dimanche 27 juillet 2025
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[ Spécial Saisons] CHÂTEAUVALLON-LIBERTÉ : De Toulon à Châteauvallon, l’espace d’une Liberté

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Coupures © Jules Despretz

Le début d’année 2024 a été marqué par la signature de Charles Berling de la tribune sidérante parue dans Le Figaro pour défendre Depardieu, et attaquer les victimes, leurs soutiens et les médias. Le directeur de la scène nationale s’en est excusé, confus, dans nos colonnes et dans d’autres. On peut lui accorder – ou pas – le droit à l’erreur qu’il réclame. Mais au vu de la programmation qu’il met en place on ne peut douter de son combat contre les discriminations, pour la diversité et contre une extrême droite qui dans le Var, et à Toulon, représente plus qu’une menace : une réalité et une histoire. 

À deux

Sur les scènes de Châteauvallon-Liberté, décidément bipolaire, l’année ne s’arrête jamais, l’été présentant une programmation d’exception dans le magnifique amphithéâtre de plein air de Châteauvallon, et la saison étant marquée par quatre temps forts, les Thémas, qui proposent une programmation pluridisciplinaire autour d’un thème sociétal d’actualité. Y croire ? a ouvert le premier trimestre, et Couple(s) débuté l’année : l’occasion, à travers deux expositions, une rencontre avec Eliette Abécassis et nombre de spectacles, d’interroger cette drôle de propension que nous avons d’être à deux, et les nouvelles façon de le vivre. Amoureux ou contractuel, conjugal ou libre, durable ou éphémère, hétéro ou homosexuel, le couple s’interroge sous toutes ses formes : après la création de Marie Vauzelle, Maelström, un texte de Fabrice Melquiot sur les difficultés de l’adolescence et la violence de ses rejets, Rodrigo Portella met en scène Tom na fazenda/Tom à la ferme, magnifique texte sur l’impossible deuil d’un amour homosexuel, ignoré par la famille. Une pièce de Michel-Marc Bouchard, portée à l’écran par Xavier Dolan : au Liberté on aime croiser théâtre et cinéma ! 

Ainsi le théma Couple(s) se poursuit avec A Bergman affair, inspirée d’un roman du cinéaste sur une femme qui n’aime plus son mari, et tombe amoureuse, dramatisé et mis en scène par Olivia Corsini et Serge Nicolaï. Et se conclut à Châteauvallon avec Sans Tambour, un spectacle joyeux sur une rupture amoureuse (!) où Schumann rime avec des effondrements comiques, où le théâtre, le cirque et la musique forment un spectacle total et réjouissant… 

De la mer au travail

Affirmant son ancrage maritime et ses enjeux écologiques et humains, Passion Bleue décline quatre spectacles, avec Marine Chesnais qui danse sa rencontre avec les baleines à bosse, Lucie Berelowitsch qui met en scène la disparition fantastique d’un homme en mer, et l’adaptation de 20 000 lieux sous les mers par Christian Hecq et Valérie Lesort, qui fait la joie des familles depuis près de dix ans. Plus profond encore, le poème de Lucrèce, Evangile de la Nature : la traduction de Marie N’Diaye redonne ses accents lyriques au grand poème de l’épicurisme, fondé sur une acceptation de la « nature » humaine. 

Le dernier Théma de la saison Oh ! Travail traversera la programmation de mars à juin, avec des spectacles très engagés. Dans la mesure de l’impossible déploie la parole des travailleurs de l’humanitaire, ceux qui se confrontent aux guerres, aux horreurs de l’humanité. Un intense et bouleversant spectacle de Tiago Rodrigues

Tout aussi indispensable, Télévision française de Thomas Quillardet revient sur la privatisation de TF1, qui a signé le début du déclin des médias, avec une violence impensée. Coupures de Paul-Éloi Forget et Samuel Valensi se penche sur une fable plus actuelle, celle d’un maire écologiste confronté à ses administrés, tandis que Philippe Collin, Violaine Ballet et Charles Berling inventent un événement participatif où le public sera invité à partager le destin de Léon Blum : ses combats, ses espoirs, et l’ambiance d’une époque partagée dans un grand banquet républicain.

Foison d’incontournables

De nombreuses autres propositions se mêlent à ces grands thèmes qui rythment la saison, avec des artistes de la région, qui sont souvent coproduits, comme Guillaume Cantillon, Sébastien Ly ou Agnès Régolo

La création chorégraphique de Joanne Leighton pour la compagnie Coline, ou la création musicale portée par Tandem, scène de musiques actuelles du Var, avec Rosemary Stanley, sont accueillies, de même qu’une partie importante de la saison de l’Opéra de Toulon, actuellement en travaux. 

La scène nationale coproduit également le dernier conte d’Emma Dante Re Chicchinella, et accueille d’autres grands noms de la scène contemporaine : le cirque Altaï, une création avec Charles Berling sur Montessori, Elsa Lepoivre qui dit et joue des frngments de Rien ne s’oppose à la Nuit de Delphine le Vigan. On verra aussi Rhoda Scott, Yann Frish, Carolyn Carlson, Les Chiens de Navarre, Anne Brochet, Omar Porras… pour une programmation multidisciplinaire qui sait allier grands spectacles, intimité, engagement et créations. 

AGNÈS FRESCHEL

Scène Nationale Châteauvallon-Liberté
Toulon, Ollioulles
Chateauvallon-liberte.fr

[Spécial Saison] Centre dramatique des villages du Haut-Vaucluse  : Que le meilleur pour les villages !

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Mauvaises Graines © Bruno Dewaele

C’est une bien belle deuxième partie de saison qu’a concocté le Centre dramatique des villages du Haut-Vaucluse ! Il dédie notamment une partie de sa programmation à l’histoire, avec d’abord La vie et la mort de J. Chirac, Roi des Français (30 mars) de la compagnie des Animaux en Paradis qui met en scène le roman personnel créé par et autour de l’ancien président, et s’intéresse à l’empreinte de ce dernier sur notre pays. Avec Larmes de crocodile (19 avril), c’est à une histoire plus globale à laquelle s’intéresse la compagnie Hors d’œuvre en interrogeant les biais existant dans son écriture et sa représentation. 

Théâtre et pédagogie 

Le CDDV est surtout riche d’une programmation scolaire cohérente et édifiante, à l’image des représentations début janvier de Babil (Cie du Jour au lendemain) et de La tour de Belba (produit par le CDDV), deux spectacles pensés pour des âges différents à partir du même texte de Sarah Carré qui aborde la question de la communication et de la relation à l’autre. 

Très investi dans « Tous à la page », dispositif départemental d’éducation artistique et culturelle, le CDDV amorce un travail autour de l’engagement avec la compagnie Institout. Ainsi, certains élèves pourront participer à un travail d’écriture et de mise en scène autour de la pièce Mauvaises Graines, donné le 22 mai au Naturoptère de Sérignan-du-Comtat, et le lendemain en temps scolaire. Un autre atelier sera proposé autour de Flemme, prochaine pièce de cette même compagnie. Après avoir raconté la naissance de l’engagement écologiste d’une adolescente dans Mauvaises Graines, l’auteur Benoit Peillon s’interroge maintenant sur les raisons pour lesquels une partie des jeunes ne s’engage pas, et invite donc certaines classes à répondre à cette question avec lui. 

Par ailleurs, la programmation scolaire du Centre Dramatique vise à faire découvrir aux élèves la puissance évocatrice du théâtre. Elle met ainsi à l’honneur les contes, avec notamment Le Petit Chaperon Rouge, présenté par le compagnie Locus Solus qui elle aussi animera un atelier d’écriture pour certains élèves, et Les contes cocasses, une lecture revisitée des histoires de notre enfance produite par le CDDV. 

CHLOE MACAIRE 

Centre dramatique des villages du Haut-Vaucluse 
En itinérance dans le Haut-Vaucluse
06 74 49 21 63
cddv-vaucluse.com

[Spécial Saison] Théâtre des Calanques : Une bonne session de décapage

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Comme les fêtes de fin d’année sont souvent l’occasion d’un grand déploiement d’hypocrisie, aussi bien lors des agapes familiales que des traditionnelles cérémonies de vœux politiques, celle de la Présidence en tête, il fera bon, les réveillons passés, s’immerger dans un bain culturel plus acide pour décaper le tout. Le Tartuffe de Molière est idéal à cet effet : dans la version signée Serge Noyelle,après une tournée en Chine, où l’on serait bien curieux de connaître sa réception par le public de Pékin et Shanghai, il sera repris à la maison, sur le plateau du Théâtre des Calanques, les 26 et 27 janvier, puis du 1er au 3 février. Le metteur en scène s’attaque aux « stratégies de possession des imposteurs, prédateurs et faux-prêcheurs », mais invite aussi monsieur et madame Tout-le-monde à se regarder le nombril, en considérant la pièce comme un exercice réflexif salutaire, « une boule à facettes qui révèle d’abord les perspectives de celui ou celle qui regarde ».

Âme du peintre, es-tu là ?

Dans un même esprit mutin, il annonce aussi sa création 2024, La porte d’Ensor, à découvrir les 22 et 23, puis le 26 et les 28, 29 et 30 mars. Un hommage au peintre anarchiste (et néanmoins baron) James Ensor, pionnier des mouvements artistiques d’avant-garde au début du XXe siècle, dans sa Belgique natale. Serge Noyelle a trouvé dans son œuvre « un champ de liberté esthétique » et réunit neuf personnes sur scène – danseurs et danseuses, acteurs et actrices, chanteur lyrique et musicien- pour l’explorer, en insistant sur la dimension picturale de son inspiration. La pièce, appuyée sur un texte et la dramaturgie de Marion Coutris, est co-produite avec le Groupe 444, un collectif de jeunes artistes issus de l’école Le Cerisier, anciennement affiliée au Nono, le prédécesseur du Théâtre des Calanques, désormais entrés en compagnonnage avec la nouvelle structure. Durant la saison précédente, ce même Groupe 444 avait testé une série de contes pour enfants, destinés aux 6-12 ans, qui a particulièrement séduit le public. Ils se poursuivent donc ce semestre, dans le magnifique cadre du théâtre, aux abords de la campagne Pastré. Rendez-vous est pris les 17 février, 6 mars et 25 mars, avec des histoires différentes à chaque fois.

GAËLLE CLOAREC

Théâtre des Calanques
Marseille
04 91 75 64 59
theatredescalanques.com

Les grandes traversées de Hamdi Dridi

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OM'S de ménage © DR

Cette dernière création de Hamdi Dridi, installé avec sa Cie Chantiers Publics à Montpellier depuis 2005, témoigne d’un travail de recherche en dehors des sentiers battus autant que d’une envie de donner corps à ce qu’il appelle « l’être ensemble ». Sur scène : deux femmes et deux hommes. Des corps qui interrogent. Ils portent des foulards colorés sur la tête, leurs habits font penser à des vêtements de travail, tout en restant assez difficilement identifiables. Ils esquissent quelques pas. Les gestes sont répétitifs, se rapprochant parfois du sol. Mais pourquoi faire ? La finalité importe peu. Le spectateur se surprend surtout à trouver le corps qui danse intensément musical. Les mains, les bras, les pieds… La percussion de ces derniers amplifie la rythmique sur un plateau en résonance. Les quatre danseurs le traversent en tous sens, plus ou moins lentement, plus ou moins coordonnés, plus ou moins seuls. Métissée, la chorégraphie puise sans complexe dans la danse contemporaine, le hip hop et les danses traditionnelles.

L’homme qui danse

Les pas s’échappent des styles, s’évadent en dehors de frontières définies, scandent leur propre mélopée en se jouant des répétitions. Les danseurs s’arrêtent. C’est la fin. Vraiment ? Non, seulement un leurre, celui du silence soudain et des gestes temporairement figés. C’est là que la traversée commence vraiment. La transe prend forme, s’amplifie, prend encore plus de libertés. Les gestes sortent de leur contexte, le mouvement commence et s’interrompt quand on ne s’y attend pas. Tout comme la batterie jouée en live par l’un des artistes. Pourtant, la ritournelle deviendrait presque lassante si Hamdi Dridi ne s’était pas lancé dans un solo à ce moment-là. Tout prend sens en un phrasé. L’écriture chorégraphique, la rythmique obsessionnelle, l’élan des corps. Le chorégraphe-danseur ondule, saute, scande son langage gestuel inspiré des gestes ouvriers avec volupté, nous emportant avec lui. Il est l’homme qui marche, l’homme qui danse, l’homme qui fait le ménage, une particularité partagée (certes à différents niveaux d’équité) par la grande majorité des humains de la planète si on y réfléchit bien. À travers cet artiste, dont le parcours relie avec talent Tunisie et France, tout devient transhumance entre les continents, les cultures, les frontières.

ALICE ROLLAND

OM(s) de Ménage a été présenté les 11 et 12 janvier au Théâtre Jean Vilar dans le cadre la saison de Montpellier Danse

MONTPELLIER : Joue-la comme Bouchaud

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Maîtres anciens (Comédie) © Charles Paulicevich

À Montpellier, on l’avait vu récemment en Iago manipulateur dans un Othello signé Jean-François Sivadier. Un metteur en scène dont il est souvent estampillé « acteur fétiche ». Mais ce mercredi, au Théâtre des 13 Vents, il n’est pas question de jouer collectif pour Nicolas Bouchaud. Non pas que cela ne soit pas de son goût, au contraire, il aime les grandes troupes. Toutefois, le travail qu’il présente au CDN de Montpellier en ce mois de janvier est une exploration de l’art du jeu menée en solitaire. Du moins sur scène. Car pour Maîtres anciens, adaptation du roman éponyme de Thomas Bernhard créée en 2017, il collabore avec le metteur en scène Éric Didry et Véronique Timsit, son autre complice artistique. 

Se taire ou étouffer

Dès les premiers mots prononcés par Nicolas Bouchaud, on comprend que Maîtres anciens est un texte particulier. Un monologue sans en être un puisque dans le roman de l’écrivain autrichien, trois personnages sont à l’œuvre : le philosophe Atzbacher et son vieil ami Reger, critique musical exigeant, dont le premier relaie les propos, et le gardien du musée, Irrsigler. Par la voix du comédien, les trois fusionnent en une pensée sonore, logorrhée verbale d’une logique parfois purement rhétorique. On y apprend que ce Reger aime plus que tout remettre en cause les fameux « maîtres » que la vision traditionnelle nous impose malgré nous. Peintres, écrivains, musiciens, tous passent par son filtre colérique, entre amour et haine. Nicolas Bouchaud narre, scande, aspire, éructe, rit, s’amuse, bafouille parfois, mais ne perd pas le fil d’un récit qui ne s’arrête jamais. Bernhard l’écrit, l’acteur le dit : se taire signifie « prendre le risque d’étouffer ». Même si parler, c’est prendre le risque de se contredire. Beethoven, Heidegger, Bach, Rembrandt, Voltaire… Tous sont passés au fil de la lame du critique qui aime plus que tout chercher les « défauts humains » des œuvres de ces maîtres anciens trop souvent portés aux nues. Malgré tout, Reger le reconnaît : « ils me paraissent profondément rebutants et pourtant je les étudie sans cesse ». D’ailleurs, tous les deux jours depuis 30 ans, il s’assoit sur une banquette du Musée d’Histoire de l’art de Vienne pour admirer L’homme à la barbe blanche du Tintoret. Il nous donne un début d’explication : « Ce sont eux qui me maintiennent en vie ». Mais il prévient, la liberté que l’on a d’aimer l’art, d’en parler, de s’y confronter ne doit jamais faire disparaître notre propre pensée critique. Selon lui « c’est un art de ne pas lire, écouter, regarder totalement ». Ni Dieu, ni maîtres, juste un rendez-vous avec soi. Et avec Nicolas Bouchaud, qui nous a offert une belle leçon de théâtre, l’air de rien. 

ALICE ROLLAND

Maîtres anciens (comédie) a été présenté du 10 au 12 janvier au Théâtre des 13 vents, Centre Dramatique National, Montpellier 

OCCITANIE : L’érotisme de vivre

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Alice Mendelsson et Catjerine Ringer © Mathias Walter

Pendant une longue partie de sa vie, Alice Mendelson a écrit en marge du reste de sa vie, sans jamais chercher à être publiée. En 2021, Catherine Ringer révèle ces textes au grand public, dans L’érotisme de vivre, spectacle initialement créé en soutien au théâtre parisien de La Huchette après le Covid. Dans ce spectacle, Catherine Ringer donne corps et voix aux mots de la poétesse, amie de son père et aujourd’hui nonagénaire. Parfois en chantant, parfois non, l’ancienne chanteuse des Rita Mitsouko, accompagnée sur scène par Grégoire Hetzel, met toute la sensualité de sa voix au service de ces poèmes qui disent l’amour, le désir, la joie de vivre, la joie de tout.

CHLOÉ MACAIRE 

28 janvier
Opéra Orchestre National de Montpellier 

Preljocaj abolit les lois de la gravité

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Gravite © JC Carbone

Au carrefour d’une grammaire classique astucieusement contournée et de tracés audacieusement contemporains, Gravité, créé en 2018 au Théâtre National Populaire (TNP) dans le cadre de la Biennale de Lyon, connaît depuis un succès sans démenti, à l’instar de pièces pourtant tenues pour moins expérimentales – Blanche-Neige ou encore le plus récent Lac des cygnes, affichant régulièrement complet. Un succès dû, entre autres, à une réception critique particulièrement enthousiaste, mais aussi au plaisir renouvelé de ses interprètes et du chorégraphe à la reparcourir. Gravité ne manque en effet ni d’audace ni de créativité. L’opus, non content de questionner les lois de la pesanteur en mettant à profit la force physique et expressive de ses interprètes, s’intéresse avant tout aux liens qui se nouent entre eux. Et nous plonge avec une réelle ferveur dans les profondeurs mystérieuses de l’attraction, obsession récurrente chez le chorégraphe et entrevue de nouveau, entre autres, dans Deleuze/Hendrix ou Torpeur. Une expérience sensorielle qui trouve sa quintessence dans la virtuosité de danseurs rattachés à la pièce depuis déjà quelques années.

Ici, le temps (musical) devient espace

Dès les premières notes de la bande son, où se conjuguent les compositions intemporelles de Bach, Xenakis, Chostakovich, et Ravel avec les rythmes hypnotiques de Philip Glass, Daft Punk, et les expérimentations sonores avant-gardistes du fidèle collectif 79D, le rideau s’ouvre sur une scène où des corps semblent gésir au sol, en apesanteur apparente. Cet initial tableau statique se transforme au gré des décharges successives de mouvements, dévoilant une chorégraphie où une grâce presque irréelle cohabite harmonieusement avec des furies collectives, et parfois même guerrières. Comme souvent chez Preljocaj, c’est entre hommes et femmes que se noue le dialogue le plus intéressant,  caractérisé par une identité partagée mais décalée, et trouvant son équilibre dans la partition complexe de Bach et le canon cancrizans de L’Offrande Musicale. Loin des conflits larvés puis outrés agitant la foule des Noces, Gravité marque un tournant dans la représentation des genres par le chorégraphe. Les duos se succèdent dans une ronde infinie, explorant avec fluidité différentes polarités, notamment dans des portés où la légèreté se marie à la densité de l’espace, créant des tableaux d’une beauté envoûtante.

La chorégraphie, organique et contrapuntique dans son fonctionnement interne, ne se contente pas de juxtaposer des gestes : elle façonne les différents macrocosmes mis en scène en confrontant les mouvements à la légèreté d’un moment et à la densité d’un autre. Ces variations subtiles sur le temps et le rythme, magnifiées par la lumière délicatement mouvante d’ Eric Soyer, guident avec une élégance infinie la progression de l’action, plongeant le spectateur dans un univers où chaque instant peut s’élargir de façon insoupçonnée.

Harmonie des corps

Car c’est bien une harmonie, loin de la contagion ou de l’emprise, qui unit les danseurs. Les échanges sur scène ne sont pas des jeux d’influence. Les duos procèdent d’une dynamique d’échange d’un partenaire à l’autre, d’un dispositif au suivant : elles s’essaient à différentes polarités, notamment dans les portés. On n’efface ainsi pas l’un au profit de l’autre. L’exemple saisissant des deux danseurs propulsant leurs créatures, deux danseuses affublées de casques de moto, révèle une symbiose artistique où les auxiliaires ne sont pas de simples pygmalions, mais des facilitateurs des mouvements surnaturels que les créatures incarnent.

Ces jeux sur le temps et le rythme accompagnent la progression de l’action, jusqu’à ce cercle organique qui retentit au son du Boléro de Ravel, à la fois inquiétant et étonnant de lyrisme, fin parfaite et pourtant différée d’un spectacle jouant habilement sur l’attente.

SUZANNE CANESSA

Gravité d’Angelin Preljocaj
19 janvier
Scène de Bayssan, Béziers

Dans les coulisses du tourisme de masse

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Animal, 2024

Présenté au cinéma La Baleine à Marseille le 10 janvier, Animal de Sofia Exarchou sort en salles ce 17 janvier

En 2016, dans son premier long métrage, Park, la réalisatrice grecque Sofia Exarchou avait tracé un portrait amer de son pays en nous faisant partager l’été de jeunes désœuvrés, d’athlètes à la retraite et de chiens parmi les ruines et les sites sportifs à l’abandon du village olympique d’Athènes, dix ans après les Jeux. Pour son deuxième film, Animal, c’est dans le microcosme d’un hôtel all inclusive d’une île grecque qu’elle nous emmène suivre le travail  quotidien des animateurs. De ceux qui sont chargés de fabriquer aux touristes des moments dont ils se souviendront, les incitant à revenir l’été suivant. « Je voulais faire un film sur le travail en Europe occidentale et dans les sociétés capitalistes. J’ai très rapidement décidé que l’histoire se déroulerait dans l’industrie du tourisme. »

Parmi cette troupe d’employés, trois figures féminines : Kalia (Dimitra Vlagopoulou), la trentaine qui a déjà fait un grand nombre de saisons, Eva (Flomaria Papadaki), 18 ans dont c’est le premier été et la petite Mary 6 ans – ou peut-être un seul personnage à différents moments de sa vie. Kalia à qui la scène, le travail, ont volé les rêves. Kalia que la caméra de la directrice de la photo Monika Lenczewska suit partout, sur scène, dans les coulisses, sous la douche, s’attardant sur une plaie qu’elle tente de réparer… avec une agrafeuse. Car the show must go on ! Le  loisir est garanti à longueur de journée : pour les enfants, les adultes, à la piscine, au bar, à la plage…

Précarité, noirceur, fatigue

Avec ce film, Sofia Exarchou s’est beaucoup documentée sur le travail des animateurs de ces hôtels et les coulisses de ce tourisme de masse, elle a crée son propre univers, une sorte de cirque moderne imaginant avec le chorégraphe Christos Papadopoulos des ballets originaux, une troupe aussi, presque une famille car ces animateurs vivent ensemble dans des logements à la périphérie du complexe hôtelier, comme pris au piège. Tels ces poissons dans un aquarium qu’on voit dés les premiers plans et qui reviennent. Leitmotiv comme le tube des années 1970 Yes Sir, I Can Boogie de Baccara qu’on réentend à la fin, moment bouleversant où Kalia va affronter son destin et sans doute le changer. Ce film à l’esthétique soignée, à la mise en scène fluide met les corps au centre et nous fait réfléchir sur ceux qui les usent en travaillant : « Je voulais surtout parler de ceux qui connaissent la précarité, la noirceur, la fatigue induites par ces conditions. Pour moi, Animal devait être une allégorie pour n’importe quel autre secteur d’activité », précise la réalisatrice. C’est réussi !

ANNIE GAVA

Anima, de Sofia Exarchou
En salles le 17 janvier

Sur les routes russes

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La Grâce © Bodega Films

Sélectionné à la dernière Quinzaine des cinéastes de Cannes, La Grâce d’Ilya Povolotsky, nous embarque dans un voyage du nord au sud de la Russie

Des paysages de montagnes puis de steppes désertiques, un van rouge sur une route cahotante. À son bord, un homme au visage fermé et une adolescente qui mâche bruyamment un chewing-gum. Qui sont-ils ? Que font-ils là ? On ne sait pas grand-chose des protagonistes du premier long métrage de fiction d’Ilya Povolotsky. Taiseux, ils vivent dans ce van qui contient toutes leurs affaires, en particulier le matériel d’un petit cinéma itinérant et une urne funéraire. Il faut accepter de ne pas tout comprendre immédiatement, de se demander ce qui se passe, fasciné par ces paysages qu’ils traversent. Accepter de partager le voyage de ce père (Gela Chitava) et de sa fille (Maria Lukyanova) du sud au nord de la Russie, de la frontière géorgienne jusqu’aux rives de la mer de Barents. Chercher de l’eau, se ravitailler en essence, monter un écran de fortune dans des lieux improbables, montrer à des villageois, sortis de nulle part, Le Frère, un film culte d’Alexeï Balabanov. Le père vend sous le manteau des DVD pornos et se fait poursuivre par des villageois furieux. Avec son polaroid, la fille prend des photos des gens qu’elle croise, des paysages et même de dos, nu, le premier garçon avec qui elle a couché mais qui ne doit pas la suivre.

L’histoire d’un passage

Tourné en pellicule, en longs plans séquences, panoramiques et plans fixes, le film d’Ilya Povolotskynous donne à voir des paysages désolés, un monde fantôme aux couleurs de l’hiver, où « l’été semble avoir été annulé », d’immenses bâtisses aux murs lépreux. Parfois, père et fille ne peuvent poursuivre leur voyage ; la route est coupée. Des gens en combinaison blanche ramassent des poissons morts, décimés par la peste. Au fur et à mesure que l’on va vers le nord, les couleurs deviennent de plus en plus minérales, le temps semble se dilater jusqu’à la mer qui emporte les cendres. « Le film a l’air d’être un road-movie mais c’est inexact. C’est une histoire de passage à l’âge adulte, de maturité »,explique sa réalisatrice. Tourné dans l’ordre chronologique en 42 jours sur 5000 km, La Grâce est un superbe film, âpre, dont les images restent en mémoire comme ces albums anciens qu’on feuillette au fil du temps.

ANNIE GAVA

La Grâce, Ilya Povolotsky
En salles le 24 janvier

Quand le mensonge sonne juste

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"Celui qui s'en alla" de Lisa Guez © Clara Normand

Dans Celui qui s’en alla, Lisa Guez donne à voir un manipulateur mythomane dans une mise en scène épurée et surréaliste

Avec ses pièces, Lisa Guez explore les phénomènes d’emprises. C’est ce que l’on a de nouveau pu constater au Théâtre Joliette ces 12 et 13 janvier avec Celui qui s’en alla, qui s’intéresse à la figure du manipulateur. Alexandre (Arthur Guillot) ne ressent pas la peur. Il ne ressent rien d’ailleurs, alors il joue avec ce que ressentent les autres, avec leur vie toute entière même. Interné dans un hôpital psychiatrique, il rencontre Maria (Nelly Latour), une jeune patiente qui, suite à un accident, est incapable de distinguer ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Il s’engouffre dans cette brèche. Alexandre est un mythomane, un manipulateur incapable de ressentir quoique ce soit. Il affabule en permanence, si bien que tous ceux qu’il rencontre se retrouvent comme Maria, incapables de savoir s’il dit vrai ou non. La mise en scène épurée et surréaliste épouse avec subtilité les formes de ses affabulations, concrétisant sur scène certains de ses récits.

Le faux gourou
Les cinq personnages secondaires sont autant de nuances de relation d’emprise qui peuvent exister avec un tel manipulateur. Si chacun d’entre eux est tout à fait singulier, une différence est visible entre l’écriture des personnages masculins et féminins. Les hommes, assez caricaturaux, veulent qu’il donne un sens à leur vie, ils cherchent en lui un gourou. Au contraire, les femmes se débattent davantage dans ses filets, elles voudraient développer de vraies relations humaines avec lui.

Ce qui est intéressant, c’est qu’il est très peu question d’argent, de statut social, de sexe. Alexandre ne tire aucun bénéfice concret de ses manipulations. Il détruit pour le plaisir, pour tester les limites, sans que jamais rien ne l’affecte. Ou presque, car il semble par moment souffrir de cette différence. Mais peut-on le croire ? Alors on comprend sa mère qui veut l’aider, son ex-petite amie qui veut croire en lui. Le spectateur aussi est pris au piège de ce bijou de théâtre contemporain.

CHLOÉ MACAIRE

Celui qui s’en alla a été donné les 12 et 13 janvier au Théâtre Joliette, Marseille.