L’outrenoir déposé par Pierre Soulages n’en a pas fini d’inspirer le spectacle vivant. Souvent friande d’arts plastiques, la danse avait évidemment de quoi faire avec les jeux de reliefs et de lumière chers au peintre pour se déployer. Riche d’une équipe visiblement très investie – Lise Dusuel assistante à la chorégraphie, Nicolas Tallec aux lumières et Guillaume Cousin à la scénographie – Mickaël Le Mer a eu bien raison de dialoguer sur tous les tons possibles et imaginables avec cette matière si inspirante. Ses Yeux fermés regorgent d’idées brillantes, mobilisant les corps sur des terrains inédits en jouant sur la perception du spectateur.
Cachées, enluminées, reflétées, les jambes, mains, faces des danseurs et danseuses apparaissent sous des atours inédits, toujours stimulants. Les Yeux Fermés déjoue par ailleurs habilement les attentes et craintes souvent apposées au genre du hip-hop. Celui qui veut, en premier lieu, que cette danse aux codes si identifiables et acrobatiques ne dialogue jamais avec d’autres langages, et en premier lieu celui de la danse contemporaine, dont Mickaël Le Mer tire pourtant nombre de ses pas et agencements de tableaux. Celui qui veut que ses références musicales et visuelles soient immédiatement reconnaissables, là où l’omniprésence du peintre mais aussi la musique inspirée de David Charrier emmène toujours le spectateur ailleurs. Celui qui enfin mobilise les corps masculins et les corps féminins sur des registres différents, souvent au détriment de ces dernières. Or une même virtuosité est ici requise pour les danseurs et les danseuses, qui effectueront même certains portés ! Virtuose, la chorégraphie prend par ailleurs soin de toujours les placer au même niveau, et de miser sur l’union plutôt que sur la différenciation. Tant et si bien que la communion à l’œuvre sur la scène finale, tangible, semble inspirer un public debout pour l’applaudir à tout rompre.
SUZANNE CANESSA
Les yeux fermés a été donné les 3 et mai, au Pavillon Noir, Aix-en-Provence, puis le 11 mai au Zef, Marseille