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La guitare voyageuse de Thibault Cauvin 

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©Jérémie Dumbrill

Avec son itinéraire d’enfant gâté relaté dans son livre À cordes et à cœur (co-écrit avec François Deletraz), Thibault Cauvin arpente le monde avec maestria, remporte brillamment moult concours internationaux, abolit les frontières, passant d’Astor Piazzolla à Tom Jobim et séduit par son enthousiasme. Il rejoint d’un pas leste la chaise solitaire perdue au milieu du plateau et soudain l’espace se peuple de mondes, de musiques, de rêves et chacun se sent l’âme voyageuse, prêt à découvrir parfums, architectures, peuples, coutumes, lovés au cœur des cartes postales du globe-trotteur qui durant quinze ans a parcouru la planète, ne prenant que des billets simples.

S’accorder au monde

Le jeu fluide au point de faire oublier sa virtuosité aborde le monde, nous conduit de ville en ville, Oulan Bator, Calcutta, Istanbul, conjuguant à la magie des lieux le ton du conte : se profilent les foules animées, la douceur du soir condensée dans un raga, les chevauchées fantastiques de Gengis Khan sur ses chevaux de feu, les rencontres improbables d’un berger dans les coins reculés de montagnes inaccessibles… L’artiste désaccorde sa guitare tout en jouant, la transforme en sitar et nous voici en Inde, puis resserre les cordes et l’on s’évade dans la magie d’autres ailleurs. On croise Tom Jobim, Stéphane Grappelli, Mathias Duplessy, Carlo Domeniconi, Sébastien Vachez. La famille musicienne est mise à contribution : le compositeur Jordan Cauvin, frère de l’instrumentiste, est sollicité pour des arrangements qu’il refuse puis compose, poussé par l’insistance tenace de Thibault qui raconte : « je livre à mon frère des choses disparates et il me renvoie des partitions cinq étoiles ». Naissent sous ses doigts des pépites, une reprise malicieuse de Jeux interditsmon professeur de guitare refusait de faire jouer ce morceau tant il l’avait entendu ânonné et massacré par des générations d’élèves », sourit le guitariste), et une réinterprétation subtile et bouleversante des Trois Préludes de Jean-Sébastien Bach… Avec une pointe de rire dans la voix, Thibault Cauvin réaccorde sa guitare : « j’adore m’accorder, je pourrais faire tout un concert en ne faisant que ça ! ». Même les moments passés au réglage des cordes sont musicaux et prétexte aux mots ! Les légendes familiales se tissent : l’enfant Thibault demande un jour à son père, le compositeur et guitariste Philippe Cauvin, de lui composer le morceau le plus difficile de du monde. L’hyperbole souligne les mythologies personnelles, colore les vagabondages de la guitare. Inépuisable charme des histoires…

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 20 février au Conservatoire Darius Milhaud, Aix-en-Provence.

Frontières voyageuses

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Jarava au Chantier de Correns © Laurent Sondag

Le thème du concert, Voyage au pays d’Orphée, rappelle que le dieu Dionysos et le héros Orphée sont originaires de la Thrace. « C’est une région extrêmement divisée dont les limites ont varié au cours des siècles au gré des conquêtes », explique la chanteuse bulgare mais aussi comédienne, Diana Barzeva, lors de l’entretien mené par Frank Tenaille, directeur artistique du Chantier, en avant-goût de la représentation. Actuellement, la Bulgarie, la Grèce et la Turquie se partagent la région qu’ombragent les monts Rhodopes. Mais « la musique n’épouse pas les frontières actuelles », souligne Kalliroï Raouzeou, chanteuse grecque, pianiste, compositrice. Les quatre musiciens qui accompagnent les deux artistes ont eux aussi suivi un parcours éclectique, si Caroline Guibeau (accordéon, cet « instrument monde » et chant) vient du classique, le percussionniste, Nicola Marinoni a connu des débuts dans le rock, Christian Fromentin (violon, oud) a commencé par une maîtrise en musicologie avant de s’emparer d’une multitude d’instruments du monde, tandis que Jean-Marc Gibert (guitare électrique, bouzouki) s’est d’abord engagé dans des formations pop/jazz avant de se tourner vers les musiques traditionnelles. Chansons bulgares, grecques, de Thrace, de Constantinople, de Macédoine, finement présentées se succèdent, portées par les voix des chanteuses, chacune avec son timbre, son phrasé, son élégance. Les mélodies se tissent avec inventivité, les rythmes impairs glissent vers la danse, les mélismes font voyager les mots, les orchestrations déploient leurs lignes, conjuguent les univers, abordent tous les registres, content, jouent, réinventent les codes. Les musiques vagabondent, infiniment, et redessinent notre monde…

MARYVONNE COLOMBANI

Jarava s’est produit le 23 février au Chantier de Correns.

La chanson française passée à la mitraillette 

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Pochette © Palindrome

Il y a des disques qui se dégustent comme une boite de chocolat. À chaque morceau sa fantaisie, et l’incertitude de ce sur quoi l’on va croquer. Toute la musique que j’haine est de ceux-là. Projet lancé par le label marseillais Cœur sur toi, il invite plusieurs dizaines d’artistes à revisiter des chansons du « répertoire » français, de Patrick Sebastien à Niagara en passant par Renaud ou Jean Ferrat. Il en résulte un formidable charivari de la chanson française passé à la moulinette de jeunes artistes, qui en extirpent l’essence, souvent pour mieux la brûler. 

C’est le cas par exemple avec Dans mon HLM de Renaud, qui devient Y’avait Michel sous les notes de Adolf Hibou en tout début d’écoute. Une caricature en forme de farce loufoque du chanteur parigot. Même perfidie plus loin avec Pendant que les champs brûlent de Niagara qui devient cette fois Pendant que Auchan brûle avec Les berges du ravin.  

Il y a de l’humour et de l’ironie dans ce disque certes, mais il y a aussi de fulgurants coups de fusil musicaux. Comme quand Alex Thagis & Daughters reprend Et si tu n’existais pas de Joe Dassin, avec les violons de la chanson original samplés et repris en boucle, formant une ritournelle joyeusement outrancière avec paroles lues par une voix d’enfant. On adore aussi Jean-Jéjé qui s’accapare Tourner les serviettes, l’hymne beauf par excellence signé Patrick Sébastien, pour en faire une merveilleuse ballade où l’on pourrait presque se laisser aller à l’émotion. Autre pépite avec Fais comme l’oiseau de Michel Fugain qui sous la moulinette de Noir Geezus aurait tout à fait sa place dans un DJ set d’une fin de soirée caverneuse. 

Comme d’habitude avec Cœur sur toi, frénétique label underground marseillais qui sort presque un album par mois, c’est sur cassette que les morceaux sont gravés. Et cet objet se veut déjà collector, puisqu’il n’est pressé qu’à 48 exemplaires, disponible sur commande, avec un fanzine et un « jouet » en bonus.

NICOLAS SANTUCCI 

Toute la musique que j’haine 
Cœur sur toi – 12€
coeursurtoi.bandcamp.com

L’aveu de l’antitsiganisme 

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Inscription sur la chaussée du chemin de Bizet, en contrebas de l’ancienne aire d’autoroute de Saint-Henri, où devait être construit le village d’insertion © X-DR

Le mardi 20 février avait lieu au cinéma de l’Alhambra, à Marseille, une projection du documentaire Une jeunesse rom (2021) de Deborah Da Silva. Le film s’intéresse à la vie en bidonville en France et notamment au combat pour l’accès à la scolarité des enfants roms en suivant plusieurs associations en Île-de-France et à Toulouse. La réalisatrice donne la parole à des jeunes et leurs parents qui racontent leur arrivée en France et la vie en bidonville, le racisme et la précarité, mais aussi et surtout la combativité. Elle suit aussi le travail de l’association L’École pour tous, fondée par l’avocate rom Anina Ciuciu. La projection été suivie d’un débat avec les marseillais qui s’étaient déplacés. Parmis eux était présente la maire des 15 et 16e arrondissements, Nadia Boulainseur, qui a encore un fois témoigné de son indignation face à l’abandon d’un énième projet d’aide aux familles roms. 

En effet, quelques jours avant la projection organisée par les associations Rencontres Tsiganes et Ancrages, le préfet à l’égalité des chances Michaël Sibilleau avait annoncé l’abandon du projet de village d’insertion à Saint-Henri. 

Projet(s) avorté(s)

Les villages d’insertion, apparus en France dans les années 2000, sont des lieux d’accueil temporaires dont l’objectif est d’accompagner les familles, choisies pour y résider, vers le logement individuel et l’emploi. Ce dispositif est souvent décrié par des collectifs comme Romeurope qui dénonce dans son fonctionnement un regroupement des populations dans des formes de ghettos où accompagnement social et contrôle social renforcé se confondent. Au contraire, la coordinatrice de Rencontres Tsiganes et membre de Romeurope Caroline Godard explique vouloir œuvrer pour « un retour au droit commun, sans passer par ces habitats intercalaires ». Elle poursuit : « la raison pour laquelle on est obligé de revenir vers ce genre d’aménagements, c’est la terrible crise du logement qu’il y a en ce moment ».

Le projet était assez mal accueilli par une partie de la population de Saint-Henri. Ils se sont rassemblés le 14 février pour manifester devant l’avis de construction. Nombre d’opposants dénoncent notamment un manque de concertation citoyenne vis-à-vis du projet. Cet argument ne convainc pas la coordinatrice de l’association Ancrages Samia Chabani : « il est important de concerter la population sur certains projets, comme la construction d’une route, mais là on n’est pas en train de créer une nuisance, on est dans le devoir qu’a l’État de mise à l’abri des personnes vulnérables ». Certains propriétaires craignent aussi une dévaluation de leur bien. « Ce n’est pas nouveau cet antitsiganisme, il y a eu la Busserine il y a 10 ans, la mobilisation comités d’intérêt de quartier… » explique Samia Chabani, faisant référence à d’autres projets du même type qui ont avorté par le passé.

« Non au roms »

Quelques jours avant la manifestation, le 11 février, le bitume du chemin de Bizet, en contrebas de l’ancienne aire d’autoroute où devait être installé le village d’insertion, a été marqué de grandes lettres à la peinture blanche : « Non au roms » [sic]. Derrière les oppositions au projet, c’est donc bien d’antitsiganisme dont il est question.

Cette forme de racisme se caractérise par la très large acceptation dont elle fait l’objet dans la société, ainsi que son aspect hautement institutionnalisé et l’inaction des pouvoirs publics. Son caractère essentialiste justifie les discriminations dont sont victimes ces populations, considérées comme n’étant pas « civilisées » et incapables de le devenir. 

Ainsi, leur accès à des ressources normales est compromis. Par exemple, l’un des clichés les plus persistants est leur nomadisme supposé. Cette fausse idée est très largement partagée, y compris chez les travailleurs sociaux qui sont censés les accompagner vers le logement individuel. Comme en témoigne une famille dans le documentaire de Deborah Da Silva, l’accès à un appartement peut aussi être compliqué à cause des violences dont les roms sont encore plus susceptibles d’être victimes en étant isolés. De la même manière, la scolarisation des enfants roms est difficile, en dépit de la volonté des parents. Certains maires ou directeurs refusent l’inscription d’élèves sans domiciliation, bien que ce soit illégal. Il est aussi fréquent que les enfants roms soient victimes de racisme de la part de leurs camarades ou des enseignants qui les stigmatisent en raison notamment des difficultés d’apprentissage liées à leur cadre de vie. 

Il existe des associations et des collectifs qui luttent contre l’antitsiganisme et pour l’égalité des droits, mais ce sont rarement des personnes roms qui les dirigent. En effet, l’une des conséquences de toutes ces discriminations est d’empêcher l’accès de ces populations à la parole publique.

Malgré l’aspect profondément culturel de l’antitsiganisme, les associations insistent sur le fait que la lutte contre ces discriminations ne repose pas sur la compréhension de la culture rom « Je ne défends pas des roms, martèle Caroline Godard, je défends des droits ». 

CHLOÉ MACAIRE

C’est toujours La première fois !

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L'équipe du festival La Première fois en 2023 © Samy Ait Chikh

Cela fait maintenant 15 ans que l’équipe du festival La Première fois, engagée et pleine d’énergie, nous propose des premiers gestes de cinéma. Quinze premiers films documentaires, courts, moyens et longs métrages avec, comme chaque année, un·e  invité·e d’honneur. En 2024, c’est la cinéaste camerounaise Rosine Mbakam qui est à l’honneur. On pourra voir son premier long-métrage documentaire Les deux visages d’une femme Bamiléké (2016) et, en ouverture le 12 mars à 20 h au cinéma Les Variétés, son dernier opus, le très beau Mambar Pierrette (https://journalzebuline.fr/une-femme-courage/) Elle animera une master class le lendemain à La Baleine, suivie de la projection de son documentaire.

Ukraine, Chine, Rwanda…

Le festival se poursuit au Vidéodrome 2 avec une quinzaine de films, en présence des jeunes cinéastes. Des documentaires qui nous emmènent ailleurs, dans des pays qui ont connu la guerre ou la vivent encore comme Fleurs d’épine ; Olga Stuga  filme sa famille dans un village à l’ouest de l’Ukraine en 2017, entre les deux invasions russes. Au Rwanda où Kumva- ce qui vient  du silence de Sarah Mallégol nous fait rencontrer des trentenaires, enfants au moment du génocide des Tutsis de 1994, qui luttent avec leurs souvenirs d’enfance empreints de désolation et de violence. Ou en Colombie où retourne Sergio Guataquira Sarmiento pour réaliser un film, Adieu sauvage, sur une épidémie de suicides dans les communautés amérindiennes et renouer ainsi avec ses racines. Ou encore en Chine où Qian Han entremêle le  parcours de sa grand-mère, immigrée de première génération à Wuhan avec celui de la petite fleur bleue qui adonné son titre au film, Veronica persica.

On rencontrera Miloud Chabane, un poète slameur, qui vit au Mirail à Toulouse, dans Miloud fait de la résistance de Milo Maigne. Nous saurons ce qu’est un muanapoto dans le film de Chirss Itoua ; dans Favula, Elyes Jerididi lance une missive à sa mère ; et dans Les Initiés, Colas Gorce se demande si l’on peut manger les animaux que l’on aime… 

ANNIE GAVA

La première fois
Du 12 au 16 mars
Aux Variétés, Vidéodrome 2, La Baleine
Marseille

Toutes de queer vêtues

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Johanne © Julie Folly

C’est Marion Sage qui ouvrira le bal avec sa conférence-performance Jum’s, développée à partir du numéro de cabaret Le cheval de Fiacre de la danseuse Julia Marcus. Marion Sage a consacré sa thèse à son travail, un numéro créé en France en 1939, alors qu’elle était exilée communiste du IIIe Reich. La performance de Marion Sage a aussi été inspirée par ses expériences en Galicie, où les chevaux vivent à l’état sauvage. Jouant avec l’art du montage, combinant bruits de sabot et archives de l’histoire de la danse, l’artiste fait émerger la figure du cheval – ou plutôt de la jument – et s’interroge sur notre relation à cet animal, d’un point de vue mythologique comme social et politique. 

Accompagnée de trois musiciennes, Maud Pizon investira ensuite la scène avec sa création Cover, un spectacle qui interroge sur le principe de reprise en danse. Pourquoi devrait-on suivre à la lettre les volontés du chorégraphe original, au lieu de prendre des libertés, comme le font les musicien·ne·s quand iels reprennent des morceaux ? Partant d’un corpus de soli dansés, elle expérimente ces possibilités… Un concert du groupe My Imaginary Love viendra finalement clore la soirée, prouvant que les femmes aussi savent jouer du rock indé. 

Place au +

À partir du 14 mars la programmation reste tout aussi féministe, mais s’affirme plus queer, tendance trans. Dans Circé, Mathieu Hocquemiller met en scène quatre corps aux prises avec la déesse de la transformation et de l’hybridation. Il accompagne aussi Violette Guillarme dans son Abîme, une autobiographie féministe où il est question de violence et de réparation.

Le 16 mars la compagnie Essevesse fait danser les Trans et Max Fossati s’interroge sur la filiation masculine. Puis les huit interprètes de Volmir Cordeiro feront exploser leur diversité  au son d’un soubassophone tout à fait brésilien, à la recherche d’un Abri joyeux pour leurs corps exclus des normes patriarcales.

Le 19 mars Baptiste Cazaux cherchera un Break dans la scansion électro tandis que Melissa Guex fera exploser Raiponce, cette princesse enfermée qui attend un charmant pour sa délivrance. Et si elle avait attendu jusqu’à ce qu’elle soit rance et chauve, cette Rapunzel ? 

+ de genre se poursuivra avec Amour .h (le 22 mars) quatuor masculin qui explore la relation amoureuse gay de Gaël Rougegray, puis un duo de Sylvain Riéjou, Je badine avec l’amour, où comment un homme gay perçoit les sempiternelles représentations hétéro du couple amoureux.

Enfin I’ll lick the fog of your skin, installation interactive d’Emmanuel Guillaud, invitera à se perdre dans une forêt de désirs interdits (le 26 mars) tandis que la soirée de clôture (le 29 mars) proposera deux événements : la relecture féministe, queer et racisée de l’histoire de la révolution par Hortense Belhôte ; puis celle de Johanne, plongée vibrante dans l’intimité des corps non binaires enfin libres de leur sensualité : Appetite for the depths, c’est dans les profondeurs des voyages intime que se révèle, souvent, la justesse du sentiment esthétique. 

CHLOÉ MACAIRE ET AGNÈS FRESCHEL

+ de genres
Du 8 au 29 mars
Klap, Maison pour la danse, Marseille
kelemenis.fr

OCCITANIE : À défaut de prendre Racine

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L’affiche est alléchante : les mots de Racine incarnés par Isabelle Huppert. Un dramaturge classique de référence et une comédienne iconique à l’élégance doucement raffinée. On connaît la tragédie de Racine dans laquelle Bérénice, reine de Judée, se trouve répudiée par son amoureux, Titus, une fois que ce dernier a été sacré empereur romain. Comme toujours, les histoires d’amour finissent mal, surtout quand la question du pouvoir s’en mêle.

Tout serait donc sans surprise ? Au contraire. Il faut compter sur Roméo Castellucci, son art théâtral, total et sans compromis, qui le fait parcourir le monde, chambouler son public, marquer les esprits. Pour ceux qui voulaient du Racine au mot près, c’est perdu d’avance. Puristes, passez votre chemin. 

Œuvre monstrueuse

C’est la Bérénice de Castelluci « d’après Racine » que l’on découvre sur scène dans un décor aussi sombre que minimaliste. Bérénice, ou plutôt Isabelle Huppert, apparition en somptueuse robe Iris Van Herpen au plissé antique fantasmé, un diadème posé sur sa chevelure feu, à la fois actrice et reine, comédienne et personnage. 

Sa voix n’est pas celle que l’on attend. Elle est froide, mécanique, pleine d’écho, tunée comme celle d’un mauvais rappeur, temporairement désagréable. Les mots du poème tragique de Racine, oeuvre monstrueuse de 1506 alexandrins, ont été réduits aux répliques de Bérénice, et quelques phrases qui s’affichent en arrière-plan, dont on ne nous dit pas exactement à qui les attribuer, sans doute Titus, peut-être un autre. Peu importe. Ce que dit cette femme sur le point d’être abandonnée n’est pas ce qu’ils ressassent en boucle. Elle dit plus, bien plus. Quand le coeur est traumatisé, les mots prennent corps à défaut de prendre Racine, deviennent vibrations, tremblements d’âme. 

Dans les abysses du malheur

Entourée de personnages masculins fantasmagoriques et silencieux, cette femme dont on ne sait plus si elle est Bérénice ou Isabelle, use d’une langue abstraite pour tenter de parler d’amour contrarié, de fatalité incohérente, de ce que nous faisons et de ce que nous laissons faire. La tragédie devient hérétique et le langage se met à nu. Sommes-nous face à une femme blessée, dans son corps, dans sa tête ? 

Musical, sonore, déroutant, le son de Scott Gibbons entraîne dans les abysses du malheur, entre révolte, colère et chagrin. Tentée par le désespoir à n’en pas trouver les mots, Isabelle Huppert ressurgit avec rage, secoue le spectateur jusqu’à lui donner la chair de poule….

Reste cette émotion intense, ce frisson dramatique incontrôlable et cathartique que le metteur en scène italien a manigancé pour nous dès le début, usant d’inconfort visuel et auditif pour nous ensevelir sous les couches multiples d’un théâtre plastique et sonore. Les applaudissements sont timides, ceux qui sont venus voir Racine sont déçus et le font entendre, ceux qui sont venus voir Castelluci et Huppert sont ravis. Isabelle, elle, est majestueuse, belle comme une déesse des profondeurs. 

ALICE ROLLAND

Bérénice a été créé au Domaine d’O, Montpellier, du 23 au 25 février
Une production de la Cité européenne du théâtre, du Domaine d’O et de la Societas Romeo Castellucci 
À venir
Théâtre de la Ville de Paris
du 5 au 28 mars

Quelques figures de la poésie à Marseille 

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Roxana Hashemi © Aliona Gloukhova

Tout au fond de la Friche, collée aux voies ferrées, il y a la Villa des auteurs. C’est ici que travaille Roxana Hashemi, en tant que chargée de relations avec les auteurs et les publics pour La Marelle, lieu de création littéraire accueillant des artistes en résidence. Après un service civique en médiation, elle a intégré la petite équipe et participe activement au choix des prochains artistes que la structure hébergera. Ce travail de recherche, Roxana l’effectue aussi dans le cadre de la deuxième fonction qu’elle exerce, celle de co-directrice de la revue Muscle. « C’est une revue de poésie au principe simple. Il s’agit d’une longue feuille de papier qui est pliée en forme de leporello avec deux auteur·ice·s par numéro », explique-t-elle. Avec Laura Vasquez la fondatrice de Muscle, lauréate du prix Goncourt de la poésie 2023, Roxana Hashemi traduit de nombreux artistes et le périodique ne reste pas cantonné aux seul·e·s poètes d’expression française. Dans la même logique d’éclectisme, la revue poétique publie aussi bien des personnes connues que méconnues. Les artistes marseillais et de la région y sont fortement représentés, bien qu’il ne s’agisse pas d’un choix conscient d’après elle. « Les découvertes se font beaucoup par rencontres et c’est peut-être pour ça que celles-ci se font plus naturellement à Marseille qui est un des lieux importants en poésie. Il y a un truc avec la poésie ici, grâce au Cipm notamment, qui n’existe pas comme ça ailleurs », analyse-t-elle. 

Le Cipm, un lieu unique   

Le Centre international de poésie de Marseille a été fondé par la Ville en 1990 et se situe dans le Centre de la Vieille Charité. Cette institution au service de la poésie contemporaine dont le point névralgique est sa bibliothèque gratuite et en accès libre, propose une programmation de rencontres, d’ateliers, d’expositions et édite tout au long de l’année. « Nous avons l’un des fonds de poésie les plus importants d’Europe », indique Giula Camin sa bibliothécaire. Elle est la première femme et bibliothécaire de formation à gérer cet endroit, aux côtés de la documentaliste Cassandre Pépin. Pour Giulia Camin, c’est indéniable, le fait qu’un tel lieu soit né à Marseille n’est pas un hasard. « Cela s’explique par la présence vivante d’éditeurs, de poètes et de revues, ici et dans les alentours. Le centre transmet des poésies vues de Marseille, qu’elles soient françaises, européennes ou mondiales », avance-t-elle. « C’est un choix politique de ne pas fonder un tel centre à Paris, cela décentralise une vision de la poésie », ajoute la bibliothécaire. Interrogée sur le manque de visibilité et le caractère souterrain du Cipm, elle voit du mieux depuis l’arrivée de Michaël Batalla à la direction en 2019. Si ce dernier reconnaît que la communication du Cipm n’a pas toujours été efficace, le directeur pointe aussi du doigt la mauvaise foi de la presse qui saurait pertinemment que le lieu existe, mais ne viendrait pas assez. « C’est facile de parler d’entre-soi et d’élitisme si on ne vient pas », ironise-t-il. D’après le directeur du Cipm il y a derrière la critique de l’élitisme un reproche plus global à trouver. « Cela dérange qu’il y ait quelque chose d’ordre professionnel dans la poésie », affirme le directeur. Cette défense d’une poésie professionnelle ne s’oppose pas à l’existence de la spontanéité amatrice, qui constitue un vivier bienvenu pour l’institution littéraire. Ce qui compte, c’est que les différents acteurs de la poésie phocéenne, avec leurs différentes approches, collaborent. Et à voir les partenariats entre la Marelle, la librairie Zoème, le Cipm et d’autres, force est de constater que des passerelles existent déjà. Des projets qui perdureront si la création est au rendez-vous. « On a de la chance d’avoir des bons poètes à Marseille », se réjouit à ce sujet Giulia Camin. 

Qu’est-ce que la poésie pour vous ? 
Roxana Hashemi : « La poésie est peut-être une forme de condensation, d’intensification de quelque chose, une écriture qui fonctionne plus encore que d’autres écritures, par silences, par choses qui ne sont pas explicites »
Michaël Batalla : « La poésie c’est le contraire de la matière première »
Giula Camin : « La poésie se trouve du côté de l’implicite, c’est un acte de résistance au vandalisme langagier »
Luz Volckmann : « En écrire a toujours été synonyme d’échappatoire, de construction de nouvelles manières de sentir »

« Ne pas faire de la poésie bourgeoise » 

Luz Volckmann habite depuis 5 ans à Marseille. L’écrivaine et poétesse a publié deux livres en 2020 et 2021 aux éditions Blast, une maison d’édition toulousaine. Le premier, Les Chants du placard, est plutôt un recueil de nouvelles, tandis que le second Aller la rivière s’apparente plus à de la poésie. Luz Volckmann écrit actuellement un roman qu’elle projette de nommer Les Eternelles, un projet dans lequel la poésie ne sera pas absente, loin de là. La poétesse a pour modèle Jean Genet qui chargeait poétiquement tous ses écrits. « J’ai envie de raconter des histoires, c’est là où je me dirige, mais ma technique pour cela c’est la poésie », explicite-t-elle. La poétesse est trans, féministe, militante et elle entend l’exprimer dans ses écrits, dans un but de visibilisation et de représentation. « Des écrivaines trans francophones publiées, j’en ai seulement quatre en tête… L’accès à la publication pour nous est un challenge politique », observe-t-elle. La politisation de l’artiste est antérieure à la publication de ses œuvres, elle qui a fréquenté les cercles antifascistes avant les cercles de poésie. Elle développe aussi une approche intersectionnelle, où la question de la transidentité et du féminisme est indissociable de la question de classe. « Ce que j’aimerais faire avec Les Eternelles c’est suivre plusieurs personnages trans sur plusieurs années, dans des milieux de grosse précarité, qui galèrent, qui sont confrontés à la violence, la mort. En allant développer ce genre d’histoire, c’est aussi une manière de ne pas faire de la poésie bourgeoise », projette l’écrivaine. Elle qui a déjà collaboré avec la revue Muscle prévoit de nombreuses choses en dehors de son roman, notamment avec le collectif Offense, une compagnie d’art vivant pluridisciplinaire. Il existe une sempiternelle rengaine reprise par les poètes eux-mêmes, de Du Bellay à nos jours, consistant à dire que la poésie serait en danger. Pourtant il suffit de se pencher un peu sur Marseille pour voir que si danger il y a, la poésie résiste bien.

RENAUD GUISSANI 

L’air(e) du saxophone

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« Aria est à la fois le souffle, celui du saxophone, et l’air d’opéra ». Tineke Postma rappelle l’émotion puissante ressentie lors de sa première écoute de Maria Callas à l’âge de dix ans. L’intensité musicale est restée le sel de l’univers musical de la musicienne. « Respirer même et surtout quand nous nous sentons envahis par le négatif, nous permet de nous reconnecter à nous-mêmes et au monde, à l’humanité », poursuit-elle. La musique appartient à tous et, en leader subtil, Tineke Postma offre à ses musiciens, David Doruzka (guitare), Robert Landfermann (contrebasse) et Tristan Renfrow (batterie) des partitions profondes, aériennes, dont les volutes mélodiques laissent la place à de géniales improvisations interprétées en solos ébouriffants ou ensembles inspirés. La musique se fait narrative : s’esquissent une Idyll for Ellemis ou une perspective de douceur avec Leaning into the afternoon. La musicienne précise qui est le personnage de la divinité Hestia, déesse du foyer célébrée par Hymn for Hestia. Les histoires courent sous les notes, s’étoffent du grain des songes, s’évadent en une cascade rêveuse. Les tempi se plient au souffle du récit, modulent les accentuations, soutiennent les attentes, s’emportent dans l’extase d’harmonies retrouvées. La construction subtilement équilibrée des pièces renoue avec un classicisme lyrique, comme dans le sublime The sky is everywhere. Envoûtements délicats, onirisme… la beauté ne fait pas oublier le monde mais nous y convie, évoque la figure de la militante Angela Davis, emprisonnée à tort et qui malgré tout a persisté dans ses luttes et les a ancrées dans la réflexion sur ce que nous voulons pour notre Terre. Les méditations planantes sont emplies de liberté. Temps suspendu…

MARYVONNE COLOMBANI

Tineke Postma s’est produite le 24 février au Moulin à Jazz, Vitrolles.
Aria est paru en mai 2023 chez Edition

Affamons le peuple et préparons-nous au RN

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Le 21 février le gouvernement annulait par décret 10 milliards de dépenses de l’État sur le budget 2024. La raison ? Une croissance inférieure aux prévisions. Effectivement, on constate une croissance 2023 à 0,8% au lieu du prévisionnel de 0,9%. 

Pour retrouver le sacro-saint équilibre, le gouvernement pourrait choisir de rétablir l’ISF qu’Emmanuel Macron a supprimé dès 2018, occasionnant une perte nette de 4,5 milliards d’euros annuels de recettes fiscales. Il pourrait aussi, au-delà de la répression de la fraude fiscale des particuliers, prendre des mesures contre l’évasion fiscale des entreprises et des milliardaires français estimée, au bas mot, à 60 milliards d’euros annuels. Bref, il pourrait en appeler à la solidarité nationale des 10% des Français les plus riches, qui possèdent plus de 50% des richesses, soit 163 fois plus que les 10% les plus pauvres. Et relancer la consommation des pauvres, et donc les recettes de TVA, par une hausse des allocations  chômage, handicap, logement, des bourses des étudiants, des revenus minimaux…

Idéaliste ? Utopiste ? Chimérique ? Ceux qui prônent ce cercle vertueux fondé sur une meilleure répartition des richesses dans un pays immensément riche sont accueillis par un sourire condescendant, un sourire de classe : l’État libéral a renoncé à son rôle régulateur. 

Plus besoin des pauvres

Le capitalisme avait besoin du pauvre pour travailler, le libéralisme pour consommer. Le néolibéralisme d’État prend acte de sa foncière inutilité : ce ne sont pas les pauvres qui redressent le PIB, ils dépensent trop peu et préfèrent manger malsain des produits de première nécessité. Les appauvrir encore n’endettera pas la France, dont l’économie repose sur les industries du luxe. 

Peu importe que ce soit immoral, et contraire aux principes de notre République. Le gouvernement Attal choisit de mettre à bas ce qui permet aux Français de faire société, d’envisager l’avenir. Au lieu de lutter contre une pauvreté croissante, il décide, cyniquement, de faire payer les pauvres. 

Il vous faut lire la liste infâme

Chacun des chiffres du décret est une insulte à l’avenir. 

660 millions en moins pour l’accès au logement et l’amélioration de l’habitat ; 49 millions en moins pour la politique de la ville ; 175 millions en moins pour l’intégration et l’asile ; 307 millionssoustraits à la solidarité et l’égalité des chances, dont 230 millions au handicap et à la dépendance ; 180 millions en moins pour la jeunesse et la vie associative ; 327 millions en moins pour la justice ; 691 millions en moins pour l’enseignement primaire et secondaire ; 904 millionsen moins pour l’enseignement supérieur et la recherche.

Enfin, cerise atomique sur un gâteau indigeste, le gouvernement ponctionne 1,5 milliard à la transition écologique, au climat et à la biodiversité ; et, évidemment, 1,1 milliardà l’emploi.

Envahir les imaginaires

Quant à la culture, qui permet de penser l’avenir et de jouir du présent, c’est elle qui, en pourcentage, paye le plus lourd tribut :204 millions en moins, dont 95 millions pourla création. Les collectivités locales, qui voient aussi leurs subsides baisser, ne pourront en aucun cas compenser ce désengagement massif, qui va mettre en faillite les établissements labellisés de province, qui, parions-le, seront plus impactés que les opéras parisiens.

Mais rassurez-vous, Hermès, Louis Vuitton, L’Oréal, Dior et Chanel se portent mieux que jamais. Au fond, n’est-ce pas eux, la culture française ? Hachette aussi va bien, aux mains de Bolloré comme nombre de médias privés, que la baisse de 20 millions sur l’audiovisuel public ne peut que réjouir.

L’extrême droite sait bien que la maîtrise des médias, des images, des récits nationaux est décisive pour conquérir le pouvoir. Le gouvernement lui offre sur un plateau la désespérance du peuple.1 français sur 6 aujourd’hui ne mange pas à sa faim, 1 sur 5 vit en dessous du seuil de pauvreté. Les conditions sont réunies pour qu’ils rejettent un gouvernement qui les affame obstinément, et vote pour la seule opposition qui s’exprime sur les canaux de grande écoute.

AGNÈS FRESCHEL