jeudi 18 septembre 2025
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Les Hivernales : Danser Partout

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GIGI Chorégraphie et interprétation : Joachim Maudet © Laurent Pailler

Alors que dans Foreshadow, des danseurs-circassiens se confrontent au mur que leur oppose Alexander Vantournhout (23 février), le ballet de l’Opéra d’Avignon se forge à l’Olympiade, élaborée à ses mesures, par Antonio De Rosa et Mattia Russo (24 février).

Maître de la danse-escalade, Antoine Le Menestrel et les grimpeurs de para-escalade de l’association ATHOM, livreront un travail en cours, en vue d’une création labellisée Olympiade Culturelle Paris 2024 (25 février). Rester verticale, est le mot d’ordre pour les six danseuses d’AYTA, pièce signée Youness Aboulakoul produite par les Hivernales (29 février). 

Nouveau partenaire du festival, l’Alpilium de Saint-Remy-de-Provence reçoit Sébastien Ly et Sideral, création pour danseuses, agrès et sons spatialisés (28 février). Outre cet artiste installé dans le Var, les Hivernales convient deux autres compagnies de la région. Chanteur-danseur, Simon Bailly présente Canti une pièce, pour pour quatre interprètes, qui creuse une écriture où la gravure s’inscrit dans les voix et le mouvement (24 février). Implanté à Toulon, Maxime Cozic évoque l’ivresse des corps dans Oxymore, duo, corps à corps, à base d’ivresse durant lequel le hip-hop déborde le contemporain (29 février). 

La fantaisie n’est pas en reste, notamment le 27 février, qui verra se succéder Gigi, solo autobiographique, parlé-dansé par Joachim Maudet, suivi des Grâces, mise en jeu des canons de beauté, par un quatuor conduit par Sylvia Gribaudi.

Par delà les talents émergents ou consacrés : Bintou Dembélé, Yvann Alexandre, Régine Chopinot…, le programme donne à découvrir des artistes mal identifiés sur Avignon, telle la suissesse Rafaëlle Giovanola. A l’honneur sur l’affiche des Hivernales, cette ancienne interprète de William Forsythe, place dans Vis Motrix, les danses de rue à l’épreuve de l’horizontalité (1er mars).

Enfin, des paroles de danseurs : Donnez-moi une minute, désigne les portraits vidéos, réalisés au quatre coins de la planète par Doria Bélanger, qui seront projetés en continu (23 février- 2 mars) au Grenier à sel. 

MICHEL FLANDRIN

Les Hivernales, un des plus anciens festivals de danse contemporaine française, a historiquement porté une attention soutenue aux combats féministes. La programmation présente cette année 13 spectacles d’hommes, dont 3 coproduits, et 6 spectacles de femmes, qui ne sont pas coproduits. Un déséquilibre très étonnant, qu’on espère passager ! A.F.
Hivernales d’Avignon
jusqu’au 2 mars

Variétés/Artplexe : Quand l’élève rachète le maître 

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Cinéma Les Variétés sur la Canebière © A.F.

La semaine dernière, le site d’information Made in Marseille annonçait la vente du cinéma Les Variétés aux propriétaires de l’Artplexe. Une décision qui a surpris le monde du cinéma marseillais et les habitués du cinéma historique de La Canebière. Mais ce rachat est pourtant un projet de longue date de Philippe Dejust et Alexis Dantec, associés à la tête de l’Artplexe. Ils avaient déjà tenté d’acquérir Les Variétés lors de son dépôt de bilan de 2016. Le rachat des Variétés (et du César) par Jean Mizrahi en décembre de la même année était donc venu contrarier leur plan, et à plus d’un égard. 

En effet, l’Artplexe devait originellement être un multiplexe d’art et essai. Les deux associés avaient déposé une demande d’autorisation d’exploitation cinématographique en ce sens. Cette demande ayant été acceptée par la préfecture, ils ont cependant choisi de modifier leur ligne lors de la reprise et de la rénovation des Variétés, comme nous l’explique Philippe Dejust : «  Les Variétés faisaient de l’art et essai à 500 mètres de chez nous et venaient d’être subventionnés et rénovés,. On a avait donc le choix entre abandonner notre projet ou le transformer en quelque chose de plus commercial ». 

C’est ainsi qu’est née la ligne actuelle du multiplexe, situé en haut de la Canebière, à savoir 30% d’art et essai et le reste de films grand public, contre 100% d’art et essai aux Variétés. 

Démarrage en côte

« Nous avons modifié notre projet d’origine car notre objectif n’était pas de rentrer dans une bataille frontale avec Les Variétés, mais de densifier l’offre cinématographique de Marseille, qui est une ville notoirement sous-équipée » informe Philippe Dejust avant de rappeler que le multiplexe était une demande de la municipalité à la fin de la dernière mandature de Jean-Claude Gaudin. Une demande coûteuse pour les collectivités, l’Artplexe ayant reçu plus d’1,6 million d’euros de la part  du département et de la Métropole pour la destruction de l’ancienne mairie du 1er et 7e arrondissement et la construction, en lieu et place de celle-ci, du cinéma que l’on connaît aujourd’hui. 

Mais tout l’argent – privé et public – investi et la stratégie de différenciation avec Les Variétés n’ont pas suffi à convaincre le public. Avec ses sept salles parfaitement équipées et son millier de places, le tout jeune cinéma n’a enregistré que 100 000 entrées la première année et 150 000 la suivante, ce qui le maintient dans une situation de déficit. 

Un début très compliqué que Philippe Dejust impute à la « concurrence directe des Variétés, que l’on n’avait pas imaginée aussi forte ». A titre comparatif, les sept salles et 550 sièges du cinéma Les Variétés lui ont permis d’enregistrer 220 000 entrées en 2023. 

Concurrence préjudiciable

« On s’est rendu compte que la difficulté principale venait de la partie art et essai : les distributeurs favorisaient Les Variétés, ce qui est tout à fait normal étant donné que c’est un cinéma classé art et essai ». Il cite l’exemple d’Anatomie d’une chute, Palme d’or oscarisée dont l’Artplexe n’a obtenu une copie que sept semaines après sa sortie, enregistrant seulement 5000 entrées, contre 15000 aux Variétés qui l’ont projeté dès sa sortie. 

D’après lui, ce cas illustre aussi le fait qu’un certain public préfère se rendre aux Variétés et se refuse à l’Artplexe, et vice versa. Un choix qui serait « militant » pour les premiers, l’ancien cinéma étant un lieu culturel indépendant et historique du centre-ville. 

Acquisition sans fusion

C’est face à ce constat que Philippe Dejust et son associé Alexis Dantec se sont rapprochés de Jean Mizrahi pour acquérir Les Variétés. Lors de l’annonce de la vente, les deux associés ont annoncé qu’il n’y aurait ni plan social ni modification de la grille tarifaire, bien que rien ne les y oblige contractuellement. Les deux sociétés restent indépendantes l’une de l’autre, mais Bernard Cohen, directeur de l’Artplexe, supervise à présent les deux lieux.

L’objectif du rachat est d’évacuer une « concurrence négative » qui nuisait à l’Artplexe, et de créer une programmation « plus structurée », plus cohérente entre les deux cinémas. En outre, cela devrait permettre de désengorger Les Variétés qui, selon Philippe Dejust, peinent à combler la demande du public depuis la fermeture du César, l’autre cinéma d’art et essai du centre marseillais. « Le principe de l’exploitation cinématographique est de pouvoir offrir le plus de diversité possible aux spectateurs, ce qui est compliqué aux Variétés qui est trop petit et manque de place » explique-t-il, avant de préciser qu’une programmation conjointe permettra « de projeter les films dans plus de salles et de les garder plus longtemps à l’affiche ». A terme, l’entrepreneur projette de proposer une quarantaine de films par semaine entre les deux lieux, ce qui permettrait selon lui de doubler le nombre d’entrées à l’Artplexe tout en maintenant celui des Variétés. 

CHLOE MACAIRE

Nos armes tragiques

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Marion Brunet © X-DR

Les personnages de Nos armes sont déchirés entre enfermement et liberté, amitié et trahison, espoir et résignation, amour et manque. Le lecteur est immergé dans une tragédie moderne qui cavale, s’arrête, reprend son souffle, attend et nous embarque à nouveau dans un tumulte puissant. Le jeu sur les différentes temporalités et le mélange des voix permet de capturer des histoires entières de vies, y compris les moments d’introspection et d’incertitude qui en sont les ressorts les plus puissants. Ce roman, à la fois noir et profondément lumineux, peint des figures de femmes réalistes et fortes, dans la lignée des romans d’Albertine Sarrazin et de Goliardia Sapienza. Ce sont des femmes qui désirent, jouissent, s’engagent, se battent et abandonnent aussi, agitées par une violence terrible qu’elles exercent parfois et subissent souvent.

Zébuline : Que signifie militer pour vous aujourd’hui ?

Marion Brunet : Je pense que le sens n’a pas changé. Les moyens sont peut-être différents aujourd’hui. Le militantisme c’est d’abord un rassemblement de gens qui se positionnent contre l’état des choses et du monde. Ils se rassemblent par affinités de convictions et parfois aussi par pure affinité. Au départ c’est souvent une histoire d’amitié ou d’amour.

Est-ce que vous considérez que le roman est un outil pour militer ? 

J’ai du mal avec l’idée d’écrire un roman militant. Mes livres ont souvent plusieurs entrées. Nos armes parle d’amour, de solitude, de rédemption, de trahison, de séparation. Pour autant, il y a des effets secondaires au roman. Le choix des personnages, les histoires qu’ils traversent peuvent avoir un côté militant.

Vos personnages ne font pas partie des classes sociales élevées de notre société. Pourquoi ?

Il y a des bourgeois qui militent mais ce n’est pas le même moteur. Quand on est dans une situation précaire, il y a plus de colère et moins de choses à perdre. La colère est plus vive avec un sentiment d’injustice plus fort.

Par conséquent la chute pourrait être moins élevée. Pourtant on a la sensation d’une chute vertigineuse dans Nos Armes.

Oui, mais ce n’est pas une chute sociale comme chez Zola. Déjà les personnages essaient de transformer le monde. Ils ne veulent pas monter socialement. Je crois que si c’est vertigineux, c’est parce qu’ils chutent du haut de leurs espoirs. 

L’univers carcéral est au cœur de ce dernier roman. Comment l’avez-vous approché ?

J’ai fait un atelier mixte avec une camarade illustratrice Lucile Gauthier aux Baumettes pendant quelques mois. J’avais déjà mon projet de roman. A la fin de l’atelier, j’ai demandé à certaines femmes de s’entretenir avec moi.

Est-ce qu’un écrivain doit expérimenter une situation pour transmettre les émotions qui en découlent ?

Non. Je pense qu’on peut écrire sur la prison sans en avoir fait. À ce moment-là, j’étais à un moment de l’écriture où je sentais que j’avais besoin d’une certaine forme de légitimité. Je voulais me confronter au réel pour éviter de me tromper.

Quel lien faites-vous entre colère et passage à l’acte par la violence ?

Le lien est énorme et direct. La colère entraîne le passage à l’acte. Certaines personnes ont choisi la lutte armée comme outil politique avec des stratégies et n’étaient pas forcément dans une colère chaude. Je voulais m’écarter de ces groupes. Je voulais créer des personnages dont les ressorts de l’action sont davantage psychiques qu’idéologiques.

Quelle est la place de la lecture pour vous ? 

Elle n’a pas toujours les mêmes fonctions. Ça peut être le plaisir de l’imaginaire, l’évasion, l’apprentissage de la vie et de l’écriture, la découverte d’autres cultures. Tout cela mélangé fonctionne encore pour moi aujourd’hui. Le roman reste ma forme préférée. J’aime aussi le théâtre et je continue à lire de la poésie. 

Dans vos romans, les dialogues tiennent une place importante et sont très réalistes. 

Je trouve que les dialogues sont en prise avec l’histoire qu’on raconte. En tant qu’autrice, la langue est importante mais il ne faut jamais oublier de raconter une histoire. Il faut attraper l’autre. Le dialogue a cette fonction d’immersion directe. Les personnages parlent et sont là. On les entend rire et vivre. 

Entretien réalisé par Julie Surugue

Nos armes de Marion Brunet
Albin Michel, 20,90 €
Marion Brunet elle est la lauréate 2025 du prestigieux prix suédois de la littérature jeunesse, le prix commémoratif Astrid-Lindgren

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Les secrets d’une valise bleue

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Membre du collectif Inculte affilié aux Editions Actes sud, Nicolas Richard, connu pour ses traductions de textes de langue anglaise, trouve néanmoins le temps d’écrire des romans. Le sixième vient de sortir et présente la particularité troublante de mélanger une imagination débordante à une réalité qui lui est proche puisqu’il met en scène sa propre grand-mère dont il a recueilli les souvenir stupéfiants. Jugez-en : à plus de quatre-vingts ans, sur la demande de sa demi-sœur, Jeanne se met à consigner dans un cahier la vie de ses parents qui n’avaient vécu que quelques semaines ensemble, et celle d’Emma, rencontrée quand elle avait 10 ans, et qui avait épousé son père, Jean, en troisième noce. Mariage qui ne dura pas plus de temps que les deux précédents d’Emma qui, de vendeuse de rubans, s’était retrouvée propriétaire d’un cabaret, chanteuse et vedette ! Ces trois mariages terminés tragiquement dans des circonstances douteuses les deux sœurs se sont posé des questions sur la véritable personnalité de la séduisante Emma. Ensorceleuse ? Meurtrière ? Jeanne était née en 1916 lorsque son père se battait pour la France. Sa mère, Marie, avait quitté la France en 1918 pour refaire sa vie en Uruguay laissant sa fille aux soins de ses grands-parents. Tout cela ne constitue que le début de l’histoire ! 

« Rafistoler » le passé

D’autres événements, d’autres amours, et des voyages de Montevideo à Buenos-Aires, de Paris à Tombouctou, de Dakar à Toulouse pimentent le récit de Jeanne qui puise dans une valise bleue des photos, des extraits de presse, des lettres, qui lui servent à reconstruire l’histoire. L’univers de paillettes et d’illusions du cabaret, celui de la cocaïne dans lesquels beaucoup s’étaient perdus, tranchent sur celui très douloureux d’une compagnie d’exploitation du coton en Afrique dans laquelle Jean exerça comme médecin sans pouvoir. Si vous aimez les intrigues, ce roman est fait pour vous.

CHRIS BOURGUE

La chanteuse aux 3 maris de Nicolas Richard
Inculte, 21,50 €

Rocky, épopée contemporaine  

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Rocky, paru chez Rouge Profond en 2023, navigue entre les écritures : le premier chapitre est composé d’un florilège de photographies extraites du film Rocky, moments-clés dont les sous-titres seront les têtes de chapitre. Enveloppant les propos, deux parties de monologue ouvrent et referment le texte. Mots en italique plongés dans les pleurs de l’enfant qui voit sa mère sauter d’une voiture en marche et ceux de la fin qui, peut-être, se transforme en réconciliation avec soi : l’adhésion inconditionnelle d’« I love you »… les mots qu’Adrienne (version française d’Adrian) lance à Rocky alors qu’il lui demande où elle a mis son chapeau. Le sublime voisine l’incongru et le mythe universel peut se mettre en place : la tragédie fait le grand écart entre la fange et les étoiles.  

Rocky Balboa sur le divan

Les réflexions qu’inspire le film à François-Xavier Renucci sont mises en scène. Le discours est dialogué ou rapporté sous forme d’un journal destiné au psychiatre fasciné par le cas de ce personnage, Jacques C., venu spontanément le consulter. À travers les références au film de Stallone, se dessine la vie du patient et s’élabore une manière d’appréhender le monde, fine, foisonnante, aiguisant sa perception des choses par des raisonnements à sauts et à gambades, selon la formule de Montaigne, célébrant à la fois la liberté du style et de la pensée et son rythme parfaitement codifié. 

Débute alors un « commentaire vagabond » qui, chapitre après chapitre, va se nourrir des vingt clichés choisis aux premières pages de l’ouvrage. L’intrigue s’éclaire de références multiples, on croise le Caravage dans le clair-obscur du premier plan ; les lumières qui orchestrent le tableau en arrière-plan du personnage de Rocky sont celles qui sont utilisées pour l’ensemble de la scène. Le film de culture populaire se moire peu à peu d’un faisceau de repères qui convoquent l’histoire du cinéma, la grande histoire, la littérature, la musique. Le film est scruté dans ses moindres détails. Une cage aux oiseaux, et voici Adrienne et Rocky « oiseaux volants dans la nuit des rues de Philadelphie ». Les noms des animaux sont forcément littéraires : le poisson rouge surnommé Moby Dick renvoie au « monstre blanc symbolique, (…), l’océan devenu animal, traversant les mers du globe ». Les rapprochements les plus acrobatiques s’effectuent, danse légère sur les réminiscences filmiques et littéraires. Tout fait sens, emporté dans le flux puissant de l’épopée. Car il s’agit bien de cela, trouver au cœur de l’œuvre un souffle épique : les dieux antiques veillent, Apollon transparaît tandis que la lune, Phoebe, décline ses énigmes nocturnes. On franchit les océans, Christophe Colomb débarque sur les terres qu’il découvre et ne porteront pas son nom, la bataille de Philadelphie s’étire encore durant des mois avant d’être gagnée par le jeune peuple américain contre les Britanniques pendant la guerre d’indépendance. On s’enflamme aux confins du monde puis on retourne au trivial, nécessaire contrepoint de l’héroïsation. Il y a les fesses de Rocky, le clou dans le gant de boxe, la Ventoline de Tony Gazzo, le caïd de quartier, le « who cares ? » de Rocky désabusé. Il faut tenir les quinze rounds du match de boxe contre le champion invaincu, peu importe de perdre. C’est au bout d’une nuit de lutte que la petite chèvre de monsieur Seguin meurt sous les coups du loup, mais elle a réussi à résister toute une nuit…

Les géographies de l’écriture

Dix séances et neuf lettres circulent autour du film et de sa lecture par Jacques Casanova (y a-t-il un nom qui ne soit pas anodin dans ce livre ?). On renoue avec les techniques du cinéma, grâce est rendue aux monteurs, les vrais artisans du film. Sont évoqués les premiers essais de cinéma, pas L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat (qui sera cependant utilisé en clin d’œil), film projeté en 1895, mais les Monkeyshines de 1889 ou 1890 de William K.L. Dikson et William Heise, représentant un personnage très flou dont la silhouette qui s’agite rappelle au narrateur celle de Rocky. 

L’écriture trouve des écrins, la chambre d’hôpital puis une petite maison à Pléneuf Val-André. Est-ce un hasard ? Ce fut le lieu de villégiature du poète Jean Richepin, il y est d’ailleurs enterré. L’une de ses premières œuvres, La Chanson des gueux, lui valut un mois de prison et 500 francs d’amende, scellant sa réputation de Villon des temps modernes… Une autre figure rebelle à convoquer ? 

L’artifice géographies littéraires s’amuse jusqu’à la fin du livre où sont donnés les lieux d’écriture de l’écrivain, Isseuges, en Auvergne et Aix-en-Provence… en exergue déjà l’auteur glisse une pointe d’humour avec le célèbre « Dignity ! Always dignity ! » de Gene Kelly dans Singin’in the Rain.

L’analyse filmique découvre des symétries qui articulent aussi le cheminement du livre. L’imaginaire collectif se love dans les œuvres du cinéma. Tout revient à l’écriture, le film s’inscrit dans la littérature qui nous a forgés. On sourit aux exigences de la ponctuation invoquées par Jacques alors qu’il écrit à son médecin : « vous me l’aviez bien dit : maîtrisez votre ortho-syntaxe ! La ponctuation est le fondement de la civilisation ». Exigence vite remise en cause : la respiration de chacun est le seul critère de la musique des pages. Celles-ci dissimulent aussi un flipbook dessiné par Olivier Mariotti, hommage au héros campé par Stallone. 

L’œuvre n’est en rien solitaire, mais la conjugaison de nos souvenirs, de notre culture, de notre sensibilité. En cela elle est unique et multiple tout à la fois. Le livre de François-Xavier Renucci est passionné, passionnant, érudit avec légèreté, profond dans l’analyse de notre relation aux œuvres.

MARYVONNE COLOMBANI

RockyFrançois-Xavier Renucci, éditions Rouge Profond, 22€

Vendredi 2 février, la bibliothèque de la Halle aux Grains accueillera François-Xavier Renucci pour une rencontre à partir de 18heures : « Rocky Balboa sur le divan : psychanalyse d’un chef-d’œuvre » 

Si tous les enfants du monde…

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Le théorème du pissenlit © Christophe Raynaud De Lage

En mettant en scène Le Théorème du Pissenlit, Olivier Letellier, directeur des Tréteaux de France, se met une nouvelle fois à hauteur d’enfants. Y compris lorsqu’ils sont esclaves et se révoltent. La traduction en direct, interprétée par Vincent Bexiga, et les gilets vibrants disponibles, permettront aussi aux malentendants de profiter du spectacle, simple et efficace dans son message comme dans son traitement.

La pièce de Yann Verburgh fait alterner les scènes chez un enfant français qui se fait offrir un jouet, dont il découvre qu’il est fabriqué par une petite esclave… et l’histoire de cette Li-Na et de son ami Tao :  sans misérabilisme et avec une vraie force poétique elle décrit l’esclavage industriel des enfants, à l’autre bout des chemins des cargos marchands.

Les cinq acteurs, dont un qui lance un diabolo jaune pissenlit dans les airs, se passent les rôles, enchaînent les univers, alternent narration et dialogue avec une aisance et une souplesse souvent drôlatiques, et parfois émouvantes. Le décor, fait de casiers à bouteille combinés comme les mots et les rôles, est lui aussi efficace et anonyme, tels les bleus de travail des comédiens, qui prennent quelques couleurs et s’individualisent durant les scènes en Europe.

Reste que ce spectacle, qui s’adresse directement aux enfants, confiant dans leur capacité de solidarité et dans la force des ouragans et des fleurs, fait le constat d’une incapacité totale des adultes à prendre le relais de leur combat et de leur révolte face au capitalisme globalisé. Le père, drôle, se défile, les marchands sont complices, les journalistes achetés, les politiques démissionnaires, l’instit à peine impliquée, tous incapables de solidarité. Doit-on attendre la révolte des enfants et faire le constat de notre incapacité à les protéger ?

Agnès Freschel

Le Théorème du Pissenlit a été joué le 17 février au Théâtre des Salins à Martigues
À venir
Les 22 et 23 février
La Criée, Marseille
En co-accueil avec le Théâtre Massalia

Entre jamais et toujours

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Rien d’édulcoré ni de « gnangnan » dans le programme donné au GTP ce soir de Saint-Valentin! La fadeur ne fait pas partie du vocabulaire des musiciens en présence. Le Cercle de l’Harmonie sous la houlette de Jérémie Rhorer joue « à la maison » au Grand Théâtre où il est orchestre en résidence.
En préambule il reprenait l’Ouverture des Noces de Figarode Mozart dont il avait joué l’opéra au Théâtre des Champs Élysées en 2019 pour la première mise en scène du cinéaste James Gray. La clarté de la direction met en évidence tous les pupitres, donne à écouter l’orchestre dans la multiplicité de ses voix en un tempo soutenu et un sens subtil des nuances. L’orchestre raconte, respire. Les instruments solistes ajoutent à la finesse de l’ensemble, flûte aérienne de la Danse des esprits bienheureux de Gluck, violon solo éblouissant de la Méditation de Thaïs (Jules Massenet) accompagné par une harpe aux intonations déliées… 

Victoire de la musique 2023, mais déjà appréciée follement à plusieurs reprises au Festival international de musique de chambre de Provence, Marina Viotti, délaissant pupitre et partitions, joue les extraits d’opéras qu’elle interprète. Elle sera vive et mutine dans le Voi che sapete, air de Chérubin des Noces de Figaro, où le jeune homme déclare son amour à toutes les femmes, englué délicieusement dans le vague des passions naissantes. Dans les extraits d’Orphée et Eurydice de Gluck, elle incarnera d’abord la joie du poète dans Qu’entends-je ?… Amour vient rendre à mon âme, puis, bouleversante, elle dira les larmes qui scellent la perte de l’aimée, condamnée à rester dans les Enfers, J’ai perdu mon Eurydice. Vocalises étendues, ornementations étonnantes d’inventivité, chromatismes périlleux, sont exécutés avec une aisance confondante…
Émouvante dans l’évocation du sacrifice d’Alceste qui demande à mourir à la place de son époux, Marina Viotti choisit de conserver la pureté de la déclaration d’amour de Dalida, Mon cœur s’ouvre à ta voix, (Samson et Dalida, Camille Saint-Saëns), préférant de son propre aveu préserver le sentiment amoureux sans la perversité de la jeune femme qui séduit Samson pour lui couper les cheveux et lui enlever toute force.
Rareté aussi lors de ce concert, la diva présente le programme en donne les lignes directrices, apporte la fraîcheur de ses commentaires. Piquante dans la ritournelle de Carmen (Bizet) Près des remparts de Séville (passage qui sera repris en bis), elle se glisse dans « l’ascenseur émotionnel » de la grande scène du III de La Favorite de Donizetti avec un phrasé d’une bouleversante limpidité.
En bis elle offrira aussi, Saint-Valentin oblige, le Rondo final de la Cenerentola de Rossini. Sa finesse espiègle ne laisse pas croire à une Cendrillon qui attend robe, carrosse et prince charmant ! On termine par Carmen, indomptable. Non, la Saint-Valentin n’est pas en guimauve !

MARYVONNE COLOMBANI

Le 14 février, GTP, Aix-en-Provence

Derniers tours de piste aux Élancées 

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Tea Time © Artechange

C’est à domicile qu’officiait samedi matin Marguerite Salvy, enseignante au conservatoire de Port-Saint-Louis. Avec Tea Time, la chorégraphe explore une délicieuse idée : danser en compagnie de sa fille Juliette, 9 ans. Ambiance chaleureuse dans la salle de l’Espace Gérard Philipe, à l’issue de trois jours d’ateliers avec les scolaires, pour accueillir ce tour de danse plein de grâce et d’espièglerie. Une ravissante communion mère fille, chacune virevoltant dans sa robe rouge, sur la musique enlevée d’Anna Idatte jouée live. Pour toute scénographie, un service à thé et trois cubes gigogne se métamorphosant à l’envi en meubles, puzzle ou cabane, permettent de mieux explorer le panel de jeux de la petite enfance, entre mimétisme et désir d’émancipation. Comme source d’inspiration, le quotidien de cette attachante famille : des séances de rangement mises à mal, une dégustation de thé comme soupape au milieu du tumulte quotidien… 

Plus tard dans l’après-midi, l’élégant mini chapiteau de Bêtes de foire cueillait les spectateurs au cœur du centre équestre istréen Le Deven. Dix ans après leur première création commune, Elsa de Witte et Laurent Cabrol combinent une nouvelle fois leur appétit pour les machineries de fortune et jonglage d’accessoires – ici les chapeaux – toujours portés par une méticulosité et un amour des personnages muets haut en couleurs, inquiétants parfois, saisissants toujours, régnant sur un véritable capharnaüm organisé. 

Forain revisité 

Luminaires, instruments, vestes de costumes et chapeaux haut de forme y pendent de toutes parts : Décrochez-moi ça, c’est bien le credo autour duquel s’articulent les saynètes du spectacle. Sur un plateau tournant, une redingote s’enfile comme une demande en mariage, les costumes abandonnés gisent telles des mues, symbolisant tour à tour des corps absents ou saillants… Épaulés par un homme orchestre et un régisseur à vue, les hôtes des lieux, yeux fiévreux plantés dans ceux des spectateurs, animent ce cabinet de curiosités en mouvement autour d’une scie musicale, d’un chien taquin, de facétieuses marionnettes qui prennent vie puis s’évaporent, menant vers un final époustouflant baigné d’onirisme, de miroirs et de fumée.

JULIE BORDENAVE

À venir
D’autres pépites à glaner : des propositions chorégraphiques singulières explorant corps entremêlés (La boule le 21 février à Fos-sur-Mer) ou états de tension (Bounce Back le 23 février à Grans), mais aussi plusieurs temps forts disséminés sous chapiteaux : contorsions d’Alice Rende (Passages le 24 février à Istres), funambulisme immersif des Colporteurs (Coeurs sauvages, du 23 au 25 février au Deven) ou encore collapsologie roublarde des acrobates de Circus Baobab (Yé !,les 24 et 25 février à l’Usine).

Jusqu’au 25 février
Istres et alentour
scenesetcines.fr 

Protéger le rapport au vivant

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19 février 2024 : les agriculteurs en colère, tendance FNSEA, envahissent l’esplanade du Mucem, avant d’aller déverser du fumier devant la DREAL. Le soir venu, le musée accueille Alessandro Pignocchi, auteur de bandes dessinées et membre des Soulèvements de la Terre, et Irène Bellier, anthropologue, pour parler d’Écologie et cultures traditionnelles. Le premier rêve « d’un monde où le Mucem leur aurait ouvert ses portes pour nouer un dialogue ». 

Dans une société où la fascisation augmente, avec le durcissement du capitalisme, « il va y avoir de plus en plus d’alliances improbables » pour conserver un avenir désirable, prédit-il. La seconde opine : « La dépendance au marché s’étend partout. Et quand il se retire, la terre est morte, les rivières et les forêts meurent. » 

Les luttes des peuples autochtones, pour défendre leurs territoires, sont cruciales. Comme le rappelait l’animatrice de ce Procès du siècle, Paloma Moritz, ils représentent 6,2 % de la population mondiale, mais protègent 82 % de la biodiversité, dont l’hémorragie menace l’ensemble de nos sociétés et, au-delà, les conditions de la vie sur Terre. Pour Irène Bellier, qui a travaillé en Amazonie, avant de se pencher sur… les énarques, les autochtones sont porteur d’une mémoire, d’une adaptation au monde incroyablement riche. « Ils ne protègent pas que la matérialité, mais le rapport au vivant, et travaillent pour l’humanité entière », précise-t-elle.

Zads partout

Pendant ce temps les nantis, largement responsables de ces catastrophes, « essaient de maintenir leur domination, pour subir les effets des crises environnementales un peu plus tard que les autres » estime Alessandro Pignocchi. Dans ce contexte, apprendre à vivre en bonne entente avec les non-humains donne une perspective aux luttes. Il relève des traces d’un équilibre perdurant dans notre culture occidentale : « n’importe quel éleveur a un rapport animiste avec ses bêtes ; il n’apprend à les traiter comme des objets que pris dans la contrainte économique ». S’appuyer sur ces rapports non-marchands, alors que les enjeux se sont dramatisés, lui semble maintenir un espoir. 

Tout comme la multiplication des Zad, en premier lieu celle de Notre-Dame-des-Landes, à laquelle il a consacré un nombre considérable de planches brûlantes, peuplées de mésanges révolutionnaires. Des alternatives locales à l’agro-industrie et au béton, qui s’appuient sur un lien fort aux lieux de vie, ne sont pas une façon de se retirer du monde : elles permettent d’ouvrir le champ des possibles, des aspirations et des imaginaires, comme « l’histoire, l’anthropologie et l’archéologie le favorisent aussi ». Reste à ne pas se contenter du « dérangement intellectuel » en restant dans le discours !

GAËLLE CLOAREC 

« Ce sont les fauteurs de guerre qui veulent tout compliquer »

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De gauche à droite. Vincent Lemire, Jean-Pierre Filiu et Thomas Legrand © R.G.

« Depuis le 7 octobre, il est très difficile de parler de la question palestinienne », observe l’historien Vincent Lemire. Au Mucem, ce spécialiste du conflit israélo-palestinien et son confrère Jean-Pierre Filiu essayent de prendre du recul par rapport à cette date de l’attaque du Hamas contre Israël, car l’histoire n’a pas commencé là, loin s’en faut. Le journaliste modérateur de la soirée Thomas Legrand propose aux invités de dégager eux-mêmes leurs dates, de signifier ce qu’ils considèrent comme le début de la problématique israélo-palestinienne.  

Quelles clés ? 

Pour Jean-Pierre Filiu, un commencement peut être daté en 1917 avec la Déclaration de Balfour. Cette promesse de « foyer national » pour les Juifs qu’établit l’ex-ministre des Affaires étrangères britannique est en effet très déterminante pour la suite des événements. Elle préfigure l’établissement du mandat britannique sur la Palestine, la création de l’Etat d’Israël en 1947 par l’ONU. 

Vincent Lemire remonte quant à lui beaucoup plus loin dans le temps, en s’intéressant à la genèse du sionisme chrétien. Celui-ci explique en partie le soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël, à l’image de Truman qui au-delà d’avoir grandement aidé à la création d’Israël, se prenait réellement pour Cyrus, le roi perse qui permit le retour de la population juive à Jérusalem en 539 ! Aujourd’hui, comme le rappelle Vincent Lemire, 95% des armes israéliennes sont fournies par les Etats-Unis. 

Parmi les autres dates et événements marquants mentionnés, on retrouve bien sûr la Nakba, cet exode palestinien de 1948 qui voit entre 700000 et 750000 arabes chassés de leurs terres. Face au discours de certains qui regrettent que les Palestiniens n’aient pas accepté le plan de partage de la Palestine de 1947, Vincent Lemire répond : « les acteurs ne peuvent faire qu’avec l’équation qu’ils ont sous les yeux ! ». En effet, avec notre regard actuel, il est facile de regretter qu’un accord n’ait pas été trouvé, or le plan était au désavantage des Palestiniens. Là est toute l’utilité du discours de l’historien qui rappelle que les acteurs s’inscrivent dans le présent et font des paris. 

La solution sera politique ou ne sera pas 

Dans l’enclave palestinienne de Gaza où les guerres et les massacres s’enchaînent, peut-on encore croire à une issue ? « Peut-on rester optimiste quand il y a deux messianismes politiques qui se font face ? », demande Thomas Legrand aux deux historiens. Au-delà du pessimisme ou de l’optimisme, Jean-Pierre Filiu s’en remet au politique. « Quels que soient les torrents de sang qui couleront, la solution sera politique » indique-t-il. A propos de la question israélo-palestinienne il ajoute à la surprise générale : « c’est compliqué mais c’est relativement simple, ce sont les fauteurs de guerre qui veulent tout compliquer ». Selon Vincent Lemire, la solution doit venir de la communauté internationale. « C’est elle qui a paramétré ce conflit, c’est elle qui doit s’interposer et le résoudre », juge-t-il. 

Des vœux qui ne semblent malheureusement pas prêts d’être exaucés, à l’heure où Rafah se fait écraser dans un silence assourdissant. 

RENAUD GUISSANI 

La conférence Face à la guerre : Israël / Palestine s’est tenue le 15 février au Mucem, Marseille
Pour aller plus loin : 
Lire Comment la Palestine fut perdue. Et pourquoi Israël n'a pas gagné. Histoire d'un conflit (XIXe-XXIe siècle) Jean-Pierre Filiu, Seuil, 2024