mercredi 30 juillet 2025
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Wajdi Mouawad : une bouteille à la Mère

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Mere © Tuong-Vi Nguyen

Pour héberger toutes les idées de Wajdi Mouawad, il en faut de la place. Et le grand plateau du Théâtre des Salins n’était pas de trop pour accueillir la création de cet auteur libano-québécois maintes fois salué pour ses pièces, films ou romans. En guise d’introduction, c’est le metteur en scène lui-même qui prend la parole au plus près d’un public encore bruyant. Il est drôle, caustique, et confie : « je n’ai pas pleuré depuis la mort de ma mère en 1987 ». Dans Mère, Wajdi Mouawad poursuit le cycle autobiographique qu’il a entamé avec les solos Seuls et Sœurs. Un troisième opus où il s’intéresse aux cinq années passées à Paris après avoir fui le Liban en guerre dans les années 1980, avec sa mère comme personnage central.

Sur la scène, nous voici dans l’appartement qui accueille cette famille de réfugiés. Sa mère cuisine, silencieuse – elle ne le restera pas longtemps – et l’on comprend rapidement toute la détresse de cette femme contrainte à l’exil. Autour d’elle il y a Wajdi, jeune, interprété par Loucas Ibrahim et sa sœur, Odette Makhlouf, qui apprennent tous deux à vivre à la française. Wajdi Mouawad reste souvent sur scène, aide à la scénographie, tel un fantôme regardant son passé. Toute la famille est tiraillée entre son obligation de vivre en France – où le taboulé n’est pas bon – et la difficulté à prendre des nouvelles du père, resté à Beyrouth pour le travail, faisant craindre le pire à la mère.

Cette dernière, interprétée par une formidable Aïda Sabra, n’est que bruit et fureur. À la fois drôle et pathétique, elle dirige sa famille d’une main de fer, hurle toute sa haine des chrétiens, des arabes et des juifs. On apprécie aussi cet incroyable relation avec Christine Ockrent, qui était alors la présentatrice du journal d’Antenne 2, attendue comme le messie chaque soir pour avoir des nouvelles du Liban. Une Christine Ockrent qui tient d’ailleurs son propre rôle sur scène, avec la rigueur et la classe qu’on lui connaît.

Mal de mer
Avec Mère, Wajdi Mouawad prouve une nouvelle fois son incroyable talent d’auteur et de metteur en scène. Il sublime pendant deux heures tout ce que le théâtre peut offrir de liberté créative. Il y a le jeu des comédien·nes bien sûr, mais aussi les odeurs qui se dégagent de la cuisine qui fleurent bon l’orient. Et cette langue arabe, traduite littéralement, qui offre de merveilleux ressorts comiques et poétiques. Ou encore la lumière, qui donne à chaque scène sa propre teinte, tantôt chaude, sombre ou éclatante de froideur, qui nous propulserait presque dans le cinéma de Bong Joon Ho.

Mais le talent n’excuse pas tout. Et on ne pourra que reprocher à Wajdi Mouawad d’avoir inscrit Bertrand Cantat au générique de la pièce, dont on entend quelques reprises chantées. L’auteur dit qu’il n’a plus pleuré depuis 1987, et visiblement il n’a pas versé la moindre larme pour Marie Trintignant, pourtant comédienne comme lui.

NICOLAS SANTUCCI

Mère de Wajdi Mouawad était donné les 9 et 10 février au Théâtre des Salins, Martigues.

Gémellité circulaire

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Elle/s © Ian Granjean

L’Envolée cirque est une compagnie qui aime les chapiteaux, la circularité, la proximité, l’exploit qui se partage sans démonstration de force et sans forcément d’effet « waou » mais plutôt un effet grâce, lenteur, poésie. Quand cela commence les deux femmes sont lovées corps à corps, tout en haut du chapiteau, et un homme chemine au long d’un cerce d’eau, au sol, chantonnant au micro, jouant quelques notes, percutant quelques surfaces, puis synthétise et diffuse. Là-haut les corps s’éveillent, et les deux femmes déploient leur gémellité fusionnelle…

Elles et lui
L’histoire qui se raconte entre les trois, comme toutes les histoires sans paroles, peut se lire avec nuances. L’une, en tous les cas, cherche à descendre, explore la toile qui strie l’espace, s’affranchit, revient, tandis que l’autre se balance en haut et attend de retrouver leurs moments fusionnels. Des fils arachnéens servent à descendre, à jouer, mais aussi à retenir les corps qui se suspendent à tout ce qui vient, jusqu’aux cheveux de l’autre. Jusqu’à toucher terre, enfin, qui est tout autant toucher l’eau, s’éclabousser, rencontrer l’homme qui entre dans l’eau à son tour. Et puis jouer encore avec la sœur qui reste suspendue mais se laisse atteindre par les éclaboussures, et rit avec eux.

Une histoire simple qui tient dans l’expressivité des regards, la puissance et la souplesse des acrobates. Elle permet la lenteur pure et parfaite de chaque déplacement, renversement, lâcher, porté au son d’une musique inventive, parfois trop forte (masculine?) pour accompagner la subtilité des mouvements (féminins?).

AGNÈS FRESCHEL

Elles a été joué du 9 au 11 février dans le cadre de l’Entre2 Biac au Domaine de Fontblanche, Vitrolles.

Arcadie heureuse

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La Pastorale ©Olivier Houeix

Le chorégraphe Thierry Malandain articule sa rêverie en tableaux mouvants habités par ses vingt danseurs dans les lumières savamment orchestrées de François Menou. En préambule à la Symphonie n° 6 de Beethoven, il reprend un extrait de sa Cantate Les Ruines d’Athènes tandis que le plateau, occupé par des barres de studio de danse disposées en damier, isole les trois personnages de la première partie dans des cases où les gestes de la grammaire classique se déploient et se réinventent.

Le protagoniste central, « Lui », fantastique danseur Hugo Layer, passe de la vie à l’immobilité de la mort, reprend souffle, opposant à la contrainte rectangulaire des lieux le mouvement cyclique des saisons. Les barres hissées dans les cintres, les costumes d’ombre, longues jupes-manteaux, cèdent le pas à des tuniques blanches évoquant une antiquité fantasmée. La luminosité s’accentue, les ombres s’effacent en une réconciliation de l’être et de la nature.

Avec une grande sobriété contrastant avec le foisonnement musical, la chorégraphie de Thierry Malandain ne cherche pas à illustrer mais convie à un voyage intérieur où les images de l’Arcadie heureuse s’esquissent avec vivacité. Pas de deux, trios, courses, retours, diagonales, grands jetés, tournoiements, peuplent la scène de leur brillante virtuosité. Les danses d’ensemble semblent émaner de sculptures antiques en leurs gestes précis aux angles géométriques et rappellent les univers de Nijinski ou d’Isadora Duncan, fluidité en épure, hymne à l’harmonie.  Si les ombres reviennent avec l’orage, elles sont vite dissipées par le cercle incantatoire des petits pas courbés d’Hugo Layer dessinés tout autour du plateau. Sa danse hors du temps donne à percevoir la fragilité de la beauté… et c’est une autre histoire.

MARYVONNE COLOMBANI

La Pastorale a été dansée les 8 et 9 février au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence

Concurrence culturelle, concurrence politique

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 « L’art est public ! » proclamait la Fédération nationale des arts de la rue en 2021, 60 ans après Jean Vilar qui affirmait que le théâtre était un service public. Entre-temps, des gouvernements et des collectivités plutôt à gauche ont tenté de mettre en place, puis de maintenir, un maillage d’opérateurs culturels d’utilité publique qui ne se fondaient pas sur la rentabilité financière mais sur un impact sociétal. C’est à dire sur la capacité des artistes à « émanciper » les citoyens disaient les uns, à favoriser la paix sociale ou l’intégration disaient les autres, à faire « participer » les amateurs ou à « participer » à des processus d’Education Artistique et Culturelle systématiques, dit-on aujourd’hui.

La gauche perd ses mots

Le monde culturel ne trouve plus d’espace d’expression, ni dans les médias publics, ni dans les programmes et discours politiques. Attaqué de toute part, sur son modèle économique coûteux en financement public d’une part, sur sa remise en cause du patriarcat et des résidus colonialistes d’autre part, et sur son régime d’indemnité chômage, il peine à trouver des défenseurs dans une gauche divisée par ses propres contradictions, et de moins en moins experte sur ces questions. Alors que les moyens accordés par l’État et les collectivités sont en baisse tendancielle depuis 15 ans, que les coûts augmentent et que les investissements privés diminuent fortement, l’exception culturelle française n’est plus comprise que par une poignée de politiques inaudibles.

La droite distille ses valeurs libérales

Simultanément, pour justifier leurs subventions, les opérateurs culturels se voient confier par les élus des missions de médiation et de professionnalisation, des exigences en termes de taux de remplissage, de pourcentage de recettes propres, de nombre de levers de rideaux, de dates de tournée, le tout sur fond concurrentiel puisqu’il faut séduire des programmateurs nommés par ces mêmes élus, partager des enveloppes en diminution constante, remporter des appels à projets et candidater à des marchés publics. Alors Rima Abdul Malak, licenciée par la macronie pour avoir attaqué l’empire médiatique Bolloré et l’honneur de la France en la personne de Gérard Depardieu, est remplacée par un emblème de la droite qui cadre mieux avec les intérêts privés de la nation, expression qui aujourd’hui n’est plus un paradoxe.

L’extrême droite impose son vocabulaire

Rachida Dati fait aussitôt allégeance aux chaînes Bolloré. Sur CNews et Europe 1. Face à une journaliste qui demande sans rire si elle va s’opposer aux subventions accordées aux institutions culturelles  « infiltrées par l’idéologie woke et déconstructrice », la ministre de la Culture répond « liberté de création ». Mais pas pour relever ce que la question de Sonia Mabrouk avait de délirant, pas pour dire que par nature la pensée et la création déconstruisent et prônent un positionnement critique et éveillé, pas pour se réjouir qu’enfin des mouvements citoyens et des artistes interrogent la culture du viol dans le cinéma ou les traces colonialistes de notre patrimoine. Rachida Dati défend la liberté d’expression des artistes contre la prétendue censure de leurs œuvres par les victimes.  

Backlash ou révolution ? 

Une révolution anthropologique est en cours chez les moins de 30 ans, qui remet en cause le patriarcat, fait le constat de la systémie du viol, veut ouvrir les yeux du monde pour construire enfin des horizons égalitaires et consentis. Mais dans le même temps les actes antisémites se multiplient, les Gazaouis meurent en masse sous les yeux des démocraties, Donald Trump s’apprête à reprendre les rênes de la première puissance mondiale et Marine Le Pen devrait, selon un sondage glaçant, remporter les prochaines élections présidentielles. À gauche, la concurrence joue à fond, et les partis semblent avoir perdu leur culture commune, préoccupés seulement de savoir lequel d’entre eux incarnera le prochain revers électoral. 

Un déclin politique qui s’accompagne du désintérêt progressif des questions culturelles. Et si la gauche repensait ensemble cet en-commun ? 

Agnès Freschel

Un été difficile

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20.000 species of bees still © 2023 GARIZA FILMS INICIA FILMS SIRIMIRI FILMS ESPECIES DE ABEJAS AIE

A la Berlinale 2023, la jeune Sofia Otero avait obtenu  l’Ours d’Argent de la meilleure interprétation, non genré, pour 20 000 espèces d’abeilles de l’Espagnole Estibaliz Urresola Solaguren. En parfaite adéquation avec le personnage qu’elle incarne, Aitor, surnommé Cocó, un jeune garçon qui se sent fille, une petite fille dans un corps  de garçon. « Je ne veux pas être comme mon père quand je serai grand ! » La mère, Ane (Patricia López Arnaiz) et ses trois enfants vont passer les vacances au Pays basque espagnol dans la maison familiale et retrouver oncles, tantes, cousins qui préparent le baptême du dernier né.

Tout est difficile pour Aitor, les sorties à la piscine, les achats dans les magasins, les repas familiaux. Son malaise s’accroit au fur et à mesure que tous, en particulier sa grand-mère, exigent qu’il se comporte comme un garçon. Sa mère, préoccupée par ses problèmes personnels, de couple et de carrière, considère qu’iel se cherche mais n’accepte pas ce qui est évident. Seule la grande tante, Lourdes (Ane Gabarain) apicultrice, qui soigne les gens du village avec les abeilles, va lui permettre de respirer et de sortir de cet étouffement. Comment ne pas réagir devant un enfant de neuf ans qui dit : « je n’ai pas de nom » ou « pourrais-je mourir et renaître en petite fille ? » Et Lourdes va agir, pensant aussi sans doute à sa propre enfance « tu peux regarder ce qu’il se passe ou agir comme ta mère et fermer les yeux », lance-t-elle à Ane… Aitor deviendra Lucia.

Annie Gava

20 000 espèces d’abeilles d'Estibaliz Urresola Solaguren 
En salle le 14 février

Regarder l’époque au fond des yeux

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© Valentine Chauvin-Presse

Le repas chez les Français de VGE de la compagnie Les Animaux en Paradis, une délicieuse comédie politique donnée au Théâtre de La Criée à Marseille

Julien Compani et Léo Cohen-Paperman poursuivent leur série théâtrale « Huit rois » qui dédient une pièce à chaque président de la Ve République. Après Mitterrand et Chirac, c’est à Valery Giscard d’Estaing que s’intéressent les deux auteurs. Pour illustrer le septennat giscardien, ils se sont inspirés de l’habitude qu’avaient prise le président et sa femme Anne-Aymone d’aller dîner chez des concitoyens afin de « regarder la France au fond des yeux ». Une prémisse idéale pour une comédie politique. D’un côté de la table, les vieux agriculteurs de droite, de l’autre, leur fille et son mari rencontré sur un piquet de grève en 1968, et au centre le couple présidentiel qui tente tant bien que mal de contenter tout le monde. L’ensemble est narré par le petit José, et ponctué de reprises plus ou moins à propos de tubes de l’époque qui offrent des respirations bienvenues.

Trivialité et politique
Très vite, le repas s’avère être une métaphore du mandat, et dure par conséquent à la fois deux heures et sept ans, sans que la cohérence narrative ne soit altérée. Nombre de sujets contemporains aux années Giscard sont évoqués : la crise pétrolière, le chômage, le libéralisme… le tout illustré par des scènes triviales comme le partage d’un plat de poisson ou une coupure d’électricité. Les droits des femmes sont aussi un sujet central, mettant bien en avant les limites du progressisme du couple présidentiel, et même des hommes de gauche de l’époque.
Cette accumulation de débat et de situations fantasques pourrait être indigeste si les acteurs n’étaient pas excellents, mais il le sont, maintenant dans leur jeu un brillant (et hilarant) équilibre entre grotesque et subtilité. Une vraie réussite !

CHLOE MACAIRE

Le repas chez les Français de VGE était donné du 1er au 3 février à La Criée, Marseille
Les Animaux en Paradis joueront Le repas chez les Français de VGE le 16 février au Forum Jacques Prévert de Carros.

Le vaisseau Terre perd le nord

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Le signal du promeneur © Cici Olsson

Cinq promeneurs scrutent l’obscurité à la recherche de la lumière pour mieux comprendre notre monde.

Du plateau plongé dans le noir surgissent de petites lampes rouges portées par les cinq acteurs. Le son grave d’un soubassophone s’élève, puis un chant choral harmonieux donne l’impulsion du départ. Le projet du Raoul Collectif, compagnie belge, s’inscrit dans la recherche d’une vie qui ait plus de sens en scrutant ce monde dans lequel nous sommes contraints de vivre et en évoquant des personnages réels ou fictifs. Les situations se succèdent avec rythme, accompagnées prodigieusement au piano ou à la trompette. Car nos comédiens sont aussi musiciens, chanteurs et acrobates. Un moment très fort du spectacle concerne l’évocation de l’affaire Romand qui horrifia notre société en janvier 1993, quand on apprit que ce faux médecin du pays de Gex préféra tuer femme, enfants, ses parents et même son chien, plutôt que de reconnaître ses forfaits. Les comédiens se livrent alors à la reconstitution parodique du procès devant une présidente grotesque et un avocat perruqué. Une autre scène montre un guerrier avec casque et armure qui déclare que le monde est en guerre et qu’il faut rentrer en résistance. Sans transition, on évoque l’histoire de la misérable chenille qui se découvre soudain papillon volant dans la lumière.

Une œuvre collective déjantée et caustique
Le plateau se trouve à la fin envahi d’objets hétéroclites qui soulignent l’absurdité d’un monde désordre et sans valeur. Comment s’y retrouver ? En faisant de la musique, en se réfugiant dans la forêt ? En pratiquant l’humour, en nous interpellant sûrement avec perspicacité et humour, mais aussi causticité et colère.

CHRIS BOURGUE

Le signal du promeneur s’est joué au théâtre Joliette du 30 janvier au 3 févier

HKC ne manque pas à sa Promesse

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Promesse © Anne Rehbinder

La compagnie HKC se plaît à interroger notre contemporanéité en croisant les esthétiques et les formes. Sa dernière création s’attache au sujet du genre

Avec Urgence (représentation en 2022 au Théâtre Durance) la Cie HKC mettait génialement en scène cinq jeunes interprètes sur le thème de l’émancipation individuelle et collective. Interpellée sur l’unicité du genre représenté sur scène, le masculin, la compagnie faisait la promesse d’une nouvelle pièce mettant en scène uniquement des femmes. Le titre du nouvel opus était trouvé : Promesse. Sur le plateau, les cinq danseuses, Marie Buysschaert, Milane Cathala-Di Fabrizio, Guila Mbikinkinkam, Camille Mezerette, Shihya Peng, arrivent l’une après l’autre pendant que le public s’installe, prennent place sur des chaises sagement alignées face aux spectateurs. Se dessine un spectacle qui joue sur les limites avec des paroles qui s’adressent avec un tel naturel soit directement au public en mode frontal soit échangent entre elles sur le mode de la confidence, entrelacent les moments de danse aux mots.

« Un sujet inabordable »
Les corps racontent alors, séduisent par leur maîtrise et la vivacité des chorégraphies dues à Tânia Carvalho qui puise dans l’obscurité de la fange ou la lumière de gestes qui exultent. Les aprioris culturels, sociétaux, sont disséqués au fil des dialogues. S’égrènent les assignations de genre, les limites du consentement, les exactions perpétrées sur les femmes de tous âges, la déferlante du monologue en longue antiphrase « j’en ai rien à foutre ». La déconstruction des imaginaires s’effectue avec une pertinence vivifiante. Un spectacle puissant mâtiné d’humour et de légèreté qu’Anne Rehbinder définit avec modestie : « une tentative, très humble, un acte bref et limité […] une fugace éclaircie sous la pluie, un petit truc à grignoter pour aborder un sujet inabordable, impossible à contenir ».

MARYVONNE COLOMBANI

Promesse a été donné les 30 et 31 janvier au Théâtre Durance, Château-Arnoux-Saint-Auban.

Mettre la morte en mots

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Mon Absente © Jean Louis Fernandez

Avec Mon Absente, Pascal Rambert explore le rapport à la mort, à la mère et à l’enfance

Un cercueil sur un lit de roses blanches, et onze personnages venus dire leur amour à la défunte, ou au contraire régler leurs comptes avec elle. Autour de la scène, des rideaux noirs translucides derrières lesquels apparaissent parfois les silhouettes des acteurs qui se meuvent tels des fantômes. C’est une famille hantée que Pascal Rambert réunit sur scène dans Mon Absente. Hantée par la mère, par les souvenirs et par les conflits qui en déchirent les membres.

Tour à tour, chacun s’adresse à l’absente. Leurs paroles et leurs expériences se contredisent, brodant subtilement un portrait en patchwork de cette femme, mère violente ou aimante, autrice brillante et alcoolique. Les modes d’expression varient, allant d’un jeu très ampoulé pour certains comédiens, à des moments où la danse fait irruption de façon impromptue. La difficile harmonie de l’ensemble ne tient qu’à la scénographie de la pièce, et notamment au brillant travail de lumière de Yves Godin qui fait apparaitre un espace hors du temps et de la réalité. 

Les ailleurs
La beauté épurée de l’espace permet de faire apparaître des ailleurs, autant par les mots que par la mise en scène. Le souvenir du continent africain est omniprésent dans le spectacle. L’absente y a passé une partie de sa vie avec ses enfants, y a eu un fils, et certains personnages y habitent. Mais leurs lieux et conditions de vie en Afrique, ainsi que les raisons de leur départ dans un sens puis dans l’autre restent flous. S’il semblerait qu’ils aient surtout résidé à Ouagadougou, d’autres villes comme Dakar sont aussi évoquées. Aucun pays n’est cité, seulement « en Afrique » ou à la rigueur « au pays ». Cela amplifie l’opposition avec l’autre lieu de vie de la famille, l’appartement du boulevard Haussmann, dont les moindres détails sont donnés. Si là est l’objectif, cela fonctionne, mais cette vision globalisante de l’Afrique a quand même de quoi laisser songeur.

CHLOÉ MACAIRE

Mon Absente était donnée du 1er au 3 février à La Criée,
Théâtre national de Marseille.

Danser sur les toits de Marseille

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Trois ans après Full Dawn, l’inclassable Bloom Bat revient avec le projet « Honest Weirdo », un nouvel E.P. de cinq titres

Leur clip de lancement les filme sur les toits de Marseille. Bloom Bat et ses amis y dansent avec une désinvolture insouciante. On les voit grimper au sommet d’immeubles, s’attaquer à l’ascension du Mucem, évoluer entre les cheminées… Le premier titre, Odd Friends, B.O. du clip, presque uniquement instrumental, donne le ton : rythme groovy envoûtant, un brin d’espièglerie, une légèreté qui invite à ne plus enfermer qui que ce soit dans des cases.

Les titres « chill groove » se parent d’une ironie douce-amère. Dans Goofy (le maladroit), le narrateur se « sent comme un garçon solitaire à la recherche des siens », et se sert du sourire comme unique défense face à ceux qui se moquent de lui. Pourquoi juger les autres sur leurs choix de vie ? Le chanteur invite à l’acceptation de l’autre.

Le flow du rappeur américain Joe Bruce sur quelques accords de guitare vient se poser sur l’ouverture de Holes in my Shoes. Ce morceau tranche avec ce qui précède par ses rythmes funky. L’image du vagabond tendre qui n’est pas sans rappeler la silhouette de Charlot se dessine, touchante et fragile. Elle semble perdue dans la dureté du monde de Drifing away (à la dérive) qu’accentue le contraste entre la vivacité du tempo qui donne envie de danser et la mélancolie des paroles de l’incompris à qui il reste le rêve.

La voix de la chanteuse australienne Serena Stanger rejoint celle de Bat pour le délicat Among the Flowers (Parmi les fleurs). Une promenade « sans devoir, sans plan, sans regard noir ». Juste le bonheur d’apprécier l’instant. Un délice.

MARYVONNE COLOMBANI

Honest Weirdo, Bloom Bat, distribution Soundbirth