mardi 22 avril 2025
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Un Grand Mal incandescent

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Il est des disques qui ne peuvent laisser personne indifférent. Boule à facettes du Grand Mal – soit Julia Lopez au chant et Lebannen à la production – en est un. Sur une musique inféodée à aucune chapelle musicale, ce collectif fait partie de cette nouvelle génération d’artistes qui a découvert la musique sur internet, et avec lui son universalité en accès libre. Ici, la pop, le rap, l’électro sont amalgamés dans une fusion vivifiante, aux contours floues, souvent saturés de vocoder, pour un rendu tout aussi perturbant que saisissant. Une démarche qui se veut aussi salvatrice, puisqu’elle émane d’une artiste touchée par deux troubles psychiques, celui de l’aphantasie, soit l’incapacité à se représenter une image mentale, et de déréalisation (pertes de contact avec la réalité). 

Saisir au vol
Le disque s’ouvre avec Mise en abîme. Un titre aux paroles parsemées de points d’interrogation, une entrée en matière qui sous-tend avec malice le mal-être assumé de l’auteure. « C’est pour cela que j’ai commencé la musique, j’avais des choses à dire. C’est ce qui me pousse, j’essaye d’exprimer comment je tire du positif de ce qui m’arrive », explique Julia Lopez. Une aphantasie qui a des conséquences directes sur son processus de création. « Dans ma tête, je n’ai pas d’images, mais des pensées qui arrivent de façon absurde, j’essaie de les saisir au vol et de les retranscrire », poursuit-elle. 

Un travail d’écriture fascinant qui trouve un écrin sur-mesure sculpté par Lebannen, artiste normand qui compose toutes les instrumentales de l’album. Sa musique s’emballe dans une frénésie électro (J’rigole à l’envers), reprend son souffle sur Malade Imaginaire, et nous offre des envolées harmoniques particulièrement réjouissantes – l’introduction de Nature Morte est aussi simple que magistrale. On passe aussi par une pop-soul toujours bien sentie, comme sur le dernier titre de l’album Éclairée par un appareil, un grand écart – échauffez-vous – entre Amy Winehouse et Olivia Ruiz. Et même si le chant de Julia se fait parfois hésitant, notamment rythmiquement, il ne fait que renforcer l’impression d’étrangeté charismatique qu’en procure l’écoute. 

L’ensemble respire la fraîcheur d’une nouvelle scène qui semble poindre en France. Celle d’artistes débarrassé·es de toute entrave dans leur processus de création, on pense à Éloi ou LacopinedeFlipper. Une jeunesse qui croque son monde avec une énergie et une culture musicale transversale qui lui est propre, aidée par des logiciels qu’elle maîtrise avec brio. De quoi se féliciter du bon usage des nouvelles technologies.

NICOLAS SANTUCCI 

Boule à facettes, Le Grand Mal
Autoproduction

« Comme une actrice », la femme et le sortilège

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Comme une actrice © Épicentre films

En préambule, une loge et son miroir enceint de lumières. Anna (Julie Gayet) est maquillée, perruquée, pour incarner son personnage. Puis la voilà sur le plateau de tournage, elle est une femme qu’on quitte, son émotion jouée, saisie en gros plan. D’emblée les fils conducteurs du scénario, coécrit par le réalisateur du film, Sébastien Bailly, et Zoé Galeron, sont donnés : la rupture amoureuse, la mise en abyme, et le double je, entre fiction et réalité, entre « action » et « coupez ».

Comme une actrice, premier long métrage de Sébastien Bailly se centre sur Anna, une actrice à succès, belle quinquagénaire, à l’heure des remises en question. Son compagnon, Antoine (Benjamin Biolay), metteur en scène, a demandé une séparation. Leur fille quitte le foyer pour s’installer avec son copain. Une page se tourne. Antoine a entrepris la création de La Vie est un Songe. Un projet ancien sur lequel Anna et lui ont travaillé autrefois, qu’il monte sans elle, choisissant dans le rôle de Rosaure une comédienne plus jeune.  

« Trois gouttes, pas plus »
Anna aime toujours Antoine. Elle cherche un remède à ses angoisses grandissantes, et va, comme l’Alice de Woody Allen, dans un quartier chinois où madame Peng, guérisseuse revêche, lui prescrit en mandarin une potion mystérieuse. « Trois gouttes, pas plus », lui intime-t-elle. Bien sûr, Anna désobéit et découvre le pouvoir magique du précieux liquide qui la métamorphose en autant de femmes qu’elle veut. Non plus par le travestissement théâtral mais par une mutation totale. Devenir une autre, plus jeune, plus désirable : une tentation irrésistible et addictive qui la conduit à se substituer à la femme dont Antoine est tombé amoureux (Agathe Bonitzer). Elle devient ainsi la maîtresse de son conjoint sans qu’il s’en doute, retrouvant la force des passions naissantes. Une vengeance de femme sans doute mais aussi une ivresse de mener le jeu. 

Comme une actrice est un drôle de film qui ne manque pas de charme : une hybridation entre la comédie romantique – l’Italie et la poétique des ruines en prime, et le conte fantastique. On reconnaît les motifs du genre. On songe à Faust, au Portrait de Dorian Gray et même à La Peau de chagrin. Comme dans ces récits, le pouvoir maléfique provoque une perdition et exige une sanction. À se glisser trop souvent dans la peau des autres, on risque de perdre la sienne et à jouer avec le feu, on se brûle immanquablement. Bailly n’hésite pas à prendre au pied de la lettre ces antiennes. Le sortilège se fait piège mais le réalisateur aime trop ses personnages pour ne pas les sauver.

ÉLISE PADOVANI 

Comme une actrice, de Sébastien Bailly
En salle depuis le 8 mars

« Toi non plus tu n’as rien vu », sans doute possible 

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Toi non plus tu n’as rien vu © Sensito Films

La brève ouverture de Toi non plus tu n’as rien vu donne à voir deux corps de femmes plein de vitalité : celui de Claire, incarnée par une Maud Wyler encore lumineuse, et celui de Sophie, la douce et rieuse Géraldine Nakache. Vêtues de maillots colorés, baignant dans l’eau d’une piscine et surtout dans les bruits d’enfants environnants, les deux amies n’échangent que quelques mots – elles n’ont, on le devine, jamais eu besoin de plus. On est alors loin de s’imaginer ce qui est sur le point de se jouer : soit l’incarcération de Claire pour plusieurs mois, le temps du procès qui l’accuse de tentative d’homicide sur enfant de moins de quinze ans. 

Déni
Le récit de l’emprisonnement, de l’enquête, puis de la procédure judiciaire, recolleront peu à peu les morceaux. Le « tu » invoqué par le titre semble se référer autant à Sophie, amie généreuse, ou encore au mari de Claire, incarné avec douceur et acuité par le toujours impeccable Grégoire Colin. Mais il se réfère également à ce spectateur qui, en scrutant ces corps encore sveltes, n’y a pas décelé la tragédie à l’œuvre. Personne n’a alors voulu voir, entendre, concevoir que Claire était enceinte. Ce qui n’empêche pas chaque personnage de douter de sa propre perception, mais aussi de l’honnêteté de Claire. N’avait-elle rien vu, rien senti, de ce qui lui arrivait, elle qui avait déjà donné la vie à deux enfants ? N’a-t-elle pas compris, cette nuit-là, qu’elle était en train d’accoucher ? N’a-t-elle pas eu pitié de cet enfant qu’elle a refusé de reconnaître comme tel, et qu’elle a manqué de tuer, par mégarde ?

Discernement
Le spectateur n’est ici pas placé en position de juré ou de juge : c’est bien dans les pas de Sophie qu’il s’inscrit. Convaincue non pas de l’innocence, mais de l’humanité de son amie, celle-ci revêt sa robe d’avocate pour prendre sa défense tout au long d’une procédure que Béatrice Pollet filme avec nuance et générosité. L’incarcération de cette jeune mère encore fragile psychologiquement interroge, de même que l’acharnement d’une procureure encore juvénile – Ophélia Kolb, habituée des rôles d’enquiquineuse. Mais le positionnement du juge – émouvant Pascal Demolon – se révèle rapidement moins figé qu’attendu. La longue maturation de ce film, qui aura nécessité une décennie de recherches et d’écriture sur le sujet, lui apporte une véritable ampleur, ainsi qu’une justesse dans l’évolution des regards qui entourent et accompagnent Claire. Mention spéciale à Fatima Adoun, qui se sort avec les honneurs du rôle un brin balisé de la codétenue idéale.

SUZANNE CANESSA

Toi non plus tu n’as rien vu, de Béatrice Pollet
En salle depuis le 8 mars

« Toutcourt »: un grand écran pour les petits

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Image tirée du film “Sekool” de Stenzin Tankong. Il était projeté le 16 mars au Petit Théâtre de La Criée

Ce festival marseillais annuel offre une occasion unique de découvrir des œuvres cinématographiques créatives et stimulantes dans un format court. Du 13 au 18 mars, à La Criée, les films présentés cette année sont issus de festivals renommés tels que celui du court métrage de Clermont-Ferrand. Des fictions, des documentaires et des films d’animation pour tous les âges, avec des séances spécialement dédiées aux enfants, destinés à un public que l’on espère divers et enthousiaste.

Le festival est présenté par Sébastien Duclocher et Laurence Ripoll, deux experts du format court. La clôture le samedi 18 mars à 20h30 est marquée par une carte blanche aux étudiants du département Sciences arts et techniques de l’image et du son d’Aix-Marseille Université. Pour les familles, une séance spéciale pour les enfants de 3 ans et plus a lieu le mercredi 15 à 10 heures, sans oublier la programmation dédiée aux scolaires. Pour les adultes, les séances se déroulent les mercredi 15, jeudi 16 et vendredi 17 mars, à 19 h et 21 h, avec cinq programmes différents présentant les films primés.

Du monde entier
Parmi les œuvres, on retrouve de très courts métrages de moins de dix minutes, comme O28, chronique d’un crash de tramway à Lisbonne, la production néerlandaise Paniek ou le conte animé Marie Boudin de Margot Barbé. Kids de Michael Frei, interrogation sur l’égalité, est repris dans les programmes du 15 et du 16 mars.

Le festival voyage au Nigéria avec Olive Nwosu pour Troublemaker, en Corée du Sud avec Mascot, film d’animation dont le protagoniste est un renard, dans l’Himalaya indien pour les aventures scolaires du héros de Sekool de Stenzin Tankong, ou pour le plus dramatique I väntan på döden de la Suédoise Isabelle Björklund, autour de la mort d’un père. Le festival montre de nombreuses autres œuvres du monde entier, de l’Estonie au Ghana, du Japon à l’Afrique du Sud. Le changement climatique est illustré par le très juste documentaire expérimental américain California on fire de Jeff Frost.

La production française n’est pas en reste avec plusieurs bijoux, comme Teen Horses de Valérie Leroy, chronique de l’arrivée d’un adolescent dans un nouvel établissement, ou encore Raout Pacha d’Aurélie Reinhorn qui choisit des travaux d’intérêt général comme toile de fond. Autant de belles opportunités de découvrir ce pan souvent méconnu du cinéma.

PAUL CANESSA

Toutcourt
Du 13 au 18 mars La Criée, théâtre national de Marseille
theatre-lacriee.com

Quand Proust rencontre les Monty Python

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Scandale et décadence @ Charles Chauvet

Dès le titre, et même si l’on n’a pas lu la feuille de salle, on sent l’imposture. Le doublet des noms Scandale et décadence convoque « grandeur et décadence », cette expression issue d’une partie du titre complet du roman de Balzac, César Birotteau, fertile dans les imaginaires (elle sera reprise par Buster Keaton, Raymond Bernard, Evelyn Waugh, Gibbon, Kurt Weill…). Cependant il s’agit de Marcel Proust, non pas une reprise scrupuleuse de La Recherche, mais l’utilisation du procédé de l’analepse, ce fameux « retour en arrière » qui éclot alors que l’auteur mange une madeleine trempée dans une tasse de thé. Les souvenirs personnels rendent comptent aussi des mœurs d’une classe révolue dont les derniers moments affleurent au seuil d’une époque nouvelle (thématique analysée dans la thèse de Marjolaine Morin parue aux éditions Orion, Grandeur et décadence de l’aristocratie chez Marcel Proust). 

Anaïs Muller et Bertrand Poncet, alias Ange et Bert (paronymie voulue avec Hebert, le père révolutionnaire de l’hébertisme ?), poursuivent, avec le troisième « tome » de leurs Traités de la perdition, l’exploration des mécanismes du désir et de la fiction. Musique de fête, bruits de conversations précèdent l’entrée des deux comédiens annoncés par un comparse, ballet à la main qui rythme avec enthousiasme leur arrivée dansante et cocasse (les mouvements de Bert font penser à ceux de Berthold dans le film Les aventures du baron de Münchausen de Terry Gilliam – d’ailleurs Bert/ Berthold, une autre clé ?). 

Le Congo à Paris
On les voit d’abord filmés lors d’un périple donquichottesque dans les Alpes, en quête d’une fontaine d’eau censée les « requinquer » et ne trouver que des sources taries. Les deux personnages, snobs au possible, médisent avec délectation de leurs connaissances, se trouvent des liens de parenté remontant aux croisades, flirtent un peu à la manière d’un vaudeville, se regardent dans une vidéo en Afrique, attendre à Kinshasa un sorcier qui leur a donné rendez-vous en fait au bar Le Kinshasa, dans le quartier Barbès à Paris ! 

On rit beaucoup dans ce spectacle qui ne cesse de jouer avec les codes et les formes. Certains dialogues semblent nés du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert : la vacuité va de pair avec la fin de ce « monde perdu » que la littérature permet de retrouver… Le salon dans lequel tout se joue est tour à tour, dans l’intelligente scénographie de Charles Chauvet, une pièce d’apparat, une chambre, un lieu où s’exercent des pratiques sadomasochistes, exacerbant le duel verbal. Les mots joutent, les corps se cherchent et se repoussent. Le regard de chacun est vide sans le concours de l’autre, les paroles de l’un ne prennent du relief que confrontées au cœur du dialogue. Les faits énoncés prennent leur envol parce qu’il y a un auditeur. Le quatrième mur s’efface parfois, le public est pris à parti, se transformant lui-même en personnage. La dualité est consacrée en principe essentiel de l’existence. La solitude est stérile, la création a besoin de l’autre pour se concevoir et se réaliser. Du théâtre à l’état pur !

MARYVONNE COLOMBANI

Créé les 27 et 28 février à La Passerelle, scène nationale de Gap-Alpes du Sud, Scandale et décadence a été donné les 2 et 3 mars au Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence et le 11 mars au Théâtre des Halles, Avignon.
Le spectacle se jouera les 6 et 7 avril au Théâtre du Briançonnais, Briançon

Falaise, chute ou effondrement ?

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Falaise © François Passerini

Cinq représentations n’auront pas suffi à satisfaire la demande tant Falaise était attendu. La création 2020 de la compagnie franco-catalane Baro d’evel a reçu un accueil triomphal unanime et mérité. Comment ne pas sortir émerveillé voire subjugué par ce conte transdisciplinaire foisonnant où s’enchevêtrent théâtre, cirque, danse, chanson… Et même fanfare quand les interprètes, une fois la pièce terminée, font durer le plaisir dans le hall du théâtre, instruments en main et en bouche. Auparavant, une heure quarante-cinq durant, la troupe enchaîne des scènes fascinantes de créativité, de poésie, de drôlerie, d’acrobatie, et de mystère aussi. Falaise est le négatif parfait de , œuvre prologue d’un diptyque enchanteur, programmée la semaine précédente au Pavillon Noir, à Aix-en-Provence. Le duo cofondateur de la compagnie, Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias, seul en scène dans , est ici entouré de six autres protagonistes. Le rapport à l’autre questionné dans la première pièce s’est étendu, dans la seconde, à la complexité des rapports sociaux. Même la distribution animale est démultipliée avec, au lieu d’un corbeau-pie, une nichée de pigeons taquins et un cheval blanc majestueux et impassible devant la frénésie d’une civilisation au bord de l’effondrement. L’enveloppe immaculée et rassurante de est devenue, dans Falaise, une enceinte aux murs noirs fissurés d’où surgissent, s’envolent, chutent et disparaissent des personnages intrigants. De quel monde viennent-ils ou quel monde fuient-ils ? La scène du couple dont les vêtements se craquèlent tels deux êtres qui se démembrent à leur propre contact est l’une des plus fortes du spectacle. Et la dualité de leurs sentiments de donner le fil rouge d’un spectacle où les humains sont sans cesse partagés entre individualisme et solidarité, repli et communion. À la sortie du théâtre, tous les visages expriment la même de joie et sérénité.

LUDOVIC TOMAS

Falaise a été joué du 28 février au 4 mars, à La Criée, théâtre national de Marseille.
Une programmation du Théâtre du Gymnase hors les murs.

« Phèdre » : le goût de l’épure

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Phèdre © Sigrid Colomyès

Créée en 2022 aux Tréteaux de France pour succéder à Bérénice, Britannicus et Andromaque, la Phèdre de Robin Renucci s’épanouit ces jours-ci au Petit Théâtre de La Criée. Le dispositif qui s’y déploie n’est pas nouveau : une scène circulaire bordée de quatre entrées accueille les comédiens, livrés sans ambages à des spectateurs tous proches. Sans aucun autre effet que quelques costumes – malheureusement fort peu seyants – les comédiens s’emparent du texte avec fougue et grâce. Chacun excelle à faire entendre et comprendre ce texte si lointain, dans toute sa richesse, toutes ses ambiguïtés et toute sa profondeur. 

Douce stupeur
Texte qui place, une fois n’est pas coutume, son personnage éponyme en son centre, et auquel la mise en scène emboîte le pas : Marilyne Fontaine est une Phèdre inspirée, poussée dans ses retranchements par sa passion interdite, mais aussi et surtout par sa solitude et sa fragilité. Seule l’Oenone douce et maternelle de Nadine Darmon semble prête à lui accorder le pardon et le repos qu’elle implore, mais elle le fait en dépit de toute morale et de toute raison. Thésée a les traits et la voix ouverte et outrée de Julien Tiphaine : il occupe l’espace, tonne, rage. Prompt à condamner sans avoir pris le temps de juger, il disqualifie sans l’entendre non plus son fils Hippolyte – Ulysse Robin, jouant sur le même fil entre douce stupeur et colère. Le parallèle entre l’aveu de l’amour incestueux de Phèdre pour Hippolyte et celui d’Hippolyte pour la tendre et courageuse Aricie – Eugénie Pouillot – se voit lui aussi habilement souligné, dans les inflexions de voix, gestes et jeux de regards qui accompagnent ces scènes jumelles. Car ce n’est certes pas un amour partagé qui unit ces deux personnages, mais bien une parenté dans le tragique.

SUZANNE CANESSA

Phèdre s'est joué jusqu’au 10 mars à La Criée, théâtre national de Marseille.

Au musée Ziem, une galerie de portraits

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Camille Claudel, Portrait de Rodin après 1892 Plâtre patiné à la cire 42 x 26 x 30 cm - Musée Ziem, Martigues

À l’occasion de Miroir Ô Miroir, 145 œuvres sortent des réserves sur un fonds qui compte pas moins de 9000 pièces de l’Antiquité au XXe siècle. Sans surprise, le parcours analytique ébauche quelques réponses aux questions que le portrait suppose en tant qu’excellent révélateur de la société. Qui ? Quoi ? Pourquoi ? Comment ? Ainsi les portraits officiels, évoqués ici par quatre anciens maires de Martigues, deux ecclésiastiques et un gouverneur d’Indochine. En pied ou en buste, en habit ou en uniforme, ils disent beaucoup de leur personnalité selon qu’ils ont choisi de se représenter avec tous les honneurs ou en toute humilité. De la même manière, portraits et autoportraits d’artistes soulèvent un coin du voile sur leur manière d’affirmer leur statut. En 1883, Aimé Ponson se peint dans un style purement académique, fond sombre et pose hiératique, tandis que Ziem ose une touche et une palette chromatique plus « modernes », expérimentant une dynamique nouvelle. Plus proche de nous, en 1984, André Villers photographie Hans Hartung de dos tandis qu’en 1987, Bernard Boespflug saisit au vol le jeune Gérard Traquandi. Le buste de Rodin sculpté par Camille Claudel, en plâtre patiné à la cire, garde les traces de leur passion fougueuse tandis que le buste de Mistral coiffé d’un chapeau par Carli, en plâtre et ciment blanc armé, affirme sans ambages l’autorité de l’écrivain. Images posées ou volées, les artistes gardent leur mystère.

Félix Ziem, Autoportrait 1855, Huile et craie sur toile 91 x 66 cm – Musée Ziem, Martigues (c) Gérard Dufrêne

En tous genres
Hésitation, Tristesse, Rêverie après le bal… Une série de portraits de modèles inconnues ont pour unique objet le symbole ou la métaphore. La lithographie Les Yeux clos d’Odilon Redon, dont la peinture est au musée d’Orsay, en est l’un des meilleurs exemples qui marqua l’émergence du mouvement symboliste. Là le portrait dépasse le vivant pour atteindre le monde des rêves et de l’invisible. D’autres, comme Fernande Hortense Cécile de Martens, peintre et cofondatrice du musée Ziem, transforment une scène de genre (Visite au grand-père) en allégorie auréolée de lumière divine. Plus conventionnels, les portraits régionalistes ou réalistes comme les portraits bourgeois sont le miroir des castes, des cultures, des arts de vivre. On s’y représente en costumes traditionnels, avec les attributs liés à sa fonction, dans un décorum qui raconte son époque. À l’issue de l’exposition, on s’interroge sur ce que dira de nous les selfies…

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Miroir Ô Miroir 
Jusqu’au 21 mai
Musée Ziem, Martigues
martigues.fr

I am Mehdi : un modèle s’expose

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Vue de l'exposition I am Mehdi © JC Lett

Aller aux 7 clous, c’est forcément rencontrer le propriétaire des lieux : les expositions se déroulent dans le loft de Patrick Raynaud, rue de Crimée, au bas du boulevard National, et il faut prendre rendez-vous avec lui pour les visiter. Cet ex-artiste et ex-directeur de plusieurs écoles d’art continue ainsi à partager son goût pour l’art, la transmission et les rencontres, en organisant (et finançant) des expositions qu’il invente, quand ça lui chante. Et en l’occurrence, I am Mehdi : Mehdi est un jeune voisin de Patrick Raynaud, fréquentant ses vernissages. 

S’intéressant depuis longtemps à l’art et à la mode, et sollicitant même de son propre chef certains photographes et artistes qu’il admire pour poser pour eux (Pierre et Gilles, par exemple). Sa façon à lui « d’être artiste », discrètement, car sa famille, dont il dépend pour tout, a un rapport plus qu’hostile à cette passion. C’est ainsi que Patrick Raynaud a eu l’idée d’imaginer cette nouvelle exposition chez lui : non pas d’un artiste, mais d’un modèle. Et de demander, en plus des images de Mehdi qui existaient déjà, à des artistes ami·e·s d’en faire d’autres.

Vue de l’exposition I am Mehdi © JC Lett

Faux désordre
Les photographies, reproduction de peinture et dessins de tous formats sont affichés directement sur les murs, distribués dans un faux désordre. Proposant des jeux de regards, des rapprochements d’attitudes, de poses, d’échos formels entre archives personnelles et œuvres. Crâne rasé sauf le dessus, oreilles décollées, grand front, grand yeux, nez aquilin, bouche pulpeuse entourée le plus souvent d’un bouc barbe, petit gabarit, svelte et musclé, Mehdi y figure en gros plan, en pied, de profil, de face, en plongée ou contre-plongée, portraits ou buste. Il ne sourit jamais, est quasiment toujours seul et, lorsque son regard n’est pas tourné vers l’intérieur, semble habité par un doute, une question, une tristesse. 

Tout en mettant en valeur son visage et sa musculature, quelques artistes s’amusent à le mettre en scène dans des clichés marseillais ou orientalistes (Pierre et Gilles, Alix Temmelin), confrontent sa masculinité et sa féminité (Robert Escalera, Sofiane Vincent), le sculptent dans des ombres et lumières méditerranéennes (Marc Antoine Serra, Mathias Cassado Castro), ou le saisissent dans des noirs et blancs brutaux ou délicats (Julian Johannes Olbrich, Mr Collodion, Arnaud du Boistesselin). On le quitte, allongé sur le parquet des 7 clous, photographié par André Mérian, le long du mur, habillé de noir, main sous la tête, désœuvré, regard tourné vers le plafond.

MARC VOIRY

I am Mehdi
Jusqu’au 15 avril
Les 7 clous,Marseille
06 80 57 29 84
septclousamarseille.com

Raphaëlle Delaunay : « La double peine »

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Raphaëlle Delaunay © Marc Domage

Zébuline. Vous présentez Hop ! au Théâtre de l’Olivier, à Istres, un spectacle coécrit avec l’acteur Jacques Gamblin. De quoi est-il question ?
Raphaëlle Delaunay. C’est une rencontre entre deux êtres qui vont connaître les joies et les affres de se confronter. Avec tout ce que la rencontre de l’autre génère comme bouleversements. C’est à la fois très simple, très banal, métaphysique parfois. On est sur un mode plutôt léger voire absurde donc avec la petite mécanique qui fonctionne dans les duos comiques. On est toujours en désaccord mais on sent un profond respect mutuel. Il y a de l’admiration pour le domaine de chacun.

Qu’est-ce qui vous a poussé à créer ce duo entre acteur et une danseuse ?
C’est lié à nos deux personnalités. Jacques est très danseur pour un comédien et je suis très comédienne pour une danseuse. Il y avait une évidence à croiser nos désirs respectifs pour voir comment cela pouvait s’hybrider. 

Est-ce une pièce dansée ou une chorégraphie jouée ?
Le terme n’existe pas encore pour définir ce que c’est. Je ne sais pas quel est le pourcentage de théâtre ou de danse pour dire si cela penche d’un côté plutôt que de l’autre. Dans Télérama, ils ont appelé ça « une fantaisie théâtrale ». C’est un objet singulier. La forme finalement importe peu. Les spectateurs se font vite cueillir par une lame de fond qui est l’authenticité de cette rencontre et tout ce que cela met en jeu.

Cela parle aussi de l’exploration du corps, de l’espace, du temps et des possibilités infinies qu’offre le duo pour cela…
Dès que l’on met deux corps dans un endroit, l’espace est en jeu. L’espace devient un personnage, il est agissant sur nos comportements et nos corps. Il est comme un médiateur : quand on n’arrive plus à se parler de façon directe, c’est lui qui nous réunit. Et qui crée des divergences aussi. On se retrouve sur le désir de faire œuvre commune, de dialoguer. Que ce soit avec la voix ou le corps… C’est juste le medium.

Vous vous produisez le 8 mars. Qu’est-ce que cela évoque pour vous ?
Je suis concernée à double titre par les inégalités car je ne suis pas seulement une femme, je suis une femme de couleur. Pour reprendre des termes à la mode, je suis dans l’intersectionnalité donc dans la double peine. J’essaie simplement d’avoir un peu de légèreté. Et dans Hop !, ces questions sont à l’œuvre.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LUDOVIC TOMAS

Hop ! s'est joué le 8 mars au Théâtre de l’Olivier, Istres
scenesetcines.fr