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Il n’y a pas d’ombre dans le désert

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Copyright Les Films du Losange

Il n’y a pas d’ombre dans le désert est le deuxième long métrage de Yossi Aviram. Coécrit par Valeria Bruni Tedeschi et Alexandre Manneville, c’est un drôle de film qui nous trimballe de Paris à Tel Aviv, entre villes et désert, passé et présent, morts et vivants, fantasmes et réalité. Un film de procès qui bascule dans la romance entre deux descendants de déportés. 

Anna (Valeria Bruni-Tedeschi) est une écrivaine française, hantée par l’histoire de ses parents rescapés d’Auschwitz. Cette obsession nourrit son œuvre et gâche sa vie. Elle vit avec sa fille et son père (Jackie Berroyer) qui a choisi de ne rien lui raconter et voudrait qu’elle laisse les morts tranquilles. Il rechigne à aller en Israël témoigner contre un ancien nazi : « à quoi ça sert tous ces vieillards pour identifier une ordure ? » Anna, elle, y sera et l’attendra.

Ori (Yona Rozenkier) est israélien, traîne une quarantaine dépressive et suicidaire. Son couple se délite. Il se réfugie dans le désert pour calmer ses angoisses. Il y a trouvé un squelette que les autorités tardent à identifier. Mais le leur a-t-il vraiment signalé ? Il est écrivain, lecteur d’Anna qu’il est certain d’avoir rencontrée et aimée follement à Turin, 20 ans auparavant, aux obsèques de Primo Levi. D’ailleurs, elle a évoqué cette passion-là dans un de ses romans. Mais cela a-t-il vraiment eu lieu ? Ce qui est avéré, c’est le massacre pour lequel le criminel de guerre est jugé. La mère d’Ori (Germaine Unikovsky), survivante des camps témoigne à charge dans le procès en cours.

Se reconnaître…

C’est au tribunal qu’Anna et Ori se croisent. Elle le vouvoie. Il la tutoie. Elle affirme ne pas le connaître. Il affirme le contraire. Est-elle dans le déni ? Est-il dans l’illusion ? Sur l’image se superpose le dessin animé de leur rencontre turinoise. Imaginaire contre imaginaire. Ori dont la mère a parlé, Anna dont le père s’est tu, unis par une inexplicable culpabilité, incapables d’être heureux, « écrasés par une souffrance qui n’est pas la leur ». On va suivre leur périple jusque dans le désert loin d’un monde oublieux et indifférent – déjà occupé à générer d’autres récits, d’autres souffrances, d’autres traumatismes.

Il est souvent question d’identification dans ce scénario. Identifier un nazi, un squelette, la douleur éprouvée par ceux de la deuxième ou troisième génération après la Shoah. L’essentiel sera finalement d’identifier un amour révélé dans la lumière implacable du désert. Un amour qui donnera une chance à l’avenir et à la vie.

ÉLISE PADOVANI

Il n’y a pas d’ombre dans le désert, de Yossi Aviram

En salles le 28 février

Yurt, l’histoire d’une déchirure

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Copyright Sophie Dulac Distribution

Présenté à la dernière Mostra de Venise dans la section Orizonti, Yurt, premier long métrage  de Nehir Tuna, s’est vu gratifier d’une standing ovation. Hommage mérité pour ce petit bijou de sensibilité, ciselé par les souvenirs de jeunesse du réalisateur turc. À propos de Yurt, on a évoqué Bellocchio, et son propre premier film de 1965 Les poings dans les poches, sur une jeunesse « consumée dans un pays de sauvages » mais on pourrait tout aussi bien penser au Truffaut des 400 coups. Le noir et blanc pour une adolescence aux mille nuances de gris.

Yurt est un film d’apprentissage, inscrit dans un contexte politico-religieux déterminé et déterminant.

On est en 1996. La tension entre les laïcs se réclamant de Kemal Atatürk et les religieux appelant à un Islam politique, est vive. Pour la première fois, ces derniers arrivent au pouvoir. Les kémalistes manifestent dans les rues. L’armée opère des descentes dans les établissements religieux pour vérifier la conformité des enseignements. Si cette ébullition est bien présente dans le film, la macro-politique n’y sera jamais au premier plan. Nous vivrons la division du pays de l’intérieur, à travers l’écartèlement d’un jeune homme, entre deux âges de sa vie, et entre deux univers antagoniques.

La déchirure

Ahmet (Doğa Karakaş) a 14 ans, la bouille encore ronde de l’enfance mais le poil qui perce et une sexualité qui s’éveille. Son père Kerim (Tansu Biçer) appartient à la classe moyenne aisée. Il s’est depuis peu rallié au parti de Dieu et impose à sa famille de nouvelles règles de vie conformes à sa foi toute neuve. Il a vécu trop de temps en mécréant et cherche par l’intermédiaire de son fils, une rédemption. Pour éviter l’enfer éternel à Ahmet, il l’éloigne du confortable cocon familial, le sépare de sa mère, de plus en plus rétive aux nouvelles orientations de son mari. Ahmet intègre un yurt, pensionnat de garçons dans lequel on inculque un enseignement coranique, si besoin à coups de ceinture et de gifles. Là, il rencontre Yakup (Ozan Çelik), un surveillant qui en fait son souffre-douleur mais aussi Hakan (Can Bartu Arslan ) un élève issu d’un milieu très pauvre, qui l’initie aux règles de l’institution et aux façons de les contourner. Hakan lui donne également des conseils pour entrer dans le cercle des « élus » du yurt. Ensemble, ils rêvent de liberté, unis par une relation qui dépasse sans doute l’amitié. Parallèlement, Ahmet suit des cours d’anglais dans un lycée privé mixte, développant des ruses de sioux pour cacher à ses camarades laïques son adresse religieuse. Le jeune garçon fait des allers retours entre le yurt et le lycée. Dortoirs rustiques, prières collectives, télé vétuste où les séries romantiques sont prohibées, apprentissage de la soumission. Locaux modernes, célébrant la laïcité, montée du drapeau et chants nationalistes à la clé. Deux mondes d’autant plus irréconciliables qu’Ahmet tombe amoureux de Sevinç qui aime Vivaldi et exècre les islamistes. Ahmet n’est à sa place nulle part. Dans le yurt, c’est un nanti. Au lycée au milieu de camarades de son milieu, c’est un menteur.

La couleur retrouvée

Malgré ce malaise permanent, contrairement aux adolescents de cinéma, Ahmet n’est pas un rebelle. Dieu ne lui parle pas mais il veut devenir un bon musulman pour faire plaisir à son père, entrer dans le cercle, ne décevoir personne. Il veut exceller au lycée pour assurer un avenir. Ahmet est doux, studieux, consciencieux, intériorisant une violence qui explose dans ses cauchemars. Et finira par s’extérioriser pour l’inévitable affrontement fils-père.  Délaissant le noir et blanc du carcan scolaire et religieux, c’est la puissance de la jeunesse qui éclate dans la couleur retrouvée des images : échappée belle en point de bascule du film tandis qu’une chanson italienne nous rappelle en ritournelle que « la vie n’est rien sans amour ».

Le jeune réalisateur et son chef op, le français Florent Herry, excellent à traduire les émotions à l’image. Quelques cheveux en gros plan dans le cou d’une jeune fille saisissent la totalité du désir, deux doigts qui se touchent, la connexion absolue de l’amitié entre Ahmet et Hakan. Le quotidien du yurt, les rouages de l’institution se révèlent dans les détails. C’est un film d’observation qui ne juge personne, rend tangible la violence politique, sociale, religieuse et rappelle l’enjeu que représentent les jeunes pour les idéologues de tous poils.

ÉLISE PADOVANI

Yurt, de Nehir Tuna

En salles le 3 avril

« Xalé, les blessures de l’enfance », une résistance sénégalaise

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Après Tableau Ferraille en 1997 et Madame Brouette (Ours d’Argent à la Berlinale en 2002), le cinéaste sénégalais Moussa Sène Absa poursuit son exploration de la société de son pays, exposant ses maux, ses tabous dans son dernier film, Xalé, les blessures de l’enfance. « Pour tous mes films, je m’inspire de ce qui se passe autour de moi : je n’invente rien, tout est là ! »

Inspiré par un fait qui s’est passé dans sa famille, il nous raconte l’histoire d’Awa (Nguissaly Barry), une jeune fille de 15 ans, qui partage son temps entre un petit travail dans un salon de coiffure et l’école où elle excelle. Contrairement à son frère jumeau, Adama (Mabeye Diol) petit vendeur dans les rues de Dakar et qui n’aspire qu’à une chose : s’embarquer sur une pirogue pour fuir ce pays qui ne donne aucun avenir à ses enfants. À la mort de la grand-mère, la vie d’Awa est bouleversée. En effet, selon les derniers vœux de l’aïeule, sa tante Fatou (Rokhaya Niang) est mariée de force à Atoumane (Ibrahim Mbaye), son cousin qu’elle n’aime pas. Fatou résiste : le mariage n’est pas consommé. Atoumane blessé dans son amour propre, méprisé par son patron, castré par la société, en arrive à commettre un acte infâme : violer sa nièce. Suite au verdict du tribunal coutumier, il est exclu du village pour dix ans. Awa est détruite mais, se retrouvant enceinte, elle relève la tête et prend seule la décision de garder le bébé… Elle a pu ouvrir son salon de coiffure, elle élève sa fille Bintou, a retrouvé son amour  d’adolescence, semblant s’être reconstruite jusqu’au jour où Atoumane revient…

« Les maux qui gangrènent »

À travers l’histoire d’Awa remarquablement interprétée par Nguissaly Barry, Moussa Sène Absa veut faire réagir face à un problème majeur de la société : « Quand on lit les journaux sénégalais, on se rend compte que pas une journée ne se passe sans qu’on y évoque un viol par un père, un cousin, etc. Le plus souvent, cela se passe dans le cercle familial, ou professionnel, avec des enseignants qui abusent de leurs élèves. Il y a beaucoup de non-dits dans la société sénégalaise et c’est justement ceux-ci qui m’intéressent. Il faut s’appesantir sur les maux qui gangrènent notre société. »

Tourné en langue wolove, majoritairement parlée au Sénégal, Xalé, les blessures de l’enfance est un film rempli de couleurs et de musique. Robes des griots et des griottes, tantôt rouges, tantôt bleues, tantôt blanches selon qu’ils condamnent, commentent, encouragent ou chantent l’amour. Comme un chœur antique. « Ce n’est pas imaginable pour moi qu’un de mes films n’ait pas de musique » précise Moussa Sène Absa qui vient d’une famille de griots.

Xale, les blessures de l’enfance est dédié à Rock Demers, producteur de son film Madame Brouette, disparu et 2021 et à sa mère : « Mes films sont des hommages continus aux femmes, à leur force au quotidien. Je suis certain des apports considérables des femmes à la société, leur place permet d’assurer équilibre. » Comment ne pas être d’accord avec lui !?

ANNIE GAVA

Xale, les blessures de l’enfance de Moussa Sène Absa
En salles le 3 avril

Sidéral

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© Sébastien Ly

Mélange de cirque et de chorégraphie, Sidéral, dernière création de Sébastien Ly, propose une échappée dans l’espace et le temps, de la terre au ciel, ou l’inverse… Deux circassiennes, excellentes Mélusine Lavinet et Kamma Rosenbeck évoluent avec grâce et lenteur, d’une corde à l’autre au-dessus du sol, défiant les lois de l’équilibre et de la gravité. Sont-elles oiseaux ou insectes ? Mutantes, peut-être ? En tous cas, nous sommes dans un autre monde, celui qu’elles veulent conquérir. Un univers interstellaire servi par l’univers sonore proposé par le groupe Noorg, avec Loïc Guénin et Éric Brochard qui accompagnent les déplacements des deux femmes. Un immense gong participe au dépaysement. L’expérience est à tenter.  C.B.

Le 28 février
Alpilium, Saint-Rémy-de-Provence

Derrière chaque cicatrice, la vie…

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Germaine, Les Navettes © Édith Laplane

Le photographe Michaël Serfati, jouant avec le titre de l’exposition, le commente : « à la déclinaison du multiple féminin s’impose une vision de l’altérité. Je sens résonner en moi tout ce qu’il y a de commun entre les femmes et moi, mais je reste encore un autre. ». Ses photographies, parfois glissées dans l’écrin de volumes emplis d’une écriture serrée, sont le plus souvent exposées le long des murs, clichés qui s’attachent aux visages, parfois floutés ou voilés de filets d’ombres… 

Une série s’attache aux cicatrices, césariennes, mastectomies, fractures… La cicatrice dit le vivant, mémoire d’une étape de l’existence. Édith Laplane, s’élevant contre les idées reçues, évoque sa profession de médecin gynécologue : « On peut être médecin, scientifique, et artiste ». Utilisant des matériaux récupérés, tissus, dentelles, papiers, elle brode, tisse, recompose, coud, élabore des formes de cire ou de papier mâché, jongle avec la fragilité des choses, la rend symbolique de celle des corps qu’elle évoque, sexes de femmes, lèvres, cols, sur lesquels s’ourle en fine broderie la marque d’un cancer, d’une violence, d’une paix. 

Puis elle déploie le fil des chromosomes, détourne les drames humains lisibles dans les chairs par une poésie dense. Ici, les « sexvotos » aux délicates dentelles, là, les « Mizuko », ces « enfants de l’eau » qui ne sont jamais nés, à côtés d’aiguilles à tricoter, baguettes des « faiseuses d’anges ». 

Un livre ouvert de Nancy Huston (Bad girl) permet de lire une citation d’Annie Ernaux : « Je ne crois pas qu’il existe un Atelier de la faiseuse d’anges dans aucun musée au monde ». La sacralisation du féminin et son pendant diabolique hantent toujours les arts !

MARYVONNE COLOMBANI

jusqu’au 28 avril
Pavillon de Vendôme, Aix en Provence

OCCITANIE : Détruire dit-iel

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ART.13 ©️Clarisse Delile

« Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » C’est de l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme que vient le titre de la nouvelle création de Phia Ménard et de sa Cie Non Nova. Et c’est par le gouffre qui existe aujourd’hui entre ces grands principes universels gravés dans le marbre des nations et le récit de jeunes migrantes et migrants rencontrés par l’artiste, confrontés au réel de leur refoulements aux frontières par ces mêmes nations, que le questionnement sur la frontière s’est imposé comme l’enjeu de cette nouvelle proposition. Frontière géographique, mais aussi celles des enfermements divers et variés (idées, catégories, sexualités, identités …) qui dessinent le monde d’aujourd’hui, et le rabougrissent. 

Retour du refoulé

Au début du spectacle, on est face à un jardin, en pleine lumière, à la pelouse impeccablement tondue, ornée de quelques formes décoratives en gravier aux contours nets, entourée d’une haie taillée courte. Au centre trône sur son piédestal la statue d’un Grand Homme, tenant une hâche à la main, posée devant lui. À la fin du spectacle, plus de statue ni de jardin, plus de centre, on sera face à un paysage de décombres, une sorte de chaos crépusculaire, aux accents féeriques. Entre les deux va se dérouler un conte sauvage dans lequel une créature masquée, rampante puis dansante (Marion Blondeau) s’extirpant de dessous la pelouse dans un vacarme de bruit de tondeuses et de tronçonneuses infernal, sorte de faune terrestre puis céleste, va par sa puissance de jeu et de vie, sa grâce spontanée, malicieuse et brutale, détruire le bel ordonnancement et les symboles bien morts du jardin statufié, créer de nouveaux espaces, et rouvrir des possibles au milieu des ruines. Un retour du (des) refoulé(s) sans paroles, légèrement circassien, totalement visuel, musical et chorégraphique. 

MARC VOIRY

Art. 13
28 février
Opéra Comédie, Montpellier, dans le cadre de la saison Montpellier Danse

« Le Molière imaginaire » la chatoyante comédie d’une agonie

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Le Molière imaginaire © Memento distribution

Après Ariane Mnouchkine (1978) et Laurent Tirard (2007), c’est au tour d’Olivier Py de consacrer un film au dramaturge. Ressuscité par un charismatique Laurent Lafitte, on s’intéresse ici à ses derniers instants, le 17 février 1673, soir de la quatrième représentation du Malade imaginaire. Si Olivier Py entreprend de détruire certains mythes, comme celui qui voudrait que le dramaturge soit mort sur scène, c’est une représentation largement imaginée qu’il propose avec ce huis-clos dans le théâtre du Palais-Royal, tourné à la Fabrica d’Avignon.

Trouple de théâtre

En parallèle de la représentation de la dernière comédie de Molière, qui structure la chronologie du film, d’autres scènes sont jouées, en coulisses, dans ce théâtre labyrinthique à plusieurs étages dont l’éclairage à la bougie tamise les couleurs. Des personnages bien connus de l’entourage de Molière – sa femme Armande (Stacy Martin), œuvrant inquiète au salut de son mari à l’agonie, ou encore La Grange (Émilien Diard-Detoeuf), auteur du célèbre registre renfermant de précieuses informations sur la troupe – en côtoient d’autres, occultés par l’histoire officielle. C’est ainsi que les spectateurs assistent, surpris, à des échanges poétiques et érotiques que le dramaturge partage avec Michel Baron, jeune comédien de la troupe avec lequel Molière aurait entretenu une relation amoureuse, comme le confirment plusieurs biographes. À cela s’ajoutent certains mythes – sa traduction de Lucrèce détruite par une servante qui aurait utilisé le papier pour faire des papillotes – ou rumeurs, comme le lien de filiation que ses ennemis lui prêtaient avec Armande, de vingt ans sa cadette. Le public n’est pas oublié, peuplé de ridicules qui évoquent ceux que Molière moque dans ses pièces, comme les trois précieuses édentées faisant figure de Parques annonçant la mort de l’auteur. Le choix de nombreux plans-séquences permet de circuler de manière fluide entre ces différentes scènes réelles et imaginaires.

Les amateurs de vérité historique n’aimeront pas ce film dont l’ambition affichée et assumée est de proposer une version imaginée de l’auteur, recréée, dans laquelle la fiction est délibérément mise au service de la vérité du dramaturge. Ou plutôt de la vérité qu’Olivier Py s’en fait. Libre variation autour de l’agonie de l’auteur, ce film testament est un bel hommage proposé par le réalisateur sur le maître de la comédie classique, avec lequel il lui est ainsi donné de dialoguer, à quatre siècles d’intervalle.

MATHILDE MOUGIN

Le Molière imaginaire, de Olivier Py
Sorti le 14 février 2024

CRAC OCCITANIE : Gianni Pettena, l’anarchitecte

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Exposition Anarchitecture, Gianni Pettena © Crac 2024

Anarchitecture : le titre de l’exposition dédiée à Gianni Pettena au CRAC Occitanie de Sète ne doit rien au hasard. Au contraire, il s’agit d’un indice d’importance pour mieux comprendre la démarche formelle de l’artiste italien de 84 ans. Un mot qui en dit long sur celui qui a étudié l’architecture à Florence dans les années 60 et n’a pourtant jamais exercé le métier d’architecte, préférant laisser libre court à sa créativité dans le vaste champ de l’art contemporain. Pas question pour Gianni Pettena de mettre des frontières entre les disciplines. Dans un manifeste publié en 1973 et intitulé L’Anarchitetto : Portrait of the Artist as a Young Architect, il se définit lui-même comme un « anarchitecte ». Ce terme à la fois poétique et décalé résume son parcours d’aspirant architecte devenu artiste, écrivain, penseur, passeur, provocateur peut-être aussi. Du moins d’émotions. C’est avec une facilité déconcertante qu’il a réinventé les espaces du CRAC, entre minimalisme et onirisme grâce à des installations anciennes comme d’autres plus récentes. On y découvre toute la liberté conceptuelle d’un homme qui fut l’un des piliers de l’architecture radicale italienne, portant un regard très personnel sur l’architecture et le design. Au fil des salles, l’art de Gianni Pettena nous immerge, nous amène à changer de perspective et remettre en cause notre rapport à l’espace, à l’utile, à l’évident. Tout en replaçant le corps humain au centre de tout comme pour mieux le reconnecter à son environnement naturel. 

Fantôme du passé

Étonnant Tunnel sonore, dessiné en 1966 mais réalisé pour la première fois lors de cette exposition. Soit une succession de cadres de métal qui se transforme en instrument géant quand un personnage revêtu d’un costume d’écailles le parcourt. Le corps est souvent invisibilisé, comme dans l’installation Presenza/Assenza datée de 2020, où l’artiste laisse en creux les traces de sa présence, fantôme du passé comme de la création achevée. Dans une autre salle, une architecture de raphia sature nos sens d’un paysage inattendu aux senteurs exotiques. Un peu plus loin, des manteaux se transforment en chaises et des chaises se portent sur le dos pour se faire nomades et affirmer leur présence dans l’espace public avec une certaine radicalité. La dernière salle est celle qui nous emmène le plus loin. Paper est uneinstallation créée pour la première fois en 1971 à Minneapolis : un monde de bandelettes blanches de papier qu’il faut défricher pour avancer, faire naître l’architecture qui construit l’espace tout en la détruisant, permettre au visiteur d’agir sur son environnement de manière consciente. Une invitation à inventer un autre langage où le corps a toute sa place. 

ALICE ROLLAND

Anarchitecture
Jusqu’au 1er septembre
CRAC Occitanie, Sète 

Turquoise et gestations

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Lorsque l'enfant paraît © Marcel Hartmann

Le décor délicieusement kitsch, murs turquoise, canapé de velours rouge assorti à la robe d’Olympe, épouse de Charles Jacquet, sénateur, sous-secrétaire d’État à la famille, correspond à l’esthétique convenue de l’intérieur « bourgeois ». Au fil des actes, les murs se referment, rétrécissant l’espace, signifiant l’impasse dans laquelle les personnages se trouvent. Le sénateur, formidable Michel Fau, vient d’obtenir la fermeture des maisons closes et l’augmentation des peines sur les délits d’avortement, alors que vingt-cinq ans auparavant il n’avait pas hésité à le demander à sa maîtresse. 

Le voici qui apprend coup sur coup que sa femme, sa secrétaire, sa fille, sa bonne, sont enceintes. Craignant ridicule et médisances qui pourraient mettre un frein à sa carrière, il se met à envisager l’avortement, principalement pour son épouse, Catherine Frot, éblouissante de verve dans son rôle de femme potiche, drôle, fine jusque dans les lourdeurs de sa « partition ». Elle porte la pièce, donnant de sa poésie aux autres comédiens, émouvante dans la perte de repères de son univers, et les a-priori de classe qui la constituent et pourraient la rendre tout simplement atroce : méprisée par son mari, elle méprise la bonne avec une sorte d’innocence !

On navigue dans un monde qui se déglingue avec efficacité, usant du burlesque et de la férocité joyeuse pour faire tomber les masques de cette comédie humaine peuplée d’hypocrites. Le mensonge est souverain dans ce bal des illusions : la jeune fiancée n’est pas si rangée, le fils « bohème » est sans intérêt… L’égoïsme de tous souligne avec acidité l’obsolescence d’une morale bourgeoise qui se défait dans les soubresauts de l’après-guerre. On rit en établissant des parallèles avec notre temps, et c’est amer.

MARYVONNE COLOMBANI

Lorsque l’enfant paraît 
jusqu’au 22 février
Jeu de Paume, Aix-en-Provence

Hoorsees, Seppuku et Camille Potte 

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Hoorsees © X-DR

L’EJ c’est le S, le projet de l’Espace Julien qui confie un mercredi par mois les clés du Café Julien à un collectif musical émergent, s’associe avec Le Scan Club. Cette émission de Radio Grenouille, qui discute une fois par mois des musiques actuelles, est en charge de la programmation. Deux groupes et une expo sont ainsi à découvrir. Le quatuor parisien Hoorsees dont le dernier album « Big » cherche à « réconcilier l’indie pop des disquaires les plus érudits avec le top 50 ». Puis le loufoque collectif marseillais Seppuku, obsédé par les albums concepts et la peur de se prendre au sérieux. Une « Expotte » de l’illustratrice Camille Potte, bien connue du milieu musical, sera à découvrir sur les murs de l’Espace Julien. Une soirée à l’entrée libre à ne manquer sous aucun prétexte, ne serait-ce que pour le blind-test – avec cadeaux à la clé – qu’organise Le Scan Club ! 

R.G. 

28 février
Café Julien, Marseille