monaco) et du master Sciences et Techniques de l’exposition (Paris 1), accompagné·es par leurs enseignants. Autre précision : « Cette exposition invite à un décentrage du regard afin de considérer pleinement les merveilles données à voir par l’impermanence ». 

On rencontre la première impermanence dès le palier : apparition et  disparition de volutes savonneuses sur une vitrine en verre, voluptueuses, chorégraphiques, réalisées par le Laveur de carreau, filmé par Anna Malagrida. D’autres vidéos, où se produisent des phénomènes aux limites du formel et de l’informel, nous attendent, au sein de ce plateau  transformé en patio par les jeunes commissaires. Des paysages de putréfactions colorées, filmées en macro de Michel Blazy, formes bizarres qui émergent, liquides épais qui s’écoulent, mouches, asticots et araignées en goguette. « La danse infernale de la goutte d’eau » dans Caléfaction de Rémi Bragard. Un touillage glougloutant de bébés grenouilles flottant dans les limbes de Frogs de Martin Walde. Une sculpture, au sol et au centre, un tissu de sable froissé, réalisé par Linda Sanchez, alliance émouvante d’ordinaire et de précieux. Sur deux poteaux verticaux, deux photographies en noir et blanc de lacs d’altitude effacés, paysages de montagnes aux accents lunaires d’Isabelle Giovacchini, qui semblent dialoguer avec Intrusion image spectrale de Berdaguer et Péjus, tout autant qu’avec les morceaux de polystyrène colorés, tramés d’impact divers, spongieux, de Dominique de Beir. Une vitrine posée sur un socle noir vertical, Bloom (Age of Uncertainty) de Bianca Bondi, associe, entre archéologie et alchimie, des pierres semi-précieuses, des objets en métal, des éléments organiques stabilisés par des solutions chimiques ou cristallisés dans le sel. Bref, entre attraction et répulsion, ordinaire et précieux, vie et mort, immobilité et mouvement, tout est en place pour que les visiteurs puissent laisser libre cours à de belles apophénies.    

MARC VOIRY

Jusqu’au 24 mars
Frac Sud - Cité de l’art contemporain, Marseille

« Donner accès au plus grand nombre à la culture »

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Chantal Guittet-Durand dans son bureau au 63 Canebière © R.G.

Zébuline. Pouvez-vous présenter les prérogatives et les actions de la direction Culture et Société ? 

Chantal Guittet-Durand. Le rôle de la direction est de mettre en œuvre la politique culturelle de l’établissement et de promouvoir les arts et la culture auprès de la communauté universitaire. Nous avons deux grandes missions. Tout d’abord nous cherchons à développer la pratique artistique auprès des étudiants. Cela passe notamment par une offre d’ateliers de pratique amateure gratuite pour tous les étudiants. Nous avons mis en place un orchestre symphonique, un orchestre de jazz, une compagnie de danse et un ensemble vocal. 

Notre deuxième mission est de donner accès au plus grand nombre à la culture. Cela passe par le dispositif Pacte’Amu qui est un parcours d’accès à la culture pour tous les étudiants. Les étudiants bénéficient d’un tarif avantageux en présentant leurs cartes, plus réduit que le tarif jeune pratiqué par le partenaire. Nous essayons de cibler les spectacles vivants, car ce n’est pas forcément là où ils vont le plus. 

Dans le cadre de la programmation, comment gérez-vous les différences de spécialisations entre les facs d’Aix et Marseille ? N’y a-t-il pas un déséquilibre ? 

Quand nous avons programmé le campus de nuit à Luminy -malheureusement annulé à cause du plan Vigipirate – nous l’avons fait sur le thème des sports mais aussi des arts. Nous projetions par exemple de mélanger le sport avec le théâtre. Nous essayons de programmer de sorte à ce que cela réponde aux différentes spécialités des campus. C’est vrai qu’à Aix il y a presque tout le département Arts… et donc beaucoup de choses s’y passent. Mais maintenant depuis deux ans à St Charles, il y a le bâtiment Turbulence qui accueille aussi une grande partie de ce département, surtout pour les niveaux masters. 

Les sept nouveaux représentants étudiants du CROUS Aix-Marseille Avignon viennent d’être élu·e·s. Ils siégeront dans des commissions culturelles. Quel rapport entretient l’AMU avec le CROUS en matière de culture ? 

Ce lien culturel entre AMU et le CROUS passe par la Contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Les ateliers sont notamment payés par cette CVEC. Le CNOUS gère cela au niveau national et distribue ensuite régionalement. Sur les 100 € nous obtenons 43 € par étudiant dans les établissements. Le CROUS Aix-Marseille Avignon en bénéficie aussi et il a mis en place comme nous une commission culturelle qui s’apparente à nos commissions CVEC des établissements et des campus. 

Notre commission est liée uniquement à l’AMU. Vu que le CROUS sait que nous sommes présents sur Aix-Marseille, ils essayent de développer des actions sur les autres sites, où il n’y a pas grand-chose, où les actions ne sont pas ou moins prises en compte par l’université. Nous siégeons dans leurs commissions et le directeur du CROUS fait de même en siégeant dans les nôtres. C’est comme ça qu’on arrive à se compléter.

ENTRETIEN REALISE PAR RENAUD GUISSANI

Class’Eurock part en live 

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Tessina © X-DR

Raphaël Imbert, Fred Nevché, Dagoba… voilà quelques uns des prestigieux noms passés par Class’Eurock depuis sa création en 1991. Cette année, c’est à une 34e édition que le tremplin – toujours porté par l’association Aix’Qui – nous invite : à Aix-en-Provence, Forcalquier et Grasse, avec sur scène quelque 19 artistes de moins de 24 ans présélectionnées. Autant de musiciens qui ont répondu à l’appel à candidature lancé en novembre, et qui espèrent accéder aux autres temps forts du rendez-vous, que sont le stage Class’Eurock au printemps, et le grand final de juin. 

À tout seigneur, tout honneur, c’est à Aix-en-Provence que Class’Eurock débute sa tournée ce avec deux rendez-vous aux Arcades les 23 et 28 février. Parmi les artistes invités, on va découvrir Mathilde, Lanes, Ufo on line, Tessina [lire ci-dessous] ou Too Weirdo… Halte ensuite à Grasse le 2 mars, pour finir à Forcalquier le 9 mars – l’audition ne se tiendra finalement pas au K’fé Quoi comme prévu initialement, puisque cette salle emblématique a dû fermer définitivement ses portes… Une solution de repli sera annoncée prochainement nous explique l’organisation. 

Plus qu’un tremplin

Mais il serait trompeur de présenter Class’Eurock comme un simple concours. C’est avant tout un projet « culturel et pédagogique », qui « offre un accompagnement à la fois musical et technique ». Par exemple, les jeunes artistes pourront bénéficier de « balances commentées » par des professionnels avant leur concert et auront un retour personnalisé après celui-ci. Enfin, les huit lauréats participeront à un stage d’une semaine dans le Queyras au printemps. Au programme, « des séances avec un coach scénique, des séances d’arrangement studio, de la création de clip, de l’enregistrement, de l’échange et beaucoup, beaucoup de musique. » Des acquis que les musiciens pourront mettre en pratique le 21 juin lors du grand final donné sur le cours Mirabeau à Aix-Provence devant plusieurs milliers de personnes.

NICOLAS SANTUCCI

Zoom sur Tessina 
Parmi les artistes en devenir, Tessina est certainement l’une des plus belles promesses de la région. Sa musique, très singulière, qu’elle-même ne saurait vraiment définir « tout dépend de l’oreille qui écoute », navigue dans les courants chauds de la dream pop et du folk. Originaire de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume et âgée de 21 ans, elle s’est inscrite au tremplin pour se professionnaliser avec l’espoir de « vivre un jour de sa musique », elle qui n’a encore « jamais fait de démarche pour trouver une date »… Ce qui ne l’a pas empêchée de faire plusieurs concerts à Marseille au Leda Atomica, l’Intermédiaire et à la Salle Gueule notamment, accompagnée de Stella, sa partenaire de jeu à la batterie. N.S.

Les Hivernales : Danser Partout

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GIGI Chorégraphie et interprétation : Joachim Maudet © Laurent Pailler

Alors que dans Foreshadow, des danseurs-circassiens se confrontent au mur que leur oppose Alexander Vantournhout (23 février), le ballet de l’Opéra d’Avignon se forge à l’Olympiade, élaborée à ses mesures, par Antonio De Rosa et Mattia Russo (24 février).

Maître de la danse-escalade, Antoine Le Menestrel et les grimpeurs de para-escalade de l’association ATHOM, livreront un travail en cours, en vue d’une création labellisée Olympiade Culturelle Paris 2024 (25 février). Rester verticale, est le mot d’ordre pour les six danseuses d’AYTA, pièce signée Youness Aboulakoul produite par les Hivernales (29 février). 

Nouveau partenaire du festival, l’Alpilium de Saint-Remy-de-Provence reçoit Sébastien Ly et Sideral, création pour danseuses, agrès et sons spatialisés (28 février). Outre cet artiste installé dans le Var, les Hivernales convient deux autres compagnies de la région. Chanteur-danseur, Simon Bailly présente Canti une pièce, pour pour quatre interprètes, qui creuse une écriture où la gravure s’inscrit dans les voix et le mouvement (24 février). Implanté à Toulon, Maxime Cozic évoque l’ivresse des corps dans Oxymore, duo, corps à corps, à base d’ivresse durant lequel le hip-hop déborde le contemporain (29 février). 

La fantaisie n’est pas en reste, notamment le 27 février, qui verra se succéder Gigi, solo autobiographique, parlé-dansé par Joachim Maudet, suivi des Grâces, mise en jeu des canons de beauté, par un quatuor conduit par Sylvia Gribaudi.

Par delà les talents émergents ou consacrés : Bintou Dembélé, Yvann Alexandre, Régine Chopinot…, le programme donne à découvrir des artistes mal identifiés sur Avignon, telle la suissesse Rafaëlle Giovanola. A l’honneur sur l’affiche des Hivernales, cette ancienne interprète de William Forsythe, place dans Vis Motrix, les danses de rue à l’épreuve de l’horizontalité (1er mars).

Enfin, des paroles de danseurs : Donnez-moi une minute, désigne les portraits vidéos, réalisés au quatre coins de la planète par Doria Bélanger, qui seront projetés en continu (23 février- 2 mars) au Grenier à sel. 

MICHEL FLANDRIN

Les Hivernales, un des plus anciens festivals de danse contemporaine française, a historiquement porté une attention soutenue aux combats féministes. La programmation présente cette année 13 spectacles d’hommes, dont 3 coproduits, et 6 spectacles de femmes, qui ne sont pas coproduits. Un déséquilibre très étonnant, qu’on espère passager ! A.F.
Hivernales d’Avignon
jusqu’au 2 mars

Variétés/Artplexe : Quand l’élève rachète le maître 

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Cinéma Les Variétés sur la Canebière © A.F.

La semaine dernière, le site d’information Made in Marseille annonçait la vente du cinéma Les Variétés aux propriétaires de l’Artplexe. Une décision qui a surpris le monde du cinéma marseillais et les habitués du cinéma historique de La Canebière. Mais ce rachat est pourtant un projet de longue date de Philippe Dejust et Alexis Dantec, associés à la tête de l’Artplexe. Ils avaient déjà tenté d’acquérir Les Variétés lors de son dépôt de bilan de 2016. Le rachat des Variétés (et du César) par Jean Mizrahi en décembre de la même année était donc venu contrarier leur plan, et à plus d’un égard. 

En effet, l’Artplexe devait originellement être un multiplexe d’art et essai. Les deux associés avaient déposé une demande d’autorisation d’exploitation cinématographique en ce sens. Cette demande ayant été acceptée par la préfecture, ils ont cependant choisi de modifier leur ligne lors de la reprise et de la rénovation des Variétés, comme nous l’explique Philippe Dejust : «  Les Variétés faisaient de l’art et essai à 500 mètres de chez nous et venaient d’être subventionnés et rénovés,. On a avait donc le choix entre abandonner notre projet ou le transformer en quelque chose de plus commercial ». 

C’est ainsi qu’est née la ligne actuelle du multiplexe, situé en haut de la Canebière, à savoir 30% d’art et essai et le reste de films grand public, contre 100% d’art et essai aux Variétés. 

Démarrage en côte

« Nous avons modifié notre projet d’origine car notre objectif n’était pas de rentrer dans une bataille frontale avec Les Variétés, mais de densifier l’offre cinématographique de Marseille, qui est une ville notoirement sous-équipée » informe Philippe Dejust avant de rappeler que le multiplexe était une demande de la municipalité à la fin de la dernière mandature de Jean-Claude Gaudin. Une demande coûteuse pour les collectivités, l’Artplexe ayant reçu plus d’1,6 million d’euros de la part  du département et de la Métropole pour la destruction de l’ancienne mairie du 1er et 7e arrondissement et la construction, en lieu et place de celle-ci, du cinéma que l’on connaît aujourd’hui. 

Mais tout l’argent – privé et public – investi et la stratégie de différenciation avec Les Variétés n’ont pas suffi à convaincre le public. Avec ses sept salles parfaitement équipées et son millier de places, le tout jeune cinéma n’a enregistré que 100 000 entrées la première année et 150 000 la suivante, ce qui le maintient dans une situation de déficit. 

Un début très compliqué que Philippe Dejust impute à la « concurrence directe des Variétés, que l’on n’avait pas imaginée aussi forte ». A titre comparatif, les sept salles et 550 sièges du cinéma Les Variétés lui ont permis d’enregistrer 220 000 entrées en 2023. 

Concurrence préjudiciable

« On s’est rendu compte que la difficulté principale venait de la partie art et essai : les distributeurs favorisaient Les Variétés, ce qui est tout à fait normal étant donné que c’est un cinéma classé art et essai ». Il cite l’exemple d’Anatomie d’une chute, Palme d’or oscarisée dont l’Artplexe n’a obtenu une copie que sept semaines après sa sortie, enregistrant seulement 5000 entrées, contre 15000 aux Variétés qui l’ont projeté dès sa sortie. 

D’après lui, ce cas illustre aussi le fait qu’un certain public préfère se rendre aux Variétés et se refuse à l’Artplexe, et vice versa. Un choix qui serait « militant » pour les premiers, l’ancien cinéma étant un lieu culturel indépendant et historique du centre-ville. 

Acquisition sans fusion

C’est face à ce constat que Philippe Dejust et son associé Alexis Dantec se sont rapprochés de Jean Mizrahi pour acquérir Les Variétés. Lors de l’annonce de la vente, les deux associés ont annoncé qu’il n’y aurait ni plan social ni modification de la grille tarifaire, bien que rien ne les y oblige contractuellement. Les deux sociétés restent indépendantes l’une de l’autre, mais Bernard Cohen, directeur de l’Artplexe, supervise à présent les deux lieux.

L’objectif du rachat est d’évacuer une « concurrence négative » qui nuisait à l’Artplexe, et de créer une programmation « plus structurée », plus cohérente entre les deux cinémas. En outre, cela devrait permettre de désengorger Les Variétés qui, selon Philippe Dejust, peinent à combler la demande du public depuis la fermeture du César, l’autre cinéma d’art et essai du centre marseillais. « Le principe de l’exploitation cinématographique est de pouvoir offrir le plus de diversité possible aux spectateurs, ce qui est compliqué aux Variétés qui est trop petit et manque de place » explique-t-il, avant de préciser qu’une programmation conjointe permettra « de projeter les films dans plus de salles et de les garder plus longtemps à l’affiche ». A terme, l’entrepreneur projette de proposer une quarantaine de films par semaine entre les deux lieux, ce qui permettrait selon lui de doubler le nombre d’entrées à l’Artplexe tout en maintenant celui des Variétés. 

CHLOE MACAIRE

Nos armes tragiques

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Marion Brunet © X-DR

Les personnages de Nos armes sont déchirés entre enfermement et liberté, amitié et trahison, espoir et résignation, amour et manque. Le lecteur est immergé dans une tragédie moderne qui cavale, s’arrête, reprend son souffle, attend et nous embarque à nouveau dans un tumulte puissant. Le jeu sur les différentes temporalités et le mélange des voix permet de capturer des histoires entières de vies, y compris les moments d’introspection et d’incertitude qui en sont les ressorts les plus puissants. Ce roman, à la fois noir et profondément lumineux, peint des figures de femmes réalistes et fortes, dans la lignée des romans d’Albertine Sarrazin et de Goliardia Sapienza. Ce sont des femmes qui désirent, jouissent, s’engagent, se battent et abandonnent aussi, agitées par une violence terrible qu’elles exercent parfois et subissent souvent.

Zébuline : Que signifie militer pour vous aujourd’hui ?

Marion Brunet : Je pense que le sens n’a pas changé. Les moyens sont peut-être différents aujourd’hui. Le militantisme c’est d’abord un rassemblement de gens qui se positionnent contre l’état des choses et du monde. Ils se rassemblent par affinités de convictions et parfois aussi par pure affinité. Au départ c’est souvent une histoire d’amitié ou d’amour.

Est-ce que vous considérez que le roman est un outil pour militer ? 

J’ai du mal avec l’idée d’écrire un roman militant. Mes livres ont souvent plusieurs entrées. Nos armes parle d’amour, de solitude, de rédemption, de trahison, de séparation. Pour autant, il y a des effets secondaires au roman. Le choix des personnages, les histoires qu’ils traversent peuvent avoir un côté militant.

Vos personnages ne font pas partie des classes sociales élevées de notre société. Pourquoi ?

Il y a des bourgeois qui militent mais ce n’est pas le même moteur. Quand on est dans une situation précaire, il y a plus de colère et moins de choses à perdre. La colère est plus vive avec un sentiment d’injustice plus fort.

Par conséquent la chute pourrait être moins élevée. Pourtant on a la sensation d’une chute vertigineuse dans Nos Armes.

Oui, mais ce n’est pas une chute sociale comme chez Zola. Déjà les personnages essaient de transformer le monde. Ils ne veulent pas monter socialement. Je crois que si c’est vertigineux, c’est parce qu’ils chutent du haut de leurs espoirs. 

L’univers carcéral est au cœur de ce dernier roman. Comment l’avez-vous approché ?

J’ai fait un atelier mixte avec une camarade illustratrice Lucile Gauthier aux Baumettes pendant quelques mois. J’avais déjà mon projet de roman. A la fin de l’atelier, j’ai demandé à certaines femmes de s’entretenir avec moi.

Est-ce qu’un écrivain doit expérimenter une situation pour transmettre les émotions qui en découlent ?

Non. Je pense qu’on peut écrire sur la prison sans en avoir fait. À ce moment-là, j’étais à un moment de l’écriture où je sentais que j’avais besoin d’une certaine forme de légitimité. Je voulais me confronter au réel pour éviter de me tromper.

Quel lien faites-vous entre colère et passage à l’acte par la violence ?

Le lien est énorme et direct. La colère entraîne le passage à l’acte. Certaines personnes ont choisi la lutte armée comme outil politique avec des stratégies et n’étaient pas forcément dans une colère chaude. Je voulais m’écarter de ces groupes. Je voulais créer des personnages dont les ressorts de l’action sont davantage psychiques qu’idéologiques.

Quelle est la place de la lecture pour vous ? 

Elle n’a pas toujours les mêmes fonctions. Ça peut être le plaisir de l’imaginaire, l’évasion, l’apprentissage de la vie et de l’écriture, la découverte d’autres cultures. Tout cela mélangé fonctionne encore pour moi aujourd’hui. Le roman reste ma forme préférée. J’aime aussi le théâtre et je continue à lire de la poésie. 

Dans vos romans, les dialogues tiennent une place importante et sont très réalistes. 

Je trouve que les dialogues sont en prise avec l’histoire qu’on raconte. En tant qu’autrice, la langue est importante mais il ne faut jamais oublier de raconter une histoire. Il faut attraper l’autre. Le dialogue a cette fonction d’immersion directe. Les personnages parlent et sont là. On les entend rire et vivre. 

Entretien réalisé par Julie Surugue

Nos armes de Marion Brunet
Albin Michel, 20,90 €
Marion Brunet elle est la lauréate 2025 du prestigieux prix suédois de la littérature jeunesse, le prix commémoratif Astrid-Lindgren

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Les secrets d’une valise bleue

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Membre du collectif Inculte affilié aux Editions Actes sud, Nicolas Richard, connu pour ses traductions de textes de langue anglaise, trouve néanmoins le temps d’écrire des romans. Le sixième vient de sortir et présente la particularité troublante de mélanger une imagination débordante à une réalité qui lui est proche puisqu’il met en scène sa propre grand-mère dont il a recueilli les souvenir stupéfiants. Jugez-en : à plus de quatre-vingts ans, sur la demande de sa demi-sœur, Jeanne se met à consigner dans un cahier la vie de ses parents qui n’avaient vécu que quelques semaines ensemble, et celle d’Emma, rencontrée quand elle avait 10 ans, et qui avait épousé son père, Jean, en troisième noce. Mariage qui ne dura pas plus de temps que les deux précédents d’Emma qui, de vendeuse de rubans, s’était retrouvée propriétaire d’un cabaret, chanteuse et vedette ! Ces trois mariages terminés tragiquement dans des circonstances douteuses les deux sœurs se sont posé des questions sur la véritable personnalité de la séduisante Emma. Ensorceleuse ? Meurtrière ? Jeanne était née en 1916 lorsque son père se battait pour la France. Sa mère, Marie, avait quitté la France en 1918 pour refaire sa vie en Uruguay laissant sa fille aux soins de ses grands-parents. Tout cela ne constitue que le début de l’histoire ! 

« Rafistoler » le passé

D’autres événements, d’autres amours, et des voyages de Montevideo à Buenos-Aires, de Paris à Tombouctou, de Dakar à Toulouse pimentent le récit de Jeanne qui puise dans une valise bleue des photos, des extraits de presse, des lettres, qui lui servent à reconstruire l’histoire. L’univers de paillettes et d’illusions du cabaret, celui de la cocaïne dans lesquels beaucoup s’étaient perdus, tranchent sur celui très douloureux d’une compagnie d’exploitation du coton en Afrique dans laquelle Jean exerça comme médecin sans pouvoir. Si vous aimez les intrigues, ce roman est fait pour vous.

CHRIS BOURGUE

La chanteuse aux 3 maris de Nicolas Richard
Inculte, 21,50 €

Rocky, épopée contemporaine  

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Rocky, paru chez Rouge Profond en 2023, navigue entre les écritures : le premier chapitre est composé d’un florilège de photographies extraites du film Rocky, moments-clés dont les sous-titres seront les têtes de chapitre. Enveloppant les propos, deux parties de monologue ouvrent et referment le texte. Mots en italique plongés dans les pleurs de l’enfant qui voit sa mère sauter d’une voiture en marche et ceux de la fin qui, peut-être, se transforme en réconciliation avec soi : l’adhésion inconditionnelle d’« I love you »… les mots qu’Adrienne (version française d’Adrian) lance à Rocky alors qu’il lui demande où elle a mis son chapeau. Le sublime voisine l’incongru et le mythe universel peut se mettre en place : la tragédie fait le grand écart entre la fange et les étoiles.  

Rocky Balboa sur le divan

Les réflexions qu’inspire le film à François-Xavier Renucci sont mises en scène. Le discours est dialogué ou rapporté sous forme d’un journal destiné au psychiatre fasciné par le cas de ce personnage, Jacques C., venu spontanément le consulter. À travers les références au film de Stallone, se dessine la vie du patient et s’élabore une manière d’appréhender le monde, fine, foisonnante, aiguisant sa perception des choses par des raisonnements à sauts et à gambades, selon la formule de Montaigne, célébrant à la fois la liberté du style et de la pensée et son rythme parfaitement codifié. 

Débute alors un « commentaire vagabond » qui, chapitre après chapitre, va se nourrir des vingt clichés choisis aux premières pages de l’ouvrage. L’intrigue s’éclaire de références multiples, on croise le Caravage dans le clair-obscur du premier plan ; les lumières qui orchestrent le tableau en arrière-plan du personnage de Rocky sont celles qui sont utilisées pour l’ensemble de la scène. Le film de culture populaire se moire peu à peu d’un faisceau de repères qui convoquent l’histoire du cinéma, la grande histoire, la littérature, la musique. Le film est scruté dans ses moindres détails. Une cage aux oiseaux, et voici Adrienne et Rocky « oiseaux volants dans la nuit des rues de Philadelphie ». Les noms des animaux sont forcément littéraires : le poisson rouge surnommé Moby Dick renvoie au « monstre blanc symbolique, (…), l’océan devenu animal, traversant les mers du globe ». Les rapprochements les plus acrobatiques s’effectuent, danse légère sur les réminiscences filmiques et littéraires. Tout fait sens, emporté dans le flux puissant de l’épopée. Car il s’agit bien de cela, trouver au cœur de l’œuvre un souffle épique : les dieux antiques veillent, Apollon transparaît tandis que la lune, Phoebe, décline ses énigmes nocturnes. On franchit les océans, Christophe Colomb débarque sur les terres qu’il découvre et ne porteront pas son nom, la bataille de Philadelphie s’étire encore durant des mois avant d’être gagnée par le jeune peuple américain contre les Britanniques pendant la guerre d’indépendance. On s’enflamme aux confins du monde puis on retourne au trivial, nécessaire contrepoint de l’héroïsation. Il y a les fesses de Rocky, le clou dans le gant de boxe, la Ventoline de Tony Gazzo, le caïd de quartier, le « who cares ? » de Rocky désabusé. Il faut tenir les quinze rounds du match de boxe contre le champion invaincu, peu importe de perdre. C’est au bout d’une nuit de lutte que la petite chèvre de monsieur Seguin meurt sous les coups du loup, mais elle a réussi à résister toute une nuit…

Les géographies de l’écriture

Dix séances et neuf lettres circulent autour du film et de sa lecture par Jacques Casanova (y a-t-il un nom qui ne soit pas anodin dans ce livre ?). On renoue avec les techniques du cinéma, grâce est rendue aux monteurs, les vrais artisans du film. Sont évoqués les premiers essais de cinéma, pas L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (qui sera cependant utilisé en clin d’œil), film projeté en 1895, mais les Monkeyshines de 1889 ou 1890 de William K.L. Dikson et William Heise, représentant un personnage très flou dont la silhouette qui s’agite rappelle au narrateur celle de Rocky. 

L’écriture trouve des écrins, la chambre d’hôpital puis une petite maison à Pléneuf Val-André. Est-ce un hasard ? Ce fut le lieu de villégiature du poète Jean Richepin, il y est d’ailleurs enterré. L’une de ses premières œuvres, La Chanson des gueux, lui valut un mois de prison et 500 francs d’amende, scellant sa réputation de Villon des temps modernes… Une autre figure rebelle à convoquer ? 

L’artifice géographies littéraires s’amuse jusqu’à la fin du livre où sont donnés les lieux d’écriture de l’écrivain, Isseuges, en Auvergne et Aix-en-Provence… en exergue déjà l’auteur glisse une pointe d’humour avec le célèbre « Dignity ! Always dignity ! » de Gene Kelly dans Singin’in the Rain.

L’analyse filmique découvre des symétries qui articulent aussi le cheminement du livre. L’imaginaire collectif se love dans les œuvres du cinéma. Tout revient à l’écriture, le film s’inscrit dans la littérature qui nous a forgés. On sourit aux exigences de la ponctuation invoquées par Jacques alors qu’il écrit à son médecin : « vous me l’aviez bien dit : maîtrisez votre ortho-syntaxe ! La ponctuation est le fondement de la civilisation ». Exigence vite remise en cause : la respiration de chacun est le seul critère de la musique des pages. Celles-ci dissimulent aussi un flipbook dessiné par Olivier Mariotti, hommage au héros campé par Stallone. 

L’œuvre n’est en rien solitaire, mais la conjugaison de nos souvenirs, de notre culture, de notre sensibilité. En cela elle est unique et multiple tout à la fois. Le livre de François-Xavier Renucci est passionné, passionnant, érudit avec légèreté, profond dans l’analyse de notre relation aux œuvres.

MARYVONNE COLOMBANI

RockyFrançois-Xavier Renucci, éditions Rouge Profond, 22€

Vendredi 2 février, la bibliothèque de la Halle aux Grains accueillera François-Xavier Renucci pour une rencontre à partir de 18heures : « Rocky Balboa sur le divan : psychanalyse d’un chef-d’œuvre »