mardi 26 novembre 2024
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Merzouki contre vents et marée

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ZEPHYR de Mourad Merzouki © Laurent Philippe

Il souffle sur la pièce de Mourad Merzouki un zéphyr moins léger que d’ordinaire. Tantôt brise, tantôt tempête, il emporte les dix interprètes dans un flux et reflux permanent. D’abord en douceur avec un pas de deux sensuel, aux mouvements amples et aériens, avant un tourbillon collectif ravageur. Entre les deux, ils devront combattre les éléments déchainés, jouer collectif pour ne pas se perdre, faire corps contre les assauts du vent produit sur scène par neuf gigantesques turbines. Propulsés, ballottés, anéantis, il leur faudra une volonté de fer pour ne pas se noyer dans ce déluge homérien.

Trop illustratif
Fruit d’une commande du Vendée Globe, le spectacle imaginé durant le confinement par l’actuel directeur du Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne, suggérait alors une possible échappée belle à l’enfermement et à la solitude. Comme un hymne à la solidarité. Usant du vocabulaire hip-hop mâtiné de danse contemporaine, il entraine ses jeunes danseurs dans une combinaison audacieuse d’envolées et de portés, de glissades au sol, de suspensions et de ralentis, pour évoquer tour à tour le plaisir et la peur, la combattivité mais jamais le renoncement. Tout serait donc merveilleux si Mourad Merzouki avait su distancier son sujet de sa gestuelle, ici auréolée par la composition cinématographique d’Armand Amar et les brumes lumineuses de Yoann Tivoli. Trop illustratif, parfois emphatique, le spectacle finit par lasser, nous abandonnant sur la berge un peu déconfit malgré le plaisir des premières scènes et notre envie de voyager par-delà les océans. Comme dans chacune de ses créations, le chorégraphe laisse le champ libre au public pour se frayer un chemin dans son imaginaire et, dans Zéphyr, s’inventer sa propre odyssée. 

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Zéphyr a été présenté les 30 septembre et 1er octobre au Carré Sainte-Maxime, le 11 octobre au Théâtre de l’Esplanade à Draguignan et les 13, 14 et 15 octobre à Châteauvallon-scène nationale à Ollioules. Ainsi que le 21 octobre au Théâtre de l’Olivier, à Istres

Dans les éprouvettes de l’insoumission

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Laboratoire Poison, Antipoison © Annah Schaeffer

Au premier niveau de lecture, le spectateur non averti pourrait penser que le propos de Laboratoire Poison vise à faire passer les mouvements de résistance pour des paniers de crabes, des groupuscules sans foi ni loi, minés par des individus dont l’unique intérêt est de sauver leur peau quel qu’en soit le prix. Pire : de sous-entendre qu’en chaque militant·e, en dépit des valeurs qu’il prétend défendre dans ses discours ou ses tracts, sommeille un traître. Si tel était le cas, il n’aurait pas fallu 3h30 à Adeline Rosenstein pour développer son analyse. En réalité, c’est tout le contraire que le feuilleton théâtral documentaire de la compagnie Maison Ravage décortique avec une  intelligence déployée jusqu’à son paroxysme. Joués à la suite, les quatre volets de cette pièce hors du commun se fondent sur un postulat non négociable : les régimes d’oppression sont à ce point immoraux et avilissants qu’ils poussent l’opprimé dans ses retranchements les plus déstabilisants jusqu’à le détourner, ne serait-ce un instant, de l’idéal pour lequel il est prêt à sacrifier sa vie. Au premier chef des infamies culmine le colonialisme. Par conséquent, les organisations qui mènent les luttes de libération nationale n’échappent pas à la complexité des comportements et réactions des personnes qui composent tout groupe humain animé par un objectif commun.

Humour didactique
S’appuyant sur un travail de recherches et de collectages titanesque, Laboratoire Poison nous emmène au cœur de différentes guerres et insurrections pour l’indépendance et l’insoumission – en Algérie, au Congo, en Guinée et au Cap-Vert – toutes menées en opposition aux puissances coloniales européennes, qu’elles soient française, belge ou portugaise. Maniant un humour didactique, les douze interprètes dont la narratrice autrice et metteure en scène se glissent dans la peau de dizaines de personnages souvent réels, se les échangent, reproduisent plusieurs fois la même scène, y ajoutant le détail qui en changera la portée et l’interprétation. Aux côtés de héros et héroïnes anonymes ou non, on croise le psychiatre et intellectuel Frantz Fanon, le réalisateur anticolonialiste et communiste René Vautier, dont on redécouvre les déboires avec le FLN, Patrice Lumumba, premier Premier ministre de la République démocratique du Congo, trahi par ses propres alliés pour le compte de la Belgique ou encore un gréviste du Front populaire puis Résistant sous Vichy devenu tortionnaire pendant la guerre d’Algérie… Et le dernier épisode de réparer l’effacement par l’histoire officielle du rôle des femmes dans ces luttes. L’absence sur scène de l’artiste basé à Kinshasa, Michael Disanka,est dénoncée tel un happening, dans un des passages les plus poignants de la pièce. Initialement prévu dans la distribution, un refus de visa l’empêche de se joindre à la troupe. 

Au-delà de la performance, Laboratoire Poison livre une critique lumineuse des contradictions récurrentes et persistantes dans l’histoire de mouvements politiques identifiés comme faisant partie des courants de pensée émancipateurs, face aux actuelles questions sociales, raciales et de genre. Une œuvre d’intérêt public.

LUDOVIC TOMAS

Laboratoire Poison a été joué du 11 au 15 octobre à la Friche la Belle de Mai, en co-réalisation entre La Criée et le Théâtre du Gymnase, à Marseille, et les 20 et 21 octobre au Liberté, scène nationale de Toulon
A venir
Du 16 au 18 novembre
Théâtre des 13 Vents, Montpellier

Charles-Éric Siméoni, un homme de passion

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Jacqueline Dauriac Pièces siamoises pour deux collectionneurs, 1988 Craie grasse et crayon sur papier calque 21 x 30 cm © ADAGP, Paris 2022/DEC-ville de Martigues

Peinture, sculpture, dessin, céramique, livre d’artistes et photographie passionnent Charles-Éric Siméoni au point qu’il acquiert sa première œuvre à 17 ans ! Depuis, il n’a cessé d’arpenter les musées et les galeries à Marseille où il est né (Athanor, Pailhas aujourd’hui disparues), à Lyon où il a suivi les cours à la faculté de médecine et à l’Institut d’histoire de l’art, et enfin à Paris où il s’est installé. Où il a ressenti son premier choc artistique en découvrant l’exposition de Sam Francis à la galerie Jean Fournier : c’était en 1971. Dès lors, en autodidacte revendiqué, il s’est constitué une vaste collection comme autant de « coups de cœur et de passion » où l’on croise en bonne place Jean-Jacques Ceccarelli, Jean-Jacques Surian, Gérard Traquandi, Louis Pons, Christian Courrèges, Judith Bartolani ou encore Giuseppe Caccavale.Des artistes avec lesquels il a entretenu des relations d’amitié comme en témoigne sa correspondance avec Ceccarelli et Caccavale révélées aujourd’hui au public. Sans compter ce petit polaroïd de Christian Boltansky, spécialement dédicacé à « Charles-Éric ».

Jean-Jacques Ceccarelli Carte de vœux, 1988 Encres couleur sur papier à dessin 15 x 10 cm © Succession Ceccarelli__ DEC – Ville de Martigues

Éclectique et internationale
Si les artistes du territoire marseillais sont bien représentés, la curiosité du psychiatre-collectionneur dépasse largement les frontières hexagonales et s’attache à tous les médiums. Ou presque, puisque la photographie n’est arrivée que plus tard, en 2001, avec l’acquisition de Fountain in the Moutain de l’Anglais Joey Kötting, une photo qui fait appel à des techniques picturales. Le lien avec la peinture était tout trouvé ! De fait, au musée Ziem, la photographie a les honneurs d’une salle exclusive qui met en lumière sa prédilection pour la photo plasticienne ou documentaire : le Malien Malick Sidibé, le Colombien Julián Alberto Lineros Castro, le Cubain René de Jesús Peña Gonzalez ou encore la Marseillaise Isabelle Waternaux dont il présente un superbe coffret de 12 tirages exceptionnellement encadrés ensemble par Lucienne Del’Furia, conservatrice en chef du patrimoine et directrice du musée. Parmi toutes « les œuvres qui [lui] tiennent à cœur », 133 ont été offertes à la Ville à l’occasion de trois donations en 1996, 2000 et 2021. Toutes sont aujourd’hui exposées « pour les artistes et pour les habitants » selon le vœu du collectionneur. 

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Les donations Charles-Eric Siméoni 1996-2021
Jusqu’au 29 janvier 2023
Musée Ziem, Martigues
ville-martigues.fr

Au croisement des routes

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Isabela Figueiredo était une des invitées de cette édition.

Effervescence à l’amphithéâtre de la Manufacture ce 13 octobre : la Fête du Livre aixoise fête ses quarante ans. Annie Terrier, à qui Les Écritures Croisées doivent tant, présente avec sa passion coutumière le programme de cette édition, le nouveau directeur de l’association, Jean-François Chougnet et rend hommage à toutes les structures qui soutiennent cette manifestation unique en son genre. Mieux que d’être une immense « foire » aux livres, à l’instar de tant d’autres, la Fête du Livre des Écritures Croisées rassemble durant trois belles journées un petit nombre d’auteurs dont il nous est donné d’appréhender l’œuvre en profondeur. Par ailleurs, les écrivains eux-mêmes soulignent en aparté combien le fait de vivre avec leurs comparses cette fête, partageant lieu de résidence, repas, conversations et tables rondes, créé des liens intellectuels et d’amitiés littéraires et humaines qui perdurent.

L’intitulé de cette quarantième édition, « La maison et le monde » (emprunté au titre du livre de Rabindranath Tagore publié en 1916 et au film de Satyajit Ray qui lui fit écho en 1984), sert de première entrée, avec Gérard Meudal en meneur de jeu pour aborder les œuvres des trois autrices conviées cette année : Francesca Melandri, Isabela Figueiredo et Maria Stepanova. Parallèlement aux œuvres littéraires, la fine écriture cinématographique de Satyajit Ray est mise à l’honneur par la programmation de l’Institut de l’Image qui diffuse quatre films du cinéaste indien tandis qu’une exposition est consacrée à un florilège de photographies d’Henri Cartier-Bresson, assorties de textes écrits particulièrement pour chacune d’entre elles par des auteurs, des photographes, des peintres… La relation forte entre ces deux magiciens de l’image est mise en évidence par la diffusion du court-métrage Évocation de Satyajit Ray à propos du photographe. Bouclant le trajet entre l’art du conteur et l’Inde, cette édition est dédiée à Salman Rushdie qui, invité cette année, avait dû décliner l’offre car déjà programmé pour une autre manifestation littéraire aux Etats-Unis, mais avait promis à Annie Terrier sa venue en 2023. Les terribles évènements de l’été compromettent la tenue de cette promesse…

La maison et le monde

« Mon livre, Carnet de mémoires coloniales, est né au moment où l’on m’a interdit de vivre avec des Mozambicains », explique Isabela Figueiredo, née en 1963 au Mozambique encore sous domination lusitanienne, de parents portugais. Cette interdiction est de celles qu’un enfant ne peut pas comprendre. Ce livre naît du besoin de comprendre l’Afrique, le regard des européens sur les Africains. « Il ne s’agit pas d’un livre historique, sourit l’autrice, il s’attache surtout au langage, remarquablement traduit par Myriam Benarroch et Nathalie Meyroune (je me suis émue à l’entendre en français lors de la lecture qui a précédé cette rencontre). J’ai transmis les mots de mon père, raciste et colonial que j’ai pourtant tant aimé. Je n’ai pu écrire ce livre qu’après sa mort, mais aussi les mots des Mozambicains, et ceux de moi, petite fille, qui ressentait tout cela. »

« Le travail sur ses ancêtres est aussi un travail sur soi, précise Maria Stepanova à propos de son dernier opus, En mémoire de la mémoire traduit du russe par Anne Coldefy-Faucard. C’est d’ailleurs une curieuse entreprise que de retracer leur vie, ce ne sont pas des gens qui ont fait l’histoire mais qui l’ont subie. On dispose alors de peu de documents. Quand j’étais enfant, c’était encore en Union Soviétique, on vivait dans des appartements communautaires. Là où il y avait un seul propriétaire, les lieux ont été partagés en quatre et jusqu’à vingt parties avec commodités et cuisines communes. Soudain les processus intimes sont devenus collectifs. Dans ce cas, on n’est jamais vraiment à la maison et le monde extérieur commence aussi à la porte et à l’intérieur. Qu’est-ce qu’une maison alors ? Ce livre est une voie pour trouver un foyer, remonter le passé, affronter le nom de mes ancêtres. Au temps de l’Urss, parler de soi mettait en danger, comme aujourd’hui. Mon travail d’écrivain est d’apporter de la lumière sur cette obscurité. »

Avec Tout sauf moi (traduction Danièle Valin), Francesca Melandri offre un troisième volet à sa trilogie « des pères » à la suite d’Eva dort et Plus haut que la mer. « La maison et le monde pourrait être un bon titre pour ma trilogie sourit-elle, par sa recherche, son rapport à l’histoire à la politique qui tente de se situer au niveau le plus intime, frontal et émotionnel. C’est ma façon d’être au monde, de me placer dans la maison de mon moi. C’est nécessaire pour comprendre qui je suis et ce que sont les autres. Il y a une relation directe entre la manière dont nous sommes dans notre maison et dans le monde extérieur. La question se pose lorsqu’il n’y a pas de séparation claire entre le dedans et le dehors. Même si cette « frontière » est poreuse et transparente, elle est nécessaire. Dans mes livres, je cherche ce rapport entre ce dehors et ce dedans. C’est aussi une question de langage qui nous rappelle la fonction du traducteur : partir de la maison linguistique de l’auteur et la porter dans une autre langue, comme ouvrir la maison du livre et la porter dans le monde. »

Périphéries

« Nous sommes tous périphériques, c’est la seule façon, aujourd’hui, d’être universel » disait Carlos Fuentes lors de l’édition 2011 des Écritures Croisées qui lui était consacrée. Gérard Meudal reprenant la formule confronte les trois autrices de l’édition 2022 à cette formule qui questionne à plusieurs niveaux, et d’abord à la signification du terme « périphérie » et de l’expression « être périphérique ». Francesca Melandri évoque dans les peuples l’universalité du thème de la majorité et de la minorité, l’Irlande pour le Royaume Uni, le Québec pour le Canada, le Pays basque pour l’Espagne, etc. « Il y a bien ici une histoire de centre et de périphérie. La frontière est la peau des nations, elle nous sépare, protégeant nos institutions et tout le reste, mais aussi c’est l’organe qui nous ouvre au monde : les montagnes sont fermées par rapport aux plaines, mais c’est là où les cultures se mélangent. » Isabela Figuereido sourit : « je suis une native périphérique par mon lieu de naissance. Si le centre est le lieu canonique, s’instaure une différence entre un centre « parfait » et une périphérie en marge, incomplète alors que le centre serait sublime et infini. Le centre est un endroit narcissique par nature, mais j’ai besoin d’habiter en dehors de ce centre pour mieux le voir, l’appréhender, le comprendre. Née au Mozambique, j’imaginais le Portugal comme une terre promise, idéalisée, c’était le centre pour moi. Le centre pour résumer est une idée de l’absolu et pour l’atteindre il faut être à la périphérie. »

Reprenant le sujet du langage, Maria Stepanova souligne le fait que « lorsqu’un écrivain représente quelqu’un en littérature, ce dernier est lié à une culture, une ligne de pensée, c’est pourquoi les régimes autoritaires s’intéressent tant aux auteurs, aux journalistes, il ne s’agit pas forcément de réduire au silence, mais de changer les mots. Ainsi, aujourd’hui, en Russie, on ne parle plus de guerre mais d’opérations spéciales. » Elle insiste sur la situation de la langue qui est différente si l’on observe l’Allemagne ou l’Italie : « quand on passe d’une ville italienne à une autre les dialectes sont différents, de même en Suisse, c’est même un « sport » que de reconnaître l’origine de tel ou tel dialecte. Certains pays fonctionnent avec plusieurs dialectes qui fleurissent, sont utilisés, enseignés, alors qu’en Russie, il n’y a pas de dialectes, à la fin du XVIIIème siècle. L’État russe introduit une version parfaite de la langue russe (inventée dans le centre de la culture qu’est Saint-Pétersbourg) et cela ne s’est pas arrêté avec l’arrivée des Soviétiques au pouvoir. Cette unification à l’exclusion de toute autre langue procède d’une pensée hiérarchique partant toujours d’un centre. En Russie, il faut passer par Moscou pour devenir quelqu’un et en France, je crois que c’est la même chose avec Paris », sourit l’autrice. La question se pose alors : est-ce qu’un pays avec un centre et ses périphéries pourrait aussi fonctionner avec plusieurs centres fluides ? On pense alors en termes spatiaux.

Francesca Melandri reprend : « comme écrivaine, la position marginale est extrêmement importante. Chacun de nous est le centre de sa vie, mais pour un écrivain, il faut un pas au-delà, même de deux millimètres. C’est dans cet espace de deux millimètres que se situe la distance nécessaire à l’écriture. La relation du placement entre celui qui écrit et ce qui est écrit est essentielle : s’il n’y a pas de distance, il n’y a pas de littérature, elle n’existe que lorsqu’existe une périphérie ».

MARYVONNE COLOMBANI

Fête du Livre
Journées des 13 et 14 octobre
Amphithéâtre de la Manufacture, Aix-en-Provence

Penser le Midi : Camus, homme des deux rives

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© X-DR

Des bancs d’école algérois à son ultime voyage provençal à Lourmarin, l’auteur n’a cessé d’être inspiré par la Méditerranée. Dans le cadre de l’Année Albert Camus initiée par la Région Sud, Marseille rend hommage à la relation qu’entretenait le romancier avec la Grande Bleue, le temps d’une exposition programmée jusqu’au 31 décembre. Un parcours immersif à travers la « Pensée de midi », au premier étage de la bibliothèque de l’Alcazar. 

Au cœur d’un esprit  
Dès la première salle, le discours engagé de Camus pour son prix Nobel résonne à travers la pièce. Pas à pas, le visiteur suit ses traces dans son Algérie natale, découvrant une réflexion solaire, inscrite dans les racines d’un héritage méditerranéen. Au carrefour des rivages ensoleillés, l’exposition retrace ses voyages grecs et italiens à travers des photos de lieux ayant joué un rôle dans le développement de sa sensibilité. Ce n’est pas par hasard que la mer et le soleil deviennent des personnages clés du roman L’Étranger en 1942. 

Albert Camus, Saint-Honorat, 1946 © X-DR

Les documents d’archives témoignent d’un goût pour la mesure dans une époque absurde. L’auteur et l’homme saisissent les armes de la littérature pour combattre les totalitarismes de son temps. Rédacteur en chef du journal Combat en 1944, Albert Camus s’engage dans la Résistance avant de condamner la politique soviétique, à rebours d’une époque louant Staline à coup de sonnets surréalistes. La pensée camusienne trouve sa place là où les mots rayonnent sur l’espoir d’un monde nouveau : « Nous portons tous en nous nos bagnes, nos crimes et nos ravages. Mais notre tâche n’est pas de les déchaîner à travers le monde ; elle est de les combattre en nous-mêmes et dans les autres » (L’Homme révolté, 1951).

On saisit que les mots de Camus trouvent un certain écho aujourd’hui. L’écrivain nous invite à réfléchir à la construction d’un monde commun face aux replis sur soi. Le visiteur se promène à travers ses songes tandis que les murs deviennent des pages. « Je ne connais qu’un seul espoir et c’est celui d’aimer », lit-on en fin de parcours. Du 17 au 20 novembre, l’auteur sera également en filigrane des Rencontres d’Averroès, dont Thierry Fabre, co-comissaire de l’exposition, est le fondateur. Un rendez-vous qui sera l’occasion de découvrir les mises en récit de la Méditerranée et de questionner les concepts de guerre et paix. 

CHARLES FLAGEUL et CARLA PLOMB

Albert Camus et la pensée de midi
Jusqu’au 31 décembre
Bibliothèque de l’Alcazar, Marseille

Au Mucem, des créations collectives

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Breton, Duhamel, Morise, Tanguy, Cadavres exquis 1928 © Adagp Paris 2022 © Collection Seroussi

Ils ne manquent pas d’enthousiasme, les commissaires de la nouvelle exposition du Mucem, Amitiés. Jean-Jacques Lebel, lui-même artiste plasticien, et Blandine Chavanne, conservatrice générale du patrimoine, anciennement en poste au musée des Beaux-Arts de Nantes. L’un et l’autre ont travaillé plusieurs années durant pour rassembler un échantillon impressionnant des collaborations artistiques qui ont pu naître de la fin du XIXe siècle au début du XXIe. Une collection d’œuvres conçues à plusieurs mains par de grands noms, à commencer par les plus fameux, qui ouvrent le parcours : Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Germain Nouveau, auteurs avec une dizaine d’autres poètes et écrivains d’un Album Zutique, entre septembre 1871 et juillet 1872, dans la foulée de la Commune de Paris. D’emblée, tout est dit de leur intention : montrer comment un événement historique, particulièrement s’il a une dimension subversive, peut conduire à des rencontres (fortuites ou non, mais fécondes), et comment la créativité peut être stimulée par cet entrechoc des imaginaires.

Équilibre instable

Malheureusement, malgré – ou à cause de ? – tout leur savoir, Amitiés pourrait dérouter une partie du public. Dans ce genre d’expositions, il est souvent ardu de trouver l’équilibre entre l’apport d’informations nécessaires à ceux qui n’ont pas forcément tous les codes de l’histoire de l’art, et les éléments pointus qui satisferont d’autres visiteurs plus férus de cette discipline. Le risque est de décourager les premiers, faute d’éléments de contexte suffisant à l’appréciation des œuvres, et de décevoir les derniers, qui peuvent rester sur leur faim. On ne saurait trop conseiller, à ceux qui voudraient profiter pleinement de la réflexion menée par Jean-Jacques Lebel et Blandine Chavanne, de se procurer le catalogue de la manifestation, bien plus « charnu ». Encore faut-il en avoir les moyens. Peut-être aurait-il fallu, pour « accrocher » résolument le visiteur lambda, aller plus nettement encore sur le terrain politique, ce que permet, sans doute, le statut du Mucem, qui est un « musée de société ». Car c’est en se penchant sur le colonialisme, la Guerre d’Algérie, Mai 1968 ou la chute du mur de Berlin que certaines sections du parcours trouvent leur pertinence. Le reste s’apparente trop souvent, pour l’œil novice, à une série de signatures – André Breton, Salvador Dalí, William S. Burroughs… – et de mouvements artistiques – Dada, le Surréalisme, la Beat Generation…

Dieter Roth & Arnulf Rainer, Ohne Titel 1974 © Adagp Paris 2022, Estate of Dieter Roth

Jean-Jacques Lebel le précise, il n’était pas question de « seulement montrer des œuvres, mais leur processus de production : pourquoi certains artistes décident un jour de travailler ensemble, pourquoi ça marche, et quelques fois ça ne marche pas », cependant cet aspect-là aurait pu, lui aussi, être plus approfondi. De même que la place des femmes, abordée seulement à travers une affiche créée par les Guerrilla Girls en 1985. Est-ce que les femmes doivent êtres nues pour entrer au Metropolitan Museum of Art de New York ?, y lit-on : sur 169 artistes exposés dans les galeries d’art moderne, seulement 13 étaient de sexe féminin… Ce qui n’a pas tellement changé.

Reste le plaisir iconoclaste de relire le fameux Sonnet du trou du cul, co-signé par Rimbaud et Verlaine, l’amusement devant les outils et jeux conçus par des générations d’artistes farceurs, tels les cadavres exquis des surréalistes, ou la curiosité de découvrir les performances des Nouveaux sauvages, courant artistique allemand des années 1970, déterminé à résister au marché de l’art dans un monde capitaliste.

GAËLLE CLOAREC

Amitiés
Jusqu'au 13 février
Mucem, Marseille
04 84 35 13 13 mucem.org
À lire
Amitiés
Catalogue de l'exposition
Co-édition Mucem / Kunstmuseum Wolfsburg / Hatje Cantz, 40 €
Le Markk s’installe dans la Chambre d'amis
Depuis l'automne dernier, le Mucem a décidé de mettre à l'honneur son réseau de partenaires. Dans une petite salle à la sortie des expositions principales, quelques pièces prêtées par une autre institution muséale sont présentées. Après le Musée de La Canée (Crète) qui avait inauguré le dispositif, puis notre musée national de la Marine, c'est au tour du Markk Museum am Rothenbaum (Allemagne) d'être accueilli dans cette Chambre d'amis. Musée d'ethnographie fondé en 1879 à Hambourg, il a pour point commun avec le Mucem de s'intéresser aux cultures populaires, notamment des zones rurales en Europe. Tous deux font d'ailleurs partie, explique Lara Selin Erterner, conservatrice du Markk, du projet de coopération européen Taking Care*. Une initiative qui examine de manière critique comment les collections ethnographiques peuvent revenir sur les traumatismes coloniaux – beaucoup ont été initiées à l'époque coloniale, « un héritage difficile » – et contribuer à un avenir « durable », alors que les conditions environnementales se dégradent, en s'appuyant sur les savoirs vernaculaires. L'idée étant de recontextualiser les fonds, sans nier les enjeux de domination qui ont prévalu à leur constitution. Jusqu'au 13 février, les visiteurs émergeant d'Amitiés pourront ainsi découvrir un bol sculpté d'une scène de chasse par des Samis, population autochtone vivant dans le Nord de la Scandinavie, un masque sarde de carnaval, ou encore un utérus votif en forme de boule à pointes, témoin des préjugés médicaux dans l'Italie patriarcale du XIXe siècle.
G.C.

* Pour en savoir plus à ce sujet : diplomatie.gouv.fr

La Maison du Chant fait feu de toutes voix

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Ablaye Cissoko-Cyrille-Brotto © Cedrick Nöt

Zébuline. Cette édition est baptisée « traversée en polyphonie au fil du temps et des rivages ». Pourquoi ?

Odile Lecour. Ce que j’aime dans la polyphonie c’est qu’elle ne peut exister que s’il y a des différences, sinon, ce serait de la monophonie. Toutes ses couleurs de voix me touchent énormément. Cette année il y en aura beaucoup. Il s’agit d’une revendication humaine et philosophique : il y a des œuvres écrites pour quarante voix différentes et cela donne quelque chose de magnifique. 

Vous dites qu’il faut sortir de sa zone de confort…

Il faut que nos oreilles aillent à la rencontre de ce dont elles n’ont pas l’habitude, se nourrissent de découvertes. Avec les musiques du festival on part toujours en voyage, d’une époque, d’une région à une autre, goûtant les sonorités que viennent de tous les coins du monde. On est à Marseille, dans une palette de sons, de couleurs, de parfums différents, essentiels à la construction de notre humanité. 

Pourriez-vous évoquer quelques-uns de vos choix ? 

Il y a des compagnonnages, comme celui avec Maura Guerrera pour A Vuci Longa avec Oriana Civile, Catherine Catella, consacré à la polyvocalité paysanne des femmes de Sicile. Kalliroi Raouzeou et Sylvie Paz qui sortent leur album Photographia, avec Cedrick Bec à la batterie et Pierre Fenichel à la contrebasse. Annie Maltinti et son chœur Babelika, Jean-François Luciani à qui est laissée une carte blanche. Également les « bébés » de la Maison du Chant, comme SenLimo, création musicale et polyphonique en sortie de résidence, et des coups de cœur nouveaux parmi lesquels on peut citer la création par le duo Ablaye Cissoko, griot sénégalais (kora) et Cyrille Brotto (accordéon) qui est donné à la Cité de la Musique. Ou Mze Shina et ses polyphonies et percussions de Géorgie. Citons le fabuleux travail de collectage, par Marie Coumes (La Mal Coiffée) et Laurent Cavalié, de chants de révolte des vignerons de l’Aude des années 1960 à 76, une poésie occitane des luttes ! Il ne faut pas oublier la beauté du Souffle des roses, avec Françoise Atlan et Shadi Fathi Les griots amènent la paix avec eux, la musique porte un message plus ou moins fort mais signifie toujours quelque chose.

ENTRETIEN REALISE PAR MARYVONNE COLOMBANI

Festival De Vives Voix
Du 30 septembre au 5 novembre
La Maison du Chant et autres lieux, Marseille
09 54 45 09 69 
lesvoiesduchant.org

Naufrages

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Simone Veil a dû se retourner dans sa tombe. La semaine dernière, Beate et Serge Klarsfeld reçoivent la médaille de la Ville de Perpignan des mains de son maire Louis Aliot. Comment le couple connu dans le monde entier pour avoir consacré sa vie à la traque d’anciens nazis et à la mémoire des victimes de la Shoah peut-il accepter l’hommage d’un ancien vice-président du Front national, parti fondé il y a cinquante ans par l’ancien Waffen SS René Bousquet ? Et surtout pourquoi ces opposants historiques à l’extrême-droite française se sont-ils empêtrés dans une tentative de justification, jusqu’à argumenter une prétendue ligne d’ouverture chez le candidat à la présidence du RN dans son duel interne qui l’oppose au non moins national-populiste Jordan Bardella ? La sénilité ne saurait apporter une réponse acceptable dans ce qui apparaît on ne peut plus clairement comme un naufrage idéologique. Si l’ancrage à droite des époux n’est plus un secret, il demeure grave et inquiétant de les voir apporter leur pierre au processus de dédiabolisation du parti lepéniste et d’instrumentalisation d’enjeux mémoriels pour tenter de faire oublier ses racines profondément antisémites. Tout aussi inquiétant, le silence de plomb d’organisations d’obédience juives, à l’instar du Crif, laisse craindre une collusion d’intérêts dans le débat puant sur le fantasme de conflits communautaires dans le pays.

« Féminisme » d’arrière-garde

Une quinzaine de jours plus tôt, la « philosophe » Élisabeth Badinter enfonce le clou, évoquant « une entente entre trois groupes, les gens de couleur, les néo-féminsites et les islamistes ». Et, au même micro, celle qui défendit la présomption d’innocence dans l’affaire DSK de demander aux femmes victimes de viol de « prendre [leurs] responsabilités » en portant plainte avant le délai de prescription… Naufrage intellectuel bis repetita. Même Léa Salamé semblait choquée. À croire que la journaliste met un point d’honneur à offrir une tribune aux tenantes d’un « féminisme » d’arrière-garde. Le week-end dernier, elle invitait Dora Moutot face à Marie Cau, première maire transgenre de France. La blogueuse, qui n’a bien entendu aucune légitimité sur le sujet de la transidentité, a eu tout le loisir de déverser sa haine transphobe dans une diatribe indigne du service public audiovisuel : « Pour moi, Marie Cau est un homme (…), une personne qui est biologiquement un mâle, ça, on ne peut pas dire le contraire, mais qui a des goûts qui correspondent à ce qu’on appelle le genre femme ». Vous avez dit naufrage ?

LUDOVIC TOMAS

« Topographia » : à rythmes croisés

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Couverture du disque Topographia du duo Zoppa © Sublimes portes

Kalliroi Raouzeou et Sylvie Aniorte-Paz empruntent le nom de leur nouveau projet, Zoppa, à l’expression italienne alla zoppa qui désigne le mouvement « à la boiteuse » en musique. Leur vagabondage entre les langues, les textes des poètes Fernando Pessoa, Jorge Luis Borges, Pablo Neruda, et leurs propres écrits, tisse une « topographie » répartie en douze pièces. Invisibles ouvre le recueil, voix à l’unisson, dans la pleine beauté des timbres de chacune, l’une un peu plus grave teintée des intonations rocailleuses de l’Espagnol flamenquiste, l’autre aux modulations souples, toutes deux sourdement passionnées.

Un parfum de jazz s’immisce dans ce premier morceau, auquel fait écho le dernier, éponyme du duo, Zoppa. Seul à être entièrement écrit en français, il porte un regard tendrement espiègle sur l’élan créateur dont la thématique se décline au fil des musiques : Não sou nada (« Je ne suis rien/ (…) / je porte en moi tous les rêves du monde »). Hommage au voyageur immobile de Fernando Pessoa, il part du rythme interne du phrasé du poème, fondation d’une mélodie qui se déploie ensuite avec ampleur. Víspera, de Pablo Neruda égrène « des milliers de particules de sables et des rivières qui ignorent le repos ». Leo te digo dessine un jeu de piste entre les mots grecs et espagnols. Kaïmo, l’intraduisible terme grec transcrit parfois par « spleen », orchestre les langues vernaculaires des deux chanteuses en écho, tandis que Roma joue sur le thème du palindrome Roma-Amor.

Car il est avant tout question d’amour. Il y a celui, protecteur, de la Vierge Marie, figure de la Panagia grecque, qui console les exilés qui accostent à Phocée sur une musique traditionnelle de l’île de Patmos tandis que la lyra crétoise apporte ses effluves d’Orient. Le sentiment amoureux est magnifié par les mots de Neruda, Diciendo que palabras, les échos invocatoires de Litania à la mélancolie jazzée, les traces rêvées d’amours jamais avouées, Que no daría (Borges) : « que ne donnerais-je pour la mémoire que tu m’aurais dit que tu m’aimais »… « À contre-nage » les musiciennes dansent accompagnées par une phalange de musiciens d’exception. Un petit bijou.

MARYVONNE COLOMBANI

Topographia, Zoppa
Sublimes Portes

Un festival qui cartoon

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Le Tigre qui s’invita pour le thé © Tea Tiger Productions Limited MMXIX

Le cinéma d’animation est à l’honneur jusqu’au 15 novembre dans toute la région : de Marseille à Cucuron, de Martigues à Saint-Rémy-de-Provence, en passant par Vitrolles, Istres, Aix, Grans et bien d’autres. De quoi s’en mettre plein les mirettes pour petits et grands. Des courts et des longs métrages, dix-huit films dont sept avant-premières, des rencontres et ateliers divers, c’est ce que nous propose la 23e édition de Cinémanimé, organisée par Les Écrans du Sud et à laquelle se sont inscrites une trentaine de salles du réseau.
Incontournable
Pour les plus jeunes, des programmes de courts comme Le Tigre qui s’invita pour le thé, un conte, adapté de l’album de Judith Kerr ou Un Hérisson dans la neige de Pascale Hecquet. Ils pourront retrouver leurs amis, Ernest et Célestine qui retournent au pays d’Ernest, la Charabie, où la musique est bannie, pour réparer cette injustice et ramener la joie au pays des ours : Ernest et Célestine, le voyage en Charibie de Julien Chheng et Jean-Christophe Roger.Pour tous, l’occasion de voir les films en compétition au dernier Festival d’Annecy dont certains en avant-première. Le Petit Nicolas, qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? d’Amandine Fredon et Benjamin Massoubre, qui y a obtenu le Cristal du long métrage, évoque Sempé et Goscinny, leur rencontre, leur amitié, leurs parcours, leurs secrets et leur enfant, Le Petit Nicolas. Dans Interdit aux chiens et aux Italiens (Prix du jury et Prix de la Fondation Gan), Alain Ughetto raconte à travers celle de son grand-père, Luigi, l’histoire de centaines de milliers d’Italiens, qui ont quitté leur terre pour s’établir en France, en Suisse, en Belgique. À retrouver aussi, Charlotte d’Éric Warin et Tahir Rana, qui retrace le destin et l’œuvre de la peinte Charlotte Salomon. Cinémanimé, un événement incontournable pour tous ceux qui aiment les films d’animation et les autres.
ANNIE GAVA

Cinemanimé
Jusqu'au 15 novembre
Dans toute la Région Sud
seances-speciales.fr