mercredi 2 avril 2025
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
Accueil Blog Page 26

« Je fais partie de ce territoire »

0
(C) Annie Gava

Zébuline. Avec Le Mohican, vous présentez un deuxième long-métrage sur la Corse et tourné en Corse. Pourquoi ce désir ?
Frédéric Farrucci. Je suis Corse et j’ai eu envie d’aller tourner chez moi, où j’avais déjà tourné des courts et des documentaires. C’est d’ailleurs le tournage d’un docu sur un berger du littoral qui a été l’élément déclencheur. Cet homme élevait des chèvres à un endroit où pourraient être construits des hôtels, des villas de luxe, des golfs. Il se considérait comme une anomalie sur le territoire et se nommait lui-même le dernier des Mohicans. Il avait peur de transmettre l’exploitation à ses enfants, jugeant que ce serait un cadeau empoisonné, susceptible de les mettre en danger. C’est quelque chose qui me travaille énormément. Il faut savoir que le pastoralisme de littoral est une activité ancestrale en Corse, qui disparait peu à peu à cause de la surexploitation touristique. Cela me dérange que des individus organiquement liés à un lieu en soient chassés dans une civilisation uniquement fondée sur l’économie et le profit.

Une Corse que l’on n’a pas l’habitude de voir…
La Corse souffre d’une imagerie forgée depuis l’extérieur, véhiculant des clichés via la littérature, les actualités, le cinéma. En tant que cinéaste corse, je ne suis pas seulement observateur. Je fais partie de ce territoire. Le film s’ancre dans un réel, politique, sociétal qu’il questionne. Tout dans le film est fiction mais toutes les scènes pointent vers des événements s’étant réellement déroulés au cours des vingt dernières années.

Est-ce que dès l’écriture du scénario, vous avez eu l’idée de le traiter comme un western ?
Assez vite, car j’évoque un conflit de territoire lié à un conflit de civilisation, un des piliers du western. Ce qui me touche aussi beaucoup dans ce genre, c’est la confrontation entre les « sauvages » et une modernité qui impose la violence. J’avais envie que le film porte un contenu politique sans asséner de discours. J’aime utiliser le genre comme un cheval de Troie. L’Homme qui tua Liberty Valance de John Ford est une des sources d’inspiration du Mohican. En Corse, il y a une forme de mythologie populaire : des individus de l’Histoire ou du présent, issus du banditisme ou de la lutte indépendantiste se voient parfois dotés d’un statut de légende.

Pouvez-vous nous parler du casting et de la musique signée Rone ?
Le casting s’est nourri de figures réelles qui m’avaient fasciné comme le vétérinaire qui joue son propre rôle. Avec la directrice de casting, Julie Allione, on a fait un casting sauvage et un classique. Alexis Manenti est entré dans la pièce pour les premiers essais, avec une telle justesse et intensité, que cela a été une évidence. Il a apporté beaucoup de nuances, de complexité et d’émotion au personnage. Pour la musique, j’avais déjà travaillé avec Rone dans La Nuit venue. On avait envie de collaborer à nouveau. Je suis fasciné par son travail de mélodiste, sa capacité à nourrir ou contredire l’image. Ici, une tâche assez complexe avec un enjeu double : trouver la rugosité du territoire et de la situation tout en apportant une touche de lyrisme liée au genre.

Et pour l’image, qu’avez-vous demandé à votre directrice de la photo, Jeanne Lapoirie ?
J’avais été très inspiré par un autre western qu’elle avait filmé, Michael Kohlhaas [d’Arnaud des Pallières, ndlr] dont j’avais trouvé l’image admirable. On en a beaucoup parlé et on a réfléchi ensemble sur la manière de faire un western contemporain : filmer en 2.35, le format du western classique, choisir les heures où on allait tourner pour avoir une telle couleur d’image, notamment. Jeanne tourne très vite et on a improvisé beaucoup de choses ensemble, en fonction des lieux, de la météo, de l’état et l’attitude des comédiens. J’ai été très touché que le berger du documentaire m’ait donné l’autorisation de tourner sur ses terres. Cela me paraissait très important du point de vue politique, esthétique et narratif et aussi pour que mon équipe et mes comédiens ressentent organiquement le sens du film.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ANNIE GAVA

Vous pouvez lire la critique ICI

Celles qui émergent, et l’enfance de l’art 

0
souvenirs d'enfant
Nina Boughanim, La Relève 6 © studio meimaris

La pièce centrale est comme un jardin de méditation autour de son petit bassin d’eau rectangulaire, au fond duquel des pièces de monnaie protègent les vœux de ceux qui les ont jetées. Des plats de céramique dont l’un conserve de grosses pinces à cheveux en porcelaine délicate et des mèches de cheveux d’amies de l’artiste. Des monotypes, une aquatinte et des mains-empreintes comme autant de natures mortes, de traces. À l’horizontalité de ce jardin, fait écho la verticalité d’un rideau de perles à l’ancienne, d’un mur en espalier, dirait un jardinier, fait de tiges de métal tordue aux étranges fleurs d’ongles ainsi que d’une chaîne en porcelaine et de trois oeuvres de Laura Lamiel de 2020, comme autant d’éclats de couleur,celle du sang, ou du rouge-à-lèvres.

L’installation est toujours affaire de lieu, d’espace qui font sens. C’est le cas ici, au 3bisf, situé dans le Centre Hospitalier psychiatrique Montperrinn (Aix-en-Provence). Deux anciennes cellules occupées par des internées deviennent des pièces d’une maison imaginaire, celle de l’enfance de Nina Boughanim. L’intime se resserre. Les ouvertures sur le dehors sont celles de la privation de liberté. Il y a la « chambre », aménagée avec de vrais objets du passé enfantin : les vieilles VHS, une petite chaussure, un coffre en bois et sa lampe vintage, du tissu du landau en coussin et une petite banquette pour s’asseoir et regarder sur la télé petit écran, les films familiaux dont Nina, fillette radieuse est le sujet essentiel. Son père revenu filme. Au plafond Le gros câlin en verre est un lustre de tendresse. 

Il y a « la salle de bain » voisine, autre cellule. Elle est un trompe-l’œil entre réalité et création : bac à douche au couleur miel des murs d’origine, tapis de blanc plissé comme si quelqu’un l’avait piétiné, fausse buée des douches chaudes sur des parois vitrées. D’autres pinces en porcelaine, des bijoux dans des panières…

MARIE DU CREST

Celles qui émergent
Jusqu’au 12 avril
3bisf, Aix-en-Provence
En partenariat avec le Festival Parallèle et le Frac Sud

Retrouvez nos articles Arts Visuels ici

La Mesón a toujours 20 ans 

0
Cyril Benhamou © Anne-Marie Thomazeau
Cyril Benhamou © Anne-Marie Thomazeau

À la Mesón, les soirées se suivent, ne se ressemblent pas, mais sont toujours extraordinaires. « Artiste avec un cœur gros comme çaCyril Benhamou aime réunir les gens et les artistes. Il s’est souvent produit à La Mesón. Il est ici chez lui », déclare Sarah Lepêtre co-gérante du lieu, en ouverture de la dernière carte blanche proposée à un artiste à l’occasion des 20 ans de la salle. Et le pianiste a fait comme chez lui en demandant à l’artiste Marie Corvi Livin Son de redécorer l’endroit avec ses toiles colorées. Cyril Benhamou était accompagné par ses compères Jérome Mouriez à la batterie, Pascal Blanc à la basse et en guest star, le lumineux saxophoniste Fred Pichot « vieil ami qui fait voyager » qui a livré au public un véritable moment de grâce. 

Le pianiste introduit les morceaux, jazzy et chaloupés, planant ou franchement dansant. Suivre ses mains sur le clavier est hypnotique. Les doigts filent et s’emballent comme animés d’une vie autonome. À l’horizontale, à la verticale, sur la paume, ils s’échappent et galopent. Complices, Jérôme et Pascal se coulent dans le piano qu’ils endiablent encore. Passage de relais, c’est le batteur qui initie un morceau qui résonne comme le souffle du vent, le reflux de la mer, un monde aquatique qui emporte dans un univers psychédélique sur lequel Cyril mélodie. « Tous les morceaux sont des compositions nouvelles ou anciennes, que nous avons synthétisé cet été après le concert que nous avons donné au Marseille Jazz des Cinq Continents. Elles ont donné vie à un disque enregistré en décembre et qui devrait sortir en 2025 sur le label marseillais Binauralprod». 

Entre ces trois-là, on sent le bonheur de jouer ensemble et le public ne s’y trompe pas qui applaudit à tout rompre. Les musiciens finissent par un entraînant Hip-Hop des kids et la chanson Abuela, un hommage vibrant aux grands-mères. Les airs dansant comme dans une salle des fêtes, souvenirs des jours heureux, s’estompent laissant place à une chanson douce, nostalgique de ce temps qui fut et ne reviendra plus. Un beau moment. Afin de fêter les 20 ans de la Mesón une exposition y est organisée le 28 février. On y retrouvera les témoignages des grands moments qui ont marqué le lieu.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Le concert s’est déroulé le 1er février à la Mesón, Marseille. 

Retrouvez nos articles Musiques ici

Deux expos, en Parallèle

0
LA relève Baradji Mamymouna © XDR
Baradji Mamymouna © XDR

Depuis 2006 et depuis Marseille, la plateforme Parallèle soutient toute l’année des initiatives artistiques, que ce soit en danse, théâtre, arts visuels, performance. Les projets des artistes soutenu·e·s sont placés au cœur du festival, accueillis sur les scènes de plusieurs lieux culturels à Aix-en-Provence et à Marseille, tels que, cette année, la Friche la Belle de Mai, le Mac, le Ballet national de Marseille, KlapSOMA et l’Embobineuse. En arts visuels, la galerie art-cade-Grands Bains Douches de la Plaine et le Château de Servières accueillent les deux expositions s’inscrivant dans le cadre du projet La Relève (7e édition cette année), qui présente les œuvres d’artistes diplômé·e·s d’école d’art depuis 3 ans maximum. 

Un brin sarcastique

« Nôtre part belle » a été la thématique proposée par Parallèle pour l’exposition au Château de Servières. La directrice du lieu Martine Robin a organisé l’accrochage des œuvres des 20 artistes retenu·e·s en trois ensembles : récits fictionnels et archéologie/écologie, paysage, et climat/valeurs partagées nouvelles, soin et collectif. Échappe à ces trois ensembles la proposition Moi ma pratique de Lila Schpilberg, accrochée à l’entrée de l’exposition : un inventaire de « pitchs » d’art contemporain, encapsulés dans 10 porte-clefs standards, pour ouvrir les portes du monde de l’art, après l’école. Telles que : « mmh moi je suis artiste marcheur, je réfléchis au territoire, à la cartographie », « en vrai, moi je taffe avec l’imagerie internet, les memes, l’intelligence artificielle générative », « bah moi je touche du doigt l’ambiguïté entre art et artisanat », « j’sais pas moi, je m’intéresse aux nouveaux récits, l’identité, la mémoire, la famille, l’archive »… Force est de constater que chacun des travaux présentés dans l’exposition peut relever de l’une ou l’autre de ces 10 phrases, un brin sarcastiques. Force est de constater également qu’ils ne peuvent s’y réduire, excédant par les formes et les subjectivités de chacun·e la rengaine des justifications politiquement correcte à fournir aux éventuels soutiens publics ou privés.

Autre point commun parmi les travaux présentés : le déballage d’objets, gardés, récoltés oucréés, à partir d’un récit ou pour faire récit, qu’il soit personnel et/ou documentaire et/oufictionnel. Ainsi un maillot de sport, des parfums et des médailles accompagnés d’une vidéo interrogent les figures stéréotypées de la masculinité. Sur une étagère horizontale en béton, les objets-sculptures aux matières étranges d’un récit de science-fiction féministe. Disposé sur des rouleaux quadrillés et dorés déroulés au sol, les trouvailles créées d’une archéologie fantasmagorique à ramification exponentielle. Ou bien encore un ensemble d’objets liés à un tchat internet culte, l’évocation en textes, photographies, son d’un parcours de vie féminin et militant borderline, une armoire-mémoire remplie d’objets et de photographies d’une famillefranco-malienne. À côté de ces collections d’objets, certaines étant activées lors de performances, on trouve d’autres propositions aux pratiques plus spécifiques : sculpture, peinture, installation in-situ, vidéo. Tout aussi plastiques, sensibles, politiques voire militantes, et intrigantes.

© Lila Schpilberg

Collectif dans le vent

Pour art-cade, l’appel à projet de Parallèle s’adressait uniquement à des collectifs, endemandant de construire une proposition en réponse à la spécificité architecturale du lieu : un enchainement de trois coursives en triangle autour d’un patio végétalisé central. C’est aussi un récit, ou plus exactement un roman de science-fantasy, La Horde du Contrevent d’Alain Damasio, qui est le moteur des propositions élaborées par le collectif marseillais Mastic. Un roman qui narre les aventures, dans des contrées dominées par les vents, d’une horde de 23 membres qui doit remonter jusqu’à l’origine du vent, pour trouver un havre de paix et de tranquillité. 

Parmi les œuvres (texte, objets, vidéo, sculptures, installations, peintures) produites par les 19 artistes, sensibilisé·e·s à la notion de survie collective dans un monde dystopique : un inventaire d’objets destinés à la survie émotionnelle présentés par un ange, des indications météo fantaisistes et ultra-noires sculptées sur fonds peints vaporeux, des blocs en dissolutionavec hélices en résine, et, juste avant un mur de ventilateurs, un endroit pour se ressourcer avec gelée d’orties, peintures de poissons, sculpture en sucre, guérisseuse d’oiseaux. Derrièrele mur, une couverture de survie branchée sur un climatiseur transformé en collecteur d’air, et dans une salle, une sculpture en bois, à la fois barque et brise-vent, un mini-laboratoire, une installation ésotérique prônant l’errance comme expression plastique, une ligne murale de chauffage électrique à infra-rouge. Et sur un écran, la colline verdoyante et ciel bleu windows, à la fois début et fin d’une session.

MARC VOIRY

La Relève 7
Jusqu’au 22 mars
Château de Servières et art-cade-Grands Bains Douches de la Plaine, Marseille

Retrouvez nos articles Arts Visuels ici

L’école, ter-ter de République

0
(C) Condor distribution

Une rentrée des classes. Un petit garçon intimidé qui vient à peine de lâcher la main de sa mère pour celle du directeur de l’école. Rassurant, le maitre l’emmène dans sa future classe, celle de la maitresse Sophie. La classe de CP-CE1, une des vingt classes de l’école Makarenko d’Ivry-sur-Seine, dans la banlieue parisienne. On va passer près de deux heures dans cet établissement, assistant aussi bien aux cours d’écriture, de lecture, de calcul, de géographie… qu’aux jeux des enfants dans la cour de récréation. 1h45 sans une minute d’ennui !

Rien d’étonnant quand on sait que c’est Claire Simon qui a passé plusieurs mois dans cette école publique, où la plupart des enfants sont nés de parents venus d’ailleurs. Elle tient elle-même la caméra, accompagnée de son ingénieur du son, Pierre Bompy. Elle nous fait partager leur quotidien, leurs apprentissages mais aussi leurs jeux, leurs échanges, leurs disputes. Un monde qu’on n’a pas l’habitude de voir, un microcosme qui ressemble à notre monde, où circulent toutes les problématiques de notre société.

Lutte de classes

Ce n’est pas la première fois que Claire Simon pose sa caméra dans une école : en 1992, elle avait filmé la cour d’une école maternelle dans Recréations. Dans Apprendre, son dernier opus, présenté au Festival de Cannes 2024 en séance spéciale, avec sa caméra légère, elle entre dans les classes, montrant les liens qui se tissent entre les élèves et leurs enseignant·e·s. Les séquences, soigneusement choisies et montées, se succèdent, mettant en évidence les méthodes d’apprentissage spécifiques à chaque enseignement ; on apprend à se maitriser et à savoir perdre en jouant aux dames, à écouter quand la maitresse lit ou à lire en silence. On chante aussi, comme lors de cet échange avec la section musicale de la très chic École Alsacienne… et qu’on leur demande d’arrêter de jouer pour «mieux entendre » La Flûte de Schubert jouée par ceux de l’école parisienne.La cinéaste filme en plans rapprochésles visages de ceux qu’on a fait taire. Les barrières de classes sont bien là.

Aucun commentaire de la cinéaste dans ce documentaire qui permet de rompre avec les clichés de violence et d’échec accrochés aux élèves de banlieue. Unenseignement où on apprend à réfléchir, une équipe d’enseignants, engagés et volontaires, qui croit que l’école est le lieu où l’on saisit le langage de la société. Un des moyens pour construire les adultes de demain. « Les maîtres et les maîtresses sont des civilisateurs »dixit la cinéaste quand, au mois de juin, à la fin de cette belle immersion, on voit les enfants de CM2, venir embrasser leur enseignante, on est aussi ému qu’eux, tandis que résonne la chanson de Rihanna, qu’ils ont apprise à la chorale et chantée avec ferveur.

ANNIE GAVA

Apprendre, de Claire Simon
En salles le 29 janvier

L’exil au bord des lèvres

0
autrice Dé-rangée
Mina Kavani Berlinale 2023 © XDR

Il y a quinze ans, Mina Kavani, jeune actrice iranienne est l’héroïne du film engagé Red Rose, réalisé par sa compatriote Sepideh Farsi. En acceptant ce rôle, qui filme une scène d’amour dans laquelle elle est nue, elle sait le prix à payer mais son désir de cinéma et de théâtre qui lui vient de son oncle le metteur en scène Ali Raffi, est plus fort. Elle dit adieu à sa famille, à son pays, à son chien, à la grande maison familiale pleine de fêtes underground organisées dans les milieux intellectuels de gauche. Elle prend le chemin de l’exil. Libre mais seule dans un studio de 23 mètres carrés à Paris. 

Seule et en scène 

Lors d’une résidence en 2023 à Montevideo à Marseille, elle écrit un spectacle donné le 13 juin à la Friche La Belle de Mai, dans le cadre des Rencontres à l’ÉchelleI’m deranged, titre emprunté à une chanson de David Bowie est un seule en scène, comme elle l’est en France et dans lequel elle livre un récit poétique de son déracinement. Il y est question de la nostalgie, peut-être fantasmée, d’une terre perdue, propre à tous ceux qui sont partis, mêlant rêves et réalité, disséquant son sentiment d’exil et ses contradictions. « Je suis celle qui a fui, celle qui n’a connu que des Mollahs, les gardiens de la révolution, les femmes dans leur tchador noir, la censure, la peur et l’angoisse » mais dans le même temps « je cherche la voix de ma mère, l’odeur de Téhéran. Mes bagages sont toujours fermés. J’aimerais qu’ils gardent l’odeur de chez moi ». Celle qui vivait à Téhéran avec ses rêves de liberté, vit désormais en France avec ses souvenirs et se retrouve dans un présent corseté « coincée dans des rôles de réfugiés. On est toujours ramené à ses origines et son statut ».

La pièce repart en tournée en France durant toute l’année 2025. Et grâce à Sophie Caillat, dynamique fondatrice des Éditions du Faubourg, le texte, dé-rangée, l’exil au bord des lèvres, vient d’être publié avec une préface du journaliste Jean-Pierre Thibaudat et une postface de l’acteur et metteur en scène Jean-Damien Barbin, son professeur au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Un texte qui affirme la puissance de l’art face à l’oppression.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Dé-rangée, l’exil au bord des lèvres, Mina Kavani 
Éditions du Faubourg – 15 € 

Retrouvez nos articles Littérature ici

Les Élancées atterrissent

0
élancées
L'écorce des rêves © Lionel Fornetti

Pour les quatre derniers jours des Élancées, Scènes & Cinés programment huit spectacles sur l’ensemble de son territoire. À commencer par L’écorce des rêves, une forme courte à destination du jeune public (à partir de trois ans) par Maëlle Reymond le 5 février à L’Oppidum de Cornillon-Confoux. Dans ce spectacle, elle s’intéresse au sommeil, humain comme animal, et aux transformations qu’il engendre. 

Le 6 février au Magic Mirrors d’Istres, Bahoz Temaux de la Cie La Meute présente son spectacle Newroz. Un concert-cirque dans lequel il partage la crise d’identité qu’il traverse face aux préjugés qui pèsent sur lui en raison de sa double culture, et notamment de son ascendance kurde – Newroz signifie d’ailleurs le jour nouveau en kurde. Seul sur scène, il alterne entre acrobaties et musiques aux sonorités moyen-orientales, accompagnant ses textes au Oud et à la guitare, afin d’exprimer son parcours aussi bien par le corps que par la voix.

Dans Quand on était seul·es, les circassien·ne·s Hugo Ragetly et Maria Del Mar Reyes se retrouvent autour d’un mât chinois pour explorer leur rapport à la solitude, et à la rencontre . Un spectacle à mi-chemin entre le cirque et la danse, dans lequel leurs acrobaties sont accompagnées par les guitares de Javier Arnedo (Théâtre de Fos, 8 février).

Pluridisciplinaire et partenarial

Côté danse, Les Élancées invitent le hip-hop au Théâtre la Colonne de Miramas, avec Faraëkoto de la Cie 6e dimension (5 février) . Dans ce spectacle jeune public qui mobilise texte et projection vidéo, Séverine Bidaud transpose le hip-hop dans l’univers intemporel du conte, à la croisée de Hansel et Gretel et de Ifaramalemy sy Ikotobekibo (conte malgache) qui a pour protagoniste une jeune fille aux jambes atrophiées et un jeune garçon muet. Et du flamenco à l’Espace Robert Hussein, où la danseuse Ana Péres présentera sa nouvelle création Stans, accompagnée par une composition originale au théorbe interprétée en direct par le musicien José Sanchez (7 février, Espace Robert Hossein).

Un peu de magie également, avec un truculent hommage au monde du cartoon, Goupil et Kosmao de Etienne Saglio, épaulé par son renard-assistant marionnettique Goupil. (Espace 233, 5 février) 

Les Élancées se concluront sur deux spectacles programmés en partenariat avec la Biennale Internationale des Arts du Cirque (BIAC). Le Cabaret renversé de et avec Julien Candy et Juliette Christmann donnera lieu à trois représentations sous chapiteau à Istres, au centre équestre Le Deven, du 7 au 9 février, et la compagnie australienne Gravity & Other myths présentera son spectacle primé Ten Thousand hours qui tout à la fois révèle, explore et rend hommage au travail physique nécessaire pour devenir acrobate. (Théâtre La Colonne, 8 et 9 février)

CHLOÉ MACAIRE 

Jusqu’au 9 février 
Istres, Fos-sur-mer, Cornillon-Confoux, Miramas, Grans

Retrouvez nos articles Scènes ici

Une masterclass d’exception

0
Masterclass Sébastien Guèze © Anne-Marie Thomazeau
Sébastien Guèze © Anne-Marie Thomazeau

Il y a des instants suspendus où l’on comprend que l’on est en train de vivre un moment extraordinaire. C’est exactement ce qui est arrivé au public marseillais lors de la masterclass du ténor Sébastien Guèze, au foyer Ernest Reyer. Soliste invité de l’Opéra sur la production Rusalka de Dvorák (11 au 16 février) et actuellement en répétition, le ténor français, qui possède à son répertoire 50 rôles et 500 représentations, a accepté de donner deux heures de son temps pour auditionner, conseiller et aiguiller sur de nouvelles pistes vocales trois ténors, grands élèves du Conservatoire Pierre Barbizet. Premier à monter sur scène, Damien est dans ses petits souliers. On le comprend… Pas facile de se produire ainsi devant un public aussi sympathique soit-il. Immédiatement Sébastien Guèze le met à l’aise « on n’est ni en concert, ni en audition mais entre nous. C’est le moment prendre des risques… » 

« Lâches-toi ! »

Le jeune ténor interprète un extrait de Werther de Massenet, l’invocation à la nature. Sébastien Guèze s’enthousiasme. « C’est un air très intéressant, un des seuls dans l’Opéra qui parle de la beauté de la nature. Il est en résonance avec le monde actuel ». Patiemment, le professionnel, reprend une à une chaque mesure « c’est un morceau qui demande un grand calme, une sérénité intérieure ». Avec humour et gentillesse, il invite Damien à se détendre, à marcher, à baisser les épaules et le larynx, n’hésitant pas à le toucher pour bien faire ressentir dans le corps, le placement vocal requis. Le « avant-après » est sidérant. Le public est saisi par la transformation de la voix. C’est au tour de Pierre de se présenter devant l’auditoire avec l’air Vainement ma bien aimée du compositeur Édouard Lalo. Là encore, Sébastien Guèze rectifie, explique ce qu’il attend de l’interprétation, « tu es trop poli, lâches-toi ! » et n’hésite pas à montrer l’exemple en se lançant dans de grandes envolées qui font résonner le foyer et vibrer les spectateurs enthousiastes. « Ils ont déjà tout ce qu’il faut. Je leur donne juste mes petites astuces histoire de leur faire gagner du temps » affirme Sébastien avec humilité. 

La classe de maitre est à son apogée avec l’entrée du troisième élève Hassan. Il a choisi l’air No puede ser, immortalisé par Placido Domingo. La voix du chanteur est déjà exceptionnelle mais Sébastien veut plus : « Tu te donnes à 30 %. On lit la bonté dans tes yeux mais le personnage que tu incarnes est un lion. On va tuer sa femme. Il faut me convaincre de ne pas le faire ». Hassan chante et Sébastien, vif et agile, lui prend les mains, le provoque comme un taureau dans l’arène, bien décidé à faire sortir le jeune homme de ses gongs et par la même occasion sa voix à son plus haut potentiel. Le résultat est époustouflant prouvant que la pédagogie, la transmission est aussi du grand art.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

La masterclass s’est déroulée le 30 janvier à l’Opéra de Marseille.

Retrouvez nos articles Musiques ici

Un monde en surchauffe

0
Opera Mundi La Biodiversité à l'épreuve du Progrès © Gaëlle Cloarec
La Biodiversité à l'épreuve du Progrès © Gaëlle Cloarec

Du 27 janvier au 1er février, Marseille a accueilli huit penseurs de l’écologie, à l’invitation d’Opera Mundi, célébrant ainsi les dix ans de son cycle de conférences. C’est la climatologue Valérie Masson-Delmotte qui a ouvert le bal, dans l’auditorium de la Grotte Cosquer. En un discours bien rodé, elle rappelait que le réchauffement climatique, si les émanations de gaz à effet de serre se poursuivent sur la trajectoire actuelle, s’achemine vers une hausse de +3,2°C en moyenne d’ici la fin du siècle. De quoi faire disparaître des écosystèmes entiers et complètement bouleverser la vie sur terre. « Il y a 15 ans, on pensait que le réchauffement toucherait “les générations futures”. On a sous-estimé la vulnérabilité des sociétés humaines, y compris celle des riches californiens. » En d’autres termes, ceux qui, appartenant aux 10 % les plus fortunés, font exploser le bilan carbone de l’humanité, se leurrent s’ils pensent échapper aux conséquences de leurs modes de consommation.

En milieu de semaine, c’est le politologue François Gemenne qui enfonçait le clou en évoquant les interdépendances géopolitiques dans un monde en surchauffe. Avec son charmant accent belge,  taclant les USA de Donald Trump, prêts à forer de plus belle, il soulignait la nécessité d’embrasser notre commune destinée. « Même si nous avons du mal à aller à l’encontre de nos intérêts, dans une époque de grand individualisme », il faut faire face à un danger collectif, qui ne frappera pas que les petits États insulaires…

Science à vendre 

Le dernier jour, dans la bibliothèque du Conservatoire de musique, le biologiste Pierre-Henri Gouyon a mis l’accent sur l’effondrement de la biodiversité. Un phénomène qui passe souvent après le climat dans les urgences à affronter, alors que les deux sont liés, dans une dégradation catastrophique. La faute, en partie, aux mercenaires de la science, payés pour mentir à la population. « Bayer et Sygenta rémunèrent mieux que le CNRS. Il est ensuite facile de faire entrer les marchands de doute sur la toxicité des pesticides dans les instances intergouvernementales telles que l’IPBES, le Giec de la biodiversité. » L’agriculture industrielle mène une guerre contre la nature, avec des moyens colossaux. « On vous dit que c’est pour nourrir la planète ; c’est faux. Ce sont les inégalités qui sont responsables de la faim et la malnutrition. » 

Dans son viseur, l’idéologie du progrès qui imprègne encore les formations scientifiques. « Il est très courant chez les chercheurs de penser qu’ils n’ont pas d’idéologie, qu’ils sont “dans la rationalité”. Mais Irène Frachon, la pneumologue qui a lancé l’alerte sur le Mediator, a eu des ennuis pendant des années avec la communauté scientifique soit disant “rationnelle”. » Quand le solutionnisme chimique ou technologique converge avec les intérêts économiques, la voie est pavée pour le désastre. « Mon ami Bernard Maris, assassiné en 2015 lors des attentats de Charlie Hebdo, me le disait : il ne faut pas donner le pouvoir aux économistes sur la biodiversité par la financiarisation ; ils aiment ce qui est rare, parce que c’est cher. » Mais dans un monde où le vivant est drastiquement appauvri, il n’y aura pas de fortune qui tienne.

GAËLLE CLOAREC

Le festival Opera Mundi 10 ans s’est tenu du 27 janvier au 1er février à Marseille. 

Retrouvez nos articles Société ici

C’était un samedi

0
23 Juin 2021 : Générale de C'était un samedi, création d'Irène Bonnaud, Joseph Eliyia, Dimitris Hadzis, avec Fotini Banou, à la salle des 4 chemins. Aubervilliers (93), France.
C'était un samedi © Nicolas Lascourreges

Le 25 mars 1944, est un samedi, un jour de Shabbat et aussi la fête nationale grecque. C’était un samedi, mis en scène par Irène Bonnaud, raconte le deuil d’un monde disparu en utilisant le théâtre comme lieu de mémoire et de reconnaissance. Souvent en musique, l’actrice et chanteuse Fotini Banou, entourée de 11 figurines réalisées par les sculptrices Natalia Manta et Frantzeska Boutsi, témoigne de la déportation de la communauté juive de Ioannina, une province en Grèce, à Auschwitz par la Wehrmacht, et presque totalement exterminée. Un texte tiré de l’histoire de l’écrivain de Ionnina Dimitris Hadzis, et du témoignage des rares survivants. 

LILLI BERTON FOUCHET

4 au 6 février
Liberté, scène nationale de Toulon