dimanche 9 novembre 2025
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Accueil Blog Page 215

Sexualité de classe

0
La Puce a l'oreille de Georges Feydeau - Mise en scene Lilo Baur - Comedie-Francaise © Brigitte Enguerand

Les applaudissements du public conquis retentissent alors que les comédiens-français reviennent pour saluer sur la scène de l’Opéra Comédie de Montpellier. Viennent de se dérouler deux heures de quiproquo hilarants à la résolution interminable, deux heures de situations rocambolesques et de critique bourgeoise de la bourgeoisie, deux heures de Feydeau. 
Pour cette version de La Puce à l’oreille, créée en 2019 à la Comédie-Française, la metteuse en scène Lilo Baur a décidé de substituer aux intérieurs parisiens du début du siècle dernier, un chalet de montagne dans les années 1960. On ne peut que saluer l’extrême cohérence de la mise en scène et des ajustements dans le texte, qui permettent de créer un univers complètement consistant et ajoutent une réelle plus-value au comique de ce classique du théâtre de boulevard. Le jeu des acteurs, inspiré à la fois des grands du burlesque et de feuilletons des sixties, est particulièrement impressionnant et confine parfois à l’acrobatie, notamment au cours du deuxième acte, lorsque le rythme s’emporte et que chacun tente de sauver sa peau. 

Méta-bourgeois


Seulement, le même problème se pose toujours lorsque l’on cherche à revisiter des pièces comme celles de Feydeau sans trop en altérer le texte : aucune modernisation de la mise en scène, si brillante soit elle, ne saurait gommer les traces de l’époque et de la classe sociale de l’auteur dans le texte. Feydeau est bien loin d’être le plus misogyne de ses confrères, et on pourrait même qualifier certains personnages de la pièce – Lucienne et Raymonde – de femmes fortes. Elles cherchent tant bien que mal à faire respecter leur volonté dans leur vie amoureuse et sexuelle et, bien que pleines de contradictions, ne sont pas potiches. Mais nous sommes bien obligés de constater que ce traitement n’est accordé qu’aux personnages de bourgeoises. Les femmes qui travaillent, les domestiques et la tenancière de l’hôtel du Minet Galant, sont bien plus creuses. Leur vie sexuelle, débridée et dénuée de toute réflexion, les rend risiblement esclave de leur désir et de celui des hommes. Et ce n’est pas un détail, considérant que la majeure partie de l’intrigue est relative aux activités sexuelles des uns et des autres. Évidemment, il n’est pas possible, en étant de bonne foi, de reprocher à Feydeau sa notion très floue du consentement, mais nous pouvons tout de même nous interroger : est-ce pertinent de rire des bourgeois en adoptant leur point de vue ?

CHLOÉ MACAIRE

La Puce à l’oreille par la Troupe de la Comédie Française a été présenté du 15 au 17 février à L’Opéra Comédie, une programmation du Domaine d’O, Montpellier

Ouvrir la cage

0
Open Cage © Caillou

L’entre2 BIAC a débuté le 26 janvier  avec Friendly de la cie Les Attentifs, duo cirque-théâtre sur l’amitié inter-sexe. Dans Open Cage, il s’agit également d’un duo : celui d’un homme (Damien Droin) enfermé dans sa chambre d’hôpital, la « cage » du titre, cage à la fois physique et mentale, avec son infirmière (Sarah Devaux). Chambre scénographiée sur un plateau surélevé et en pente, qui se retrouvera assez vite à la verticale, avec un lit à armature métallique, qui, par effet de gravité, tout comme les personnages, glisse dangereusement vers le vide noir. 

Sur le côté un escalier métallique, où apparaît l’infirmière, en version « réelle », combinaison blanche, et en version « rêvée », habillée de rouge. C’est la version rêvée qui accomplit des séquences de danse-acrobatique avec l’homme tout autour du lit, dessus, dessous, puis en danse-voltige, à travers chutes et envols. Ou en enroulements acrobatiques sur des cordes lisses, qui tombent des cintres, et semblent parfois animées d’une vie propre. Le tout accompagné d’une musique aux accents sombres, méditatifs, tendus. Aucune parole est prononcée, ce sont les corps qui parlent, à travers leurs équilibres, déséquilibres, chutes et envols. Des séquences en théâtre d’ombres introduisent le spectacle, projecteurs placés sous le trampoline, rideau plissé accueillant les ombres, qui sera plus tard le support d’une séquence de danse acrobatique très « plastique » de Sarah Devaux. Enfin, une dernière chute, un dernier envol, et c’est avec l’infirmière « réelle » que la « cage » s’ouvrira. 

MARC VOIRY

Open Cage a été présenté le 15 février chez Archaos dans le cadre de L’Entre2 BIAC
À venir 
Damien Droin
sera présent avec sa compagnie Hors-surface pour Au bout la mer, clôture de l’Entre 2 BIAC organisée par la Mairie du 1/7 sur le Vieux-Port, avec la restitution de l’atelier collectif À ciel ouvert, et le spectacle Envol, dans le cadre des Olympiades culturelles

Del Cerro

0
© Anne-Laure Etienne

Intriguée par la signature de Pablo Del Cerro, attachée à une centaine d’œuvres d’Atahualpa Yupanqui, alors qu’elle faisait des recherches autour de l’œuvre musicale de ce dernier, la chanteuse Mandy Lerouge a mené une véritable enquête durant près de trois ans. Pablo Del Cerro était une femme, française, compagne d’Atahualpa Yupanqui, compositrice tout aussi géniale que discrète. Le spectacle qui découle de cette recherche et de ces rencontres nous fait plonger à notre tour dans les bonheurs de la quête, part des voix enregistrées de personnes qui ignorent qui est cette Antoinette Peypin, mais aussi de celle, émouvante, de son fils qui évoque ses parents. Les chants souvent donnés en primeur sont entremêlés aux bribes du récit, prennent une épaisseur nouvelle, habités d’un parfum de légende. La voix souple de Mandy Lerouge se glisse avec aisance dans les méandres des textes et des mélodies, accompagnée par le violoncelle augmenté d’Olivier Koundouno, la guitare de Diego Trosman, les percussions et la batterie de Javier Estrella.

M.C.

Le 23 février
Cité de la Musique, Marseille

OCCITANIE : Hémorragie interne 

0
Romeo Castellucci © Luca Del Pia

« Ce qui m’intéresse dans Racine, c’est son inactualité ». En soulignant d’entrée ce paradoxe, le metteur en scène italien, plutôt habitué du théâtre de la cruauté d’Artaud que de la retenue bienséante de Racine, débusque en Bérénice les oppositions qui en font la force spécifique.

Bérénice, tragédie sans mort et sans action, met en jeu la fin d’une histoire d’amour, pour les trois protagonistes principaux. Un amour au schéma tragique classique – Antiochus qui aime Bérénice qui aime Titus qui aime… Rome- sauf que personne ici, ne laisse la passion amoureuse dévorer l’intérêt supposé de la cité. Argument peu tragique…

Bérénice, pièce classique, ne repose sur aucun mythe, aucune tragédie grecque. Son personnage titre, Bere-nike, celle qui porte la victoire, est étrangère. Grecque justement, ou macédonienne, Reine de Palestine. Jean Racine s’approprie l’histoire romaine pour l’opposer à la sphère grecque, qui a inventé la Tragédie. Il invente ainsi, en France la tragédie de la Raison d’État, qui repousse l’étrangère, comme Louis XIV avait renoncé à Marie Mancini pour épouser l’Infante d’Espagne. Rendant la tragédie raisonnable, le contemporain de Descartes l’inscrit, dans Bérénice, très loin de ses fureurs fondamentales.

Bérénice, tragédie de la langue, des mots qui se disent et blessent, de la séparation acceptée et du deuil de l’amour, cherche le naturel, l’éprouvé, loin des fureurs et des violences, loin des actions, jusqu’au départ. Nécessitant un grand naturel et une grande simplicité, la tragédie est pourtant écrite dans cet alexandrin qui sublime et contraint le jeu, le rythme, l’expression même des idées et des sentiments, recherchant un naturel profondément artificiel.

Enfin Bérénice, tragédie janséniste, repose sur une injustice inacceptable pour un chrétien, puisque Bérénice est privée de la Grâce qu’elle mérite, et Titus, rare personnage de Racine sans faute et sans faille, empêché de vivre son amour pur et sincère. Le Ciel serait-il vide ?

Transcender les oxymores

C’est fort de ces paradoxes que Roméo Castellucci propose son Bérénice. Il s’attache à cette cruauté de la raison, la concentrant autour de douze performeurs représentant la foule, et deux comédiens (Cheikh Kébé et Giovanni Manzo) qui tournent autour du mythe vivant qu’est aujourd’hui Isabelle Huppert. « L’actrice définitive », dit le metteur en scène. 

La musique aussi, composée par Scott Gibbons, sample ses mots, ses soupirs, ses colères. Les confidents disparaissent, les dialogues deviennent monologues, isolant encore le trio au cœur d’un monde bruissant de voix intérieures. 

Bérénice est une « hémorragie interne », pas une goutte de sang n’est versée, mais c’est tout un monde, d’accueil de l’étranger, de primauté de l’amour sur la raison, qui s’écroule avec leur renoncement intime. Inactuel ? 

AGNÈS FRESCHEL

Bérénice
Du 23 au 25 février
Domaine d’O, Montpellier

Le cirque rebondit à Marseille

0
Clôture de la BIAC2023, Bleu Tenace © Pierre Gondard

Après un accent porté sur le cirque régional et le cirque au féminin, en 2024, année olympique oblige, c’est le sport qui sera au coeur de la nouvelle édition d’Au bout la mer ! Cirque. Ce 25 février, la mairie des 1er et 7e arrondissements et Archaos, Pôle national du cirque, invitent les Marseillais à découvrir deux spectacles et de multiples ateliers et rendez-vous toute la journée, sur la Canebière, gratuitement et en plein air. Une manifestation qui “ouvre cette année dédiée aux Jeux olympiques à Marseille” explique Sophie Camard, maire du secteur. 

Culture sport

Pour clôturer la nouvelle édition de l’Entre2 Biac, Au bout, la mer ! fait appel à deux compagnies qui offrent une place toute particulière au sport. Il y a d’abord Envol, de la compagnie toulonnaise Hors Surface avec le trampoline au centre du spectacle. “C’est un projet né il y a trois ans, avec la volonté de faire un pont entre l’art et le sport”, explique Damien Droin, son directeur artistique. Une création qui accueille “des musiciens lives qui viennent accompagner la création in situ”, poursuit-il, et également des anciens champions du monde de trampoline, comme Christophe Chapin. Le deuxième temps fort est proposé par le collectif Uni-Sphère et son spectacle Podium, qui joue lui du ballon rond, pour en faire un tableau à cheval entre danse, jonglage et football. 

Ces deux collectifs ont aussi pris part à un travail réalisé en amont de la manifestation, avec des ateliers qui accueillent des Marseillais amateurs, dont la restitution aura lieu ce 25 février. Le collectif Uni-sphère présentera le résultat d’une semaine passée avec des jeunes des quartiers Nord de la ville. La compagnie Hors surface quant à elle, dévoilera un spectacle pensé pour des trampolinistes amateurs à la rencontre de l’horizontalité et de la verticalité. 

Et aussi

Comme chaque édition d’Au bout, la mer !, le rendez-vous propose également de nombreuses activités. Des ateliers de jonglage, de funambulisme et de parkour. Un marché des producteurs – complémentaire de celui qui se tient désormais sur le Vieux-Port ; un stand de disquaires ; les Philosophes Publics pour converser avec les passants, les jeux pour enfants préparés par Terre Ludique et des sorties en mer organisées par Marseille capitale de la mer

NICOLAS SANTUCCI

Au bout, la mer !
25 février
Canebière, Marseille

Envol, compagnie Hors Surface
12h30 et 15h30

Podium, collectif Uni-Sphère
12h15 et 15h15

La course dévastatrice du capitalisme industriel est-elle  inéluctable ? 

0
Philippe Descola © G.C.

Zébuline. Dans un petit ouvrage, Avec les chasseurs-cueilleurs, paru chez Bayard ce mois-ci, vous suggérez qu’on enseigne l’écologie et l’ethnologie à l’école. 

Philippe Descola. Oui, en tout cas dans le secondaire, dans la mesure où ce sont les deux sciences de la complexité qui traitent d’organismes et qui se déploient à un niveau non pas micro, mais macro. Les interactions entre les organismes sont plus complexes à étudier que les interactions microcellulaires. Je pense qu’il n’y a pas de meilleur moyen pour éveiller à la diversité du vivant, des civilisations, des langues, etc., que d’enseigner ces deux sciences à l’école. 

Vous avez travaillé avec un dessinateur, Alessandro Pignocchi. Qu’est-ce que cela apporte à un chercheur en sciences sociales de s’associer avec quelqu’un qui utilise le dessin ? 

Cela permet de donner une bien plus grande diffusion à nos propos. Le livre qu’on a co-écrit et qu’il a illustré, Ethnographie des mondes à venir, a remporté, comme on le souhaitait d’ailleurs, un grand succès auprès des jeunes. Essentiellement de par l’attirance des illustrations et sa notoriété dans le domaine des romans graphiques d’inspiration écologique. Il a beaucoup d’humour. Or il me semble que les questions graves et sérieuses peuvent aussi être traitées sur un mode humoristique, voire ironique. Ça les rend plus aimables que si l’on prophétise des avenirs sombres. Ce qu’on fait aussi, bien sûr, parce qu’ils sont inévitables. 

Parfois, c’est un peu difficile de ne pas désespérer au vu de l’actualité. Est-ce que le savoir anthropologique aide ?

Cela donne l’occasion de faire un pas de côté, dans la mesure où la connaissance anthropologique -et historique par ailleurs- offre des multiplicités de voies pour se comporter autrement entre humains et vis-à-vis des autres qu’humains. Je ne sais pas si c’est une consolation mais en tout cas, on peut puiser dans un trésor d’inventions et d’imagination cosmopolitique, disons, des stimulations pour s’imaginer que la situation ne va pas être éternellement identique à celle qu’on connaît. 

Bien sûr, il y a aussi le fait de partager la vie de populations autochtones qui sont en première ligne face à la dévastation du monde. On est entraîné par leur opiniâtreté dans la défense de leurs territoires, et aussi par l’inventivité qu’ils manifestent dans les formes d’actions politiques, et d’argumentations juridiques, quelquefois. Le droit que s’arrogent les humains, individuellement, collectivement, d’accaparer un morceau d’espace, et de le transformer en ressources pour leur profit, n’est pas du tout universel.

Claude Levi Strauss a écrit ceci dans ses Tristes Tropiques : « Le monde a commencé sans l’homme et il s’achèvera sans lui ». Qu’est-ce que cela vous inspire ? 

Je suis comme lui l’était, très amoureux des beautés de ce que les humains ont fait, en termes d’art, de musique, quelquefois de paysages… Mais je suis aussi réconcilié avec l’idée que les humains vont disparaître sous les coups de boutoir de leur propre voracité. Quand je dis les humains, ce ne sont pas les coups de boutoir de tous, ce sont ceux d’un système. Ce qui me désolerait, c’est la fin de la vie. On peut supposer, en tout cas les collègues cosmologues disent qu’il n’est pas impossible qu’il y ait d’autres planètes où elle existe ; sans doute très, très différente des formes qu’on connaît. Mais c’est quelque chose de tellement rare et précieux sur Terre que ce serait dramatique qu’une espèce y détruise la vie.

Entretien réalisé par Gaëlle Cloarec

À lire
Avec les chasseurs-cueilleurs
Philippe Descola
Éditions Bayard, 12,90 €

Au cœur de la violence homocide

0
Tom na fazenda © Victor Pollak

Depuis sa création en 2011 la pièce du québécois a été traduite ou adaptée en une dizaine de langues, rencontrant sur scène, de l’Ecosse à l’Espagne en passant par l’Allemagne et l’Ukraine, le même succès sidéré, doublé par celui du film de Xavier Dolan (2013) qui à 24 ans incarnait un Tom blond assez éloigné du personnage originel.  Rodrigo Portella le retrouve. 

L’auteur québécois a écrit que cette version en portugais était la plus surprenante et la plus réussie de sa pièce. Il faut dire que le Brésil connaît le record mondial de meurtres d’homosexuels. 228 meurtres en 2022. L’homophobie n’y est un crime que depuis 2019. La violence dérangeante de la pièce francophone, qui oppose un homosexuel à son beau-frère, brute homophobe, repose sur l’attirance masochiste que le citadin éprouve pour son tortionnaire. Transposée au Brésil, jouée par un acteur moins jeune, plus grand et plus costaud, la question n’y est plus l’ambiguïté du désir, mais l’horreur de l’emprise. 

Thriller déchirant

Sur un plateau recouvert d’une simple bâche de plastique maculée de terre et de flaques de boue, évoluent quatre acteurs prodigieux. Une danse de désir, de violence, de deuil, de mort, de solitude, de mensonge, d’illusion, d’amour, de remords, de déni, se joue en deux heures d’une rare intensité théâtrale.  L’écriture virtuose dédouble en permanence la présence de Tom, qui vit et commente en même temps : l’emprise est là, immédiate, dès les premiers coups portés, nocturnes, qui sont un choc dont il ne se relèvera pas. 

L’évocation constante de la chair putride, d’un vêlage, des traites de lait gras, de plats décongelés qui font vomir, de parfums qui s’emmêlent et attirent, tout construit un tourbillon insoutenable qui ne peut que redoubler la perte initiale, tant les identités qui tournent autour du mort, de son amant Tom, de son frère, de sa vraie/fausse maîtresse, de sa mère dont on ne saura jamais ce qu’elle sait vraiment, évoquent de pistes transgressives, incestueuses, perverses, qui ne seront jamais résolues. 

La fin, grandiose, casse la représentation pour dire simplement, face au public, le meurtre final. Jamais la violence, portée pourtant par les mots seuls et par un comédien grandiose, n’aura été aussi insoutenable.

Agnès Freschel

Tom na Fazenda a été joué à Châteauvallon, Scène Nationale, le 17 février 

Monologue monotone 

0
Ranger © Louise Quignon

Il y a quelques semaines, le Théâtre du Gymnase programmait déjà – à La Criée – Pascal Rambert et sa pièce Mon Absente. Dans Ranger, donné sur la scène des Bernardines de Marseille jusqu’au 24 février, c’est encore d’absence dont il est question. 

Après un dîner-conférence de gala, Jacques Weber retrouve sa chambre d’hôtel aseptisée de Hong Kong. Tout est blanc, fait de plastique, et la télévision paraît plus grande que les fenêtres. Une fois son masque chirurgical enlevé et la lumière allumée, il s’adresse à sa femme, matérialisée par un portrait posé sur une table. On apprend rapidement qu’elle est morte il y a un an. Il lui raconte la soirée dans ses moindres détails, et ponctue le récit de souvenirs communs. Et il boit, beaucoup, prend des médicaments et se drogue aussi. Il n’a plus le goût de rien, sinon de se détruire, une bonne fois pour toute. 

Un néon-événement ?

Pendant 1h30, le public assiste à un monologue souvent poignant, parfaitement exécuté par un Jacques Weber encore et toujours au sommet de son art. Il est puissant, subtil, convoque tour à tour tristesse, joie, angoisse ou euphorie. La mise en scène est aussi au rendez-vous. La lumière produite par la centaine de néons accrochés à cette chambre austère offre une harmonie judicieusement malaisante à l’ensemble. On ne saurait pourtant être parfaitement emballé par ce que propose Pascal Rambert – contrairement à Mon Absente qui avait davantage convaincu. La faute à un propos trop monotone, qui confine par moments à l’ennui. Le seul Jacques Weber, malgré tout son talent, ne peut éviter. 

NICOLAS SANTUCCI 

Ranger, de Pascal Rambert est donné jusqu’au 24 février au Théâtre des Bernardines, Marseille

Midi nous le dira

0
Midi nous le dira © Julie Cherki

Une jeune femme sur scène attend de savoir si elle est sélectionnée dans l’équipe France espoirs de football féminin. Alors pour patienter, elle se filme à l’aide d’un smartphone et s’adresse à la femme qu’elle sera dans dix ans. L’occasion de se rappeler au bon souvenir de l’enfance, de ses ancêtres, ou de toutes ces femmes qui lui ont donné le goût de la liberté. Porté par Joséphine Chaffin à la mise en scène et Juliette Gharbi pour le jeu, Midi nous le dira chevauche plusieurs thèmes : la persévérance, le féminisme, le temps qui passe, et surtout, la jeunesse. Présenté à La Criée dans le cadre de l’Olympiade culturelle 2024, le spectacle et trois journées d’ateliers sont également programmées au Théâtre de l’Astronef. N.S.

23 et 24 février
La Criée, centre dramatique national de Marseille 

1er mars
L’Astronef, Marseille

La poésie du bordel

0
© Axel Gaudin

L’auteure, metteuse et scène et comédienne Fanny Delgado et son co-auteur et scénographe Guillaume Finocchiaro conservent de la pièce matrice de Regnard (1696) le scénario de l’enfermement d’une jeune fille par son tuteur, auquel est conjugué le motif baroque de l’illusion emprunté à Calderón. 

Mais le XVIIe siècle dialogue avec de nombreuses autres influences : l’idéalisme désillusionné d’Éraste rappelle celui du Perdican de Musset et le lyrisme amoureux laisse entendre la voix d’Aragon. Cette poésie transposée dans un lupanar tenu par Albert rencontre des thèmes plus contemporains avec le féminicide et le viol racontés par Éraste qui complexifient la glaçante relation d’emprise qu’Albert exerce sur sa pupille. Loin de constituer une fin heureuse classique, la réunion des deux amants au dernier acte propose une méditation sur la fugacité de l’amour qui n’aura pas résisté au quotidien et une réflexion sur l’illusion théâtrale. Ambre, personnage principal de la pièce qu’elle se raconte, est devenue une bête de foire dans un cirque anxiogène, avec Albert comme impresario (et mari ?). 

La palette de tons et d’émotions est subtilement nuancée  par les comédiens :  Charles Leys (Crispin) plante un digne héritier du valet de comédie avec sa malice énergique qui tempère la sensibilité mélancolique de Gabriel Ponthus (Éraste). Dario Tarantelli excelle dans la partition du barbon-proxénète qui drape sa perversité dans sa veste de soie. La pétillante Cristal Steimen (Lisette) apporte une respiration dans cette atmosphère suffocante. Enfin, Fanny Delgado incarne magistralement la diversité des registres incombant à son rôle : jeune ingénue qui rêve dans la dentelle ; amante incandescente qui entame un pas de deux dans le bordel où elle admire les « charmants oiseaux sauvages perchés sur leur soulier de cuir » (« Ce sont des putes », lui rétorque Crispin), et enfin, Médée furieuse et rugissante. 

Mathilde Mougin

Une Folie amoureuse ou ça ira bien l’amour a été joué à la Manufacture de la Cité du Livre le 15 février