dimanche 14 décembre 2025
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
cliquez sur l'image pour faire un donspot_img
Accueil Blog Page 26

Marseille vue par les Detaille : Une histoire marseillaise 

0
Sur la Canebière, photographie de Fernand Detaille, vers 1900, fonds Detaille, coll. Musée d'Histoire de Marseille.

« Vous êtes sûrs qu’on va ouvrir vendredi ? » À quelques jours de l’inauguration de Marseille vue par les Detaille, les derniers préparatifs s’accumulent et font joyeusement trembler Hélène Detaille, épouse de Gérard, tous deux présents sur place pour donner de précieux conseils aux équipes du Musée d’histoire de Marseille.  

« C’est la même équipe qui est venue déménager le fonds. Des gens formidables », se rassure-t-elle. Ce déménagement, ce sont les vingt camions qui ont quitté la rue Marius Jauffret vers le centre de conservation du musée marseillais fin 2021. Vingt camions qui emportaient avec eux le fonds Detaille, et ses 160 ans d’histoire de la photographie à Marseille.

Quatre ans plus tard, le Musée d’Histoire de Marseille dévoile avec cette exposition une première vue sur l’immensité de ce fonds, riche de plusieurs centaines de milliers de clichés, témoin de l’histoire de Marseille depuis le Second Empire jusqu’à nos jours. Et acte ainsi « une nouvelle page de l’histoire des collections pour les musées de Marseille », se réjouit Fabrice Denise, directeur du Musée d’histoire. 

Le pont transbordeur, photographie de Fernand Detaille, vers 1900, fonds Detaille, coll. Musée d’Histoire de Marseille.

Au départ, il y a Nadar 

Cette histoire commence avec l’installation du grand photographe Nadar à Marseille en 1897. « Après une très belle carrière à Paris, il est venu ici pour sa femme, qui en avait besoin pour des raisons de santé », explique Gérard Detaille. Il s’installe au 21 rue de Noailles, devenu plus tard le 77, La Canebière. Tout sauf un hasard. Il est en face d’un grand hôtel où « descend » la bourgeoisie du monde, qui n’a qu’à traverser la rue pour se faire tirer le portrait chez l’illustre photographe. 

Ainsi naît le fonds, qui n’en a pas encore la forme, ni le nom. Mais toutes les plaques de verre sont conservées, et sur elles les milliers de personnes qui ont franchi les portes de l’Atelier Nadar, bourgeois ou non. 

Albert Detaille, autoportrait, vers 1900, fonds Detaille, coll. Musée d’Histoire de Marseille

Quelques années plus tard, le photographe vieillissant doit quitter son studio marseillais et cherche un repreneur. Il demande à son ami photographe suisse Boissonnas s’il ne connaît pas quelqu’un : il lui envoie son talentueux assistant, un certain Fernand Detaille. L’histoire des Detaille à Marseille commence.  

Fernand poursuit le travail de Nadar dans son studio, et découvre aussi une ville qu’il aime photographier. Il passe du temps avec les Marseillais, dans la rue ou au bord de mer, et saisit discrètement des instants de la vie quotidienne, armé de sa chambre photographique. Les archives s’accumulent dans la maison de La Canebière, même si l’incendie des Galeries Lafayette mitoyennes réduira en cendre, ou en eau, une bonne partie. 

Pas de quoi atténuer la passion pour autant. Le fils de Fernand, Albert, continue le travail, puis Gérard, le petit-fils. C’est d’ailleurs ce dernier qui aura l’idée de construire une photothèque à partir des immenses archives du studio. « J’ai pris conscience de l’importance de l’archive en quittant Marseille, en travaillant chez d’autres photographes, ou dans d’autres institutions, à Genève, Anvers, ou Ivry. » Il se lance dans cette mission pharaonique, malgré les doutes de son père : « Faut faire du neuf » disait-il, lui « qui n’aimait pas beaucoup ranger. »

Avec sa femme Hélène, il constitue, range, classe, et collecte de nouvelles photos pour le fonds en dehors de ses heures de travail. Parfois perché dans un vide depuis un hélicoptère pour un cliché, ou pour saisir les bouleversements de la ville avec le projet Euroméditerranée. 

Une « terrible tristesse » 

Le fonds se constitue alors que la famille Detaille, et tous les Marseillais, perdent une grande partie de l’histoire de Nadar et des Detaille à Marseille. Après un imbroglio administratif et immobilier, l’Atelier Nadar de La Canebière est vendu, avant de s’effondrer en 2014. « Une terrible tristesse », glisse aujourd’hui Gérard qui a grandi entre ces murs – murs qui n’avaient même pas été classés.  

Heureusement, l’appareil à soufflet de Nadar, le fauteuil sur lequel s’asseyaient ses sujets, son armoire, et les centaines de milliers de photos sont à l’abri, rue Marius Jauffret, où Gérard Detaille s’est déplacé. Reste à savoir quoi faire de ce fonds : Gérard Detaille veut le céder à la Ville, quand certains l’encouragent à le vendre aux enchères pour augmenter son profit. Mais pour lui, pas question « de disperser le fonds. » Il faut « maintenir son unité dans une même institution. Et quoi de mieux que le rayonnant Musée d’histoire de Marseille ? »

Le directeur du musée d’Histoire salue d’ailleurs cette « généreuse idée de ne pas se tourner vers le secteur marchand, de vendre à la pièce et à la découpe ce fonds. » Et rappelle que l’acquisition est aussi « un geste très fort de la Ville de Marseille » puisqu’en « accueillant l’intégralité du fonds dans ses collections », il devient juridiquement « inaliénable. » À la Ville désormais d’« entreprendre tout ce qui est en [son] pouvoir pour assurer la conservation et la transmission de ce fonds. »

L’affaire s’est conclue le 8 février 2021 en conseil municipal. Le fonds est cédé à la ville pour 216 000 euros. Quelques mois plus tard, vingt camions quittent la rue Marius Jauffret pour les collections des Musées de Marseille. « Au premier camion j’ai versé de chaudes larmes. Au deuxième, je me suis demandé si je faisais bien ou mal. Au troisième, c’était une grande joie », se rappelle Gérard Detaille aujourd’hui. 

Après l’acquisition du fonds par la Ville, l’exposition Marseille vue par les Detaille est la première utilisation de ce fonds par les musées municipaux, mais certainement pas la dernière. « Cette exposition est une première étape. C’est l’ouverture d’un site archéologique dont on ne connaît pas encore l’étendu ni toutes les lignes de forces. Malgré le travail déjà réalisé par les Detaille », explique Fabrice Denise.

Des projets sont d’ailleurs déjà sur la table. « Nous prévoyons pour l’année prochaine des aménagements dans le parcours permanent du musée pour intégrer la photographie d’une manière plus forte. » Fabrice Denise ajoute qu’avec cette première exposition, « le rayonnement du fonds sera certainement supérieure à que ce qu’il est déjà aujourd’hui », et « va sans doute susciter l’intérêt d’autres musées qui demanderont des prêts. » 

Un dernier déménagement ?  

Un vieux rêve continue aussi d’animer Gérard Detaille. Depuis plusieurs décennies, il milite pour la création d’une grande maison de la photographie patrimoniale à Marseille, avec le fonds Detaille en pièce maitresse, mais aussi les autres richesses détenues dans les collections de la Ville. L’exposition à venir, qui s’étalera jusqu’en octobre 2026, en sera peut-être son plus bel argument.

NICOLAS SANTUCCI

Marseille vue par les Detaille
Du 31 octobre 2025 au 31 octobre 2026
Musée d’histoire de Marseille

Retrouvez nos articles Arts Visuels ici

Capuçon, Liège et Pépin

0
La création pour orchestre "La nuit n'est jamais complète" de Camille Pépin (à droite) pour l'Orchestre Philharmonique Royal de Liège dirigé par Renaud Capuçon (soliste et chef), en commande croisée avec Le Grand Théatre de Provence. Le 23 octobre au Grand théa^tre de Provence pour les Théâtres. © Claire Gaby

Le 23 octobre, le Grand Théâtre de Provence accueillait Renaud Capuçon et l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège pour un programme conçu comme une traversée de l’ombre vers la clarté. En ouverture, La Nuit n’est jamais complète de Camille Pépin, commande de l’Orchestre, prolonge la poésie d’Éluard vers une écriture musicale de la suspension. La compositrice y explore la frontière entre immobilité et mouvement, tissant un tissu orchestral où la densité reste toujours transparente. L’orchestre, attentif à la gestique expressive du violoniste exerçant ici ses fonctions de chef, rend justice à la précision de sa palette et à la subtilité de ses traits, différant subtilement d’un pupitre à l’autre. Une œuvre de tension contenue, sans effet superflu, qui confirme la cohérence d’un langage désormais bien installé dans le paysage français.

Le Concerto pour violon n°4 de Mozart, dirigé du violon par Renaud Capuçon, installe une autre forme de dialogue. L’interprétation, souple et lumineuse, révèle une approche plus chambriste que purement orchestrale. La lecture reste prudente : élégante, parfois trop policée, elle privilégie la ligne et le galbe au risque de perdre un peu de nerf. L’Andante cantabile respire, le Rondeau s’élance, mais l’ensemble demeure dans un confort et une unicité sonores, un sens de l’écoute impeccable.

D’une scène à l’autre

Changement d’échelle avec la Siegfried-Idyll, page d’intimité que Wagner composa pour ses noces avec Cosima, et jouée ici sans emphase ou épanchement. Renaud Capuçon laisse les musiciens s’organiser autour d’un phrasé commun, tendre, presque domestique. Loin de toute monumentalité, le discours avance par respiration, mais manque parfois de tension dramatique et de relief.

Les Interludes symphoniques d’Intermezzo de Strauss referment le concert dans un éclat maîtrisé. L’orchestre s’y montre d’une homogénéité exemplaire, précis jusque dans les changements de climat. Capuçon privilégie ici encore la fluidité du récit à la brillance. Parti pris qui révèle avec d’autant plus de précision l’incursion du théâtre, de l’écriture opératique et même de la danse dans la partition. Un concert sans tapage, fidèle à l’esprit de ses œuvres : clair, équilibré, parfois trop sage, mais profondément musical.

SUZANNE CANESSA

Le concert a été joué le 23 octobre au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence

Retrouvez nos articles Musiques ici

Quand l’ART2RUE13 rayonne à Marseille

0
Issa Naimo et Kwezy © Samia Chabani

Le 24 octobre, la soirée était gratuite et bouillonnante, oscillant entre open mic et sorties de résidence, et les talents marseillais se sont mesurés au public et à eux-mêmes.

Sous la direction de Yasmina Er Rafass, l’association Ph’art et Balises accompagne depuis 18 ans les artistes émergents de Marseille, les aidant à franchir le pas vers les scènes professionnelles qui leur restent souvent inaccessibles. 

Ces ambitions de professionnalisation trouvent aujourd’hui un nouveau souffle grâce à la coopérative Bisou, qui souhaite faire du Petit Cab une véritable fabrique artistique et citoyenne. Récemment inauguré à la Friche Belle de Mai, le lieu accueille les collaborations entre Radio Galère 88.4, L’Embobineuse et Ph’art et Balises, proposant  plateau radio, Open Mic et sortie de résidence ART2RUE13. Une opportunité précieuse pour ces jeunes artistes de se roder, de se révéler et de conquérir un public nombreux et varié. 

Une jeunesse en effervescence

Le Petit Cab se transforme en tremplin pour ces nouvelles voix, leur offrant visibilité et reconnaissance tout en renforçant leur lien avec leur fan base locale. Cette dynamique collective témoigne de l’énergie créatrice qui anime la jeunesse marseillaise et de la vitalité des cultures populaires urbaines

Parmi les artistes en résidence, Drissa, 28 ans, marseillais d’origine martiniquaise, a captivé le public. Entre rap, dancehall et shatta, l’écrivain et percussionniste de conga a interprété son titre Ibrahim, une dédicace bouleversante à Ibrahim Ali, jeune homme du quartier de La Savine, tué en 1995 par un militant du Front National. Avec Galaktik Métisses, son groupe de musique sabrosa et chaloupée, il célèbre les sons  des Caraïbes, d’Amérique Latine autour de leur titre fétiche Sikaglas, composé par Mika Ilves et Drissa.

Autre révélation de la soirée, Issa Naimo, artiste marseillaise d’origine malgache, tisse un répertoire empreint d’Afro RnB et de fiertés noires. Son premier EP attendu en janvier 2026 s’annonce comme une ode à la sororité, à l’afro-féminisme et à l’afropéanité. Entre la tendresse du titre Chouchou, interprété avec Kwezy, et Avec ton allié, qui célèbre la solidarité entre femmes et l’empathie envers soi, elle impose une présence scénique tout en puissance et douceur.

SAMIA CHABANI

Concerts donnés le 24 octobre au Petit Cab, Friche la Belle de mai, Marseille

Retrouvez nos article On y était ici


Nos articles Diasporik, conçus en collaboration avec l’association Ancrages sont également disponible en intégralité sur leur site

La profondeur du rire

0

« Nous sommes convaincus qu’un musée, c’est un endroit où l’on peut aller mieux », disait Pierre-Olivier Costa, président du Mucem, pour introduire la nouvelle exposition Don Quichotte, Histoire de fou – Histoire d’en rire, et la 2e édition de Bien dans ma tête, un temps fort « Santé mentale et création » qui a eu lieu les 17 et 18 octobre. En effet,  les institutions culturelles ont là-dessus un rôle à jouer, comme l’a initié le MO.CO, centre d’art contemporain de Montpellier, précurseur en France de l’« Art sur Ordonnance ». Une équipe de cardiologues de la Pitié Salpêtrière a ainsi établi que contempler une œuvre artistique réduit le rythme cardiaque et libère de la dopamine. Ce qui en fait une activité particulièrement adaptée en cas de symptômes anxieux, de dépression, de maladie chronique, ou suite à l’annonce d’un diagnostic difficile. 

Happer par le plaisir

Les deux commissaires de l’exposition, Hélia Paukner et Aude Fanlo, ont quant à elles visé « d’abord à susciter le plaisir, l’enthousiasme, la curiosité », autour de l’incroyable personnage créé par Miguel de Cervantes en 1605. Un homme délirant, en décalage avec son époque, pris par ses fantasmes de chevalerie, qui aurait pu être inquiétant, mais, comme le formule Marie-Charlotte Calafat, directrice scientifique et des collections du Mucem, « nous rappelle plutôt qu’il faut une part de folie pour continuer à croire en la beauté du monde ». 

« Que serions-nous sans le secours de ce qui n’existe pas ? » semble lui répondre une citation de Paul Valéry, au mur. Don Quichotte, un plat à barbe en guise de heaume sur le chef, est un surgissement d’incongruité déplaçant tout autour de lui. Dans le roman, comme dans ses innombrables représentations peuplant l’histoire de l’art ou la culture populaire depuis quatre siècles. Si la perception du chef d’œuvre a évolué depuis son succès, immédiat, il ne s’est jamais démenti depuis la parution. « À l’origine, explique Aude Fanlo, sa dimension comique était la plus présente. Mais progressivement, son héroïsme désuet est passé du ridicule à l’incarnation des combats impossibles : celui qui tombe et toujours se relève. »

Taïaut sur Rossinante

La scénographie, dans une disposition particulièrement généreuse, démontre à quel point chaque époque a fait son miel des aventures donquichottesques. Les visiteurs s’arrêteront bien-sûr devant l’encre de Chine ultra-fameuse de Pablo Picasso, prêtée par le musée Paul Éluard : en trois traits, tout y est, jusqu’au soleil éclatant de la Manche qui tape un peu trop fort. Les gravures de Gustave Doré, sa facétieuse statuette de chevalier jouant à saute-mouton. Ou encore les splendides illustrations de Salvador Dalí montrant, en un tourbillon et une anatomie brinquebalante, la dynamique tendre entre l’hidalgo et son compagnon Sancho. 

Puis, de clin d’œil en clin d’œil, les œuvres contemporaines, notamment Asneria, âne empaillé de Pilar Albarracín, juché sur une pile de livres dont… le catalogue de l’exposition. Ou bien la performance d’Abraham Poincheval, filmé parcourant la campagne en armure. Les férus de graphisme et bande dessinée repéreront une édition manga, dans la série One Piece, les interprétations du mythe par Quentin Blake ou Rob Davis. Quant aux fonds du Mucem, ils ont fourni des cartes réclame épiques, pour du cirage, des pansements, du vin… Décidément, l’imaginaire de Cervantès a frappé l’humanité de bien des manières.

GAËLLE CLOAREC

Don Quichotte
Histoire de fou – Histoire d'en rire

jusqu'au 30 mars
Mucem, Marseille

Retrouvez nos articles Arts visuels ici

Navet et épices

0

Stéphane Ravier, sénateur RN ex-dissident Zemmour se réjouit que la justice ait rapidement tranché en son sens : Sacré-Cœur ne peut être impunément déprogrammé. Le réalisateur Steven Gunnell, ancien membre d’un boys band converti, après avoir sombré dans l’alcool, au culte de l’organe cardiaque du Christ, ne cache pas, dans son film promotionnel, qu’il a produit le « docu-fiction » « pour la gloire de Dieu » et pour « annoncer le Royaume du Seigneur ». Mais toute déprogrammation d’une œuvre artistique est une censure. 

C’est un fait : la liberté artistique, la liberté de créer, passe par là, et à partir du moment où une œuvre ne contrevient pas à l’ordre public, n’incite pas à la violence et à la haine et ne diffame personne, sa programmation peut être contestée, raillée, critiquée, dénoncée dans la presse et dans l’espace public, mais non empêchée ou annulée. Même dans un équipement public astreint à la laïcité. 

Le prosélytisme chrétien, plus spécifiquement catholique version radicale, a donc droit d’écran et de financement public, même lorsqu’il a pour but avoué par son réalisateur d’«éveiller ceux qui se sont endormis dans une foi un peu tiédasse et mollassonne». La RATP a le droit de ne pas accepter sa campagne de pub, mais pas une ville de déprogrammer le film. 

Pas très catholique

Steven Gunnell a proclamé dans son clip de promotion : « moi, Steven Gunnell, jusqu’à ma mort, je ferai des films qui annoncent l’amour du Christ, et j’appelle le public chrétien à ne pas hésiter et à faire connaître Sacré-Coeur ». En effet « les experts et historiens »y « montrent, par la chair des témoignages, jusqu’où le Seigneur nous aime ». On est heureux d’apprendre que l’existence de Dieu a enfin été prouvée scientifiquement, mais on n’ose imaginer ce que dirait la fachosphère  si Christ et Seigneur étaient remplacés par Yahvé et Elohim, ou mieux encore Mahomet et Allah.

Car la France selon Ravier a « des racines chrétiennes ». Personne ne lui rappelle que le dernier Président qui revendiqué cette histoire exclusive dort aujourd’hui en prison. Mais ceux qui contestent la justice quand Marine Le Pen ou Sarkozy sont condamnés, n’hésitent pas à faire appel à la loi pour promouvoir ces fameuses racines chrétiennes. Y compris dans une ville fondée par un métèque de Phocée accueilli par une princesse ligure pas très catholique près de 600 ans avant que le Christ eut un cœur sacré. 

Revendiquer des racines chrétiennes, c’est aussi oublier à quel prix le royaume de France, avant de devenir une nation, s’est construit. C’est par des guerres et persécutions incessantes, des conversions forcées, envers les cathares, les protestants, les juifs, les mahométans, les gaulois animistes, les bouddhistes vietnamiens. Ce culte si français du Sacré Cœur a été mis en place sous Louis XV, et les Vendéens contre révolutionnaires l’arboraient comme emblème de la France éternelle : celle de la monarchie absolue de droit divin, avec loi salique, Tiers-Etat, sang de bourbe et servage. Celle qui resurgit aujourd’hui pour lutter contre « l’halalisation » de la société, comme le soutenait le « journaliste » Jordan Florentin sur CNews. 

Production, programmation, propagande

Mais déprogrammer un film est un acte de censure. Peu importe que ce « docu-fiction » à la musique ridicule qui mêle témoignages ébahis et reconstitutions historiques de carton pâte ait été produit par Bolloré, et soutenu dans sa presse comme un grand film alors qu’il sent le navet presque autant que l’encens.  

Et peu importe que ce film ait été mis à l’affiche à Marseille par Valérie Fedele, ancienne élue UMP, directrice « générale et artistique » du Château de la Buzine depuis 2013. Peu importe qu’elle ait été qualifiée par Eliane Zayan, alors adjointe au cinéma de Jean-Claude Gaudin, de personne « incompétente à ce poste ». Elle expliquait elle-même en 2013 : « ce n’est pas pour mes qualités culturelles ou artistiques mais managériales que j’ai été recrutée ». Peut-être, aussi, pour ses convictions politiques ? Elle s’est aussi distinguée, dès 2016, en invitant Eric Zemmour dans l’équipement de la ville.  

Il y a peu de chances qu’elle soit à l’origine des Rencontres cinématographiques consacrées aux diasporas de Marseille. La Buzine et l’Alcazar accueillent, à partir du 4 novembre, des films qui mettent en scène des Roumains, des  Espagnols, des Lettoniens, des Afghans, des Algériens… qui forment aujourd’hui sinon les racines du moins le terreau de la ville. Halalisée pour partie, comme on parfume un délicieux gigot de cinq épices. Sans navet.

AGNES FRESCHEL


Retrouvez nos articles Société ici

Légèrethé à En Ribambelle !

0

Tout doit être recta, à niveau. Le fil de la bouilloire, bien parallèle avec celui du transistor. Amélie Venisse, la comédienne de Vue, joue à merveille un personnage terriblement maniaque qui se prépare un thé, en puisant malicieusement dans les techniques du théâtre d’objets, du clown, et même du cirque (en miniature). Le tout sans paroles, juste un visage expressif. Sucre ou petite cuillère, actionnés par soubresauts, atterrissent pile poil dans un mug d’eau chaude : quelle satisfaction bien méritée, dans la mine de celle qui a calculé si précisément leur trajectoire ! Et ce regard outré, quand la boîte d’allumette, ouverte par mégarde à l’envers, répand son contenu !

Le public s’aperçoit toutefois qu’il s’agit d’une vraie fausse obsessionnelle, beaucoup trop joueuse pour l’être vraiment. Capable de tricher avec elle-même, à l’occasion. Et, par ses mimiques très drôles, de lui renvoyer en miroir ses propres petits rituels. Qui n’en a pas ? Même les enfants (la pièce est proposée aux 8 ans et plus) reconnaissent la tendance très humaine à se couler dans les habitudes, qui deviennent rapidement contraignantes. Il vaut décidément mieux rire de ses propres manies, s’en faire une occasion de défi, voire recruter quelques spectateurs pour les exploiter un tout petit peu : plus jeunes on les prend, plus vite ils apprennent que les règles sont affaire d’interprétation.

GAËLLE CLOAREC

Vue, de la Cie Sacékripa, a été donné au Théâtre Massalia du 23 au 25 octobre, dans le cadre du festival En Ribambelle !

Retrouvez nos articles Scènes ici

Se transformer pour perdurer 

0

Après une première étape à Correns, puis une seconde aux studios de l’AMI, le Festival Transform clôturait son édition 2025 ce 25 octobre par une journée de restitution à la Friche la Belle de Mai

Au LaboFriche, Euphorbia Peregrina avait disséminé dans l’espace sa collection de plantes séchées. Au sol, les pages de son herbier coupent la salle en deux. Au fond, une grande estrade accueille une reproduction de son buffet olfactif, précédemment exposé à Correns.

Une discussion sur les enjeux du festival et le jumelage avec le festival brésilien RISCO, avait lieu dans la même salle entre Sarah Saby et Natalia Mallo, créatrices des festivals Transform et RISCO. « Les territoires et les enjeux sont différents, mais Marseille possède une communauté artistique queer forte et très présente, avec de nombreux espaces associatifs et autogérés queer, ça ressemble à Sao Paulo », explique Natalia Mallo. Et Sarah Saby d’ajouter : « Natalia et moi traversons des défis commun dans la programmation de ces festivals, notamment les questions financières de gestion de projet queer, les risques permanents d’annulation, ça nous semblait très important d’en parler. »

Lerisque,d’ailleurs, semble être un fil conducteur de leur collaboration. « RISCO a débuté à partir de créations queer, de personnes précarisées marginalisées, dont l’existence constitue un risque à elle seule. Ce qui nous intéresse c’est de fabriquer des espaces d’expérimentations avec ces personnes issues des marges. On a une volonté […] de rendre la création et l’existence de ces artistes moins précaire » précise Natalia Mallo.

Romy Alizée, et Myriam Bahaffou montaient ensuite sur l’estrade pour une table ronde modérée par Coco Spina, « Érotiser le monde : vers une éropolitique du désir » que Romy Alizée clôturait par une lecture Des choses que j’imagine, magnifique exploration photographique des désirs queers et des sexualités marginales, accompagnées de nouvelles intimes et politiques. 

Exploiter une faille

La transformation de Transform constituait cette année autant un risque qu’un geste politique manifeste dans un paysage culturel précaire. Les formats d’expérimentation artistique queer sont menacés, pourtant les capacités de réinvention formelle des créateur·ices marginalisées savent y faire face : il est question de laisser une trace, d’exploiter une faille dans laquelle s’infiltrer et s’étendre. « Il y a une volonté de propagation de notre part. Depuis quelques années, les artistes queer issues des marges sont présent·es dans les programmations mainstream. L’existence, dans le paysage culturel, de festivals radicaux, permet d’étendre les représentations queer au grand public, d’agir par porosité en quelque sorte », poursuit Sarah Saby. 

Les festivals Transform et RISCO, parmi d’autres, sont des terrains d’expérimentation artistique libres, fluides, qu’il s’agit de défendre mais aussi d’imiter pour perdurer. 

NEMO TURBANT

Le festival Transform ! s’est tenu du 14 au 24 octobre, à Correns et Marseille.

Du blues à Miramas

0

Le Festival TPA, qui allie têtes d’affiche et jeunes talents de la région,a fait un stop à Miramas pour une soirée blues et intimiste

Avant de passer à Aix-en-Provence et Martigues, le Festival TPA était présent àMiramas ce 25 octobre pour une soirée « Blues 360° ». Malgré un léger retard – dont le public s’est largement accommodé à la buvette –, le signal est enfin donné, et c’est un beau monde qui s’entasse dans la petite salle de la MJC.

Car pas de temps à perdre, le quatuor Fat Moon est annoncé. Accompagné de guitares électriques, de basses et de synthétiseurs, le groupe donne le ton ce soir : une ouverture fine mais électrique, oscillant entre douceur et envolées plus puissantes.

La soirée se poursuit avec The Kitchen Tales, l’énergie est au rendez-vous face à un public plutôt en retrait. Le trio se lance dans une escapade musicale où les rythmes s’enchaînent, les guitares s’amusent, la basse pulse, dans un dialogue fluide entre nostalgie du blues et modernité assumée.

Le chanteur et guitariste Slim Paul, accompagné de Jamo à la batterie et Manu Panier aux basses, clôturent cette quatrième soirée du festival. Une prestation qui a mêlé voix rauque et jeux de guitares à la fois rugueux et soignés. Le tout dans une ambiance intimiste maitrisée, la salle de concert de la MCJ pouvant accueillir 160 spectateurs, le trio a saisi cette opportunité pour connecter avec son public.

THIBAUT CARCELLER

Le Fesival TPA continue :

31 octobre
Guerilla Pouvelle + Les Cigales Engatsées
Les Arcades, Aix-en-Provence

1er novembre
Soom T + La Marmite + Chasseur Tie
La Halle, Martigues

Retrouvez nos articles Musiques ici

Aix nomine son nouveau chef

0

Avec Ted Huffman, le festival d’Aix fait le pari de la continuité et de la prudence

La nouvelle a de quoi rassurer les inquiets. Présent presque chaque année à Aix sa participation, en 2012, à l’Académie du festival, Ted Huffmanprendra ses fonctions à sa tête le 1er janvier 2026. Pris de court par le décès de Pierre Audi au printemps dernier, le plus célèbre des festivals d’art lyrique français avait été sauvé in extremis par son ancien directeur Bernard Foccroulle pour sa très belle édition de 2025. C’est désormais le metteur en scène et auteur new-yorkais qui assurera la continuité de la programmation, conçue par Pierre Audi, jusqu’à fin 2026, avant de proposer ses propres lignes directrices. Les nombreuses productions proposées par Ted Huffman au festival d’Aix, mais aussi ailleurs en France – notamment à l’Opéra de Montpellier (OONMO) – ont attesté du désir du metteur en scène et librettiste de mettre en avant la création contemporaine, notamment celle du compositeur Philip Venables. Mais aussi de sa volonté de donner de la voix aux artistes LGBT avec The faggots and their friends between revolutions et une production très saluée de Billy Budd Sailor en opéra de chambre cet été.

SUZANNE CANESSA

[CINEMED] Rue Malaga  

0
Rue Malaga(C) Ad Vitam

Depuis ses premiers opus dont Le Bleu du Caftan, Maryam Touzani filme avec beaucoup de sensibilité, des hommes, des femmes dans leur vie quotidienne. Dans son nouveau long métrage, Rue Malaga, c’est à Tanger qu’elle nous emmène, sa ville natale, une cité où on parle arabe et espagnol.

 Maria Ángeles vit depuis toujours dans la rue Malaga, une rue pleine de couleurs, de sons, d’odeurs. Elle compte bien finir sa vie dans sa maison remplie d’objets, de meubles patinés par le temps, de photos, de souvenirs. Jusqu’au jour où Clara (Marta Etura), sa fille, une infirmière, qui vit à Madrid, en plein divorce et qui ne s’en sort pas financièrement avec deux enfants, lui rend visite, ce qu’elle fait rarement. Elle vient lui annoncer qu’elle vend la maison ; elle en est la propriétaire : c’est ce qu’avait décidé son père, mort il y a une vingtaine d’années. Partir à Madrid chez sa fille ou rester à Tanger dans une résidence seniors : Maria Ángeles doit choisir ! Alors que la maison est vidée peu à peu de ses objets familiers et chéris, vendus à un brocanteur, Marie Angeles décide de rester à Tanger, dans une maison de retraite où elle ne fraie avec personne, ne s’adapte pas du tout. Une scène cocasse avec deux coiffeuses venues dans sa chambre « s’occuper » de ses cheveux, lui fera prendre une décision radicale : elle va retourner vivre dans sa maison, vide, et trouver des solutions pour récupérer ses meubles, ses objets, sa vie. Des solutions de plus en plus étonnantes !

C’est Carmen Maura qui incarne magistralement cette femme reprenant les rênes de sa vie. (La présidente du Jury du Cinemed, Ariane Ascaride lui a d’ailleurs accordé une Mention Spéciale, bien méritée !) Elle est de tous les plans : la caméra de la directrice de la photo, Virginie Surdej, ne la lâche pas, saisissant les émotions qui la submergent, captant les changements qui s’opèrent en elle, l’énergie de cette femme qui renait. La plupart de ses amies ont disparu. Seule son amie d’enfance, Josépha (Maria Alfonsa Rosso) une religieuse qui a fait vœu de silence mais dont le visage parle, reçoit ses confidences. Les visites à Sœur Josépha scandent le film, comme un refrain : des scènes de plus en plus cocasses au fil de la métamorphose de cette « vieille dame » qui revit.

 Maryam Touzani qui a écrit cette histoire à Tanger, pour faire le deuil de sa mère, y a insufflé un vrai souffle de vie. Rue Malaga, tour à tour drôle et émouvant, questionne l’obligation qu’auraient les parents de tout donner à leurs enfants, raconte la vieillesse autrement et sublime les corps qui ont perdu la jeunesse. Un film qui fait chaud au cœur.

Annie Gava

Rue Malaga a remporté le Prix du public dans la section Spotlight à la Mostra de Venise 2025.  Il a été choisi pour représenter le Maroc aux Oscars 2026 et sortira en France le 18 mars 2026