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Eclaircir le brun de l’horizon

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Nous vivons, en France, une situation inédite. L’extrême droite, donnée largement en tête dans les sondages sur les intentions de vote aux Européennes, peut faire basculer les précaires équilibres européens vers des positions fascistes, et pourrait gagner les prochaines élections présidentielles. Le parti de Marine Le Pen domine le paysage politique, objectivement secondé par les transfuges de Zemmour, qui exhibent quant à eux racisme, sexisme, homophobie et transphobie comme au bon vieux temps de grand-papa (celui de Marion Maréchal, le papa de l’autre). 

La responsabilité politique incombe évidemment à la Macronie, qui est restée sourde à toutes les protestations sociales et a fait voler en éclat la gauche puis la droite. Mais elle repose aussi sur les partis de gauche qui ne parviennent pas à construire le socle commun d’une alliance et veulent, chacun, l’hégémonie ; et à la droite qui vote les lois anti-sociales avec Macron, puis pactise largement avec le diable vaguement dédiabolisé du RN, ou à l’état brut de Reconquête. Et elle prend largement racine dans l’hypocrisie d’une classe politique qui instaure la parité et prône la diversité mais n’a jamais été fichue, depuis Ségolène Royal, de concevoir une femme, un·e racisé·e et/ou un·e LGBTQI présidentiable. 

Résultat ? 

L’hypocrisie politique génère l’abstention massive des minorités et la pensée dialectique est devenue impossible à énoncer dans le débat public. Les médias dominants somment les politiques de répondre aux raccourcis, de choisir leur camp, d’expliquer clairement des réalités complexes : ils ne peuvent pas à la fois condamner les attentats du 7 octobre et dénoncer le colonialisme israélien, comprendre les difficultés économiques des agriculteurs mais refuser les pesticides, soutenir la production locale mais une humanité internationale, défendre la laïcité et l’universalisme en faisant place aux religions et cultures minoritaires, continuer le combat féministe dans la diversité des définitions de genre…

Accepter la complexité

Cette pensée dialectique, qui n’a jamais empêché la résolution et la décision, nous est cependant nécessaire, alors que l’horizon national et planétaire est à ce point embruni. Justement, parce que nos horizons se teintent si franchement de brun. Nous avons besoin d’échapper aux raccourcis manichéens que les scoops, les gros titres et les phrases chocs nous imposent, et pas seulement sur CNews. Nous avons besoin des pas de cotés, des humoristes, de l’art, de la beauté, pour faire surgir les aspérités de représentations médiatiques lissées et abrasées, et déminer les discours de haine en nous redonnant l’amour de l’altérité.

Pour contribuer à cela, Zébuline fera désormais plus de place encore, dans ses pages, aux questions culturelles posées par l’évolution des féminismes, des questions queer, des luttes écologistes, des cultures des diasporas. 

Pour commencer, nous ouvrons nos pages à l’association Ancrages et à Samia Chabani qui tiendra régulièrement la rubrique Diasporik. Affirmer et reconnaître les cultures des diasporas, hors du fait religieux où on veut les réduire, est plus que jamais essentiel, à l’heure où les actes antisémites se multiplient, et où Zemmour affirme sans sourciller la supériorité des chrétiens sur les musulmans, et de Mozart sur la musique orientale.

AGNÈS FRECHEL

Avec le temps pousse la chanson 

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Blandine est sur la scène de l'Espace Julien le 16 mars © DR

On pourrait la croire endormie, acculée par la domination musicale anglo-saxonne, et diluée par le désenclavement qu’offre aujourd’hui internet. Mais il n’en est rien, la vitalité de la chanson francophone demeure, peut-être plus que jamais, et Avec le temps en est un précieux exemple. Comme chaque année depuis 26 ans, le festival porté par la coopérative Grand Bonheur propose un mois de mars sous le signe de la chanson, avec plus d’une vingtaine d’artistes qui montent sur les scènes marseillaises, avec l’Espace Julien en vaisseau amiral. 

Depuis quelques jours déjà, le rendez-vous a entamé son errance musicale avec son Parcours chanson qui met en avant la scène émergente dans des concerts gratuits. Un parcours à étapes qui a vu se produire Janela Word à la médiathèque Bonneveine ou Louise O’sman à la Bibliothèque du Merlan. Il se poursuit jusqu’au 20 mars, et il ne faudra pas louper la chanson poético-extravagante de Belvoir (16 mars, Brasserie Soiffe), ou le rock sensible de Sasha Vaughan (20 mars, bibliothèque du Panier). 

Programme dionysiaque

Mais c’est ce vendredi 15 mars que le cœur du rendez-vous débute avec une douzaine de soirées-concerts. D’abord avec l’artiste réunionnaise Maya Kamaty qui créolise sa musique d’influence world, rap et électro, dans une cadence frénétique à découvrir à la Méson. Frénésie similaire le même soir au Makeda pour l’électro-urbaine de Thérèse, qui croque le monde dans ses morceaux, que ce soit dans la musique ou dans ses paroles tantôt rieuses tantôt puissantes. Le lendemain, un nouveau plateau féminin est proposé, cette fois à l’Espace Julien, avec la pop hypnotique et lyrique de Clara Ysé et la voix tout aussi hypnotisante de Blandine

Les jours se succèdent, les talents aussi. On attend l’indie-rock des Canadiens de Grand Eugène (19 mars, Café Julien), la variet-pop de Aliocha Schneider qui assoie une belle notoriété avec son tubesque Ensemble, il y aura aussi l’artiste maison Fred Neché au Théâtre de l’Œuvre et la pop psyché de Walter Astral au Makeda. Enfin, s’ouvre le dernier week-end, qui accueille les plus grosses têtes d’affiche du rendez-vous. Le jeudi 21 c’est la pop-rap ultra originale de Zed Yun Pavarotti qui débarque à l’Espace Julien. Puis Dionysos, qui fêtent ses trente ans en revenant à son rock’n’roll originel. À côté des vétérans, se presse la jeune québécoise Lou-Adriane Cassidy et sa folk électrique. On finit en beauté avec Eddy de Pretto, qui s’est imposé – avec Zaho de Sagazan, Juliette Armanet et Clara Luciani – comme porte-étendard de la nouvelle scène musicale française. 

À côté de la programmation musicale, Avec le Temps propose aussi des actions éducatives, comme le dispositif Rock in Vitrolles. Cette année, c’est le groupe marseillais Social Dance qui a accompagné pendant trois mois une classe de quatrième du collège Henri Bosco pour lui apprendre les « fondamentaux de la création, du chant et de la rythmique ». Ce travail donnera lieu à une restitution le 28 mars au Théâtre de Fontblanche. 

NICOLAS SANTUCCI

Avec le temps
Jusqu’au 28 mars
Divers lieux, Marseille et Vitrolles 
festival-avecletemps.com

Les femmes paient leur tournée

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Le mois de mars se fait résolument féminin chez les Libraires du Sud : trois autrices venues d’horizons différents, et s’étant attelées à des formes et des thématiques singulières, y échangeront le temps de six rencontres s’annonçant passionnantes.

Lettres d’Alger

Et c’est l’autrice Amina Damerdji qui ouvrira le bal les 14, 15 et 16 mars à Marseille, Tarascon et Vitrolles pour présenter son second roman, Bientôt les vivants. Cette plongée dans l’Algérie des années de plomb, d’inspiration autobiographique, a été amplement saluée par la critique depuis sa sortie en janvier dernier chez Gallimard. Le récit de résilience de Selma, jeune algérienne francophone voyant sa famille de plus en plus menacée par les déchirements politiques successifs, replonge l’autrice dans l’Algérie de son enfance. Et ce moins de trois ans après la publication de son premier roman, Laissez-moi vous rejoindre, autre plongée à hauteur de femme dans notre Histoire récente : celle de la Révolution cubaine, observée à travers l’entourage de Fidel Castro. Universitaire venue du monde de la poésie, Amina Damerdji cultive un goût de la conjugaison entre grande et petite Histoire, mais aussi entre le pouvoir de l’image et de l’imaginaire face à la violence et à la barbarie. 

Le temps et l’Histoire

Avant d’échanger les 29 et 30 mars avec Lauren Bastide à Marseille puis à Nice la marseillaise Élise Thiébaut sera de passage à Forcalquier le 28 mars. Où il sera question, entre autres, de sa plus récente parution : Ceci est mon temps, essai littéraire paru le 7 mars au Diable Vauvert, où elle officie également comme directrice de collection. Journaliste, entre autres pour La Déferlante, l’essayiste se plongeait déjà, dans une bande dessinée parue en janvier dernier au Lombard, sur un imaginaire lourd de sens et de conséquences : Vierges : la folle histoire de la virginité. Avec Ceci est mon temps, c’est d’un autre moment clé qu’il est question : celui de la ménopause, et même de l’andropause. Elle partage en cela une interrogation au cœur de 2060 de Lauren Bastide.

Regards vers l’avenir

Les deux autrices ne sont en effet pas des inconnues, puisque c’est dans la collection dirigée par Élise Thiébaut au Diable Vauvert, celle des Nouvelles Lunes, que paraît cette novella d’anticipation, empruntant au genre de la science-fiction son pouvoir d’anticipation politique. À ceci près que le 2060 imaginé par la journaliste touche-à-tout, pionnière dans la sphère féministe qui vit éclore dès 2016 son podcast La Foudre, n’est pas une déformation de nos années 2020, mais bien une anticipation de ce à quoi les jeunes femmes d’aujourd’hui pourraient ressembler d’ici une quarantaine d’années. 

Ce récit de l’ultime journée d’une octogénaire, la veille d’une fin du monde imminente, est en effet d’une redoutable efficacité : les retombées d’un réchauffement climatique jamais endingués, mais aussi d’un « Régime fascisant » généralisé, en font une parabole écoféministe d’autant plus puissante qu’elle sait faire de son personnage et de son parcours autre chose qu’un simple étendard. Car c’est également de psyché que l’autrice se préoccupe désormais, depuis la fin de La Poudre, avec Folie Douce : où la question de la santé mentale, bien souvent reliée à celle des imaginaires féminins, se voit traitée avec un même sens de l’écoute et de l’observation. 

SUZANNE CANESSA

Amina Damerdji sera présente le 14 mars à 19h à la Librairie l’Attrape-Mots à Marseille, le 15 mars à 18h30 à la librairie Lettres Vives de Tarascon et le 16 mars à 18h à la librairie Quartiers Libres de Vitrolles

Élise Thiébaut sera présente le 28 mars à 18h30 à la librairie La Carline à Forcalquier 

Élise Thiébaut et Lauren Bastide seront présentes le 29 mars à 19h à la Librairie l’Histoire de l’œil à Marseille et le 30 mars à 19h à la librairie Les Parleuses à Nice

Alain Simon danse avec les mots de Georges Perec 

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© X-DR

Zébuline. Pourquoi le choix de Perec et de L’homme qui dort en particulier, publié en 1967, année où l’auteur deviendra membre de l’Oulipo ?

Alain Simon. Il y a longtemps que Perec me plaît et que je le travaille. J’adore son écriture, sa manière de prendre des risques là où les gens n’en prennent pas et inversement, et le suspens qui sous-tend L’homme qui dort. Comme aucune transformation du texte n’était possible avec les ayants-droits, j’ai conservé le texte à la virgule près. J’ai tout de même dû couper, conservant un quart du texte pour une représentation de 57 minutes. Sa méticulosité à décrire m’a beaucoup aidé dans mon approche. 

Vous unissez lecture et danse dans cette création…

La lecture des romans m’intéresse. J’ai voulu que ce texte serve une autre de mes passions, la danse. Ce sont deux langages à part entière qui se suffisent. J’ai eu la curiosité de remplacer la musique par le texte. Attention, je ne souhaite absolument pas que ce qui se passe sur le plateau appartienne à un genre hybride. Je préfère parler d’intersection, comme dans la mathématique des ensembles : essayer de trouver l’endroit où les deux langages se recoupent, se rejoignent, là où les entités parlent ensemble. Il n’y a pas d’accompagnement : le texte n’accompagne pas la danse et réciproquement. L’accompagnement induit une subalternité. Je préfère le « être avec ». Je dois avouer mon sentiment de victoire lorsque le danseur et chorégraphe Léonardo Centi m’a demandé « est-ce que l’on peut mettre la musique un peu plus tôt ? ». Il travaille sur le texte comme sur de la musique… Si c’est réussi, émergera dans la danse un personnage de théâtre.

Le texte est vécu comme une partition ?

Oui, j’y ai des annotations quant aux rythmes, aux timbres… il y a très peu de silences du texte. Le silences de théâtre sont endossés par les immobilités du danseur. La musique est un endroit de repère, c’est ce que devient le texte, fil jaune du spéléologue. Dans le texte de Perec, il y a une voix intérieure, un « tu », qui peut être un sur-moi, un commentaire off… intéressante dualité entre l’adresse au personnage et la voix intérieure. L’indétermination et la précision sont indispensables : la vacuité de sens sert au public pour se projeter et la précision est l’indice de l’existence de la réalité. Nous gardons, le danseur Léonardo Centi, l’assistante à la chorégraphie, Emmanuelle Simon, le créateur lumières Simon Fieulaine, et moi un esprit de recherche. Et c’est passionnant.

MARYVONNE COLOMBANI

L’homme qui dort
Mis en scène par Alain Simon
13 mars
Théâtre des Ateliers, Aix-en-Provence
theatre-des-ateliers-aix.com

« Tiger Stripes », un tigre sous le voile

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En présentant au cinéma La Baleine, Tiger Stripes, Grand Prix de la Semaine de la critique 2023, dans le cadre de la reprise de la Sélection cannoise, la déléguée générale Ava Cahen, a affirmé que récompenser le film d’Amanda Nell Eu, était un choix audacieux. Premier long métrage de la réalisatrice malaisienne, film de genre(s), métissé entre le teen movie, le gore, le cinéma fantastique, et la parabole politique. Sous les auspices d’Apichatpong Weerasethakul et de Julia Ducournau, a-t-on dit.  Si Tiger Stripes n’a pas la puissance poétique du premier ni la radicalité de la seconde, il s’affirme par son originalité décomplexée. C’est un film libre, tonique, et en un mot… rugissant.

Zaffan (Zafreen Zairizal) a 12 ans, vit dans un village de Malaisie. Fille unique de parents décontenancés par la fougue de son adolescence frondeuse. À l’école, ses copines et elle forment un clan de joyeuses larronnes. Danses, vidéos TikTok, pieds de nez à l’autorité scolaire, premier soutien-gorge clandestin partagé, elles s’éclaboussent d’eau et de rires, jusqu’à ce qu’entre les jambes de Zaffan, le sang de ses premières menstrues ne la rendent différente. Dès lors, ostracisée par ses anciennes amies encore impubères, la jeune fille va d’abord essayer de cacher les mutations d’un corps qu’elle ne maîtrise plus, et dont toute la société lui renvoie la monstruosité. Sa mère, les institutions, la religion, la vieille légende rurale d’une femme aux règles surnaturelles qui aurait disparu dans la jungle et reviendrait en apparition menaçante, tout parle de cette monstruosité à Zaffan, de cette honte d’être « impure ».

Liberté sauvage

D’un côté la contrainte : l’uniforme blanc des jeunes filles, l’encadrement de leur visage juvénile par le voile islamique, les séances où sagement assises en tailleur sur le sol de la cour de l’Institution non mixte, elles écoutent sous le soleil plombant, les sermons de la directrice, distribuant bons ou mauvais points, les ateliers périscolaires où elles se mettent au garde à vous. De l’autre, le refuge des toilettes – espace exigu où explose l’énergie des filles, l’exubérance de la jungle tropicale, les eaux jaillissantes des cascades, et le tigre que les chasseurs guettent. La civilisation avec ses charlatans et ses certitudes face au mystère de la vie, de la nature, des femmes. Le film voyage du monde contraint aux espaces de liberté sauvage, glissant peu à peu dans le surnaturel par les mutations du corps de Zaffan, les discordances sonores, l’assombrissement  de la lumière (excellent travail du chef op espagnol Jimmy Gimferrer). On passe de la saturation de couleurs pastel aux ténèbres de la jungle tropicale. Amanda Nell Eu ne cherche ni à faire peur, ni à faire « sexy», la fille-tigre n’obéit pas à des critères de beauté ou d’horreur. Non sans humour, la jeune réalisatrice donne des coups de griffes à tous les préjugés, et c’est bougrement réjouissant !

ÉLISE PADOVANI

Tiger Stripes, de Amanda Nell Eu Grand Prix de la Semaine de la critique 2023 sort en salles le 13 mars 2024

@Jour2Fete

« La musique contemporaine a rarement été aussi accessible »

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Zébuline. Votre début d’année est particulièrement marqué par la création – trois en l’espace de quatre mois !

Marie-Josèphe Jude. Voilà une bonne dizaine d’années que j’ai la chance d’accompagner la création contemporaine par différents biais, toujours avec la même joie. C’est évidemment très intimidant… Mais entrer pour la première fois dans le langage, dans l’inconscient d’un compositeur est un sentiment incomparable. En tant que pédagogue, j’encourage toujours, dès le plus jeune âge, mes élèves à se frotter à la musique d’aujourd’hui et à ne pas se concentrer sur une musique dite « de répertoire » sanctuarisée. Car la musique contemporaine a rarement été aussi accessible. Il semble enfin révolu, ce conflit entre deux musiques tenues pour antinomique : l’une, avant-gardiste et difficile d’accès, particulièrement ardue à interpréter et disparue peu après sa création, et l’autre, portée par la seule sensualité, mais soupçonnée d’un certain manque d’exigence… Et tant mieux ! De même que celui où les compositrices semblaient exclues de l’équation : on voit aujourd’hui éclore sur le devant de la scène, au même titre que de jeunes cheffes, de très jeunes femmes passionnantes, telles que Florentine Mulsant, ou Élise Bertrand, entendues aux Victoires de la Musique. 

Votre collaboration avec Musicatreize est très ancienne. Elle s’est nouée justement autour d’un compositeur alors tenu pour inclassable, Maurice Ohana.

C’est en effet avec lui que tout a commencé ! Maurice Ohana était un compositeur particulièrement généreux, et le jouer se révélait toujours enrichissant. Contrairement à certains compositeurs ou compositrices qui ont une idée très précise de ce qu’ils attendent, il considérait que chaque interprète et chaque interprétation enrichissait son œuvre, et le surprenait agréablement. J’apprécie par ailleurs tout particulièrement les opportunités, rares, de travailler avec un chœur : en tant que pianiste, nous accompagnons souvent des solistes. Mais se préparer à accompagner un chœur, surtout sur une création, laisse une plus grande place à l’imagination et à l’oreille. Moi qui, d’habitude, chantonne la partie chantée au-dessus de ma partie pour me faire une idée, je me prépare à être surprise le jour des répétitions ! Au même titre que les chanteurs et chanteuses qui, souvent, n’ont pas pu lire ou entendre la partie de piano. Nous partons ensemble à la découverte de l’œuvre !

Que pouvez-vous nous révéler de l’œuvre de Frédéric Schoeller qui sera créée ces 13 et 14 mars ?

La parenté avec une musique de tradition française est évidente, et il a été très bien vu de le programmer en compagnie de Fauré et de Poulenc. Son goût de la transparence, de la demi-teinte me rappelle Ravel ou Debussy, cet univers doux et enveloppé de pédale … C’est une musique qui rappelle à quel point le contact entre piano et voix peut s’avérer exaltant : nous avons tout à apprendre des chanteurs et chanteuses, de leurs intonations, de leur souffle, de leur naturel… De la vérité de leur phrasé, toujours !

SUZANNE CANESSA

Marie-Josèphe Jude et l’Ensemble Musicatreize
13 mars 
Pôle Chabran, Draguignan 

14 mars 
Salle Musicatreize, Marseille

Revoir l’Avare

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L AVARE de Moliere mise en scene par Jerome Deschamps © Juliette Parisot, Hans Lucas

En juin 2019, le public de l’Opéra de Montpellier découvrait, lors du Printemps des comédiens, un Bourgeois Gentilhomme onirique et opulent créé à l’Opéra Comédie. Revenu sur ce plateau pour y camper un autre archétype made in Molière, Jérôme Deschamps valivrer cependant une lecture bien moins lumineuse de L’Avare. On retrouve certes les motifs et obsessions chères au metteur en scène : les rôles travestis ou très bouffes d’Yves Robin, ou encore improvisations joliment boulevardières de Lorella Cravotta en Frosine ou de Bénédicte Choisnet, fringante Élise ; la bonhommie de Vincent Debost en Maître Jacques ou de Fred Epaud dans les rôles d’Anselme et de Brindavoine. Le goût pour le mélange des tons est à nouveau ce qui fonctionne le mieux dans cette distribution unissant le tragique excessif, et donc hilarant, d’Aurore Lévy dans le rôle de Marianne ou même de l’outré Cléante de Stanislas Roquette.
Sans oublier la méchanceté et la folie qui semblent guetter Valère, qui devient, sous les traits de l’impressionnant Geert Van Herwijnen, l’un des personnages les plus fascinants de la pièce, là où tant d’autres l’auront simplement dépeint comme un pleutre, ou un arriviste. 

Désamour familial
Ce joyeux mélange de tons laisse tout le loisir à Jérôme Deschamps camper, sur un mode de jeu qui ne semble appartenir qu’à lui, cet Harpagon plus décalé que réellement cruel. Pourtant Harpagon n’a ici plus rien de l’émerveillé Monsieur Jourdain ; les costumes de Macha Makeïeff sont élégamment outrés et colorés, mais le décor demeure vide, au grand dam de comédiens heureusement aptes à faire entendre leur voix sur les larges plateaux d’opéra. Un certain malaise s’installe dans cette chronique de désamour et de petites trahisons familiales, que la gaieté de la scène finale ne balayera jamais complètement. L’austérité demeure, sous les oripeaux de la comédie, un bien triste programme, et Harpagon un bien triste sire.

SUZANNE CANESSA

L’Avare
Du 14 au 16 mars
Opéra Comédie, Montpellier,
dans le cadre de la saison du Domaine d’O

Se fondre ou se dissoudre ? 

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Mues © Jean-Louis Fernandez

Marion Aubert est une des auteures dramatiques dont l’écriture marque le paysage théâtral. Lyrique, passionnée, féministe dans ses thèmes, politique dans son attention aux marges, à la nécessité  d’emprunter d’autres chemins. Depuis  1997 elle forme avec Marion Guerrero un de ces duos autrice/metteuse en scène qui fonctionne comme les deux roues d’un vélo, dont on ne sait plus bien laquelle entraîne l’autre, tant le baroque, la foison, la délicatesse, l’obstination, semblent communs.

Mues, écrit en résidence au Centre National des Ecritures de Scène de la Chartreuse de Villeneuve, créé au Théâtre Joliette de Marseille après plusieurs semaines de résidence, met en scène une transformation hybride. Il y est question d’une femme, Marie, qui se cherche en fuyant la ville et la foule, pour se trouver en ruralité, dans les Cévennes. Elle tente des travaux d’approche, dans un village dont les habitant.e.s sont eux aussi décalé.e.s du monde, fuyant la ville et les hommes, s’essayant à l’art collectif, relevant les lieux où il fait bon se perdre. Elle s’y essaie aussi, s’abandonnant dans une nature où, concrètement, elle cherche à se fondre, à s’unir avec les vies, animales, végétales, minérales, élémentaires, qui l’entourent. 

Réflexion sur l’extase, la perte de soi, la rencontre des autres vraiment différents, Mues résonne des mots et d’élans mystérieux, en un temps où les hybrides ressurgissent, affirmant le mal-être général de l’humanité, et l’ambiguïté de notre rapport au Règne animal. Comme le nom de ce film dont le succès étrange n’est pas sans rappeler les Mues de Marion Aubert, ou les Métamorphoses d’Ovide. 

Agnès Freschel

Mues
Du 13 au 15 mars
13 Vents, Centre dramatique national de Montpellier

De maris natura

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Habiter le seuil © Gwendal Le Flem

La scène nationale a pris l’habitude, dans ses deux pôles de Toulon et Châteauvallon, de proposer des temps thématiques, les Théma, autour de sujets déclinés en spectacles, concerts, expositions et conférences, mais aussi en activités partagées en journée. Ainsi il sera possible de faire du yoga avec la chorégraphe Marine Chesnais, juste avant son duo Habiter le seuil (les 14 et 15 mars) écrit autour de sa rencontre avec des baleines à bosse.

On pourra aussi parler des cachalots de la disparition de la diversité marine avec la militante écologiste Camille Etienne, des secrets des abysses inexplorés, du génie des animaux marins avec le naturaliste Bill François. On pourra aussi, ou pas, aller écouter Sylvain Tesson et son apologie misanthrope de la solitude du navigateur. Une grande exposition sur les Travailleurs de la mer, d’Aglaé Bory, se déploiera dans le hall du Théâtre Liberté : la photographe humaniste a cherché à capter la beauté de ces métiers passionnés, et difficiles. Les enfants ne seront pas en reste avec un animé de Masaaki Yuasa sur Hinako une jeune surfeuse, et 20 000 lieux sous les mers, avec marionnettes, machinerie féérique et acteurs, mis en scène par Christian Hecq et Valérie Resort (les 15 et 16 mars).

Naviguer dans l’Histoire

Le 12 mars un spectacle de Jeanne Mathis : accompagné d’un repas, conte en musique Le voyage d’O au fond des mers à travers les siècles, des océans caribéens ou glaciaires jusqu’aux mers de plastique. Avec Vanish (le 13 mars) Lucie Berelowitsch adapte et met en scène le récit de Marie Dilasser Océanisé.es : Rodolphe, parti en navigateur solitaire, disparaît…

Quant à Christophe Perton, il confie à Stanislas Nordey (du 19 au 23 mars) une traduction libre de De rerum natura par Marie NDiaye. Le best seller épicurien de Lucrèce, illustrée d’images maritimes contemporaines, devient un Evangile de la nature, poétique et puissant, où le comédien tournoie dans les cercles d’images et de son des atomes que décrivait le philosophe latin, affranchi de l’idée d’une force divine qui gouverne la nature, conscient de son mouvement propre, cohérent, continu, où l’homme est inclus. Et qu’il détruit aujourd’hui comme s’il en était le maître.

AGNÈS FRESCHEL

Passion Bleue #4,
Du 12 au 29 mars
Scène nationale Châteauvallon-Liberté
Toulon, Ollioules

Le Printemps des poètes en terre occitane 

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Maison de la poésie Jean Joubert © X-DR

Après « L’Ephémère » et « Frontières » le festival de poésie fondé par Jack Lang a choisi, pour sa 25e édition, le thème de « La Grâce ». La manifestation nationale du Printemps des Poètes, soutenue par le ministère de la Culture, se décline régionalement, et Montpellier est le chef-lieu de cette édition, où la Maison de la Poésie Jean Joubert organise de nombreux événements du 9 au 25 mars. Le 9 mars, lors de l’inauguration, l’artiste-peintre Anne Slacik ainsi que les poètes James Sacré et Michaël Glück liront des textes de poétesses avec qui l’artiste a collaboré. Une belle mise en bouche, avant le reste des réjouissances poétiques. 

La poésie est une langue universelle

Quelle que soit la langue d’origine dans laquelle elle s’exprime, toute poésie renvoie à une expérience sensible qui ne se préoccupe pas de frontières. La Maison de la Poésie de Montpellier l’a bien compris et propose un large horizon d’intervenant·e·s et d’actions, tout en se basant sur le réseau local de ses partenaires et de la Région Occitanie. La présentation des poèmes aux racines bretonnes d’Yvon Le Menn (le 20) ainsi que la lecture poétique en occitan par des étudiants (le 22 ) trouvent une place de pareille importance dans la programmation. Le Printemps montpelliérain vogue même au-delà des frontières de l’Hexagone, outre-rhin, en traduisant la langue de Goethe. Dans le cadre d’un partenariat entre la Maison de Heidelberg – centre culturel allemand à Montpellier – et la Maison Jean Joubert, le projet « Expédition Poésie » s’attache à proposer des traductions alternées des poèmes du montpelliérain Joubert et de l’allemande Domin. Le 23 mars, poètes et traducteurs se réuniront pour évoquer les enjeux liés à la traduction, ô combien essentielle pour une transmission internationale. Le Printemps des poètes s’annonce donc riche, malgré les polémiques qui l’entourent. 

Un Printemps défaillant ? 

Le problème le plus évident, c’est Sylvain Tesson, parrain de l’édition 2024. Cette nomination du Président du Printemps des poètes, proche des milieux d’extrême droite, a suscité l’indignation légitime de 1200 acteur·ice·s du monde de la culture. En dehors de cette problématique déjà suffisante pour s’insurger, il y a d’autres raisons qui poussent à interroger cette manifestation poétique. La poétesse marseillaise Luz Volckmann voit les cercles de poésie classiques auxquels s’apparente le Printemps des poètes comme « des cercles bourgeois, blancs, hétérosexuels » qui ne représenteraient donc pas l’ensemble du spectre des versificateurs. Une autre critique d’ordre plus formel concerne le choix d’une thématique. Ce faisant le Printemps des poètes tombe dans l’écueil de la mièvrerie et promeut une vision simplifiée. Quoi qu’il en soit, ce festival est une sensibilisation bienvenue – y compris en milieu scolaire – à la poésie, bien qu’incomplète et critiquable. Pour le reste, le milieu ne manque pas de ressources et ne se résume ni au printemps, ni aux festivals ! 

RENAUD GUISSANI

Printemps des poètes
Maison de la Poésie Jean Joubert, Montpellier