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DIASPORIK : La Savine : une histoire de « rénovation sociale »

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Michel Peraldi et Soly Mbaé © X-DR

Il y a plus de 20 ans, la Politique de la Ville mettait en place des programmes de rénovation urbaine pour les quartiers populaires, sans concertation ou presque avec les habitants. Dans le quartier marseillais de La Savine en 1996, au contraire, des habitants et voisins d’origines multiples, ont pris en main la « rénovation sociale » de leur quartier. 

La Savine se trouve en haut d’une colline et s’étale sur 13 hectares tout en ayant compté près de 1 400 sociaux logements à sa construction en 1973 et plus de 3 000 habitants. Dans le cadre de la rénovation menée par l’Anru, le quartier a subi la destruction de plusieurs centaines de logements, réduisant le nombre d’habitants à moins de 1 000 en 2018.

La soirée animée par la journaliste Nina Hubinet ouvre le débat sur les conditions de vie actuelles dans ces quartiers et les effets durables de ces politiques publiques de rénovation. Quel en a été l’impact de la transformation de l’habitat sur la place des habitants et en matière de mixité sociale ? 

Le film La ville en marche projeté en présence du réalisateur Dominique Bidaubayle donne la parole aux habitants de La Savine en 1996 et témoigne de leur enthousiasme à participer à l’amélioration de leur cadre de vie. Comme pour Nedjma Sellami, arrivée à 9 ans dans le quartier, et qui a connu la vie dans les anciens blockhaus datant de la Seconde Guerre mondiale, puis dans la cité provisoire avant d’accéder finalement au logement social développé par la Logirem…

Issus des migrations post-coloniales, en provenance des Comores, du Laos ou de Tunisie, La Savine est une cité-monde au cœur des collines marseillaise. 

Soly Mbaé, membre du groupe B-Vice et Michel Péraldi, sociologue, reviennent sur l’enclavement de la cité qui compte rapidement plus de 5 000 personnes. Pour Soly, La Savine est un grand village qui souffre de l’absence de mobilité – avec une seule ligne de bus pour le desservir –, un niveau de commerce insuffisant, mais une entraide réelle entre acteurs associatifs. 

Michel Péraldi revient sur la dégradation du tissu associatif de proximité, l’institutionnalisation des dispositifs de concertation et le « rapt » des décisions qui ont largement échappé aux concernés pour mener à une rénovation qui désenclave le bâti mais déconstruit durablement le lien social. Une rétrospective de l’engagement des habitants, violemment ébranlée par l’assassinat d’Ibrahim Ali le 21 février 1995, un enfant de La Savine, ainsi que sous l’effet des politiques sociales qui destituent les acteurs de leur rôle plutôt que de le renforcer. 

Les échanges évoquent les souvenirs d’une dynamique portée entre voisins, entre communautés migrantes mais avant tout de destin !Le partenariat avec le bailleur Logirem constitue un axe fort de prise en compte des doléances et favorable au développement d’une vie associative de proximité dont on peut regretter l’épuisement, aujourd’hui.

Dans le documentaire, les portraits des figures emblématiques se succèdent, Nedjma Sellami, présidente de l’ASVT, Association de Locataires Savine Vallon des Tuves et de l’association Ensemble, l’enseignante Suzanne Ragonne, Mohamed Said Soihili dit Bruce, Loutfi Blaiej, du club sportif savinois, Simon Phrav, Ibrahim Mze, monsieur Boivin y compris celle de Frédéric Vidal de l’unité de prévention de la Police qui témoigne de l’enjeu de cette communauté de « veille » en faveur de l’entraide dans le quartier.

À l’heure des JO 2024, où l’on s’interroge sur l’enjeu du sport, la culture et l’engagement comme leviers d’inclusion, le gouvernement annonce via décret l’annulation de nombreux crédits dont ceux de la politique de la ville à hauteur de 49 millions. Il semble grand temps de doter la vie associative d’un « grand plan pour Marseille ». 

SAMIA CHABANI

DIASPORIK : Comment décoloniser les arts ? 

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La conférence « Décoloniser les arts : déboulonnage ou pédagogie ? » s’est tenue le 11 mars au Mucem © X-DR

Les « procès du siècle » sont devenus des rendez-vous incontournables pour les amateurs de questions contemporaines en quête de débat qualitatif : les échanges s’y construisent autour de l’argumentation et la présentation de pièces à conviction, invoquées sous forme d’œuvres, de témoignages, voire de photos de famille… L’espace de délibérations fait la part belle aux citoyens, conservateurs et chercheurs dans une savante articulation. La commission d’enquête et la restitution du débat contradictoire étaient assurées le 11 mars par les élèves de seconde du Lycée Pierre-Gilles de Gennes de Digne-les-Bains. 

Restitution, hommage public dans la toponymie, patrimoine statuaire, étaient interrogés. Des questions qui illustrent les combats et agitent nos sociétés contemporaines. Le titre « Décoloniser les arts : déboulonnage ou pédagogie ? » semblait annoncer un débat clivé, mais c’est autour d’expertes du sujet que se tient le procès mené par Rokhaya Diallo. Faut-il faire du « cas par cas », traiter une allégorie de la même façon que la statue d’un militaire ayant massacré des populations civiles sous l’esclavage ou les guerres coloniales ?

Qui sont ces personnalités qui ont assuré leur postérité et mobilisé la souscription citoyenne, pour que le récit national garde leur trace ? Faut-il rééquilibrer en genre, origine et personnalités locales ou plus radicalement, « renverser la table » et ne plus laisser l’empreinte de ceux qui commis l’inacceptable au « nom de la patrie reconnaissante » ?

Interroger la « radicalité »

Eva Doumbia (autrice, metteuse en scène, comédienne), membre fondatrice du collectif d’artistes Décoloniser les arts, invite à interroger les pratiques artistiques à l’aune des « rapports raciaux » hérités de la colonisation française et de l’histoire de l’esclavage. Elle préconise de poursuivre cette sensibilisation comme une démarche à la fois personnelle et collective et d’analyser la colonialité à l’œuvre dans le monde des arts et de la culture en France, en s’appuyant sur l’ouvrage Décolonisons les arts ! de Leila Cukierman, Gerty Dambury et Françoise Vergès. Pour Nacira Guénif-Souilamas, autrice d’essais de sociologie sur la question des représentations qui font date, il s’agit de s’émanciper d’une occultation délibérée en articulant pédagogie et interpellation, et de démystifier l’idée que nos institutions patrimoniales « prennent soin » des objets collectés dans les colonies.

Il s’agit de décentrer le regard et d’admettre que la dépossession et la scénographie encore écrasante soient dénoncées. 

La radicalité des postures est souvent interrogée dans le champ de la recherche universitaire ou de l’action militante autour des dialogues féministes décoloniaux, ou des préconisations autour des restitutions. Ces évolutions, souvent qualifiées de « radicales », ont produit de nouvelles formes de savoirs qui diffusent durablement la pensée décoloniale. 

SAMIA CHABANI

La conférence « Décoloniser les arts : déboulonnage ou pédagogie ? » s’est tenue le 11 mars au Mucem, Marseille

Mistral gagnant ?

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© Tnk1PrdZ

Les langues vivantes doivent beaucoup aux artistes qui l’utilisent, l’animent, en jouent. Dans son discours annonçant la troisième édition de « Une année, un auteur », le conseiller régional Jean-Pierre Richard rappelle que le provençal est une langue qui a été construite et codifiée par Frédéric Mistral. En défendant cette langue et les traditions provençales, le natif de Maillane a inscrit la Provence dans un imaginaire auquel nous nous référons toujours aujourd’hui. Le directeur de l’Observatoire de la langue et de la culture provençales Terry Chabert le rappelle, cette année est celle d’un triple anniversaire : les 110 ans de la disparition de Mistral, les 120 ans de son prix Nobel et les 170 ans de la création de son association Félibrige vouée à la défense de la langue et de la culture provençale. Pour l’occasion, une pièce de théâtre inédite mise en scène par Gérard Gelas et parrainée par Jean Reno débutera dès cet été et tournera dans tout le territoire. Quant au reste des projets, c’est surtout la structure Félibrige qui s’en charge, aux côtés des villes et des associations locales. Le président du Félibrige Paulin Reynard déclare que le but de son association est d’enrichir la langue provençale, de créer autour de celle-ci et de la partager, pas uniquement régionalement mais aussi nationalement. Il affirme que le provençal est une langue vivante et qu’elle n’a pas fini de faire parler d’elle. C’est d’ailleurs le thème du premier événement s’intitulant : « À 170 ans, non, le Félibrige n’a pas tout dit ! » qui se déroulera à Gréoux-les-Bains. L’année labellisée Frédéric Mistral par la Région peut se résumer en un souhait qu’exprime Jean-Pierre Richard en reprenant les mots provençaux de Mistral, traduisibles ainsi : « nous la garderons coûte que coûte, notre belle et rebelle langue d’Oc ». 

Prendre garde aux vents contraires

La figure de Frédéric Mistral peut nous fédérer autour d’un socle commun de traditions provençales qui s’inscrivent plus largement dans notre patrimoine français. À cet égard, Jean-Pierre Richard souligne que le poète a obtenu un prix Nobel de littérature qui l’a fait reconnaître nationalement et internationalement en tant que grand écrivain français. Cependant, l’héritage mistralien divise aussi, au sein de la lengo nostro. La langue d’Oc a deux écoles, deux graphies : l’une dite provençale ou mistralienne et l’autre dite occitane ou classique. Les deux courants sont souvent en désaccord et il faut prendre garde à ce que cette année Mistral ne devienne pas le théâtre de querelles linguistiques contreproductives. La langue d’oc, quels que soient ses variantes (languedocien, provençal, alpin, auvergnat, limousin, gascon etc.), souffre de la même perte de vitesse et a plutôt intérêt à faire front commun pour perdurer. 

Et plus récemment le nom de Mistral s’est vu rattaché à des contentieux juridiques. L’entrepreneur Vianney d’Alançon, devenu membre du Félibrige en 2022, vient d’être condamné à remettre en l’état l’extérieur du château de la Barben dont il se servait illégalement pour son parc à thème provençal du Rocher Mistral. Or ce parc d’attraction a reçu plusieurs millions d’euros de subventions de la part des différentes collectivités. De plus, des historiens comme Xavier Daumalin redoutent un « projet politique » derrière le Rocher Mistral, à la manière du Puy du Fou dont les distorsions historiques à visées idéologiques ne sont plus à prouver [lire notre entretien avec Xavier Daumalin]. Jean-Pierre Richard déclare néanmoins « attendre pour voir » – Vianney d’Alançon a fait appel – tout en affirmant que le parc suit une ligne historique sans « erreurs fondamentales » et que « la représentation en matière de culture et de langues régionales tient la route ». On compte en tout cas sur la Région et le Félibrige pour que cette année prometteuse ne soit pas entachée par de telles polémiques. 

RENAUD GUISSANI 

Une année un auteur : Frédéric Mistral, inventeur de la Provence
Jusqu’au 13 décembre
Région Sud 

Une féministe dans la résistance

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Berty Albrecht © Tnk1PrdZ

Inscrit dans le cadre du « Forum Femmes, debout, femmes en résistance », ce temps fort de la vie du Camp des Milles nous fait découvrir le personnage fascinant et avant-gardiste de Berty Albrecht, née à Marseille en 1893 dans une famille protestante suisse. Suivant la « tendance historiographique actuelle qui s’intéresse aux gens qui ont agi plus qu’aux grands mouvements », Robert Mencherini présente son dernier opus Berty Albrecht, de Marseille au Mont-Valérien, une féministe dans la résistance

Un problème de proportion 

Son travail s’est appuyé sur une collecte documentaire qui reçoit encore aujourd’hui, après la publication de son ouvrage, de nou- veaux éléments. Un considérable corpus de lettres conservées au Musée d’histoire de Marseille qui dispose d’un fonds Berty Albrecht, et permet de comprendre de l’intérieur le parcours de cette femme brillante ainsi que son engagement dans la Résistance. « Elle est l’une des six femmes “compagnon de la Libération” sur les 1038 compagnons, ce qui est très en-deçà de leur proportion dans la Résistance. De même elle est l’une des deux femmes à être inhumée au Mont-Valérien sur les 1008 personnes à s’y trouver… là encore, la proportion est loin d’être juste », explique l’historien qui déroule le fil chronologique de la vie de cette héroïne qui reçut « une formation scolaire laïque, grâce à la loi Camille Sée, au lycée Montgrand ».

Infirmière durant la Première Guerre mondiale, elle fondera la revue féministe Le Problème sexuel, défendant le droit à l’avortement et l’homosexualité en 1931. En 1941 grande résistante, elle organise le mouvement Combat aux côtés d’Henri Frenay… Sa vie s’arrête le 13 mai 1943 à Fresnes, où elle se pend dans sa cellule. Les lectures subtiles de Marie Rodrigue et la guitare et le violon virtuose de Christian Fromentin de la Compagnie Padam Nezi, venaient apporter un surplus d’humanité et de fraîcheur au récit de l’historien. La Complainte du partisan (chanson d’Anna Marly écrite en 1943) venait clore la soirée sa poésie désespérée : « et la liberté reviendra/ on nous oubliera/ nous rentrerons

MARYVONNE COLOMBANI

Conférence donnée le 7 mars à auditorium du Camp des Milles, Aix-en-Provence. 

Les artistes face au génocide au Rwanda
Le Camp des Milles, dont la particularité a été d’interner un grand nombre d’artistes, privilégie la part de l’art comme outil de résistance et de réflexion. Trente ans après le génocide visant les Tutsis au Rwanda, la question continue de se poser : « comment cela a-t-il été possible ? ». Depuis la stigmatisation d’une minorité, l’usage d’un vocabulaire qui dénie peu à peu les caractéristiques humaines, à la persécution, aux actes racistes et à leur extension de masse, la réflexion sur le tragique engrenage se pose. La nouvelle exposition temporaire, Vies d’après : des artistes face au génocide des Tutsis du Rwanda  offre un florilège des œuvres de Bruce Clarke, qui présente ici une résistance artistique contre l’oubli et la réitération des engrenages meurtriers qui n’épargnent aucune partie de la planète. M.V.

15 mars au 9 juin 
Entrée libre
Camp des Milles, Aix-en-Provence
04 42 39 17 11 
campdesmilles.org

Eclaircir le brun de l’horizon

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Nous vivons, en France, une situation inédite. L’extrême droite, donnée largement en tête dans les sondages sur les intentions de vote aux Européennes, peut faire basculer les précaires équilibres européens vers des positions fascistes, et pourrait gagner les prochaines élections présidentielles. Le parti de Marine Le Pen domine le paysage politique, objectivement secondé par les transfuges de Zemmour, qui exhibent quant à eux racisme, sexisme, homophobie et transphobie comme au bon vieux temps de grand-papa (celui de Marion Maréchal, le papa de l’autre). 

La responsabilité politique incombe évidemment à la Macronie, qui est restée sourde à toutes les protestations sociales et a fait voler en éclat la gauche puis la droite. Mais elle repose aussi sur les partis de gauche qui ne parviennent pas à construire le socle commun d’une alliance et veulent, chacun, l’hégémonie ; et à la droite qui vote les lois anti-sociales avec Macron, puis pactise largement avec le diable vaguement dédiabolisé du RN, ou à l’état brut de Reconquête. Et elle prend largement racine dans l’hypocrisie d’une classe politique qui instaure la parité et prône la diversité mais n’a jamais été fichue, depuis Ségolène Royal, de concevoir une femme, un·e racisé·e et/ou un·e LGBTQI présidentiable. 

Résultat ? 

L’hypocrisie politique génère l’abstention massive des minorités et la pensée dialectique est devenue impossible à énoncer dans le débat public. Les médias dominants somment les politiques de répondre aux raccourcis, de choisir leur camp, d’expliquer clairement des réalités complexes : ils ne peuvent pas à la fois condamner les attentats du 7 octobre et dénoncer le colonialisme israélien, comprendre les difficultés économiques des agriculteurs mais refuser les pesticides, soutenir la production locale mais une humanité internationale, défendre la laïcité et l’universalisme en faisant place aux religions et cultures minoritaires, continuer le combat féministe dans la diversité des définitions de genre…

Accepter la complexité

Cette pensée dialectique, qui n’a jamais empêché la résolution et la décision, nous est cependant nécessaire, alors que l’horizon national et planétaire est à ce point embruni. Justement, parce que nos horizons se teintent si franchement de brun. Nous avons besoin d’échapper aux raccourcis manichéens que les scoops, les gros titres et les phrases chocs nous imposent, et pas seulement sur CNews. Nous avons besoin des pas de cotés, des humoristes, de l’art, de la beauté, pour faire surgir les aspérités de représentations médiatiques lissées et abrasées, et déminer les discours de haine en nous redonnant l’amour de l’altérité.

Pour contribuer à cela, Zébuline fera désormais plus de place encore, dans ses pages, aux questions culturelles posées par l’évolution des féminismes, des questions queer, des luttes écologistes, des cultures des diasporas. 

Pour commencer, nous ouvrons nos pages à l’association Ancrages et à Samia Chabani qui tiendra régulièrement la rubrique Diasporik. Affirmer et reconnaître les cultures des diasporas, hors du fait religieux où on veut les réduire, est plus que jamais essentiel, à l’heure où les actes antisémites se multiplient, et où Zemmour affirme sans sourciller la supériorité des chrétiens sur les musulmans, et de Mozart sur la musique orientale.

AGNÈS FRECHEL

Avec le temps pousse la chanson 

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Blandine est sur la scène de l'Espace Julien le 16 mars © DR

On pourrait la croire endormie, acculée par la domination musicale anglo-saxonne, et diluée par le désenclavement qu’offre aujourd’hui internet. Mais il n’en est rien, la vitalité de la chanson francophone demeure, peut-être plus que jamais, et Avec le temps en est un précieux exemple. Comme chaque année depuis 26 ans, le festival porté par la coopérative Grand Bonheur propose un mois de mars sous le signe de la chanson, avec plus d’une vingtaine d’artistes qui montent sur les scènes marseillaises, avec l’Espace Julien en vaisseau amiral. 

Depuis quelques jours déjà, le rendez-vous a entamé son errance musicale avec son Parcours chanson qui met en avant la scène émergente dans des concerts gratuits. Un parcours à étapes qui a vu se produire Janela Word à la médiathèque Bonneveine ou Louise O’sman à la Bibliothèque du Merlan. Il se poursuit jusqu’au 20 mars, et il ne faudra pas louper la chanson poético-extravagante de Belvoir (16 mars, Brasserie Soiffe), ou le rock sensible de Sasha Vaughan (20 mars, bibliothèque du Panier). 

Programme dionysiaque

Mais c’est ce vendredi 15 mars que le cœur du rendez-vous débute avec une douzaine de soirées-concerts. D’abord avec l’artiste réunionnaise Maya Kamaty qui créolise sa musique d’influence world, rap et électro, dans une cadence frénétique à découvrir à la Méson. Frénésie similaire le même soir au Makeda pour l’électro-urbaine de Thérèse, qui croque le monde dans ses morceaux, que ce soit dans la musique ou dans ses paroles tantôt rieuses tantôt puissantes. Le lendemain, un nouveau plateau féminin est proposé, cette fois à l’Espace Julien, avec la pop hypnotique et lyrique de Clara Ysé et la voix tout aussi hypnotisante de Blandine

Les jours se succèdent, les talents aussi. On attend l’indie-rock des Canadiens de Grand Eugène (19 mars, Café Julien), la variet-pop de Aliocha Schneider qui assoie une belle notoriété avec son tubesque Ensemble, il y aura aussi l’artiste maison Fred Neché au Théâtre de l’Œuvre et la pop psyché de Walter Astral au Makeda. Enfin, s’ouvre le dernier week-end, qui accueille les plus grosses têtes d’affiche du rendez-vous. Le jeudi 21 c’est la pop-rap ultra originale de Zed Yun Pavarotti qui débarque à l’Espace Julien. Puis Dionysos, qui fêtent ses trente ans en revenant à son rock’n’roll originel. À côté des vétérans, se presse la jeune québécoise Lou-Adriane Cassidy et sa folk électrique. On finit en beauté avec Eddy de Pretto, qui s’est imposé – avec Zaho de Sagazan, Juliette Armanet et Clara Luciani – comme porte-étendard de la nouvelle scène musicale française. 

À côté de la programmation musicale, Avec le Temps propose aussi des actions éducatives, comme le dispositif Rock in Vitrolles. Cette année, c’est le groupe marseillais Social Dance qui a accompagné pendant trois mois une classe de quatrième du collège Henri Bosco pour lui apprendre les « fondamentaux de la création, du chant et de la rythmique ». Ce travail donnera lieu à une restitution le 28 mars au Théâtre de Fontblanche. 

NICOLAS SANTUCCI

Avec le temps
Jusqu’au 28 mars
Divers lieux, Marseille et Vitrolles 
festival-avecletemps.com

Les femmes paient leur tournée

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Le mois de mars se fait résolument féminin chez les Libraires du Sud : trois autrices venues d’horizons différents, et s’étant attelées à des formes et des thématiques singulières, y échangeront le temps de six rencontres s’annonçant passionnantes.

Lettres d’Alger

Et c’est l’autrice Amina Damerdji qui ouvrira le bal les 14, 15 et 16 mars à Marseille, Tarascon et Vitrolles pour présenter son second roman, Bientôt les vivants. Cette plongée dans l’Algérie des années de plomb, d’inspiration autobiographique, a été amplement saluée par la critique depuis sa sortie en janvier dernier chez Gallimard. Le récit de résilience de Selma, jeune algérienne francophone voyant sa famille de plus en plus menacée par les déchirements politiques successifs, replonge l’autrice dans l’Algérie de son enfance. Et ce moins de trois ans après la publication de son premier roman, Laissez-moi vous rejoindre, autre plongée à hauteur de femme dans notre Histoire récente : celle de la Révolution cubaine, observée à travers l’entourage de Fidel Castro. Universitaire venue du monde de la poésie, Amina Damerdji cultive un goût de la conjugaison entre grande et petite Histoire, mais aussi entre le pouvoir de l’image et de l’imaginaire face à la violence et à la barbarie. 

Le temps et l’Histoire

Avant d’échanger les 29 et 30 mars avec Lauren Bastide à Marseille puis à Nice la marseillaise Élise Thiébaut sera de passage à Forcalquier le 28 mars. Où il sera question, entre autres, de sa plus récente parution : Ceci est mon temps, essai littéraire paru le 7 mars au Diable Vauvert, où elle officie également comme directrice de collection. Journaliste, entre autres pour La Déferlante, l’essayiste se plongeait déjà, dans une bande dessinée parue en janvier dernier au Lombard, sur un imaginaire lourd de sens et de conséquences : Vierges : la folle histoire de la virginité. Avec Ceci est mon temps, c’est d’un autre moment clé qu’il est question : celui de la ménopause, et même de l’andropause. Elle partage en cela une interrogation au cœur de 2060 de Lauren Bastide.

Regards vers l’avenir

Les deux autrices ne sont en effet pas des inconnues, puisque c’est dans la collection dirigée par Élise Thiébaut au Diable Vauvert, celle des Nouvelles Lunes, que paraît cette novella d’anticipation, empruntant au genre de la science-fiction son pouvoir d’anticipation politique. À ceci près que le 2060 imaginé par la journaliste touche-à-tout, pionnière dans la sphère féministe qui vit éclore dès 2016 son podcast La Foudre, n’est pas une déformation de nos années 2020, mais bien une anticipation de ce à quoi les jeunes femmes d’aujourd’hui pourraient ressembler d’ici une quarantaine d’années. 

Ce récit de l’ultime journée d’une octogénaire, la veille d’une fin du monde imminente, est en effet d’une redoutable efficacité : les retombées d’un réchauffement climatique jamais endingués, mais aussi d’un « Régime fascisant » généralisé, en font une parabole écoféministe d’autant plus puissante qu’elle sait faire de son personnage et de son parcours autre chose qu’un simple étendard. Car c’est également de psyché que l’autrice se préoccupe désormais, depuis la fin de La Poudre, avec Folie Douce : où la question de la santé mentale, bien souvent reliée à celle des imaginaires féminins, se voit traitée avec un même sens de l’écoute et de l’observation. 

SUZANNE CANESSA

Amina Damerdji sera présente le 14 mars à 19h à la Librairie l’Attrape-Mots à Marseille, le 15 mars à 18h30 à la librairie Lettres Vives de Tarascon et le 16 mars à 18h à la librairie Quartiers Libres de Vitrolles

Élise Thiébaut sera présente le 28 mars à 18h30 à la librairie La Carline à Forcalquier 

Élise Thiébaut et Lauren Bastide seront présentes le 29 mars à 19h à la Librairie l’Histoire de l’œil à Marseille et le 30 mars à 19h à la librairie Les Parleuses à Nice

Alain Simon danse avec les mots de Georges Perec 

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© X-DR

Zébuline. Pourquoi le choix de Perec et de L’homme qui dort en particulier, publié en 1967, année où l’auteur deviendra membre de l’Oulipo ?

Alain Simon. Il y a longtemps que Perec me plaît et que je le travaille. J’adore son écriture, sa manière de prendre des risques là où les gens n’en prennent pas et inversement, et le suspens qui sous-tend L’homme qui dort. Comme aucune transformation du texte n’était possible avec les ayants-droits, j’ai conservé le texte à la virgule près. J’ai tout de même dû couper, conservant un quart du texte pour une représentation de 57 minutes. Sa méticulosité à décrire m’a beaucoup aidé dans mon approche. 

Vous unissez lecture et danse dans cette création…

La lecture des romans m’intéresse. J’ai voulu que ce texte serve une autre de mes passions, la danse. Ce sont deux langages à part entière qui se suffisent. J’ai eu la curiosité de remplacer la musique par le texte. Attention, je ne souhaite absolument pas que ce qui se passe sur le plateau appartienne à un genre hybride. Je préfère parler d’intersection, comme dans la mathématique des ensembles : essayer de trouver l’endroit où les deux langages se recoupent, se rejoignent, là où les entités parlent ensemble. Il n’y a pas d’accompagnement : le texte n’accompagne pas la danse et réciproquement. L’accompagnement induit une subalternité. Je préfère le « être avec ». Je dois avouer mon sentiment de victoire lorsque le danseur et chorégraphe Léonardo Centi m’a demandé « est-ce que l’on peut mettre la musique un peu plus tôt ? ». Il travaille sur le texte comme sur de la musique… Si c’est réussi, émergera dans la danse un personnage de théâtre.

Le texte est vécu comme une partition ?

Oui, j’y ai des annotations quant aux rythmes, aux timbres… il y a très peu de silences du texte. Le silences de théâtre sont endossés par les immobilités du danseur. La musique est un endroit de repère, c’est ce que devient le texte, fil jaune du spéléologue. Dans le texte de Perec, il y a une voix intérieure, un « tu », qui peut être un sur-moi, un commentaire off… intéressante dualité entre l’adresse au personnage et la voix intérieure. L’indétermination et la précision sont indispensables : la vacuité de sens sert au public pour se projeter et la précision est l’indice de l’existence de la réalité. Nous gardons, le danseur Léonardo Centi, l’assistante à la chorégraphie, Emmanuelle Simon, le créateur lumières Simon Fieulaine, et moi un esprit de recherche. Et c’est passionnant.

MARYVONNE COLOMBANI

L’homme qui dort
Mis en scène par Alain Simon
13 mars
Théâtre des Ateliers, Aix-en-Provence
theatre-des-ateliers-aix.com

« Tiger Stripes », un tigre sous le voile

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En présentant au cinéma La Baleine, Tiger Stripes, Grand Prix de la Semaine de la critique 2023, dans le cadre de la reprise de la Sélection cannoise, la déléguée générale Ava Cahen, a affirmé que récompenser le film d’Amanda Nell Eu, était un choix audacieux. Premier long métrage de la réalisatrice malaisienne, film de genre(s), métissé entre le teen movie, le gore, le cinéma fantastique, et la parabole politique. Sous les auspices d’Apichatpong Weerasethakul et de Julia Ducournau, a-t-on dit.  Si Tiger Stripes n’a pas la puissance poétique du premier ni la radicalité de la seconde, il s’affirme par son originalité décomplexée. C’est un film libre, tonique, et en un mot… rugissant.

Zaffan (Zafreen Zairizal) a 12 ans, vit dans un village de Malaisie. Fille unique de parents décontenancés par la fougue de son adolescence frondeuse. À l’école, ses copines et elle forment un clan de joyeuses larronnes. Danses, vidéos TikTok, pieds de nez à l’autorité scolaire, premier soutien-gorge clandestin partagé, elles s’éclaboussent d’eau et de rires, jusqu’à ce qu’entre les jambes de Zaffan, le sang de ses premières menstrues ne la rendent différente. Dès lors, ostracisée par ses anciennes amies encore impubères, la jeune fille va d’abord essayer de cacher les mutations d’un corps qu’elle ne maîtrise plus, et dont toute la société lui renvoie la monstruosité. Sa mère, les institutions, la religion, la vieille légende rurale d’une femme aux règles surnaturelles qui aurait disparu dans la jungle et reviendrait en apparition menaçante, tout parle de cette monstruosité à Zaffan, de cette honte d’être « impure ».

Liberté sauvage

D’un côté la contrainte : l’uniforme blanc des jeunes filles, l’encadrement de leur visage juvénile par le voile islamique, les séances où sagement assises en tailleur sur le sol de la cour de l’Institution non mixte, elles écoutent sous le soleil plombant, les sermons de la directrice, distribuant bons ou mauvais points, les ateliers périscolaires où elles se mettent au garde à vous. De l’autre, le refuge des toilettes – espace exigu où explose l’énergie des filles, l’exubérance de la jungle tropicale, les eaux jaillissantes des cascades, et le tigre que les chasseurs guettent. La civilisation avec ses charlatans et ses certitudes face au mystère de la vie, de la nature, des femmes. Le film voyage du monde contraint aux espaces de liberté sauvage, glissant peu à peu dans le surnaturel par les mutations du corps de Zaffan, les discordances sonores, l’assombrissement  de la lumière (excellent travail du chef op espagnol Jimmy Gimferrer). On passe de la saturation de couleurs pastel aux ténèbres de la jungle tropicale. Amanda Nell Eu ne cherche ni à faire peur, ni à faire « sexy», la fille-tigre n’obéit pas à des critères de beauté ou d’horreur. Non sans humour, la jeune réalisatrice donne des coups de griffes à tous les préjugés, et c’est bougrement réjouissant !

ÉLISE PADOVANI

Tiger Stripes, de Amanda Nell Eu Grand Prix de la Semaine de la critique 2023 sort en salles le 13 mars 2024

@Jour2Fete

« La musique contemporaine a rarement été aussi accessible »

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Zébuline. Votre début d’année est particulièrement marqué par la création – trois en l’espace de quatre mois !

Marie-Josèphe Jude. Voilà une bonne dizaine d’années que j’ai la chance d’accompagner la création contemporaine par différents biais, toujours avec la même joie. C’est évidemment très intimidant… Mais entrer pour la première fois dans le langage, dans l’inconscient d’un compositeur est un sentiment incomparable. En tant que pédagogue, j’encourage toujours, dès le plus jeune âge, mes élèves à se frotter à la musique d’aujourd’hui et à ne pas se concentrer sur une musique dite « de répertoire » sanctuarisée. Car la musique contemporaine a rarement été aussi accessible. Il semble enfin révolu, ce conflit entre deux musiques tenues pour antinomique : l’une, avant-gardiste et difficile d’accès, particulièrement ardue à interpréter et disparue peu après sa création, et l’autre, portée par la seule sensualité, mais soupçonnée d’un certain manque d’exigence… Et tant mieux ! De même que celui où les compositrices semblaient exclues de l’équation : on voit aujourd’hui éclore sur le devant de la scène, au même titre que de jeunes cheffes, de très jeunes femmes passionnantes, telles que Florentine Mulsant, ou Élise Bertrand, entendues aux Victoires de la Musique. 

Votre collaboration avec Musicatreize est très ancienne. Elle s’est nouée justement autour d’un compositeur alors tenu pour inclassable, Maurice Ohana.

C’est en effet avec lui que tout a commencé ! Maurice Ohana était un compositeur particulièrement généreux, et le jouer se révélait toujours enrichissant. Contrairement à certains compositeurs ou compositrices qui ont une idée très précise de ce qu’ils attendent, il considérait que chaque interprète et chaque interprétation enrichissait son œuvre, et le surprenait agréablement. J’apprécie par ailleurs tout particulièrement les opportunités, rares, de travailler avec un chœur : en tant que pianiste, nous accompagnons souvent des solistes. Mais se préparer à accompagner un chœur, surtout sur une création, laisse une plus grande place à l’imagination et à l’oreille. Moi qui, d’habitude, chantonne la partie chantée au-dessus de ma partie pour me faire une idée, je me prépare à être surprise le jour des répétitions ! Au même titre que les chanteurs et chanteuses qui, souvent, n’ont pas pu lire ou entendre la partie de piano. Nous partons ensemble à la découverte de l’œuvre !

Que pouvez-vous nous révéler de l’œuvre de Frédéric Schoeller qui sera créée ces 13 et 14 mars ?

La parenté avec une musique de tradition française est évidente, et il a été très bien vu de le programmer en compagnie de Fauré et de Poulenc. Son goût de la transparence, de la demi-teinte me rappelle Ravel ou Debussy, cet univers doux et enveloppé de pédale … C’est une musique qui rappelle à quel point le contact entre piano et voix peut s’avérer exaltant : nous avons tout à apprendre des chanteurs et chanteuses, de leurs intonations, de leur souffle, de leur naturel… De la vérité de leur phrasé, toujours !

SUZANNE CANESSA

Marie-Josèphe Jude et l’Ensemble Musicatreize
13 mars 
Pôle Chabran, Draguignan 

14 mars 
Salle Musicatreize, Marseille