samedi 22 novembre 2025
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actoral : Adèle Yon se dédouble 

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Liora Jaccottet lors de la lecture performée de Mon vrai nom est Elisabeth © Manon Sahli

Dans la chapelle de la Cômerie, Liora Jaccottet monte sur l’estrade, et se présente sous le nom d’Adèle Yon. Elle remercie Liora pour sa participation, prévient le public qu’il s’agira ce soir de faire précisément ce qui était annoncé, à savoir une lecture de son livre, Mon vrai nom est Elisabeth

C’est étrange sans être confus. Liora Jaccottet commence à réciter sans lire, en regardant le public comme on se confie, les mains dans le dos : « Dans le petit habitacle bleu ciel de la Yaris que mes grands-parents m’ont donnée, nous roulons vers Salamanque. ». C’est Adèle. Le doute s’estompe, et le public se suspend au récit. 

Enquête familiale

Adèle Yon, écrivaine, cheffe de cuisine, s’est intéressée à l’histoire de son arrière-grand-mère en pleine rédaction de sa thèse en études cinématographiques. Elle y travaille sur un motif de double féminin, de personnages hantées par une anti-modèle, à l’opposé de laquelle il faut se construire. Comme la Rebecca de Daphné du Maurier adaptée par Hitchcock, Betsy, son arrière-grand-mère, a des airs de fantôme pour les femmes de sa famille. Il ne faut pas lui ressembler, il ne faut pas « lire d’auteurs dangereux ». Il faut se normaliser le plus possible pour ne pas réveiller ce gène de la schizophrénie qui plane au-dessus des femmes de sa famille.

Derrière Liora Jaccottet, une projection : on entend la grand-mère d’Adèle qui raconte « Moi, personnellement, ce qui me terrorisait c’est que mes oncles et tantes disaient que j’étais le portrait de maman ». Adèle-Liora se déplace de temps en temps, détache le micro, s’approche du public. Elle s’accroupit parfois, se balance d’un pied sur l’autre, tire sur sa manche comme une enfant, comme prise d’instabilités subtiles. La folie menace et elle incarne aussi celle de Betsy. 

Chœur de femmes

Sur l’écran des enfants font la course, puis le château de Rebecca flambe. Liora-Adèle, en robe de mariée, raconte son apprentissage de la boucherie. Adèle Yon apparaît à l’écran, avec son double elle questionne cette découpe des corps : « Je me demande si la lobotomie a une odeur ». 

Les extraits choisis passent d’un registre à l’autre : le récit, la lettre, l’entretien.  Le double féminin fantôme s’incarne dans ces différentes citations, superpositions, emprunts et chorus de voix de Betsy, Liora Jaccottet, Adèle Yon et sa grand-mère.  Elles matérialisent ensemble le poids de l’héritage traumatique, des violences communes à l’égard des femmes, et rompent le silence du secret de famille. 

Nemo Turbant

Mon vrai nom est Elizabeth a été performé le 29 septembre dans le cadre dactoral et le 28 septembre à Manosque dans le cadre des Correspondances

Retrouvez nos articles Scènes et Littérature ici

Laure Prouvost passe aussi par actoral 

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Performance They Parlaient Idéale au [mac] © Manon Sahli

Distinguée notamment par le Turner Prize en 2013, représentante de la France en 2019 à la 58e Biennale d’art contemporain de Venise, Laure Prouvost expose depuis avril dernier ses créations éco-féministes rêveuses et foisonnantes au Mucem (jusqu’au 16 novembre) ainsi que dans la Chapelle de la Vieille Charité et dans la project-room du [mac] de Marseille (jusqu’au 11 janvier 2026) [lire ici]. Les 27 et 28 septembre, le festival actoral organisait lui aussi plusieurs rendez-vous autour de l’artiste, dans le prolongement de ses expositions, avec projections de films courts, lecture, un dialogue avec Céline Kopp, directrice du Magasin CNAC et des performances.

Extension

C’est au [mac], le samedi 27, qu’avait lieu en début d’après-midi la performance liée à son film They parlaient Idéale, réalisé en 2019 pour le pavillon français de la Biennale de Venise. Une sorte de road-movie à tendance dérivante, composé d’une profusion d’images, aux séquences très courtes et aux montages très « cut » : y évolue, entre de multiples gros plans sur des fleurs, la mer, une main dans l’eau, un regard perdu… un groupe de personnes de cultures, d’âges et de langues multiples, dans des espaces et paysages telles les tours Nuages de la cité Pablo Picasso à Nanterre, les calanques de Marseille, le Palais du Facteur Cheval, le pavillon français de la Biennale de Venise. Le tout dans un mélange de langues (anglais, français, arabe, italien), accompagné par la voix-off de l’artiste, prenant un ton doux de conteuse pour enfants.

Pour la performance, deux des protagonistes du film (Nicolas Flaubert et Ramo) étaient présents de façon intermittente dans la salle de projection, en retrait ou déambulant discrètement au milieu des spectateurs. Répétant des mots ou des bouts de phrases prononcés au même moment dans le film, l’un s’approchant de l’écran en improvisant une séquence dansée hip-hop-contemporaine en lien avec celle qui se déroule au même moment dans le film, l’autre s’installant au sol juste devant l’écran pour contempler les images, ou s’approchant pour pointer du doigt un personnage en haut d’une colline. Sorte de petites séquences d’extension du film à l’échelle et au présent de la projection, semblant ajouter les spectateurs à la petite communauté souriante et nonchalante du film. 

MARC VOIRY

La performance autour du film They parlaient Idéale de Laure Prouvost a eu lieu le 27 septembre au [mac] - Musée d'art contemporain de la Ville de Marseille dans le cadre du festival actoral

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Honeymoon, la guerre de l’intérieur

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Taras (Roman Lutskyi) et Olya (Ira Nirsha) s’installent dans leur nouvel appartement. Encore encombré de cartons. Ils sont jeunes, beaux, intelligents, choisissent la couleur des peintures, l’emplacement des meubles et font l’amour. Olya prépare une exposition de sculptures en céramique blanche, à Vienne. Tarzan a trouvé Jane et l’avenir leur semble ouvert et radieux. Sauf qu’on est dans une petite ville près de Kiev en 2022, que les rumeurs d’une invasion russe s’immiscent dans ce bonheur-là : la propagande de Poutine revisite l’histoire, attribue à Lénine l’invention de l’Ukraine, justifie par avance « l’opération spéciale ». Pour la crémaillère, les amis du couple citent Derrida, s’interrogent sur lafonction du cinéma et sur l’opportunité de fuir.

Le 24 février, il est trop tard. Les chars sont entrés dans la ville. L’armée russe investit l’immeuble de Taras et Olya. Les jeunes Ukrainiens ne quitteront plus leur appartement devenu cache et prison. Leur lune de miel tourne à une longue nuit cauchemardesque.

Pendant une semaine, on vivra avec eux ce confinement, sans eau, sans électricité, sans internet, dans le silence, sous la menace constante d’être découverts. Un huis clos étouffant où chaque geste peut trahir leur présence et se révéler fatal. 

Pour ne pas se faire repérer, Taras et Olya se déplacent à quatre pattes, rampent, dans la pénombre de leur logis. Pour ne pas craquer ils s’inventent des jeux, se serrent fort. Temps contraint qui éprouve les nerfs et les convictions. Les priorités matérielles et artistiques ne sont plus si importantes devant la mort.

La guerre sans visage

Taras, moitié russe par son père pro-poutine, s’invente sans héroïsme des arguments pour amadouer les soldats s’il était arrêté. De ce qui se passe dehors, on ne verra rien. Comme eux, en totale empathie, on entendra les explosions, les sirènes, les exécutions de civils, les viols derrière la cloison. On partagera leur peur. 

Le hors champ s’imagine et les ennemis n’ont ni visage ni humanité. Le film s’apparente aux films d’horreur : les protagonistes se trouvent encerclés par des zombies menaçants. Il partage son titre d’ailleurs avec un film de ce genre réalisé par Leigh Janiak en 2014.

Production modeste, le premier long métrage de Zhanna Ozirna, tourné en Ukraine est une fiction, inspirée de faits réels. Les festivals internationaux saturés de documentaires sur cette guerre, offrent moins d’espace au cinéma de son pays, dit la réalisatrice. Pourtant, il est plus que jamais nécessaire aux Ukrainiens, d’affirmer leur désir d’exister, de se projeter dans l’avenir, de faire des enfants… et des films.

ELISE PADOVANI

Honeymoon de Zhanna Ozirna

Sélectionné à la Mostra de Venise

Atlas d’or au festival d’Arras

En salles le 1er Octobre

« Décoloniser n’est pas un mot diabolique »

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Stéphane Dufoix © X-DR

Diasporik. Entre républicanisme et « wokisme », comment défendre une approche nuancée du décolonial ?
Stéphane Dufoix.
La logique du « campisme » – choisir un camp contre l’autre – n’aide pas à comprendre. La perspective décoloniale n’est pas seulement militante : elle est aussi scientifique et politique. Prendre de la distance permet de voir comment ces camps se sont formés, et de mieux cerner les enjeux actuels.

Quelles médiations entre monde académique, luttes sociales et institutions ?
La perspective décoloniale permet de penser la production de savoirs au-delà du cadre universitaire. Les mouvements sociaux – du Chiapas aux forums altermondialistes – produisent eux aussi des connaissances sur la société. Leur circulation par chercheurs, médias ou intellectuels élargit le champ des possibles. La stricte séparation entre science et militantisme limite ces circulations et bloque les transformations sociales.

Quel rôle pour les citoyen·nes, notamment les personnes racisées, dans ce chantier ?
Nous restons prisonniers de structures mentales héritées du passé national : genre, couleur de peau, religion, origine. Toute personne peut contribuer à les déconstruire, mais celles et ceux qui vivent directement discriminations et exclusions disposent d’une capacité particulière à les objectiver. Leur expérience, transformée en récit, recherche, art ou mobilisation, enrichit la critique et ouvre des voies nouvelles.

Quelles transformations nécessaires au-delà du symbolique dans les institutions culturelles ?
Le chantier est immense. L’Éducation nationale devrait engager une réflexion d’ensemble sur l’histoire de France, intégrant pleinement esclavage, colonisation et immigration. Le Musée national de l’histoire de l’immigration illustre cette démarche. L’ouverture des archives sensibles, notamment celles de la guerre d’Algérie, va dans le même sens. Mais entre accès aux documents et mise en récit fidèle à la réalité historique, il reste un long chemin.

« La perspective décoloniale n’est pas une idéologie, c’est un outil critique pour comprendre et transformer nos sociétés. »

Comment les sciences sociales françaises intègrent-elles (ou résistent-elles) à la critique décoloniale ?
25 ans après leur émergence, les travaux du collectif Modernité/Colonialité restent peu traduits et mal diffusés en France, malgré l’effort de chercheur·es comme Philippe Colin, Lissell Quiroz ou Capucine Boidin. Deux raisons principales : la disciplinarité universitaire, peu adaptée à une approche transversale, et le poids d’un universalisme français qui, depuis les années 1990, a pénétré le monde intellectuel. Les recherches critiques sont souvent disqualifiées comme « idéologies » – islamo-gauchisme, wokisme, intersectionnalisme – plutôt que débattues sur le fond.

Vous évoquez souvent le pluriversalisme. En quoi éclaire-t-il les résistances françaises ?
L’universalisme politique, hérité des Lumières, est une construction historique. La France, comme les États-Unis, s’est pensée investie d’une mission : hier la « mission civilisatrice », aujourd’hui une certaine idée de l’exception française. Mais universaliser un point de vue particulier revient à le déshistoriciser. D’où l’appel de Dipesh Chakrabarty à « provincialiser l’Europe ». La critique de ce faux universalisme ne signifie pas forcément relativisme. Le pluriversalisme, tel que défendu par Walter Mignolo ou Arturo Escobar, s’inspire de l’idée zapatiste d’un monde « où coexistent de nombreux mondes ». Il affirme une universalité de la pluralité.

À Marseille, les diasporas portent des démarches décoloniales, parfois en opposition aux institutions. Qu’en pensez-vous ?
La logique diasporique et l’approche décoloniale ne se confondent pas, même si elles convergent dans la contestation d’un récit national unique et exclusif. Les diasporas construisent des espaces communautaires, selon des appartenances vécues. Le projet décolonial, lui, vise un horizon plus large : transformer les cadres collectifs du vivre-ensemble.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR SAMIA CHABANI


Nos articles Diasporik, conçus en collaboration avec l’association Ancrages sont également disponible en intégralité sur leur site

Redwane Rajel : Les monstres n’existent pas

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À l’ombre du réverbère, Redwane Rajeb © Claire Gaby

Tu ne frapperas pas. Ce commandement, pourtant essentiel, n’existe pas dans la Bible. Le monologue de Redwane Rajel l’invente en actes, et bouleverse par l’absence de plaisir, d’esthétique, de ses évocations de la violence, et l’incroyable joie de son regard et de ses mains qui s’ouvrent lorsqu’il parle du théâtre. Comme une évidente rédemption terrestre, permise par le contact avec l’art dramatique, qui résonne en lui avec les jeux de rôles qu’il vivait chez sa « tatie », qui l’aimait comme « un prince ».

Le texte, coécrit avec Bertrand Kaczmarek et Enzo Verdet, retrace la vie de ce condamné « longues peines ». Celui qui est aujourd’hui comédien professionnel, coach efficace et attentif de stand-up, fut bouleversant dans le Macbeth d’Olivier Py ou le Marius de Joël Pommerat, aussi parce qu’il laissait transparaitre, au-delà de ses personnages, la violence, la culpabilité, l’horreur de l’enfermement, le désir fou de liberté. Revenir sur son parcours, évoqué dans chacun des articles qui lui sont consacrés, permet de saisir intimement l’essence de cette phrase qu’Enzo Verdet, metteur en scène du spectacle et assistant d’Olivier Py dans ses projets carcéraux, lui adressa lorsqu’il ne parvenait pas à incarner Macbeth : « Tu es là pour montrer que les monstres n’existent pas ».

Renoncer, sous tous les angles

 « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger », écrivait déjà Térence en des temps antiques. Et l’homicide ? S’il ne le raconte jamais directement, pas plus que son procès, c’est bien à un examen sans fard qu’il procède, reflété de tous les côtés dans les miroirs qui, avec un banc rouge, sont le seul décor. L’acteur commence par le récit de sa garde à vue, de ses premiers jours, des premiers coups, puis de l’isolement, la drogue, la violence qu’il exerce sur lui-même, le corps qu’il endurcit par des courses sur place, des entrainements de boxe qui l’aident à tenir le coup, juste assez pour ne pas sombrer. Entre ces scènes, le récit d’une enfance sans homme où il a dû grandir trop vite, mais où « tatie » lui a ouvert la voie de l’imaginaire. Puis la boxe, la légion, autant de lieux, de corps à corps, où il faut frapper pour être un homme, défilent. Comme le parcours d’un enfant qui se doit d’être viril pour exister.

Jusqu’à la rencontre, en prison, du théâtre. Au moment même où il l’évoque son corps se détend, ses muscles s’adoucissent, son débit se fait plus fluide, sa voix s’éclaire et s’enrichit de timbres insoupçonnés. Les paysages traversés, les personnages joués, tout défile, et sa véritable libération n’est pas le jour de sa levée d’écrou mais celle où il ne répond pas à la provocation d’un détenu qui veut en découdre. Il suffit de s’excuser, d’esquiver la bagarre, refuser le combat, sortir du paternalisme viriliste qui fait des hommes des monstres, qu’ils (et elles aussi parfois)  peuvent  tous devenir. 

Redwane Rajeb explique qu’avec ce spectacle il veut simplement « rendre ce qui lui a été donné ». Bien au-delà, il nous montre comment les hommes (96% des criminels sont des hommes) pourront  changer la société : en renonçant au virilisme qui la façonne, pour se laisser accéder à la joie d’exprimer sans violenter.

AGNES FRESCHEL 

À l’ombre du réverbère
Du 30 septembre au 4 octobre
Théâtre des Bernardines, Marseille

Vu au Théâtre Transversal, dans le Festival Avignon Off 2024

Stups, une Chambre à Marseille

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Stups (C) JHR Films

En 2004, on avait pu voir 10e chambre – Instants d’audience : de  mai à juillet 2003, Raymond Depardon et son équipe avaient filmé le déroulement des audiences de la 10ème Chambre Correctionnelle de Paris, nous plongeant dans le quotidien d’un tribunal : douze affaires, douze histoires d’hommes et de femmes face à la justice. 20 ans plus tard Alice Odiot et Jean‑Robert Viallet nous immergent dans une salle d’audiences de Marseille où un juge gère les affaires en comparution immédiate. Des accusés impliqués à divers degrés dans des trafics de drogue : jeunes, moins jeunes, hommes, femmes, petites mains, guetteurs, dealers, Certains nient, d’autres essaient d’apitoyer le juge, expliquant leur délit par une enfance difficile dans des cités où ils ont été recrutés par des dealers, où ils ne voyaient pas d’autre choix  possible. Certains n’envisagent pas un seul  instant de retourner en prison « La prison me rend fou. Je ne peux pas supporter d’être loin de ma mère !  Devant ces situations plus terribles les unes que les autres, on se sent impuissant, on compatit. On est irrité devant l’attitude de certains comme ce vieux dealer dont le fils s’est pendu en prison et qui n’hésite pas à impliquer dans son trafic, son petit –fils ! On comprendrait que le juge perde son sang froid face à tant de mauvaise foi, ce qui ne lui arrive pas. Il reste d’un calme olympien, pose des questions précises, repère les incohérences, maniant l’ironie quand certains accusés se moquent ouvertement de lui. La caméra d’Antoine Héberlé et de Jean‑Robert Viallet filme de près les regards, les gestes, les mains du juge qui manipule sans cesse un élastique, les larmes de ceux qui espéraient échapper à la prison. On est ému devant certains qui disent regretter leurs actes, promettant de ne pas recommencer. On aimerait y croire, espérer qu’il y aura peut être une solution et la détresse de certains, dont cette jeune femme, battue, enceinte, obligée à servir de nourrice » nous laisse sans voix.

 Ce documentaire, à la mise en scène sobre, fait approcher, de très près, une justice qui souvent n’a pas d’autre solution que la répression, la prison. Et n’y aurait il pas d’autres solutions ? N’y aurait-il pas un moyen pour éviter les récidives ?  Le film d’Alice Odiot et Jean‑Robert Viallet ne donne pas de réponse mais y  fait  réfléchir. Et comme le disent certains cinéastes « Le cinéma ne change pas le monde mais peut changer ceux qui le regardent »  

Annie  Gava

Stups en salles le 1er octobre

© JHR Films

Pluie de films à l’ACID

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La Vie après Siham (C) Météore Films

« Résister en donnant une vraie chance à tous les films d’être vus. » Ce mot d’ordre signé en 1991 par 180 cinéastes a donné naissance à l’ACID un an plus tard. Une section parallèle du Festival de Cannes de neuf long-métrages, fictions et documentaires, souvent sans distributeur, choisis par une quinzaine de cinéastes de l’association. Depuis quelques années, Paris, Lyon et Marseille, puis Nantes, proposent en automne des reprises de cette sélection.

Cette année à Marseille ce sera aux cinémas Les Variétés, La Baleine et Gyptis que seront présentés du 3 au 5 octobre six films.

Au programme

Le premier, le 3 octobre à 20 h aux Variétés : La Vie après Siham de Namir Abdel Messeeh, un film sur l’apaisement, après un deuil ; une histoire familiale entre l’Egypte et la France, avec le cinéma de Youssef Chahine comme compagnon.

Le lendemain, trois films : à 16 h au Gyptis, Drunken noodles de Lucio Castro, une ode à la sensualité où l’on suit les pérégrinations d’Adnan, étudiant en art venu passer l’été en stage dans une galerie new-yorkaise, ses rencontres éphémères, artistiques et érotiques.

À la Baleine à 18 h, Entroncamento de Pedro Cabeleira où l’on accompagne Laura venue dans cette petite ville portugaise pour fuir son passé et se reconstruire même s’il n’est pas facile d’échapper au déterminisme lié à ses origines.

À 21 h à la Baleine, Laurent dans le vent du trio de cinéastes Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon – qui avait réalisé Mourir à Ibiza. L’histoire de Laurent, 29 ans, qui, cherchant un sens à sa vie, atterrit dans une station de ski déserte hors-saison et rencontre des gens, solitaires, qui ne demandent qu’à parler.

Pour finir ce weekend cinématographique, le dimanche à 15 h aux Variétés, La Couleuvre noire d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux, un film tourné dans les paysages lunaires du désert de la Tatacoa, en Colombie. Et au Gyptis à 18 h, Nuit Obscure – « Ain’t I a child ? », dernier volet de la trilogie de Sylvain George, qui montre le parcours de jeunes exilés dans les nuits d’un  Paris en noir et blanc

L’occasion de voir des films dont certains ne sortiront peut-être pas en salles. Un seul regret, et pas des moindres, pas un seul film n’est signé par une réalisatrice !

ANNIE GAVA

La sélection de l’ACID
Du 3 au 5 octobre
Cinémas Les Variétés, Gyptis, La Baleine
Marseille

Occitanie : Un double désir d’héritage et d’innovation »

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De gauche à droite - Hofesh Shechter, Dominique Hervieu, Pierre Martinez et Jann Gallois © Laurent Philippe

Zébuline : Vous êtes désormais quatre codirecteurs de l’Agora de la danse. Comment avez-vous construit cette direction à quatre ? 

Pierre Martinez :  On travaille ensemble, Dominique et moi, depuis un moment ! On a élaboré pour le COJO l’Olympiade Culturelle à l’échelle nationale. Après novembre 2024, on a voulu continuer ensemble l’aventure, à Montpellier.  On a contacté Hofesh Shechter puis Jann Gallois qui ont immédiatement dit oui, et on a répondu à l’appel à projet à huit mains. On est venus tous les quatre, le 10 avril dernier, le présenter, on a été retenus le soir même.

Vous vous inscrivez dans une histoire exceptionnelle, celle d’un Centre Chorégraphique National celle du festival Montpellier Danse. Comment pensez-vous écrire la suite ? 

Dominique Hervieu : On est vraiment dans un double désir d’héritage et d’innovation. Cette histoire chorégraphique et esthétique a été écrite par trois artistes majeurs, Dominique Bagouet puis Mathilde Monnier et Christian Rizzo, et un programmateur exceptionnel Jean-Paul Montanari. Paradoxalement, une telle histoire n’est pas un poids, elle permet de continuer. Et d’innover en explorant de nouvelles possibilités, en faisant un pas de côté. Les fondations si solides de cette maison ne sont pas embarrassantes…

Qu’est-ce que le rapprochement du CCN et du Festival, situés jusqu’ici dans deux ailes distinctes de l’Agora, apporte concrètement au projet ? 

DH : En fait, cela est déjà opérant. L’écosystème de l’Agora est désormais unique en Europe, avec une chaîne qui rassemble tous les maillons de la vie chorégraphique. Les liens que l’on peut tisser entre les missions de création et de diffusion du CCN et celles d’un festival de danse majeur sont infinis. Le master Exerce dispensé ici est le seul master de création chorégraphique en Europe, et le festival va permettre aux étudiants de côtoyer des chorégraphes majeurs. 

PM : Ce rapprochement est bénéfique au niveau esthétique mais aussi politique : la Métropole de Montpellier envisage la culture comme un levier de développement du territoire, un levier économique, humain et social. Cette fusion est née de cet intérêt politique pour la vie artistique, et en particulier pour la danse. Il y a une vraie volonté que Montpellier soit une capitale européenne de la création chorégraphique. Aujourd’hui cette ambition est affirmée par l’ensemble des tutelles, État, Métropole et Région. 

Y compris, dans un contexte budgétaire de restriction, au niveau de vos budgets ? 

PM : Oui, nous avons l’assurance de conserver les moyens actuels des deux structures. Pour le développement, il faudra aller chercher ! Et s’inscrire davantage dans les réseaux de diffusion.

Tout en développant une véritable saison… 

DH : Oui, qui se construit à partir de deux ADN. On va recevoir à l’année les grands formats de Montpellier Danse, et l’émergence, dont les étudiants d’Exerce, auront toute leur place durant le festival. La programmation du festival 2026 est encore en partie celle de Jean-Paul Montanari, mais nous allons avoir un plus grand pourcentage d’œuvres en création, et une diversité d’esthétiques qui ira du flamenco à l’expérimental. Autre fait nouveau : nous nous inscrivons en partenariat avec les autres institutions de la ville. Avec la Biennale Euro Africa, avec Mouvements sur la ville… Nous voulons aussi initier une offre gratuite en espace public, et faire venir les habitants dans l’Agora.

PM : Notre projet repose sur deux valeurs : ouverture et diversité des esthétiques. Il y a un désir que ce lieu soit physiquement ouvert, que l’on puisse le traverser de la rue Sainte Ursule à la rue Louis Blanc, que la cour devienne un lieu de passage et de pratique, qu’on puisse y danser. C’est important que ces portes soient désormais ouvertes…

Vous parlez de diversité d’esthétiques, mais votre codirection paritaire et votre programmation mettent en œuvre d’autres diversités… 

DH : La diversité de genre est évidemment primordiale, comme la diversité des cultures et des classes sociales. Mais les artistes ont aujourd’hui un vrai regard sur cela, ils prennent en charge dans leurs œuvres ces questions de société. 

Jann Gallois et Hofesh Shechter ont-ils le temps, concrètement, d’assumer cette codirection ? 

PM : Jann est là à plein temps, dans un schéma de codirection classique pour une artiste. Avec Hofesh nous devons inventer autre chose…

DH : Il était là cet été, la semaine dernière, et passera un mois avec sa compagnie en résidence en février. Il a deux compagnies et à Montpellier nous accueillons celle qui regroupe huit jeunes danseurs internationaux, qui reprennent ses œuvres créées avec la compagnie 1. Mais son carnet de tournée est très lourd aussi ! Hofesh est aujourd’hui un des top five mondial de la danse en termes de public touché, mais il est à un moment de sa vie où il veut que son impact esthétique et relationnel s’exerce sur un territoire et ses habitants. Un moment de maturité où il veut un point de repère, dans une ville qu’il trouve belle et qui provoque chez lui une vraie curiosité. 

Entretien réalisé par Agnès Freschel


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Deux soirs au Blues Roots Festival

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Sue Foley sur la scène du festival © François Colin - Ville de Meyreuil

C’est dans un paysage des plus cézanniens que se déroule le festival de blues de Meyreuil, avec une montagne Sainte-Victoire teintée de rose au coucher du soleil. La programmation fait la part belle à des artistes internationaux si bien que l’on se demande si l’Arc ne pourrait pas être un affluent du Mississippi ! Ou même du Rio Grande : le premier soir la programmation alignait en effet deux formations texanes. 

Deux soirs, deux continents

Le chanteur/guitariste Mathias Lattin, à la tête d’un power-trio, a délivré un set incandescent et exigeant, avec des inclinations jazzy bien senties : voix mezzo-soprano soulful, jeu de guitare virtuose évoquant Wes Montgomery, avec un bassiste et un batteur qui l’accompagnaient sur des grooves évocateurs de la Motown ou de Stax, sans oublier quelques accents hispaniques – proximité du Texas avec le Mexique oblige. La chanteuse Sue Foley, elle, a conquis le public à la tête d’un quintet jouant aussi bien avec les codes du rock’n’roll tex-mex que ceux du jazz (le guitariste cite Charlie Parker lors d’un solo). En maîtresse femme, cette musicienne/chanteuse originaire du Canada se lance dans des joutes guitaristiques débordantes de pentatoniques avec ses compagnons de jeu, quand elle ne rend pas hommage aux premières blueswomen, s’accompagnant de sa seule guitare acoustique pour des séquences qu’on croirait éternelles -entre autres, une reprise de Memphis Minnie. 

Voix d’Europe, voix du monde

On retrouve quelque part ce « pays où naquit le blues », auquel le musicologue Alan Lomax a consacré ses recherches, avec ici une dimension féministe plus que bienvenue. Le second soir était consacré à des formations européennes, toutes deux conduites par des chanteuses aux charismes certains. Véronique Gayot emporte l’adhésion d’un public de connaisseurs avec une voix féline, et un groupe de musiciens s’adonnant à un blues rock des plus efficaces. 

Justina Lee Brown, chanteuse d’origine nigérianne installée en Suisse alémanique, s’empare de la scène avec une conviction rare délivrant ses messages humanistes (parfois en yoruba) avec une voix oscillant entre la puissance d’une Tina Turner et la profondeur d’une Miriam Makeba. Avec son groupe, excellent de musicalité nuancée, elle conduit le public aux confins de l’afrobeat -ce qui eut l’heur de déplaire à quelques pseudo-puristes du « blues blanc ». 

LAURENT DUSSOUTOUR

Le Blues Roots Festival a eu lieu du 11 au 13 septembre à Meyreuil

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Les Passions marseillaises : Naissance d’un festival

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© A.-M.T.

Le pianiste Rémy Cardinale, le violoniste Girolamo Bottiglieri et le violoncelliste Emmanuel Balssa forment L’Armée des romantiques ; un bien joli nom qui esquisse une filiation avec de grands prédécesseurs que sont Victor Hugo, Berlioz, Chopin, Goethe, Schiller, George Sand, Mary Shelley et tous ceux qui défendirent une conception du monde armés de textes, de poèmes et de partitions. Ces convictions Rémy Cardinale entend les perpétuer. En partenariat avec le bureau de production Prodig’art, cette armée poétique a imaginé un nouveau festival : Les Passions Marseillaises. L’ambition ? Mettre à l’honneur l’amour historique des Marseillais pour la « grande » musique.

L’orchestre Thubaneau

Le premier volet du festival plonge dans une aventure fascinante. À travers une pièce originale, on découvre la vénération portée au XIXe siècle par des musiciens marseillais à Beethoven, maître du romantisme naissant. Cette passion, attestée par les travaux de l’historienne Anik Devries-Lesure, était si intense qu’elle poussa ces mélomanes à fonder l’orchestre Thubaneau pour interpréter – avant Paris – les œuvres du génie de Bonn.

Sur scène, nos musiciens sont en répétition. Surgit brusquement le docteur Fabre – incarné par un Jean Manifacier, comédien habitué au théâtre musical, en grande forme. Ce personnage haut en couleur assure avoir croisé Beethoven dans les rues de Marseille et s’être vu confier les derniers opus du prodige. La galéjade est ponctuée de moments d’émotion lorsque l’acteur aborde la lecture du Testament d’Heiligenstadt, lettre déchirante écrite par le compositeur de 32 ans dans laquelle il confesse qu’en perdant l’ouïe, il perd foi en la vie. Puis vient une traversée d’extraits de symphonies arrangées pour trio et de sonates devenues immortelles pour clore le spectacle. L’écrin désuet du Théâtre de l’Œuvre – à deux pas de la rue Thubaneau – se prête à merveille à un spectacle magnifié par les illustrations remarquables de Pierre Créac’h projetées en guise de décor.

Hommage à Régine Crespin 

Le lendemain, c’est au Conservatoire Pierre Barbizet que sera rendu un hommage à la soprano Régine Crespin. Un lieu symbolique car c’est ici qu’elle étudia et fit ses adieux en 1988. Accompagnés par Cardinale au piano, la mezzo-soprano Lucie Roche et le ténor Carl Ghazarossian ont offert au public un florilège de mélodies françaises dont raffolait la diva.

Le concert s’ouvre sur des pages de Berlioz,  puis de Gabriel Fauré avec Prison et Clair de Lune sur des textes de Paul Verlaine. Ce sera ensuite Duparc avec L’Invitation au voyage, poème de Baudelaire mis en musique, dont Lucie Roche livre une belle interprétation. Elle se révèle tour à tour magnifique tragédienne et comédienne pleine d’esprit dans Je te veux, d’Erik Satie.

Un piano d’exception 

De son côté, Rémy Cardinale interprète La Cathédrale engloutie de Debussy, moment d’exception sur un piano Erard de 1895 à cordes parallèles. Cette manufacture légendaire et cette assemblage particulier des cordes ont donné naissance à un instrument aux harmonies plus claires et dont il semble que les touches continuent à faire vivre la note longtemps après qu’on a cessé de la jouer. 

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Les spectacles se sont déroulés les 19 et 20 septembre, Marseille

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