« Un 22 septembre, au diable vous partîtes / et depuis chaque année à la date susdite / je mouillais mon mouchoir… »chantait Brassens en son temps qui n’est pas celui du jeune réalisateur Jonás Trueba, fils de Fernando, et dont la valeur n’a pas attendu le nombre des années. Après Eva en août, voilà Septembre sans attendre, un long-métrage tendre et drôle sur le couple et le cinéma, où s’entremêlent films vécus et vies rêvées. Comédie romantique de mariage ou de re-mariage voire de dé-mariage, déconstruite-reconstruite, sous les tutelles entre autres de Stanley Cavell, Blake Edwards, Rohmer, Truffaut et bien sûr celle de son père, qui joue dans le film et serait à l’origine du projet par sa boutade : « les couples devraient fêter les séparations plutôt que les unions. »
Ale (Itsaso Arana) et Alex (Vito Sanz), qui après 14 ans de vie commune sont devenus pour leur entourage un modèle de longévité conjugale, décident de se séparer et d’organiser une grande fête pour célébrer cette séparation. Chacun de leur côté ou ensemble, ils vont annoncer la nouvelle à leurs parents et amis et les inviter à les rejoindre le dernier jour de l’été pour rire boire et chanter car « on se sépare pour aller mieux ». Le film se structure sur la répétition de l’annonce et les réactions perplexes parfois cocasses qu’elle suscite. Car Ale et Alex semblent très bien s’entendre, « on se sépare mais tout va bien » précisent-ils sans cesse. La cause de cette décision ne sera jamais révélée. Pas plus que leur histoire. Tout juste voit-on à travers des vidéos retrouvées, les images filmées par Ale d’un voyage en amoureux à Paris. Filmer la vie, c’est le travail d’Ale, réalisatrice qui est en train de finaliser un film qui est justement le film qu’on est en train de voir ! Plus que mise en abyme, ce jeu humoristique permet des changements d’axes pour le jeune réalisateur qui met le montage, au cœur de son écriture et de son propos. Et si on pouvait monter sa vie ? Le cinéma, n’est-il pas « une version améliorée de la réalité » ?
Jonás Trueba dit ne pas savoir réaliser des scénarios « circulaires » qui referment l’histoire ou « linéaires » qui vont droit vers un but annoncé. Ici, alors qu’on croit connaître la fin, le doute s’immisce peu à peu. On passe d’un orage gris menaçant à Madrid aux lumières de la fête finale. Entre les deux, le film s’est fait sinuoïdal mais comme la flèche de Cupidon, il a atteint très sûrement notre cœur.
ÉLISE PADOVANI
Septembre sans attendre, de Jonás Trueba En salles le 28 août
Emilia Perez est un film de genre, mais de tous les genres. Porté par quatre actrices sublimes qui chantent et dansent dans tous les styles, tourné en France en studio mais parlant en espagnol des cartels mexicains, il entremêle les esthétiques de série mafieuse, de polar, de telenovelas et de comédie musicale. Jubilatoire dans les libertés qu’il prend avec les frontières, il n’en aborde pas moins des réalités tragiques : le narcotrafic, la corruption politique et les féminicides, 10 par jour au Mexique. Sans compter l’identité de genre et la chirurgie de transition, eux aussi confondus en une transition d’identité nécessaire : Emilia en devenant la femme qu’elle est depuis toujours, efface, en même temps que son corps d’homme, son passé massivement criminel.
Intense griserie
Comment cette histoire de trans mexicaine et de narco trafic a-t-elle pu concerner Jacques Audiard, cinéaste cisgenre, français, éloigné jusqu’alors du film de genre ? Dès l’entrée, le tourbillon des plans serrés, des décrochages chantés, la présence très puissante des deux actrices principales et l’enchaînement rapide des étapes narratives emmènent le spectateur dans une griserie intense, colorée et violente, où le doute a peu de place, où les réticences se balayent. La B.O. de Camille et Clément Ducal, qui navigue du rap et du rock à la ballade, jusqu’à une très belle réécriture des Passantes de Brassens en fanfare, colle remarquablement aux images et au talent spécifique de chacune des actrices/chanteuses. Un plaisir musical qui redouble celui des images, de l’humour queer, des rebondissements, des références discrètes à Narcos et autres Casa de la flores. Et une gratitude : le rôle principal est tenu par Karla Sofia Gascon, une actrice trans récompensée par une Palme d’or d’interprète féminine ; et la transition de genre est posée comme un élément essentiel de l’intrigue, sans pour autant être le sujet principal du film, imposant la révolution queer comme un élément nouveau des réalités et des imaginaires. Ce que Marion Maréchal Le Pen n’a d’ailleurs pas manqué de dénoncer.
La femme, avenir de l’homme violent ?
Pourtant quand le film cesse, quelques réticences qui ont survécu au tourbillon du film reviennent, feed back de séquences qui manquent de clarté, ou de délicatesse : la plaidoirie qui permet d’acquitter le féminicide vécue comme une victoire, le musical clinquant dans la clinique de chirurgie de transition, la violence et la voix masculine qui ressurgissent après la transition comme une vérité cachée, l’incarnation du Mal et du meurtre de masse par un personnage trans, gênent aux entournures d’un sujet délicat. Si le Mexique a élu une femme pour tenter de sortir de sa violence et de la terreur masculiniste, l’absence totale de personnages masculins positifs ne saurait être un modèle de société queer, dans laquelle les hommes, cis ou trans, doivent trouver une place !
AGNÈS FRESCHEL
Emilia Perez, de Jacques Audiard En salles depuis le 21 août
Il est un des grands noms de la scène contemporaine. Le chorégraphe anglais a débuté à 13 ans dans le Mahâbhârata de Peter Brook (1987), faisant sonner les clochettes khataks à ses chevilles ; il a dansé et créé des spectacles mémorables où les arts de la scène croisent leurs traditions, indiennes mais aussi moyen orientales et africaines, avec la danse contemporaine ; il a collaboré avec Sidi Larbi Cherkhaoui ou Juliette Binoche, a conçu une partie, la plus belle, de la cérémonie d’ouverture des J.O. de Londres…
Anglais né à Londres de parents venus du Bangladesh, fabuleux danseur riche de sa double culture chorégraphique, formé à la plus narrative des danses classiques indiennes, le Khatak, qui a souvent infiltré ses spectacles, il veut franchir, avec Gigénis, un pas de plus vers ses origines, et retrouver le récit d’une genèse, d’une « generation of the earth ».
Pour cela il a rassemblé des interprètes des deux grands styles classiques indiens, le Bharata natyam (danse) et Kutiyattam (théâtre), ceux qui ont la plus forte dimension spirituelle, et relatent des cosmogonies – ces récits mythologiques qui décrivent la formation du monde : les six danseurs indiens, qu’il accompagne sur scène, seront portés par sept musiciens indiens (violon, percussions, contrebasse et voix) qui mêlent eux aussi les styles classiques indiens, modalités et quarts de tons non tempérés.
Une autre création
Car dans la danse comme dans la musique indienne il n’est pas question d’opposer traditionnel et classique, narratif et ornemental, et moins encore répertoire et création. Riches de transmissions multiséculaires et d’influences de régions diverses, de cosmogonies mais aussi de luttes au présent, les danses et musiques du sous-continent indien bouleversent les attentes occidentales. Comme l’explique le chorégraphe, l’homme occidental veut « voir pour croire », alors que l’Indien sait qu’il faut souvent « croire pour voir »… Une invitation à changer nos regards, à nous laisser porter par l’extrême raffinement des gestes et des modes pour percevoir, peut-être, au-delà ?
Akhram Khan sur scène, danseur toujours aussi fascinant, sera notre lien, notre truchement contemporain, vers des mythes partagés, une cosmogonie et un récit de la génération de la Terre qui existe, en sanskrit, avant celui de la genèse biblique. Une création du monde qui verra le jour à Aix-en-Provence ! Et voyagera ensuite à Paris, Singapour, Londres et New York.
AGNÈS FRESCHEL
Gigenis, the generation of the earth Les 30 et 31 août Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
Comment qualifier un chef d’État qui sous prétexte de préserver la République d’une instabilité parlementaire qu’il a entièrement provoquée, maintient un pays dans un état de sidération et d’impossibilité d’action inédits ?
La vacance du Gouvernement plonge les administrations et les administré·e·s dans une instabilité qui s’ajoute à des années de politique de girouette et décisions imposées contre la volonté manifeste du peuple. En cinq ans, cinq ministres de l’Éducation nationale se sont succédé, sans ligne directrice, imposant chacun ses caprices, détruisant les processus d’orientation vers le supérieur, l’équilibre des heures, les parcours technologiques, l’équité territoriale, les recrutements d’enseignants.
La vacance de la rentrée achèvera-t-elle d’installer la défiance envers les établissements publics, l’insécurité croissante des professeurs, la dégradation spectaculaire des résultats des élèves français au PISA * ? Et, concrètement, les établissements vont-ils installer des groupes de niveau comme la dernière réforme le suggérait, mettant en œuvre un classement précoce des élèves qui régresse vers un système éducatif d’avant Giscard et sa réforme Haby ? Un système où les enseignements artistiques sont détruits, sauf pour ceux qui les choisissent en option, comme si vivre sans rapport à l’art était possible ?
Destruction du sensible
Car la vacance au ministère de la Culture est tout aussi tragique pour la République française. Là encore, cinq ministres se sont succédé depuis 2017 sans construire de politique, mais en détruisant systématiquement les acquis de la décentralisation. Les Directions régionales de l’État subissent un manque de financement chronique du ministère centralisateur, au profit d’un « pass Culture » très efficace pour les industries culturelles, mais nul en terme d’usage démocratique et de financement de la culture publique. Les festivals ont subi cet été des changements de dates qui ont fortement impacté leurs équilibres, et ne peuvent déclencher aucun levier ministériel pour ne pas sombrer, dans un contexte où le régime de l’intermittence est une nouvelle fois menacé.
Dieu, Jupiter et les capitalistes
Pendant ce temps, une campagne pour la restauration du patrimoine religieux des villages est lancée par la Fondation du patrimoine, financée conjointement par le ministère et par des dons de particuliers. Tandis que les écoles et les industries rurales ferment, les églises des villages sont restaurées, en dépit du principe de laïcité et d’égalité des religions – les villages comportent peu de temples, de synagogues, de mosquée ou de mandir.
Plus grave encore, la politique des médias, gérée par le direction des industries culturelles du ministère, laisse le service public audiovisuel licencier les irrévérencieux de gauche, mais fait prospérer les incendiaires d’extrême droite, finance les grands groupes industriels propriétaires de presse, laisse disparaître, victimes d’une concurrence disproportionnée, les titres indépendants nécessaires à la démocratie locale.
La vacance de l’éducation, de la recherche et de la culture peut construire, si elle se poursuit, une société durablement décérébrée et insensible. Par le caprice d’un incendiaire qui a facturé la République et ne doit la survie de ses députés qu’à la mobilisation de la gauche. Encore vivante, malgré ses coups, elle n’acceptera pas plus longtemps son mépris.
AGNÈS FRESCHEL
*L’évaluation internationale de l’OCDE constate année après année la dégradation du niveau des élèves français en mathématiques, compréhension de l’écrit et en sciences. Aujourd’hui elle est à peine au-dessus du score médian situé à 472 points, et figure après la Lettonie ou la Croatie. Elle est passée entre 2006 et 2023 d’un score de 505 à 474 (maximum 575, minimum 400), accusant la plus forte baisse des 81 pays évalués par l’OCDE.
9 novembre 2021. Paris, le musée du Quai Branly. Des déménageurs au travail. Des emplacements vides. Des gestes délicats. En voyant les premières images du dernier film de Mati Diop,Dahomey, on pense à La Ville Louvre de Nicolas Philibert. Là, les objets ne vont pas dans les salles de restauration mais bien plus loin. 26 trésors royaux du Dahomey partent à Cotonou, la capitale de leur terre d’origine devenue le Bénin. Des statues de bois sont placées dans une caisse tel un cercueil, protégées, emballées comme une mise au tombeau avec le bruit des clous qu’on visse. Et une voix d’outre-tombe, celle de la statue anthropomorphe du roi Ghézo : « Qu’est ce qui m’attend ailleurs ? 26, juste 26, Reconnaîtrai-je quelque chose, me reconnaîtra-t-on ? ». En langue fon, celle que parlent les Béninois. On suit le cortège funéraire dans un long couloir. Retour au pays qui va être commenté poétiquement par la statue royale. Une voix intérieure élaborée par l’écrivain haïtien Makenzy Orcel. Voyage en avion et arrivée au palais présidentiel à Cotonou.
Une âme pillée
« Pour moi, la dimension historique du moment avait une dimension mythique que j’ai voulu retranscrire à travers la manière de filmer », précise Mati Diop. Les trésors filmés comme des personnages, qu’on accueille, qu’on installe, qu’on ausculte, qu’on découvre, qu’on célèbre, qu’on admire. Une des journaux : « Historique ! », liesse populaire, danses traditionnelles. Surveillance militaire et discours officiels. Si les statues et les notables parlent, ce ne sont pas les seuls…Comment la jeunesse béninoise vit-elle ce retour ? Mati Diop a tenu à donner la parole aux jeunes, comme souvent dans ses films. Elle a rassemblé une douzaine d’étudiants de l’université d’Abomey-Calavi, chercheurs ou jeunes conférenciers, venus d’horizons et de disciplines différents, art, histoire, économie, sciences sociales : « Nous devions être absolument sûrs que chacun défendrait un point de vue personnel sur la restitution des trésors. » 26 œuvres restituées sur 7000 encore captives au musée du Quai Branly ! Est-ce une insulte ou un premier pas ? N’est-ce pas une volonté du président français de donner une bonne image de son pays qui perd de l’influence en Afrique ? Quelles sont les véritables intentions du président Patrice Talon ? « Ce qui a été pillé c’est notre âme ! » Les objets de culte vont-ils devenir des objets d’art ? Un débat passionnant qui pose des questions essentielles, celle des restitutions coloniales, Mati Diop réussit avec Dahomey un film aussi beau, aussi envoûtant que Les statues meurent aussi (1953) d’Alain Resnais et Chris Marker, son film de référence.
« Nous pouvons soit oublier le passé, une charge désagréable qui nous empêche d’évoluer, ou nous pouvons en prendre la responsabilité, l’utiliser pour avancer. En tant que Franco-Sénégalaise, cinéaste afro descendante, j’ai choisi d’être de ceux qui refusent d’oublier, qui refusent l’amnésie comme méthode » a déclaré Mati Diop en recevant l’Ours d’Or à la Berlinale.
On sait combien le chemin de la reconnaissance du débarquement de Provence fut long. Pour des raisons à la fois chronologiques et symboliques, le débarquement de Normandie du 6 juin 1944 est toujours perçu comme le début de la fin de l’occupation nazie en Europe. Il a bénéficié d’une couverture protocolaire et médiatique importante et a été largement représenté dans les films, les livres et les documentaires. Cela a contribué à en faire un événement emblématique. Bien que le débarquement de Provence ait été stratégique pour libérer le Sud de la France et ouvrir un nouveau front, il est souvent considéré comme ayant eu un impact moins direct et immédiat sur la chute du régime nazi.
D’un débarquement à l’autre
Or le 15 août 1944, ce sont 95 000 soldats alliés, surtout Américains, Canadiens, et Britanniques qui débarquent sur les plages du Var. Ils devancent 260 000 soldats français, notamment des tirailleurs sénégalais, algériens, marocains et d’autres colonies africaines, et 5 000 auxiliaires femmes. Il s’agit de la fameuse armée « B » qui libère Toulon puis Marseille avant de poursuivre jusqu’en Alsace. Elle réunit des hommes et des femmes venus de cinq continents et notamment des territoires sous domination coloniale. Ceux qu’on appelait alors les « indigènes » combattaient côte-à-côte avec des Français des colonies et des évadés de la France occupée. Le débarquement de Provence, nom de code « Opération Dragoon », est meurtrier. Dans le Var et à Marseille, 4 800 soldats sont tués ou gravement blessés, dont 2 000 anglo-saxons.
L’appel du général depuis l’empire colonial
Après l’appel du 18 juin et avec les soldats qui ont rejoint la Grande-Bretagne, le général de Gaulle a organisé les forces françaises libres (FFL) en s’appuyant sur les colonies et territoires d’outre-mer. Son refus de la défaite avait trouvé un écho bien au-delà de la métropole. Son appel à l’honneur, adressé « À tous les Français », traduit dans toutes les langues coloniales, retentit au sein des populations colonisées.
Si les Africains ne se sont pas « levés comme un seul homme » pour libérer la mère patrie, comme le prétend la propagande coloniale, nul doute que l’appel fait son chemin au sein des populations sous domination. Engagés volontaires, les soldats coloniaux qui débarquent en Provence partagent les valeurs de liberté, et en attendent probablement une libération.
Ainsi, le combat contre les nazis suscite des engagements volontaires multiples et la participation des soldats coloniaux aux différents conflits a nourri le nationalisme des « indigènes ». L’Oranais ou le Sétifien, engagés côte-à-côte, peuvent se projeter dans une idée de la nation algérienne et les valeurs d’égalité et de liberté. D’autant que la cohésion des troupes a exigé l’égalité des soldes, qui est enfin décidée suite à la terrible bataille de Monte-Cassino.
De la fraternité d’arme à l’indépendance
Frantz Fanon écrit : « Chaque fois que la liberté et la dignité de l’homme sont en question, nous sommes tous concernés, Blancs, Noirs ou Jaunes ». Issu d’une famille métisse de Martinique, il s’est engagé librement en 1943, à seulement 17 ans, pour rejoindre les armées de la France libre. Il a débarqué en août 1944 à Saint-Tropez et fut grièvement blessé dans les Vosges en novembre. Après guerre, devenu médecin psychiatre, il fut un militant de l’indépendance algérienne et des luttes de décolonisation, reliant clairement les deux combats, désignant l’idéologie raciale nazie comme un péril universel : « Il y a peu de temps, le nazisme a transformé la totalité de l’Europe en véritable colonie… Le combat que mène un peuple pour sa libération le conduit […] à faire exploser les prétendues vérités installées dans sa conscience par l’administration civile coloniale, l’occupation militaire, l’exploitation économique. Et, seul le combat peut réellement exorciser ces mensonges »
C’est aussi le trajet de Ahmed Ben Bella, qui a joué pour l’OM en 1939-40. Durant le débarquement de Provence, il fait partie du 5e régiment de tirailleurs marocains de la 2e division d’infanterie marocaine (2e DIM). Promu adjudant, il est cité quatre fois dont deux fois à l’ordre de l’Armée et décoré de la médaille militaire par le général de Gaulle en avril 1944 en Italie. Il deviendra l’un des combattants de l’indépendance algérienne et premier président de la République algérienne de 1963 à 1965.
SAMIA CHABANI
Au Mont Coudon Les commandos d’Afrique comptaient dans leurs rangs des Français d’Afrique du Nord, des évadés de France, des républicains espagnols, des Corses. Il y avait aussi des Tunisiens, des Algériens et des Marocains qui représentaient près des deux-tiers des effectifs. Ils furent chargés de s’emparer du mont Coudon, clé de voûte du dispositif allemand à Toulon. Au cours de la Libération de la Provence, plus d’un quart d’entre eux est tué au combat. S.C.
En lien : Visages de la Libération de Provence, été 1944 Du 28 août au 27 septembre Proposée par Grégoire George-Picot du Groupe Marat Bibliothèque Salim Hatubou, Marseille
Tout commence par un mensonge, celui d’un collégien, fils d’une rwandaise et d’un français qui, en 1994, pour expliquer ses difficultés scolaires, prétexte « la guerre » en conseil de classe. Mensonge, vraiment ? Ou première rébellion contre le silence familial, et la sidération historique face au génocide en cours ?
Le jacaranda est un arbre flamboyant, aux racines peu profondes mais aux ramures élevées, au corps précieux de palissandre. L’arbre chéri de Stella, petite rwandaise née après 94, et qui aidera Milan, adolescent noir en France et blanc à Kigali, à comprendre son histoire, jusqu’aux origines, au traumatisme.
Sans didactisme, au fil de la fiction, l’histoire du génocide apparaît. Le racisme et le fichage anthropométrique des Tutsis et des Hutus par les colons belges ; les pogromes successifs qui ont suivi l’indépendance, et provoqué des exils de masse ; les massacres puis les actes génocidaires, racontés très précisément par les survivants ; les procès, les cérémonies du souvenir, la cohabitation entre victimes et bourreaux, la lente sortie du traumatisme de ce pays qui transforme en 20 ans ses villes aux orphelinats improvisés et latrines puantes en cités modernes. Et la possibilité, peut-être, d’une résilience commune, face au calme d’un Grand lac.
Réconciliation, justice, mémoire
Gaël Faye, qui vit aujourd’hui à Kigali, ressemble à Milan (comme Kundera) autant que Gabriel de Petit Pays (son précédent roman), qui racontait une enfance au Rwanda ; entre deux mondes. Il vit aujourd’hui à Kigali mais reste entre deux pays : très allusif sur la responsabilité de la France, il l’est aussi sur la guerre actuelle au Nord-Kivu. Gendre de Dafroza Gauthier, qui a poursuivi les génocidaires réfugiés en France et soutient Paul Kigame, réélu en août pour un 4e mandat de Président, le romancier s’inspire du réel pour inventer des personnages puissants. Des hommes, son « frère » Claude, survivant, Sartre, ambigu, Alfred, soldat du FPR qui continue le combat au Congo. Mais des femmes surtout, découvertes au-delà du silence de sa mère : Tante Eusébie qui ressemble à Dafroza Gauthier, sa fille Stella qui produit le travail de mémoire, Rosalie l’ancêtre qui se souvient du royaume ancien, Mamie qui oublie et se tait. Tout est écrit en phrases courtes, énergiques, où les dialogues secs et sans lyrisme laissent place, souvent, à des récits traumatiques qui ne s’attardent pas sur l’émotion. Qui n’en éclate que plus violemment.
AGNÈS FRESCHEL
Jacaranda, de Gaël Faye Grasset - 20,90 € Sorti le 15 août
Polyphonique, féministe et fantastique, sontitre est emprunté au Goût du Néant de Baudelaire, en exergue du roman : « Résigne-toi mon cœur, dors ton sommeil de brute ».
Aucune résignation, pourtant, dans ce roman combatif où l’on retrouve des femmes rudes et douces, des hommes violents ou protecteurs. Ces personnages, qui explorent la maternité, la paternité, le couple, la transmission, sont en butte aux dominations masculine et sociale comme dans Le Cœur cousu, le Domaine des murmures ou La Terre qui penche. Mais cette fois le roman est écrit au présent, dans une ambiance de fin du monde inspirée du Covid, et de la destruction capitaliste du monde : une épidémie fulgurante, venue des rêves d’enfants, empoisonne le réel, plongeant l’humanité dans des fléaux bibliques qui surviennent à heures fixes, en suivant la révolution terrestre. La survie de l’humanité est en jeu, et le Néant aux portes.
Contamination des imaginaires
Au cœur de cette histoire universelle celle d’une femme, Eva, médecin du sommeil, qui fuit son mari en emmenant sa fille Lucie en Camargue, et tombe, au cœur du delta, sur Serge qui sauve une oie sauvage : est-il un ogre ou un chevalier solitaire ? Le roman fait alterner les points de vue d’Eva, qui dit « je », de Serge, qui se parle à lui-même, de Pierre le mari qui n’a droit qu’à un « il », et d’autres voix encore qui se tissent, enfants du monde, chasseur brutal, capitaliste repenti, chamane centenaire.
Réaliste, clinique même, peu encline à des explications surnaturelles, Eva apprend à dompter le surgissement fantastique, l’incursion des rêves dans le réel, en mode survie au milieu des marais mouvants, des chevaux et des oies sauvages, des insectes, des herbiers et des cris. Le lecteur, qui comprend plus vite qu’elle, grâce aux fils narratifs tissés, ce qui lui arrive, est pris, lentement puis sûrement, dans une intrigue qui s’épaissit et s’accélère, des récits oniriques somptueux, des sentiments maternels et amoureux profonds et justes, une nature hostile et belle décrite en des coups de pinceaux magistraux. Jusqu’au terme. Au néant ?
AGNÈS FRESCHEL
Dors ton sommeil de brute, de Carole Martinez Gallimard - 22 € Sorti le 15 août
« Le Chelsea Hotel est le premier endroit où je suis allée à New York parce que Dylan Thomas était un de mes grands héros et avait l’habitude de trainer sur ce toit. Je suis sure qu’il a observé l’Empire State Building, juste là. » C’est Patti Smith, toute jeune, penchée sur le mur d’un toit, que nous rencontrons au début Dreaming Walls, film passionnant d’Amélie van Elmbt et Maya Duverdier. Ce ne sera pas la seule célébrité que nous croiserons. Il y aura aussi Al Pacino, Marilyn Monroe, Oscar Wilde, Salvador Dali, Milos Forman, Leonard Cohen, Janis Joplin…
Si « tous les immortels du XXe siècle ont séjourné » dans cet hôtel, ce sont les « irréductibles du Chelsea, restés dans l’ombre des artistes et des événements » qui ont intéressé les deux réalisatrices. Elles ont filmé, durant deux ans, des résidents qui vivent et créent toujours dans le chaos du chantier – la rénovation de ce bâtiment érigé entre 1883 a duré plusieurs années. Et c’est une octogénaire, pétillante, appuyée sur son déambulateur qui nous sert de guide : Merle Lister, une chorégraphe, une des pionnières de la danse moderne, pleine de vie, qui parcourt les couloirs, parmi les câbles et les gravats, d’étage en étage. Elle joue avec les bâches en plastique qui cachent peut-être les fantômes des lieux ; toujours active, elle prépare une nouvelle chorégraphie et nous en montre quelques figures.
On rencontre aussi la peintre Susan Kleinsinger, là depuis les années 1970 : elle avait créé un jardin sur le toit, mais chassée, a été obligée de déménager au premier étage, avec son partenaire, Joe Corey, mort pendant le tournage. Et bien d’autres : l’architecte Nicolas Pappas et sa femme Zoe, le producteur réalisateur Steve Willis… « Chacun a une raison pour vouloir y rester », confie l’artiste Rose Cory, passionnée d’Arthur Rimbaud, qui y vit depuis 1987. On ne sort de ce huis- clos, cet hôtel hanté par ses souvenirs, qu’à la fin du documentaire en compagnie de Bettina Grossman, la personne la plus âgée de l’immeuble, la seule à qui les nouveaux propriétaires n’ont pas proposé d’argent pour déménager, à cause de son grand âge, confie-t-elle, lucidement. Nous la voyons partir à pied dans la 23e Rue, comme elle l’a toujours fait avec son appareil photo. Elle est décédée en 2021…
Voyage poétique entre présent et passé, Dreaming walls nous ramène aussi à une réalité bien contemporaine : alors que le Chelsea Hotel était rapidement devenu une utopie, un havre pour des artistes de la contre-culture – Paul Morrissey et Andy Warhol y ont tourné le film expérimental Chelsea girls par exemple – il est aujourd’hui devenu un hôtel de luxe. On rêvera quand même de gravir les marches de la somptueuse cage d’escalier, accompagné par les fantômes du passé.
ANNIE GAVA
Dreaming walls, d’Amélie van Elmbt et Maya Duverdier En salles le 28 août
Un retour de Polyptyque qui se fait dans le cadre de la rentrée de l’art qui va enflammer la ville pendant ce dernier week-end d’août. Moment foisonnant dont le salon de la photographie contemporaine est devenu l’un des acteurs principaux dès l’été 2018 avec une première édition qui préfigurait l’ouverture du Centre Photographique Marseille quelques semaines plus tard, rue de la Joliette. Le tout porté par les Ateliers de l’Image, association qui œuvrait depuis une vingtaine d’années sur des projets d’éducation à l’image. En 2020, c’est la crise du Covid qui annule la troisième édition, et en 2023 des financements insuffisants. Mais en 2024 Polyptyque est de retour, piloté par Erick Gudimard, directeur du Centre Photographique Marseille, Valérie Cazin, directrice de la galerie Binome (Paris), et Pascal Beausse, responsable des collections photographiques du Centre national des arts plastiques. Avec deux nouveautés : le salon se déroulera désormais sur un rythme biennal, et crée, à côté du prix Polyptyque Photographie, le prix Polyptyque du Livre d’artiste.
Line-up
La volonté du salon est de créer des résonances entre un ensemble de solo shows d’artistes, certains étant « représentés par des galeries de renom à l’échelle internationale, [d’autres appartenant] à la scène émergente régionale et nationale, et des œuvres de collections privées ». Pour cette édition 2024 sont ainsi présentes neuf galeries et 16 artistes, qui concourront pour les prix Polyptyque (10 pour le prix Photographie, 6 pour le prix Livre d’artiste). Ils et elles ont été retenu·e·s par un comité de sélection constitué de Nathalie Herschdorfer, directrice de Photo Elysée (Lausanne), Marsha Plotnitsky, directrice de la galerie The Merchant House (Amsterdam), Patrice et Caroline Galiana-Wiart, collectionneur et collectionneuse (Paris), Erick Gudimard, directeur du Centre Photographique Marseille et Thierry Fontaine, artiste photographe. Tous les travaux seront exposés aux Voûtes de la Major et à l’Urban Gallery.
Cartes blanches et nouvel accrochage
C’est également à l’Urban Galleryque sera visible, à l’occasion de la carte blanche proposé par le salon à Mécènes du Sud, qui fête cette année ses 20 ans de soutien à l’art contemporain, un grand diptyque de l’artiste Emmanuelle Lainé, produit pour l’occasion. Quant au Centre Photographique Marseille, il propose pendant le salon un nouvel accrochage de l’exposition Toucher le Silence de Grzegorz Przyborek [retour à lire sur jounalzebuline.fr], accompagné d’un solo show d’Antoine d’Agata, issue de la carte blanche proposée par Polyptyque au couple de collectionneur·euse Galiana-Wiart. Ainsi que quelques œuvres réalisées entre autres par David Nebreda, Hervé Guibert, Emmanuelle Becker, Tom Drahos et Dieter Appelt. Enfin, au MundArt, les cinq lauréat·es de la première édition de Polyptyque, en 2018, dévoileront leurs œuvres récentes.
MARC VOIRY
Polyptyque Du 30 août au 1er septembre Voûtes de la Major, Urban Gallery, Centre Photographique Marseille et MundArt, Marseille