dimanche 9 novembre 2025
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Pluie de films à l’ACID

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La Vie après Siham (C) Météore Films

« Résister en donnant une vraie chance à tous les films d’être vus. » Ce mot d’ordre signé en 1991 par 180 cinéastes a donné naissance à l’ACID un an plus tard. Une section parallèle du Festival de Cannes de neuf long-métrages, fictions et documentaires, souvent sans distributeur, choisis par une quinzaine de cinéastes de l’association. Depuis quelques années, Paris, Lyon et Marseille, puis Nantes, proposent en automne des reprises de cette sélection.

Cette année à Marseille ce sera aux cinémas Les Variétés, La Baleine et Gyptis que seront présentés du 3 au 5 octobre six films.

Au programme

Le premier, le 3 octobre à 20 h aux Variétés : La Vie après Siham de Namir Abdel Messeeh, un film sur l’apaisement, après un deuil ; une histoire familiale entre l’Egypte et la France, avec le cinéma de Youssef Chahine comme compagnon.

Le lendemain, trois films : à 16 h au Gyptis, Drunken noodles de Lucio Castro, une ode à la sensualité où l’on suit les pérégrinations d’Adnan, étudiant en art venu passer l’été en stage dans une galerie new-yorkaise, ses rencontres éphémères, artistiques et érotiques.

À la Baleine à 18 h, Entroncamento de Pedro Cabeleira où l’on accompagne Laura venue dans cette petite ville portugaise pour fuir son passé et se reconstruire même s’il n’est pas facile d’échapper au déterminisme lié à ses origines.

À 21 h à la Baleine, Laurent dans le vent du trio de cinéastes Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon – qui avait réalisé Mourir à Ibiza. L’histoire de Laurent, 29 ans, qui, cherchant un sens à sa vie, atterrit dans une station de ski déserte hors-saison et rencontre des gens, solitaires, qui ne demandent qu’à parler.

Pour finir ce weekend cinématographique, le dimanche à 15 h aux Variétés, La Couleuvre noire d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux, un film tourné dans les paysages lunaires du désert de la Tatacoa, en Colombie. Et au Gyptis à 18 h, Nuit Obscure – « Ain’t I a child ? », dernier volet de la trilogie de Sylvain George, qui montre le parcours de jeunes exilés dans les nuits d’un  Paris en noir et blanc

L’occasion de voir des films dont certains ne sortiront peut-être pas en salles. Un seul regret, et pas des moindres, pas un seul film n’est signé par une réalisatrice !

ANNIE GAVA

La sélection de l’ACID
Du 3 au 5 octobre
Cinémas Les Variétés, Gyptis, La Baleine
Marseille

Occitanie : Un double désir d’héritage et d’innovation »

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De gauche à droite - Hofesh Shechter, Dominique Hervieu, Pierre Martinez et Jann Gallois © Laurent Philippe

Zébuline : Vous êtes désormais quatre codirecteurs de l’Agora de la danse. Comment avez-vous construit cette direction à quatre ? 

Pierre Martinez :  On travaille ensemble, Dominique et moi, depuis un moment ! On a élaboré pour le COJO l’Olympiade Culturelle à l’échelle nationale. Après novembre 2024, on a voulu continuer ensemble l’aventure, à Montpellier.  On a contacté Hofesh Shechter puis Jann Gallois qui ont immédiatement dit oui, et on a répondu à l’appel à projet à huit mains. On est venus tous les quatre, le 10 avril dernier, le présenter, on a été retenus le soir même.

Vous vous inscrivez dans une histoire exceptionnelle, celle d’un Centre Chorégraphique National celle du festival Montpellier Danse. Comment pensez-vous écrire la suite ? 

Dominique Hervieu : On est vraiment dans un double désir d’héritage et d’innovation. Cette histoire chorégraphique et esthétique a été écrite par trois artistes majeurs, Dominique Bagouet puis Mathilde Monnier et Christian Rizzo, et un programmateur exceptionnel Jean-Paul Montanari. Paradoxalement, une telle histoire n’est pas un poids, elle permet de continuer. Et d’innover en explorant de nouvelles possibilités, en faisant un pas de côté. Les fondations si solides de cette maison ne sont pas embarrassantes…

Qu’est-ce que le rapprochement du CCN et du Festival, situés jusqu’ici dans deux ailes distinctes de l’Agora, apporte concrètement au projet ? 

DH : En fait, cela est déjà opérant. L’écosystème de l’Agora est désormais unique en Europe, avec une chaîne qui rassemble tous les maillons de la vie chorégraphique. Les liens que l’on peut tisser entre les missions de création et de diffusion du CCN et celles d’un festival de danse majeur sont infinis. Le master Exerce dispensé ici est le seul master de création chorégraphique en Europe, et le festival va permettre aux étudiants de côtoyer des chorégraphes majeurs. 

PM : Ce rapprochement est bénéfique au niveau esthétique mais aussi politique : la Métropole de Montpellier envisage la culture comme un levier de développement du territoire, un levier économique, humain et social. Cette fusion est née de cet intérêt politique pour la vie artistique, et en particulier pour la danse. Il y a une vraie volonté que Montpellier soit une capitale européenne de la création chorégraphique. Aujourd’hui cette ambition est affirmée par l’ensemble des tutelles, État, Métropole et Région. 

Y compris, dans un contexte budgétaire de restriction, au niveau de vos budgets ? 

PM : Oui, nous avons l’assurance de conserver les moyens actuels des deux structures. Pour le développement, il faudra aller chercher ! Et s’inscrire davantage dans les réseaux de diffusion.

Tout en développant une véritable saison… 

DH : Oui, qui se construit à partir de deux ADN. On va recevoir à l’année les grands formats de Montpellier Danse, et l’émergence, dont les étudiants d’Exerce, auront toute leur place durant le festival. La programmation du festival 2026 est encore en partie celle de Jean-Paul Montanari, mais nous allons avoir un plus grand pourcentage d’œuvres en création, et une diversité d’esthétiques qui ira du flamenco à l’expérimental. Autre fait nouveau : nous nous inscrivons en partenariat avec les autres institutions de la ville. Avec la Biennale Euro Africa, avec Mouvements sur la ville… Nous voulons aussi initier une offre gratuite en espace public, et faire venir les habitants dans l’Agora.

PM : Notre projet repose sur deux valeurs : ouverture et diversité des esthétiques. Il y a un désir que ce lieu soit physiquement ouvert, que l’on puisse le traverser de la rue Sainte Ursule à la rue Louis Blanc, que la cour devienne un lieu de passage et de pratique, qu’on puisse y danser. C’est important que ces portes soient désormais ouvertes…

Vous parlez de diversité d’esthétiques, mais votre codirection paritaire et votre programmation mettent en œuvre d’autres diversités… 

DH : La diversité de genre est évidemment primordiale, comme la diversité des cultures et des classes sociales. Mais les artistes ont aujourd’hui un vrai regard sur cela, ils prennent en charge dans leurs œuvres ces questions de société. 

Jann Gallois et Hofesh Shechter ont-ils le temps, concrètement, d’assumer cette codirection ? 

PM : Jann est là à plein temps, dans un schéma de codirection classique pour une artiste. Avec Hofesh nous devons inventer autre chose…

DH : Il était là cet été, la semaine dernière, et passera un mois avec sa compagnie en résidence en février. Il a deux compagnies et à Montpellier nous accueillons celle qui regroupe huit jeunes danseurs internationaux, qui reprennent ses œuvres créées avec la compagnie 1. Mais son carnet de tournée est très lourd aussi ! Hofesh est aujourd’hui un des top five mondial de la danse en termes de public touché, mais il est à un moment de sa vie où il veut que son impact esthétique et relationnel s’exerce sur un territoire et ses habitants. Un moment de maturité où il veut un point de repère, dans une ville qu’il trouve belle et qui provoque chez lui une vraie curiosité. 

Entretien réalisé par Agnès Freschel


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Deux soirs au Blues Roots Festival

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Sue Foley sur la scène du festival © François Colin - Ville de Meyreuil

C’est dans un paysage des plus cézanniens que se déroule le festival de blues de Meyreuil, avec une montagne Sainte-Victoire teintée de rose au coucher du soleil. La programmation fait la part belle à des artistes internationaux si bien que l’on se demande si l’Arc ne pourrait pas être un affluent du Mississippi ! Ou même du Rio Grande : le premier soir la programmation alignait en effet deux formations texanes. 

Deux soirs, deux continents

Le chanteur/guitariste Mathias Lattin, à la tête d’un power-trio, a délivré un set incandescent et exigeant, avec des inclinations jazzy bien senties : voix mezzo-soprano soulful, jeu de guitare virtuose évoquant Wes Montgomery, avec un bassiste et un batteur qui l’accompagnaient sur des grooves évocateurs de la Motown ou de Stax, sans oublier quelques accents hispaniques – proximité du Texas avec le Mexique oblige. La chanteuse Sue Foley, elle, a conquis le public à la tête d’un quintet jouant aussi bien avec les codes du rock’n’roll tex-mex que ceux du jazz (le guitariste cite Charlie Parker lors d’un solo). En maîtresse femme, cette musicienne/chanteuse originaire du Canada se lance dans des joutes guitaristiques débordantes de pentatoniques avec ses compagnons de jeu, quand elle ne rend pas hommage aux premières blueswomen, s’accompagnant de sa seule guitare acoustique pour des séquences qu’on croirait éternelles -entre autres, une reprise de Memphis Minnie. 

Voix d’Europe, voix du monde

On retrouve quelque part ce « pays où naquit le blues », auquel le musicologue Alan Lomax a consacré ses recherches, avec ici une dimension féministe plus que bienvenue. Le second soir était consacré à des formations européennes, toutes deux conduites par des chanteuses aux charismes certains. Véronique Gayot emporte l’adhésion d’un public de connaisseurs avec une voix féline, et un groupe de musiciens s’adonnant à un blues rock des plus efficaces. 

Justina Lee Brown, chanteuse d’origine nigérianne installée en Suisse alémanique, s’empare de la scène avec une conviction rare délivrant ses messages humanistes (parfois en yoruba) avec une voix oscillant entre la puissance d’une Tina Turner et la profondeur d’une Miriam Makeba. Avec son groupe, excellent de musicalité nuancée, elle conduit le public aux confins de l’afrobeat -ce qui eut l’heur de déplaire à quelques pseudo-puristes du « blues blanc ». 

LAURENT DUSSOUTOUR

Le Blues Roots Festival a eu lieu du 11 au 13 septembre à Meyreuil

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Les Passions marseillaises : Naissance d’un festival

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© A.-M.T.

Le pianiste Rémy Cardinale, le violoniste Girolamo Bottiglieri et le violoncelliste Emmanuel Balssa forment L’Armée des romantiques ; un bien joli nom qui esquisse une filiation avec de grands prédécesseurs que sont Victor Hugo, Berlioz, Chopin, Goethe, Schiller, George Sand, Mary Shelley et tous ceux qui défendirent une conception du monde armés de textes, de poèmes et de partitions. Ces convictions Rémy Cardinale entend les perpétuer. En partenariat avec le bureau de production Prodig’art, cette armée poétique a imaginé un nouveau festival : Les Passions Marseillaises. L’ambition ? Mettre à l’honneur l’amour historique des Marseillais pour la « grande » musique.

L’orchestre Thubaneau

Le premier volet du festival plonge dans une aventure fascinante. À travers une pièce originale, on découvre la vénération portée au XIXe siècle par des musiciens marseillais à Beethoven, maître du romantisme naissant. Cette passion, attestée par les travaux de l’historienne Anik Devries-Lesure, était si intense qu’elle poussa ces mélomanes à fonder l’orchestre Thubaneau pour interpréter – avant Paris – les œuvres du génie de Bonn.

Sur scène, nos musiciens sont en répétition. Surgit brusquement le docteur Fabre – incarné par un Jean Manifacier, comédien habitué au théâtre musical, en grande forme. Ce personnage haut en couleur assure avoir croisé Beethoven dans les rues de Marseille et s’être vu confier les derniers opus du prodige. La galéjade est ponctuée de moments d’émotion lorsque l’acteur aborde la lecture du Testament d’Heiligenstadt, lettre déchirante écrite par le compositeur de 32 ans dans laquelle il confesse qu’en perdant l’ouïe, il perd foi en la vie. Puis vient une traversée d’extraits de symphonies arrangées pour trio et de sonates devenues immortelles pour clore le spectacle. L’écrin désuet du Théâtre de l’Œuvre – à deux pas de la rue Thubaneau – se prête à merveille à un spectacle magnifié par les illustrations remarquables de Pierre Créac’h projetées en guise de décor.

Hommage à Régine Crespin 

Le lendemain, c’est au Conservatoire Pierre Barbizet que sera rendu un hommage à la soprano Régine Crespin. Un lieu symbolique car c’est ici qu’elle étudia et fit ses adieux en 1988. Accompagnés par Cardinale au piano, la mezzo-soprano Lucie Roche et le ténor Carl Ghazarossian ont offert au public un florilège de mélodies françaises dont raffolait la diva.

Le concert s’ouvre sur des pages de Berlioz,  puis de Gabriel Fauré avec Prison et Clair de Lune sur des textes de Paul Verlaine. Ce sera ensuite Duparc avec L’Invitation au voyage, poème de Baudelaire mis en musique, dont Lucie Roche livre une belle interprétation. Elle se révèle tour à tour magnifique tragédienne et comédienne pleine d’esprit dans Je te veux, d’Erik Satie.

Un piano d’exception 

De son côté, Rémy Cardinale interprète La Cathédrale engloutie de Debussy, moment d’exception sur un piano Erard de 1895 à cordes parallèles. Cette manufacture légendaire et cette assemblage particulier des cordes ont donné naissance à un instrument aux harmonies plus claires et dont il semble que les touches continuent à faire vivre la note longtemps après qu’on a cessé de la jouer. 

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Les spectacles se sont déroulés les 19 et 20 septembre, Marseille

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La Seyne en scène

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Newroz © Vincent Beaume

Le Pôle, scène conventionnée, est une de ces maisons à deux têtes comme le Var semble les aimer : le théâtre est au Revest-les-Eaux, et les Chapiteaux de la mer à la Seyne, face à la baie sublime. Mais c’est pourtant dans les rues, et non dans les murs ou sous la toile, que la saison, très cirque, commence. 

Regards sur rue est avant tout un festival de cirque dans la rue. Pendant trois jours, du 26 au 28 septembre, ce sont 15 compagnies qui se succèdent dans plusieurs lieux du centre ville de la Seyne, pour 36 représentations entièrement gratuites, crées ou adaptées pour la rue.

Tout art est en rue 

À la fois spectacle de rue, et de cirque, Gagarine is not dead tourne en orbite et pose des questions sur la recherche spatiale [voir ici]. Virtuoses, drôles et poétiques, les quatre acrobates-cosmonautes font lever les yeux et l’imaginaire vers le ciel… 

Newroz, de Bahoz Temaux, propose une forme moins spectaculaire mais très émouvante : un solo de cirque qui est aussi un concert, une confidence, un appel. Contre le racisme, celui qui empêche Bahoz (« comment ça se dit ? ») de se sentir chez lui, qui le pousse à l’exploit pour être enfin admis… Ainsi ses sauts périlleux, qu’il effectue toujours plus haut perché sur son mât, prennent un goût de revanche. 

Autres acrobaties instables, porté par un duo d’hommes (Cie Sacékripa). Surcouf, c’est de l’acrobatie dans l’espace réduit d’un petit radeau qui met en scène sa fragilité. La Cie Nevoa, un trio formé de deux acrobates et une musicienne, tracera quant à lui ses Sillages sur trampoline. Et le cirque sera aussi présent dans la plus grande tradition du clown : Un Verano Naranja est porté par Tuga, clown blanc au nez rouge, renouvelle la tradition à l’italienne, avec une tendresse et une drôlerie désarmantes. 

D’autres formes regardent plutôt du coté de la musique, comme le concert sur l’esplanade de ABI Afrobeat, ou vers la danse, comme le duo poétique Rien? de Cie Monsieur K

Un autre duo de danse à ne pas rater, masculin et hip-hop : la compagnie Paon dans le ciment prend racine dans l’urbain, sur des marches d’immeubles que les deux danseurs occupent comme la hune d’un navire, face au vent. D’une autre masculinité, plus écologique, deux autres hommes se prennent pour des arbres et poussent, dans Nous la forêt (Cie Kif Kif)

Bienvenu·es en non mixité

Ce sont des femmes qui ouvriront et clôtureront ce week-end haletant. Qui commencera dès mercredi 24 avec un trio issu de la Fai-Ar (Cie Janette) et produit par Lieux publics, centre national des arts de la rue de Marseille. Dans Se sauver trois femmes fuient, l’une son mariage, l’autre son bureau, la troisième de son quotidien, cherchant l’aventure. Le public, convié ou de passage, les suivra dans plusieurs épisodes indépendants, et même durant une nuit de bivouac, jusqu’au pot de départ le 28 septembre. 

Enfin, ce sont neuf femmes sur rollers qui mettront le feu politique à la Seyne, remettant en cause le capitalisme, prônant la sororité, dans l’élan et l’énergie communicatives de toutes celles qui en ont fini, intimement, avec la domination patriarcale. Les Rollmops, c’est pas du hareng !

AGNES FRESCHEL

Regards sur rue
Du 26 au 28 septembre
La Seyne-sur-mer, divers lieux
Une proposition du Pôle – Arts en circulation

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Une autre Jérusalem

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Cinq ans de voyages, de résidence et quelques ébauches de manuscrits ont été nécessaires à Laura Ulonati pour trouver comment elle allait pouvoir faire le portrait de cette ville à la fois mystérieuse, convoitée, pour lui redonner son lustre, sa profondeur, son authenticité. Pour cela elle a choisi de mettre en scène un personnage réel qui a laissé des Mémoires couvrant l’histoire de Jérusalem sur une soixantaine d’années, quatre régimes et cinq guerres. 

Il s’agit de Wasif Jawhariyyeh, né en 1897, dans une Jérusalem sous domination ottomane, dont la famille chrétienne orthodoxe semble vivre en paix avec les autres communautés. C’est ce qui frappe dès le début du récit : leur entente malgré leurs coutumes, leurs religions, partageant fêtes et repas dans « une Jérusalem […] qui mangeait ensemble tous les dialectes de la Méditerranée ».

Durant ses études, Wasif apprend l’anglais, étudie la Bible et le Coran. Comme son père, il occupera des postes administratifs et tiendra un temps un café avec son frère. Très jeune, il découvre l’intensité mélodieuse de la musique de l’oud, instrument traditionnel qu’il accompagne de ses chants. Ainsi il fréquente tous les milieux. Laura Ulonati excelle à narrer ses promenades dans les quartiers, ses aventures amoureuses et campe des personnages hauts en couleurs…

Une société déchirée

En même temps, il est témoin des cloisonnements de la ville et de la disparition de l’Empire ottoman qui déclenchera irrémédiablement les fractures de la société. « Et un jour les barrières finissent par être si hautes qu’elles deviennent impossibles à sauter », et les quartiers sont cloisonnés.

En octobre 1914, l’Empire ottoman se rallie à la cause allemande. En novembre 1917, Balfour, « cet équarisseur » anglais, met en place la première structure « mosaïque » de ce qui sera l’État d’Israël. Wasif aura vécu tous ces moments historiques sans en percevoir les conséquences irrémédiables jusqu’à son exil inévitable au Liban en avril 1948, la clé de sa maison suspendue à son cou.

CHRIS BOURGUE

J’étais roi à Jérusalem de Laura Ulonati
Actes sud - 22 €

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Qu’avons-nous accepté ?

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Le dernier roman de Chloé Delaume n’est pas un manifeste post #MeToo ou Mazan même s’il s’inscrit avec détermination dans cet air révolutionnaire du temps. Jouant comme toujours avec l’autofiction, Chloé brode sa Clotilde, que l’on retrouve de romans en romans, avec des caractéristiques biographiques retouchées, et hilarantes. Ainsi Le Cri du Sablier (2001) devient Le Vagissement du minuteur, et Le Coeur synthétique (2020) La Plastification des ventricules. Le fil narratif s’écoule, limpide et drôle, autour de la bande de femmes qu’on retrouve depuis 2020. 

Mais malgré cette fluidité, qui n’est jamais une légèreté, l’écriture d’Ils appellent ça l’amour est dès le début, et plus encore à la fin, empreinte d’une douleur qui coexiste avec un comique de mots rageur. 

« L’ennui est une couleur qui noie puis éviscère »

Comme dans Pauvre Folle (2023), Clotilde est un personnage envahi par l’angoisse, et qui la retranscrit dans une langue poétique d’une force rare, dispensant des phrases ciselées, intérieures, au cœur de paragraphes où se mêlent aussi paroles de chansons populaires datées (les tubes des cinquantenaires actuelles), conversations sans guillemets (elle hait les marques de dialogue) mais avec italiques, langage cru, disparition fantastique des visages et prunelles qui changent de couleur – comme dans L’écume des jours (La mousse du temps ?) auquel Delaume doit son prénom d’autrice.

« Not all men but only men»

Les phrases qui, par surprise, laissent surgir l’angoisse, racontent une emprise banale, et la honte d’y avoir cédé. Et posent la question de la sororité, de la misandrie. Dans la bande de copines les paroles des chansons s’échangent mais les bouches restent cousues sur ce qui se passe dans les chambres, dans les couples. Seule la plus jeune, trentenaire, a « les bons réflexes » face à la norme de « l’encouplement ». 

Mère, lesbienne, épouse, asexuelle ou pratiquant le sexe occasionnel sans lien amoureux, les cinq copines ont toute une expérience du sexe imposé, par force ou lassitude. Comment nommer cela ? C’est en le prononçant pourtant que Clotilde retrouvera sa « figure », et faisant enfin le lien avec la tête éclatée de sa mère sous le coup de fusil de son père. Un traumatisme que Nathalie Dalain, Chloé Delaume et leur double Clotilde ont en commun.

Retrouver son visage

Dans le chapitre final, L’équarrissage pour toutes, Chloé Delaume cite encore Bois Vian, ou plutôt son avatar noir américain Vernon Sullivan.Les femmes, comme les noirs américains qui espéraient échapper à la ségrégation, ne peuvent faire changer la honte de camp. Ils n’auront jamais honte, ne savent pas ce qu’ils font, et appellent ça l’amour. Même lorsqu’ils violent et tuent, ils disent : je t’aime.

Agnès Freschel

Ils appellent ça l’amour de Chloé Delaume 
Seuil, Fictions & Cie

Chloé Delaume sera présente aux Correspondances de Manosque 

Doubles vies

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Tout commence par un objet presque banal : un coffre trouvé dans un grenier. Photographies, lettres jaunies, y reposent. Ces reliques du passé conduisent la narratrice sur les pas d’Edmond, un ancêtre né à Liège en 1834 et mort jeune, à Orléans, en 1865. Qui était-il ? 

De lui, ne restent que deux portraits, à la beauté romantique, sur lesquels il pose, costumé. Pourquoi son existence s’est-elle effacée de la mémoire familiale ? Cette enquête historique se double d’un retour sur une autre disparition : celle de l’amour entre la narratrice et son mari Vincent, dont elle découvre l’homosexualité après des années de silence. Le choc n’est pas seulement celui de la trahison ou du désamour, il est celui d’une vie partagée sous le sceau du déni, ce que Lamarche appelle le « maquillage du désastre ».  

Le titre Le Bel Obscur dit tout. Il ne s’agit pas seulement d’explorer le rejet, le sentiment d’abandon, le non-dit mais d’y trouver de la beauté sans céder à la rancune, de transformer le secret en matière littéraire et comme l’alchimiste, le plomb en or. 

Histoires et mémoire 

Au fil des pages, Caroline Lamarche est à la fois actrice et spectatrice du vaudeville qui se déroule. Rien de narcissique ou de complaisant dans la narration de cet effondrement. Là où une Camille Laurens se serait probablement posée en victime et évertuée à le démontrer, Caroline Lamarche nous livre, dans une écriture élégante et dépouillée, un simple déroulé factuel. Elle ne juge pas, ne condamne pas, ne crie pas. Elle décrit avec simplicité les allers et venues des amants dans la maison et comment, de manière contre intuitive, la fin du couple ne veut pas dire ne plus faire famille. 

La recherche sur Edmond et la réflexion sur Vincent se rejoignent : deux existences contraintes, deux identités empêchées par le poids des normes et du silence. L’un, figure du XIXe siècle, a été rayé de la mémoire familiale ; l’autre a vécu une partie de sa vie dans le mensonge. La narratrice les relie dans une même interrogation : qu’advient-il des vies qui ne trouvent pas à s’exprimer pleinement ?

Doux et inspiré, ce roman explore aussi un « angle mort de la littérature » écrit l’autrice celui d’une femme en couple avec un homme homosexuel.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Le Bel Obscur, de Caroline Lamarche 
Éditions du Seuil - 20 € 

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Amour, héritage et fêlures

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Jonas et Lucie se rencontrent dans un groupe d’amis communs… Ils devraient pouvoir s’aimer. Lucie y est prête. Jonas, lui, se fait proche et distant à la fois. Il peine à se résoudre à faire couple avec une « goy », risquant de décevoir un père traditionaliste. Leur amour semble pouvoir dépasser les barrières religieuses mais la réalité se révèle plus subtile et pesante. Si Lucie est prête à tout pour s’adapter et se faire accepter par sa belle-famille, Jonas lui rappelle que : « Juif, ce n’est pas une religion, c’est une façon d’avoir peur et tu ne peux pas l’apprendre dans un cours du soir. »

La religion en héritage

Lorsque leur fils Ariel naît, leur bonheur pourrait être complet mais l’enfant s’avère extrêmement violent. Il ne parle pas, il tape, il ne s’exprime pas, il détruit, intolérant à toute frustration. Ce comportement va les mettre au banc de toutes relations sociales. Les autres enfants, les familles, les amis et les institutions scolaires les jugent ou s’éloignent. 

Dans l’impasse, les jeunes parents, cherchent des réponses dans les frictions de leur double héritage, religieux d’abord : Lucie n’est-elle pas une shiksa (détestable, haïssable, souillure), c’est-à-dire une non juive ayant eu un bébé d’un homme juif ? 

Mais aussi culturel et social. Jonas est l’héritier d’une famille parisienne d’intellectuels ashkénazes, Lucie de grands-parents maternels arrivés à Longwy pour creuser et extraire le fer utilisé dans les aciéries. « Tous les hommes descendaient dans les mines, plusieurs oncles de ma mère y sont morts. Il y avait une façon de faire les choses, de vivre et de mourir, et elle impliquait Jésus et l’église. » 

Identités et altérité

Lucie est enfant d’une « classe ouvrière de régions que personne ne connaît, où les travailleurs crèvent en toussant. » Son fils, Ariel, n’est pas que l’enfant des rescapés du Yiddishland, mais aussi le fils d’un monde mort en silence. « Si je choisis le judaïsme, je dis à ma famille que, même pour ceux qui les ont connus, leur histoire ne compte pas, qu’elle peut disparaître ».

Avec tendresse et souvent beaucoup d’humour, ce livre qui vient d’obtenir le prix Transfuge 2025 du premier roman explore avec sensibilité la tension entre mémoires de mondes disparus – celui des mineurs italiens, comme celui des shtetls – et modernité, entre amour et concessions. Il interroge aussi la manière dont la société réagit à ceux qui ne rentrent pas dans les cases : couples mixtes, enfants qui refusent d’être dociles, identités qui se chevauchent et montre que l’altérité peut être un défi familial autant qu’une richesse à préserver.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Il pleut sur la parade, de Lucie-Anne Belgy
Gallimard -20,50 €

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Un anniversaire en forme d’hommage 

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© C.M.

Zébuline. Quel est le projet de Cultures du Cœur à l’origine ? 

Karine Lacôme. Cultures du Cœur est une association nationale créée en 1998. Dans les Bouches-du-Rhône, elle existe depuis fin 2000. Notre objectif est de favoriser l’accès à l’art et à la culture pour les personnes en difficulté, quelle que soit la difficulté. 

Dès le début, nous avons mis en place des partenariats avec des structures culturelles qui offrent des invitations, que l’on met ensuite à disposition sur notre site national. Les structures sociales adhérant à l’association peuvent les consulter et les réserver pour le public. 

Cette billetterie solidaire est un peu la face émergée de l’iceberg. Mais la gratuité ne suffit pas. On s’aperçoit que même quand on surmonte la barrière financière, qui est la plus évidente, il reste toutes les barrières psychologiques, d’accès et d’information. Très rapidement, nous avons donc mené un travail de sensibilisation des professionnels du social et de la culture, et organisé des rencontres pour réfléchir ensemble à comment permettre aux publics en difficulté de mieux se saisir des offres culturelles.

Comment ce projet a-t-il évolué, ainsi que le lien avec vos partenaires, en 25 ans ?

Aujourd’hui, nous travaillons vraiment en réseau avec les structures sociales, culturelles, et aussi avec les institutions qui se sont très vite saisies de cette question-là. Actuellement nous comptons 250 structures sociales adhérentes dans les Bouches-du-Rhône et 247 structures culturelles partenaires.

Nous avons mis en place des formations professionnelles certifiantes pour les professionnels du social, qui se rendent bien compte de ce que ça apporte aux personnes qu’ils suivent, et qu’ils peuvent vraiment se saisir de projets culturels pour travailler des thématiques sociales. Mais ils ne sont pas formés à cela.

Nous avons aussi développé la pratique artistique. Aller au spectacle, c’est bien, c’est important, mais il y a des personnes qui préfèrent découvrir l’art et la culture par le biais de la pratique artistique. Dès 2007, nous avons mis en place des ateliers d’écriture, puis des ateliers théâtres avec Anne-Marie Bonnabel.

Il y a aussi les permanences culturelles, menées dans les structures sociales en binôme avec elles. C’est très important : on ne vient pas faire à la place de la structure sociale, mais avec. Ce sont des moments conviviaux où on parle avec les gens de culture, de ce qu’ils aiment faire, de ce qu’est leur quotidien. L’idée, c’est à la fois de proposer des choses qui nous semblent pertinentes, en concertation avec le travailleur social, mais aussi de répondre aux envies des gens. 

Nous essayons vraiment de mettre les publics, les personnes, au centre. Par exemple, nous avons un projet qui s’appelle Porteurs de culture, que l’on le teste dans le 3e arrondissement. Une animatrice socio-culturelle repère des personnes dans des collectifs d’habitants, dans des associations de parents d’élèves, qui peuvent être un peu portes-paroles des envies culturelles des habitants. C’est le cas de Kaya, qui figure dans l’exposition. On travaille directement avec ces collectifs, des mères souvent, sur la manière d’amener la culture différemment et de l’intégrer au quotidien. 

Karine Lacôme © C.M.

Comment a été pensée cette exposition anniversaire ?

Nous avions vraiment envie de mettre en avant et de remercier l’ensemble des personnes qui font que Culture du Cœur existe, c’est-à-dire à la fois des bénévoles, les bénéficiaires évidemment, et puis les partenaires sociaux et les partenaires culturels. L’idée était d’être représentatif du territoire des Bouches-du-Rhône, puisque nous sommes présents sur tout le département. Il y a 25 portraits, et une photo d’équipe. 

Et aussi la carte postale. Depuis longtemps, nous utilisons des cartes postales qui permettent aux personnes d’écrire un témoignage sur les sorties, et de partager aussi des émotions. Il n’y a pas d’obligation, mais nous en recevons quand même souvent.  C’est un outil assez utilisé dans les permanences culturelles. Pour les 25 ans, nous avons donc mis en place cette grande carte postale pour que lors de la soirée anniversaire, qui veut puisse partager ses impressions et nous faire un petit retour.

PROPOS RECUEILLIS PAR CHLOÉ MACAIRE 

25 ans en 25 portraits 
Pour ses 25 ans, l’association présente à la Cité de la musique de Marseille une exposition en forme d’« hommage à toutes les personnes qui font Cultures du Cœur ». Celle-ci est composée de 25 portraits réalisés par le photographe Emilio Guzman
Face à l’entrée, le sourire de Anne-Marie Bonnabel, bénévole depuis 10 ans, accueille les visiteur·euses. C’est elle qui a créé les ateliers de pratique théâtrale de l’association, ainsi que la troupe Cultures du Cœur, invitée deux fois au Festival C’est pas du luxe !. Farouk, dont le portrait est exposé un peu plus loin, en faisait partie. Son sourire répond à ceux de toutes les autres personnes photographiées : une famille aixoise s’étant rendue au Festival d’Avignon cet été, des bénévoles organisant des balades culturelles dans Marseille, une éducatrice spécialisée de Port-de-Bouc, des travailleur·euses culturels de tout le département… 
Chaque portrait s’accompagne d’un court témoignage, toujours émouvant, sur ce que représente Cultures du Cœur pour la personne représentée. C.M.

Jusqu’au 30 septembre 
Cité de la musique, Marseille 

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