mercredi 17 septembre 2025
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Lézardons dans la rue 

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Une Jungle © Philippe Benaquista

Lézardons dans la rue investit les ruelles ombragées de Pertuis avec plusieurs propositions d’arts de la rue très recommandables. Notamment Deux secondes de la compagnie Petit monsieur qui met aux prises Paul Durand, héros tatiesque engoncé dans son costume trois pièces, avec une sournoise tente 2 secondes. Ou l’incontournable Une jungle de la Compagnie Chao.squirevisite l’allégorie dansée du nomadisme, une femme et un homme, bousculés par les événements de la vie, tour à tour rivaux ou soutiens l’un de l’autre, véhiculant une émotion brute. Et les maîtres ès-pyrotechnie Karnavires avec Feu de tout bois

En ce week-end de Fête de la musique, plusieurs rendez-vous musicaux auront également lieu dans l’espace public, fédérateurs et transgénérationnels, organisés par le Conservatoire de Pertuis.

Du 20 au 22 juin
Divers lieux, Pertuis

« Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution par temps de crise. »

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Cette phrase de Brecht le condamna aux yeux des démocraties occidentales comme antidémocrate stalinien. Elle dit pourtant son expérience d’artiste victime du nazisme, qui a vu et décrit l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Et elle est hélas, au vu des attaques que subit le monde culturel, un avertissement sinon un présage : la démocratie, qui est bien le seul régime souhaitable, est aussi le plus fragile face aux assauts des fascistes, c’est à dire de ceux qui nient les droits humains, pratiquent la répression violente de leurs opposants, la persécution catégorielle et la guerre de conquête.

Force est de constater qu’il existe une continuité entre les attaques culturelles libérales et celles de l’extrême droite, aujourd’hui aux portes du pouvoir en France, et à l’œuvre aux États-Unis.

Le capitalisme libéral veut rentabiliser la culture, et refuse de la considérer comme un service public. Contre elle, la gauche et les syndicats, se battent pour maintenir les conquis sociaux du secteur, du régime de l’intermittence, des financements croisés concertés. 

Ils luttent pour des avancées nécessaires, comme garantir la rémunération des travailleurs de la culture et non de ceux qui exploitent leurs contenus : les droits des artistes-auteurs et la continuité de leur revenus pourraient être assurés par une taxation des Gafam sur les contenus artistiques qu’ils diffusent, et leur redistribution en droits d’auteurs directs et indirects. Et la décentralisation effective des moyens du ministère de la Culture est urgente, et ne peut se résumer à de ridicules financements estivaux dans les campings…  

Mais cette crise libérale se double aujourd’hui d’une inquiétante avancée des idées de l’extrême droite, jusque dans les discours et les pratiques de collectivités de gauche.

« Quand j’entends le mot culture, j’arme mon revolver »

La phrase célèbre est celle d’un écrivain nazi, Hanns Johnst, dans une pièce écrite en 1933 pour l’anniversaire d’Hitler.

La violence de la suppression des financements culturels par la Région Pays de la Loire (LR) ou par le Département de l’Hérault (PS) relève bien d’une volonté de destruction. Il s’agit bien d’armer un revolver plus que symbolique.

Cette violence est rendue possible par un travail préalable d’emprise sur les esprits, poussé à bout par les réseaux d’extrême droite, de Musk ou Bolloré, mais utilisé bien en amont par les industries culturelles et médiatiques. Elles ont appris à utiliser d’autres armes que la violence d’Hitler pour provoquer la crise démocratique nécessaire à leur accès au pouvoir, celles que  Günther Anders décrivait en 1956 comme la continuation du nazisme

« Pour étouffer toute révolte, les méthodes archaïques d’Hitler sont complètement dépassées. Il suffit juste d’user […] de persuasion et non de violence directe : on diffusera massivement via la télévision, des divertissements abrutissants, flattant toujours l’émotionnel, l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique, avec du bavardage et une musique incessante. »

C’est pourquoi le combat culturel se mène aujourd’hui sur deux fronts politiques : 

Celui d’une reconquête d’un service public de la culture, des réseaux médiatiques et d’information et de l’espace public.

Celui d’un combat sans merci pour affirmer la liberté de création et valoriser la pluralité des cultures, et en particulier des cultures discriminées, cultures minoritaires et de l’exil, qui permettent de sortir des replis identitaires.

AgnÈs Freschel


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Le Château de notre père

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En cette année Cézanne 2025, l’ouvrage documenté et attachant de William Drea Adams et Thierry Maugenest s’impose comme bien plus qu’un simple catalogue d’exposition. Cézanne à Château Noir n’est pas un simple portfolio ou récit biographique : c’est une enquête sensible et richement documentée sur la relation artistique du peintre à ce lieu singulier, niché au Tholonet. Château Noir, étrange bâtisse aux allures de repaire gothique, hante l’œuvre cézannienne comme un motif récurrent et puissant. C’est là, au pied de la Sainte-Victoire, que Cézanne trouvait un refuge mental, une matrice formelle. Les deux auteurs, qui ont eu accès à la propriété pour nourrir leurs recherches, retracent avec précision l’histoire du site et dévoilent l’ampleur de cette fascination. Et s’attardent sur l’héritage esthétique mais aussi philosophique du rapport unique noué entre le peintre et ses lieux de contemplation.

Paysages intérieurs

L’ouvrage revient aussi, au détour de ses observations, sur des points méconnus, à commencer par l’orthographe même du nom du peintre, évoquée en ouverture : c’est la capitale parisienne qui aurait imposé l’accent, absent en Provence. Plus largement, le livre explore les prolongements de l’héritage cézannien. Marsden Hartley, Léo Marchutz, Tal Coat, André Masson, mais aussi des penseurs comme Merleau-Ponty ou Heidegger : tous se sont confrontés à la modernité de son regard. L’ouvrage donne également la parole à des artistes contemporains – Miriam Hartmann, Alan Roberts, Jill Steenhuis, entre autres – pour montrer à quel point cette œuvre, loin d’être figée dans le mythe, continue d’inspirer. Fabienne Verdier, héritière libre ornant la quatrième de couverture de sa splendide Sainte-Victoire sous la neige, s’y livre notamment dans une interview passionnante.

Porté par une écriture claire et une approche généreuse, ce livre prolonge admirablement les expositions et événements de l’Année Cézanne. Il s’impose comme une lecture essentielle pour qui veut comprendre le lien profond entre un peintre et son paysage intérieur.

Suzanne Canessa

Cezanne à Château Noir, L’histoire d’une fascination, 
William Drea Adams & Thierry Maugenest
Editions Hervé Chopin, 256 pages, 49 €

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« Peacock » : la tragi-comédie des apparences

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Avez-vous besoin d’une mise en scène qui vous fera passer pour un héros aux yeux des autres ? D’un spécialiste de musique contemporaine que vous présenteriez comme votre ami pour éblouir vos invités ? D’un coach en dispute pour tenir tête à un mari autoritaire ? Ou même d’un fils pour faire votre éloge et favoriser votre élection à la tête d’un club huppé ?  Aucun problème, la société  Mon CompagnonAmis à louer, vous procure un professionnel. Pas un comédien, précise-t-on, puisqu’il interviendra dans la vraie vie, mais quelqu’un qui jouera le rôle ! Dans cet emploi, Matthias (excellent Albrecht Schuch) est le meilleur. Il accumule sur le Net les avis favorables. Son patron, David ( Anton Noori) le comble d’éloges et de gros câlins.

Blond, menton rasé, moustache peignée, aussi lisse que son brushing, aussi insipide qu’un animateur de télé-réalité, Matthias endosse la personnalité que ses missions exigent de lui, n’en ayant que très peu dans la sphère privée. Sa maison luxueuse est un univers design, clinique, high-tech, chic et toc, fait pour épater les visiteurs, et dirigé par la domotique. Lui même semble être le robot parfait tel que la science fiction l’a parfois imaginé. Coque vide, sans avis, sans sentiment, passif. Il faudra que sa femme (Julia Franz Richter), lasse de cette inauthenticité chronique et de l’ennui qu’elle génère le plaque, pour que l’humanité revienne peu à peu chez Matthias et déstabilise son petit monde. Le grain de sable introduit dans le mécanisme impeccable de sa vie va déclencher un enchaînement de gags, drôles et grinçants.

Comédie noire, satire sociale dans la lignée de Ruben Öslund et Yórgos Lánthimos, Peacock  se distingue par son écriture au cordeau. Rien n’est laissé au hasard. Rien n’est gratuit. Des couleurs de style publicitaire à la symétrie obsessionnelle des plans. De la topographie de la villa de Matthias où on descend par un large escalier à la piscine trop bleue pour être honnête. D’un plombier-femme appelée par erreur à un chauffe-eau devenu menaçant. D’une performance de peinture corporelle à l’incroyable final dans un château-spa … Tout concourt à une réjouissante efficacité.

A l’instar de la musique du jeune compositeur Lukas Lauermann  qui dialogue avec l’image, épouse les ruptures de ton, compense ou contredit.  Là où les émotions sont en rétention, les cordes vont chercher la vibration. L’orchestration, le décalage.

Le titre : Peacock renvoie à l’irruption d’un paon dans un centre de bien-être pour riches cadres en burn out, où on pratique la méditation sur pelouse et le qi jong nudiste. Le paon et sa roue « pathétique », est accompagné tout au long du film d’un bestiaire tout aussi symbolique : chiens de location décoratifs, ours polaire statufié dans l’entrée glacée de la maison, canard tombé dans le break noir de Matthias.

Le réalisateur autrichien, très pince sans rire,  souligne l’absurdité du théâtre social, s’aventure dans le thriller, le surréalisme. Il brode avec causticité mais sans méchanceté, le fil du vrai et du faux.

Suis-je réel ? se demandera Matthias. Fausses larmes et vraie détresse. Rires jaunes, et final ambigu : le protagoniste se libèrera peut-être mais la société reste empêtrée dans les faux semblants, les faux récits.

ELISE PADOVANI

 Sortie 18 juin

Prix de la mise en scène MCM 2025

Les yeux en Ukraine

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(C) Léopard Films

Des images de la Russie d’il y a 15 ans, et une voix off commente ironiquement. « J’ai pris le Transsibérien par soif de liberté, idée assez farfelue… Le wagon restaurant sert aux heures de Moscou, car on ne contredit pas Moscou surtout quand on est une petite république… » Cette voix qui semble parler tout près de nos oreilles, tantôt moqueuse, tantôt ironique voire sarcastique, mais toujours engagée, va nous accompagner tout au long du documentaire d’Antonin Peretjatko,Voyage au bord de la guerre.

Tout commence le 24 février 2022, quand la Russie envahit l’Ukraine. D’origine ukrainienne, le réalisateur décide d’aller sur-place, et filmer avec une caméra 16mm pour « déjouer le formalisme et la façon de penser » du numérique. Il part donc le 15 mai, 6 h du matin, avec son ami, Fred Karali et Andreî, un instituteur  réfugié ukrainien, retournant à Lviv pour récupérer  quelques affaires. Ils vont traverser l’Europe et arrivent dans un pays en guerre, une guerre « invisible et omniprésente », la nouvelle figure de la guerre « entre Verdun et Star Wars ». 

De longs travellings en voiture en montrent les traces, les cicatrices de plus en plus visibles : immeubles éventrés, façades en dentelles, barrages routiers, rues désertées. On va de ville en ville, Kyiv, Kherson, Marioupol, Boutcha… Les Ukrainiens rencontrés au cours du voyage racontent leur guerre, parlent des soldats russes : Certains tiraient sur les gens pour s’amurer, d’autres volaient des robinets, ou demandaient s’ils pouvaient regarder des VHS.

Ruslan le directeur de l’école de marionnettes de Kiev était à Boutcha au moment de l’attaque et évoque ses élèves qui lui demandaient conseil pour s’échapper de cet enfer. Ella,la poète, traductrice et musicienne partie d’Irpin un jour avant la guerre, évitant ainsi l’exode, n’a retrouvé à son retour que des plantes mortes, de la poussière et la tristesse de ne pouvoir se balader en forêt à cause des mines : « Il reste des photos avec des trous à la place des visages » plan récurent du film.

« La recherche de ses racines est un piège où on risque de s’enfermer en cherchant quelque chose qui n’existe plus. L’exode nous coupe de nos origines. On devient étranger partout », confie le cinéaste qui a renoncé à retrouver le village de son grand-père et qui a vu tout au long de son voyage beaucoup de candidats à l’exil forcé ou volontaire.

Des images de guerre, on en voit hélas beaucoup : « Etrange attrait qu’ont les hommes pour les catastrophes, pleurs sang, mort, bombes, destruction ! », mais tout l’intérêt de ce voyage au bord de la guerre est le choix qu’a fait le cinéaste de prendre le public par la main avec tendresse, de nous montrer les traces, de nous faire rencontrer des gens qui ont vécu, vivent encore ce drame, nous incitant à ne pas fermer les yeux

ANNIE GAVA

Voyage au bord de la guerre, Antonin Peretjatko
En salles le 18 juin

« Loveable » : divorce à la norvégienne

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« C’était l ‘été, pendant une fête. J’y étais allée avec une amie… et soudain il était là » : Une jeune femme raconte son histoire d’amour. La cristallisation sur le mode « Ce fut une apparition ». Ses stratégies de séduction pour conquérir ce beau célibataire désirable qui ne s’attarde guère dans une relation  A qui s’adresse-t-elle ? On ne le saura que bien plus tard.  Elle, Maria (Helga Guren) est divorcée, a quarante ans et deux enfants en bas âge. Lui,  Sigmund (Oddgeir Thune) – qui porte le même prénom que Freud, est libre, entouré d’amis et d’amoureuses. La romance-passion commence. Sept ans plus tard, Maria est au supermarché, avec deux enfants en plus. Les deux premiers sont devenus des ados en crise. Conflits avec eux, avec son ex. désinvolte. Tâches domestiques chronophages et ingrates qu’elle assume seule, en l’absence de Sigmund en déplacement depuis deux mois. Elle n’y arrive plus. Ils ont convenu de travailler chacun leur tour. Mais submergée par ses charges et responsabilités, elle ne trouve pas de boulot. Sigmund revient. Sigmund va repartir.  Dispute et premier claquement de porte. Il y en aura de nombreux dans le film.

Maria quitte le foyer. Elle aime toujours Sigmund et souffre de son acceptation tranquille de cette séparation. Ne me quitte pas, chante une artiste de rue. Dans le feutré de la société et des élégants intérieurs scandinaves, dans lesquels nous enferme la mise en scène, on médiatise la violence par la parole et la thérapie.

Rembobiner le film

A ce stade, le spectateur – surtout si c’est une spectatrice, pris.e dans cette histoire des plus banales, entre les deux conjoints-disjoints prend le parti de Maria contre cet égoïste de Sigmund. Sauf que ce n’est pas si simple et que la réalisatrice au fil des conversations entre Maria et sa psychologue, rembobine le film. Au propre comme au figuré : on revoit les scènes conjugales, comme si on revenait sur les lieux du crime dans un polar. Et ça devient plus intéressant. Un peu comme dans Anatomie d’une chute, sans la complexité de ce film, sans chute ni cadavre mais avec la même volonté d’explorer le récit conjugal contradictoire par essence. D’aller jusqu’à une vérité qui fait mal. La réalisatrice ne s’intéressera qu’à Maria, explorant ses rapports avec sa mère (Elisabeth Sand)  avec sa fille aînée (Maja Tothammer-Hruza) laissant dans le flou  Sigmund qui aurait peut-être mérité plus d’attention. Car il faut être deux pour rater un mariage. Et le prince charmant a ses propres névroses. Le mélodrame psychologique se concentre sur elle qui  va devoir calmer sa colère, et surtout en trouver l’origine. Apprivoiser sa peur de l’abandon et comprendre les comportements vicieux qu’elle engendre : repousser pour retenir. Si je fais en sorte que l’autre se sente mal et que je  lui laisse croire que c’est de sa faute, il va penser que je vaux mieux que lui, qu’il est moins bien que moi. Il ne s’apercevra pas que je suis mauvaise et il restera. S’aimer pour pouvoir aimer.  Accepter de recevoir pour pouvoir donner. La leçon n’est pas bien neuve mais par la justesse de son casting, et son style maîtrisé, ce premier film made in Norvège parvient à nous prendre dans ses rets.

ELISE PADOVANI

Loveable de Lija Ingolfsdottir : Grand Prix du Jury, Festival du Film les Arcs / Prix d’Interprétation pour Helga Guren, Festival du Film les Arcs. En salles le 18 juin.

Au chevet de notre temps

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Depuis 1994, les Rencontres d’Averroès, fondées par Thierry Fabre à Marseille, proposent de « penser la Méditerranée des deux rives ». Historiens, écrivains, chercheurs, y ont exploré ensemble les nœuds de notre présent, à la lumière des héritages croisés de l’Europe et du monde arabo-musulman. Cette agora annuelle, unique en France, a fait de Marseille le théâtre vivant d’un dialogue intellectuel exigeant, populaire, résolument ancré dans le réel, qui perdure perdure aujourd’hui avec « Les Nouvelles Rencontres d’Averroès »

C’est dans ce sillage que s’inscrit l’ouvrage de ce chercheur en sciences politiques, paru ce mois de mai aux éditions Riveneuve : Faut-il brûler Averroès ? Ce qui nous arrive. Un livre court mais dense, lucide et éclairé par des années de débat. Thierry Fabre y convoque de nouveau la figure du philosophe andalou du XIIe siècle, non comme un monument figé, mais comme une force vive : un antidote aux passions identitaires qui rongent nos démocraties.

Alors que l’Europe bruisse de discours sur la « remigration », que l’extrême droite se banalise jusqu’aux sommets de l’État, Thiery Fabre rappelle ce que l’Occident doit à ceux qu’il rejette aujourd’hui. Averroès, Maïmonide, les traducteurs syro-arabes de l’Antiquité grecque : tous ont nourri ce que l’on appelle encore, un peu rapidement, les « Lumières ». Et l’Occident ne saurait se penser, dans sa construction même, comme le bloc artificiellement délimité a posteriori par ses laudateurs.

Mais au-delà du rappel historique, l’essai est un cri politique. Le monde se cabre, les murs montent, et la colère des peuples, abandonnés par une mondialisation brutale, devient le carburant d’une crispation identitaire et d’une nouvelle réaction autoritaire. Fabre n’en minimise pas la portée. Sa section centrale, « Nous sommes tous d’ici, faisons semblant » ne passe sous silence aucune des impasses s’imposant à nous aujourd’hui. Ce qui nous arrive n’est pas une simple rechute du XXe siècle : c’est une mutation. Et elle demande, pour être affrontée, une pensée à la hauteur.

Avec sa prose sobre, tendue, presque nue, Fabre nous invite à « inscrire notre présent dans d’autres généalogies ». Non pour fuir la réalité, mais pour l’armer autrement. La Méditerranée qu’il défend n’est pas un folklore, c’est une promesse de civilisation tissée dans l’hospitalité et le dialogue. Dans une époque où « Vous n’êtes pas d’ici » est devenu mot d’ordre, « Nous serons tous d’ici » devient, sous sa plume, une résistance. Un projet. Et peut-être, déjà, un avenir.

SUZANNE CANESSA

Faut-il brûler Averroès ? Ce qui nous arrive
Thierry Fabre
Éditions Riveneuve

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La Ligne de Crête d’Alexandra Pitz.

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Alexandra Pitz, plasticienne
Alexandra Pitz, plasticienne à la Galerie Zemma @AMT

La plasticienne allemande est exposée à la galerie Zemma (Marseille) jusqu’au 19 juin.

Alexandra Pitz compose ses œuvres dans les paysages entre la montagne Sainte-Victoire et les monts Auréliens. Elle y puise les matériaux, « trouvailles » qui les composent : vieux bois meurtris, fragments de ferraille abandonnés, pierres chauffées au soleil. Ce ne sont pas de simples accessoires, mais une matière qui vit et qui exprime la Provence et les paysages secs et puissants.

Plasticienne, scénographe et costumière d’origine berlinoise Alexandra ne cherche ni à représenter ni à expliquer. D’ailleurs elle ne donne aucun titre à ses créations « laissant le spectateur faire son propre chemin, poser son propre regard ».

Dans sa dernière exposition intitulée Ligne de crête, présentée à l’atelier-galerie Zemma, rue Sainte à Marseille, Alexandra Pitz transforme l’espace en matière brute. Elle utilise le métal, la pierre, des clous, le latex pour façonner des têtes, sur des socles à chapeau sans yeux, sans bouche mais « que l’on peut toucher ».

Fières, désespérées, amoureuses ou lascives, elles possèdent chacune l’expressivité due au travail du latex qui continue à modeler à leur insu « dans un processus qui m’échappe », même lorsque Alexandra n’intervient plus. Elles semblent avoir chacune leur vie propre même si toutes fonctionnent ensemble, pièces poétiques d’une même famille de figures cabossées.

La scénographie de l’exposition, petit « cabinet de curiosités » a été minutieusement pensée par Alexandra qui a même réalisé en amont une maquette au 1/20 e des deux salles d’expositions avec chaque mini œuvre installée à la bonne place. Elle ne forme pas un simple décor mais devient personnage, déambulation qui semble puiser dans des heures sombres. On y ressent du désarroi mais aussi une immense douceur et de la fluidité. Et même les « têtes » les plus surprenantes, celles accablées par des pansements, « dans mon purgatoire » sont pleines d’humanités.

Anne-Marie Thomazeau

Galerie Zemma : 40 rue sainte : jusqu’au 19 juin


« Imago » : Retour au père

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C’est à Deni Oumar Pitsaev, un cinéaste tchéchène exilé au Kazakhstan puis en Russie avant de se réfugier à 17 ans en France, que Julie Gayet, présidente du Jury, a remis l’Œil d’or 2025, un prix décerné à un documentaire choisi parmi les différentes sections du Festival de Cannes.

Imago est une auto-fiction qui confronte la réalité objectivée par la caméra à une perception plus intime, un voyage dans l’espace et le temps où le réalisateur-acteur passe d’une étape « larvaire » à un stade plus abouti peut-être. Le mot « Imago » renvoie à la fois à la psychologie : la représentation mentale inconsciente d’une personne proche qui structure l’enfant dans son rapport futur aux autres. Et à la biologie : le stade final d’un individu dont le développement passe par différentes phases.

Convoquant toute sa famille qui entre avec une confiance touchante dans le jeu subtil du cinéaste, Deni Oumar Pitsaev à travers de longs échanges aborde des sujets comme la filiation, le sens de la vie, la transmission, la liberté face à la responsabilité de l’individu dans le groupe. A ces thèmes universels s’ajoutent ceux de l’exil d’un peuple malmené par le « grand frère russe », frappé par les guerres, non comme un arrière-plan historique mais comme le substrat du roman familial.

Le film commence à Bruxelles par un coup de téléphone. Déni est attendu en Géorgie par ses oncles, tantes, cousins dans la vallée de Pankissi, frontalière de la Tchétchénie. Là, depuis deux siècles les Tchétchènes ont trouvé refuge. Sa mère, qui veut que ce fils « artiste » et quadragénaire, se marie, fonde un foyer, s’enracine au sens propre du mot dans sa communauté, lui a acheté un beau terrain face aux montagnes. Il doit y bâtir sa maison.

Pour Deni, ce sera une cabane perchée dont il a fait les plans. « La maison de Baba Yaga » se moquera sa tante en les découvrant, et « qui plaira aux touristes », ajoute-t-elle. Une maison qui dit implicitement son refus de s’ancrer dans cette terre.

Les retrouvailles avec sa famille, permettent au cinéaste de faire entendre les valeurs, les rêves, les espoirs, les regrets de ces gens. Un cousin enrichi vante la Géorgie et le bio et se construit un vrai palais pour accueillir une foule d’enfants. Les femmes rappellent le système patriarcal, les interdits religieux et le poids des traditions. L’idée fixe de la mère pour marier Déni tourne au comique. Mais c’est l’arrivée du père qui fait basculer le film dans la palpable et bouleversante douleur du cinéaste. Un père si peu connu, resté au pays quand sa femme l’a quitté emmenant Déni avec elle. Qui a refait sa vie, a donné à Déni deux demi-frères. Fils et père se retrouvent seuls dans la forêt et c’est sans doute la plus belle séquence du film. Déni lui demande des comptes. Le père lui raconte sa version de sa séparation, les raisons de son absence. Il voit bien que son fils, s’il parle encore la langue, « ne pense plus tchétchène » et qu’ils ne peuvent pas vraiment se comprendre. Moment tout en pudeur et retenue où se perçoivent les blessures de chacun.

ELISE PADOVANI

Rencontre donnée le 10 juin à La Baleine, Marseille.
Sortie nationale le 22 octobre.

« Et la vie va »… au Mucem

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« Patchwork : Ouvrage de couture rassemblant des carrés de couleurs et de matières différentes. Au figuré : Assemblage d’éléments hétérogènes. »

 C’est un peu à quoi on peut songer en voyant le dernier documentaire d’Abraham Segal,Et la vie va. Un patchwork cousu par le fil que tient une femme, désignée au générique par l’enquêtrice, Pauline Roth, sa collaboratrice, déjà sur un de ses films précédents, Enseignez à vivre. Ici, ce sont des morceaux de vie qu’Abraham Segal a recueillis, chargés de souffrance, de morts, d’exils mais surtout de solidarité, d’aides, d’engagement et de foi en un monde meilleur. Des fragments qui réconfortent à un moment où l’on voit de plus en plus s’installer des idées d’exclusion, de rejet ou d’enfermement.

L’enquêtrice est d’abord à Calais où Juliette Delaplace du Secours Catholique évoque le naufrage du 24 novembre 2021 qui a coûté la vie à une trentaine de personnes. On visite l’entrepôt multi associatif d’aide aux migrants. « Personne ne voudrait quitter sa maison à moins d’en être chassé jusqu’à un autre rivage. » On est emmené ensuite dans la région parisienne : à Bobigny, des réfugiés politiques pansent leurs blessures en jouant sur scène les violences subies ; à la Courneuve, c’est autour de la couture que se créent des liens pour ceux qui ont tout perdu. Direction Marseille, au Mucem où l’on voit de jeunes, réagir devant une exposition de dessins d’enfants qui ont été confrontés à la mort. « On peut apprendre aux gens à être meilleurs ! » suggère un jeune garçon.

On rencontre Ernest-Pignon Ernest qui parle de son travail autour de ces dessins puis on le revoit à Naples expliquant ses choix d’affichage. On écoute des extraits de Pourquoi la guerre ? de Freud lus par Florence Delay. Et un témoignage d’un rescapé du Bataclan, Gaetan Honoré qui se reconstruit en trouvant du beau avec ceux qu’il aime. Autre combat à mener : la défense du vivant, c’est ce que fait l’association Mer veille qui se bat contre la pollution de la mer, recueillant les déchets qui encombrent les fonds. Des chercheurs aussi s’engagent tels François Gemenne qui pose les enjeux d’un élargissement de nos frontière,  tout comme le réseau Hospitalité dont Jean Pierre Cavalié, son fondateur explique les actions. Témoignent aussi des soignants pour qui la période covid a été riche d’enseignement humains. Moment où la mort était là certes mais la vie aussi. Eros et Thanatos ! Si les dernières pièces du Patchwork sont des images de guerre, d’incendies, d’explosions, d’inondations, des gens œuvrent à ce qu’Eros l’emporte. Mais qui peut prédire l’issue ? Et la vie va, un travail soigné, cousu main et très humain.

ANNIE GAVA

La projection sera suivie d’un débat animé par  Elisabeth Cestor, chargée de programmation au Mucem, avec Jean-Pierre Cavalié, Fondateur du Réseau hospitalité dans la région Sud, Floris Césano,  Responsable de l’association Mer Veille pour la dépollution des fonds marins, Sébastien Thiéry, Architecte et artiste, concepteur du Navire Avenir pour le sauvetage des migrants et Melissa Blanchard, Anthropologue au CNRS et bien sûr, Abraham Segal.