jeudi 17 juillet 2025
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Pour SOS Méditerranée, Jacques Weber énonce l’insoutenable

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Dans la cour de la Maison Jean Vilar, Jacques Weber et Emmanuel Noblet se sont donnés la réplique sur le difficile texte d’Éric Fottorino. PHOTO YOAN LOUDET

Évoquant avec rudesse la crise migratoire en Méditerranée, la lecture de « La Pêche du jour » d’Éric Fottorino a bouleversé le public de la Maison Jean Vilar (Avignon).

Il s’agit de sortir de l’habitude, de l’acceptation, de l’oubli. À quoi, fondamentalement, servent les ouvres d’art, sinon à cela ?

Sophie Beau parle de ce texte comme d’un coup de poing. La directrice de SOS Méditerranée connaît la force des mots et des chiffres. Dans le débat précédant la lecture, animé avec engagement par Laure Adler, elle rappelle ce qu’elle doit aux victimes, la pudeur qui l’amène à ne pas employer certains mots, comme « cadavres », à ne pas diffuser leurs photos. Mais l’attente qu’elle a que d’autres le fassent pour provoquer un réveil de nos consciences.

Mentir par les chiffres

Elle explique aussi la bataille des chiffres, qui joue un autre effacement. Indignée que le naufrage au large de la Grèce le 14 juin recense 82 morts, quand on sait qu’il y avait 750 personnes à bord, et que le mot « disparu » en mer est une litote morbide. Indignée que les comptes des morts s’arrêtent à un recensement de ceux que l’on connaît, sans estimation réelle du nombre de morts anonymes. Indignée que malgré cette sous-estimation massive, plus de 2 000 morts soient officiellement dénombrés depuis janvier, sans que personne s’en émeuve assez pour agir. Plus de 27 000 morts, officiels, depuis 2015. Combien en tout ?

Chiffre encore : SOS Méditerranée a sauvé 37 583 vies à ce jour. 37 583 fois, les marins ont tendu la main à un être humain qui allait mourir, et l’ont sauvé. Malgré les difficultés constantes, les restrictions de capacité d’accueil à bord des naufragés, les blocages au port, les difficultés d’obtenir les autorisations d’aborder, les jours passés en mer à attendre… qui ont fait nettement diminuer le nombre de vies sauvées par an depuis 2019. C’est à dire, mécaniquement, augmenter le nombre de morts.

Plus d’euphémismes

Juste avant la lecture, Éric Fottorino avertit : le texte est dur, insoutenable. Il avait peur, lors des premières représentations, que le public quitte la salle. Mais comme à Paris le public d’Avignon, médusé, est resté. N’a pu qu’applaudir à peine, tant le geste rituel semblait déplacé, des acteurs qui ne sont pas venus saluer. Tous les visages étaient graves, bouleversés.

Il faut dire que la performance de Jacques Weber, auquel Emmanuel Noblet donne très finement la réplique, est exceptionnelle. Monstrueuse, fantastique, et pourtant terriblement humaine.

Il incarne un pêcheur grec qui vend les corps des noyés comme une viande à consommer. Qui les choisit, les classe, les apprête, comme des espèces de poissons. Les éventre et les vide. Les noie aussi, puisque les noyés récents ont la chair plus fine que ceux qu’il repêche le ventre enflé, déjà mangés par les poissons.

Nous sommes des monstres

Ce déplacement vers l’anthropophagie, qui est le tabou absolu de l’humanité, réactive brutalement l’horreur. Loin de l’atténuer en la rendant irréaliste, l’analogie avec l’attitude actuelle de l’Europe se révèle : nos pays qui laissent mourir en fermant les yeux, en criminalisant ceux qui secourent, en calomniant les ONG, en finançant Frontex au mépris des lois internationales, se comportent, métaphoriquement, en mangeurs de chair humaine. Il est faux de dire que l’Europe ne fait rien, elle tue. Massivement.

Jacques Weber égrène les faits. Comment la Grèce parque les naufragés derrière des barbelés, les renvoie vers la mort alors qu’ils sont au bout du voyage. Comment lui, moins hypocrite, les tue, les vend, pour que les touristes ne voient pas les cadavres échoués sur les plages, dans les eaux hellènes si translucides. Un geste du bras qui s’élève, une brisure dans la voix, une colère sourde retenue juste au bord de l’éclat, et le monstre se transforme en humain révolté.

La passivité des européens est renvoyée à la monstruosité des témoins des massacres (quand parle-t-on de génocide ?). Celle des complices qui se taisent, mais ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas.

Agnès Freschel

« La Pêche du jour », d’Éric Fottorino, a été lu par Jacques Weber et Emmanuel Noblet à la Maison Jean Vilar, Avignon, dans le cadre de la journée « Les artistes s’engagent pour SOS Méditerranée ».

« Le prix d’un Goncourt » : récit d’une fringale

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Philippe Chuyen en bonne position pour retrouver de l’inspiration. PHOTO YANN LE FLOCH

Étrange projet que celui de Philippe Chuyen (Cie Arscénicum) de construire un spectacle autour de l’expérience de Jean Carrière, qui, après avoir reçu le prix Goncourt pour L’épervier de Maheut en 1972, s’est retrouvé en panne sèche d’écriture. Une série de soucis et de mésaventures l’avaient alors plongé dans un état maladif et dépressif jusqu’à ce qu’il remonte la pente et retrouve le chemin et les mots de l’écriture qui l’ont conduit à la parution de son livre Le prix d’un Goncourt, après 15 ans de galère.

Se remettre en selle

Philippe Chuyen a choisi la métaphore du vélo pour illustrer cette remontée. Aussi la scénographie a-t-elle mis en place une bicyclette sur lequel pédale le comédien qui a fait l’adaptation pour la scène de cette douloureuse expérience. C’est qu’au fil des années une belle amitié l’a lié au fils de l’auteur et il a voulu rendre hommage au travail et au courage de l’écrivain en réalisant une adaptation pour la scène. Cependant, si ce travail mérite le respect, on le regarde et l’écoute avec la distance qu’on pourrait accorder à des images sépia. On est séduit par l’évocation des terres arides de la campagne nîmoise, leurs parfums et leur solitude. Car ce prix a permis à Carrière d’acquérir un terrain au mont Aigoual, d’y bâtir une maison. Mais la mort de son père, la maladie de sa femme l’ont terrassé. Son livre est le récit de sa lutte, de ses angoisses pour enfin retrouver le plaisir des mots. Sur scène, Raphaël Lemonnier joue avec délicatesse sur un piano numérique. Derrière un voile en fond de scène, Thierry Paul intervient dans de courts dialogues, donnant au personnages des conseils et des encouragements. Ce spectacle est un hommage amical à un auteur qui avait en son temps côtoyé Giono.

Chris Bourgue

« Le prix d’un Goncourt » se joue à Présence Pasteur (Avignon) jusqu’au 28 juillet.

« Antigone in the Amazon » : un théâtre en lutte

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« Baal » de Florence Bernad est porté par des performeurs amateurs comme professionnels. PHOTO MARC GINOT

Comment la tragédie grecque d’Antigone, écrite vers 441 avant J.-C., pourrait-elle raconter le combat contemporain du Mouvement des sans-terre (MST) – qui militent pour une meilleure répartition des terres agricoles – dans le nord du Brésil ? Milo Rau réussit à créer un parallèle éloquent à travers une pièce touchante et hautement politique.

Les dialogues de Sophocle se mélangent avec les revendications des militants de l’État brésilien du Pará. Kay Sara, figure internationale de la lutte du MST, est présente à l’écran. C’est elle Antigone, qui crie la mort de son frère tué par la police lors du massacre de 1996 avec dix-huit autres paysans. Il faut dire qu’ils sont nombreux les Périclès brésiliens à mourir pour leurs combats dans l’impunité générale.

Scène et images

Milo Rau utilise trois écrans que se plient et se déplient au fur et à mesure des scènes. Une disposition qui permet un dialogue entre les comédiens sur scène et les activistes brésiliens filmés. Brésiliens et Flamands jouent ensemble par écran interposé. La pertinence de la vidéo est moins évidente lorsque les interprètes rejouent exactement la même séquence que l’on voit en vidéo, finalement plus forte à l’écran que sur scène.

Les parties filmées sont parfois teintées d’un occidentalo-centrisme gênant. Les comédiens débarquent par exemple en Amazonie pour rejouer en flamand la scène de Créon et Hémon dans la tribu amazonienne de Kay Sara, au milieu d’un public qui ne comprend pas ce que disent ces comédiens venus d’Europe interpréter une tragédie grecque.

Au-delà, chaque personnage de la pièce de Sophocle trouve son écho dans ce nouvel environnement. La mythologie et la réalité se fondent. Tirésias, interprété par un philosophe local, donne une prédiction du changement climatique et des signes de la souffrance de la terre. Le suicide d’Antigone résonne avec les suicides des jeunes indigènes brésiliens qui ne trouvent pas leur place dans ce monde moderne.

La scène la plus forte de la pièce, la reconstitution du massacre de 1996 à sa date anniversaire, coupe le souffle. La troupe a réuni sur les lieux comédiens et activistes du MST, dont des témoins des événements. Ce n’est plus seulement du théâtre, mais une vraie lutte collective à laquelle assiste le spectateur.

Rafael Benabdelmoumene

« Antigone in the Amazon » se joue à l’Autre Scène (Vedène) jusqu’au 24 juillet.

Destination alternative

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Eesah Yasuke © David Tabary

Au sud-ouest des Cévennes, le village de Sumène est un havre de calme et de nature en plein cœur des montagnes. Du calme, vraiment ? Presque. Les 22 et 23 juillet, les lieux accueillent un événement apprécié des amateurs de musique et de découverte artistique : Les Transes Cévenoles. La manifestation se revendique fièrement « festival éclectique et indépendant ». Et ça lui va bien. Elle est portée à bout de bras par les Elvis Platinés, une association créée en 1994 par des fondus de rock alternatif français. Les Transes Cévenoles a rapidement été identifié comme un festival à taille humaine, collectif (180 bénévoles) et résistant à la standardisation des programmations. Cette année encore, pour sa 26e édition, ses maîtres mots sont la curiosité, la simplicité et le partage. Pendant deux jours, c’est avant tout une fête familiale ouverte à tous les publics qui investit Sumène, ses rues, ses jardins, une cour d’école, le Temple… En journée, le programme est chargé : concerts, projections, théâtre de rue, performances circassiennes, balades contées, spectacles de danse… Mais aussi un atelier fresque du climat et des débats sur les enjeux de demain. Tout y est gratuit, à part le concert de « chanson poétique » de Lula Heldt au Temple (le 23 à 14h30). 

Un pont entre deux cultures

Chacun des deux soirs, à partir de 21 h, direction la guinguette du parc Lucie Aubrac pour des concerts (payants). La diversité musicale y est reine, le cocktail sonore de rigueur, du rap à la cumbia, de l’électro à la pop… Pas question d’avoir froid aux oreilles ! Samedi 22, on y goûte le rap brut et éclectique signé Eesah Yasuke, les beats caribéens et énergie urbaine sensuelle avec Dowdelin, avant de danser sur l’électro métissée de hip-hop, de cinéma et d’univers manga du talentueux duo Tha Trickaz. Dimanche 23, la soirée commence avec la Toulousaine Suzanne Belaubre, une chanson française qui se veut « pop expérimentale » et flirte en douceur avec l’électro. L’artiste est lauréate du dispositif de repérage des Transes Cévenoles, la preuve par l’exemple qu’un festival peut s’engager sur le long-cours et se faire soutien à la création. Autre univers pop à écouter le dernier soir, celui de MPL : un groupe de cinq garçons venus de Grenoble qui s’interroge sur le monde avec tendresse tout en s’interrogeant sur l’avenir. Le festival s’achève à regret sur les tonalités world des sétois de Saf Feh. Un pont entre deux cultures, la France et le Maghreb, et un voyage soul électrisant aux airs d’ailleurs. Tout un symbole. Avec un tel programme, on en oublierait presque de vous conseiller d’aller explorer la création inédite de la compagnie Braquage sonore, laquelle a réalisé un projet sonore autour des sons des Cévennes, source inépuisable de création.  

ALICE ROLLAND

Les Transes Cévenoles
Du 22 au 23 juillet 
Divers lieux, Sumène 
lestranses.org

Du courage plus que jamais

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Maison Jean Vilar © AJV - Margot Laurens

Courage, courage, courage, proclame le visuel du programme estival de la Maison Jean Vilar. L’image est signée Annette Lenz, choisie parmi les vingt designers européens, par le Théâtre National Populaire de Villeurbanne, en vue d’un hommage à Jacno, graphiste, à l’origine des affiches du TNP et des premiers Festivals d’Avignon. Outre les affiches de Oh Jacno dans le hall de la Maison, à l’étage, L’œil présent, parcours sensible à travers les vues de Christophe Raynaud de Lage, photographe officiel du Festival d’Avignon depuis 2005, est étendu et renouvelé, montrant les évolutions et la variété des choix scénographiques, et le pouvoir des acteurs.

Inauguré en 2021, Côté Jardin, souvenirs des coulisses des premiers festivals, balise encore les allées du Rocher des Doms, offrant à l’ombre des bosquet, ou sous le vent, les images d’une troupe jeune qui aime l’été. La salle voûtée accueille une sélection des archives de Catherine Sellers (1926-2014) et son mari Pierre Tabard (1927-2003), acteurs qui passèrent, eux aussi, par le TNP et la Cour d’honneur.

Festival côté livre : la Librairie du Festival réintègre le rez-de-chaussée, de même que ses animations dédiées : Partage de Midi, dialogues avec un auteur au quotidien, se poursuit jusqu’au 19 juillet. Notable innovation, la directrice Nathalie Cabrera a installé non pas un mais trois spectacles dans ses murs. KiLLT (KI-LIRA-LE-TEXTE), production des Tréteaux de France, a été présenté jusqu’au 14 juillet. Au jardin de Mons, dans lequel Gwenaël Morin, à l’initiative du Festival d’Avignon, signe un bail de quatre ans et présente cet été, son Songe d’une nuit d’été d’après William Shakespeare, jusqu’au 24 juillet.

Des lectures, du théâtre et de l’engagement

Coté Jardin 18 © Association Jean Vilar – Margot Laurens

Mitoyenne à l’écrin de verdure, la salle de La Mouette, est le théâtre d’une transmission. Créé en 2015 par Dominique Houdart, le Bazar Vilar restitue l’odyssée vilarienne, de la mercerie sétoise aux utopies avignonnaises. Julien Perrier s’approprie les bobines, l’escabeau, la machine et le dé à coudre, détournés par le créateur, véritable référence du théâtre d’objet. Ce nouveau Bazar est présenté jusqu’au 16 juillet.

Mais l’évènement d’été demeure Feuilletons Vilar ! Nathalie Cabrera puise dans Jean Vilar, une biographie épistolaire, publiée aux édition Actes Sud, en collaboration avec l’Association Jean Vilar, la matière d’une Grande Lecture. Le découpage en douze épisodes est confié à deux acteurs différents chaque jour, au service des échanges entre le créateur du Festival et diverses personnalités dont André Malraux, Maria Casares, Sylvia Monfort, Gérard Philipe. Jusqu’au 20 juillet à 11 h.

Des rencontres autour des artistes en situation de handicap (le 15), du matrimoine théâtral (le 16), de la diversité et la parité (le 18), de l’engagement des artistes pour SOS Méditerranée, (le 19), un hommage à Lucien Attoun, fondateur avec son épouse Micheline du Gueuloir Théâtre Ouvert (le 21), complètent l’opulent parcours d’été, aux quatre coins de la Maison Jean Vilar, plus que jamais vouée à questionner le présent à l’aune du passé.

MICHEL FLANDRIN

Maison Jean Vilar 
Programmation spéciale 
jusqu’au 25 juillet
Avignon
maisonjeanvilar.org

Avant Le Soir: À Marseille, du jazz en plein air.

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Au square Labadié à Marseille, le Trio Bloom était attendu par une centaine de personnes. PHOTO B.L.

Une heure, c’est ce qui aura suffi pour enchanter les spectateurs venus apprécier cette représentation. Un public venu en nombre, de tous âges, marqueur d’une belle réussite pour cette nouvelle péripétie d’Avant le soir, le rendez-vous estival itinérant de la mairie des 1/7 et de Didascalie & co. Au square Labadié à Marseille, une centaine de personnes se sont réunies dans une ambiance détendue à l’ombre des platanes et sur des tapis posés çà et là pour le jeune public. Au programme du jazz, oui, mais pas seulement. D’autres styles de musique étaient aussi mis en avant, avec des sonorités plus orientales, rendues possibles grâce au saxophone alto de Fred Pichot, comme dans cette interprétation remarquée d’une comptine africaine.

Chacun des trois musiciens ont eu l’occasion de briller pendant cette heure consacrée à la musique, que cela soit à travers des solos de la batteuse Blanche Lafuente, avec des rythmes débordants d’inspirations soul, ou de la claviériste Kalliroi Raouzeau, qui transportait la foule à chacune de ses mélodies, sans oublier lors de la déambulation au sein du public du saxophoniste.

Un public ravi

Les spectateurs se sont pressés dès l’ouverture du portail. « J’étais très craintive de ne pas pouvoir rentrer aujourd’hui » explique Pascale, 67 ans, au fond de la file d’attente. « J’étais déjà venue l’année dernière et j’avais beaucoup aimé ! Ça fait quand même plaisir de voir plus de public que l’année passée, c’est un événement qui mérite encore plus d’attention » conclue-t-elle.

Avant Le Soir continue jusqu’au 9 septembre de proposer des spectacles de théâtre, danse et musique. Le Trio Bloom va se produire une nouvelle fois le 27 juillet au square Albrecht (7e arrondissement) avant de revenir le 31 août au square Labadié.

Baptiste Ledon

« Avant le soir » se tient jusqu’au 9 septembre, dans divers lieux de Marseille.

Avignon Off: Indéboulonnable Holmes.

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Frédéric Honnis et Christophe Gorlier, deux associés pas toujours d’accord. PHOTO J-L.C.

Fidèle au Festival d’Avignon depuis des années, Christophe Gorlier a déjà livré deux adaptations de romans d’Arthur Conan Doyle. Cette année, il nous gratifie d’un troisième volet fermant ainsi une trilogie que jeune public et parents applaudissent sans réserve. Tout au long de la représentation de Sherlock Holmes, Archives secrètes, il faut voir le visage des enfants et des adolescents happés par l’intrigue policière que Christophe Gorlier et Frédéric Onnis débrouillent devant eux. Pas un bruit mais des souffles suspendus, des oreilles attentives aux moindres détails pour ne pas se faire avoir, pour être à la hauteur des déductions de ce très british fashion man. Il leur faudra attendre les dernières minutes pour apaiser leur curiosité, et dénouer une enquête fondue dans une empreinte ensanglantée…

Garder les codes

Christophe Gorlier respecte tous les codes du genre et alterne narration, retours en arrière et surtout scènes de pure comédie où les deux comédiens s’en donnent à cœur joie pour camper une galerie de personnages pittoresques, caricaturés par d’énormes moustaches, des perruques extravagantes et des chapeaux improbables. Soutenue par des effets sonores ironiques, installée dans un confortable décor cosy et vieillot, la représentation déroule une histoire captivante comme Conan Doyle savait si bien en tricoter et comme Christophe Gorlier a su si bien en conserver toute la saveur acide avec un vrai respect pour l’œuvre originale extraite des Archives secrètes. Une série de nouvelles publiées en 1927, trois ans avant la disparition de leur géniteur.

Jean-Louis Châles

Sherlock Holmes, Archives secrètes se tient jusqu’au 29 juillet au théâtre de L’Arrache-Cœur.

Jazz des 5 Continents: Ballaké Sissoko : sacrée kora à Saint-Victor.

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Ballaké Sissoko et sa kora ont rempli l’abbaye Saint-Victor. PHOTO CLARA LAFUENTE

Ballaké Sissoko joue de la kora depuis quarante ans (il a intégré en 1981, à l’âge de 13 ans, l’Ensemble Instrumental du Mali à la suite de son célèbre père Djelimady Sissoko), vit entre la France et le Mali, et aime les collaborations artistiques. En 2021, sur son album Djourou, il proposait toute une série de duos avec Salif Keita, Arthur Teboul (de Feu! Chatterton), Camille, Oxmo Puccino, Vincent Segal… En marge des sessions d’enregistrement de ces duos, il gravait en solo, dans l’intimité de la chapelle Sainte-Apolline, en Belgique, une suite de huit pièces instrumentales. Regroupées sur l’album A Touma, qui veut dire en bambara « c’est le moment », ce sont ces compositions qu’il est venu jouer à Marseille.

Phrases musicales baladeuses

C’est évidemment plus un concert « musique du monde » que « jazz », mais peu importe : l’abbaye est pleine comme un œuf pour écouter la kora de Sissoko dans cette architecture romane, dont la réverbération met en valeur la sonorité de l’instrument (amplifié). Il s’assoit et commence à égrener ses notes, à l’écoute de ce qu’il joue, chantonnant discrètement de temps en temps. Une musique douce, lumineuse, arpégée, aux légers glissements rythmiques constellés d’accélérations subites et brèves, très peu d’accords ou de boucles mélodiques. Des narrations abstraites, faites de longues phrases musicales baladeuses, semblant par moment improvisées. Entre ses différents morceaux, le musicien prendra la parole pour indiquer son souci de la transmission de la culture mandingue aux plus jeunes. Pour signaler un hommage au village où son père est né, ou aux mamans, et en particulier à la sienne, qui s’occupait du choix de la taille de la calebasse, des peaux et des bois pour les koras que son mari se fabriquait lui-même, instruments qu’il « fait tout pour conserver » aujourd’hui. Le concert se finira par une surprise : un de ses copains d’enfance à Bamako est là, lui aussi joueur de kora et chanteur, qui vit entre Marseille et les États-Unis : Prince Diabaté. Il viendra s’assoir à côté de Sissoko pour deux morceaux aux tempos rapides avec couplets et refrains. Le public en redemandera. Et Ballaké Sissoko reviendra, pour préciser qu’au Mali, le concert se prolongerait sûrement jusqu’à l’aube, mais qu’en occident, « on n’a pas le droit, il y a le timing ».

Marc Voiry

Marseille Jazz des cinq continents se poursuit jusqu’au 27 juillet.

Avignon Off: « Ma vie en aparté » : du théâtre trois étoiles.

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Les comédiennes Clara Symchowicz (à gauche) et Bérengère Dautun dans « Ma vie en aparté ». PHOTO JOANA CARVALHO

Elle a derrière elle une carrière éblouissante qu’elle continue d’assurer malgré son grand âge. Le théâtre l’a toujours tenue debout, mais à quel prix ! Elle s’appelle Edwige. Face à elle une jeune femme de 25 ans travaille sur une longue tirade de Phèdre ; elle s’investit, dégorge ses émotions, en vain… Un silence avant la tempête. Edwige grimpe à l’assaut des alexandrins de Racine, les dépèce, les magnifie. Le texte prend alors une consistance que la jeune comédienne ne pouvait pas soupçonner, prétextant que cette marâtre est trop éloignée d’elle, que ses passions ne la concernent pas… Edwige lui dévoile des secrets, sculpte la chair de ce texte magnifique qui élève l’individu, comme le font tous les grands classiques.

Conflit de générations

Gil Galliot, l’auteur, cumule les fonctions de metteur en scène, de comédien, de professeur. Il a confié à Bérengère Dautun un rôle-miroir où s’entrelacent des éléments de sa propre vie avec des événements qui pourraient toucher n’importe quelle comédienne. Il frappe fort avec Madame Dautun. Elle a marqué de son empreinte tant de rôles du grand répertoire à la Comédie-Française et ailleurs. Elle est ici impériale, voix grave oscillant entre éclats rageurs et émotions chuchotées face à Clara Symchowicz tout en blondeur, en doutes, en espoirs… L’apprentie comédienne se nourrit des conseils de son aînée, se rebiffe parfois, capitule souvent. Il rôde dans Ma vie en aparté un mystère, une blessure qu’Edwige verrouille jalousement avant de donner sa clé à la jeune femme. Devoir de transmission ou soulagement de confier une plaie encore béante ? Quel contentement de mettre enfin des mots sur les conflits de générations qui, au théâtre comme ailleurs, se résolvent par un riche dialogue. Un texte si foisonnant qu’on ne demande qu’à le réentendre, des comédiennes équilibristes sur le fil des mots, cela suffit largement à parler d’un théâtre trois étoiles.

Jean-Louis Châles

« Ma vie en aparté » est donné jusqu’au 29 juillet au théâtre des Trois-Soleils.

Avignon Off: Rides et bourrelets, et alors ?

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Seule sur scène, Maria Ducceschi se rit du monde. PHOTO DR

On aime Maria Ducceschi pour son franc-parler, sa sensibilité à fleur de corps qu’elle essaie vainement de planquer derrière son sourire ravageur, ses regards ironiques sur ses contemporains, sur elle-même et sur l’absence d’humanité qui dégringole, semble-t-il,  d’année en année. Un jour, on réalise qu’on devient vieux par un incident inattendu… Maria l’a appris en traversant un passage piéton où un camionneur apostrophe cette « pauvre vieille dame » ! Le Rubicon est franchi ! Et Maria commet une erreur fatidique : elle écoute les conseils des autres, et surtout de sa meilleure amie ; chacun a la solution miracle pour « réparer des ans l’irréparable outrage. » Elle apprendra à ses dépens et pour notre plus grand amusement un peu pervers, qu’il faut s’accepter tel qu’on est.

Du rire

Dans ce seul en scène, Le drame c’est pas le maillot, c’est la claquette, Maria Ducceschi confirme ses talents d’écrivain et laisse la bride sur le cou à ses dons de comédienne. Ravageuse, elle ne biaise devant aucune situation scabreuse mais n’y imprime aucune vulgarité. On rit beaucoup face aux malheurs de Maria. Dans le public on s’esclaffe devant des situations que toutes les têtes chenues ont traversées. Les plus jeunes accepteront peut-être mieux les angoisses de leurs aînés. Ducceschi, par le rire et la moquerie dézingue la course au jeunisme et aux apparences qui empoisonnent tant de séniors. Sa générosité détruit tous les obstacles construits par la méchanceté, les sarcasmes de ceux qui n’ont pas compris que l’essentiel est de vivre le mieux possible. Belle invitation au bonheur.

Jean-Louis Châles

« Le drame c’est pas le maillot, c’est la claquette » est joué jusqu’au 29 juillet au Théâtre de l’Albatros.