jeudi 31 juillet 2025
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Témoigner, ou comment faire usage de nos munitions symboliques

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En mars 2023 Ariane Mnouchkine et ses comédiens sont partis vers le froid et les bombardements de Kyiv, pour délivrer les « munitions artistiques » de la Cartoucherie de Vincennes. Une manière de rester vivants, debout, et de construire leur nation future, pour les 100 comédiens ukrainiens réunis pendant 12 jours pour un stage d’improvisation, et d’« amour » comme le confiera une participante. Une leçon de vie, qui dit aussi les ponts bombardés, les sirènes des attaques, les nuits d’insomnie, les douleurs des familles et des couples déchirés. 

Le documentaire que le Théâtre du Soleil y a tourné, et qui proclame la force et la nécessité du théâtre en temps de guerre, a été diffusé sur France Télévision le jour de l’assassinat d’Alexeï Nalvany. La force du théâtre, la construction des représentations et des émotions, peuvent-elle aujourd’hui constituer un contrefeu à cette guerre d’annexion qui n’en finit pas, à la volonté impériale de Poutine qui menace les démocraties européennes ? « Ce n’est pas un hasard si les dictatures s’en prennent toujours aux artistes », répond Mnouchkine.

Les journalistes ne se tairont pas

Ils ne sont pas les seuls. Les journalistes aussi, qui témoignent, font des assassinés de choix. Le crime politique est devenu une pratique courante en Russie, et celui de Paul Klebnikov (2004) il y a 20 ans ne fut que le premier d’une longue série de censure par le meurtre. Natalia Estemirova (2009), Anastassia Babourova (2009), Anna Politkovskaïa (2006), Pavel Cheremet (2016), Dmitry Popkov (2017)… ont été muselés de la plus radicale des façons pour leur position sur la guerre en Tchéchénie ou en Crimée. Et depuis deux ans 17 journalistes sont morts en couvrant les combats en Ukraine.

Mais c’est aujourd’hui Israël qui détient le record des journalistes morts en exerçant leur métier. Interdits de présence à Gaza et dans les territoires occupés ceux qui y vivent – les journalistes palestiniens – et ceux qui prennent le risque de s’y rendre, meurent en masse depuis le 7 octobre : tués par des drones israéliens comme Hamza Al-Dahdouh et Mustafa Thuraya en janvier, tués en zone de combat, dans les écoles et les hôpitaux bombardés, pour 85 journalistes venus rendre compte de la réalité du conflit pour les civils. 

A Gaza, les artistes ne peuvent plus s’exprimer. C’est ici, dans un pays où la parole est encore libre, que nous pouvons tenter de recueillir les échos du massacre en cours : il n’est pire acte de tyrannie que d’assassiner les témoins.

Agnès Freschel

Le TNN, fidèle à lui-même

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La Fausse Suivante © Carole Parodi

La saison se poursuit au Théâtre national de Nice, avec une programmation pluridisciplinaire et dans l’air du temps. On y retrouve des créations pour le moins intéressantes, parmi lesquelles Guru, un opéra mis en scène par sa directrice Murielle Mayette-Holtz. Composée par Laurent Petitgirard sur un livret de Xavier Maurel, cette œuvre aborde le phénomène des dérives sectaires en s’inspirant librement de la tragédie de Jonestown, un suicide collectif qui fit fait pas moins de 908 victimes. Exceptionnel par son sujet et l’engagement dont il témoigne, cet opéra était une commande du ministère de la Culture et de la communication qui n’a jamais été monté en France, l’Opéra de Nice en ayant notamment annulé – ou sabordé – la production en 2010. C’est pourtant bien avec l’Opéra National de Nice, ainsi que l’Orchestre philarmonique de la ville, qu’est co-produite cette création. Trois représentations de ce spectacle ont lieu les 20, 21 et 23 février dans la salle de la Cuisine, et sont précédées, la veille de la première, de deux conférences gratuites. D’abord, un face-à-face entre le public et les artistes, comme l’Opéra a l’habitude d’organiser, puis une rencontre organisée par le TNN et l’Académie des Beaux-Arts sur le thème «  manipulation mentale et dérives sectaires » en compagnie de l’équipe artistique, de chercheurs et de spécialistes tels que l’ancien directeur de la Miviludes, Georges Fenech.

Trajectoires communes
En janvier et février se tient le festival Trajectoires du Forum Jacques Prévert de Carros. Comme il a pris l’habitude de le faire depuis 2022 et l’ouverture du festival à une envergure départementale, le TNN accueillera plusieurs spectacles de cette programmation pluridisciplinaire dont l’objectif est d’interroger la société au travers de parcours de vie singuliers. L’occasion pour le Centre dramatique national de mettre en avant ses talents, avec Célestez-moi, Les Enfants des Nineties (25 et 26 janvier) de Stephen Di Tordo, coproduction créée pour l’occasion au TNN, et Frida Kahlo, ma réalité (1er et 2 février), seule en scène de Bénédicte Allard, comédienne de la troupe du théâtre. Vole ! T’es toi ! Va aimer !, les trois spectacles du triptyque d’Eva Rami sur la découverte de soi et l’émancipation, seront également présentés les 6, 7 et 8 février sur le plateau de la salle des Franciscains.

Magie, encore !
On retrouve du 22 au 27 avril la deuxième édition du festival de magie annuel du TNN. Contrairement à l’année dernière, les places pour les trois spectacles proposés, ainsi que celles pour le Gala de clôture, ne sont pas gratuites mais à un prix unique (10 euros) qui, selon le Théâtre, devrait rester abordable pour un maximum de spectateurs. Les activités et attractions organisées autour du festival, comme les cabines à tours automatiques ou l’atelier de magie du 27 avril, restent gratuites.

Les spectacles programmés pour le festival croisent les disciplines et abordent des sujets parfois sérieux, plutôt inattendus dans un tel contexte. Ainsi, Doublon de Marc Rigaud enchantera le public avec une conférence sur les mystères de la gémellité (22 et 23 avril), et l’illusionniste Yann Frisch s’intéressera au statut absolument tragique du clown, condamné à ne jamais être pris au sérieux, dans Le syndrome de Cassandre co-écrit par Raphaël Navarro (23 et 24 avril). Avant le grand gala de clôture, petit détour par l’univers burlesque d’Etienne Saglio, avec Goupil & Kosmao, ou les aventures d’un magicien (Antoine Terrieux) et de son marionnettique assistant.

La parité entre les artistes femmes et hommes, parfaitement respectée par le TNN dans sa programmation générale, n’est malheureusement pas appliquée pour le festival. On ne compte même qu’une seule femme, Claire Chastel, qui met en scène Doublon. Cette absence de parité est encore la norme dans nombre de festivals de magie, les hommes restant très majoritaire dans cette pratique. L’espoir de voir plus de femmes à l’affiche reste par ailleurs permis, la programmation du Gala de clôture n’étant pas encore annoncée. Elle devrait être disponible sur le site du Théâtre avant le début du mois de mars.

CHLOÉ MACAIRE

Théâtre national de Nice
tnn.fr

Marseille Jazz des Cinq Continents : « Ce qu’est une politique publique, en pratique »

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Hughes Kieffer © X-DR

Zébuline : Anticipant la publication de la CRC, Marsactu a fait paraître le 9 février un article intitulé « La gestion en mode freestyle du festival Jazz des 5 continents ». Cet article vous met notamment en cause, ainsi que l’attachée de presse du festival. Pourriez-vous d’abord nous éclairer sur les reproches qui vous sont faits à titre personnel ? 

Hughes Kieffer : Pour ce qui est de l’attachée de presse, je pense qu’elle répondrait mieux que moi à cette question, mais elle a cessé le cumul de ses deux activités – attachée de presse au sein de la Ville de Marseille et du Festival – dès que nous avons su que cela posait un problème. Nous étions effectivement dans l’erreur réglementaire, mais sans nuisance pour personne, me semble-t-il… Concernant mon cas personnel : lorsque l’on m’a demandé de prendre la direction du festival, j’étais intermittent. Avec des revenus fluctuants, et effectivement une grosse dette fiscale. On m’a proposé un processus d’avance sur salaire, avec échéancier de remboursement, afin que je puisse payer ma dette. Dire qu’elle a été « effacée » est faux, je l’ai payée, cela s’est fait avec l’accord de notre commissaire aux comptes. Ce n’était peut-être pas très conforme avec la réglementation, mais je n’en savais rien. Et surtout : aucun argent public n’a servi à « effacer » ma dette, que j’ai entièrement réglée. 

Peut-on dire que la gestion est « freestyle », donc ? 

On n’est pas blanc de reproches et d’approximations, sans doute, mais cet article avance des chiffres faux. Comme 1,3 millions de subventions de la Ville de Marseille, ce qui est complètement fantaisiste.

De combien d’argent public bénéficiez-vous ? 

625 000 € de la Ville de Marseille, 130 000 € du Département, 100 000 € de la région et 150 000 € de la Métropole. Soit 1 million en tout. Mais la plus grosse approximation vient du chiffre aberrant de 81 % d’invitations. 

Chiffre avancé non par Marsactu cette fois mais par le rapport de la Cour des Comptes… 

 …qui confond tout. Imaginez. En 2019, année de l’observation nous avons eu plus de 100 000 entrées, mais 60 000 étaient des entrées pour une exposition gratuite. Pour la Cour des Comptes cela représente donc 60 % d’invitations, auxquelles ils ajoutent les entrées pour les concerts gratuits que nous faisons dans le cadre des tournées métropolitaines, ou au Mucem. Comptabiliser les entrées gratuites comme si elles étaient des invitations n’a pas de sens. On a mis en vente l’an dernier, au Théâtre Silvain (2100 places), au Palais Longchamp (3500 places), à la Vieille Charité (750 places) un peu plus de 22 000 places payantes. On en a vendu 17 000, soit 77 %. Même si les places restantes étaient parties en invitations, c’est-à-dire si le remplissage était de 100 %, ce qui n’est pas le cas tous les soirs, leur nombre ne dépasserait pas les 23 %. Cela devrait être un compte élémentaire pour la Chambre des Comptes, en principe…

Chambre des Comptes qui vous reproche également, semble-t-il, de bénéficier d’une « manne publique » ?

C’est Marsactu qui affirme cela. Mais pour comprendre de quoi il retourne, il faut savoir ce qu’est, en pratique, une politique culturelle publique. Il est normal pour une manifestation comme Jazz des Cinq continents de bénéficier de financements publics.

Pourquoi ? 

C’est le cœur de la question. Nous menons une politique publique, nous ne fabriquons pas un festival supermarché qui fonctionne avec des recettes bar et qui a intérêt à remplir en sur-jauge. Nous n’avons pas de recettes bar. Nous voulons que les spectateurs, même dans notre plus grande jauge, voient la scène, ce qui s’y passe. Nous ne sommes pas un parc d’attraction, nous ne faisons pas de bénéfice… Nous sommes une association, une grosse association, mais nous ne distribuons pas de dividendes à des investisseurs privés. 

Est-ce cela qui définit une politique publique de la culture ? 

Pas seulement. Mais oui, je le maintiens : comment peut-on nous reprocher de ne pas avoir augmenté les prix ? Je suis fier que nos places les plus chères soient à 30 ou 35 euros, que nous ayons des tarifs sociaux, des places solidaires à 1€, des prix réduits pour les jeunes, les chômeurs. C’est cela, une politique culturelle publique. Et bien d’autres choses encore, avec d’un côté des actions de médiation pour le public, un soutien à l’émergence et à la professionnalisation des artistes du territoire, un lien avec l’écosystème et le Conservatoire… Ces actions se multiplient d’ailleurs depuis l’arrivée du Printemps Marseillais à la mairie, à la demande de Jean-Marc Coppola [adjoint au maire en charge de la Culture, ndlr] : notre politique d’Éducation Artistique et Culturelle est reconnue, soutenue par la Région et par la Drac [le ministère de la Culture, ndlr]. On développe un modèle organique de proximité, à l’échelle d’une grande ville, mais on est dans du local face à l’industrie musicale. 

Vous avez pourtant de grandes jauges… 

Dans le rapport et dans l’article nous sommes comparés à Jazz à Vienne ou Jazz in Marciac, qui ont des salles de 7 000 places et payent les artistes le même prix que nous. Mais Pink Martini à Marciac, c’est 65 euros, Ibrahim Maalouf à Vienne c’est 60 euros. Deux fois plus de places, deux fois plus cher… Notre modèle n’est pas le même, d’autant que les recettes de bar entrent dans leurs comptes… Cela explique qu’ils aient 17 % de subventions publiques et nous 54 %. La question est de savoir si les collectivités considèrent que nous contribuons à l’en-commun, que nous sommes des constructeurs de la cité, de sa cohésion, de son rayonnement. Notre objectif ce n’est pas la rentabilité.

La Métropole finance pour 150 000 euros un parcours de concerts gratuits dans certaines villes, plutôt de la majorité métropolitaine semble-t-il. Est-ce eux ou vous qui choisissez les villes ? 

Ce n’est pas exact, jamais une ville de gauche qui a demandé à bénéficier du dispositif n’en a été écartée. Nous travaillons effectivement avec Salon-de-Provence, Aubagne, les mairies du 13/14 et du 9/10, mais aussi avec Septèmes-les-Vallons, qui est une ville communiste.

Les communes entrent-elles au financement de ces concerts métropolitains ? 

Pas directement, mais elles payent la technique, la sécurité, l’accueil. Nous construisons des programmes ensemble, à l’échelle de chaque commune, pour un one shot ou un long cours. Là encore, je revendique de construire une politique publique.

On vous a aussi reproché d’organiser des événements privés. 

Jamais. Il n’y a jamais de concerts privés. Certaines entreprises privatisent des espaces, elles les payent, mas n’achètent pas le concert. Le concert à la Villa Gaby durant la période Covid a été entièrement payé par les entreprises à un moment où les artistes avaient un besoin urgent d’être programmés. Peut-on nous le reprocher et en même temps dire que nous dépendons trop de l’argent public ?  

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR SUZANNE CANESSA

Le rapport de la Cour des comptes est désormais disponible sur leur site
ccomptes.fr/sites/default/files/2024-01/PAR2023-1278.pdf

Sur les traces du lien

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Traces © M.Barret-Pigache

Au Zef à Marseille, le 9 février, la chorégraphe Joanne Leighton présente à nouveau le fruit de son travail commun avec les jeunes danseurs et danseuses de la formation professionnelle Coline. Traces, créée en 2024, ce sont treize interprètes qui cherchent à créer du lien tout au long de leur performance. Au départ c’est une danseuse qui entame sa marche, si caractéristique des créations de Leighton, et qui tourne en rond alors que les autres battent la mesure de ses pas. Puis elle est rejointe par d’autres, avant que ce soit par tout le monde et que la scène entière devienne un jeu de spirales et de cercles hypnotiques.

Un fil qui se tend et se distend
D’abord les corps ne font que se croiser. Lorsqu’ils se frôlent, les yeux se regardent et le contact visuel perdure un temps alors que les individus s’éloignent pour poursuivre leurs routes respectives. Ensuite, les jeunes se prennent la main par groupes de deux, laissant certains seuls dans leurs rondes. Une ronde collective naît pourtant, ainsi qu’une lente marche où les treize protagonistes avancent dans les pas des autres, sans jamais se marcher dessus. À travers l’alternance des rythmes courts et longs, des jeux d’espaces et des changements musicaux, la chorégraphie met en scène l’histoire d’un lien qui se fait et se défait. C’est grandiose et les nombreux applaudissements lancés par le public ne laissent aucun doute sur le pouvoir de séduction de cette pièce.

Après un court changement de plateau, une seconde représentation démarre directement à la suite de Traces. Il s’agit de Songlines un spectacle de la compagnie WLDN de Joanne Leighton et dont le titre se réfère aux « sentiers chantants » de la cartographie aborigène d’Australie. Les huit danseurs et danseuses font preuve d’un lien plus fort avec le sol que dans la précédente représentation, et pour cause, le but est de mettre en avant le rapport avec la terre et l’environnement. Si la chorégraphie est cohérente, elle reste moins prenante que celle des jeunes de la formation Coline, mais pas facile pour des danseurs·euses de métier de passer après tant d’enthousiasme et d’implication. À noter toutefois la place intéressante du chant dans la représentation.

RENAUD GUISSANI

Traces et Songlines ont été données au Zef, scène nationale de Marseille, puis le 13 février au Théâtre Liberté, scène nationale de Toulon.

De 1900 à nos jours, Marseille dérange toujours 

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Le vernissage du nouveau parcours permanent « La mauvaise réputation. Marseille 1900-1943 » Un an après la commémoration des 80 ans de la rafle du Vieux-Port et de l’Opéra, Marseille se replonge dans son passé pour en comprendre les causes. « Un parcours qui revient sur le contexte idéologique, politique et militaire à la source des heures sombres de 1943 », déclare Jean-Marc Coppola, adjoint au maire en charge de la Culture à propos de l’exposition La mauvaise réputation. Marseille 1900-1943 qu’il a inauguré ce 8 février au Mémorial de la Déportation. Ces rafles de l’Opéra et du Vieux-Port ainsi que la destruction des vieux quartiers de Marseille par les nazis surviennent dans une atmosphère de réputation délétère pour la ville. Pour comprendre cela, les commissaires scientifiques à l’origine de l’exposition ont effectué un immense travail de récolte de documentations. 

Un travail scientifique et artistique 

Les historiens ont analysé les romans, les essais, les journaux, les films et les témoignages de l’époque. Il en ressort que dans les années 1920, la cité phocéenne jouit d’une bonne réputation. Celle-ci attire notamment des artistes d’avant-garde en quête d’aventure. Malgré tout, la haute société voit d’un mauvais œil le cosmopolitisme de Marseille et les années 1930 sont celle du mépris et de la xénophobie. Une société qui selon l’historien Edouard Mills-Affif veut « à tout prix en découdre avec le petit peuple des Vieux-Quartiers qui a le malheur d’être à la fois pauvre et d’origine étrangère, en plus d’être le repaire des prostituées, des bandits, des marginaux et des rouges ».

Le commissaire scientifique revient aussi sur le sens derrière l’affiche de l’exposition : « Il s’agit de l’architecte Eugène Baudoin qui se met en scène en train de mettre un grand coup de balai sur le Vieux-Port. Les intentions sont claires… Les nationalistes en ont rêvé, les nazis l’ont fait ». L’historienne Céline Regnard le souligne, c’est un ensemble de « représentations de la ville [qui] a rendu possible cet événement ». De cette étape préalable de collecte découle par la suite un travail multidisciplinaire à l’origine de l’exposition. Quatre thèmes composent le nouveau parcours permanent du Mémorial, à savoir le cosmopolitisme de la ville, son port colonial, le parfum de scandale du Panier, tout cela amenant à la thématique finale qui traite d’une Marseille vue comme « ingouvernable » et dont on souhaite que les étrangers et leurs habitats mêmes disparaissent. 

C’est ainsi qu’avec le soutien volontaire de René Bousquet aux nazis, sur ordre d’Hitler, 1642 personnes – dont la moitié sont juives – sont déportés vers les camps et les 14 hectares des vieux quartiers dynamités. Face à la stupeur, le Mémorial de la Déportation ne reste pas que dans l’analyse, mais laisse une place bienvenue à l’émotion. Les huit créations sonores de l’exposition interprétées par les comédiens Claude Leprêtre et Jean-Rémy Chaize sont accompagnées d’une musique inédite composée par Singhkeo Panya. Pour Edouard Mills-Affif, « la musique y est la voix des habitants des vieux quartiers, le contrepied de ceux qui les regardent en se bouchant le nez. »

Et aujourd’hui ?  

Il faut le dire, bien que les circonstances soient loin d’être les mêmes, il n’est pas interdit de faire le parallèle entre ces sombres événements et notre actualité. « Notre pari avec cette expo c’est que le visiteur fasse de lui-même le rapprochement avec notre présent, tellement ces échos du passé résonnent avec ce que nous vivons actuellement » explique l’historien Mills-Affif. Pari réussi tant notre quotidien prend des allures de reflet du passé. Comment ne pas voir dans l’islamophobie actuelle, la même logique que dans l’italophobie des années 1930, qui est une des raisons qui poussèrent les nazis et les collaborateurs à déporter ? Récemment en Allemagne, le site d’investigation Correctiv a publié une enquête révélant que des responsables du mouvement identitaire autrichien ont rencontré des membres de l’AfD pour parler « remigration ». Le même concept putride qu’utilise Zemmour. Comment ne pas y voir un rapprochement idéologique semblable à la collaboration répugnante qui a sévi à Marseille et ailleurs ? Vivre en craignant constamment que se répète le passé n’est pas réjouissant mais nous n’avons en réalité pas le choix. À ce sujet Edouard Mills-Affif emploie une citation de Georges Bernanos : « On vous affirme maintenant, on vous répètera plus tard, qu’il ne faut pas revenir sur le passé. Mais ce n’est pas nous qui revenons sur le passé, c’est le passé qui menace de revenir vers nous ». Pour autant il y a aussi des raisons de se réjouir et d’espérer, la création de ce parcours permanent et le monde présent à l’inauguration en sont des preuves. L’adjointe à la Mémoire Lisette Narducci le rappelle : « Quand on fait histoire, quand on fait mémoire, on fait espoir ». 

RENAUD GUISSANI 

La mauvaise réputation. Marseille 1900-1943 
Jusqu’au 31 décembre 2024
Mémorial de la Déportation, Marseille 

Chienne de rouge : Yamina Zoutat tourne les sangs 

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Serait-ce parce qu’à sa naissance Yamina Zoutat dont les rhésus parentaux étaient incompatibles, a subi un « grand échange de sang » et porte dans ses veines la trace de son donneur inconnu, qu’elle a voulu filmer du sang ? Elle parle d’un désir profond et tenace, hantant ses rêves, que Chienne de rouge réalise, d’un film né de son propre corps de femme, défini par le sang des règles, impur pour les religions. 

Réparation

Si elle n’apparaît pas à l’écran, Yamina Zoutat est omniprésente. Elle a 28 ans quand s’ouvre « le procès du sang contaminé » – comme si c’était le sang qui était accusé, remarque-t-elle. Elle a insisté malgré les réticences de sa rédaction, pour couvrir l’événement comme chroniqueuse judiciaire. Une consigne lui est donnée : « tu ne montreras pas de sang ». Drôle de procès non filmé, qui ne se déroule pas au Palais de justice, où les victimes ne peuvent pas se porter parties civiles et où « les juges sont des hommes politiques déguisés en juges ». Par les photos personnelles montrées plein écran, le film convoque les jeunes martyres du Sida, avant leur maladie. La voix off raconte leur histoire tragique, celle de ce sang prélevé sur la voie publique, transfusé sans analyses, celle de ces donneurs qui se croyaient de vie et furent de mort. Yamina Zoutat répare le silence imposé à l’époque.  

Convergences

Comme une « chienne de rouge » – qui on l’apprend, est une chienne de chasse dressée à pister une bête blessée – la réalisatrice suit la trace. Dans les sous-bois sur le tapis mordoré des feuilles mortes. Dans les toilettes où gouttent les menstrues. Sur le sol où après l’attentat du Bataclan, des étudiants en médecine ensanglantés jouent le rôle de victimes. À l’hôpital où on transfuse, transplante, greffe. Dans les mariages mixtes où se mêlent les sangs. Dans le sourire édenté de sa fillette qui a perdu une dent de lait et retrouve le goût métallique de l’hémoglobine. Dans la mer écarlate où on harponne les gros poissons. Au cinéma où Nosfératu, triste vampire, plonge ses canines dans le cou d’Ellen, où indiens et cow-boys deviennent frères de sang et où l’ange Damiel des Ailes du désir éprouve par une plaie, la condition humaine. Documentaire hybride, tissant un réseau de destins, de vies au quotidien, d’événements exceptionnels, juxtaposant archives, images scientifiques, souvenirs filmiques et témoignages. Quête intime qui met les images en correspondance, en convergence.

Comme le flux sanguin, le film circule. Mohamed, un convoyeur de sang sillonne Paris de nuit pour livrer les poches du précieux liquide dans des caissons isothermes. On suit la professeure de médecine Nguyen, d’origine vietnamienne, spécialisée en greffes, jusque dans sa famille. On écoute son père qui pose les questions d’intégration, d’identité et de dissolution. On entend une greffée dont la famille a été exterminée à Auschwitz, lire sa  bouleversante lettre à un donneur allemand. Par intermittence le rouge envahit l’écran et un cœur pulse à gros battements. C’est le leur. C’est le nôtre. Et c’est notre humaine condition.

ÉLISE PADOVANI

Chienne de rouge, de Yamina Zoutat
En salles le 14 février

Réactions en chaîne

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The way things go - Christian Ubl © Antoine Billet

Le chorégraphe Christian Ubl avait expérimenté pour la formation professionnelle Coline Le cours des choses, la manière dont s’enchaînent les faits les plus incongrus. Ce schéma renvoie à l’œuvre de Peter Fischli et David Weiss (1987) qui filme une succession ininterrompue de réactions en chaîne improbables : une roue de voiture tourne sur elle-même, déclenche la mise en mouvement d’un autre objet qui entraîne la mise à feu d’un mini artifice qui…etc. Le rapport à l’art est interrogé par cette forme qui ne doit pas sa beauté aux matériaux utilisés mais à l’alchimie étrange de leurs interactions.
Ce principe, ramené à la danse, a conduit Christian Ubl à s’entourer d’une architecte et scénographe, Claudine Bertomeu, et d’un compositeur musicien live et batteur, Romain Constant. Sur le plateau, des traits de couleur dessinent un espace rond ouvert sur des marques qui esquissent des points de fuite. Une série de boîtes blanches disposées comme une rangée de dominos prêts à être bousculés attend sagement sur l’un des bords du cercle.

Après l’entrée désordonnée des six danseurs et du musicien, la première boîte sera saisie par ce dernier qui la tendra à l’un puis à l’autre. La passation cocasse mêle sons et mouvements, étonnements, replis, désir de possession, peurs, amusements… Chaque personnage prend à travers la présence de l’objet une identité propre que soulignent les effets musicaux de la batterie arrangée et des intrusions électro. Le groupe court, s’évade, s’empare de la forme du cercle pour des rondes, des jeux qui tiennent parfois des exercices de théâtre : un geste en entraîne un autre, les danseurs à tour de rôle incitent l’autre à initier tel ou tel geste… L’expérimentation est mise en scène en une spirale qui pourrait être infinie, abreuvée de hasards et de rencontres poétiques. On sourit, on rit, on se laisse emporter dans cette esthétique minimaliste de l’éternel retour : les différents espace-temps sont scandés par une série de gestes récurrents, mains frappées, claquements de doigts…  au bonheur de la légèreté qui s’achève en feu d’artifice !  

MARYVONNE COLOMBANI

The way things go a été créé les  8 et 9 février au Pavillon Noir, Aix-en-Provence

La réparation, pour combattre l’homophobie

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Le 6 août 1942, le régime de Vichy promulgue une loi instaurant une discrimination entre l’âge légal de consentement dans les rapports hétérosexuels et homosexuels : 13 ans pour les uns, 21 ans pour les autres. À la Libération, cette loi sur la majorité sexuelle aurait pu être enterrée avec nombre d’autres lois pétainistes, mais François de Menthon, alors ministre de la Justice, a au contraire décidé de l’entériner dans l’arsenal législatif français. Selon lui, « cette réforme inspirée par le souci de prévenir la corruption des mineurs ne saurait, en son principe, appeler aucune critique ». Cette discrimination légale a donc été maintenue en place jusqu’en 1982. Mais son abrogation n’a pas entrainé de réparations. Le 6 août 2022, le sénateur socialiste de l’Hérault Hussein Bourgi a déposé une proposition de loi visant à porter réparation aux personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982. Il sera présent au centre LGBTQIA+ de Marseille ce vendredi 16 février pour une conférence à ce sujet.

« La discrimination, la flétrissure qu’implique l’existence d’infractions particulières d’homosexualité les atteint, et je dois dire qu’elle nous atteint aussi tous, à travers une loi qui exprime l’idéologie, la pesanteur d’une époque odieuse de notre histoire. » Ces mots, prononcés par Robert Badinter le 20 décembre 1981 dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, sont issus d’un discours soutenant l’abrogation du « délit d’homosexualité ». Le 4 août 1982, la loi Forni, rapportée par Gisèle Halimi et soutenue par Robert Badinter au nom du gouvernement, est finalement promulguée. 

Si « l’époque odieuse » à laquelle il fait référence est le régime de Vichy, il est nécessaire de rappeler que certains législateurs ont eu peu de scrupules à perpétuer, voire à renforcer ce sinistre héritage pétainiste dans les décennies qui ont suivies. Ainsi, en 1960, une ordonnance prévoit que la peine minimum pour outrage public à la pudeur soit doublée dans les cas de rapports homosexuels. Cette disposition, abolie en 1980, a permis nombre de dérives, à l’image de la tristement célèbre affaire du Manhattan, un club privé parisien dans lequel des policiers ont tendu un guet-apens aboutissant à l’inculpation de onze hommes soupçonnés d’avoir eu des relations entre eux. 

L’heure est à la réparation

En près de quatre décennies d’application, ces lois ont fait condamner plus de 10 000  personnes, en immense majorité des hommes. Aujourd’hui, l’heure est à la réparation, comme en Allemagne, en Grande-Bretagne ou au Canada qui se sont déjà engagés sur cette voie. La proposition de loi portée par Hussein Bourgi reconnait la responsabilité de la République française dans « la politique de criminalisation et de discrimination » envers les personnes homosexuelles entre 1942 et 1982. Elle prévoit également une réparation financière d’un minimum de 10 000 euros pour les personnes ayant été condamnées et la création d’un nouveau délit de négationnisme visant « ceux qui auront nié, minoré ou banalisé de façon outrancière […] l’existence de déportations de personnes en raison de leur homosexualité depuis la France, en zone occupée comme en zone libre, pendant la Seconde Guerre mondiale. »

Cette proposition de loi, pourtant consensuelle et cosignée par les groupes socialiste, communiste, écologiste et par Les Républicains, n’a pas été acceptée en l’état par la commission des lois. En cause, la réparation financière demandée qui présenterait « des différences substantielles » avec les dispositifs prévus par les autres lois dites « mémorielles ». La création d’un nouveau délit de négationnisme pose également problème car, selon la commission des lois, la négation de la déportation de personnes en raison de leur homosexualité entre déjà dans le champ de la loi préexistante. C’est donc une version moins lourde et plus symbolique du texte qui a été soumise le 22 novembre à l’Assemblée nationale en première lecture.

La conférence de presse organisée par le centre LGBTQIA+ de Marseille et le Mémorial de la Déportation Homosexuelle, et soutenue par l’association Mémoire des sexualités, sera suivie à 18 h d’une conférence-débat autour des questions « Pourquoi cette loi ? Pourquoi si tard ? »

CHLOÉ MACAIRE

L’Astronef : un Ovni à Marseille

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Le trio à la tête du Théâtre de l'Astronef : de gauche à droite Clément Goguillot, Marie Laigneau-Bignon et André Péri © Matthieu Parent

Installé au cœur du centre hospitalier Édouard Toulouse dédié à la santé mentale, le théâtre de l’Astronef propose toute l’année des ateliers, résidences et spectacles à destination de tous les publics. Entretien avec André Péri, comédien, infirmier psychiatrique et co-directeur du théâtre

Un théâtre au cœur d’un hôpital psychiatrique ce n’est pas banal. Comment est né ce projet ?
L’hôpital se construit en 1962, et tout de suite se met en place une compagnie de théâtre, le Couffin d’Édouard, qui associe le personnel de l’hôpital (soignant ou non), les patients et des artistes : l’idée est de soigner les gens par un retour à la société, ce que l’on appelle la sociothérapie, et l’art est un des moyens de la mettre en place. Ce système a duré jusque dans les années 1980, puis ça s’est essoufflé. Quand je suis arrivé dans les années 1990, avec ma double formation de comédien et d’infirmier psychiatrique, j’ai souhaité relancer ce projet. Nous avons travaillé avec le Théâtre Off [ancien théâtre sis au Vieux-Port de Marseille, ndlr], en lançant des ateliers où sont nés des spectacles, qui ont ensuite tourné dans les hôpitaux, les maisons de retraite… Puis, en allant plus loin et en mélangeant comédiens professionnels, patients et soignants, nous avons joué au Théâtre Off, à La Criée, et au Festival d’Avignon… Mais le temps passe, les gens changent, et ça a été difficile de se redynamiser après cette expérience… jusqu’en 2021, où nous avons pleinement relancé le théâtre [hors période Covid… ndlr], avec Clément Goguillot, Marie Laigneau-Bignon et beaucoup de gens autour de nous, c’est un collectif.  

Que sait-on, scientifiquement, de l’impact d’une pratique artistique sur le parcours de soin ?
Scientifique n’est pas le bon mot. Il y a des velléités de soigner la folie par des moyens modernes qui reviennent régulièrement – et celle-ci est à la mode en ce moment… Ce que l’on sait en revanche, c’est que travailler la psychothérapie institutionnelle et la sociothérapie a un vrai impact sur le quotidien des patients. La pratique artistique, c’est un moyen d’expression, d’aller vers l’autre, faire avec l’autre. Un mélange se fait, sans étiquette.

Du mélange et de la création artistique, c’est justement ce que vous faites avec le spectacle Le Monde de Don Quichotte, en cours de création à l’Astronef (à découvrir les 1er et 2 juin).
C’est la première création made in Astronef, en collaboration avec L’Officine théâtrale Barbacane, et soutenue par la Drac et l’Agence régionale de santé. Nous sommes en train de le mettre en place avec des ateliers théâtre en direction de tous les publics. Un premier avec des comédiens amateurs, débutants ou non, et un autre avec des patients et des soignants. À terme, on va les mélanger pour créer le spectacle. Il y aura aussi des ateliers de cirque, de scénographie, de musique – où les participants fabriqueront leurs propres instruments. Ce spectacle sera une déambulation dans le centre hospitalier à la rencontre du personnage de Don Quichotte.

Le théâtre assure aussi une programmation tout au long de l’année. Comment la construisez-vous ?
Tout d’abord on évite de faire quelque chose de trop ciblé, trop « psy » : on va voir des pièces et on marche au coup de cœur. On accueille par exemple la Compagnie Thespis et son spectacle L’Iliade – accessible aux amoureux d’Homère comme aux ados – que l’on a découvert cet été à Avignon (13 avril). Le 17 février on a La piqûre du taon de la compagnie Hangar Palace qui nous fait un vrai délire – on est au bon endroit pour ça – autour de Socrate. On a aussi un partenariat avec La Criée : le 1er mars avec Midi nous le dira, un spectacle autour du foot féminin, puis avec Nos Héroïnes que l’on accueille le 3 mai.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI

Théâtre de l’Astronef
Centre hospitalier Édouard Toulouse
Marseille
astronef.org

Réchauffer février

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Anne Dancausse alias Peur Bleue

Le collectif marseillais IDEM – Identité, Diversité, Egalité, Méditerranée – qui organise chaque année le festival queer Transform, propose le 17 février une journée d’exception au Théâtre de l’Œuvre. Pour réchauffer l’hiver, il sera question d’érotisme féministe et/ou lesbien, par celles qui revendiquent aujourd’hui une intersectionnalité joyeuse apte à faire valser en éclat la société patriarcale postcoloniale qui modèle encore les représentations dominantes.

Seront présentes, Rebecca Chaillon et son Boudin Beguine Best of Banane, texte qu’elle performe comme autant de coups de poing salutaires, portant définitivement atteinte aux normes du corps féminin blanc et filiforme ; Romy Alizée qui dira les vertus orgasmiques de la randonnée ; et Azani V. Ebengou qui avec sa mère et sa compagne danse et performe des « Réponses au désespoir »,  celui qui vous saisit chaque matin morne face aux « violences quotidiennes » qui traversent les vies des lesbiennes noires. À partir de 17 heures, de 16 ans, et de 9,50 euros (15 euros en tarif plein).

A.F.

17 février
Théâtre de l’Œuvre, Marseille