mardi 1 juillet 2025
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Le doigt d’honneur des cafards

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cafards
Gregoire, Théâtre du Rictus © X-DR

C’est un spectacle tout frais, mais déjà parfaitement mature. Contrairement au héros, qui se débat dans les affres de l’adolescence, et son narcissisme chamboulé incarné avec finesse par Damien Reynal, seul en scène. Il est Grégoire, lycéen luttant pour dégager son être des exigences parentales, et fort justement inquiet d’affronter celles de la société, au delà des contraintes scolaires. 

Sa prof de français lui inflige la lecture de La Métamorphose, roman qui lui tombe d’abord des mains, avant de le happer petit à petit. Ce jeune contemporain s’identifie à Gregor, le personnage né sous la plume de Franz Kafka en 1912, transformé en insecte monstrueux. Comme lui, il est acculé à la solitude, cerné d’incompréhension familiale. Mais contrairement au cafard-Gregor, qui en meurt, le cafard-Grégoire laisse surgir une colère salvatrice, pré-individuation, potentiellement même pré-révolutionnaire, tant elle est contagieuse.

Lâcher sa carapace

Grandir, c’est muer. Traverser l’éternelle question de sa singularité, construite dans le regard des autres, insidieusement intériorisé. « Je sais pas trop quand je suis moi. Quand je dors ? Quand je suis seul et que je me regarde pas ? Peut-être. » Ainsi s’interroge Grégoire, dans un monologue constamment dynamique, ponctué de vidéos et enregistrements sonores, autant de souvenirs, fantasmes et  réminiscences de sa famille vilipendée. 

Le comédien singe avec humour sa professeure, le CPE paternaliste, ses camarades – car le lycée est plus un zoo qu’une jungle – et s’auto-parodie en insecte rampant, une identité qui, finalement, n’est pas la pire. Même s’il faudra bien, un jour, laisser tomber sa carapace.

Un grand bravo au Théâtre du Rictus pour cette pièce destinée aux 13 ans et plus, promise à un bel avenir. Le texte de l’auteur Éric Pessan accompagne la métamorphose adolescente jusqu’à une issue possible vers l’âge adulte, avec beaucoup d’acuité psychologique. Quelques portes, des antennes de cancrelat… la scénographie de Gaëlle Bouilly, les accessoires de Claire Fesselier, la mise en scène sobre de Laurent Maindon, entre-tissée de références à l’œuvre de Kafka, en renforcent l’intensité. Lors du bord de scène, un jeune spectateur demandait à l’équipe : « Est-ce que c’est une histoire vraie ? ». « À ton avis ? » « Je pense que oui. » En voilà un beau compliment !

GAËLLE CLOAREC

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Une jouissante désobéissance

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Désobéir
© Lawrence Damalric Desobeir © Giovanni Cittadini Cesi

En 2017, la metteuse en scène Julie Berès est invitée par le Théâtre de la Commune d’Aubervilliers à créer une « pièce dactualité », dans le cadre du dispositif du même nom porté depuis quelques années par le théâtre. Elle conduit alors de nombreux entretiens avec des jeunes filles issues de la deuxième et troisième génération post-immigration et crée Désobéir, une pièce performative fondée sur leurs récits de vie. 

Le premier personnage à prendre la parole est Nour. Assise sur scène, elle retrace sur le ton de la confidence le chemin qui l’a conduit vers l’islam radical. Une histoire de colère contre le racisme, manipulée par un homme ayant séduit l’adolescente qu’elle était alors. Elle raconte aussi sa déradicalisation et la renaissance de son rapport à la foi. 

La question de la religion, musulmane et chrétienne, revient à plusieurs reprises dans le spectacle, faisant entendre des voix singulières, des récits de traumatismes ou bien des déclarations d’amour à Dieu. 

Dans la pièce se succèdent des monologues performés, durant lesquels chacune raconte son parcours vers l’émancipation, et des ensembles festifs, drôles, parfois conflictuels.

Malgré la dureté des sujets traités, comme le racisme, la misogynie et la pression familiale, la pièce n’accable pas. Au contraire, la liberté de la forme théâtrale avec une grande importance accordée à la danse, à la musique et à la participation du public – au grand bonheur des nombreux adolescents présents –, accompagne joyeusement la liberté de leur parole.

CHLOÉ MACAIRE

Désobéir a été joué du 24 au 27 avril à La Criée, Marseille.

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My Fair Lady soixante-huitarde

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Liliane et Paul © Simon Gosselin

1969. Dans un train, menant de Paris à la petite ville de Picardie dont elle est originaire, Liliane (Adeline Guillot) rencontre Paul (Vladislav Galard), professeur de philosophie et aspirant écrivain. Malgré la réticence initiale de la jeune femme, Paul force la conversation. C’est ainsi que commence leur histoire d’amour, et l’action de Nos Paysages mineurs, première pièce du diptyque que Marc Laîné consacre à ces deux personnages. En à peine plus d’une heure, le metteur en scène condense six ans d’une relation conflictuelle durant laquelle Paul, devenu auteur à succès, pousse sa compagne à s’émanciper de sa condition prolétaire, tout en s’offusquant quand elle échappe à sa domination, comme une sorte de My Fair Lady « gauchiste ».  

On suit l’évolution de leur relation à travers de courtes scènes séparées par des ellipses et se déroulant toujours dans la même cabine de train. Les comédien·ne·s sont filmé·e·s par plusieurs caméra, dont les images sont projetées en fond de scène. Une forme combinant théâtre et cinéma, accompagnée au violoncelle par Vincent Segal. Un dispositif complexe, parfaitement rodé, dont chaque aspect complète les autres. Et qui maintient l’attention du spectateur sur une histoire sans suspense, la rupture finale étant annoncée dans le sous-titre de la pièce. 

La rédemption ? 

Dans En Finir avec leur histoire, on retrouve nos deux protagonistes en 1992. Seize ans après leur rupture, Paul rejoint Liliane pour une heure de balade dans Paris – lui forçant encore une fois la main. Leur manière d’être, de parler, est la même. Et pourtant, ils ont changé avec le temps. Lainé met brillamment en évidence l’évolution des deux personnages, sans en trahir l’essence.

Dans cette deuxième pièce, le dispositif scénographique est plus sobre : pour simple décor, un réverbère, un banc sur lequel est assis Vincent Segal, deux tapis roulant permettant aux comédiens de marcher sur place, et sur l’écran en fond de scène des images de Paris en Super 8. Laîné s’autorise quelques fantaisies, comme des passages chantés, auxquels on peine à trouver un intérêt.

Cette sobriété relative est palliée par un récit plus engageant que dans la pièce précédente. On entrevoit ce que sont devenues chacune de leur vie – elle, prof et mère célibataire du fils qu’elle a eu de lui au lendemain de leur rupture, lui, auteur ruiné et rejeté par son éditeur – et les subtilités de leur psychologie respective sont mises à nue. 

CHLOÉ MACAIRE 

Liliane et Paul a été joué les 24 et 25 avril au Bois de l’AuneAix-en-Provence

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Printemps de l’Art Contemporain : montée de sève contemporaine

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Madely Schott, Etude d’identification des Vénus, 2025 © Madely Schott

C’est une 17e édition du PAC (Printemps de l’Art Contemporain) aux floraisons multiples. Vernissages, portes ouvertes d’atelier, banquets, conférences, finissages, installations, lectures, nocturnes, performances, projections, rencontres, restitutions, soirées spéciales, spectacles et visites commentées sont proposées pendant ces trois semaines. Rythmées par un grand week-end d’ouverture à travers tout Marseille, des temps forts à Aix-en-Provence, des circuits sur les routes de campagne à Rognes, Rousset et Châteauneuf-le-Rouge, et vers les villes du pourtour de l’étang de Berre à Port-de-Bouc, Istres et Miramas.

Tout un écosystème

Défendre la création, les artistes, les travailleur·euse·s de l’art et les publics à travers une grande mutualisation, tel est le crédo des membres du réseau Provence Art Contemporain. Créé en 2007, devenu depuis le plus grand réseau territorial de structures art contemporain en France, c’est un écosystème constitué de 64 membres (institutions muséales, galeries, écoles, espaces expérimentaux, collectifs de commissaires, lieux de résidences et de production) implantés sur le territoire de la métropole Aix-Marseille-Provence. On y trouve par exemple aussi bien les musées et école des Beaux-Arts de Marseille et d’Aix-en-Provence, le Mucem, le Frac, le Cirva, la Friche la Belle de Mai, que le Château de Servières, La Nave Va, Polaris, le 3bisf, art-cade, Zoème, la Compagnie ou bien encore Mécènes du Sud, Artagon Marseille, Les Pas Perdus ou les Ateliers Jeanne Barret. 

Ouverture et clôture à Marseille

Le grand week-end festif d’ouverture du PAC se décline à Marseille par groupement de quartiers, du vendredi 2 au dimanche 4 mai. 

Premier jour dans les quartiers de Belsunce, Panier, Joliette, Longchamp, Chapitre, Belle de Mai, Bougainville, Plombières, Estaque, avec notamment les vernissages de Cette délicieuse manière que l’on a tous de clocher dans la vie à La Compagnie (12h-21h), Bisou magique à Sissi Club (17h à 21h), ou Le cheval de paille de Claire Dantzer au Frac. 

Une soirée performances proposée par Rift (plateforme marseillaise pour les arts vivants et la danse) à la Réserve des arts Méditerranée (Bougainville – de 15h à minuit), des portes ouvertes au Cirva en compagnie de Marie Ducaté (sur inscription – de 14h à 18h), un programme de films de Laure Prouvost projeté au cinéma Le Miroir à la Vieille Charité en partenariat avec le FID (14h) ou bien encore une rencontre avec la designeuse Inès Bressand et l’artisan textile Rémi Marilleau à Fotokino (18h30). 

Samedi 3 mai, c’est au tour de la Blancarde, Camas, Cours Julien, La Plaine, Préfecture, Vieux-Port, Saint-Victor, Malmousque. Au programme, le vernissage (entre autres) de Vénus Tour de Madely Schott au Château de Servières (11h à 18h), avec, à l’étage, les portes ouvertes des ateliers d’artistes de la ville (de 11h à 19h, ateliers de Adrien Menu, Elias Kurdy, Kiana Hubert Low, Anastasia Simonin et Kazuo Marsden, Louise Nicollon des Abbayes, Théophylle DCX, Angèle Dumont). Vernissages également de l’exposition de Valentin Martre à la galerie Territoires Partagés (18h – 22h) et à Saint-Victor, dans la crypte de l’abbaye, celui de Sourav Chatterjee (20h).

Enfin le dimanche 4, direction quartiers Sud et bords de mer avec (notamment) le vernissage et la restitution de résidence d’Hélène Moreau à la Voilerie Phocéenne organisée par Voyons Voir (10h à 14h). Au MAC, l’installation dans la cour de Soutiens – Ce que les oreillers nous murmurent d’Élodie Rougeaux-Léaux (9h – 18h). Et devant la Cabane des Amis, plage du Prado, The Last Lamentation performance de Valentina Medda proposé par LABgamerz (20h15 à 20h50).

La fête de clôture aura lieu le 18 mai, sur le site des Beaux-Arts de Marseille à Luminy, avec de 16h à 17h30, depuis le portail de l’école jusqu’au belvédère de Sugiton, la performance itinérante Dans la penderie du ciel bleu de Charlotte Vitaioli, et de 18h à 23h, des Dj sets et performances sur le site de Campus art Méditerranée (ancienne école d’architecture).

Entretemps

À Marseille toujours, aura eu lieu le mercredi 7 mai, le vernissage des Arts Éphémères 2025 dans les jardins et parcs de Maison Blanche (18h à 21h30) ainsi qu’au Conservatoire Pierre Barbizet le vernissage de Practice Chaos, avec 43 étudiant·e·s issu·e·s de l’académie des Beaux-Arts de Vienne, l’académie de Mayence, les Beaux-Arts de Marseille et leurs enseignant·e·s (19h30).

À Aix et en navette

Le samedi 10 mai à Aix-en-Provence, une série de vernissages (3bisf, Parallax, Ars Longa, …) et de 14h à 17h30, la performance déambulatoire (départ du 3bisf, arrivée place du Palais de Justice), reliée à l’installation Soutiens – Ce que les oreillers nous murmurent d’Élodie Rougeaux-Léaux au MAC. En navette (de 5 à 10 €, inscriptions obligatoires sur p-a-c.fr), ce sera le lendemain un Circuit Pays d’Aix, visites à Rognes, Châteauneuf- le-Rouge et Rousset (10h à 18h), et le samedi 17 mai un Circuit étang de Berre à destination de Port-de-Bouc, Istres et Miramas (10h à 18h30).

Tout cela n’étant qu’un aperçu de ce foisonnement printanier artistique, toutes les autres (et nombreuses) infos en détail sur p-a-c.fr.

MARC VOIRY

Printemps de l’Art Contemporain
Du 2 au 18 mai
Divers lieux, Marseille, Aix-en-Provence, Pays d’Aix 

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Festival Propagations : propager toutes les dimensions du son

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Musique-Fiction © Quentin Chevrier

Le Centre national de création musicale (CNCM) est le plus important de France après l’Ircam parisien (dont plus personne ne sait que l’acronyme désigne un Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique). Historique, créé par un collectif de compositeurs dès 1972, il a été labellisé par l’État dès la création des CNCM. Ouvrant depuis toujours de nouvelles voies à la musique, le GMEM (dont plus grand monde ne sait que l’acronyme désigne un Groupement de Musiques Expérimentales de Marseille) a accompagné, et parfois déclenché, les évolutions musicales et culturelles de son temps.  

Christian Sébille, arrivé à la direction en 2011, a en quelques années opéré des révolutions notables : la fusion avec le GRIM (dont on a oublié que l’acronyme désignait un Groupe de Recherches et d’Improvisations Musicales) de Jean-Marc Montera, l’installation à la Friche La Belle de Mai, la construction du spectaculaire Module, la multiplication des résidences de création et l’instauration de rendez-vous réguliers, les Modulations, sont allés de pair avec l’arrivée en nombre de compositrices et créatrices sonores, ainsi que d’une approche du son plutôt que de la note, de la singularité plutôt que des chapelles, et du partage des territoires avec les autres arts, en particulier la littérature.

En balade

La 5e édition de Propagations propose huit créations originales et une trentaine d’événements adaptés aux huit lieux qui les reçoivent. Le grand plateau de La Criée est parfait pour accueillir le premier opéra de Philippe Hurel, Espèces d’espaces, d’après l’essai de George Perec, joué par l’ensemble Court Circuit avec la soprano Élise Chauvin et le comédien Jean Chaize. Un opéra des objets, sonores et vocaux, mais aussi physiques et projetés, construisant une « espèce » d’histoire, un « espace »oulipien.

Au Couvent, lieu moins officiel, un concert Emergence, en entrée libre, composé et joué par les élèves du Conservatoire et ceux de la Cité de la Musique, mais aussi la classe de composition de Graz (Autriche). 

Festival Propagations 2025, Bach To 3D © Damien Lejosne

Au 3bisF, une forme à la mesure du théâtre résolument pluridisciplinaire et atypique : Soizic Lebrat et deux autres violoncellistes jouent Bach to 3D, accompagné·e·s par une danseuse preneuse de son, Alice Duchesne, pour une performance qui s’écoute au casque et déploie les pages de Bach dans l’espace, dessinant d’infinis triangles… Une spatialisation du son qui prendra le caractère d’une dissection au Zef : dans Anatomia la pianiste Claudine Simon commence par jouer les Funérailles de Liszt, signant ainsi la fin de son instrument, dont elle désossera peu à peu les structures, jouant des cordes, des marteaux, jusqu’à retrouver un nouvel usage des pièces…

C’est la fondation Camargo de Cassis qui recevra la création de Fabrizio Cassol, Lorenzo Bianchi et Adèle Viret. Les trois compositeurs, respectivement au saxophone, violoncelle et voix fusionnent les sons, les textures et les timbres à la recherche de la note perdue. Notes on the memory of notes, un voyage immersif en quête du souvenir de la mélodie…

Au Klap, la danse, bien sûr : Rebecca Journo et Mathieu Bonnafou performeront Bruitage, la danseuse déclenchant par le geste les sons que le compositeur prolonge. Puis un quintet chorégraphié par Mélanie Perrier explorera unissons et décalages sur la musique de Thierry Balasse, Jusqu’au moment où nous sauterons ensemble.

Dans le foyer de l’Opéra, la voix ! La soprano Mathilde Barthélémy explore les Espaces blancs, les paysages anonymes que l’on traverse et qui s’effacent avec les mémoires. Une « cartographie du sensible », conçue avec la plasticienne Nina Bonardiet et la compositrice Claudia Jane Scorraro.

Festival Propagations, Anatomia © Rudy Decelière

À La Friche

Ces partenariats intelligents emmènent la musique de création au cœur de projet de chaque lieu où il trouve refuge. Mais la plus grande partie de la programmation aura lieu à La Friche, dont le GMEM est un résident actif. 

Le Petit plateau sera offert aux compositions sonores des étudiants de la Satis qui dialoguent avec le cinéma expérimental de Javier Elipe Gimeno, puis à Grand8 en 16, un concert d’improvisation sur des projections multiples, en 16mm, de Gaëlle Rouard. Au Grand plateau, Polyphème un concert de gamelan de création, et le grand concert de clôture, Visions,  de l’ensemble Multilatérale.

Littéraire

Mais c’est sans doute dans le Module du GMEM que se tiendra la part la plus originale de cette édition : les Musiques-Fictions de l’Ircam, collection de fictions sonores confiées à un duo auteurice/compositeurice (le plus souvent autrice et compositeur ). Ce sont douze textes, de grands romans souvent, qui seront entendus : Maylis de Kérangal, Marie Ndiaye, Lydie Salvayre, Annie Ernaux, Céline Minard, Erri de Lucas, Nastassja Martin, ou encore Robert Linhardt… mis en musique par des compositeurs aux univers sonores différents, mais qui s’inscrivent tous dans la spatialisation impressionnante du dispositif « ambisonique » de l’Ircam : 49 haut-parleurs accrochés à une voute, au sein desquels une quinzaine de spectateurs s’assoient pour écouter le roman d’un bout à l’autre, entendre les voix, imaginer les visages et les lieux. 

Une mention spéciale à la création qui ouvrira ces écoutes immersives, et le Festival, le 2 mai : Olivia Rosenthal et Christian Sébille créeront En voiture ! une fiction sur l’ambivalence de cet objet de libération et d’aliénation, de Ford à Tesla. 

En voiture ! sera aussi lu-joué en direct par elle et lui à La fondation Camargo. Et toute la collection sera également rediffusée pendant Oh les Beaux jours ! Parce que la création musicale et la littérature ont tout à gagner à adresser ensemble leurs récits concrets à nos oreilles vivantes, et à laisser nos cerveaux recréer les images du monde.

Agnès Freschel

Propagations
Du 2 au 11 mai
Marseille, Cassis, Aix-en-Provence

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Toursky : une page se tourne

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© Nicolas Santucci

Ce vendredi 25 avril au matin, une petite dizaine de personnes se réunissent aux abords de la mairie de Marseille. Ce sont les derniers soutiens à l’ancienne direction du Toursky, qui dénoncent ensemble « l’assassinat » du théâtre par la mairie, dont le Conseil municipal s’apprête à voter les subventions pour l’association repreneuse. Quelques heures plus tard, c’est sans surprise que le Conseil tranche. 680 000 euros sont alloués à Scène Méditerranée, la nouvelle association désormais en charge du théâtre fondé par Richard Martin et Tania Sourseva en 1971, et propriété de la Ville.  

Cette décision du Conseil municipal est dans la continuation d’une autre décision. Le 4 avril 2025, le Tribunal judiciaire de Marseille avait déjà statué sur l’avenir du théâtre. La compagnie Richard Martin, placée en redressement judiciaire, devait céder la place à Scène Méditerranée, regroupant le Théâtre Joliette, Bancs Publics et la compagnie Dans6T. Avec cette subvention votée, le Théâtre Toursky, qui devra bientôt changer de nom [lire encadré], peut espérer une ouverture dès septembre, avant de dessiner une première « vraie » saison pour septembre 2026.

Trouple de théâtre 

C’est donc une direction à trois têtes qui prend les rênes du théâtre du quartier de Saint-Mauront. Nathalie Huerta, directrice du Théâtre Joliette, Julie Kretzschmar, directrice de Bancs Publics, association organisatrice du festival Les Rencontres à l’échelle, et Bouziane Bouteldja, à la tête de la compagnie tarbaise de danse Dans6T. Ils seront tous les trois en charge de la programmation et de la direction artistique – un·e coordinateur·ice général·e sera aussi recruté·e pour assurer la gestion quotidienne de lieu. 

Une entente à trois qu’ils expliquent par un long compagnonnage artistique. « Cela fait plus de 10 ans que je travaille avec Bouziane » explique Nathalie Huerta. « Il était déjà compagnon du Théâtre Jean Vilar à Vitry-sur-Seine que je dirigeais, et on a prolongé cette complicité depuis mon arrivée à Marseille [il y a 3 ans, ndlr]. » « J’ai toujours été raccord avec ses choix artistiques », commente quant à lui Bouziane Bouteldja. 

Même discours de Nathalie Huerta sur sa relation avec Julie Kretzschmar. « On a lié une connivence artistique dans le but d’accompagner des artistes en Afrique et dans le monde arabe. On a développé beaucoup de projets internationaux ensemble, avant même mon arrivée à Marseille ».

Alors quand le théâtre est placé en redressement judiciaire en juillet 2024, Nathalie Huerta a eu « l’intuition que c’était le bon endroit pour formaliser ce partenariat un peu plus fortement ». D’autant que la Ville leur avait dit que ce serait bien « d’imaginer des projets collaboratifs par les opérateurs culturels de Marseille ». Le projet à trois est déposé devant la justice, avec l’assurance d’une Convention d’occupation temporaire signée par la Ville, offrant un poids certain au projet. « J’ai toute confiance dans cette association qui va poursuivre une mission artistique avec honnêteté, respect, et engagement », explique Jean-Marc Coppola, adjoint au maire de Marseille en charge de la Culture. 

Un centre de danse dès septembre

Après quelques travaux pendant l’été (principalement la toiture), la première pierre du nouveau projet sera posée dès septembre, avec l’ouverture d’un « centre de danse » qui aura tout d’une école – même s’ils préfèrent éviter le mot. « Il y aura des élèves et des professeurs sur le même modèle qu’à Tarbes », explique Bouziane Bouteldja, qui portera le projet. « Le but est que les élèves soient en contact avec les artistes, les chorégraphes » qui passeront par le théâtre, et de « mixer les publics », comme dans les Pyrénées où le chorégraphe fait « danser des femmes des montagnes avec des femmes des quartiers. » 

Le tout sans faire « concurrence » aux structures déjà présentes dans le quartier, que ce soit en termes de tarifs ou de propositions artistiques, prévient le chorégraphe : « On va combler des vides et pas rajouter de l’offre à ce qui existe déjà. » L’axe sera porté vers les « danses nouvelles », celles nées depuis les années 1970, comme le voguing ou le breakdance. Il espère aussi que des ponts soient créés avec la future Maison des cultures urbaines à La Villette (Paris), qui doit ouvrir à l’automne. 

La nouvelle direction a pris possession des lieux depuis la décision du 4 avril 2025 du Tribunal judiciaire de Marseille © N.S.

Quel horizon artistique ?

Une ouverture en septembre, ambitieuse, mais nécessaire selon eux. « Il faut que ce théâtre vive et que l’on connecte tout de suite avec le quartier. » Car si le théâtre accueillera en cours d’année des festivals et des « moments forts », la première « vraie » programmation ne sera proposée qu’en septembre 2026. 

La direction entend y défendre un « service public de la culture : pour la création artistique et pour le territoire. » Côté création artistique, c’est dans l’accueil des artistes régionaux que le théâtre souhaite s’engager, constatant des difficultés « pour les artistes d’avoir des espaces de travail ». L’idée est « d’avoir des dispositifs qui permettent beaucoup de résidences. » De la place aussi pour ces artistes dans la programmation et dans les co-productions promet Nathalie Huerta. 

Des artistes internationaux et émergents seront accueillis également, dans des programmes de saisons qui laisseront de la place à l’inconnu. « On souhaite se laisser du mou pour réagir en fonction des besoins, avoir de la marge de manœuvre. L’originalité de notre alliance doit se refléter dans ce que l’on va proposer au public. » 

Un théâtre populaire ? 

Installé dans un des quartiers les plus pauvres d’Europe, l’ouverture sur son territoire était une des conditions nécessaires pour convaincre la Ville de soutenir ce projet. « Nous portons beaucoup d’attention à ce quartier qui a longtemps été abandonné » explique Jean-Marc Coppola, qui rappelle que la Ville va ouvrir d’ici quelques mois la Médiathèque Loubon à 500 mètres de là. « Nous voulons que ce théâtre puisse véritablement être ouvert à toutes et tous, au service des artistes et compagnies régionales, des habitants du quartier et du territoire », poursuit-il. 

Un souci partagé par Bouziane Bouteldja, dont la compagnie Dans6T a toujours revendiqué une démarche citoyenne. Lui qui dit passer une semaine par mois à Marseille depuis 8 ans (il est partenaire du Théâtre de la Cité à Marseille), explique avoir déjà discuté avec certains voisins du théâtre, qui ne s’y sont jamais rendus : « On est dans un lieu où les gens ne sont pas très habitués à voir des spectacles. » Faute d’argent bien sûr, même « s’il faut faire attention à ce genre de discours, car quand c’est Jul qui passe, ce n’est jamais trop cher…» 

Pour lui, le problème est aussi socioculturel. « Ça veut dire que pour ces gens, le théâtre n’est pas un espace où l’on se sent bien. » Pour amener ces publics à pousser les portes du théâtre, Bouziane Bouteldja a déjà expérimenté plusieurs techniques, comme intégré des publics amateurs dans la création de ses spectacles. « L’an dernier à Marseille, j’ai proposé le spectacle Recréation avec 30 gamins qui viennent sur le plateau. C’était la première fois que leurs parents venaient au théâtre. » 

Le nerf de la guerre

Pour que le projet puisse être à la hauteur de ses ambitions, il faudra aussi compter sur le soutien des collectivités, dans un contexte pas franchement favorable à la culture. Si le soutien de la Ville a déjà été affiché lors du dernier Conseil municipal, reste à convaincre les autres tutelles, que sont l’État, la Région, le Département et la Métropole. Une réunion avait d’ailleurs lieu hier entre les différentes collectivités, et le projet du futur Toursky et de ses financements était certainement au menu des discussions. 

NICOLAS SANTUCCI

Le Théâtre Tourksy va changer de nom
Fondé en 1971, le théâtre ne s’appellera plus Théâtre Toursky. Nom déposé, l’ancienne équipe ne souhaite pas le céder à la nouvelle direction. Un choix que Nathalie Huerta regrette, sans s’apitoyer : « Ce nom a une histoire forte et une reconnaissance auprès du public. Mais c’est aussi une nouvelle page qui s’ouvre, et ce n’est peut-être pas plus mal ainsi. » Si l’association repreneuse s’appelle « Scène Méditerranée », le théâtre ne devrait pas porter ce nom pour autant. Le choix se fera en concertation avec la municipalité explique la direction. N.S.

Une belle histoire qui finit mal  

« Complot politique », batailles judiciaires et pneus crevés… la fin d’histoire de l’ancienne direction du Toursky ressemble à une mauvaise pièce de théâtre

L’invitation a été lancée sur Facebook, sur la page du Théâtre Toursky. Françoise Martin Delvalée, veuve de Richard Martin, ancienne directrice du Toursky, et auto-proclamée « lanceuse d’alerte », publie un long message au vitriol. Elle y dénonce « l’assassinat » du Théâtre Toursky, le déploiement de la police municipale devant les locaux, ou encore « l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques ». 

Le message, partagé près de 500 fois sur ce réseau social, demande à ses soutiens de se réunir vendredi matin avant le Conseil municipal qui doit sceller le soutien de la Ville à la nouvelle direction. Sur place, peu ont répondu à l’appel, une petite dizaine seulement, mais pas de quoi faire redescendre la température pour Françoise Martin Delvalée. 

Au mégaphone, dans la droite ligne de son message précédent, elle déplore un « complot politique », appelle à l’ouverture d’enquêtes parlementaires pour des faits supposés de corruptions, un signalement au « Comité national de la magistrature [sic]» sur « l’instrumentalisation de la justice », s’engage à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme… 

Françoise Martin Delvalée lors du rassemblement devant le Conseilmunicipal © N.S.

Scènes dramatiques de Marseille 

Cet épisode n’est que la suite d’un long feuilleton tragico-judiciaire, qui a débuté lorsque la Ville a décidé de réduire puis de couper les subventions à la Compagnie Richard Martin, gestionnaire du Théâtre Toursky. Pour la mairie, propriétaire des murs, il n’était plus possible de financer un théâtre régulièrement en déficit, à la gouvernance instable, et visé par une enquête ouverte par le procureur de la République pour des chefs d’escroquerie et d’abus de confiance – une enquête toujours en cours.

Autre litige, l’absence de convention d’occupation temporaire signée entre la Ville et la direction du théâtre depuis 2014. Pour prouver son droit à occuper les lieux, l’ancienne équipe se prévalait d’un bail emphytéotique datant de 1970. Le Tribunal administratif de Marseille avait répondu à cette question le 15 juillet dernier : « Outre le fait que le bail emphytéotique, au regard de son importance, aurait dû être en possession de l’association requérante, d’autres mentions et d’autres pièces produites, qui actent d’un prêt gracieux des locaux dans les années 1970 et d’une convention d’occupation temporaire plus récente conclue entre les parties, permettent de tenir pour établie l’inexistence d’un tel bail. »

11 salariés sur 21 conservés

Peu de temps après, l’association gestionnaire était placée en redressement judiciaire, avant que la justice n’étudie les offres de reprises du Théâtre, et qu’elle porte son choix pour le projet de Scène Méditerranée le 4 avril dernier. Un projet que l’ancienne direction dénonce, notamment pour l’absence de reprise de la totalité du personnel. 

« 21 salariés c’est énorme en termes de masse salariale. On a gardé ce qu’on pouvait en fonction de la viabilité économique » se défend Nathalie Huerta, qui rappelle la « prudence » nécessaire dans un « modèle basé sur les subventions publiques. » « Si on n’avait pas fait cette proposition de reprise, le théâtre aurait certainement fermé » tranche Bouziane Bouteldja.

De son côté, Jean-Marc Coppola se dit « attentif à la question sociale », et juge la non-reprise de l’ensemble des salariés « regrettable », même si selon lui c’était le projet qui « reprenait le plus de salariés ». « J’imagine que les acteurs culturels de la ville de Marseille seront attentifs [au profil] des salariés non repris », conclut l’élu. 

« Méthodes de voyou »

Derrière les empoignades médiatiques et judiciaires, une drôle d’ambiance réside aussi dans ce Théâtre Toursky en pleine transition, où des actes de vandalismes sont apparus. La voiture de Richard Martin a été brûlée, et les quatre pneus d’une salariée – favorable à la reprise – ont été crevés. « Des méthodes de voyous » dénonce Jean-Marc Coppola, qui explique avoir été « obligé de prendre des mesures de sécurité pour protéger le site ».

Mais si les deux camps se déchirent, ils pourront s’accorder sur l’héritage que laisse Richard Martin dans ce lieu. Personnage iconique de la vie culturelle marseillaise, figure de la résistance au pouvoir… il serait inapproprié d’entrer au Toursky sans prendre soin de l’illustre fondateur. « On revendique aucune récupération mais on n’efface rien. Ce théâtre a une histoire, il ne faut pas la nier », explique Nathalie Huerta. Bouziane Bouteldja souhaite quant à lui « que ce lieu puisse redevenir ce qu’il a été pendant ses 30 ou 40 premières années. Un théâtre où la vie du quartier a toute sa place ». N.S.


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Nous sommes tous Aboubakar Cissé

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Vendredi 25 avril. Aboubakar Cissé, fidèle d’une mosquée de La Grand-Combe, commune communiste du Gard, est sauvagement assassiné. De dos, alors qu’il prie le front au sol, il reçoit plus de 40 coups de couteaux. Son meurtrier le filme alors qu’il respire encore, et revendique clairement le mobile islamophobe de son acte, en désignant sa cible, Allah.

Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, ne se déplace pas, jusqu’à dimanche. Aucun représentant de l’État, pas même le préfet, n’assiste à la Marche blanche organisée sur place. Personne ne qualifie ce meurtre d’attentat terroriste, pas plus que l’assassinat, quelques jours plus tôt, d’une lycéenne par un jeune admirateur d’Hitler.

Au nom du Père

Le contraste avec l’assassinat du Père Jacques Hamel dans son église en 2016 est frappant. Le meurtre prémédité, perpétré par trois assassins au nom d’Allah durant une courte prise d’otages, avait déclenché une prise de parole forte de François Hollande, alors chef de l’État :

« Ce sont les catholiques qui ont été frappés, ce sont tous les Français qui ont été frappés (…). Attaquer une église, tuer un prêtre, c’est profaner la République, c’est semer l’effroi. »

Des paroles dont il semblait déplacé, alors, de noter l’entorse à la laïcité : les « racines chrétiennes de la France », réfutées au nom de l’histoire depuis Chirac, ressurgissent, à chaque traumatisme, comme un refuge. La France se dit parfois « judéo-chrétienne » – excluant de fait les musulmans et niant son histoire constamment antisémite – mais lorsque les juifs sont visés, les discours officiels ne disent pas que « tous les Français » sont attaqués, mais une « communauté » (Macron), ou « nos amis les juifs » (Marine le Pen). Pas nous-mêmes.

Laïcité à quatre vitesses

Lorsque le 17 mai 2024 un homme tente de mettre le feu à la synagogue de Rouen et est abattu par la police, Gérald Darmanin déclare aussitôt qu’il « s’agit d’un acte antisémite qui s’en prend à un lieu sacré de la République ». Pas de « profanation », pas d’« effroi », mais des amis attaqués que l’on protège. « Nous » sommes Charlie, mais « nous » n’avons jamais été les victimes de l’Hyper-casher. 

Quant aux musulmans, ils ne sont même plus ces symboles d’une altérité que l’on protégeait, ces « potes » auxquels on ne « touche pas ». Lorsqu’une victime est musulmane, sauvagement tuée parce que musulmane, dans son lieu de culte, pourquoi le chef actuel de l’État ne réagit-il pas pendant 48 heures ? Pourquoi assure-t-il, avec une banalité écœurante et fadasse,  du « soutien de la Nation » à « nos compatriotes de confession musulmane », sans dire nous sommes attaqués, nous sommes Aboubakar Cissé ? 

De plus, dans le contexte actuel de durcissement du séjour en France des étrangers, que signifie cette solidarité conditionnelle limitée à nos « compatriotes » ? Elle exclut par omission les musulmans étrangers résidant en France. Sans faire d’amalgame entre deux situations historiques, ni considérer qu’une analogie est forcément signifiante, on peut rappeler que seul le régime de Vichy a tracé une ligne entre le juif français et les juifs étrangers. Il a ainsi envoyé à la mort les déclarés « apatrides » qui fuyaient l’antisémitisme de leur pays d’origine et n’avait pas obtenu la nationalité française. Puis a généralisé les arrestations et la déportation de tous les autres. 

Save Our Souls

L’histoire se répète, hoquette, établissant de fait une hiérarchie entre le « nous », « nos amis » acceptables, puis « nos compatriotes » qu’il nous faut protéger après 48 heures de réflexion, et enfin ceux qui n’ont qu’un titre de séjour. Sans parler de ceux qui n’en ont pas, fuyant pour nombre d’entre eux, comme les juifs apatrides des années 1930, le danger immédiat auquel ils sont exposés dans leur pays.

À Marseille l’exposition dans l’espace public de SOS Méditerranée, Save Our Souls, inaugurée le 29 avril par Sophie Beau, rappelle que la solidarité humaine consiste simplement à sauver ceux qui se noient, à accueillir ceux qui ont besoin d’aide. Charité chrétienne ? Humanisme laïc ? SOS Méditerranée, régulièrement menacée et diffamée, défend simplement une valeur fondamentale de notre République. Les âmes humaines, venues de tous les enfers, quel que soit le paradis terrestre ou céleste auquel elles aspirent.

Agnès Freschel


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Musique et nécessité

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musique
© X-DR

La soirée s’ouvre avec une intervention d’Hughes Kieffer, directeur du festival Marseille Jazz des Cinq Continents « le jazz est une musique pour toutes et tous, une musique qui rassemble ». En faisant le parallèle entre jazz et rap, il décrit Marseille comme une ville qui vibre autant pour l’Opéra que pour le Vélodrome. Il introduit ainsi le prélude au concert : Le Manifeste de la nécessité de l’art et de la culture pour une société apaisée. Mené par le journaliste et écrivain marseillais, Philippe Pujol, avec les jeunes des centres sociaux La Solidarité et Val Plan Bégudes, le projet vise à faire exprimer leurs idées, envies et espoirs  sur la société, il est lu sur scène par trois d’entre eux, accompagnés en improvisation par Raphaël Imbert au saxophone. 

Succès de père en fils

Puis un court extrait vidéo montre Kyle et Clint qui présentent le projet Eastwood Symphonie une Suite des thèmes emblématiques tirés de ses films (en tant qu’acteur ou réalisateur) entre 1964 et 2009. Sur scène, l’Orchestre Philharmonique de Marseille sous la baguette de Gast Waltzing – lauréat du Grammy pour le meilleur album de musiques du monde. La battue du chef est fluide et large comme si la musique sortait de sa baguette enchanteresse. Arrive alors le quintet : Kyle à la basse électrique et la contrebasse, Andrew McCormack au piano, Brandon Allen au saxophone et à la clarinette, Quentin Collins à la trompette et au bugle et Chris Higginbottom à la batterie pour Magnum Force. Des chuchotements disent « trop stylé »…

Les classiques s’enchaînent avec La Sanction, où le trompettiste et le pianiste sont applaudis, puis la musique sentimentale et nostalgique de Sur la Route de Madison. Ensuite vient la Mémoire de nos pères avec son début, lent cérémonial, avant de s’élancer dans un rock-jazz énergétique qui fait briller le batteur. Le quintet déploie sa virtuosité jouant seul sur Bird de Charlie Parker, des applaudissements éclatant solo après solo. Le concert est ponctué d’extraits filmés de Kyle et Clint assis côte à côte, qui parlent du processus de création des œuvres dont la part de Clint est parfois méconnue. Comme pour Gran Torino, dont il compose au piano la mélodie, retravaillée ensuite par Kyle et Michael Stevens. 

Le concert s’achève en bis avec Le Bon, la Brute et le Truand qui se termine avec en grand crescendo et un saut du chef d’orchestre. Des rappels enthousiastes, Kyle et son quintet reviennent sur scène pour remercier le public de leur venue. Standing ovation, des « c’était génial » : le passage à Marseille de Eastwood Symphonic est un grand succès.

LAVINIA SCOTT

Eastwood Symphonic a eu lieu le 23 avril à l’opéra de Marseille

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Un après-midi au PIC 

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PIC
© A.-M.T.

Premier concert : Sébastien Beranger explore le champ électromagnétique. Avec un électro-aimant, il capte les bruits fantomatiques de ses appareils, dessine des gestes autour de l’antenne de son thérémine, modulant ses fréquences, puis passe à sa guitare électrique baryton. Il pose sur la corde une brosse à dents électrique puis un archet électronique pour produire des vibrations avant d’improviser une mélodie mystérieuse et planante…

Pionnières

Le public est ensuite transporté au début du XXe siècle pour un ciné-concert en hommage à Alice Guy – première femme réalisatrice dans l’histoire du cinéma. Le duo Zoppa – composé de Sylvie Paz et Kalliroi Raouzeou est accompagné de la réalisatrice Marie-Céline Ollier. En faisant défiler les images, elle nous conte son histoire. Précurseure du cinéma hollywoodien, Alice Guy est la première à utiliser la narration là où les Frères Lumières  se limitent à des scènes de la vie quotidienne. De ses « erreurs » – images floues, fondus, accélérés –  naît le langage cinématographique. 

Accompagnés en musique par le duo, les courts-métrages – Questions indiscrètesFils du garde-chasse, Sur la Barricade – défilent. Sylvie Paz multiplie les moyens percussifs : elle tape des rythmes à la main, au tambour, au cajon, sur sa guitare. Elle siffle, elle chante en espagnol, grec, portugais et en français. Kalliroi Raouzeou accompagne au piano et chante avec elle d’une voix éthérée. Pour finir, Alice Guy tourne une phonoscène : Marie-Céline Ollier fait l’éloge de son travail sur la lumière – création de « la nuit américaine » – et sur le son :  en enregistrant les voix de ses acteurs sur un phonographe à part, elle est la pionnière du cinéma parlant.

Un duo, un trio

Perrine Mansuy et François Cordas forment un duo jazz au piano et saxophone soprano. Leurs créations – communes et individuelles – transportent le public en balade mélodieuse à travers Magic Mirror,  Si seulement ou encore Time eats us alive. Il suffit que la pianiste claque des doigts, sur Marabout, pour que le public l’accompagne spontanément.

Même complicité avec le Trio Sayat qui clôturait ce mini festival -le PIC ayant accueilli professionnels et scolaires les jours précédents. Nicolas Mazmanian (piano), Jean-Florent Gabriel (violoncelle) et Christian Bini (percussions) se sont liés d’amitié à l’Ensemble Télémaque -qui habite au PIC depuis 2013. Ils ont formé le trio du même nom que le poète d’origine arménienne (Sayat Nova). Ils composent et improvisent un univers enveloppant, rythmé et coloré à caractère et inspiration arméniennes, et d’une virtuosité toute contemporaine. 

LAVINIA SCOTT

PicSounds a eu lieu au PIC, Marseille, le 27 avril 

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Pommerat au Pays des merveilles sombres

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Pommerat
Les Petites Filles modernes Les Petites Filles modernes (titre provisoire) - © Agathe Pommerat

Peut-on être sauvé parce qu’une boîte n’a pas été ouverte, parce qu’on n’a pas soulevé le couvercle d’un puits sans fond, pas avancé vers le vide, pas ouvert les portes successives du long couloir qui révèlent les morts anciennes ? Peut on être sauvé parce qu’on a maîtrisé ses fantasmagories ? 

Ne pas ouvrir les boites. Contrairement à Cendrillon, un des chefs d’œuvre de Pommerat, Les Petites filles modernes ont intérêt à tenir leur promesse et à trahir leurs parents. Leur monde imaginaire est aussi menaçant que leur réalité mais leurs fragilités sont dissymétriques : l’une, incontrôlable, est victime de la violence de ses parents, mais bien ancrée dans le réel : l’autre paniquée, est en proie à un imaginaire envahissant qui lui fait douter de tout, sauf… de son amie qu’elle aime d’amour. 

Aimer et avoir peur

Comme dans Contes et Légendes il est question de la violence de l’adolescence, celle qu’elle subit, celle qu’on lui fait subir. Du rejet social, de l’ambiguïté sexuelle, de l’amour immature, du désir homosexuel. Mais dès la première image, somptueuse, on ne sait pas, littéralement, où s’arrête la scène et où commence l’illusion. 

Dans une scénographie d’une virtuosité époustouflante, Pommerat sculpte les espaces sans aucun projecteur : la vidéo seule éclaire des murs noirs et quelques tulles qui bougent à peine, mais figurent pourtant une infinité de lieux, dont on ne saura jamais si les petites filles les traversent vraiment, ou si elles les rêvent. Les deux, peut-être ? 

Jamais le théâtre de Pommerat n’avait autant ressemblé à la projection sur scène d’images mentales. Lorsque les voix des comédiennes spatialisées circulent autour de nous, lorsqu’on distingue à peine leurs murmures et que la voix off (mais qui est ce narrateur ?) prend le relais, lorsque des lignes et des signes circulent sur une surface qu’on n’avait pas perçue, lorsque tout change en un instant. Le temps, à peine, de cligner des yeux. 

Miroirs et passages

Comme dans un univers réversible deux histoires nous sont contées. Celle des jeunes adolescentes, et celle d’un couple extraterrestre dont l’une est enfermée dans une boîte (celle qu’il ne faut pas ouvrir ?) et l’autre vieillit pendant 100 ans. Tous, interdits d’aimer, se cachent, inventent, sombrent, se sauvent, chaque désir nouveau invalidant le désir précédent, chaque peur se combattant en prenant conscience de son caractère illusoire. 

Frôlant comme toujours la mort, les adolescentes modernes sortiront finalement de leurs fantasmes et de leurs angoisses, toujours aussi liées l’une à l’autre, prêtes à repartir vers d’autres inventions, mais ayant échangé leurs voix et leur corps en traversant les surfaces et en plongeant dans des puits profonds. Tunnel d’Alice, portes de Barbe bleue, sommeil de 100 ans, ours et blanc et tigre peluche, chanteur adulé, manoir hanté, animaux bavards, parents sataniques semblent, au terme du voyage, exister encore dans leurs fantasmes, mais ne plus déborder dans le réel. Comme si nos imaginaires étaient des boîtes de Pandore à garder dans nos poches, soigneusement fermés. 

AGNÈS FRESCHEL

Les Petites filles modernes a été créé à Châteauvallon du 24 au 29 avril.

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