Dans la chapelle de la Cômerie, Liora Jaccottet monte sur l’estrade, et se présente sous le nom d’Adèle Yon. Elle remercie Liora pour sa participation, prévient le public qu’il s’agira ce soir de faire précisément ce qui était annoncé, à savoir une lecture de son livre, Mon vrai nom est Elisabeth.
C’est étrange sans être confus. Liora Jaccottet commence à réciter sans lire, en regardant le public comme on se confie, les mains dans le dos : « Dans le petit habitacle bleu ciel de la Yaris que mes grands-parents m’ont donnée, nous roulons vers Salamanque. ». C’est Adèle. Le doute s’estompe, et le public se suspend au récit.
Enquête familiale
Adèle Yon, écrivaine, cheffe de cuisine, s’est intéressée à l’histoire de son arrière-grand-mère en pleine rédaction de sa thèse en études cinématographiques. Elle y travaille sur un motif de double féminin, de personnages hantées par une anti-modèle, à l’opposé de laquelle il faut se construire. Comme la Rebecca de Daphné du Maurier adaptée par Hitchcock, Betsy, son arrière-grand-mère, a des airs de fantôme pour les femmes de sa famille. Il ne faut pas lui ressembler, il ne faut pas « lire d’auteurs dangereux ». Il faut se normaliser le plus possible pour ne pas réveiller ce gène de la schizophrénie qui plane au-dessus des femmes de sa famille.
Derrière Liora Jaccottet, une projection : on entend la grand-mère d’Adèle qui raconte « Moi, personnellement, ce qui me terrorisait c’est que mes oncles et tantes disaient que j’étais le portrait de maman ». Adèle-Liora se déplace de temps en temps, détache le micro, s’approche du public. Elle s’accroupit parfois, se balance d’un pied sur l’autre, tire sur sa manche comme une enfant, comme prise d’instabilités subtiles. La folie menace et elle incarne aussi celle de Betsy.
Chœur de femmes
Sur l’écran des enfants font la course, puis le château de Rebecca flambe. Liora-Adèle, en robe de mariée, raconte son apprentissage de la boucherie. Adèle Yon apparaît à l’écran, avec son double elle questionne cette découpe des corps : « Je me demande si la lobotomie a une odeur ».
Les extraits choisis passent d’un registre à l’autre : le récit, la lettre, l’entretien. Le double féminin fantôme s’incarne dans ces différentes citations, superpositions, emprunts et chorus de voix de Betsy, Liora Jaccottet, Adèle Yon et sa grand-mère. Elles matérialisent ensemble le poids de l’héritage traumatique, des violences communes à l’égard des femmes, et rompent le silence du secret de famille.
Nemo Turbant
Mon vrai nom est Elizabeth a été performé le 29 septembre dans le cadre d’actoral et le 28 septembre à Manosque dans le cadre des Correspondances
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