vendredi 7 mars 2025
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Hautes-Alpes : La Passerelle, en piste pour l’hiver 

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Ombres Portées, Cie L’Oublié(e) © Pierre Planchenault

Pas moins de six spectacles sont programmés par La Passerelle à Gap en ce mois de janvier : du cirque contemporain programmé dans le cadre de la Biennale Internationale des Arts du Cirque, mais aussi un ciné-concert augmenté, du théâtre engagé, du théâtre secret, du théâtre familial, et une performance musicale. Une belle occasion de cultiver ses sorties à la montagne !

De la musique

Le 10 janvier, un « ciné-concert augmenté » de la Cie Tendres Bourreaux avec la projection de Palombella Rossa (Nanni Moretti), comédie délirante dans laquelle un match de water-polo devient une parabole du communisme italien. Les musiciens partagent la scène avec des comédien·ne·s, qui inventent un doublage, drôle et poétique, des personnages à l’écran. Musique et texte également le 22 janvier (au centre culturel Le Tempo) avec Ottilie [B], compositrice associée de La Passerelle, proposant régulièrement des performances musicales sous le titre 1+Hein ?. Pour celle-ci, elle sera en compagnie de Yoanna, auteure-compositeure-interprète féministe, accordéoniste aux chansons aussi fragiles que brutales. 

Du théâtre

Le 15 janvier, 1983 de La Compagnie Nova : spectacle écrit par Alice Carré, mis en scène par Margaux Eskenazi, troisième volet de leur triptyque Écrire en pays dominé. Toutes deux se sont penchées cette fois-ci sur les années traversées par « Touche pas à mon pote » et la « Marche pour l’égalité et contre le racisme », marquant l’espoir d’une nouvelle fraternité. Dont les lendemains ont vite déchanté… Elles ont, comme à leur habitude, mené un long travail d’enquête et de recherche, rencontré des témoins. Leur proposition qui, en décryptant un rendez-vous manqué, cherche à éclairer le présent, est portée par des comédien·ne·s explosif·ve·s.

Du 27 au 31 janvier (le 27 à la Médiathèque d’Espinasses, le 30 janvier à la Médiathèque de Barcelonnette, le 31 à la Médiathèque de Saint-Bonnet-en-Champsaur) c’est In Petto – Au secret des cœurs, de la Cie Chabraque. Un spectacle qui s’est construit sur le territoire des Hautes-Alpes, à la rencontre d’habitants de tous âges, et autour de leurs secrets, qu’ils soient petits ou grands, anciens ou contemporains. Enfin, les 28 et 29 janvier, Vaisseau Familles du Collectif Marthe s’appuie sur des récits intimes, des témoignages, des écrits théoriques, pour entrelacer fiction et pensée, verbe et corps, objets et matériaux, autour de la notion de famille.

En cirque

La famille est également au centre d’Ombres Portées de la Compagnie L’Oublié(e) – Raphaëlle Boitel, artiste dont les créations évoluent à la frontière du cirque, du théâtre, du cinéma et de la danse. Une famille est tapie dans l’obscurité (père et enfants), minée de l’intérieur par un secret familial, qui va provoquer le mouvement. Un spectacle aux images hautement métaphoriques et marquantes, conjuguant violence, burlesque et tragi-comique, porté par des interprètes la fois danseurs, acteurs et acrobates.

MARC VOIRY

La Passerelle, scène nationale de Gap

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Une Petite Sirène en eau trouble 

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Petite Sirène sur la scène, du compositeur Regis Campo
La Petite Sirène © D. Jaussein

Zébuline. Pouvez-vous nous parler du spectacle La Petite Sirène ?
Régis Campo.
 C’est un spectacle à géométrie variable qui s’adapte aux lieux et aux configurations orchestrales. La création a été donnée à Nice en mars et décembre dernier et nous reprenons cet opéra dans une version spécialement réécrite pour l’Ensemble Télémaque. J’en ai écrit la musique et le livret.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ce conte d’Andersen ?
La coproduction – les opéras de Nice, Avignon, Toulon, Marseille, la compagnie Arcal et l’ensemble Télémaque – m’avait proposé de mettre un conte en musique. La Petite Sirène m’intéressait pour l’aspect onirique de l’océan et puis il s’agit d’une merveilleuse histoire d’amour que l’on peut interpréter comme un récit initiatique qui met l’accent sur l’émancipation de la famille, l’attrait de l’étranger, la prise de risques. C’est un passage de l’adolescence à l’âge adulte qui se déroule très difficilement : Ariel est maladroite avec ses nouvelles jambes, elle ne parvient ni à marcher, ni à danser. 

C’est une histoire terrible.
Oui comme le sont en général les contes.  Nous n’avons pas voulu l’édulcorer comme a pu le faire Walt Disney. Je suis resté fidèle à l’histoire de cette petite sirène qui pour avoir des jambes et rejoindre le prince qu’elle aime, accepte qu’on lui coupe la langue et renonce à sa voix. Je n’ai pas souhaité rajouter d’autres personnages que ceux qu’Andersen avait imaginé : la sorcière, la sœur d’Ariel, Ariel et le prince.

Une histoire machiste aussi.
On peut le lire ainsi dans cette notion de sacrifice absolu à un homme, fut-ce-t-il prince. Celui-ci, en l’occurrence, n’est pas méchant mais plutôt béta. On pense plutôt aujourd’hui qu’Andersen souhaitait parler à la fois de manière universelle des amours impossibles mais aussi de sa vie personnelle. Il ne pouvait pas vivre au grand jour son homosexualité. Transgresser, c’était se taire. Il était aussi amoureux d’un homme qui ne l’était pas en retour, tout comme le prince n’aime pas Ariel.

Quels sont les partis pris de cette mise en scène ?
La mise en scène a été réalisée par Bérénice Collet. Nous avons travaillé en osmose dès la première esquisse musicale. Son univers pourrait faire penser à celui de Tim Burton pour le côté fantastique. Il y a aussi des scènes très drôles dignes d’Offenbach. La musique, fait appel à des registres multiples. On touche à la comédie musicale avec des ritournelles, d’autres morceaux pourraient faire penser au Maurice Ravel de l’Enfant et les sortilègesL’air de la mélancolie que le public adore est d’inspiration baroque. Quant à la chanson d’amour de la petite sirène, c’est un morceau pop, très simple. 

Pour la prochaine représentation, c’est donc l’ensemble Télémaque dirigé par Raoul Lay qui va interpréter votre musique.
Tout à fait et j’en suis ravi. J’apprécie énormément Raoul Lay qui est lui-même compositeur et un ami depuis plus de trente ans. Comme moi, il adore le chant et la mélodie. Nous avons beaucoup discuté lors de la réécriture de la partition adaptée à son Ensemble. Je lui fais entièrement confiance.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ANNE-MARIE THOMAZEAU

La Petite Sirène
11 janvier
Les Salins, scène nationale de Martigues 

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Un Funambule qui tombe à plat  

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Scène du Funambule de Genet et Torrenton à la Friche Belle de Mai
Le Funambule © Pascale Cholette

C’est sur le grand plateau de La Friche la Belle de Mai que le Théâtre du Gymnase accueillait fin décembre et hors-les-murs l’adaptation théâtrale du Funambule de Jean Genet par Philippe Torreton, accompagné du circassien Julien Posada et du musicien Boris Boublil. Dans un décor de chapiteau de cirque un peu déglingué : en haut cerceau et barre de trapèze de travers, en bas sol gris rongé par de la mousse verte, du mobilier bric et broc rouge, un vélo, un gros ballon, un coin pour lancers des couteaux, des bouteilles d’alcool vidées ici et là, un coin pour le musicien à côté d’un téléphone fixe, des planches, des bacs plastiques pour bouteilles. Le fil tendu est installé au centre, pas très loin du lit duquel Torreton-Genet s’approche pour assister au réveil du funambule.

Allumer le feu

Le texte de Genet, publié en 1958, est une méditation poétique, un essai-rêverie sur l’art ouvrant au fil de son avancée des vertiges, nourri par un regard amoureux sur Abdallah, le circassien et amant de Genet. Le funambule s’y dessine à mesure de l’avancée des mots, à travers des passages à la grâce fulgurante. Dans cette adaptation théâtrale, aucune grâce. Le funambule est déjà là, condamné à illustrer le texte que Philippe Torreton, tel un coach sportif étouffant, lui assène, très près de lui, sans discontinuer ou presque, l’assommant de mots, de phrases. Ou tel un professeur-conférencier, avec tremblements des bras et des mains, pour haranguer le public. Pendant ce temps-là, en silence, le funambule, blessé au talon, boite, boit de l’alcool, fait le faux-maladroit, puis quelques acrobaties adroites, sur le fil, avant d’aller se recoucher, à la fin. La musique live alterne, de façon presque systématique, un piano hésitant entre le mièvre et le doux-amer, des nappes de synthétiseur aux accents d’orgues d’église, et une guitare cinématographique façon Dead Man de Jim Jarmusch. Genet, s’adressant au funambule, dit qu’il n’est pas là pour lui donner des leçons, mais pour l’enflammer. Torreton semble faire tout le contraire.

MARC VOIRY

Le Funambule était présenté à La Friche la Belle de Mai par le Théâtre du Gymnase hors-les-murs du 17 au 21 décembre.

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Le Pôle : un Grand soir trop attendu ?

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danseurs du spectacle en attendant le grand soir du pôle national du cirque
En attendant le Grand soir © Ian Grandjean

Ils sont neuf sur piste : 6 acrobates, 2 danseurs, 1 musicien clown performeur. Mais de fait ils sont tous danseurs, et ne sont pas d’emblée sur la piste, et finiront bien plus nombreux… Il est difficile  de poser des mots, de tracer des lignes pour décrire ce Grand soir qui se joue des frontières. Assis dans le public, les interprètes en surgissent et y reviennent, et leurs déséquilibres ludiques se succèdent, Otto, le DJ années 1970, faisant dans le burlesque assez franc, les autres travaillant à créer une ambiance conviviale, et invitant peu à peu leurs voisins, puis la totalité du public, à partager la danse à la fin du spectacle en les rejoignant : le spectacle, répété et créé pendant le Covid, refuse les désespoirs du confinement. 

La progression douce vers le partage final est ponctuée de quelques numéros poétiques où les portés très acrobatiques sont prétexte à ballet dans les airs, à valse oblique. Otto, lui fait un hilarant numéro de bruitage de type beat box en mimant une scène de rencontre avec un crapaud peu charmant. Ces beaux moments se nichent pourtant dans un ensemble trop étiré et répétitif, en particulier quand l’ensemble du public a rejoint la scène et dansé la farandole ensemble. Décidément, le Grand soir prend son temps.

AGNÈS FRESCHEL

En attendant le grand soir a été joué les 20 et 21 décembre au Pôle national du Cirque, la Seyne-sur-Mer.

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Le monde inceste 

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La Doloriade

Trois adultes et une floppée d’enfants constituent une famille dont les tares consanguines se concentrent sur certaines infirmités, telles qu’absence de jambes et déficits cognitifs… Une sœur et un frère, seuls survivants, ont le projet de perpétuer la vie. Le repeuplement ne peut se faire que sur la base de la généralisation de l’inceste, dernier tabou transgressé. La question de la transmission et de la tradition se donne sous les traits d’un maître d’école, sans doute stérile, dont l’apport est inapte et inepte. Car dans ce monde, c’est le corps, informe et difforme, souffrant et enfantant, celui de la Matriarche comme celui de sa fille Dolores, qui a le premier et le dernier mot ; d’où l’ordre matriarcal qui y prédomine.

Corps et esprit, même combat 

Rien n’est précisé par Missouri Williams de ce qui a provoqué le cataclysme, déluge de Lumière, car tout est écrit en temps réel : le temps dense des pensées balbutiantes ou obsédantes et des agissements stratégiques ou hasardeux des personnages. Le régime narratif, qui se focalise sur tel ou tel personnage, selon une trame serrée, porte ainsi lui-même les stigmates de ce monde dénué de sens.

Cette continuité souligne une tension au sein même de l’écriture qui apparie de manière singulière mots crus et prose poétique, trivialité et spiritualité. Ce qui amortit le malaise conféré par la lecture de ce roman est que les descriptions violentes, abjectes et cyniques, court-circuitent le travail de l’imagination et de l’identification aux personnages. La langue retient son propos dans sa matière propre, comme si elle cherchait à hypnotiser le lecteur, à la fois fasciné et troublé par l’ampleur de la déchéance humaine. 

Et c’est peut-être cela qui constitue l’apport propre du roman. À l’inverse de la littérature gothique, la lecture ne plonge pas dans les visions d’horreur et reste à la surface des mots pour mieux soumettre à réflexion les grandes questions posées en sous-texte, notamment sur la nature du lien social, de la vérité, du pouvoir et de la pulsion de vie.

FLORENCE LETHURGEZ

La Doloriade, de Missouri Williams
Christian Bourgois
Paru le 22 août 2024

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Toulon en mode Broadway

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photo de la scène de Broadway au Palais Neptune à Toulon
Classical Broadway ©

« Willkommen, bienvenue, welcome, fremde, étranger, stranger… » C’est avec cette chanson mondialement connue du film Cabaret de Bob Fosse qui immortalisa Liza Minnelli que Jasmine Roy, spécialiste française de la comédie musicale, pénètre sur scène, pleine d’humour et de charisme dans une combinaison strassée. Elle lance le top départ d’une soirée riche en gaieté. En une heure et demie, quatre solistes accompagnés par un orchestre de l’Opéra de Toulon endiablé sous la baguette de l’américain Larry Blank, chef incontournable du genre, vont dérouler 150 ans de théâtre chanté. « L’opéra est l’ancêtre de la comédie musicale », explique Jasmine Roy souhaitant réinscrire ce registre musical dans sa filiation. 

Et arrive le jazz

La preuve par l’exemple avec une exécution brillante du Largo al factotum du Barbier de Séville de Rossini par le baryton Guillaume Andrieux, suivie par le Mi Chiamano Mimi de La Bohème de Puccini, interprété par la gracieuse Beate Mordal. Si on a toujours un peu de mal à apprécier des extraits d’opéras sortis de leur dramaturgie, les deux artistes lyriques ontcependant illustrés à merveille le jeu théâtral commun aux deux univers musicaux. C’est dans les années 1920 que la comédie musicale prend son envol avec des musiciens comme Cole Porter qui vont métisser leur musique classique avec le jazz qu’ils aiment aller écouter au Cotton Club à Harlem. 

George Gershwin est honoré avec le morceau Shall we Dance dans lequel les trois solistes rejoints par le jeune et impétueux Sinan Bertrand, dans les pas de Fred Astaire, s’en donnent à cœur joie, ou avec le légendaire Summertime de Porgy and Bess, que l’on peut qualifier de premier opéra afro-américain, proposé par Beate Mordal dans une singulière version lyrique. Les morceaux s’enchaînent : medley de Judy Garland, chansons de Barbara Streisand, en solo, duo, trios, avec brio, fantaisie, jeux de scènes, claquettes et pas de danse. C’est drôle, réjouissant, d’une légèreté savamment maitrisée. En bis, la version polyphonique de quand on a que l’amour de Jacques Brel est un moment de grâce. 

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Spectacle donné le 28 décembre au Palais Neptune, Toulon.
Une programmation de l’Opéra de Toulon.

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Raoul Lala, un web-reporter au Mucem

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Raoul Lala Operation Mucem
Raoul Lala Operation Mucem © Cinemagraphic Mucem

« Amis de la marionnette, des clowns, des pitres et des saltimbanques, bienvenue au Mucem pour une conférence destinée aux enfants savants et parents pas sages ! » La programmation culturelle conçue autour de l’exposition En piste ! a battu son plein dans l’auditorium Germaine Tillon, avec, vacances obligent, nombre de propositions destinées au jeune public. Raoul Lala, sympathique rat des plateaux, s’est emparé de son micro et de son meilleur bagout pour animer un spectacle digne des shows TV. La marionnette, à qui Cyril Bourgois prête vie, mêle entretiens en direct avec ses invités, Vincent Giovannoni (conservateur en chef du musée) et Clément Freze (illusionniste), interviews ou reportages vidéo dans les réserves. Des formats courts, informatifs et drôles, incluant une Macha Makeïeff, co-commissaire de l’exposition, très en verve, qui refuse de lui confier son objet préféré parmi sa sélection « ce serait du favoritisme ! ». 

Père Ubu passe par-là

Le rythme est important pour tenir un public pas facile : les enfants dont l’organisme semble saturé de sucre, entre Noël et le Jour de l’An, sont très agités. Heureusement Raoul Lala, expérimenté, arrive à les tempérer, mais il doit régulièrement faire les gros yeux. Son capteur d’attention magique : un karaoké sur fond vert numérique, où il invite deux membres du public, tirés au sort, à s’essayer au maniement d’une marionnette. L’un puis l’autre poussent la chansonnette en playback, sur les airs du Père Ubu version Dick Annegard, et de Clown, un hit du rappeur Soprano. Ovation à la clef, de la part de leur fan club hilare. Résultat subsidiaire : on a par la suite distinctement entendu plusieurs parents fredonner l’entêtant refrain « il avait un tout petit zizi, et un gros cul, le Père Ubu » dans les couloirs du Mucem.

GAËLLE CLOAREC

Cette conférence-spectacle a été donnée le 27 décembre au Mucem, Marseille. 

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« Tenir debout », Suzanne de Baecque en miss explosive

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danseuses tel que Suzanne de Baecque en cerceau sur la scène de la Criée pour le spectacle Tenir debout
Tenir debout © Jean Louis Fernandez

Entre l’humiliation de l’énième audition loupée, et celle des concours de beauté, quelle différence, finalement ? Un peu malhonnête mais néanmoins sincère, cette interrogation a poussé la jeune Suzanne de Baecque de la porte close des concours des Conservatoires d’art dramatique à une autre : celle d’une effarante élection de Miss Poitou-Charentes tenue en 2020. En compagnie de sa camarade Raphaëlle Rousseau, Suzanne de Baecque revient sur ce bien étrange évènement, et confronte avec une joie manifeste son physique et sa fantaisie hors normes à l’étau terrifiant du monde des Miss, à la violence d’un tel milieu et surtout d’un tel imaginaire. 

Solide et juste

Il faut en effet la voir, jouer de la singulière désarticulation de son corps et de ses mirettes terriblement expressives dire l’impossibilité de se conformer à un rituel aussi rigoureusement codé que terriblement absurde. L’échec est ici cuisant mais sublime, et la pièce aurait pu ne consister qu’en ce réjouissant jeu de massacre. Mais une fois cette mise en pièces effectuée, avec brio et panache, survient peut-être la partie la plus intéressante du spectacle. Celle qui prend le temps et la peine de donner la parole aux autres, ces aspirantes Miss qui n’étaient, elles, pas venues participer par goût du grotesque ou du happening. Jouant jusque-là, face à la précision de jeu et la force tranquille de Raphaëlle Rousseau, une partition plus désordonnée et farfelue, Suzanne de Baecque se révèle ici d’une solidité et d’une justesse rares. Les témoignages recueillis et brillamment restitués suscitent un autre rire : bienveillant, tendre, qui confine parfois aux larmes lorsqu’il emmène le spectateur dans un monde qui n’a pourtant plus grand-chose de familier. Un joli détour qui confirme les talents de comédienne mais également d’écriture et de metteuse en scène de Suzanne de Baecque : loin de se centrer sur ses seuls talents et son seul langage, la comédienne brille et émeut par sa capacité à regarder au-delà du cadre.

SUZANNE CANESSA

Spectacle donné du 18 au 20 décembre à La Criée, scène nationale de Marseille. 

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Avec les « factory girls »

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Elles sont trois : Caroline qui rêve de se marier, Aoifé, issue d’un milieu aisé et l’héroïne Maeve. Cette dernière, dont le père invalide et sans revenu, sert de cobayes pour tester de nouveaux médicaments « en espérant que cela ne parte pas en couille comme le cousin Josey dont les reins étaient foutus » aspire à devenir journaliste. Nous sommes en 1994 et les trois adolescentes viennent de passer leur bac dans une petite ville pauvre d’Irlande du Nord. Au mur de leurs chambres, des posters du Che, de Gandhi et de Kurt Cobain et dans leurs têtes les rêves les plus grands. En attente des résultats qui leur ouvriront – ou non – les portes d’universités plus ou moins prestigieuses, elles ont trouvé un job d’été dans une usine de chemises dont le patron, Andy Strawbridge, a la réputation de coucher avec ses jeunes employées. 

Un air de Ken Loach

Elles découvrent le monde de l’usine : la pointeuse, les cadences infernales – 35 secondes par chemise –, les salaires minables – 2,5 pence par chemise –, les pauses minutées « incompatibles avec les changements de tampons ». Il faut aussi apprendre à rester loin « des sales pattes du patron ». Affectées au repassage, les jeunes catholiques côtoient pour la première fois des réformés. En raison, des quartiers, des écoles, des magasins et des pubs ségrégués, elles n’ont jusqu’alors eu que peu de contacts avec les protestants qui habitent de l’autre côté de la ville. Certes, il y a bien des rencontres intercommunautaires baptisées « restauration de confiance » ou « apprenons à connaître les protestants » mais qui la plupart du temps tournent au pugilat. 

Michelle Gallen

Il y a du Ken Loach dans ce roman qui raconte sur fond de guerre civile, la vie d’une jeunesse prise en étau entre leur haine envers les « rosbifs » qui ont piqué la terre et installent des checkpoint permanents et l’église catholique qui « souffle dans la nuque le feu de l’enfer ».  Un Ken Loach qui aurait découvert le monde des femmes et celui de la sororité, un univers où la légèreté et l’humour sauve des moments les plus lourds. Sorti en anglais sous le titre de Factory Girls, un titre mieux adapté, le roman est dédié « à toutes celles qui travaillent en usine ».

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Du fil à retordre, de Michelle Gallen, Éditions Joëlle Losfeld
Parution le 9 janvier
Gallimard - 25€

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Diane Oliver, recueil de vies 

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Neighbors and other stories, volume de nouvelles de Diane Oliver, édité en 2024, est un texte au destin particulier. Son auteure, morte en 1966 accidentellement à l’âge de 23 ans, n’a de son vivant, publié que quatre nouvelles dans diverses revues. Ce n’est que récemment que s’est constitué ce recueil de 14 histoires.

La nouvelle est un genre de prédilection chez les Américains. Cette forme courte a sa propre cohérence, sa force intrinsèque. Tableaux successifs d’un même monde, récits-fables, petite comédie humaine, moments de vie des personnages… c’est de tout cela qu’il s’agit dans l’unique livre de Diane Oliver. L’écriture s’y émancipe du récit linéaire, de la peinture réaliste, témoignant d’une époque de la société américaine. Les autres nouvelles sont une plongée dans le Sud de la Ségrégation, du racisme omniprésent ; celui qui règne dans le système scolaire, les lieux interdits et qui va jusqu’aux agressions physiques et à la relégation. 

Victimes, encore plus 

Diane Oliver choisit des personnages féminins comme figures centrales de ces existences confrontées à la violence de la période de lutte pour les droits civiques : Ellie, Winifred, Jenny, Lilly, Millie, Alice, Essie T… Elles sont davantage victimes sans doute de ce système racialisé : souvent elles vivent seules, plus ou moins délaissées par leur compagnon parti vers le nord, évoluant dans la pauvreté avec leurs enfants, dans des quartiers deshérités.

Faut-il affronter la haine et les préjugés blancs, fréquenter leurs écoles et universités, aller vers le nord, gagner Chicago, se réfugier dans une forêt loin d’eux ? Toutes ces questions et ses doutes habitent les personnages noirs. Quand ils progressent dans l’échelle sociale, ils sont médecins mais victimes eux aussi de l’ostracisme blanc. La dernière nouvelle, Les araignées ne versent pas de larmes montre comment un couple « mixte » ne peut vivre totalement au grand jour, sa relation. Et la figure de la domestique noire au service des blancs revient comme un désespérant héritage de l’esclavage.

MARIE DU CREST

Les Voisins, de Diane Oliver
Buchet Chastel – 23 euros
Paru en 2024 - Traduit de l’américain par Marguerite Capelle

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