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Un « concert miracle » au GTP

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Tout avait pourtant été compromis pour cette soirée. Le hr-Sinfonieorchester Frankfurt, véritable institution, fondée en 1929 et aujourd’hui dirigée par Alain Altinoglu (depuis la saison 2021-2022 et dont le contrat a été prolongé jusqu’à la saison 2027-2028) comporte une centaine de musiciens (pensez ! on comptait le soir du concert aixois huit contrebasses). Un défi d’organisation, surtout lorsque la neige s’en mêle, rendant impraticables les pistes de l’aéroport. L’orchestre devait arriver la veille du concert, il dut se lever à cinq heures du matin du jour j afin de tenter une arrivée dans les temps. L’avion le laissa à Lyon, oublia quelques bagages… Il fallut affréter une flotte de cars jusqu’à Aix-en-Provence… Bref, « un petit concert-miracle » déclara Dominique Bluzet qui expliqua malicieusement les tribulations de l’orchestre, débuta avec une demi-heure de retard privant l’auditoire de la première pièce du programme, Dans la natureouverture pour orchestre d’Antonin Dvorák (sic !). 

Les musiciens furent-ils exaltés par les difficultés ? La soirée qu’ils offrirent au public aixois est à marquer d’une pierre blanche. Le Concerto pour piano en la mineur d’Edvard Grieg, seule œuvre concertante du maître norvégien, était porté par le jeu délié du jeune pianiste canadien Jan Lisiecki, repéré à seize ans par Deutsche Grammophon. L’intelligence de l’interprétation et une virtuosité technique qui ne cherche pas à briller mais se met au service de la partition, épousaient les mouvements passionnés de cette création de 1869. Est-ce l’année 69 ? Grieg a alors vingt-cinq ans et insuffle tous ses élans amoureux (il vient de se marier avec la chanteuse lyrique Nina Hagerup et sa fille Alexandra naît) dans une partition qui exprime les exaltations de l’amour, multiplie les contrastes, intègre des trames de la musique folklorique norvégienne. L’orchestre mené avec une précision enthousiaste par Alain Altinoglu dialogue avec le piano, répond à la fulgurance de ses cadences, enserre les motifs dans un puissant souffle romantique. La sensibilité précise du pianiste s’attachait à une œuvre de Chopin en bis, ovationné par une salle comble et comblée. 

L’orchestre seul poursuivait l’enchantement avec Tableaux d’une exposition de Modest Moussorgski dans l’orchestration de Maurice Ravel). Rarement l’abord de cette œuvre est rendu avec une telle clarté. Les strates de l’écriture devenaient alors évidentes par un travail précis de chaque pupitre. Les dix tableaux enchâssés dans le fil de la « Promenade » du visiteur au cours de l’exposition varient de thèmes, de couleurs, de tonalité. Le mouvement de la visite suit celui de la marche jusqu’à l’apothéose du thème dans la célébrissime Grande Porte de Kiev. La subtile Sicilienne de Pelleas et Melisande de Fauré concluait en un bis d’une infinie délicatesse ce moment hors du temps.

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 28 novembre au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence.

Revoir L’Avare

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L'Avare © Juliette Parisot

Il y a désormais deux ans, le public de l’Opéra de Marseille découvrait, hors les murs des Théâtres, un Bourgeois Gentilhomme onirique et opulent. Revenu sur ce plateau en cette fin novembre pour y camper un autre archétype made in Molière, Jérôme Deschamps livre cependant une lecture bien moins lumineuse de L’Avare. On retrouve certes les motifs et obsessions chères au metteur en scène : les rôles travestis ou très bouffes d’Yves Robin, ou encore les improvisations joliment boulevardières de Lorella Cravotta en Frosine ou de Bénédicte Choisnet, fringante Élise ; la bonhommie de Vincent Debost en Maître Jacques ou de Fred Epaud dans les rôles d’Anselme et de Brindavoine. Le goût pour le mélange des tons est encore ce qui fonctionne le mieux dans cette distribution unissant le tragique outré, et donc hilarant, d’Aurore Lévy dans le rôle de Mariane ou même de l’outré Cléante de Stanislas Roquette. Sans oublier la méchanceté et la folie qui semblent guetter Valère, qui devient, sous les traits de l’impressionnant Geert Van Herwijnen, un des personnages les plus fascinants de la pièce, là où tant d’autres l’auront simplement dépeint comme un pleutre, ou un arriviste. 

Désamour et trahison familiales
Ce joyeux mélange de tons laisse tout le loisir à Jérôme Deschamps de camper, sur un mode de jeu qui ne semble appartenir qu’à lui, cet Harpagon plus décalé et en proie à une certaine réalité que réellement cruel. Mais Harpagon n’a ici plus rien de l’émerveillé Monsieur Jourdain ; les costumes de Macha Makeïeff sont élégamment outrés et colorés, mais le décor demeure vide, au grand dam de comédiens heureusement aptes à faire entendre leur voix sur le large plateau de l’opéra. Un certain malaise s’installe dans cette chronique de désamour et de petites trahisons familiales, que la gaieté de la scène finale ne balayera jamais complètement. L’austérité demeure, sous les oripeaux de la comédie, un bien triste programme.

SUZANNE CANESSA

L’Avare, mis en scène par Jérôme Deschamps, a été présenté à l’Opéra de Marseille du 29 novembre au 1er décembre dans le cadre de la programmation hors-les-murs du Théâtre du Gymnase.

Libre et fraternel, Bruno Maderna 

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Deux termes caractérisent Bruno Maderna, expliquait en amont du concert Daniel Dahl, lui-même compositeur et chef d’orchestre, fondateur et directeur musical de l’Ensemble Musiques Présentes. La liberté, il a été résistant durant la Seconde Guerre mondiale et a toujours refusé de s’enfermer dans quelque dogme que ce soit de composition et la fraternité, fidèle en amitiés et chaleureux. Il précisait combien Bruno Maderna a fait jouer par son orchestre les compositeurs de son temps, brassant un répertoire très large comprenant tous les genres musicaux. C’est pourquoi aux œuvres de ce musicien disparu trop tôt, emporté par un cancer alors qu’il n’avait que cinquante-trois ans en 1973, s’ajoutent des pièces de Luciano Berio (1925-2003) et des musiciens du XXIe siècle, Luca Antignani et Daniele Bravi. 

Des musiques qui racontent

Les étudiants du Conservatoire et de l’IESM (Institut d’Enseignement Supérieur de la Musique Europe et Méditerranée), coordonnés par Guillaume Rabier, interprétèrent en alternance avec les musiciens de Musiques Présentes les divers temps du concert, présentés par Daniel Dahl qui resituait finement l’esprit des compositions. On se laissait ainsi séduire par le duo piano, violon de Per Caterina de Maderna, d’une tendresse et d’une simplicité mélodieuses, puis son Dialodia où flûte et clarinette offrent un dialogue pailleté, Ständchen für Tini, si dense… Les duos de Luciano Berio dédiés à Maderna, Bruno et Daniela (1979) rappelaient les amitiés solides et fécondes des musiciens, courts portraits tout de finesse attentive. Les trois tableaux de Nix et nox (2012), La nube de la nievePortentosum mare et Asi sea, de Luca Antignani, s’emparent de la trame des premiers chapitres du roman de Victor Hugo, L’homme qui rit, évoquant par le biais du timbre des instruments (flûte, clarinette, violon, violoncelle), la tempête et la neige en tableaux quasi naturalistes où l’homme se heurte aux forces de la nature. Meditazione Terza – Oltre l’inganno dei sensi (2016) de Daniele Bravi, venu tout exprès de Rome pour la création française de ses pièces destinées à cinq instruments, flûte, clarinette, piano, violon et violoncelle. S’appuyant sur les Méditations métaphysiques de Descartes, le compositeur italien plonge à son tour dans l’expérience philosophique, ici, une introspection « au-delà de la tromperie des sens » (Oltre l’inganno dei sensi), en un cheminement qui aboutit à la conclusion que peu importe d’où viennent les sens, mais l’essentiel réside dans les images qu’ils suscitent en nous. Le travail du compositeur se confond alors avec celui de l’architecte, dressant des falaises adossées au vide, accordant au silence sa vertu musicale et aux sons une ampleur et une étrangeté neuves. 

Vertiges stellaires

En filigrane, une pièce de Bruno Maderna scandait le concert, Serenata per un satellite, reprise par trois fois, d’abord interprétée par les étudiants, puis par les professionnels, enfin par les deux phalanges de musiciens, pour donner à l’auditeur trois instants musicaux différents. La feuille de salle présentait la partition à jouer : courte, certes, mais étonnamment complexe, avec des portées vagabondes qui se croisent, font des boucles, constituent un dessin déroutant bien éloigné des partitions « classiques ». Le nombre d’instruments n’est pas précisé, et à peu près tous peuvent se lancer dans cette gageure : « il n’est pas nécessaire de commencer au même endroit, on peut prendre la partition dans le sens que l’on veut, le seul impératif est d’en jouer précisément les notes » aurait donné comme consigne le compositeur. L’aléatoire devient alors norme et pourrait faire penser au célèbre ouvrage de Raymond Queneau, Cent mille milliards de poèmes (le livre est découpé en languette permettant de choisir chaque ligne d’un sonnet. Le nombre de combinaisons possibles renvoie au titre !), les possibilités, certes quantifiables sont à échelle humaine proches de l’infini ! Le jeu rejoint la création pour des délectations partagées !

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 19 novembre au Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence.

Le combat d’un chef

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Michele Spotti © Marco Borrelli

Depuis sa nomination en tant que directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Marseille, le jeune chef italien Michele Spotti était très attendu par le public de l’Opéra. Quelques jours après avoir assuré durant tout le mois de novembre la direction de Turandot à Bastille, le revoilà donc de retour à Marseille, et plus précisément à l’auditorium du palais du Pharo, pour son premier concert en tant que chef titulaire. Et qui plus est sur un programme ambitieux, assez éloigné du répertoire habituel de l’orchestre pour surprendre, et pourtant constitué d’œuvres passionnantes à jouer comme à entendre.

Des grands noms convoqués

Le concert s’ouvre sur la Pulcinella-Suite de Stravinsky, sorte de manifeste pour un retour aux fondamentaux après l’éclat du Sacre du printemps, pétri d’influences plus baroques que classiques, au premier rang desquels Bach et son art inégalé du contrepoint. Composée sous sa forme ballet pour orchestre et voix, la pièce redistribue dans sa version orchestrale le chant aux instruments et tout particulièrement au hautbois de l’impeccable Ivan Kobilskiy, très présent tout au long du concert, mais aussi au premier violon de Marcello Miramonti

On s’aventure avec Richard Strauss et son Concerto pour hautbois vers les mêmes paysages mélancoliques : Bach semble avoir laissé la place à Mozart et à son sens des proportions, mâtiné de mélancolie. Le hautbois de l’impressionnant soliste Francesco di Rosa dialogue, comme c’est souvent le cas dans l’orchestre straussien, avec l’alto lyriquissime de Magali Demesse.

C’est enfin Beethoven que l’on croit entendre en remontant encore un peu plus loin, chez Schubert, dans cette Symphonie n°4 dite « La Tragique » pourtant bien moins déchirante que ses partitions ultérieures. L’orchestre déclame d’une seule voix cette œuvre de jeunesse rarement jouée, et pourtant très habitée. Avec une joie redoutablement communicative.

SUZANNE CANESSA

Concert donné le 3 décembre au Palais du Pharo, Marseille.

Conte à quatre mains 

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Hänsel et Gretel © Mirco Magliocca

Au départ, le spectacle a été conçu avec l’Orchestre de Paris et Grand Corps Malade en récitant, voix off, sur les dessins de Lorenzo Mattoti, le génial réalisateur du film d’animation La Fameuse Invasion des ours en Sicile. Dominique Pitoiset et Nadia Fabrizio reprennent le spectacle, adaptent le texte, conçoivent une mise en espace, réduisent la taille de l’orchestre à une transcription sur piano à quatre mains. Puis mettent en place une scénographie et des effets de lumière qui font véritablement entrer la représentation dans l’univers du théâtre. Trois pièces musicales suivent le récit, Hänsel et Gretel de Engelbert Humperdinck, La Nuit sur le Mont Chauve de Moussorgski et sa Sérénade, pièce du cycle des Chants et danses de la mort (arrangements pour quatre mains de Richard Kleinmichel). 

Mystère poétique

Les deux pianistes sur scène, Elsa Bonnet qui joue « à la maison » (elle a débuté ses études pianistiques à Aix-en-Provence avant d’intégrer le CNSM de Paris et de connaître une carrière internationale) et Pierre-Marie Gasnier lui aussi au palmarès impressionnant et « ambassadeur Pleyel », adoptent des costumes (dus à Nadia Fabrizio) qui renvoient aux deux protagonistes du conte, petite robe de poupée et nœud blanc dans les cheveux pour elle et tenue d’enfant sage pour lui. La vivacité complice et intelligente des instrumentistes tresse les phrases musicales autour du récit porté avec une subtile espièglerie par Nadia Fabrizio. Les voix des personnages naissent au fil de la narration ; les articulations du conte, les formules incantatoires scandent le déroulé de l’action tandis que les dessins de Lorenzo Mattoti, rétro-projetés sur un grand écran en fond de scène épousent les péripéties du conte. On voit l’ombre de la main armée d’un pinceau tracer des formes étranges qui peu à peu prennent sens. 

La peur invoquée d’emblée par la conteuse se traduit dans le foisonnement des arbres, des perspectives où s’entremêlent ronces, buissons et fourrés, laissant une place minuscule aux personnages stylisés. Le mystère poétique des formes correspond à celui des musiques, et enrobe le spectateur dans son orbe expressionniste. Le conte se mue en fable par sa morale qui célèbre la fraternité solidaire. Le spectacle accessible dès huit ans est une pépite dont les largement plus de huit ans se régalent aussi !

MARYVONNE COLOMBANI

Hansel et Gretel a été donné du 30 novembre au 2 décembre au Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence.

Qui trop embrasse

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Nuit d'Octobre © Rémi Blasquez

On attendait de ce grand spectacle, produit par un centre dramatique national et joué à La Criée, qu’il donne enfin un écho auprès d’une vaste audience à cette page si noire de notre histoire contemporaine. C’est en partie une réussite, et le public du théâtre national de Marseille a été touché par la mise en drame de cette nuit où des centaines de « français musulmans d’Algérie », pacifiques, ont été tués par balles et coups de matraque, jetés à la Seine, torturés par la police française aux ordres de Papon. Pourtant cette histoire récente, aux échos hélas contemporains, ratait en partie son objectif artistique.

Sans nuance

Choisissant volontairement la fiction et récrivant l’histoire avec des personnages plausibles inspirés de personnages réels, les deux autrices voulaient s’éloigner du théâtre documentaire sans renoncer à rendre la complexité des faits et de ses ramifications, ajoutant à cette nuit d’octobre les essais nucléaires au Sahara, le métro Charonne un an plus tard, présentant sans nuance les policiers comme des abrutis fascisants secondés par des harkis cruels. Figurant le poids du silence avec trop de mots, brouillant les pistes au lieu de les éclairer, bousculant la chronologie de digressions, de dialogues avec des fantômes, alourdissant l’espace de décors, de pénombre, de pluie et de sable tombés.

Les comédiens, aux prises avec cette profusion, peinaient à faire naitre l’émotion de leurs personnages. Un constat d’autant plus regrettable qu’il suffirait sans doute de quelques coupures, quelques silences, un autre rythme, quelques moments intimes, pour que cette Nuit d’Octobre voit vraiment le jour.

AGNÈS FRESCHEL

Nuit d’Octobre a été joué du 29 novembre au 3 décembre à La Criée, théâtre national de Marseille. 

Trouver sa Place

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Place © Pascal Gely

C’est un spectacle déjà auréolé de nombreuses critiques élogieuses et de prix qui débarquait sur la scène du Théâtre Joliette. Place, de Tamara Al Saadi, déjà distingué du prix des Lycéens du festival Impatience 2018, encensé l’année suivante au Festival d’Avignon, ne perd rien de sa force, ni de sa sensibilité, malgré les années. Une pièce dans laquelle l’autrice et metteuse en scène revient sur son parcours de vie, elle qui a posé le pied en France avec toute sa famille suite à la première Guerre du Golfe, alors qu’elle avait 4 ans. 

Tout le propos répond à la problématique à laquelle la jeune femme est confrontée depuis son enfance. En France, où elle est réfugiée, elle doit apprendre à vivre avec ces deux cultures qui la traversent sans pour autant se renier. Pour donner du corps cette dualité, la jeune metteuse en scène choisit de dédoubler son personnage : Yasmine Nadifi jouera la version d’elle-même sensible à sa première culture, et Marie Tirmont sera celle qui souhaitera pleinement « s’assimiler ». 

Sur le plateau, une suite de scènes fugaces présente les différents membres de la famille. Le frère, joyeux et irrésistiblement drôle – remarquable Ismaël Tifouche – ; la sœur, dont on comprendra qu’elle est arrivée trop jeune pour être véritablement irakienne, trop tard pour se sentir française ; et les parents, tous deux malades d’avoir quitté leur terre natale. 

L’ensemble apportera ce qu’il faut d’humour et de tendresse. On rira fort, les yeux encore embués. Il y aura de la beauté aussi, comme quand une pluie de sable viendra marbrer le plateau, jusqu’alors pauvre de seulement quelques chaises en plastique. La pièce égratigne aussi la société française qui n’oublie jamais de renvoyer la jeune femme à ses origines, comme quand, titulaire d’un master, on lui demande si elle parle français. Dans cette pièce, Tamara Al Saadi parvient surtout à transcender sa propre histoire pour en faire un objet universel, avec une humanité qui se dégage dans chaque éclat de voix, de rire et de larme. 

NICOLAS SANTUCCI

Place a été donné du 28 novembre au 1er décembre au Théâtre Joliette, Marseille. 

« Faire ensemble »

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© Ville de Marseille

Zébuline. L’éducation populaire est une nouvelle délégation, créée par votre majorité en 2020. Êtes-vous satisfaite de ces trois premières années d’exercice ?

Marie Batoux. Si la question est de savoir si j’ai réintroduit de l’éducation populaire dans la politique publique, cela reste un sujet en cours ! et c’est pour cela que l’on organise les Rencontres. Car l’éducation populaire est un concept lointain, vaste, qui a été parfois malmené, parfois dévoyé, discrédité, perçu comme quelque chose qui n’est plus actuel, qui ignore que le peuple a une culture en voulant « l’éduquer ». Finalement, ce que l’on fait depuis ces dernières années avec les Rencontres, c’est se poser la question d’une éducation populaire du XXIe siècle, qui soit en phase avec une société qui a changé, mais qui reste sur ses principes fondateurs. Et on progresse, notamment sur la question de la participation de l’individu à la politique publique.

L’éducation populaire connaît, selon les époques ou les personnes, plusieurs définitions. Comment envisagez-vous ce concept ?

L’éducation populaire, pour moi, c’est un espace d’émancipation de l’individu dans un cadre collectif. Le « faire ensemble » est primordial dans la manière dont on peut penser les pratiques professionnelles, que ce soit des animateurs ou des acteurs d’associations  culturelles, sportives, citoyennes. Le dénominateur commun, ce qui permet de rassembler ceux qui se reconnaissent dans l’éducation populaire, c’est finalement la manière de produire un processus qui s’appuie sur l’individu dans un cadre collectif.

D’ailleurs le thème des prochaines Rencontres s’inscrit autour des « pratiques collectives ».

Exactement. La méthode pour construire le programme de ces Rencontres a été de garder les co-animateurs de l’année dernière, pour faire un bilan et progresser sur l’édition 2023. En septembre, nous avons invité tous ceux qui avaient été présents aux dernières rencontres pour faire un point d’étape avec les problématiques qui avaient été abordées et voir comment on allait plus loin. Donc on a vraiment été dans un processus de co-construction et, effectivement, ce qui est important dans la pratique des uns et des autres c’est que dans cette période historique où la pratique individuelle est valorisée à l’extrême, la question du collectif a des vertus et nous devons les remettre au centre de la réflexion. 

Marie Batoux © VdM

Pourquoi était-ce important d’organiser ces Rencontres ? 

C’était une délégation qui n’existait plus, ou qui n’a peut-être jamais existé à Marseille. Et la priorité était de se remettre d’accord sur ce qu’était l’éducation populaire. L’arrivée de Robin Renucci au Théâtre de La Criée a été un moment important : on s’adresse à quelqu’un qui travaille sur ces questions dans tous les endroits où il est passé depuis longtemps, donc je l’ai interrogé sur ce que signifiait pour lui, en tant que directeur de La Criée, le concept de  pratique artistique et collective. 

En 2022, [Les Rencontres de l’Éducation populaire de 2021 ont été perturbées par le Covid, ndlr] beaucoup de gens travaillant dans des petites structures, culturelles ou associatives, se sont mobilisées. On a été surpris par cette appétence. On n’avait pas forcément prévu de faire de nouvelles Rencontres mais c’était important pour moi de continuer ce dialogue-là, qui a été fondateur et fédérateur. Quelle est cette capacité que l’on a à travailler avec les habitants, qu’on soit élus, professionnels, acteurs sociaux, éducatifs ou culturels. Et donc on a construit deux journées, une première qui est sur un temps de rencontres professionnelles, et une deuxième ouverte au public et à tous ceux qui se reconnaissent de l’éducation populaire. Parmi les temps forts le spectacle Nos Héroines, particulièrement symbolique. C’est une pièce participative, construite par Wilma Lévy et sa compagnie de théâtre avec des femmes qui sont quotidiennement usagères d’un centre social

Il y a un débat organisé autour de l’esprit critique, un thème qui est souvent au cœur de l’éducation populaire. Certains disent pourtant qu’à trop vouloir enseigner l’esprit critique individuel, on favorise la montée des pensées complotistes. Que répondez-vous à cela ? 

Je pense exactement le contraire, c’est pour cela que l’on a un atelier sur l’éducation aux médias. Certains qui se pensent très critiques au regard de la pensée institutionnelle, et donc des journaux qu’ils pensent affiliés au pouvoir politique, sont beaucoup moins critiques quand une autre pensée arrive par les réseaux sociaux, qu’ils ont eux mêmes choisis, où ils dialoguent dans un cercle restreint sans questionner la manière dont l’information a été construite. La pensée critique nous permet de comprendre qu’un éditorialiste et un journaliste ce n’est pas la même chose. Que ça a sa place dans un journal, mais c’est une des choses qui probablement floute la perception du citoyen. C’est aussi cette incapacité qu’ont peut-être les médias à mettre en perspective une pensée, comme pendant le Covid, où l’on n’a pas été capable d’expliquer que la pensée scientifique, face à l’imprévu, avait besoin de temps pour se construire, et pouvait faire des allers retours sur son savoir. C’est cela que l’on doit reconstruire en terme de politique publique : nous devons nous armer collectivement face à ces questions qui émergent dès l’école, et en dehors de l’école. 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI

Les Rencontres de l’éducation populaire
Du 8 au 10 décembre
Divers lieux, Marseille

L’art de la réparation

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Tangente distribution

 Dans une masterclass à Marseille, la réalisatrice Alessandra Celesia avait parlé de ce qu’était pour elle faire du cinéma : « Pour moi, filmer est une manière de s’interroger et de se “soigner”. Il y a quelque chose que tu ne comprends pas du monde et c’est en le filmant que tu essaies de le saisir. Filmer le réel, c’est tenter d’y mettre un peu d’ordre aussi. […] La réalité est insupportable alors il faut la raconter pour essayer de la comprendre. »

Chacun de ses films précédents lui a permis de peaufiner son travail en posant des questions : jusqu’où peut-on aller ? Le documentaire peut-il être vrai ? Qu’est-ce que la vérité ? Par exemple, dans Anatomie d’un miracle, la cinéaste qui n’est pas croyante, suivait trois femmes paralysées cherchant le miracle auprès de la vierge bleue qui saigne, métaphore de son impossibilité à vivre dans son Italie. Une manière de voir comment chacun s’en sort de ses blessures.

Une idée qui tombe à pic

La Mécanique des choses, son dernier film, plus personnel, nous donne à voir une cinéaste à fleur de peau, qui a besoin de réparer toutes ses failles. Un film qui s’est imposé tout à coup, à la suite d’une chute, celle de Tito, son chat, tombé du 8e étage, vivant mais les pattes brisées. Un choc pour Alessandra Celesia,qui en a fait resurgir d’autres, traumatismes de l’enfance, accidents de l’âge adulte. Culpabilité et envie de réparer. Elle contacte l’Association française de personnes paralysées et, grâce à la chercheuse Stefana Carelli, rencontre à Barcelone une équipe de chirurgiens chinois qui travaillent sur la régénération de la moelle épinière. Quand l’un d’entre eux accepte d’opérer Tito, nait l’idée du film.

Alessandra et son équipe partent à l’hôpital Tongren de Kunming, en compagnie de gens paralysés, volontaires pour être opérés. Un fil narratif clair : on va suivre leur aventure, les connaitre peu à peu, Aline, Virginie, Stéphane et toute l’équipe chinoise. Mais si on peut régénérer la moelle osseuse, peut on régénérer l’âme ? Par le jeu subtil du montage, d’autres strates surgissent, celles de la mémoire ; le présent et le passé se télescopent, nous révélant les blessures de la cinéaste : la culpabilité de n’avoir pu « sauver » son père de la dépression, d’avoir cru être responsable d’un accident de la route. Des images rugueuses, furtives, extraits de films de famille, son père au gouvernail d’un bateau sur la mer ou scènes reconstituées, l’accident et le motard, blessé à terre. Une fillette blonde, tantôt elle enfant, tantôt une autre. Elle adulte, filmée en gros plans par son fidèle directeur de la photo, François Chambe, face à sa thérapeute qui fait émerger l’iceberg, tomber les barrières. Un film particulier, un film qui soigne : « Le remède, c’est ça qui est à la base de mon film. » La Mécanique des choses ?  Celle des corps aussi et des choses qui sont en nous et qu’on n’arrive pas à connecter. Un film fort qui nous fait approcher de très près cette cinéaste sensible dont on avait fort apprécié les opus précédents, en particulier Come il bianco présente au FID 2020.

ANNIE GAVA

Le film a été présenté aux États généraux du film documentaire de Lussas.

La Mécanique des choses, d’Alessandra Celesia
En salles le 6 décembre
Une séance est prévue le 16 décembre au cinéma La Baleine (Marseille) en présence de la réalisatrice.(En clôture des RISC)

Les rivages du fric 

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L’écriture d’Agnès Mathieu-Daudé emporte le lecteur jusqu’à la pensée intime de la narratrice principale : « Élevée sur le tremplin de la frustration, Suzanne Valeyre était prête à être propulsée le plus loin possible. » Ce travail de la pensée, travail de re-construction identitaire, forme la matière principale du roman. Il est rendu particulièrement éprouvant par la transplantation du personnage d’un milieu modeste à un milieu doré, à la faveur du mariage improbable de cette belle française avec Paolo. Ce dernier est l’héritier d’un riche capitaine d’industrie italien, Ercole Signorelli, spécialisé dans la fabrication de roulements à billes, entrant dans la fabrication d’armements. 

La psyché individuelle des personnages s’inscrit dans l’histoire italienne du milieu du siècle dernier, qui voit l’émergence conjointe du fascisme et de l’industrie pétrolière, après celle du charbon. Aussi, un deuxième travail auquel se consacre Suzanne structure le roman. Il consiste à enquêter sur le kidnapping de Paolo enfant, en 1976, à la faveur d’une révélation fortuite. Cet événement prend la forme confuse et obstinée du secret de famille, qui définit le rapport au monde des Signorelli : « Taire des choses importantes, est le b.a.-ba des affaires ». En revanche, l’ancien métier de journaliste de Suzanne commande sa relation au monde, sous les formes conjointes d’une mauvaise conscience et d’une quête de vérité dont on ne sait jusqu’où elle la conduira…

Western spaghetti et comédie de mœurs

Le texte procède de flash-back en flash-back, insérés dans le présent, qui balisent plusieurs histoires et mémoires : histoire de l’Italie, storytelling de l’entreprise, histoire de famille, l’ensemble étant réuni par les forces conjointes de l’héritage et de la filiation. Le passé – la poignée de main entre Giorgio Signorelli, grand-père de Paolo, et Mussolini en 1938 – est ramené à l’actualité, sur des questions d’écologie ou encore de flux migratoires (les migrants étant ces fameux marchands de sable).

Le référent cinématographique, propre à la génération d’Ercole, est récurrent. La beauté des corps, dans ce monde de l’apparence et du décorum, est une ressource sociale centrale. Pour l’inoxydable mère de Paolo, « on ne laisse pas son corps à l’abandon ». Mais les descriptions des paysages sardes, au présent, ont un souffle poétique, puisant dans la beauté authentique et vulnérable de la nature, Suzanne étant particulièrement sensible à la dégradation écologique de l’île.

L’écrivaine aime saisir ses personnages de l’intérieur, à l’aide d’une minutieuse écriture du ressenti. Elle est équilibrée par la prise de distance qu’apporte un humour qui affleure constamment sous les mots : « la grotte dédiée à Tanit […] sur le sol de laquelle s’amoncelaient porte-bonheur et autres ex-voto […], et même un préservatif non usagé, qui n’avait a priori pas grand-chose à faire dans un lieu dédié à la déesse de la fertilité […] ». Le marchand de sable qui traverse le roman comme les rivages de Sardaigne invite ici à ouvrir les yeux.

FLORENCE LETHURGEZ

Marchands de sable, d’Agnès Mathieu-Daudé
Flammarion – 21 €