Ceux et celles qui sont allé.e.s aux dernières Rencontres Photographiques d’Arles n’ont pas manqué de voir le travail de la grande photographe sicilienne Letizia Battaglia, celle qui photographiait avec ses yeux et son cœur, celle qui captait l’essentiel.
Au Primed 2025, on a pu l’approcher à travers un film, écrit, réalisé et raconté par Cecilia Allegra. C’est en effet, l’histoire de Letizia qu’elle nous conte à travers les témoignages de ceux et celles qui l’ont connue, ses petits enfants Marta et Matteo Sollema, sa meilleure amie, Marilu Balsamo qui lui a consacré un livre, Santi Caleca, son ancien compagnon, Leo Luca Orlando qui a été maire de Palerme et Roberto Sarpinato, l’ancien procureur de la capitale sicilienne. Images d’archives, reportages, extrait de films et surtout les superbes photos de celle qui, née en1935, a fêté ses dix ans dans une ville détruite. « La guerre est terminée mais une autre guerre commence, la mienne ! » Suite à une mauvaise rencontre, son père lui avait interdit de sortir dans la ville. Elle qui n’avait qu’une envie : être libre et photographier Palerme.
C’est à 37 ans qu’elle a décidé de devenir photographe. Après 3 ans passés à Milan où elle suit les manifs étudiantes, elle revient dans sa ville natale et devient la première femme à diriger un service photo à l’Ora, un quotidien de gauche.
Palerme est gangrénée par la mafia, les chefs mafieux qui passent en procès sont acquittés car les magistrats ont peur. Ceux qui s’opposent sont tués. En 1979, 19 assassinats. Le jour où un policier honnête, Boris Giulano est tué Letizia pose son appareil, refusant de montrer à la mafia le corps criblé de balles. Puis ce sera le tour du juge Terranova. Letizia Battaglia organise alors la 1e expo au monde qui ose révéler les crimes de Cosa Nostra : des photos installées sans autorisation, en plein cœur de Palerme, fruit de 5 ans de travail. Fait en courant, la trouille au ventre. Elle choisit de travailler avec des femmes à l’hôpital psychiatrique et photographie son peuple ; en particulier des petites filles dont la fameuse photo La petite fille au ballon.

Des petites filles qui semblent collées au mur : « Je sais que ces petites filles, c’est moi. La petite fille que j’étais à dix ans. Je ne cesserai jamais de la photographier parce qu’elle seule porte un espoir pour l’avenir » confie-t-elle. Et l’important c’est de lutter : elle décide d’entrer en politique, collabore avec le maire Luca Orlando en œuvrant en particulier à la rénovation urbaine des quartiers laissés à l’abandon. Le 10 février 1986, elle photographie le « maxi procès » 475 accusés de Cosa Nostra « Je n’ai pas peur de la mafia, je n’ai pas peur de la mort, j’aime la vie ! » Le 23 mai 92, c’est l’assassinat du juge Falcone et quelques mois plus tard celui du juge Borsalino, tué avec 5 agents d’escorte. Letizia refuse de photographier la mort mais elle fait le magnifique portrait de l’épouse d’un des agents, Rosaria Costa Schifani , entre ombre et lumière. Une femme brisée qui dit « Ils ne changeront pas, y’a pas d’amour. » Letizia traverse une phase de dépression, quitte Palerme, part au Groenland. Puis, de retour à Palerme, elle voit que la société civile se réveille, surtout les femmes qui créent le comité des « draps blancs ». Avec des amies militantes, elles lancent un journal consacré aux femmes, Mezzocielo. Letizia, qui a souvent rêvé d’effacer ses photos des années de sang pour faire disparaitre la souillure, décide de les retravailler en quelque chose de différent. Elle les plonge dans la mer pour « laver le sang », des photos qu’elle appelle « réélaboration ». « J’ai passé des années à me battre pour ma ville. Mon corps n’est plus aussi fort qu’avant mais la vieillesse est une saison merveilleuse. Je travaille beaucoup mais si je m’arrête, je meurs et moi, je veux mourir debout ! »
C’est arrivé le 13 avril 2022. Les photos sont toujours là, nous rappelant les années terribles qu’a connues Palerme, nous donnant à voir ses habitants vus par l’œil hors du commun et plein d’humanité de cette femme extraordinaire toujours debout, qui répétait à sa petite fille « Si tu veux quelque chose, bats -toi pour l’avoir ! »
Le documentaire de Cecilia Allegra nous permet de l’approcher et de (re) découvrir plus d’une trentaine de ses photos qui ne laissent personne indifférent.
Annie Gava
Le Primed du 30 novembre au 6 décembre 2025
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