mercredi 2 avril 2025
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Art

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Art, François Morel © Aglaé Bory
Art, François Morel © Aglaé Bory

En 1995, Yasmina Reza recevait le Molière du meilleur auteur pour Art, une comédie dans laquelle trois amis Marc, Serge et Yvan, s’écharpent à cause d’un tableau contemporain acheté par l’un d’entre eux. Un tableau complètement blanc. Près de trente ans plus tard, François Morel remet en scène cette pièce devenue classique. Dans cette nouvelle version, Morel (qui interprète Marc) invite Olivier Saladin et Olivier Broche, ses comparses des Deschiens. Trois vrais vieux copains, qui interprètent des personnages écrits à l’origine pour être bien plus jeunes. Cette différence d’âge teinte leurs querelles d’une gravité nouvelle, certainement sans rien enlever à la drôlerie de la pièce. 

CHLOÉ MACAIRE

Du 25 février au 1er mars 
Théâtre de l’Odéon, Marseille
Dans le cadre de la programmation hors-les-murs du Théâtre du Gymnase 

Premiers documentaires 

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documentaire
Renault 12 de Mohammed El Khatib © Les Films d’Ici / Les Films d’Ici Méditerranée

Du 25 février au 1er mars, au Vidéodrome2, aux Variétés, à La Baleine, au Gyptis et au Polygone étoilé, une semaine de projections, toutes accompagnées par les réalisatrices (majoritaires) et les réalisateurs, c’est ce que propose le festival La première Fois.

Invité d’honneur, Mohammed El Khatib offrira une master-class publique, le 26 février, suivie de la projection de La dispute où il donne la parole à des enfants dont les parents ont divorcé. Cet artiste pluridisciplinaire, né en 1980 dans le Loiret, de parents marocains, associé à de grands théâtres, se distingue dans l’art dramatique mais a déjà réalisé quatre films dont deux primés. C’est son Renault 12, « épopée intime d’un fils endeuillé », « road movie chaotique et initiatique » de la France à Tanger, qui ouvrira le festival. Son dernier opus,  504  qui chronique la « transhumance » estivale des Maghrébins marseillais vers les bleds, à travers leurs témoignages, sera projeté aux Baumettes, ainsi que l’ensemble de la sélection. Car en parallèle des séances publiques, sont organisés des événements plus ciblés comme cette intervention en milieu carcéral en partenariat avec Lieux Fictifs, ou « Premier Jet » autour d’œuvres en cours de réalisation.

Réel divers

Les films dont on trouvera l’intégralité dans le programme en ligne (festival-lapremierefois.org) abordent tous les thèmes avec une grande variété de forme et de format. Fixer, retenir, comprendre grâce à la caméra ce qui se passe lorsqu’un amour de jeunesse arrive de Cuba (Les Contours de l’Amour, Coline Coste). Croire qu’on peut suspendre le temps, la maladie, briser le destin en filmant sa sœur atteinte d’une sclérose en plaques comme sa mère et sa cadette avant elle (De la poussière dans les yeuxAnne Lorrière). Remonter le fil de l’histoire pour une nonagénaire et retrouver après trois quarts de siècle et une guerre mondiale, la mémoire du soldat aimé (Pur si simplu divin, Mélodie Boulissière). Interroger les traces et les témoins d’un lieu qu’on a voulu effacer, Moria, le plus grand camp de réfugiés d’Europe sur une île-frontière, au large de la Turquie (AnàmnisiThéophile Brient). Documenter au plus près, par un journal intime, l’instabilité du Liban et l’angoisse qui en découle (Anxious in Beirut, Zakaria Jaber). Faire voir Moscou par procuration à un exilé russe qui a le mal du pays ( Moscou en conserveDaniel Le Botlan). Rencontrer deux Guinéens, clandestins à Marseille depuis des années, au moment où ils sont régularisés (AliasTatiana Botovelo). Tisser les liens entre une rivière et des humains embarqués sur un radeau de fortune, entre les mondes immergés et submergés, en mêlant parole scientifique et road trip (Méandres ou la rivière inventéeMarie Lusson) ou rappeler l’impact désastreux des activités économiques sur la nature en racontant la marée noire de juillet 2020 sur l’Île Maurice (Pie dans loKim Yip Tong)…

Porté par l’association Les Films du Gabian, le festival reste fidèle à son désir de rencontres, de partages et de découvertes à travers le genre du documentaire, cet art dit du réel, né avec le cinéma et les frères Lumière, qui renouvelle notre curiosité et nourrit notre réflexion critique.

ELISE PADOVANI

La Première Fois
Du 24 février au 2 mars
Divers lieux, Marseille

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Young Hearts, les subtilités de l’amour

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Copyright Thomas Nolf

« Ça fait comment d’être amoureux ? » s’interroge Elias du haut de ses 13 ans. Son père, un crooner un peu ringard, gloire de ce petit coin rural de Flandre, chante que l’amour « c’est magique, c’est fantastique ». Sa mère, attentive à son égocentrique de mari et à ses deux fils, donne au jeune Elias l’image d’un amour conjugal et maternel inconditionnels. Son grand-père, celle du chagrin inconsolable que le deuil d’un être adoré fait endurer à jamais. Au lycée, en cours de littérature, on parle d’amour courtois et de rêves. On aime Roméo et Juliette avec Di Caprio. Autour de l’adolescent, les couples se forment « naturellement ». Platoniques pour la plupart. Premières approches en éclaboussures de rires, en danses et en jeux.

Comme ses copains, Elias a une petite amie mais ce sentiment amoureux dont on parle tant ne le lui sera révélé qu’avec l’arrivée d’Alexander (Marius De Saeger), son nouveau voisin venu avec son père et sa petite sœur de Bruxelles. Alexander est beau, libre. Il intègre la classe d’Elias, son groupe d’amis, et bouleverse la vie du jeune garçon qui ne comprend pas ce qui lui arrive. C’est à cette initiation sentimentale que s’intéresse le réalisateur et au vain combat d’Elias pour lutter contre son désir irrépressible « d’être avec Alexander ». Car, bien que ne vivant pas dans un milieu homophobe, bien que l’insulte de « tafiole » ne soit proférée que par quelques rares crétins du village, bien qu’entouré de gens aimants et bienveillants, Elias s’interdit cet amour qui n’est pas dans la « norme » et dont il a honte.

Il passe de l’ivresse des moments partagés avec Alexander qui connaît et accepte son orientation sexuelle, à la douleur du refus, du repli, du déni. Elias porte en lui un jeune cœur trop gros pour sa poitrine, prêt à imploser ou exploser. Tension intime, portée par l’interprétation remarquable de Lou Goossens, et que le réalisateur parvient à faire éprouver au spectateur quelque soit son âge.

Un film qui s’assume

Young Hearts est un mélo efficace, un film sincère, solaire, jalonné des passages obligés d’une love story : premiers regards, cristallisation et esquives, échappées belles en bicyclette dans une nature luxuriante, généreuse et complice, « baisers volés », « cheveux au vent », baignades joyeuses en rivière, découverte d’un lieu secret – ici une maison abandonnée semblable au domaine mystérieux du Grand Meaulnes, et même une sorte de voyage de noces dans le fief bruxellois d’Alexander. L’issue en sera forcément heureuse : le coming of age passant par un coming out.

Présenté à la Berlinale 2024, cette romance queer tous publics, musicale et colorée, est sensible sans être totalement mièvre. Mais comme le disait Truffaut à propos des chansons d’amour qu’il adorait : « plus elles sont bêtes, plus elles sont vraies ». Ce film,plus subtil qu’il n’y paraît, assume.

ÉLISE PADOVANI

Young Hearts, de Anthony Shatteman

En salles le 19 février

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 « When the Light Breaks », des amours et des drames   

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When the lights breaks(C) Jour2fête

Un coucher de soleil au bord de l’eau. Une jeune femme de dos qu’un homme interpelle hors champ. Puis deux silhouettes, dans les couleurs pastel du couchant. Una (Elín Hall), une étudiante en art, et son copain, Diddi (Baldur Einarsson), qu’elle a rencontré dans son atelier de théâtre-musique, et qu’elle ne voit qu’en secret. Une situation qui pèse à la jeune femme. Ils sont amoureux, imaginent des vacances ensemble. Mais c’est décidé, il va quitter Klara (Katla Njálsdóttir) sa copine, qu’il fréquente depuis des années.

Diddi emprunte la voiture de son colocataire Gunni (Mikael Kaaber) et part au petit matin. Un long travelling dans un tunnel routier sombre, brutalement envahi par une lueur rouge. Un accident, grave, dont Una ne sera informée que plus tard. Elle est partie en cours et son portable n’a plus de batterie. Elle tente sans succès de joindre Diddi et à partir de ce moment-là, nous allons partager toutes ses émotions, son angoisse dans un couloir d’hôpital bondé.

Tous les amis de Diddi sont là, s’étreignant, se consolant quand ils apprennent sa mort. Mais quand Klara,  la copine « officielle » rejoint le groupe, Una n’a plus de place et s’enfuit. La caméra de Sophia Olsson la suit en un long travelling, à contre courant de la foule, s’attardant sur son visage, nous offrant des gros plans d’une triste et saisissante beauté. Toute une palette d’émotions qu’Elín Hall exprime par petites touches : sa tristesse d’avoir perdu l’homme qu’elle aime, son impossibilité de le dire au monde, d’exprimer son chagrin. Peut-elle revendiquer sa place dans le deuil qu’elle vit ? Parfois elle est tentée de révéler son secret à sa rivale et à ses amis. N’est-il pas inévitable que les deux femmes se rencontrent ?

Une histoire universelle

« Le film pose la question de savoir comment nous gérons nos rôles dans des relations qui changent radicalement. Et il nous encourage à trouver l’amour et la beauté, même face à la douleur », explique Rúnar Rúnarsson, le réalisateur de ce film, tourné en 16mm. Un film tendre, touchant, charnel, sans dialogues superflus, un film qui nous raconte le travail du deuil  « J’ai perdu un ami dans ma jeunesse, et j’ai voulu faire face aux émotions que j’ai ressenties le jour où cela s’est produit, en racontant une histoire universelle. »

Une histoire universelle dans une Islande que le réalisateur filme superbement nous permettant de voir l’amour et la beauté, face à la douleur.

ANNIE GAVA

When the Light Breaks, Rúnar Rúnarsson
En salles le 19 février

Ecran du Sud : acteur du territoire

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@Annie Gava

Zébuline. Depuis quand existent Les Écrans du Sud et quelles sont vos missions ?

Joël Bertrand. L’association existe depuis une trentaine d’années et fédère une cinquantaine de cinémas « Art et Essai » sur les 90 que compte la Région Sud. Après plusieurs changements d’adresses et un changement de nom en 2018 – Cinémas du Sud est devenu Écrans du Sud, mais l’association poursuit ses missions initiales. Au départ il y a eu la volonté de certains cinémas de se regrouper. L’association s’est chargée de construire un réseau collaboratif, de proposer et de coordonner des projets communs. Cette coordination reste le cœur de notre action. Les exploitants des salles sont libres de décliner les propositions qui leur sont faites, il n’y a aucun lien de subordination entre nous. Il s’agit de promouvoir les salles en proposant des cycles, des soirées, en organisant des tournées pour un réalisateur ou un acteur invité, en soutenant les films de la Région. Tous les mois, les adhérents sont réunis pour une journée de pré-visionnement. Ils peuvent découvrir ensemble des films programmables sélectionnés par Les Écrans.

Lucie Taurines. Dans le jargon de la distribution, on parle d’ « animation ». Ce qui caractérise les cinémas d’art et essai, c’est non seulement la programmation mais aussi l’accompagnement. Les salles sont « incarnées » par leurs exploitants prescripteurs. Notre action vise à établir une certaine équité sur le territoire pour la diffusion des films. Le maillage des salles en France est exceptionnel par rapport au reste du monde. C’est le fait d’une volonté politique forte.

J.B. L’éducation à l’image entre dans ce cadre. Là encore, Écrans du Sud va coordonner les dispositifs comme « Maternelle au cinéma » ou « Lycéens au cinéma », et depuis peu « Étudiants » au cinéma. Des actions nationales portées par le ministère de la Culture, relayées par la Drac, la Région et le Département.

L.T. Tout ce petit monde se réunit en comités de pilotage pour mener à bien ces actions. Par exemple pour le dispositif « Lycéens au cinéma », les enseignants choisissent pour l’année trois films sur les six qui leur sont proposés et emmènent leurs élèves les voir en salle. Pour notre région, ils peuvent bénéficier ensuite d’une intervention portant soit sur le film soit sur l’histoire du cinéma, soit sur ses techniques. Ecrans du Sud organise deux formations par an pour les professeur·e·s. Il est important de les inciter à y participer. Pour leur proposer des angles d’attaque. D’autant qu’il y a depuis quelques temps une auto-censure sur certains sujets.

Vous vous occupez aussi de Ciné Plein-air.

Oui et ce rendez-vous va fêter ses 30 ans cet été ! En 2018, nous avons fusionné avec Tilt qui portait l’événement, et avons changé le nom de notre association. Ciné Plein-air c’est, de juin à septembre, des séances gratuites dans tous les quartiers de Marseille avec une programmation éclectique, pensée en fonction des lieux.

Est-ce qu’il y a des relations avec les autres structures locales ?

Oui, à l’occasion de rencontres professionnelles, dans les festivals. Nous avons des contacts avec l’ACID, La Semaine de la Critique, nous sommes adhérents au collectif 50/50. Enfin, nous collaborons avec les radios locales et relayons des articles de journaux sur notre site Séances Spéciales – un Allociné régional – en mieux – qui propose un agenda classique sur les films en salles avec une part éditoriale. Les annonces des avant-premières, des événements, des interviews, des reprises de presse.

Quel bilan pouvez-vous tirer de l’année 2024, et que peut-on attendre de 2025 ?

La fréquentation des cinémas a augmenté. Et même si en termes d’entrées les salles Art et Essai représentent peu par rapport aux multiplexes, elles ne sont pas négligeables et s’en sortent plutôt mieux pour le taux de fréquentation. Un multiplexe va passer entre 70 et 80 films par an. Une salle art et essai mono écran entre 200 et 300. Notre mission est de valoriser cette diversité, de renouveler les publics, d’inciter plus de jeunes à venir dans la salle de cinéma partager l’expérience du collectif et du grand écran. Nous sommes soumis aux fluctuations des subventions dans une époque qui n’est pas très favorable aux dépenses culturelles et cela risque d’impacter notre fonctionnement. Mais nousavançons.

L.T. La salle de cinéma est un des derniers lieux où on se mélange et on échange. On milite pour ça. Et quand on apprend qu’on a fait venir dans une salle un jeune qui n’y avait jamais mis les pieds, ça redonne la foi, et du sens à notre travail.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ÉLISE PADOVANI

« Ce qui nous réunit, c’est l’amour du cinéma »

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(C) A.G.

Zébuline. Qu’est-ce que l’AARSE et depuis combien de temps cette structure existe-t-elle ?

Anne Alix. C’est une association qui défend les intérêts des auteurs et se bat pour qu’il y ait une place pour la création cinématographique régionale. Créée en 2001, l’association a participé activement à la réflexion lors de la création des fonds régionaux pour le cinéma, en 2003 : aide à l’écriture, soutien au parcours d’auteur… avec un vrai dialogue et une construction commune lors de leur mise en place. Toutes nos décisions sont prises en commun, avec un collège solidaire, sans président.

Pourquoi est-ce important selon vous d’adhérer à l’AARSE ?

En ce moment, on est environ 80 à jour de cotisation et on touche à peu près 200 personnes. Beaucoup de cinéastes sont arrivés dans la région après le Covid, et rencontrer l’AARSE permet de rompre l’isolement, d’avoir des informations, de penser ensemble. On organise des apéros tous les deux mois, ce sont des rendez-vous conviviaux où l’on prend aussi un temps pour aborder l’actualité de l’association. Une manière d’informer les membres sur des questions parfois complexes et d’entendre leur voix au delà de la seule AG annuelle.

Les institutions vous soutiennent-elles ?

On a eu des subventions sur des projets spécifiques, par exemple  en 2017 lors des « Assises de la création indépendante ». Depuis l’an dernier, on est aidé par la Ville, très moteur sur le cinéma indépendant et par la Métropole, en fonctionnement. On vient de demander une aide à la Région.

Assez pour avoir des salariés ?

Nous avons engagé quelqu’un, 3 jours par mois pendant 6 mois, pour nous aider à être plus visible et travailler la communication. C’est un coup d’essai très probant, qu’on espère pouvoir pérenniser car nous avons absolument besoin d’un relai : nous sommes tous·te·s bénévoles et la charge de travail est importante. On est un noyau dynamique, très actif et on a besoin de forces vives.

Vous participez régulièrement à des actions dans l’espace public, qu’est-il prévu ces prochains mois ?

On participera à la Fête du court métrage à Nice le 21 mars, avec l’antenne 06 de l’AARSE.  En partenariat avec le Vidéodrome2, on organise le Cinéma de l’AARSE : trois fois par an, on montre des films dans une double séance ouverte au public : un film d’un adhérent et, en miroir, celui d’un cinéaste invité. La prochaine séance aura lieu le 9 mars avec le documentaire À quoi rêvent les ouvriers de Bernard Boespflug et un deuxième film en écho sur la question du travail. Ouvert au public et gratuit, il y aura aussi du 16 au 19 avril, la sixième édition marseillaise du festival Vrai de vrai. C’est une reprise partielle des Etoiles de la SCAM où l’on présente six films parmi trente films documentaires de l’année, des  distingués pour leur qualité. Les projections ont lieu en présence des réalisateurs à la Baleine et au Vidéodrome. Cette année la table ronde professionnelle portera sur l’écriture documentaire, et Jérôme Prieur animera une master class.

L’AARSE couvre le Sud-Est, mais existe-t-il des structures équivalentes dans d’autres régions ?

Des associations de réalisateurs, il y en a dans toutes les régions. Il existe d’ailleurs une fédération : La Boucle Documentaire, basée à Marseille, qui œuvre au niveau politique pour améliorer les conditions d’existence des réalisateur·ice·s de documentaire. La Boucle est très active, elle participe actuellement à des négociations sur le salaire minimum des réalisateurs de documentaire pour la télévision qui est le seul à ne pas être encadré (en dehors du Smic). Toutes ces dynamiques marseillaises sont importantes et si on arrive à avoir un lieu, et un soutien salarié, il est évident qu’on sera plus visible et qu’on on augmentera nos forces vives.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ANNIE GAVA

Anne Alix (C) A.G.

Le Mohican : quand un berger dit non

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(C)Ad vitam

En 2017, Frédéric Farrucci avait tourné un documentaire sur un berger du littoral corse, Joseph Terrazzoni, en souffrance parce qu’il élevait des chèvres dans un lieu où il craignait qu’on veuille construire des hôtels de luxe. Le cinéaste corse décide d’en faire une fiction, tournée sur les terres du berger, avec des acteurs corses parfois amateurs, filmée comme un western en 2.35. Loin des clichés, l’image offre une palette de couleurs très travaillée ; si le bleu du littoral domine au début du film, le vert de la montagne et du maquis prend le relais, suivant la cavale d’un berger traqué.

Le film commence sur les chapeaux de roue. En pleine nuit, arrive devant la ferme de Joseph une voiture. Deux hommes en sortent, menaçants, lui « offrant » 300 000 euros pour son terrain. « On ne dit pas non à ces gens-là » lui conseille un voisin qui a vendu ses terres. Une deuxième visite donne lieu à des menaces encore plus fortes, calibre à la main. Joseph s’enfuit, poursuivi par deux hommes prêts à tout, y compris à tirer sur une plage bondée. La situation dérape : un coup de feu, un mort : l’entrepreneur Charles Battesti. C’est le début de la cavale de Joseph à travers le maquis. Un homme traqué par la police et par les mafieux à qui il a dit non. Combat de David contre Goliath. Un homme seul que sa nièce, Vannina (Mara Taquin) va aider, en se servant des réseaux sociaux et en forgeant sa légende. Il devient « Le Mohican ».

C’est Alexis Manenti qui l’incarne, taiseux, déterminé, sensible, toute une palette d’émotions que l’acteur sait manier, avec empathie, lui qui se bat pour une juste cause. On a mal avec lui quand il court, comme une bête blessée, on serait prêt à l’aider en s’occupant de ses chèvres et même à le cacher ! Un film où la tension est extrême jusqu’à la fin, accentuée par la musique de Rone qui souligne la rugosité du paysage et l’énergie de celui qui lutte pour sa survie. Un film réussi.

Annie Gava

Le Mohican, de Frédéric Farrucci
En salles le 12 février

Lire un entretien avec le cinéaste ICI

Lutte des classes au Conservatoire

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Conservatoire
Conservatoire © XDR

La Nuit des Conservatoires en est à sa 12e édition nationale, mais l’établissement marseillais y prenait part pour la première fois, sous l’impulsion de sa nouvelle directrice Aude Portalier. Pour celles et ceux qui ont fréquenté dans le passé le Conservatoire Pierre Barbizet, conservateur et élitiste, centré sur l’enseignement académique de la musique, avec ses salles fermées, poussiéreuses et ses horaires de maison de retraite, l’évolution opérée ces dernières années est sidérante.

D’une part parce que dans la cour parents et élèves (majeurs !) pouvaient boire des bières de la Plaine, manger un hot dog, discuter… D’autre part parce que ce conservatoire est enfin, comme ses missions l’y obligent, pluridisciplinaire. L’École nationale de danse de Marseille interprétait Cyrano de Christophe Garcia sur le grand escalier du Palais Carli, les élèves du cycle spécialisé de théâtre proposaient des lectures, des déambulations, des spectacles dans tous les espaces et dans toutes les salles, toutes les classes de piano jouaient en continu l’intégrale des nocturnes de Chopin…

De fait l’établissement est devenu un formidable endroit de rencontres entre les cultures innovantes et anciennes, populaires et savantes, textuelles et musicales. Les professeurs s’y impliquent et s’y amusent, avec un « blind test » proposé par Frédéric Isoletta, un cabaret politique créé par Pierre Adrien Charpy et ses élèves compositeurs ; on y chante des mélodies espagnoles et des zarzuelas populaires avec Magali Damonte, on y joue de toutes sortes de flûtes, l’orchestre d’harmonie fait sonner ses cuivres et on continue d’y être un haut lieu de création acousmatique et de musique française.

Créations en connivence

Pour le grand concert de l’Osamu (orchestre universitaire) profs et étudiants de l’Amu et du Conservatoire, en connivence, jouent dans la grande salle Tomasi du Schönberg et créent une pièce de Mehdi Telhaoui, récemment diplômé de la classe de composition. 

Deux heures auparavant l’orchestre de Vincent Beer Demander, professeur de mandoline, et la compagnie théâtrale Organon (Aïssa Bussetta et Valérie Trébor) ont proposé l’avant-première d’un spectacle qui sera créé en juin à La Criée, et qui donne à Brecht des tonalités très actuelles, grâce aux habitants de la Belle de Mai qui y figurent, les classes populaires avec une vérité folle, puisqu’ils en sont. Sur scène la diversité des générations des femmes campant la Mère de Brecht permet de figurer précisément le personnage, adaptée du roman de Gorki : cette mère célibataire, Pélagie, ouvrière analphabète, s’instruit et devient une figure de la Révolution de 17. Lutte des classes, remise en cause du capitalisme destructeur, grèves, manifestations et prise du pouvoir par le peuple… Qui pensait qu’au Conservatoire de Marseille cette littérature dramatique pourrait être campée par des habitants de la Belle de Mai de 14 à 70 ans, chantant et déclamant ensemble des songs – composées dans l’esprit de Kurt Weill par un Vincent Beer Demander très inspiré – devant un public plus diversifié que jamais ? 

AGNÈS FRESCHEL

La Nuit du Conservatoire s’est déroulée le 31 janvier au Palais Carli, Marseille.

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« Je fais partie de ce territoire »

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(C) Annie Gava

Zébuline. Avec Le Mohican, vous présentez un deuxième long-métrage sur la Corse et tourné en Corse. Pourquoi ce désir ?
Frédéric Farrucci. Je suis Corse et j’ai eu envie d’aller tourner chez moi, où j’avais déjà tourné des courts et des documentaires. C’est d’ailleurs le tournage d’un docu sur un berger du littoral qui a été l’élément déclencheur. Cet homme élevait des chèvres à un endroit où pourraient être construits des hôtels, des villas de luxe, des golfs. Il se considérait comme une anomalie sur le territoire et se nommait lui-même le dernier des Mohicans. Il avait peur de transmettre l’exploitation à ses enfants, jugeant que ce serait un cadeau empoisonné, susceptible de les mettre en danger. C’est quelque chose qui me travaille énormément. Il faut savoir que le pastoralisme de littoral est une activité ancestrale en Corse, qui disparait peu à peu à cause de la surexploitation touristique. Cela me dérange que des individus organiquement liés à un lieu en soient chassés dans une civilisation uniquement fondée sur l’économie et le profit.

Une Corse que l’on n’a pas l’habitude de voir…
La Corse souffre d’une imagerie forgée depuis l’extérieur, véhiculant des clichés via la littérature, les actualités, le cinéma. En tant que cinéaste corse, je ne suis pas seulement observateur. Je fais partie de ce territoire. Le film s’ancre dans un réel, politique, sociétal qu’il questionne. Tout dans le film est fiction mais toutes les scènes pointent vers des événements s’étant réellement déroulés au cours des vingt dernières années.

Est-ce que dès l’écriture du scénario, vous avez eu l’idée de le traiter comme un western ?
Assez vite, car j’évoque un conflit de territoire lié à un conflit de civilisation, un des piliers du western. Ce qui me touche aussi beaucoup dans ce genre, c’est la confrontation entre les « sauvages » et une modernité qui impose la violence. J’avais envie que le film porte un contenu politique sans asséner de discours. J’aime utiliser le genre comme un cheval de Troie. L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford est une des sources d’inspiration du Mohican. En Corse, il y a une forme de mythologie populaire : des individus de l’Histoire ou du présent, issus du banditisme ou de la lutte indépendantiste se voient parfois dotés d’un statut de légende.

Pouvez-vous nous parler du casting et de la musique signée Rone ?
Le casting s’est nourri de figures réelles qui m’avaient fasciné comme le vétérinaire qui joue son propre rôle. Avec la directrice de casting, Julie Allione, on a fait un casting sauvage et un classique. Alexis Manenti est entré dans la pièce pour les premiers essais, avec une telle justesse et intensité, que cela a été une évidence. Il a apporté beaucoup de nuances, de complexité et d’émotion au personnage. Pour la musique, j’avais déjà travaillé avec Rone dans La Nuit venue. On avait envie de collaborer à nouveau. Je suis fasciné par son travail de mélodiste, sa capacité à nourrir ou contredire l’image. Ici, une tâche assez complexe avec un enjeu double : trouver la rugosité du territoire et de la situation tout en apportant une touche de lyrisme liée au genre.

Et pour l’image, qu’avez-vous demandé à votre directrice de la photo, Jeanne Lapoirie ?
J’avais été très inspiré par un autre western qu’elle avait filmé, Michael Kohlhaas [d’Arnaud des Pallières, ndlr] dont j’avais trouvé l’image admirable. On en a beaucoup parlé et on a réfléchi ensemble sur la manière de faire un western contemporain : filmer en 2.35, le format du western classique, choisir les heures où on allait tourner pour avoir une telle couleur d’image, notamment. Jeanne tourne très vite et on a improvisé beaucoup de choses ensemble, en fonction des lieux, de la météo, de l’état et l’attitude des comédiens. J’ai été très touché que le berger du documentaire m’ait donné l’autorisation de tourner sur ses terres. Cela me paraissait très important du point de vue politique, esthétique et narratif et aussi pour que mon équipe et mes comédiens ressentent organiquement le sens du film.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ANNIE GAVA

Vous pouvez lire la critique ICI

Celles qui émergent, et l’enfance de l’art 

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souvenirs d'enfant
Nina Boughanim, La Relève 6 © studio meimaris

La pièce centrale est comme un jardin de méditation autour de son petit bassin d’eau rectangulaire, au fond duquel des pièces de monnaie protègent les vœux de ceux qui les ont jetées. Des plats de céramique dont l’un conserve de grosses pinces à cheveux en porcelaine délicate et des mèches de cheveux d’amies de l’artiste. Des monotypes, une aquatinte et des mains-empreintes comme autant de natures mortes, de traces. À l’horizontalité de ce jardin, fait écho la verticalité d’un rideau de perles à l’ancienne, d’un mur en espalier, dirait un jardinier, fait de tiges de métal tordue aux étranges fleurs d’ongles ainsi que d’une chaîne en porcelaine et de trois oeuvres de Laura Lamiel de 2020, comme autant d’éclats de couleur,celle du sang, ou du rouge-à-lèvres.

L’installation est toujours affaire de lieu, d’espace qui font sens. C’est le cas ici, au 3bisf, situé dans le Centre Hospitalier psychiatrique Montperrinn (Aix-en-Provence). Deux anciennes cellules occupées par des internées deviennent des pièces d’une maison imaginaire, celle de l’enfance de Nina Boughanim. L’intime se resserre. Les ouvertures sur le dehors sont celles de la privation de liberté. Il y a la « chambre », aménagée avec de vrais objets du passé enfantin : les vieilles VHS, une petite chaussure, un coffre en bois et sa lampe vintage, du tissu du landau en coussin et une petite banquette pour s’asseoir et regarder sur la télé petit écran, les films familiaux dont Nina, fillette radieuse est le sujet essentiel. Son père revenu filme. Au plafond Le gros câlin en verre est un lustre de tendresse. 

Il y a « la salle de bain » voisine, autre cellule. Elle est un trompe-l’œil entre réalité et création : bac à douche au couleur miel des murs d’origine, tapis de blanc plissé comme si quelqu’un l’avait piétiné, fausse buée des douches chaudes sur des parois vitrées. D’autres pinces en porcelaine, des bijoux dans des panières…

MARIE DU CREST

Celles qui émergent
Jusqu’au 12 avril
3bisf, Aix-en-Provence
En partenariat avec le Festival Parallèle et le Frac Sud

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