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« Les paradis de Diane », on ne nait pas mère

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Une scène d’amour. Une naissance. Tout le monde est heureux : les grands parents, Martin, ce père qui a juste oublié d’apporter le chocolat promis à la jeune accouchée. Quand Martin quitte le soir la maternité, Diane, visage fatigué et regard éteint, regarde ce bébé qui n’a pas encore de prénom et qui pleure. Elle lui chante une comptine sans le prendre dans ses bras puis s’enfuit dans la nuit. C’est ainsi que commence le film de Carmen Jaquier et Jan Gassmann, Les Paradis de Diane, présenté dans la section Panorama de la 74e Berlinale. Un film inconfortable qui d’abord peut déranger, puis faire réfléchir, peut être même réconforter  certain·e·s.

Couper le cordon

Diane quitte Zurich, s’embarquant dans un bus jusqu’à son terminus : une station balnéaire espagnole, Benidorm. Elle se débarrasse de son téléphone portable saturé d’appels de Martin, coupant ainsi le cordon une nouvelle fois. À la fois perdue et soulagée. Vivre dans le présent : trouver un endroit pour dormir, gérer son corps et ses seins gorgés de lait. La caméra portée du directeur de la photo Thomas Szczepanski ne la quitte pas, donnant à voir son visage tourmenté dans les lumières de la ville, la nuit, son vague à l’âme, son corps qui semble flotter. Sa rencontre avec Rosa (Aurore Clément) qui a chuté dans une rue et qu’elle ramène chez elle, va tout changer. « Les gens quand on les ouvre, il y a des paysages à l’intérieur » lui chuchote Rosa – sans doute aime t-elle Agnès Varda ! Rosa lui apprend à vivre le présent. Elle l’aide à savoir ce qu’elle veut, qui elle est vraiment. Car qui est-elle ? Entre errances dans la ville, conversations avec Rosa, rencontres avec des hommes qui la désirent avec son corps marqué encore par les traces de sa maternité. « Suis-je un monstre ? » demande-t-elle à un amant de passage. Et quand à sa question « si t’étais un paysage, tu serais quoi ? » Martin  venu la rechercher au commissariat répond « un paysage de mon enfance ». Elle pense à ce lui avait dit Rose avant de disparaitre « toi, tu es une île, une île sauvage. »

Dorothée de Koon incarne remarquablement cette île sauvage, cette femme en pleine errance, accompagnée par la musique de Marcel Vaid. « Le titre fait écho au film Les Rendez-vous d’Anna de Chantal Akerman qui est une référence pour nous. Il a été très important pour l’écriture de notre film et même après. Les Paradis de Diane est le portrait d’une femme, pas celui des femmes » précisent les cinéastes. Celui d’une femme qui ne devient pas mère. On ne nait pas mère : on le devient ou pas.

ANNIE GAVA
À Berlin

En salles prochainement

Hors du temps

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© Carole Bethuel

Il y a des films ratés, des films qui ne sont pas à la hauteur de leur intention, des mal fichus pour lesquels on peut avoir indulgence voire tendresse et puis il y a des films dont on sort irrités . Surtout quand ils représentent la France dans un festival international et qu’on aurait bien voulu les aimer

C’est le cas d’Hors du temps, le dernier opus d’Olivier Assayas dont beaucoup se sont demandés ce qu’ils faisait dans la sélection de la 74 è Berlinale.

Hors du temps se propose de revenir sur cette incroyable parenthèse que furent les confinements pendant la pandémie de 2020. Limitation des périmètres de vie et des déplacements pour une durée indéfinie. Angoisse collective dans l’ignorance des réponses médicales à apporter. Moments de réflexion sur l’essentiel et le non essentiel, durant lesquels certains ont dû affronter leur solitude, ou, dans des cohabitations contraintes, les frictions inévitables avec ses proches.

Confinement quatre étoiles

Etienne (alter ego du réalisateur incarné par Vincent Macaigne) et Paul, son frère musicien ( Micha Lescot) se retrouvent avec leurs compagnes respectives, Morgane (Nine d’Urso) et Carole (Nora Hamzahoui) avec lesquelles ils n’ont jamais vraiment vécu, dans la maison familiale en Chevreuse. Retour sur les lieux de l’enfance par plans fixes que le réalisateur commente en off d’une voix précieuse et feutrée. Ruralité bourgeoise, printemps radieux, paysages de boîtes de chocolat. Le temps suspend son vol. Un cadre plutôt agréable pour s’isoler, ce qu’Etienne et Olivier Assayas admettent bien volontiers.

Etienne devient acheteur compulsif sur Amazon, fait du jogging dans le grand parc des voisins, avocats et amis. Hypocondriaque, il traque son entourage dans son obsession prophylactique. Son frère fait des crêpes en bougonnant. Chamailleries de frangins qui « se connaissent trop et ne se connaissent plus ». Bouffe bio et conversations intelligentes émaillées de citations. L’art est héritage. On a côtoyé et on côtoie d’autres artistes. On a de l’entregent et des références. Etienne annonce à sa fille -qu’il partage avec son ex, qu’il lui a fait donation de sa part du domaine. La continuité est assurée.

La comédie de caractère très convenue peine à faire sourire et les questions de couples, à intéresser. Le quatuor de comédiens, loin de la grâce d’un Rohmer, fait le job mais incarner des enfants gâtés aux vagues problèmes existentiels n’est un cadeau pour personne.

Hors du temps bien qu’ancré dans la « douce France » entre Trenet et Brassens reste hors sol. L’entre soi induit par le confinement devient un entre soi socio-culturel qui nous laisse à la porte.

Elise Padovani

En salle le 14 juin

Sous le soleil sicilien

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Eté 1997. Un camp de vacances pas comme les autres, un lieu où se ressourcent de jeunes adolescentes, géré par l’hôpital qui les soigne. Exercices collectifs pour retrouver son corps. Une jeune fille, blonde, diaphane, toute de blanc vêtue, s’éloigne du groupe. Elle lit, se baigne dans la piscine, et est rejointe par la brune Irène. Dès les premiers regards, le courant passe entre elles. Ensemble, elles se promènent, partent à la découverte de la nature, des grottes. Il n’est pas question pour Irène à la fin du séjour de quitter Clara, qu’elle voudrait inviter chez elle pour les vacances. Impossible ? Elle va donc l’emmener… ailleurs.

Quoi de mieux qu’une île pour s’isoler du monde qui leur pèse, des traitements, de la routine. Les voilà parties sur l’isola di Favignana où elles s’installent pour vivre leurs vacances : l’eau turquoise où elles se sentent renaitre, ondines d’un été. Les grottes où l’on s’abrite du soleil qui peut brûler la peau fragile. La peau qu’on caresse en soignant. Ensemble puis bientôt au milieu des autres. Des jeunes comme elles, garçons et filles, du pays ou en vacances, avec lesquels se nouent des relations d’été. Comme pour tous les adolescents. Premiers baisers. La caméra Hi8 fixe ces moments où l’on oublie tout, les fixant pour toujours. Un véritable élan de vie malgré les cauchemars, les vertiges, les maux de tête. Sous le soleil sicilien, la maladie reste dans l’ombre.

Quell’estate con Irène, présenté dans la section Generation 14 plus de la 74e Berlinale est le deuxième long-métrage de Carlo Sironi après Sole. Ce film, précise le réalisateur, est né du désir de raconter ce moment où les premières impressions de la vie nous marquent fortement. « Cet été que nous n’oublierons jamais. Je voulais réaliser un film qui ait la texture d’un rêve éveillé et la précision chirurgicale des souvenirs fondateurs. » Un film dont il a eu l’idée en écoutant To Wish Impossible Things de The Cure.Un film sensuel, solaire remarquablement interprété par Noée Abita (Iréne) et Camilla Brandenburg (Clara)

ANNIE GAVA
À Berlin

Quell’estate con Irène, de Carlo Sironi

« Dahomey », les statues parlent aussi

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Les Films du Losange

9 novembre 2021. Paris, le musée du Quai Branly. Des déménageurs au travail. Des emplacements vides. Des gestes délicats. En voyant les premières images du dernier film de Mati Diop, Dahomey, on pense à La Ville Louvre de Nicolas Philibert. Là, les objets ne vont pas dans les salles de restauration mais bien plus loin. 26 trésors royaux du Dahomey partent à Cotonou, la capitale de leur terre d’origine devenue le Bénin. Des statues de bois sont placées dans une caisse tel un cercueil, protégées, emballées comme une mise au tombeau avec le bruit des clous qu’on visse. Et une voix d’outre-tombe, celle de la statue anthropomorphe du roi Ghézo : « Qu’est ce qui m’attend ailleurs ? 26, juste 26, Reconnaîtrai-je quelque chose, me reconnaîtra-t-on ? ». En langue fon, celle que parlent les Béninois. On suit le cortège funéraire dans un long couloir. Retour au pays qui va être commenté poétiquement par la statue royale. Une voix intérieure élaborée par l’écrivain haïtien Makenzy Orcel. Voyage en avion et arrivée au palais présidentiel à Cotonou.

Une âme pillée

« Pour moi, la dimension historique du moment avait une dimension mythique que j’ai voulu retranscrire à travers la manière de filmer », précise Mati Diop. Les trésors filmés comme des personnages, qu’on accueille, qu’on installe, qu’on ausculte, qu’on découvre, qu’on célèbre, qu’on admire. Une des journaux : « Historique ! », liesse populaire, danses traditionnelles. Surveillance militaire et discours officiels. Si les statues et les notables parlent, ce ne sont pas les seuls…Comment la jeunesse béninoise vit-elle ce retour ? Mati Diop a tenu à donner la parole aux jeunes, comme souvent dans ses films. Elle a rassemblé une douzaine d’étudiants de l’université d’Abomey-Calavi, chercheurs ou jeunes conférenciers, venus d’horizons et de disciplines différents, art, histoire, économie, sciences sociales : « Nous devions être absolument sûrs que chacun défendrait un point de vue personnel sur la restitution des trésors. » 26 œuvres restituées sur 7000 encore captives au musée du Quai Branly ! Est-ce une insulte ou un premier pas ? N’est-ce pas une volonté du président français de donner une bonne image de son pays qui perd de l’influence en Afrique ? Quelles sont les véritables intentions du président Patrice Talon ? « Ce qui a été pillé c’est notre âme ! » Les objets de culte vont-ils devenir des objets d’art ? Un débat passionnant qui pose des questions essentielles, celle des restitutions coloniales, abordées aussi dans The Empty grave de l’Allemande Agnes Lisa Wegner et la Tanzanienne Cece Mlay, présenté dans la section Berlinale Special

Mati Diop réussit avec Dahomey un film aussi beau, aussi envoûtant que Les statues meurent aussi (1953) d’Alain Resnais et Chris Marker, son film de référence. Présenté en compétition à la 74 e Berlinale, il vient de remporter l’Ours d’Or à juste titre. « Nous pouvons soit oublier le passé, une charge désagréable qui nous empêche d’évoluer, ou nous pouvons en prendre la responsabilité, l’utiliser pour avancer.  En tant que Franco-Sénégalaise, cinéaste afrodescendante, j’ai choisi d’être de ceux qui refusent d’oublier, qui refusent l’amnésie comme méthode » a déclaré Mati Diop en recevant son prix.

Si l’Or est amplement mérité pour Dahomey, on pourra regretter que la comédie si humaine My Favourite Cake signée Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha, largement applaudie en fin de projection, tout comme la percutante fable politique d’Alonso Ruizpalacios,La Cocina, entre autres propositions, partent bredouilles de cette 74e Berlinale.

ANNIE GAVA

À Berlin

PALMARES de La 74e BERLINALE

Compétition

Pour la deuxième année consécutive, c’est un documentaire français qui remporte l’Ours d’or avec Dahomey.

L’Ours d’argent grand prix du jury a été attribué à un habitué de la Berlinale : Hong Sang-soo pour A Traveler’s Needs avec Isabelle Huppert

L’Ours d’argent prix du jury a été attribué à L’Empire de Bruno Dumont.

L’Ours d’argent de la meilleure réalisation est revenu l’étrange Pepe de Nelson Carlos de Los Santos Arias, cinéaste originaire de Saint Domingue, qui a donné la parole au fantôme d’un hippopotame racontant son errance depuis l’Afrique jusqu’à la Colombie, où l’avait fait venir Pablo Escobar.

Prix d’interprétation (non genré) : Sebastian Stan dans A Different Man

Prix du second rôle : Emily Watson dans Small Things Like These

Ours d’argent du meilleur scénario, Matthias Glasner pour Sterben (Dying)

Ours d’argent de la meilleure contribution artistique, Martin Gschlacht, directeur de la photo

Encounters

Prix du meilleur film – Encounters : Direct Action de Guillaume Cailleau et Ben Russell

Prix de la mise en scène – Encounters : Cidade; Campo de Juliana Rojas

Prix du jury – Encounters : The Great Yawn d’Aliyar Rasti et  Some Rain Must Fall de Qiu Yang (ex-aequo)

Prix du premier film : Cu Li Never Cries de Pham Ngoc Lan

Prix du meilleur documentaire : No Other de Land, Basel Adra, Hamdan Ballal, Yuval Abraham et Rachel Szor

Mention spéciale documentaire : Direct Action de Guillaume Cailleau et  Ben Russell

Ours d’or du court métrage : Un movimiento extrano de Francisco Lezama

Ours d’argent du court métrage : Remains of the Hot Dayde Wenqian Zhang

European Film Award : That’s All From Me d’Eva Könnemann

ANNIE GAVA ET ÉLISE PADOVANI

À Berlin

Un film et une maquette

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La Mère de tous les mensonges © Insigh tFilms

La voix d’une femme sur des images de fête : « La nuit où j’ai gobé le mensonge de ma mère. » C’est celle d’Asmae El Moudir, une jeune réalisatrice marocaine. Elle est venue à Casablanca, chez ses parents, pour les aider à déménager et a retrouvé une photo, celle d’une petite fille. C’est elle enfant, lui a toujours dit sa mère. Elle est à présent persuadée que c’est quelqu’un d’autre et va chercher à comprendre. Pas facile de délier les langues ! Elle met alors en place un dispositif : elle construit, avec son père, une maquette de son quartier, de la maison de son enfance, et y installe peu à peu des figurines représentant les membres de sa famille, leurs voisins. Un moyen possible pour faire parler ceux qui, depuis des années,  taisent une histoire familiale lourde. 

Une dictatrice

Des faits qui renvoient à l’histoire du Maroc, une période de répression, d’emprisonnement, de morts. Une histoire dont on évite de parler, trop douloureuse. Quand une des figurines évoque un voisin tué par balles en juin 1981, ressurgissent les événements terribles, les émeutes du pain et leurs centaines de morts. Des souvenirs aussi durs que Zahra, la grand-mère, figure centrale du film, une « dictatrice » qui voue un culte à Hassan II dont elle garde une photo encadrée, la seule autorisée dans la maison. Elle agresse son fils, ne se reconnaissant pas dans la figurine qui la représente, exige qu’on fasse venir un peintre pour qu’il fasse son portrait, qu’elle détruit immédiatement. Elle traite sa petite fille, qui lui parle de son métier de réalisatrice, de dépravée. Elle gâche même la fête que sa famille lui a gentiment préparée, « rabat joie professionnelle ! » Une vieille femme qui a beaucoup souffert jadis, rongée par une haine familiale terrible.

Pour démêler ce tissu de non-dits, de mensonges et en faire un film, il aura fallu près de dix ans de préparation à Asmae El Moudir. Des décors éclairés avec soin, alternant avec des images d’archives et des photos, une mise en scène au cordeau, ont valu à La Mère de tous les mensonges le prix de la mise en scène à Cannes (Un Certain Regard). Il a obtenu le prix Étudiant de la première œuvre à la 45e édition de Cinemed, et fait partie de films sélectionnés  à la 21e édition d’Africapt.

ANNIE GAVA

La Mère de tous les mensonges, d’Asmae El Moudir, a été présenté lors de la dernière édition d’Africapt qui s’est tenue du 9 au 14 novembre.

En salles le 28 février 2024

Ce film a été choisi pour représenter le Maroc aux Oscars.

Il n’y a pas d’ombre dans le désert

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Copyright Les Films du Losange

Il n’y a pas d’ombre dans le désert est le deuxième long métrage de Yossi Aviram. Coécrit par Valeria Bruni Tedeschi et Alexandre Manneville, c’est un drôle de film qui nous trimballe de Paris à Tel Aviv, entre villes et désert, passé et présent, morts et vivants, fantasmes et réalité. Un film de procès qui bascule dans la romance entre deux descendants de déportés. 

Anna (Valeria Bruni-Tedeschi) est une écrivaine française, hantée par l’histoire de ses parents rescapés d’Auschwitz. Cette obsession nourrit son œuvre et gâche sa vie. Elle vit avec sa fille et son père (Jackie Berroyer) qui a choisi de ne rien lui raconter et voudrait qu’elle laisse les morts tranquilles. Il rechigne à aller en Israël témoigner contre un ancien nazi : « à quoi ça sert tous ces vieillards pour identifier une ordure ? » Anna, elle, y sera et l’attendra.

Ori (Yona Rozenkier) est israélien, traîne une quarantaine dépressive et suicidaire. Son couple se délite. Il se réfugie dans le désert pour calmer ses angoisses. Il y a trouvé un squelette que les autorités tardent à identifier. Mais le leur a-t-il vraiment signalé ? Il est écrivain, lecteur d’Anna qu’il est certain d’avoir rencontrée et aimée follement à Turin, 20 ans auparavant, aux obsèques de Primo Levi. D’ailleurs, elle a évoqué cette passion-là dans un de ses romans. Mais cela a-t-il vraiment eu lieu ? Ce qui est avéré, c’est le massacre pour lequel le criminel de guerre est jugé. La mère d’Ori (Germaine Unikovsky), survivante des camps témoigne à charge dans le procès en cours.

Se reconnaître…

C’est au tribunal qu’Anna et Ori se croisent. Elle le vouvoie. Il la tutoie. Elle affirme ne pas le connaître. Il affirme le contraire. Est-elle dans le déni ? Est-il dans l’illusion ? Sur l’image se superpose le dessin animé de leur rencontre turinoise. Imaginaire contre imaginaire. Ori dont la mère a parlé, Anna dont le père s’est tu, unis par une inexplicable culpabilité, incapables d’être heureux, « écrasés par une souffrance qui n’est pas la leur ». On va suivre leur périple jusque dans le désert loin d’un monde oublieux et indifférent – déjà occupé à générer d’autres récits, d’autres souffrances, d’autres traumatismes.

Il est souvent question d’identification dans ce scénario. Identifier un nazi, un squelette, la douleur éprouvée par ceux de la deuxième ou troisième génération après la Shoah. L’essentiel sera finalement d’identifier un amour révélé dans la lumière implacable du désert. Un amour qui donnera une chance à l’avenir et à la vie.

ÉLISE PADOVANI

Il n’y a pas d’ombre dans le désert, de Yossi Aviram

En salles le 28 février

Yurt, l’histoire d’une déchirure

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Copyright Sophie Dulac Distribution

Présenté à la dernière Mostra de Venise dans la section Orizonti, Yurt, premier long métrage  de Nehir Tuna, s’est vu gratifier d’une standing ovation. Hommage mérité pour ce petit bijou de sensibilité, ciselé par les souvenirs de jeunesse du réalisateur turc. À propos de Yurt, on a évoqué Bellocchio, et son propre premier film de 1965 Les poings dans les poches, sur une jeunesse « consumée dans un pays de sauvages » mais on pourrait tout aussi bien penser au Truffaut des 400 coups. Le noir et blanc pour une adolescence aux mille nuances de gris.

Yurt est un film d’apprentissage, inscrit dans un contexte politico-religieux déterminé et déterminant.

On est en 1996. La tension entre les laïcs se réclamant de Kemal Atatürk et les religieux appelant à un Islam politique, est vive. Pour la première fois, ces derniers arrivent au pouvoir. Les kémalistes manifestent dans les rues. L’armée opère des descentes dans les établissements religieux pour vérifier la conformité des enseignements. Si cette ébullition est bien présente dans le film, la macro-politique n’y sera jamais au premier plan. Nous vivrons la division du pays de l’intérieur, à travers l’écartèlement d’un jeune homme, entre deux âges de sa vie, et entre deux univers antagoniques.

La déchirure

Ahmet (Doğa Karakaş) a 14 ans, la bouille encore ronde de l’enfance mais le poil qui perce et une sexualité qui s’éveille. Son père Kerim (Tansu Biçer) appartient à la classe moyenne aisée. Il s’est depuis peu rallié au parti de Dieu et impose à sa famille de nouvelles règles de vie conformes à sa foi toute neuve. Il a vécu trop de temps en mécréant et cherche par l’intermédiaire de son fils, une rédemption. Pour éviter l’enfer éternel à Ahmet, il l’éloigne du confortable cocon familial, le sépare de sa mère, de plus en plus rétive aux nouvelles orientations de son mari. Ahmet intègre un yurt, pensionnat de garçons dans lequel on inculque un enseignement coranique, si besoin à coups de ceinture et de gifles. Là, il rencontre Yakup (Ozan Çelik), un surveillant qui en fait son souffre-douleur mais aussi Hakan (Can Bartu Arslan ) un élève issu d’un milieu très pauvre, qui l’initie aux règles de l’institution et aux façons de les contourner. Hakan lui donne également des conseils pour entrer dans le cercle des « élus » du yurt. Ensemble, ils rêvent de liberté, unis par une relation qui dépasse sans doute l’amitié. Parallèlement, Ahmet suit des cours d’anglais dans un lycée privé mixte, développant des ruses de sioux pour cacher à ses camarades laïques son adresse religieuse. Le jeune garçon fait des allers retours entre le yurt et le lycée. Dortoirs rustiques, prières collectives, télé vétuste où les séries romantiques sont prohibées, apprentissage de la soumission. Locaux modernes, célébrant la laïcité, montée du drapeau et chants nationalistes à la clé. Deux mondes d’autant plus irréconciliables qu’Ahmet tombe amoureux de Sevinç qui aime Vivaldi et exècre les islamistes. Ahmet n’est à sa place nulle part. Dans le yurt, c’est un nanti. Au lycée au milieu de camarades de son milieu, c’est un menteur.

La couleur retrouvée

Malgré ce malaise permanent, contrairement aux adolescents de cinéma, Ahmet n’est pas un rebelle. Dieu ne lui parle pas mais il veut devenir un bon musulman pour faire plaisir à son père, entrer dans le cercle, ne décevoir personne. Il veut exceller au lycée pour assurer un avenir. Ahmet est doux, studieux, consciencieux, intériorisant une violence qui explose dans ses cauchemars. Et finira par s’extérioriser pour l’inévitable affrontement fils-père.  Délaissant le noir et blanc du carcan scolaire et religieux, c’est la puissance de la jeunesse qui éclate dans la couleur retrouvée des images : échappée belle en point de bascule du film tandis qu’une chanson italienne nous rappelle en ritournelle que « la vie n’est rien sans amour ».

Le jeune réalisateur et son chef op, le français Florent Herry, excellent à traduire les émotions à l’image. Quelques cheveux en gros plan dans le cou d’une jeune fille saisissent la totalité du désir, deux doigts qui se touchent, la connexion absolue de l’amitié entre Ahmet et Hakan. Le quotidien du yurt, les rouages de l’institution se révèlent dans les détails. C’est un film d’observation qui ne juge personne, rend tangible la violence politique, sociale, religieuse et rappelle l’enjeu que représentent les jeunes pour les idéologues de tous poils.

ÉLISE PADOVANI

Yurt, de Nehir Tuna

En salles le 3 avril

« Xalé, les blessures de l’enfance », une résistance sénégalaise

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Après Tableau Ferraille en 1997 et Madame Brouette (Ours d’Argent à la Berlinale en 2002), le cinéaste sénégalais Moussa Sène Absa poursuit son exploration de la société de son pays, exposant ses maux, ses tabous dans son dernier film, Xalé, les blessures de l’enfance. « Pour tous mes films, je m’inspire de ce qui se passe autour de moi : je n’invente rien, tout est là ! »

Inspiré par un fait qui s’est passé dans sa famille, il nous raconte l’histoire d’Awa (Nguissaly Barry), une jeune fille de 15 ans, qui partage son temps entre un petit travail dans un salon de coiffure et l’école où elle excelle. Contrairement à son frère jumeau, Adama (Mabeye Diol) petit vendeur dans les rues de Dakar et qui n’aspire qu’à une chose : s’embarquer sur une pirogue pour fuir ce pays qui ne donne aucun avenir à ses enfants. À la mort de la grand-mère, la vie d’Awa est bouleversée. En effet, selon les derniers vœux de l’aïeule, sa tante Fatou (Rokhaya Niang) est mariée de force à Atoumane (Ibrahim Mbaye), son cousin qu’elle n’aime pas. Fatou résiste : le mariage n’est pas consommé. Atoumane blessé dans son amour propre, méprisé par son patron, castré par la société, en arrive à commettre un acte infâme : violer sa nièce. Suite au verdict du tribunal coutumier, il est exclu du village pour dix ans. Awa est détruite mais, se retrouvant enceinte, elle relève la tête et prend seule la décision de garder le bébé… Elle a pu ouvrir son salon de coiffure, elle élève sa fille Bintou, a retrouvé son amour  d’adolescence, semblant s’être reconstruite jusqu’au jour où Atoumane revient…

« Les maux qui gangrènent »

À travers l’histoire d’Awa remarquablement interprétée par Nguissaly Barry, Moussa Sène Absa veut faire réagir face à un problème majeur de la société : « Quand on lit les journaux sénégalais, on se rend compte que pas une journée ne se passe sans qu’on y évoque un viol par un père, un cousin, etc. Le plus souvent, cela se passe dans le cercle familial, ou professionnel, avec des enseignants qui abusent de leurs élèves. Il y a beaucoup de non-dits dans la société sénégalaise et c’est justement ceux-ci qui m’intéressent. Il faut s’appesantir sur les maux qui gangrènent notre société. »

Tourné en langue wolove, majoritairement parlée au Sénégal, Xalé, les blessures de l’enfance est un film rempli de couleurs et de musique. Robes des griots et des griottes, tantôt rouges, tantôt bleues, tantôt blanches selon qu’ils condamnent, commentent, encouragent ou chantent l’amour. Comme un chœur antique. « Ce n’est pas imaginable pour moi qu’un de mes films n’ait pas de musique » précise Moussa Sène Absa qui vient d’une famille de griots.

Xale, les blessures de l’enfance est dédié à Rock Demers, producteur de son film Madame Brouette, disparu et 2021 et à sa mère : « Mes films sont des hommages continus aux femmes, à leur force au quotidien. Je suis certain des apports considérables des femmes à la société, leur place permet d’assurer équilibre. » Comment ne pas être d’accord avec lui !?

ANNIE GAVA

Xale, les blessures de l’enfance de Moussa Sène Absa
En salles le 3 avril

Sidéral

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© Sébastien Ly

Mélange de cirque et de chorégraphie, Sidéral, dernière création de Sébastien Ly, propose une échappée dans l’espace et le temps, de la terre au ciel, ou l’inverse… Deux circassiennes, excellentes Mélusine Lavinet et Kamma Rosenbeck évoluent avec grâce et lenteur, d’une corde à l’autre au-dessus du sol, défiant les lois de l’équilibre et de la gravité. Sont-elles oiseaux ou insectes ? Mutantes, peut-être ? En tous cas, nous sommes dans un autre monde, celui qu’elles veulent conquérir. Un univers interstellaire servi par l’univers sonore proposé par le groupe Noorg, avec Loïc Guénin et Éric Brochard qui accompagnent les déplacements des deux femmes. Un immense gong participe au dépaysement. L’expérience est à tenter.  C.B.

Le 28 février
Alpilium, Saint-Rémy-de-Provence

Derrière chaque cicatrice, la vie…

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Germaine, Les Navettes © Édith Laplane

Le photographe Michaël Serfati, jouant avec le titre de l’exposition, le commente : « à la déclinaison du multiple féminin s’impose une vision de l’altérité. Je sens résonner en moi tout ce qu’il y a de commun entre les femmes et moi, mais je reste encore un autre. ». Ses photographies, parfois glissées dans l’écrin de volumes emplis d’une écriture serrée, sont le plus souvent exposées le long des murs, clichés qui s’attachent aux visages, parfois floutés ou voilés de filets d’ombres… 

Une série s’attache aux cicatrices, césariennes, mastectomies, fractures… La cicatrice dit le vivant, mémoire d’une étape de l’existence. Édith Laplane, s’élevant contre les idées reçues, évoque sa profession de médecin gynécologue : « On peut être médecin, scientifique, et artiste ». Utilisant des matériaux récupérés, tissus, dentelles, papiers, elle brode, tisse, recompose, coud, élabore des formes de cire ou de papier mâché, jongle avec la fragilité des choses, la rend symbolique de celle des corps qu’elle évoque, sexes de femmes, lèvres, cols, sur lesquels s’ourle en fine broderie la marque d’un cancer, d’une violence, d’une paix. 

Puis elle déploie le fil des chromosomes, détourne les drames humains lisibles dans les chairs par une poésie dense. Ici, les « sexvotos » aux délicates dentelles, là, les « Mizuko », ces « enfants de l’eau » qui ne sont jamais nés, à côtés d’aiguilles à tricoter, baguettes des « faiseuses d’anges ». 

Un livre ouvert de Nancy Huston (Bad girl) permet de lire une citation d’Annie Ernaux : « Je ne crois pas qu’il existe un Atelier de la faiseuse d’anges dans aucun musée au monde ». La sacralisation du féminin et son pendant diabolique hantent toujours les arts !

MARYVONNE COLOMBANI

jusqu’au 28 avril
Pavillon de Vendôme, Aix en Provence