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Au Château de Servières, souviens-toi… l’été dernier 

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Célia Tremori - Détail d'installation - Rouvrir le Monde, avec toi - Château de Servières, 2024 - Photo © Studio Meimaris

Rouvrir le monde est la déclinaison par la Direction régionale des affaires culturelles de la Région Paca du dispositif national L’été culturel, impulsé depuis 2020 par le ministère de la Culture. Des résidences artistiques participatives d’une quinzaine de jours ont ainsi été organisées sur le territoire régional, dans de bonnes conditions matérielles pour les artistes (2000 euros de rémunération), dont la coordination a été confiée au Château de Servières à Marseille, qui a accompagné au cours de l’été dernier 22 projets. Dans l’exposition visible jusqu’au 23 mars au boulevard Boisson, seize des artistes résidents présentent le travail réalisé pendant ces résidences au regard de leur pratique (les six autres artistes ont exposé au Mac Arteum de Châteauneuf-le-Rouge, du 10 au 24 février). L’exposition est dédiée à Hélène Lorson, « conseillère action culturelle et territoriale en charge des Bouches-du-Rhône, dont le soutien, l’investissement et l’exigence ont contribué à la mise en œuvre et au succès du dispositif et des restitutions Rouvrir le Monde, Eté culturel », disparue brutalement le 5 janvier dernier, à l’âge de 50 ans.

Six espaces

Rouvrir le monde se décline en six espaces, orientés chacun par une « dominante ». Dans le vaste et cosy – ce n’est pas si courant – espace consacré aux travaux vidéos, on peut notamment voir sur grand écran le travail de Clara Drevet et Suzon Pinard avec un équipage de gamin·e·s embarqués dans une épopée maritime, munis d’une solide inventivité, quelques bouts de ficelles, et d’astucieux cadrages. Ou celui de Nina Almberg et Margaux Sirven, partagé avec des habitant·e·s de Fos-sur-Mer, témoignant de l’histoire, le présent, la transformation, la préservation et la transmission des paysages dans lesquels ils vivent. Une autre salle propose, avec les œuvres délicates de Sophie Blet, d’Alexandre Takuya-Kato et d’Hélène Bellanger, une rêverie entre matérialités et immatérialités. Autour de la notion de temps qui passe, une salle propose des œuvres liées à l’architecture et au paysage, En attendant qu’elle tombe de Delphine Mogarra, The wall are the wind and the ceiling is the sky d’Elsa Martinez, et plus loin The line project de Rita Parker

On trouve également la proposition urbaniste de Laurine Schott, qui a créé avec les enfants, ados et adultes du centre social Saint-Gabriel les différentes pièces d’une grande maquette sur table, pour concevoir de façon collective et ludique un espace public. Une autre salle est entièrement rythmée par les portraits photographiques réalisés par Aurélien Meimaris avec les résidentes de « Moulin Accueil » à Marseille, au sol les carreaux et chaussures en céramique de Célia Tremori. Dans un petit espace en recoin, Kania Hubert-Low documente et interroge à travers ses publications sur les réseaux sociaux et depuis sa triple origine, française, états-unienne et chinoise, l’espace du « chez soi », l’intime et le public, l’étranger et le familier. Enfin une salle met en présence les figures entre gore et sacré d’Elvire Ménétrier, tonsure sur moquette rouge sang, eau de javel peinte sur tissu noir ou sur coton, ferronnerie, et les interrogations ironiques (Camouflag, L’artiste en vacances) sur le rôle de l’artiste dans la société de Léonard Rachex.

MARC VOIRY

Rouvrir le monde
Jusqu’au 23 mars
Château de Servières, Marseille
chateaudeservieres.org

Urgences pour les femmes

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Laure Daussy, journaliste de Charlie Hebdo, a enquêté sur l’assassinat d’une jeune fille de 15 ans, Shaïna, enceinte, poignardée et brûlée vive, le 25 octobre 2019. Ce drame ne fut connu des médias qu’en 2021. Shaïna avait déjà porté plainte pour agression sexuelle en 2017 et l’affaire n’avait pas été jugée tout de suite. Dès ce moment, l’adolescente avait été calomniée, traitée de « pute » et les lenteurs de l’instruction l’ont mise en danger. Le meurtrier a été condamné à 18 ans de prison en juin 2023 car l’excuse de minorité n’a pas été levée. Pour les garçons, une fille salie devient une fille dont on peut abuser, ce sont eux qui entretiennent cette idéologie et font les réputations. L’affaire s’est passée dans la ville de Creil, dans l’Oise, ville multiculturelle où, depuis les années 1990, les usines ont fermé, où les offres d’emploi se font rares, où la loi islamique devient loi pour toutes : port du voile, vêtements amples pour avoir la paix, et passer inaperçues tandis que l’injonction de virginité jusqu’au mariage continue à peser et fait des ravages. 

Isolement et communautarisme

Le meurtre de Shaïna a déclenché une volonté d’aider les femmes. Des associations se sont créées ; sans publicité, elles sont difficiles à trouver. Peu de jeunes ou d’adultes ont entendu parler de MeToo. Les centres médicaux ferment et les habitantes doivent se rendre dans une ville voisine pour consulter des gynécologues alors qu’il y a peu de transports en commun. De plus, les communautés ne communiquent pas entre elles et les enfants n’entendent parler français que lorsqu’ils rentrent à l’école. Laure Daussy propose ici une étude qui devrait enfin décider nos gouvernants à agir plus vigoureusement.

CHRIS BOURGUE

La réputation de Laure Daussy
Les échappés – 19,50 €
Laure Daussy était l’invitée de l’association Femmes solidaires de Marseille, le 2 février à la Maison pour tous de Saint Barnabé (13012 - Marseille)

De l’Art en partage

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Dorine Julien dans l'atelier des Pas Perdus, Usine Pillard © Les Pas Perdus

Zébuline. Après une première édition en septembre dernier, votre « joyeux débarras » sera de retour le 9 mars prochain. Pouvez-vous nous en expliquer le principe ?

Dorine Julien. Disons que cet événement de septembre dernier nous a servi, en quelque sorte de mode d’emploi. Nous avons imaginé des modalités pour « se débarrasser » avec joie et en train d’œuvres créées ces 35 dernières années. Les Pas Perdus ont toujours mis en place des dispositifs de co-création, des méthodes collaboratives de travail. Cet « esprit cabanon » est un peu notre marque de fabrique, et il repose également sur la présence de ces arts visuels dans l’espace public. C’est pourquoi nous avons toujours privilégié des formes artistiques mélangées avec le quotidien, et des pratiques en autodidacte, hors des circuits d’enseignement des arts. Lorsque nous avons créé notre association en 1989, quelques années avant le début de son activité réelle, nous avions à l’esprit de faire naître une création formalisée, et plutôt une création familiarisée, façonnée par les circonstances et moyens dont on dispose. Nous parlons même d’occasionnels de l’art, ceux qui s’y aventurent et même s’y rencontrent à différents moments.

Et comment vous est venue cette idée du débarras comme mode de redistribution ?

Notre présence à l’usine Pillard, aux côtés de structures et d’artistes formidables, nous a permis de créer dans un grand souffle de générosité et de partage. Mais nous ne savons pas combien de temps ce siège si confortable durera. La convention durera-t-elle encore un an ? Dix ans ? L’idée de redistribuer ce que nous avions créé avant de nous voir contraints de nous en débarrasser pour de bon s’est imposée peu à peu. Mais en vérité, le véritable déclencheur a été notre désir de nous alléger pour partir dans d’autres directions, tout en favorisant la circulation des œuvres, qui a toujours été notre principe fondateur. 

Et le succès de la précédente édition vous a encouragé à renouveler l’expérience…

Tout à fait ! Cet esprit de « joyeusetés » a séduit un public important : on ne s’imaginait pas qu’il y aurait autant de monde ! Le rendez-vous avait lieu loin du centre ville, il ne faisait pas beau du tout (rires). Cent œuvres sont parties par un système de tombola, et nous n’avons même pas eu à proposer de lots de consolation ! Nous avons constaté que la question du processus même du débarras et celle de la valeur marchande se posait – ou en tout cas, sans mauvais jeu de mots, qu’on ne pourrait pas en faire l’économie ! Mais la journée du 9 mars sera différente : le corps, et avec lui l’idée de mouvement, et même de la danse, accompagnera ce processus de passation. Le lieu sera transformé pour accueillir de nouvelles œuvres : une cabane son, une cabane image et un coin écriture … Avant la prochaine édition de ce Joyeux débarras qui aura lieu le 4 mai pour le Printemps de l’Art Contemporain.

Entretien réalisé par SUZANNE CANESSA

Bon débarras #2
9 mars 
Les 8 pillards, Marseille

Au cinéma, des rencontres plurielles

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Les Filles de Mai Zetterling est projeté le 8 mars à l'Institut de l'image - Aix-en-Provence

Plurielles sont les approches cinématographiques des mouvements de femmes et des femmes en mouvement, les trajectoires intimes ou collectives dans le combat féministe contre les inégalités et la violence. À l’initiative de la Métropole Aix Marseille, et avec le soutien programmatique de Vidéodrome 2, les Projections plurielles sont organisées du 6 au 11 mars, avec l’ambition d’explorer cette pluralité. Tout à la fois, faire état, nommer, comprendre les causes profondes du mal mais aussi rendre compte des solidarités de lutte et des énergies libératrices. 
Après la séance spéciale du 15 février dernier, autour de La Nouvelle femme de Léa Todorov, dans six villes de la Métropole, ce seront onze longs-métrages dont six avant-premières. Projections prolongées par des débats, en présence de cinéastes et de chercheur·euse·s.

De nombreux portraits de femmes – personnes ou personnages–, jalonnent ce programme. 
Celui de Sylvie Hofmann, sur le point de prendre sa retraite d’infirmière cadre à l’Hôpital Nord, après 40 ans de dévouement, et que Sébastien Lifshitz met à l’honneur dans Bonjour Madame Hofmann (6 mars, Alhambra). Celui de la peintre Apolonia Sokol, avec Apolonia, Apolonia, projeté en présence de la réalisatrice Lea Glob, (10 mars, Le Mélies, Port-de-Bouc) en partenariat avec V.I.E au féminin et le Centre Plastique Fernand Léger. Une « épopée intime et sinueuse » tournée sur 13 ans. Celui de Zaffan dans  Tiger Stripes d’Amanda Nell Eu où l’adolescente découvre les forces mystérieuses qui travaillent son corps en mutation. Séance au Mazarin à Aix-en-Provence animée par Hélène Breda, spécialiste des représentations de genre. Celui de Maria enfin, dans Il reste encore demain de Paola Cortellesi, proposé le 8 mars à La Ciotat. Un film en noir et blanc, populaire, politique, qui met en scène dans la Rome d’après guerre, une mère de trois enfants, victime des violences d’un mari confondant amour et possession. Un mari semblable à celui de Blanche dans l’Amour des forêts de Valérie Donzelli, proposé le même jour à Port Saint Louis du Rhône en présence de Sophie Aubradour.

Loin du male gaz

Ne pas rater le très beau Smoke Sauna Sisterhood d’Anna Hints (9 mars, la Baleine) qui nous emmène loin de tout male gaze (regard masculin qui sexualise les femmes à l’image) dans un sauna sacré estonien au cœur de récits de femmes. Le très libre et frondeur Losing Faith de Martha Mechow en partenariat avec le FID Marseille et les Artistes en exil (10 mars, Videodrome 2). Le premier film très attendu de Christine Angot, Une famille, décrypté par Dorothée Dussy chercheuse anthropologue (Martigues, 11 mars, La Cascade) et celui de Delphine Girard Quitter la nuit (10 mars, Les Variétés)qui explore l’ « après » d’une agression sexuelle

Deux films du siècle dernier contre le sexisme et le racisme, s’invitent au programme : Les Filles de Mai Zetterling (1968) et Born in Flames de Lizzie Borden (1983). Ils n’ont perdu ni de leur tonus ni de leur portée subversive, rappelant que toute évolution sociale ne peut se faire qu’avec l’émancipation des femmes.

ÉLISE PADOVANI

Projections Plurielles
6 au 11 mars
Divers lieux, Bouches-du-Rhône
videodrome2.fr

Les mots des autres

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MobyDick2018 © X-DR

Bienvenue au pays des mots, là où l’art se découvre comme un roman. Protéiforme et éclectique, Entre les lignes, art et littérature se raconte en une introduction, un préambule historique, un intermède vidéos et cinq chapitres à parcourir au MO.CO et au MO.CO Panacée. Dans les premières salles, l’exposition s’intéresse à la critique d’art en affichant des textes en regard des œuvres qu’ils commentent. S’y croisent Charles Baudelaire et Eugène Delacroix, Émile Zola et Gustave Moreau, Camille  Claudel (dont l’incroyable sculpture La Valse nous envoûte toujours autant) et son frère Paul, mais aussi Paul Valéry, Joan Miró, Simone de Beauvoir, André Malraux… Pour finir avec Gao Xingjian, prix Nobel de littérature et dessinateur. Un intermède audiovisuel donne à entendre une vingtaine d’artistes répondant à la question « Quel rôle la littérature tient-elle dans votre travail et dans votre vie ? ». S’y essaient entre autres Abdelkader Benchamma, Vincent Bioulès, Hervé di Rosa, Jeanne Susplugas… 

Raconter l’irracontable

Vient le cœur même de l’exposition. Plus exactement cinq accrochages très différents, récit choral en cinq chapitres du rapport à l’art contemporain d’écrivains eux aussi contemporain.e.s. Chacun.e avec sa perception de l’art comme de la littérature, son style singulier, sa sensibilité, sa façon de raconter et ses obsessions. Daniel Rondeau, membre de l’Académie française, a choisi de faire découvrir l’oeuvre narrative du peintre espagnol Eduardo Arroyo, Maryline Desbiolles se penche sur le compagnonnage artistique qu’elle mène avec l’artiste Bernard Pagès, Christine Angot demande à l’architecte Patrick Bouchain de recréer un dressing où elle pourrait continuer à raconter l’irracontable. Pour ce qui est de Jakuta Alikavazovic, il est plutôt question de rêverie dans un temps suspendu hors de pensée, tandis qu’avec Jean-Baptiste Del Amo, qui fut un temps montpelliérain, notamment lors de l’attribution du Goncourt du premier roman à Une éducation libertine en 2009, il est question de la façon dont l’art nourrit une écriture dans laquelle le corps, souvent malmené, joue un rôle central. Ainsi, l’écrivain a choisi de parler de ses dernières recherches sur le corps… mort. Les photographies de cadavres d’Andres Serrano prises dans une morgue à New-York dans les années 90, les années Sida, nous laissent sans mots. 

ALICE ROLLAND

Entre les lignes, art et littérature
Jusqu’au 19 mai
MO.CO, Montpellier
moco.art

10 printemps pour Babel Minots

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Babel minots © Naïri

De la musique, des spectacles et de l’émerveillement. Voilà ce que propose depuis 10 ans le festival Babel Minots à destination du jeune et du très jeune public. Porté par Le Nomad’ (à l’initiative du rendez-vous) et Villes des Musiques du Monde, le festival itinérant s’installe dans plusieurs lieux culturels de Marseille : À la Friche la Belle de Mai, souvent, mais aussi au Théâtre de l’Œuvre, à la Cité de la Musique ou au Mucem. Avec pour thème « le respect des droits individuels et collectifs », l’organisation propose une généreuse série de spectacles puisque l’on compte quelque trente compagnies pour cinquante représentations s’étalant du 12 au 23 mars dans la cité phocéenne. 

Enfants gâtés 

Comme chaque année, c’est évidemment la musique qui tient la part belle dans la programmation. Mais de la musique souvent augmentée par l’ingéniosité des artistes invités. C’est le cas avec Histoires sans queue ni tête et de la mirgueta qui danse dans mes fouchettes, de la compagnie Moitié Mitat qui ouvre le bal le 12 mars au GMEM. Spectacle bilingue occitan et français, la musique se crée avec l’aide d’une batterie de cuisine… et d’un vieux vélo recyclé en instrument de musique (dès 3 ans). Le 15 mars, toujours à la Friche mais sur son Grand Plateau, Babel Minots propose Diva Syndicat de la compagnie Mise à Feu, du théâtre musical qui traverse l’histoire de la musique à travers celle des femmes « d’Hildegarde de Binger à Aya Nakamura » et ainsi présenter aux plus jeunes une histoire de la musique souvent oubliée (dès 7 ans). 

Parmi les nombreuses propositions, on notera la journée d’anniversaire du festival qui invite à deux spectacles participatifs. D’abord Rock You ! de Snap Orchestra, un concert entre jazz, groove et hip-hop où les spectateurs sont invités à une expérience d’improvisation collective, puis 123 Sonlive, une version dansante d’1,2,3 Soleil qui prend la forme d’un concours de danse avec juges et un DJ set enflammé. Babel Minots propose également plusieurs ateliers : un de batucada, un autre de DJ ou encore de création de chanson… autant d’initiatives pour éveiller les sens des bambins, et artistes de demain.

NICOLAS SANTUCCI

Babel Minots
Du 12 au 23 mars
Divers lieux, Marseille
babelminots.com

La guitare voyageuse de Thibault Cauvin 

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©Jérémie Dumbrill

Avec son itinéraire d’enfant gâté relaté dans son livre À cordes et à cœur (co-écrit avec François Deletraz), Thibault Cauvin arpente le monde avec maestria, remporte brillamment moult concours internationaux, abolit les frontières, passant d’Astor Piazzolla à Tom Jobim et séduit par son enthousiasme. Il rejoint d’un pas leste la chaise solitaire perdue au milieu du plateau et soudain l’espace se peuple de mondes, de musiques, de rêves et chacun se sent l’âme voyageuse, prêt à découvrir parfums, architectures, peuples, coutumes, lovés au cœur des cartes postales du globe-trotteur qui durant quinze ans a parcouru la planète, ne prenant que des billets simples.

S’accorder au monde

Le jeu fluide au point de faire oublier sa virtuosité aborde le monde, nous conduit de ville en ville, Oulan Bator, Calcutta, Istanbul, conjuguant à la magie des lieux le ton du conte : se profilent les foules animées, la douceur du soir condensée dans un raga, les chevauchées fantastiques de Gengis Khan sur ses chevaux de feu, les rencontres improbables d’un berger dans les coins reculés de montagnes inaccessibles… L’artiste désaccorde sa guitare tout en jouant, la transforme en sitar et nous voici en Inde, puis resserre les cordes et l’on s’évade dans la magie d’autres ailleurs. On croise Tom Jobim, Stéphane Grappelli, Mathias Duplessy, Carlo Domeniconi, Sébastien Vachez. La famille musicienne est mise à contribution : le compositeur Jordan Cauvin, frère de l’instrumentiste, est sollicité pour des arrangements qu’il refuse puis compose, poussé par l’insistance tenace de Thibault qui raconte : « je livre à mon frère des choses disparates et il me renvoie des partitions cinq étoiles ». Naissent sous ses doigts des pépites, une reprise malicieuse de Jeux interditsmon professeur de guitare refusait de faire jouer ce morceau tant il l’avait entendu ânonné et massacré par des générations d’élèves », sourit le guitariste), et une réinterprétation subtile et bouleversante des Trois Préludes de Jean-Sébastien Bach… Avec une pointe de rire dans la voix, Thibault Cauvin réaccorde sa guitare : « j’adore m’accorder, je pourrais faire tout un concert en ne faisant que ça ! ». Même les moments passés au réglage des cordes sont musicaux et prétexte aux mots ! Les légendes familiales se tissent : l’enfant Thibault demande un jour à son père, le compositeur et guitariste Philippe Cauvin, de lui composer le morceau le plus difficile de du monde. L’hyperbole souligne les mythologies personnelles, colore les vagabondages de la guitare. Inépuisable charme des histoires…

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 20 février au Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence.

Frontières voyageuses

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Jarava au Chantier de Correns © Laurent Sondag

Le thème du concert, Voyage au pays d’Orphée, rappelle que le dieu Dionysos et le héros Orphée sont originaires de la Thrace. « C’est une région extrêmement divisée dont les limites ont varié au cours des siècles au gré des conquêtes », explique la chanteuse bulgare mais aussi comédienne, Diana Barzeva, lors de l’entretien mené par Frank Tenaille, directeur artistique du Chantier, en avant-goût de la représentation. Actuellement, la Bulgarie, la Grèce et la Turquie se partagent la région qu’ombragent les monts Rhodopes. Mais « la musique n’épouse pas les frontières actuelles », souligne Kalliroï Raouzeou, chanteuse grecque, pianiste, compositrice. Les quatre musiciens qui accompagnent les deux artistes ont eux aussi suivi un parcours éclectique, si Caroline Guibeau (accordéon, cet « instrument monde » et chant) vient du classique, le percussionniste, Nicola Marinoni a connu des débuts dans le rock, Christian Fromentin (violon, oud) a commencé par une maîtrise en musicologie avant de s’emparer d’une multitude d’instruments du monde, tandis que Jean-Marc Gibert (guitare électrique, bouzouki) s’est d’abord engagé dans des formations pop/jazz avant de se tourner vers les musiques traditionnelles. Chansons bulgares, grecques, de Thrace, de Constantinople, de Macédoine, finement présentées se succèdent, portées par les voix des chanteuses, chacune avec son timbre, son phrasé, son élégance. Les mélodies se tissent avec inventivité, les rythmes impairs glissent vers la danse, les mélismes font voyager les mots, les orchestrations déploient leurs lignes, conjuguent les univers, abordent tous les registres, content, jouent, réinventent les codes. Les musiques vagabondent, infiniment, et redessinent notre monde…

MARYVONNE COLOMBANI

Jarava s’est produit le 23 février au Chantier de Correns.

La chanson française passée à la mitraillette 

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Pochette © Palindrome

Il y a des disques qui se dégustent comme une boite de chocolat. À chaque morceau sa fantaisie, et l’incertitude de ce sur quoi l’on va croquer. Toute la musique que j’haine est de ceux-là. Projet lancé par le label marseillais Cœur sur toi, il invite plusieurs dizaines d’artistes à revisiter des chansons du « répertoire » français, de Patrick Sebastien à Niagara en passant par Renaud ou Jean Ferrat. Il en résulte un formidable charivari de la chanson française passé à la moulinette de jeunes artistes, qui en extirpent l’essence, souvent pour mieux la brûler. 

C’est le cas par exemple avec Dans mon HLM de Renaud, qui devient Y’avait Michel sous les notes de Adolf Hibou en tout début d’écoute. Une caricature en forme de farce loufoque du chanteur parigot. Même perfidie plus loin avec Pendant que les champs brûlent de Niagara qui devient cette fois Pendant que Auchan brûle avec Les berges du ravin.  

Il y a de l’humour et de l’ironie dans ce disque certes, mais il y a aussi de fulgurants coups de fusil musicaux. Comme quand Alex Thagis & Daughters reprend Et si tu n’existais pas de Joe Dassin, avec les violons de la chanson original samplés et repris en boucle, formant une ritournelle joyeusement outrancière avec paroles lues par une voix d’enfant. On adore aussi Jean-Jéjé qui s’accapare Tourner les serviettes, l’hymne beauf par excellence signé Patrick Sébastien, pour en faire une merveilleuse ballade où l’on pourrait presque se laisser aller à l’émotion. Autre pépite avec Fais comme l’oiseau de Michel Fugain qui sous la moulinette de Noir Geezus aurait tout à fait sa place dans un DJ set d’une fin de soirée caverneuse. 

Comme d’habitude avec Cœur sur toi, frénétique label underground marseillais qui sort presque un album par mois, c’est sur cassette que les morceaux sont gravés. Et cet objet se veut déjà collector, puisqu’il n’est pressé qu’à 48 exemplaires, disponible sur commande, avec un fanzine et un « jouet » en bonus.

NICOLAS SANTUCCI 

Toute la musique que j’haine 
Cœur sur toi – 12€
coeursurtoi.bandcamp.com

L’aveu de l’antitsiganisme 

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Inscription sur la chaussée du chemin de Bizet, en contrebas de l’ancienne aire d’autoroute de Saint-Henri, où devait être construit le village d’insertion © X-DR

Le mardi 20 février avait lieu au cinéma de l’Alhambra, à Marseille, une projection du documentaire Une jeunesse rom (2021) de Deborah Da Silva. Le film s’intéresse à la vie en bidonville en France et notamment au combat pour l’accès à la scolarité des enfants roms en suivant plusieurs associations en Île-de-France et à Toulouse. La réalisatrice donne la parole à des jeunes et leurs parents qui racontent leur arrivée en France et la vie en bidonville, le racisme et la précarité, mais aussi et surtout la combativité. Elle suit aussi le travail de l’association L’École pour tous, fondée par l’avocate rom Anina Ciuciu. La projection été suivie d’un débat avec les marseillais qui s’étaient déplacés. Parmis eux était présente la maire des 15 et 16e arrondissements, Nadia Boulainseur, qui a encore un fois témoigné de son indignation face à l’abandon d’un énième projet d’aide aux familles roms. 

En effet, quelques jours avant la projection organisée par les associations Rencontres Tsiganes et Ancrages, le préfet à l’égalité des chances Michaël Sibilleau avait annoncé l’abandon du projet de village d’insertion à Saint-Henri. 

Projet(s) avorté(s)

Les villages d’insertion, apparus en France dans les années 2000, sont des lieux d’accueil temporaires dont l’objectif est d’accompagner les familles, choisies pour y résider, vers le logement individuel et l’emploi. Ce dispositif est souvent décrié par des collectifs comme Romeurope qui dénonce dans son fonctionnement un regroupement des populations dans des formes de ghettos où accompagnement social et contrôle social renforcé se confondent. Au contraire, la coordinatrice de Rencontres Tsiganes et membre de Romeurope Caroline Godard explique vouloir œuvrer pour « un retour au droit commun, sans passer par ces habitats intercalaires ». Elle poursuit : « la raison pour laquelle on est obligé de revenir vers ce genre d’aménagements, c’est la terrible crise du logement qu’il y a en ce moment ».

Le projet était assez mal accueilli par une partie de la population de Saint-Henri. Ils se sont rassemblés le 14 février pour manifester devant l’avis de construction. Nombre d’opposants dénoncent notamment un manque de concertation citoyenne vis-à-vis du projet. Cet argument ne convainc pas la coordinatrice de l’association Ancrages Samia Chabani : « il est important de concerter la population sur certains projets, comme la construction d’une route, mais là on n’est pas en train de créer une nuisance, on est dans le devoir qu’a l’État de mise à l’abri des personnes vulnérables ». Certains propriétaires craignent aussi une dévaluation de leur bien. « Ce n’est pas nouveau cet antitsiganisme, il y a eu la Busserine il y a 10 ans, la mobilisation comités d’intérêt de quartier… » explique Samia Chabani, faisant référence à d’autres projets du même type qui ont avorté par le passé.

« Non au roms »

Quelques jours avant la manifestation, le 11 février, le bitume du chemin de Bizet, en contrebas de l’ancienne aire d’autoroute où devait être installé le village d’insertion, a été marqué de grandes lettres à la peinture blanche : « Non au roms » [sic]. Derrière les oppositions au projet, c’est donc bien d’antitsiganisme dont il est question.

Cette forme de racisme se caractérise par la très large acceptation dont elle fait l’objet dans la société, ainsi que son aspect hautement institutionnalisé et l’inaction des pouvoirs publics. Son caractère essentialiste justifie les discriminations dont sont victimes ces populations, considérées comme n’étant pas « civilisées » et incapables de le devenir. 

Ainsi, leur accès à des ressources normales est compromis. Par exemple, l’un des clichés les plus persistants est leur nomadisme supposé. Cette fausse idée est très largement partagée, y compris chez les travailleurs sociaux qui sont censés les accompagner vers le logement individuel. Comme en témoigne une famille dans le documentaire de Deborah Da Silva, l’accès à un appartement peut aussi être compliqué à cause des violences dont les roms sont encore plus susceptibles d’être victimes en étant isolés. De la même manière, la scolarisation des enfants roms est difficile, en dépit de la volonté des parents. Certains maires ou directeurs refusent l’inscription d’élèves sans domiciliation, bien que ce soit illégal. Il est aussi fréquent que les enfants roms soient victimes de racisme de la part de leurs camarades ou des enseignants qui les stigmatisent en raison notamment des difficultés d’apprentissage liées à leur cadre de vie. 

Il existe des associations et des collectifs qui luttent contre l’antitsiganisme et pour l’égalité des droits, mais ce sont rarement des personnes roms qui les dirigent. En effet, l’une des conséquences de toutes ces discriminations est d’empêcher l’accès de ces populations à la parole publique.

Malgré l’aspect profondément culturel de l’antitsiganisme, les associations insistent sur le fait que la lutte contre ces discriminations ne repose pas sur la compréhension de la culture rom « Je ne défends pas des roms, martèle Caroline Godard, je défends des droits ». 

CHLOÉ MACAIRE