jeudi 17 juillet 2025
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Festival de La Roque d’Anthéron : Un piano aux couleurs du monde

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Arielle Beck © Sylvain Gelineau Photographism

Zébuline. Le festival fête sa quarante-troisième édition et sait, tout en gardant sa volonté d’excellence, décliner de nouvelles partitions. Votre secret ?

René Martin. Ce festival est conçu pour donner une idée précise de ce qui se passe dans le monde musical d’aujourd’hui, donner la couleur du piano à un instant T. Certes, je privilégie les orchestres régionaux, l’Orchestre de Marseille, l’Orchestre d’Avignon qui s’est totalement renouvelé grâce à l’impulsion de Débora Waldman, sa cheffe, et je cherche à utiliser les nombreuses richesses de la région. Cette édition est particulièrement importante, car nous n’avions pas pu fêter dignement les quarante ans du festival en raison de la pandémie.

Une volonté de totalité avec les intégrales ?  Il y en a beaucoup cette année.

S’il y a bien un lieu où elles peuvent être jouées, c’est à La Roque. Effectivement, nous donnerons l’intégrale des concertos pour piano de Beethoven, de Chopin, de Brahms, de Rachmaninov, servies par des interprètes de premier plan, Bertrand Chamayou, Anne Queffelec, David Kadouch, François-Frédéric Guy, Alexandre Kantorow (une carte blanche lui est offerte sur une journée), Bruce Liu que nous avons découvert l’an dernier avec des orchestres fantastiques, le Hong Kong Sinfonietta, sans doute le plus bel orchestre de Hong Kong, dirigé par Yip Wing-Sie, une cheffe d’exception, l’Orchestre de Chambre de Paris (Lionel Bringuier), le Sinfonia Varsovia avec le grand chef Aziz Shokhakimov, l’Orchestre Consuelo sous la baguette de Victor Julien-Laferrière. L’énumération complète serait fastidieuse. Il y aura aussi de grands cycles, des journées consacrées à des compositeurs Liszt, Rachmaninov, Chopin ; un focus sur des compositeurs contemporains grâce aux journées animées par le pianiste et pédagogue Florent Boffard, « Passer au Présent / à la découverte d’un compositeur et ses amis », qui permettront d’aborder les univers de Philippe Schoeller et Julian Anderson, avec une création mondiale au programme ; un temps fort sera consacré à un hommage au grand compositeur Henri Dutilleux qui est parti il y a dix ans maintenant.  

Le baroque revient enfin ! La pandémie nous interdisait l’abbaye de Silvacane qui nous rouvre ses portes. La famille Hantaï se reconstitue pour La Roque d’Anthéron tandis que toute la jeune génération arrive, Jean Rondeau, Justin Taylor et son Consort…

Une jeune génération de pianistes de très haut vol aussi !

Oui, nombreux sont les jeunes, voire très jeunes artistes à faire leur entrée à La Roque. On pourrait me dire que je les choisis parce qu’ils ont gagné des concours internationaux. Bien sûr, mais la plupart du temps, je les ai engagés avant leurs récompenses. J’ai anticipé leur victoire. J’aime aussi cette découverte des grands noms de demain, de voir naître ces stars montantes. On aura par exemple Kevin Chen et le tout aussi fantastique Masaya Kamei sans compter la révélation Yunchan Lim, un phénomène !

Les lieux se multiplient cette année.

Oui, le festival permet de mettre en valeur toute la région. D’autre part, tout un travail est mené auprès des publics empêchés grâce à la démarche menée par le Département, Ensemble en Provence qui propose des soirées pédagogiques ne direction des public prioritaires de ce dispositif, et par l’association Cultures du Cœur qui favorise l’insertion des plus démunis par l’accès aux sports et aux loisirs. Le festival met à disposition des invitations à destination de ces publics. Les projets lycéens, les master classes et la tournée des ensembles en résidence contribue aussi à la diffusion auprès de publics plus larges (et souvent plus jeunes !). Les tarifs moins de trente ans accordent des places à 15€ en catégorie A et B…

Si elles ont été considérées longtemps comme de délicieuses interprètes, les femmes compositrices entrent pleinement au festival…

Et heureusement ! Non seulement la journée « nouvelles générations » ne comporte que des interprètes féminines, Arielle Beck, Eva Gevorgyan, Alexandra Dovgan, mais les œuvres des compositrices sont mises en avant. Toute une journée est consacrée aux « regards de femmes » avec Das Jahr de Fanny Mendelssohn et des œuvres de Marie Jaëll (amie de Liszt), Marguerite Canal, Augusta Holmès, Louise Farrenc, Henriette Bosmans, dont les noms sont injustement tombés dans l’oubli. Autre face cachée de la musique : la formation. Quand on parle d’un pianiste, on occulte trop souvent que son génie a été formé par des maîtres qui restent dans l’ombre. Hortense Cartier-Bresson est une magnifique pédagogue et je tiens beaucoup à cet hommage qui souligne l’importance de la transmission.

Le festival s’ouvre à de nouvelles formes musicales…

J’en suis très fier. Il y a une révolution dans le monde du piano et le festival se doit d’en rendre compte. L’électronique fait son entrée cette année à La Roque. Cette tendance est écoutée par des milliers, des millions de jeunes, c’est le public de demain. On aura par exemple Hania Rani pour un concert musicalement exceptionnel et très poétique, ou les Grandbrothers pour une nuit mystique et hypnotique. Ça va être saisissant ! On a trop souvent classifié les choses : dans la musique contemporaine on a beaucoup souffert de l’influence prépondérante de gens qui interdisaient la musique tonale… Aujourd’hui le monde s’ouvre davantage. La Roque permet de respirer tours les tendances du piano d’aujourd’hui.

Une place particulière est désormais dévolue aux accordeurs…

Tous les plus grands pianos sont à La Roque, c’est le seul festival au monde où toutes les marques sont représentées. Les pianistes les essaient donnent leur avis. Le festival devient un véritable laboratoire, c’est de l’or pour les fabricants qui peuvent retravailler, corriger, améliorer leurs instruments qui sont déjà exceptionnels.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARYVONNE COLOMBANI

Festival International de piano de La Roque d’Anthéron
Du 20 juillet au 20 août
La Roque d’Anthéron et autres lieux
04 42 50 51 15
festival-piano.com

Festival Radio France : dans la bonne fréquence

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Public assistant au concert de Radio France

Le programme symphonique, vitrine du Festival Radio France Occitanie Montpellier, mettra en avant cette année encore des ensembles incontournables, entre le Corum et l’Opéra. L’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par John Eliot Gardiner accompagnera en ouverture le 17 juillet Alexandre Kantorow sur le Concerto n°4 de Beethoven, avant d’interpréter la Symphonie Fantastique. Il reviendra le 27 avec son chef Mikko Frank et accompagné de l’Orchestre Français des Jeunes, pour le concerto pour violon de Tchaïkovski avec Leonidas Kavakos et une création française de Lera Auerbach.

L’Orchestre National de Toulouse jouera le 18 la Symphonie n°6 de Dvorak et le Lontano de Ligeti (dont on fête le centième anniversaire), tandis que la violoniste Alena Baeva interprètera le Concerto n°1 de Bartok. Ligeti sera remis à l’honneur par Les Siècles de François-Xavier Roth le 24, pour un programme alléchant (Symphonie Jupiter et Concerto n°23 de Mozart par Alexander Melkinov, concerto de Ligeti par le violon d’Isabelle Faust).

L’Orchestre National de France sera dirigé par Cristian Macelaru le 25 sur L’Oiseau de Feu de Stravinski et sur le superbe concerto pour violoncelle d’Elgar, interprété par le magnétique Edgar Moreau. L’Orchestre National de Montpellier accompagnera la mezzo-soprano Karine Deshayes pour un récital Berlioz le 21 ; il clôturera le festival le 28 sous la direction de la jeune et talentueuse Chloé Dufresne pour une soirée de « grands tubes dansants » (Danse Macabre, Marche de Radetzky, Casse-Noisette…)

Le festival s’ouvre

Les amateurs de piano ne rateront pas l’incontournable Bertrand Chamayou le 22 pour les Années de Pèlerinage de Liszt, Piotr Anderszewski le 20 pour un programme de Bach à Webern, ou encore Fazil Say le 25. Sans oublier les nombreux jeunes solistes programmés par le festival, comme Jodyline Gallavardin ou Kevin Chen. Hors de question enfin de rater Médée et Jason le 19, création parodique qui butine dans le répertoire baroque français, mis en scène par Pierre Lebon et qui réunira danseurs, solistes et l’ensemble Les Surprises.

Comme toujours le festival s’ouvrira aux musiques actuelles avec en tête d’affiche MC Solaar qui se produira le 23 au Domaine d’O accompagné de son band et les cordes de l’Orchestre local dirigées par Issam Krimi. Du 17 au 23, le désormais célèbre festival électronique gratuit Tohu-Bohu fera son retour devant l’Hôtel de Ville, avec Audrey Danza, Carista et Avalon Emerson.

La programmation chambriste s’avèrera toujours passionnante, avec notamment le Quatuor Modigliani le 17, sans oublier le jazz avec le saxophoniste Emile Parisien et son sextet, la flûtiste et chanteuse Naissam Jalal le 26, le légendaire Michel Portal le 27 ou encore Samara Joy, lauréate de deux Grammy, le 24.

Enfin, le festival s’ouvrira à d’autres publics avec des concerts dans la région Occitanie, souvent gratuits et autour de jeunes solistes enthousiasmants, contribuant à faire du festival Radio France un rendez-vous chaque année plus incontournable.

PAUL CANESSA Festival Radio France Occitanie Montpellier
Du 17 au 28 juillet

Divers lieux, Montpellier
2023.lefestival.eu

L’été marseillais : Voilà l’été… marseillais

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Du 31 juillet au 4 août la pièce Prélude est en tournée dans plusieurs lieux de Marseille©Cie Accrorap

Équipements municipaux, plages et espaces verts constituent une nouvelle fois le cœur battant de l’Été marseillais. Toujours plus de parcs et de jardins sont de la fête – Bruyère dans le 10e, Font-Obscure dans le 14e ou encore Pastré dans le 8e – avec une ouverture prolongée jusqu’à 2 1h et pléthore d’animations. Du côté du littoral, la plage des Catalans est accessible jusqu’à 23 h en semaine, et toute la nuit le week-end. Tandis que les piscines sont rendues gratuites pour les moins de 12 ans, des animations familiales sont prévues sur l’eau : bassins de découverte de la nage à l’Espace Mistral (16e) et l’espace sportif Croix Rouge (14e) ; balades en pointus traditionnels dans la rade Sud ; initiation à la navigation ; paddle, aviron, ou encore voile au Prado Nord, à la base du Train des sables et à Corbières… Dans les terres, les bibliothèques prévoient de nombreux rendez-vous, et les musées assouplissent leur accueil – notamment en rendant gratuits l’ensemble des collections permanente et le premier jour des expositions temporaires – et proposent de nombreuses animations ponctuelles, tels que concerts en nocturne, Escape game au Muséum d’histoire naturelle… Tout l’été, les pas convergent vers le Vieux Port rendu piéton, véritable lieu de flâneries et d’activités ludiques : terrains d’animations sportives, point d’eau, jeux pour enfants, espace détente, boulodrome face à l’hôtel de ville… Le 2e arrondissement voisin devient l’épicentre d’activités citoyennes : piste routière rue de la Loge ; village écocitoyen et parc d’attractions littéraires Livrodrome sur l’esplanade Bargemon, qui accueille aussi un couscous géant le 27 août ; grand bal de la Libération le 26 devant l’Hôtel de Ville…

Scène flottante

La programmation artistique, quant à elle, se décline au gré des disciplines et des arrondissements, à l’image des projections itinérantes de cinéma gratuites et en plein air, de la Porte d’Aix au parc de la Mirabelle en passant par les stades Athéna, Malpassé, Frais Vallon… Emmenés par Kader Attou, neuf danseurs hip-hop de la région investissent au gré des soirs les jardins du Pharo, de Bonneveine ou encore du 26e Centenaire avec la pièce chorégraphie Prélude. Sans oublier tout l’été, une nouvelle édition d’Avant le soir, programmation artistique confiée à la compagnie locale Didascalie & Co, dans les parcs et jardins des 1er et 7e.

En face de l’Hôtel de ville, une inédite scène flottante accueille jusqu’au 15 juillet une programmation pour le moins hétéroclite, apte à séduire les générations successives soir après soir : Goran Bregovic, le rappeur Soolking, (La) Horde, Enrico Macias et Chico & the Gypsies… Dès le 22 juillet, on passe sur l’autre rive, avec un concert du Choeur et de l’orchestre de l’opéra sur le Parvis de l’Opéra, une halte de Radio Nova au kiosque des Réformés le 28, sans oublier les grandes soirées dansantes : bal populaire le 30 juillet sur la Plaine, sur l’Esplanade Bargemon le 4 août, mais aussi soirée Space disco en bas de la Canebière le 11 août. Le 18 août, on va pousser la chansonnette avec le désormais culte karaoké du parc Longchamp !

JULIE BORDENAVE

L’Été marseillais
Jusqu’au 3 septembre
Divers lieux, Marseille
marseille.fr

À Villeneuve en Scène, l’itinérance se donne en spectacle

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Marion Coulomb dans « La Boite de Pandore » © DR

À Villeneuve en Scène, les spectacles viennent aux spectateurs plutôt que l’inverse. Théâtre, danse et cirque contemporain investissent les champs, les places et les monuments historiques.

C’est justement dans le majestueux cadre de la Chartreuse de Villeneuve, au soleil couchant, que se produit Marion Coulomb dans La Boite de Pandore. Seule en scène au milieu de la chapelle à moitié effondrée où roucoulent les tourterelles, Marion Coulomb déballe tout. Son histoire, celle d’une jeune fille de 12 ans violée pendant quatre ans par le compagnon de sa sœur. Son combat, contre l’emprise de cet homme d’abord, puis contre le silence et le tabou autour des violences sexuelles sur mineur. Une narration d’une grande finesse qui s’ajoute à la virtuosité de son art, celui du cirque.

Avec poésie, douceur, mais aussi dureté, elle raconte comment le cirque l’a aidé à survivre et retrouver son corps. Elle se libère en grimpant à la corde avec une époustouflante facilité, en racontant le procès de son agresseur avec des marionnettes ou en chantant et en jouant de la guitare pour témoigner. Témoigner des agressions bien sûr, mais aussi de la peur, de la honte et de la culpabilité dont elle a peiné à se débarrasser. Une manière de parvenir à en parler pour se libérer et penser l’après.

Fin du monde

Le Théâtre de la Manufacture du CDN Nancy Lorraine a également choisi des thématiques fortes pour ses spectacles. La compagnie présente deux pièces itinérantes à destination d’un public de scolaires. Il faut néanmoins être réceptif aux contraintes de l’itinérance pour réussir à s’abstraire de la salle nue aux quelques chaises qui fait office de lieu de représentation.

Le premier des deux spectacles aborde le thème de la mort et de sa perception par les enfants. Dans Dissolution, Rachid Bouali interprète seul sur scène un homme venu avec son fils rendre une dernière fois visite à son père sur le point de mourir sur son lit d’hôpital. On perçoit la gêne du père et du fils, les questionnements des deux côtés, mais on en sort avec le sentiment d’avoir seulement effleuré le sujet. Peut-être une première approche pour mieux en parler ensuite, car un débat est proposé avec les enfants à l’issu du spectacle.

Skolstrejk est une pièce plus politique pour un public adolescent. Deux comédiens débordant d’énergie, Morgane Deman et Sébastien Poirot, dépeignent la trajectoire de Louise, ou plutôt « Freevelt » comme elle-même se nomme. Inspirée par Greta Thunberg, elle prend conscience de l’urgence climatique et organise une grève pour le climat dans son collège contre l’immobilisme face au changement climatique. L’histoire prenante d’un éveil politique et d’un début d’organisation collective.

Rafael Benabdelmoumene

Le festival Villeneuve en Scène se tient jusqu’au 22 juillet à Villeneuve-lès-Avignon.

« The Confessions », une quête de liberté

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Alexander Zeldin présente l’itinéraire touchant de sa propre mère. PHOTO CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

Alice, la mère d’Alexander Zeldin, est une femme à la vie bien remplie. Née en 1943 en Australie, elle veut découvrir le monde et s’émanciper du carcan auquel elle s’est pliée sous la pression sociale. Ses relations amoureuses, décevantes voire toxiques, la font évoluer. Les violences qu’elle subit, aussi bien physiques avec les hommes que symboliques dans le milieu universitaire, la forgent. Alice se construit peu à peu comme une femme forte et digne.

Pour écrire et mettre en scène The Confessions, Alexander Zeldin a recueilli son témoignage pendant des heurezs. Une histoire individuelle qui en raconte en réalité beaucoup d’autres par sa sensibilité et sa finesse. Et par une traversée à travers les époques : le destin de la classe ouvrière australienne dans les années 1950 entre en résonnance avec la mémoire de la Seconde Guerre mondiale et le mouvement de libération de la femme des années 1970.

Une vie sur scène

Le spectateur saute de scène en scène avec une grande fluidité grâce à de rapides changements de plateau. Des décors qui se transforment et nous plongent dans de vrais instants de vie : des retrouvailles familiales, un dîner entre amis, l’intimité conjugale, une rencontre à la bibliothèque… La vie d’Alice se déroule devant nos yeux. Avec la Alice actuelle, celle de 70 ans, qui observe également.

Ils sont neuf sur scène et ils enchainent les rôles avec brio. L’humour british apporte une pointe de légèreté avec en fond la musique inspirée de Yannis Philippakis (chanteur-guitariste du groupe britannique Foals). Une pièce d’une grande fraicheur, dure souvent, drôle parfois, touchante toujours.

Rafael Benabdelmoumene

« The Confessions » est donné à la FabricA (Avignon) jusqu’au 23 juillet.

Pour SOS Méditerranée, Jacques Weber énonce l’insoutenable

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Dans la cour de la Maison Jean Vilar, Jacques Weber et Emmanuel Noblet se sont donnés la réplique sur le difficile texte d’Éric Fottorino. PHOTO YOAN LOUDET

Évoquant avec rudesse la crise migratoire en Méditerranée, la lecture de « La Pêche du jour » d’Éric Fottorino a bouleversé le public de la Maison Jean Vilar (Avignon).

Il s’agit de sortir de l’habitude, de l’acceptation, de l’oubli. À quoi, fondamentalement, servent les ouvres d’art, sinon à cela ?

Sophie Beau parle de ce texte comme d’un coup de poing. La directrice de SOS Méditerranée connaît la force des mots et des chiffres. Dans le débat précédant la lecture, animé avec engagement par Laure Adler, elle rappelle ce qu’elle doit aux victimes, la pudeur qui l’amène à ne pas employer certains mots, comme « cadavres », à ne pas diffuser leurs photos. Mais l’attente qu’elle a que d’autres le fassent pour provoquer un réveil de nos consciences.

Mentir par les chiffres

Elle explique aussi la bataille des chiffres, qui joue un autre effacement. Indignée que le naufrage au large de la Grèce le 14 juin recense 82 morts, quand on sait qu’il y avait 750 personnes à bord, et que le mot « disparu » en mer est une litote morbide. Indignée que les comptes des morts s’arrêtent à un recensement de ceux que l’on connaît, sans estimation réelle du nombre de morts anonymes. Indignée que malgré cette sous-estimation massive, plus de 2 000 morts soient officiellement dénombrés depuis janvier, sans que personne s’en émeuve assez pour agir. Plus de 27 000 morts, officiels, depuis 2015. Combien en tout ?

Chiffre encore : SOS Méditerranée a sauvé 37 583 vies à ce jour. 37 583 fois, les marins ont tendu la main à un être humain qui allait mourir, et l’ont sauvé. Malgré les difficultés constantes, les restrictions de capacité d’accueil à bord des naufragés, les blocages au port, les difficultés d’obtenir les autorisations d’aborder, les jours passés en mer à attendre… qui ont fait nettement diminuer le nombre de vies sauvées par an depuis 2019. C’est à dire, mécaniquement, augmenter le nombre de morts.

Plus d’euphémismes

Juste avant la lecture, Éric Fottorino avertit : le texte est dur, insoutenable. Il avait peur, lors des premières représentations, que le public quitte la salle. Mais comme à Paris le public d’Avignon, médusé, est resté. N’a pu qu’applaudir à peine, tant le geste rituel semblait déplacé, des acteurs qui ne sont pas venus saluer. Tous les visages étaient graves, bouleversés.

Il faut dire que la performance de Jacques Weber, auquel Emmanuel Noblet donne très finement la réplique, est exceptionnelle. Monstrueuse, fantastique, et pourtant terriblement humaine.

Il incarne un pêcheur grec qui vend les corps des noyés comme une viande à consommer. Qui les choisit, les classe, les apprête, comme des espèces de poissons. Les éventre et les vide. Les noie aussi, puisque les noyés récents ont la chair plus fine que ceux qu’il repêche le ventre enflé, déjà mangés par les poissons.

Nous sommes des monstres

Ce déplacement vers l’anthropophagie, qui est le tabou absolu de l’humanité, réactive brutalement l’horreur. Loin de l’atténuer en la rendant irréaliste, l’analogie avec l’attitude actuelle de l’Europe se révèle : nos pays qui laissent mourir en fermant les yeux, en criminalisant ceux qui secourent, en calomniant les ONG, en finançant Frontex au mépris des lois internationales, se comportent, métaphoriquement, en mangeurs de chair humaine. Il est faux de dire que l’Europe ne fait rien, elle tue. Massivement.

Jacques Weber égrène les faits. Comment la Grèce parque les naufragés derrière des barbelés, les renvoie vers la mort alors qu’ils sont au bout du voyage. Comment lui, moins hypocrite, les tue, les vend, pour que les touristes ne voient pas les cadavres échoués sur les plages, dans les eaux hellènes si translucides. Un geste du bras qui s’élève, une brisure dans la voix, une colère sourde retenue juste au bord de l’éclat, et le monstre se transforme en humain révolté.

La passivité des européens est renvoyée à la monstruosité des témoins des massacres (quand parle-t-on de génocide ?). Celle des complices qui se taisent, mais ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas.

Agnès Freschel

« La Pêche du jour », d’Éric Fottorino, a été lu par Jacques Weber et Emmanuel Noblet à la Maison Jean Vilar, Avignon, dans le cadre de la journée « Les artistes s’engagent pour SOS Méditerranée ».

« Le prix d’un Goncourt » : récit d’une fringale

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Philippe Chuyen en bonne position pour retrouver de l’inspiration. PHOTO YANN LE FLOCH

Étrange projet que celui de Philippe Chuyen (Cie Arscénicum) de construire un spectacle autour de l’expérience de Jean Carrière, qui, après avoir reçu le prix Goncourt pour L’épervier de Maheut en 1972, s’est retrouvé en panne sèche d’écriture. Une série de soucis et de mésaventures l’avaient alors plongé dans un état maladif et dépressif jusqu’à ce qu’il remonte la pente et retrouve le chemin et les mots de l’écriture qui l’ont conduit à la parution de son livre Le prix d’un Goncourt, après 15 ans de galère.

Se remettre en selle

Philippe Chuyen a choisi la métaphore du vélo pour illustrer cette remontée. Aussi la scénographie a-t-elle mis en place une bicyclette sur lequel pédale le comédien qui a fait l’adaptation pour la scène de cette douloureuse expérience. C’est qu’au fil des années une belle amitié l’a lié au fils de l’auteur et il a voulu rendre hommage au travail et au courage de l’écrivain en réalisant une adaptation pour la scène. Cependant, si ce travail mérite le respect, on le regarde et l’écoute avec la distance qu’on pourrait accorder à des images sépia. On est séduit par l’évocation des terres arides de la campagne nîmoise, leurs parfums et leur solitude. Car ce prix a permis à Carrière d’acquérir un terrain au mont Aigoual, d’y bâtir une maison. Mais la mort de son père, la maladie de sa femme l’ont terrassé. Son livre est le récit de sa lutte, de ses angoisses pour enfin retrouver le plaisir des mots. Sur scène, Raphaël Lemonnier joue avec délicatesse sur un piano numérique. Derrière un voile en fond de scène, Thierry Paul intervient dans de courts dialogues, donnant au personnages des conseils et des encouragements. Ce spectacle est un hommage amical à un auteur qui avait en son temps côtoyé Giono.

Chris Bourgue

« Le prix d’un Goncourt » se joue à Présence Pasteur (Avignon) jusqu’au 28 juillet.

« Antigone in the Amazon » : un théâtre en lutte

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« Baal » de Florence Bernad est porté par des performeurs amateurs comme professionnels. PHOTO MARC GINOT

Comment la tragédie grecque d’Antigone, écrite vers 441 avant J.-C., pourrait-elle raconter le combat contemporain du Mouvement des sans-terre (MST) – qui militent pour une meilleure répartition des terres agricoles – dans le nord du Brésil ? Milo Rau réussit à créer un parallèle éloquent à travers une pièce touchante et hautement politique.

Les dialogues de Sophocle se mélangent avec les revendications des militants de l’État brésilien du Pará. Kay Sara, figure internationale de la lutte du MST, est présente à l’écran. C’est elle Antigone, qui crie la mort de son frère tué par la police lors du massacre de 1996 avec dix-huit autres paysans. Il faut dire qu’ils sont nombreux les Périclès brésiliens à mourir pour leurs combats dans l’impunité générale.

Scène et images

Milo Rau utilise trois écrans que se plient et se déplient au fur et à mesure des scènes. Une disposition qui permet un dialogue entre les comédiens sur scène et les activistes brésiliens filmés. Brésiliens et Flamands jouent ensemble par écran interposé. La pertinence de la vidéo est moins évidente lorsque les interprètes rejouent exactement la même séquence que l’on voit en vidéo, finalement plus forte à l’écran que sur scène.

Les parties filmées sont parfois teintées d’un occidentalo-centrisme gênant. Les comédiens débarquent par exemple en Amazonie pour rejouer en flamand la scène de Créon et Hémon dans la tribu amazonienne de Kay Sara, au milieu d’un public qui ne comprend pas ce que disent ces comédiens venus d’Europe interpréter une tragédie grecque.

Au-delà, chaque personnage de la pièce de Sophocle trouve son écho dans ce nouvel environnement. La mythologie et la réalité se fondent. Tirésias, interprété par un philosophe local, donne une prédiction du changement climatique et des signes de la souffrance de la terre. Le suicide d’Antigone résonne avec les suicides des jeunes indigènes brésiliens qui ne trouvent pas leur place dans ce monde moderne.

La scène la plus forte de la pièce, la reconstitution du massacre de 1996 à sa date anniversaire, coupe le souffle. La troupe a réuni sur les lieux comédiens et activistes du MST, dont des témoins des événements. Ce n’est plus seulement du théâtre, mais une vraie lutte collective à laquelle assiste le spectateur.

Rafael Benabdelmoumene

« Antigone in the Amazon » se joue à l’Autre Scène (Vedène) jusqu’au 24 juillet.

Destination alternative

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Eesah Yasuke © David Tabary

Au sud-ouest des Cévennes, le village de Sumène est un havre de calme et de nature en plein cœur des montagnes. Du calme, vraiment ? Presque. Les 22 et 23 juillet, les lieux accueillent un événement apprécié des amateurs de musique et de découverte artistique : Les Transes Cévenoles. La manifestation se revendique fièrement « festival éclectique et indépendant ». Et ça lui va bien. Elle est portée à bout de bras par les Elvis Platinés, une association créée en 1994 par des fondus de rock alternatif français. Les Transes Cévenoles a rapidement été identifié comme un festival à taille humaine, collectif (180 bénévoles) et résistant à la standardisation des programmations. Cette année encore, pour sa 26e édition, ses maîtres mots sont la curiosité, la simplicité et le partage. Pendant deux jours, c’est avant tout une fête familiale ouverte à tous les publics qui investit Sumène, ses rues, ses jardins, une cour d’école, le Temple… En journée, le programme est chargé : concerts, projections, théâtre de rue, performances circassiennes, balades contées, spectacles de danse… Mais aussi un atelier fresque du climat et des débats sur les enjeux de demain. Tout y est gratuit, à part le concert de « chanson poétique » de Lula Heldt au Temple (le 23 à 14h30). 

Un pont entre deux cultures

Chacun des deux soirs, à partir de 21 h, direction la guinguette du parc Lucie Aubrac pour des concerts (payants). La diversité musicale y est reine, le cocktail sonore de rigueur, du rap à la cumbia, de l’électro à la pop… Pas question d’avoir froid aux oreilles ! Samedi 22, on y goûte le rap brut et éclectique signé Eesah Yasuke, les beats caribéens et énergie urbaine sensuelle avec Dowdelin, avant de danser sur l’électro métissée de hip-hop, de cinéma et d’univers manga du talentueux duo Tha Trickaz. Dimanche 23, la soirée commence avec la Toulousaine Suzanne Belaubre, une chanson française qui se veut « pop expérimentale » et flirte en douceur avec l’électro. L’artiste est lauréate du dispositif de repérage des Transes Cévenoles, la preuve par l’exemple qu’un festival peut s’engager sur le long-cours et se faire soutien à la création. Autre univers pop à écouter le dernier soir, celui de MPL : un groupe de cinq garçons venus de Grenoble qui s’interroge sur le monde avec tendresse tout en s’interrogeant sur l’avenir. Le festival s’achève à regret sur les tonalités world des sétois de Saf Feh. Un pont entre deux cultures, la France et le Maghreb, et un voyage soul électrisant aux airs d’ailleurs. Tout un symbole. Avec un tel programme, on en oublierait presque de vous conseiller d’aller explorer la création inédite de la compagnie Braquage sonore, laquelle a réalisé un projet sonore autour des sons des Cévennes, source inépuisable de création.  

ALICE ROLLAND

Les Transes Cévenoles
Du 22 au 23 juillet 
Divers lieux, Sumène 
lestranses.org

Du courage plus que jamais

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Maison Jean Vilar © AJV - Margot Laurens

Courage, courage, courage, proclame le visuel du programme estival de la Maison Jean Vilar. L’image est signée Annette Lenz, choisie parmi les vingt designers européens, par le Théâtre National Populaire de Villeurbanne, en vue d’un hommage à Jacno, graphiste, à l’origine des affiches du TNP et des premiers Festivals d’Avignon. Outre les affiches de Oh Jacno dans le hall de la Maison, à l’étage, L’œil présent, parcours sensible à travers les vues de Christophe Raynaud de Lage, photographe officiel du Festival d’Avignon depuis 2005, est étendu et renouvelé, montrant les évolutions et la variété des choix scénographiques, et le pouvoir des acteurs.

Inauguré en 2021, Côté Jardin, souvenirs des coulisses des premiers festivals, balise encore les allées du Rocher des Doms, offrant à l’ombre des bosquet, ou sous le vent, les images d’une troupe jeune qui aime l’été. La salle voûtée accueille une sélection des archives de Catherine Sellers (1926-2014) et son mari Pierre Tabard (1927-2003), acteurs qui passèrent, eux aussi, par le TNP et la Cour d’honneur.

Festival côté livre : la Librairie du Festival réintègre le rez-de-chaussée, de même que ses animations dédiées : Partage de Midi, dialogues avec un auteur au quotidien, se poursuit jusqu’au 19 juillet. Notable innovation, la directrice Nathalie Cabrera a installé non pas un mais trois spectacles dans ses murs. KiLLT (KI-LIRA-LE-TEXTE), production des Tréteaux de France, a été présenté jusqu’au 14 juillet. Au jardin de Mons, dans lequel Gwenaël Morin, à l’initiative du Festival d’Avignon, signe un bail de quatre ans et présente cet été, son Songe d’une nuit d’été d’après William Shakespeare, jusqu’au 24 juillet.

Des lectures, du théâtre et de l’engagement

Coté Jardin 18 © Association Jean Vilar – Margot Laurens

Mitoyenne à l’écrin de verdure, la salle de La Mouette, est le théâtre d’une transmission. Créé en 2015 par Dominique Houdart, le Bazar Vilar restitue l’odyssée vilarienne, de la mercerie sétoise aux utopies avignonnaises. Julien Perrier s’approprie les bobines, l’escabeau, la machine et le dé à coudre, détournés par le créateur, véritable référence du théâtre d’objet. Ce nouveau Bazar est présenté jusqu’au 16 juillet.

Mais l’évènement d’été demeure Feuilletons Vilar ! Nathalie Cabrera puise dans Jean Vilar, une biographie épistolaire, publiée aux édition Actes Sud, en collaboration avec l’Association Jean Vilar, la matière d’une Grande Lecture. Le découpage en douze épisodes est confié à deux acteurs différents chaque jour, au service des échanges entre le créateur du Festival et diverses personnalités dont André Malraux, Maria Casares, Sylvia Monfort, Gérard Philipe. Jusqu’au 20 juillet à 11 h.

Des rencontres autour des artistes en situation de handicap (le 15), du matrimoine théâtral (le 16), de la diversité et la parité (le 18), de l’engagement des artistes pour SOS Méditerranée, (le 19), un hommage à Lucien Attoun, fondateur avec son épouse Micheline du Gueuloir Théâtre Ouvert (le 21), complètent l’opulent parcours d’été, aux quatre coins de la Maison Jean Vilar, plus que jamais vouée à questionner le présent à l’aune du passé.

MICHEL FLANDRIN

Maison Jean Vilar 
Programmation spéciale 
jusqu’au 25 juillet
Avignon
maisonjeanvilar.org