dimanche 27 juillet 2025
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Celle qui a dit non

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Primadonna © Destiny films

Dans Primadonna, Marta Savina met en lumière l’histoire de Franca Viola, première italienne à s’être opposée à la pratique du mariage dit « réparateur »

Il y a des actes de courage individuel qui infléchissent l’Histoire, changent la donne, ouvrent la voie. Des actes révolutionnaires sans révolution : un refus soudain de se plier à une loi injuste, une tradition oppressive, une violence ou un oubli. C’est le « non » de Rosa Parks dans l’Alabama raciste des années 1950. C’est aussi celui de Franca Viola, la première Italienne à s’opposer, en 1965, à la pratique séculaire du mariage « réparateur », refusant d’épouser son ravisseur et violeur et le traînant, malgré les pressions sociales, devant les juges.

« Pour la première fois non seulement une jeune fille en Sicile a préféré être “déshonorée” plutôt qu’accepter la violence d’un homme, mais surtout, un père, au lieu de résoudre la question en épaulant un fusil et en se vengeant avec ses propres mains, a cru dans la force de la loi et dans celle de l’État. » écrivait La Stampa. La loi qui exonérait le violeur s’il lavait le déshonneur de sa victime en la prenant pour femme, sera abrogée en 1981. Cette histoire hante Marta Savina. En 2017, elle en fait le sujet de son court métrage Viola. En 2022, celui de son premier long, Primadonna.

Casting parfait pour ce film primé au Festival de Rome. Franca Viola devient Lia Crimi, toujours interprétée par Claudia Gusmano au visage de madonne. Lia naturellement anti-conformiste, préfère travailler aux champs avec son père que rester à la maison avec sa mère et son petit frère pour apprendre à être femme au foyer. Dario Aita est l’antipathique et archétypal Lorenzo Musicò, fils du parrain du coin, arrogant, sûr de son impunité, flanqué de sa bande de voyous. Pour lui, il y a les femmes qui restent au lit comme sa maîtresse et celles qu’on épouse comme Lia – qui a quelquefois flirté avec lui, tout en restant chaste. Fabrizio Ferracane incarne avec subtilité, le père, accablé par l’oppression de « ceux qui ne perdent jamais » et fier que sa fille les brave. Sans oublier, Francesco Colella, avocat mis sur la touche qui finira par défendre Lia.

Au grand jour
La réalisatrice reconstitue l’affaire en trois temps dans une mise en scène sobre, linéaire, un peu illustrative. D’abord une contextualisation plus stylisée que documentaire : juxtaposition de scènes, succession de gestes simples. Dans des paysages beaux à couper le souffle où tout semble immuable, se dessine un monde rural archaïque, patriarcal, sous la coupe de la mafia locale et d’un clergé complice dominant ses « brebis » à coups de processions et de sermons. Puis le basculement du rapt et du viol. Le séisme familial et intime. Les conséquences du choix de Lia : mise au ban du groupe, stigmatisation, menaces, exactions. Et enfin le procès.

Si Primadonna n’apporte pas de grandes surprises en termes d’écriture cinématographique, ni de scénario, n’évitant pas toujours l’aspect édifiant, on retiendra de fort jolies scènes. Comme cette baignade nocturne de toute la famille Crimi qui, ostracisée par la collectivité, n’a plus droit au grand jour. Un grand jour que film a le mérite de faire sur le cas Franca Viola, une femme qui a dit non.

ÉLISE PADOVANI

Primadonna, de Marta Savina 
En salles le 17 janvier

Sur les sentiers de la peur

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La tête froide © UFO distribution

Avec La tête froide, Stéphane Marchetti part sur les routes migratoires des Alpes, et filme avec intensité le rôle des passeurs

Des sommets enneigés et, au milieu de nulle part, dans un camping inutilisé en saison froide, un mobil-home : la maison de Marie (Florence Loiret-Caille), une femme fragilisée par la vie, criblée de dettes, que le propriétaire menace de chasser faute de loyers payés. Travaillant deux soirs dans un bar, elle survit grâce à la contrebande de cigarettes. On est prés du col de l’Échelle, à la frontière italienne. En pleine nuit, un jeune homme noir lui fait signe : il a besoin d’aide pour une jeune femme cachée dans la neige qui va accoucher. C’est un jeune réfugié gambien, Souleymane dit Soul (Saabo Balde), qu’elle accompagne dans un centre d’accueil, un hébergement provisoire. « Je n’ai pas l’intention de me lancer dans l’humanitaire ! » clame t-elle. Elle ne le peut guère, en effet. Le propriétaire lui a coupé eau et électricité ; sa fille qui vit à Grenoble chez sa tante débarque et lui annonce qu’elle veut arrêter ses études. Marie est acculée et se décide à accepter la proposition de Soul de devenir « passeuse ». C’est en Lybie que Soul a rencontré un passeur et l’est devenu à son tour. Commence alors pour Marie le cercle infernal du passage de migrants, des mensonges à son compagnon, Alex (Jonathan Couzinié) gendarme, des risques de plus en plus grands au cœur des Alpes. Car Soul a besoin d’une grosse somme d’argent pour gagner l’Angleterre avec sa jeune sœur, Awa. Jusqu’au jour où…

Pentes neigeuses
En 2017, Stéphane Marchetti avait réalisé avec Thomas Dandois un documentaire : Calais, les enfants de la jungle. Dans ce premier long métrage de fiction, La Tête froide, il choisit de raconter l’enfer des routes migratoires à travers la rencontre de ces deux êtres qui, peut-être, n’ont pas le choix. À aucun moment, il ne juge ses personnages : chacun a ses raisons et le spectateur suit avec angoisse leurs trajets dans cette immensité neigeuse. La caméra filme  tour à tour l’espace exigu, oppressant, où Marie a dû héberger Soul ou du véhicule qui transporte les migrants, les routes escarpées et glissantes, les pentes neigeuses où ils risquent leur peau. On ressent le froid, la tension, la peur. Les deux acteurs sont excellents aussi bien  Florence Loiret-Caille qui joue cette femme nerveuse, au sang froid étonnant dont le visage, filmé souvent en gros plan, exprime avec beaucoup de sensibilité les émotions que Saabo Baldequi incarne un personnage durci par la vie mais plein de tendresse pour sa petite sœur. On peut juste regretter la fin… que l’on ne vous dévoilera pas !

ANNIE GAVA

La tête froide, de Stéphane Marchetti
En salles le 17 janvier

À l’écart du monde

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S’inspirant du fait divers du « Bal des Folles », Arnaud des Pallières saisit dans Captives l’horreur d’un asile pour femmes de la fin du XIXe siècle

C’est par un gros plan sur les mains gantées d’une jeune femme que s’ouvre Captives d’Arnaud des Pallières. Chair encagée par la résille noire, poignets entravés par le fer de menottes. On est en 1894, vêtue d’une simple robe de velours bleu, Fanni (excellente Mélanie Thiery) vient d’entrer de son plein gré à l’asile de la Pitié Salpêtrière. Déshabillée, palpée, interrogée sur ses antécédents médicaux, elle est admise dans un « service tranquille et semi tranquille » de cet enfer. Les cris, les bains forcés, la promiscuité, la violence des gestes, la brutalité des gardiennes, la cruauté de la directrice. Près de 500 captives, autant de jeunes taxées d’hystériques, vieilles, malades, simplettes, délinquantes, alcooliques ou mises là, à l’écart par leur famille parce qu’elles gênaient. Aucun espoir de guérison : on ne les soigne pas, on les calme, douches froides, bromure.

Que vient faire la belle Fanni ici ? Elle cherche à retrouver sa mère dont elle a perdu la trace il y a déjà des années. C’est par ses yeux que nous découvrons ce monde clos : les lieux où les femmes sont entassées, les pavillons privés comme celui où on retient arbitrairement Hersilie Rouy (Carole Bouquet) internée sous un faux nom par un frère qui l’a spoliée de son héritage, pianiste privée d’un bon piano, intellectuelle qu’on empêche d’écrire. Les drames aussi : une jeune femme qui accouche et dont on fait disparaitre le bébé. Une femme anorexique qu’on gave comme une oie la veille de sa sortie et meurt étouffée. Une autre qui se pend. Et dans cet univers impitoyable géré par la terrible surveillante générale, Bobotte (Josiane Balasko) et la haineuse La Douane (Marina Foïs), des moments de grâce : la répétition du quadrille pour le fameux Bal des Folles où Bobotte les a inscrites, les moments où Fanni chante. Les visages de ces femmes abimées, filmés en gros plan, par la caméra de David Chizallet se nimbent de lumière. Le moment où Fanni fait danser Camomille (Yolande Moreau), la mère qu’elle pense avoir retrouvée est bouleversant. Leurs visages superbement éclairés, rendent ce moment magique, faisant presque oublier les regards libidineux de ceux, venus de l’extérieur assister à ce spectacle de cirque honteux.

Intimité et réalité historique
Certes on peut se demander comment une femme peut se faire interner aussi facilement, quitter ainsi pendant deux mois mari et enfants sans donner de nouvelles, se mettre en danger dans ce milieu fermé. A-t-elle vraiment toute sa raison ? Le scénario se coupant d’une logique rationnelle traduit sans doute un égarement intime, et justifie le parti-pris d’Arnaud des Pallières d’une caméra en immersion, adoptant le point de vue de Fanni, captant au plus près, ses émotions, ses mystères. La peau de Mélanie Thiery sans maquillage, saisie jusqu’aux pores, jusqu’au bord rosé des paupières gonflées est saisissante de nudité.

C’est un an avant la parution du roman de Victoria Mas, Le Bal des folles, qu’Arnaud des Pallièreset sa scénariste Christelle Berthevas se sont vus proposer par un producteur ce sujet du « bal des folles » de la Salpêtrière. Le film n’en est donc pas une adaptation. Il relève bien d’une vision cinématographique où la réalité historique et documentaire se déforme entre rêves et cauchemars pour faire vivre au spectateur, selon le désir du réalisateur, « une expérience mentale ».

ÉLISE PADOVANI ET ANNIE GAVA

Captives, Arnaud des Pallières
En salles le 24 janvier

Blanca Li prolonge Noël

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Casse-Noisette, Blanca Li, Aucante, 2022

Au Pavillon Noir à Aix-en-Provence, la chorégraphe espagnole proposait un Casse-Noisette joyeusement revisité

Peu de ballets classiques se prêtent autant à la réécriture que Casse-Noisette. Moins marquée par les questions de genre et de séduction que Le Lac des Cygnes ou Giselle, l’œuvre de Tchaïkovski se pare d’éléments merveilleux et d’un brin d’orientalisme. De quoi séduire Blanca Li et titiller son goût du mélange, du singulier et de l’enfantin. Le premier acte se fait ainsi populaire, festif et désordonné. Une famille recomposée de sept danseurs et danseuses enchaîne, toute de paillettes de Noël vêtue, free-styles, chorégraphies collectives, head-spins, break-dance mais aussi déhanchés empruntés, entre autres, à la salsa et au reggaeton …  Lorsqu’apparaît le casse-noisette, campé par Nelson Ewandé, la danse saccadée, robotique, se réapproprie avec grâce les différents mouvements esquissés jusqu’alors – et se risque même à une petite Macarena ! L’Acte II se recentre sur la musique de Tchaïkovski, et construit des tableaux moins foutraques, quoique toujours aussi composites, dont une charmante marche militaire des soldats rapidement détournée. Les divertissements – danses arabe, chinoise et turque, entre autres – loin de l’imaginaire douteux d’alors, permettent à des danses en duo revisitées de convoquer d’autres imaginaires. Jusqu’à une pluie de neige artificielle sur scène, sur laquelle les pas chassés se font poussées ouvertes. Le rêve de Clara demeure, comme chez Hoffmann, ouvert : le retour à une réalité étriquée n’est ici pas de mise.

SUZANNE CANESSA

Casse-Noisette a été joué les 12 et 13 janvier au Pavillon Noir

Marseille : année close ?

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Le 42 de la Canebière va devenir une maison de la Police Municipale © N.S

À la fermeture de Montévidéo s’ajoutent cette année de nombreuses déconvenues pour les lieux culturels

L’échec d’une politique culturelle court-termiste.
Hubert Colas et toute l’équipe de Montévidéo quittent le camp de base d’un festival unique à Marseille, un lieu phare de la vie culturelle marseillaise qui a vu naître et vivre tant de soirées théâtrales, musicales, de débats. Un tel lieu qui ferme, ce n’est pas seulement un lieu de moins, mais le symbole d’un véritable échec.
Les causes de cet échec sont multiples, et dues à la demande faite aux artistes, durant vingt ans, de s’installer dans des lieux privés, et de payer le loyer et les investissements liés à cette installation avec les subventions que la Ville, mais aussi d’autres collectivités, leur allouaient, et ce malgré le rachat de ces lieux par des propriétaires peu scrupuleux. Jean-Marc Coppola, adjoint à la Culture, nous expliquait déjà non sans tristesse que l’état des finances actuelles de la ville ne lui permet malheureusement pas de préempter tous ces lieux privés, lieux dans lesquels les compagnies marseillaises ont été poussées à s’installer non pas par la municipalité actuelle, mais par ses prédécesseurs. Cependant, l’annonce de deux autres fermetures de lieux culturels à Marseille interroge sur les priorités de la municipalité.

La fin d’une culture de proximité ?
La première d’entre elles n’est que temporaire : il n’y aura pas de saison, cette année, au Théâtre Silvain. Sophie Camard, maire des 1e et 7e arrondissements, annonçait lors de ses vœux sa fermeture pour des « travaux nécessaires dans les coulisses et la maison du gardien ». On peut se demander pourquoi lesdits travaux ont lieu durant la saison estivale, entraînant ainsi la fermeture du plus grand amphithéâtre de Marseille, l’annulation de tout ou partie de certains festivals, et la frustration inévitable de 30 000 spectateurs sans lieu de repli.
Ce même 11 janvier, Benoît Payan annonçait que la Maison du Figaro, bâtiment célèbre situé au 42 Canebière, centre du centre-ville de Marseille, allait perdre sa vocation culturelle historique, pour devenir une maison de la Police Municipale.
Dans cet Espace Culture abandonné, les Marseillais ont trouvé jusqu’en 2015, année de sa fermeture définitive, une information culturelle de qualité, des lieux d’expositions et de débats mais aussi pour les professionnels un lieu idéal, central et ouvert, pour leurs réunions et conférences de presse. Lors de sa dernière année de fonctionnement, il était fréquenté par 165 000 visiteurs, sans compter les passants qui s’arrêtaient à ses vitrines d’exposition. Les services culturels de la Ville y étaient en contact avec les professionnels et les artistes.
Le transformer en commissariat bis sur la Canebière, dans l’intention louable de réhabiliter la notion de police de proximité au service des habitants, comme l’annonçait le maire Benoît Payan lors de ses vœux, témoigne d’une vision de la sécurité qui, pour se prémunir des émeutes et de la criminalité, parie sur la police plutôt que sur la culture. Culture de proximité qui, pourtant, comme toutes les études sérieuses le montrent, est un facteur important d’apaisement social sur le long terme.

Pour (interminables) travaux.
Ce signe inquiétant n’est pas isolé : il est l’héritage d’un abandon des bâtiments culturels durant les dernières années des mandatures de Jean-Claude Gaudin. D’un abandon qui a poussé à ouvrir des tiers lieux temporaires, tels que Coco Velten et Buropolis, aujourd’hui fermés ; d’un abandon qui a conduit à la très longue fermeture pour travaux du Gymnase, pour plus de trois ans, après la fermeture du Théâtre de Lenche et du Gyptis, qui ne sont aujourd’hui plus des salles de spectacle, et un Théâtre de la Friche aujourd’hui sans programmation.
Pour couronner le tout, la fermeture du métro à 21h30 en semaine, redoutée par la municipalité mais passée en force par la Métropole, durera au moins deux ans. Forçant ainsi les lieux culturels à concentrer leur programmation sur le week-end, cette fermeture promet de diminuer fortement le nombre de spectacles à l’affiche sur les saisons à venir, et menace de transformer de nouveau la deuxième ville de France en cité fantôme.
Premier motif de satisfaction dans les sondages marseillais, motivation importante pour les visiteurs qui passent un week-end ou leurs vacances dans la cité phocéenne, la vie culturelle marseillaise souffre pourtant d’un manque criant de lieux de spectacle, de répétition et d’information. Et risque de se voir dans l’impossibilité de tenir ses belles et sincères promesses.

SUZANNE CANESSA

Lecture pop

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Poétesse installée à Marseille depuis 10 ans, Laura Vazquez est invitée dans l'émission La Grande Librairie, enregistrée au Mucem pour l'occasion © Daniele Molajoli

Autour de sa nouvelle exposition permanente, un temps fort sur la littérature au Mucem

Sophie Blandinières, Lucile Bordes, Arthur Dreyfus et Guillaume Poix : quatre auteurs contemporains ont été chargés de rédiger des « Cartels sensibles » qui mettent en relief, par leurs mots, les objets et documents sélectionnés pour la nouvelle exposition permanente du Mucem, Populaire ?. Aborder les collections pléthoriques de ce musée de société par la littérature était une bonne idée, même si le dispositif en lui-même peut laisser dubitatif [lire notre critique sur journalzebuline.fr]. Le week-end du 19 au 21 janvier, nous aurons l’occasion de vérifier la pertinence de cette approche à l’occasion des Nuits de la Lecture. Avec l’association Oh les beaux jours !, organisatrice du festival éponyme, qui reviendra au printemps à Marseille, et le Centre national du livre, le Mucem a prévu tout un programme littéraire.

Rencontres, ateliers, spectacle et Grande Librairie

Le vendredi 19, plusieurs classes de collégiens auront un temps d’échange avec Lucile Bordes, Arthur Dreyfus et les services de Conservation du musée. En soirée, La Grande Librairie, le magazine littéraire de France 5, sera filmé sur place, présenté en public par son vibrionnant animateur, Augustin Trapenard.
Samedi 20, c’est un autre invité, l’écrivain et journaliste italien Roberto Saviano, qui s’emparera du micro. L’auteur du livre multi-adapté Gomorra, disséquant les activités mafieuses de la Camorra, sera présent pour un grand entretien. Le même jour, le jeune public est convié à un atelier jeunesse avec l’autrice-illustratrice marseillaise Lisa Laubreaux, dont ils apprécieront sans nul doute le travail très coloré et mutin. S’ensuivront plusieurs propositions : musicale avec Davide Ambrogio ; des textes lus par Estelle André Chabrolin ; et du théâtre avec Clotilde Mollet et Hervé Pierre. Enfin, un autre écrivain et journaliste, Sorj Chalandon, conclura le week-end avec un second grand entretien.

GAËLLE CLOAREC

Le week-end littéraire
19 au 21 janvier
Mucem, Marseille

Deux visions du couple à Toulon

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En corps, en vie © Arianne Clément


Deux expositions qui ne font pas la paire ornent les murs du Théâtre Liberté à Toulon, à l’occasion de son dernier théma intitulé couple(s). Celles de la photographe Arianne Clément et de l’auteur de bandes dessinées Fabcaro, présentées jusqu’au 2 mars. C’est d’ailleurs avec ce dernier que débute le parcours sur les planches de Moins qu’hier (plus que demain). Différentes saynètes qui décrivent de manière caricaturale la vie d’une dizaine de couples. Loin des moments langoureux, Fabcaro cherche à dépeindre avec humour ce qu’il y a d’ennuyeux, mais à grossir autant le trait, ça ne marche pas. On retrouve ainsi Fabien qui se rend compte au fur et à mesure de la BD que sa femme a plié bagages sans lui. Ou encore Agathe qui reproche à Bernard d’être « chiant » car « toujours positif ». Au-delà du caractère humoristique qui plaira ou ne plaira pas, il y a des choses qui clochent dans ces cases. Déjà, l’hétérocentrisme certain de la bande dessinée pose problème, aucun couple homosexuel n’étant représenté. De plus, les prénoms des partenaires « Émeline et Philippe », « Inès et Guillaume », « Louise et Florian » (etc.) font état de l’absence de personnages racisés dans la BD. Une étonnante hétéronormativité et blanchité de la part de cet auteur que l’on a connu plus inspiré.

« En corps, en vie »

En continuant le parcours, on tombe sur un projet qui prend le contrepied de celui de Fabcaro. C’est en partenariat avec l’association des Petits Frères des Pauvres, qui lutte contre l’isolement des personnes âgées en situation de précarité, qu’est née l’exposition d’Arianne Clément. L’artiste canadienne spécialisée dans les photographies du troisième âge est allée à la rencontre de nos aîné·e·s. À travers ses photos de nus et des propos recueillis, elle dépeint une beauté, des couples et des sensualités que la vieillesse tend d’ordinaire à rendre tabou. On y découvre l’histoire de Ravi, 70 ans, qui pratique le tantra et le tao sexuels avec son épouse. Lyette, 74 ans, témoigne elle être fière de s’être mise « à nue » face à l’objectif. Merutzah dit quant à elle se sentir « très bien dans [s]a peau » à 70 ans, malgré un accident de la route et un cancer du sein. Le couple lesbien de Mélodie et de « la rouquine » passe aussi à l’avant plan, les deux amoureuses posant peau à peau pour l’expo. À respectivement 69 et 74 ans, ces dernières ont toujours une « vie sexuelle active », rendue possible par une « passion […] encore très présente ». L’exposition En corps, en vie d’Arianne Clément et des Petits Frères des Pauvres ouvre les perspectives d’un couple souple, non hétéronormé et sans âgisme. Comme un bol d’air frais venu du large. De mer il sera d’ailleurs question dans le prochain Théma (#46) avec l’artiste Aglaé Bory et ses photos sur le quotidien des travailleurs de la mer.

RENAUD GUISSANI

Moins qu’hier (plus que demain)
et En corps, en vie
Du 12 janvier au 2 mars
Le Liberté, scène nationale, Toulon
chateauvallon-liberte.fr

Sous le 14e parallèle

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Maud Blandel, L'Œil Nu © Margaux Vendassi, Camille.D Tonnerre

Des femmes, des jeunes, de l’émergence, des questions et des formes, le Festival Parallèle annonce sa 14e édition,  fidèle à ses principes. Entretien avec Lou Colombani, sa fondatrice et directrice

Zébuline : Comment se porte Parallèle après la fermeture de Coco Velten ?
Lou Colombani : Le Théâtre Joliette nous héberge, pour 6 mois. On espère vraiment que la Friche, que nous avons sollicitée, pourra prendre la suite, et ceci durablement. Aujourd’hui des lieux ferment, mais nous n’avons jamais eu de toit, en 18 ans. Nous sommes passés de lieu d’accueil en lieu d’accueil, et aujourd’hui on en a marre…

Au-delà du Festival, qu’est ce que c’est que Parallèle ?
C’est une structure dédiée aux pratiques émergentes internationales, qui accompagne la création contemporaine et travaille à son partage par le plus grand nombre. Nous fabriquons des outils pour pouvoir repérer les artistes dès leur entrée dans les circuits artistiques, pour les aider à concevoir et à produire, à créer, puis à diffuser. Sur plusieurs spectacles la plupart du temps. Ainsi on a repéré Maud Blandel sur son projet de fin d’études, qu’elle a proposé en 2016 au Festival. Depuis elle a joué au Festival d’Avignon, elle est programmée un peu partout… et on continue de l’accompagner sur son nouveau projet LKA, qu’elle dansera au Ballet National de Marseille.

Votre programmation est internationale…
Oui, avec une forte présence d’artistes locaux, mais aussi d’artistes émergents venus d’ailleurs. Pluridisciplinaire, avec un axe fort autour de la formation professionnelle et de l’insertion des jeunes artistes. L’expo collective la Relève 6, qui ouvrira le festival au Château de Servières et à art-cade, présente le travail d’artistes pendant trois ans après leur sortie des écoles d’Art.

Celles de la région ?
Oui, essentiellement Aix Marseille et Arles, mais aussi des écoles internationales, toujours avec ces échos qui permettent aussi aux artistes d’ici des débouchés et une ouverture. Sur ce volet des arts plastiques, qui n’est pas au départ notre spécialité puisque nous avons commencé avec les arts de la scène, nous avons perdu les partenaires qui ont fermé, Buropolis et Coco Velten, mais l’an prochain nous travaillerons aussi avec La Compagnie.

Travailler avec les acteurs culturels de Marseille est important pour vous ?
Et d’Aix ! Le 3BisF et le Théâtre Vitez sont de la partie. Oui, c’est au cœur de notre projet. Nous ne portons jamais une action tout seul, nous voulons que l’émergence s’inscrive dans l’esprit et la programmation des lieux.

Une autre tendance historique forte est le non respect de la parité… Il n’y a presque que des femmes ! Comment l’expliquez-vous ?
Oui. La programmation est féministe sans le proclamer. C’est assez naturel : à l’endroit de l’émergence, de la petite forme qui ne nécessite pas de gros moyens, il y a une majorité de femmes. Les hommes continuent d’avoir des carrières qui démarrent plus vite et ont moins besoin d’accompagnement. Et puis, aujourd’hui, les femmes ont peut être plus de choses à dire !

Par exemple ?
Le caviardage des discours présidentiels par Juliette Georges, Sympathies n°1, dans lequel on voit évidemment que seuls des hommes parlent. Ou l’Album de chorégraphe de Karima el Amrani, qui fait un retour sur toutes les danses qui l’habitent, dans un petit solo qui est un vrai bijou. Masterpiece de Luisa Fernanda Alfonso, une extraordinaire  performeuse colombienne qui déconstruit les archétypes machistes des mariachis. Mais il y a aussi des hommes, que nous soutenons depuis longtemps, comme Joachim Maudet qui présentera Kid#1 à Klap. C’est un artiste qui travaille beaucoup avec Kéléménis. Il parle de l’enfance, de comment un corps grandit, passe du jeu à la contrainte, du collectif à l’individu…  La programmation se poursuit jusqu’au 10 février.

Nous y reviendrons !

ENTRETIEN REALISE PAR AGNES FRESCHEL
Festival Parallèle 14
Du 25 janvier au 10 février
plateformeparallele.com

La musique populaire en partage à la Cité de la Musique

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Qui dit réception des musiciens italiens de renommée mondiale, Enza Pagliara et Dario Muci, dit samedi soir de grande affluence pour la Cité de la Musique de Marseille. L’Auditorium est presque plein ce 13 janvier et les discussions en italien vont bon train avant le début de la représentation. Enza Pagliara ne manque pas de saluer de nombreux « visages amis » présents dans la salle. L’acolyte de la chanteuse, Dario Muci, arbore un bonnet rouge qui fait écho au haut vermeil de sa partenaire. Un rappel visuel qui vient souligner la complicité sans faille dont fera preuve le duo lors du spectacle.

Transmettre la musique du peuple
Au départ le rythme est lent, bien qu’il soit parfois entrecoupé d’envolées et de brusques coups de tambourins. Le public est d’abord timide et Enza claque seule des doigts. Puis progressivement, le feu prend, à mesure que la musique s’emballe et qu’on en apprend plus sur le répertoire du duo. C’est Enza qui parle le mieux français et qui présente l’histoire derrière les chansons qu’ils interprètent. « Cette chanson parle de paysans qui disent à leur patron de les payer, faute de quoi ils feront des trous dans le sol pour qu’il tombe », explique-t-elle avant l’une d’elle. « Celle-là c’est sur une dispute entre une femme et son mari lors de la moisson des blés », contextualise-t-elle avant une autre. Pour leur dernier album, Dario Muci et Enza Pagliara ont mené pendant cinq ans un travail de recherche, de collecte musicale. Ils sont allés à la rencontre de paysans et de pêcheurs de la région des Pouilles, et font perdurer la musique traditionnelle locale en jouant les chansons qu’ils ont apprises lors de ces échanges. La représentation se finit en apothéose avec une musique au refrain entêtant, que toute la salle se met à reprendre d’une même voix. Un beau moment de communion qui fait écho aux mots d’Enza Pagliara : « c’est ça la musique populaire, toujours partager ! ».

RENAUD GUISSANI

Enza Pagliara et Dario Muci se sont produits le 13 janvier à la Cité de la Musique de Marseille.

Frères d’âme

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Au Palais de Pharo de Marseille, le Trio Moreau brille dans les trios de Brahms et Schubert

C’est une salle comble – et renflouée par quelques rangs – qui a accueilli samedi 13 janvier les frères Moreau. Mené par l’aîné Edgar, violoncelliste soliste récompensé de deux Victoires de la musique classique, le trio familial s’est plongé dans deux œuvres d’un romantisme ardent et délicat. Loin de poser les basses des harmonies, le violoncelle s’y fait mélodieux, moteur et central, dans le développement de thèmes et motifs entêtants, héritiers de Beethoven. Face à ce violoncelle sachant se faire aussi tendre qu’héroïque sur les pages de Brahms puis de Schubert, ce n’est pas le violon de la tout aussi excellente sœur Raphaëlle que l’on découvre mais celui du plus jeune frère, David, à l’écoute de son aîné, d’une justesse et d’une pureté de son admirable. Au piano, le benjamin Jérémie limite les épanchements avec d’autant plus de facilité que la finesse de son toucher et l’élégance de ses intonations forcent l’émotion et l’admiration. Le trio de Schubert se révélant, hormis l’Andante con moto rendu célèbre par Barry Lyndon, d’une technique et d’une virtuosité particulièrement exigeantes sur la plupart de ses mouvements. Le trio ne mise cependant pas sur la vélocité et les effets pour séduire : les musiciens prennent le risque de la lenteur, de l’expressivité et même de l’intériorité. Le risque s’avère payant : du trio de Brahms, dense et contrapuntique, au chant intérieur de Schubert, encore pétri de sonorités mozartiennes sautillantes, on découvre un trio à la complicité rare. Donnée en bis, la transcription pour trio du prélude pour deux violons et piano de Chostakovitch laisse l’assemblée dans un état de grâce.

SUZANNE CANESSA

Le concert a été donné le 13 janvier au Palais du Pharo, Marseille.