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C’est toujours La première fois !

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L'équipe du festival La Première fois en 2023 © Samy Ait Chikh

Cela fait maintenant 15 ans que l’équipe du festival La Première fois, engagée et pleine d’énergie, nous propose des premiers gestes de cinéma. Quinze premiers films documentaires, courts, moyens et longs métrages avec, comme chaque année, un·e  invité·e d’honneur. En 2024, c’est la cinéaste camerounaise Rosine Mbakam qui est à l’honneur. On pourra voir son premier long-métrage documentaire Les deux visages d’une femme Bamiléké (2016) et, en ouverture le 12 mars à 20 h au cinéma Les Variétés, son dernier opus, le très beau Mambar Pierrette (https://journalzebuline.fr/une-femme-courage/) Elle animera une master class le lendemain à La Baleine, suivie de la projection de son documentaire.

Ukraine, Chine, Rwanda…

Le festival se poursuit au Vidéodrome 2 avec une quinzaine de films, en présence des jeunes cinéastes. Des documentaires qui nous emmènent ailleurs, dans des pays qui ont connu la guerre ou la vivent encore comme Fleurs d’épine ; Olga Stuga  filme sa famille dans un village à l’ouest de l’Ukraine en 2017, entre les deux invasions russes. Au Rwanda où Kumva- ce qui vient  du silence de Sarah Mallégol nous fait rencontrer des trentenaires, enfants au moment du génocide des Tutsis de 1994, qui luttent avec leurs souvenirs d’enfance empreints de désolation et de violence. Ou en Colombie où retourne Sergio Guataquira Sarmiento pour réaliser un film, Adieu sauvage, sur une épidémie de suicides dans les communautés amérindiennes et renouer ainsi avec ses racines. Ou encore en Chine où Qian Han entremêle le  parcours de sa grand-mère, immigrée de première génération à Wuhan avec celui de la petite fleur bleue qui adonné son titre au film, Veronica persica.

On rencontrera Miloud Chabane, un poète slameur, qui vit au Mirail à Toulouse, dans Miloud fait de la résistance de Milo Maigne. Nous saurons ce qu’est un muanapoto dans le film de Chirss Itoua ; dans Favula, Elyes Jerididi lance une missive à sa mère ; et dans Les Initiés, Colas Gorce se demande si l’on peut manger les animaux que l’on aime… 

ANNIE GAVA

La première fois
Du 12 au 16 mars
Aux Variétés, Vidéodrome 2, La Baleine
Marseille

Toutes de queer vêtues

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Johanne © Julie Folly

C’est Marion Sage qui ouvrira le bal avec sa conférence-performance Jum’s, développée à partir du numéro de cabaret Le cheval de Fiacre de la danseuse Julia Marcus. Marion Sage a consacré sa thèse à son travail, un numéro créé en France en 1939, alors qu’elle était exilée communiste du IIIe Reich. La performance de Marion Sage a aussi été inspirée par ses expériences en Galicie, où les chevaux vivent à l’état sauvage. Jouant avec l’art du montage, combinant bruits de sabot et archives de l’histoire de la danse, l’artiste fait émerger la figure du cheval – ou plutôt de la jument – et s’interroge sur notre relation à cet animal, d’un point de vue mythologique comme social et politique. 

Accompagnée de trois musiciennes, Maud Pizon investira ensuite la scène avec sa création Cover, un spectacle qui interroge sur le principe de reprise en danse. Pourquoi devrait-on suivre à la lettre les volontés du chorégraphe original, au lieu de prendre des libertés, comme le font les musicien·ne·s quand iels reprennent des morceaux ? Partant d’un corpus de soli dansés, elle expérimente ces possibilités… Un concert du groupe My Imaginary Love viendra finalement clore la soirée, prouvant que les femmes aussi savent jouer du rock indé. 

Place au +

À partir du 14 mars la programmation reste tout aussi féministe, mais s’affirme plus queer, tendance trans. Dans Circé, Mathieu Hocquemiller met en scène quatre corps aux prises avec la déesse de la transformation et de l’hybridation. Il accompagne aussi Violette Guillarme dans son Abîme, une autobiographie féministe où il est question de violence et de réparation.

Le 16 mars la compagnie Essevesse fait danser les Trans et Max Fossati s’interroge sur la filiation masculine. Puis les huit interprètes de Volmir Cordeiro feront exploser leur diversité  au son d’un soubassophone tout à fait brésilien, à la recherche d’un Abri joyeux pour leurs corps exclus des normes patriarcales.

Le 19 mars Baptiste Cazaux cherchera un Break dans la scansion électro tandis que Melissa Guex fera exploser Raiponce, cette princesse enfermée qui attend un charmant pour sa délivrance. Et si elle avait attendu jusqu’à ce qu’elle soit rance et chauve, cette Rapunzel ? 

+ de genre se poursuivra avec Amour .h (le 22 mars) quatuor masculin qui explore la relation amoureuse gay de Gaël Rougegray, puis un duo de Sylvain Riéjou, Je badine avec l’amour, où comment un homme gay perçoit les sempiternelles représentations hétéro du couple amoureux.

Enfin I’ll lick the fog of your skin, installation interactive d’Emmanuel Guillaud, invitera à se perdre dans une forêt de désirs interdits (le 26 mars) tandis que la soirée de clôture (le 29 mars) proposera deux événements : la relecture féministe, queer et racisée de l’histoire de la révolution par Hortense Belhôte ; puis celle de Johanne, plongée vibrante dans l’intimité des corps non binaires enfin libres de leur sensualité : Appetite for the depths, c’est dans les profondeurs des voyages intime que se révèle, souvent, la justesse du sentiment esthétique. 

CHLOÉ MACAIRE ET AGNÈS FRESCHEL

+ de genres
Du 8 au 29 mars
Klap, Maison pour la danse, Marseille
kelemenis.fr

OCCITANIE : À défaut de prendre Racine

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L’affiche est alléchante : les mots de Racine incarnés par Isabelle Huppert. Un dramaturge classique de référence et une comédienne iconique à l’élégance doucement raffinée. On connaît la tragédie de Racine dans laquelle Bérénice, reine de Judée, se trouve répudiée par son amoureux, Titus, une fois que ce dernier a été sacré empereur romain. Comme toujours, les histoires d’amour finissent mal, surtout quand la question du pouvoir s’en mêle.

Tout serait donc sans surprise ? Au contraire. Il faut compter sur Roméo Castellucci, son art théâtral, total et sans compromis, qui le fait parcourir le monde, chambouler son public, marquer les esprits. Pour ceux qui voulaient du Racine au mot près, c’est perdu d’avance. Puristes, passez votre chemin. 

Œuvre monstrueuse

C’est la Bérénice de Castelluci « d’après Racine » que l’on découvre sur scène dans un décor aussi sombre que minimaliste. Bérénice, ou plutôt Isabelle Huppert, apparition en somptueuse robe Iris Van Herpen au plissé antique fantasmé, un diadème posé sur sa chevelure feu, à la fois actrice et reine, comédienne et personnage. 

Sa voix n’est pas celle que l’on attend. Elle est froide, mécanique, pleine d’écho, tunée comme celle d’un mauvais rappeur, temporairement désagréable. Les mots du poème tragique de Racine, oeuvre monstrueuse de 1506 alexandrins, ont été réduits aux répliques de Bérénice, et quelques phrases qui s’affichent en arrière-plan, dont on ne nous dit pas exactement à qui les attribuer, sans doute Titus, peut-être un autre. Peu importe. Ce que dit cette femme sur le point d’être abandonnée n’est pas ce qu’ils ressassent en boucle. Elle dit plus, bien plus. Quand le coeur est traumatisé, les mots prennent corps à défaut de prendre Racine, deviennent vibrations, tremblements d’âme. 

Dans les abysses du malheur

Entourée de personnages masculins fantasmagoriques et silencieux, cette femme dont on ne sait plus si elle est Bérénice ou Isabelle, use d’une langue abstraite pour tenter de parler d’amour contrarié, de fatalité incohérente, de ce que nous faisons et de ce que nous laissons faire. La tragédie devient hérétique et le langage se met à nu. Sommes-nous face à une femme blessée, dans son corps, dans sa tête ? 

Musical, sonore, déroutant, le son de Scott Gibbons entraîne dans les abysses du malheur, entre révolte, colère et chagrin. Tentée par le désespoir à n’en pas trouver les mots, Isabelle Huppert ressurgit avec rage, secoue le spectateur jusqu’à lui donner la chair de poule….

Reste cette émotion intense, ce frisson dramatique incontrôlable et cathartique que le metteur en scène italien a manigancé pour nous dès le début, usant d’inconfort visuel et auditif pour nous ensevelir sous les couches multiples d’un théâtre plastique et sonore. Les applaudissements sont timides, ceux qui sont venus voir Racine sont déçus et le font entendre, ceux qui sont venus voir Castelluci et Huppert sont ravis. Isabelle, elle, est majestueuse, belle comme une déesse des profondeurs. 

ALICE ROLLAND

Bérénice a été créé au Domaine d’O, Montpellier, du 23 au 25 février
Une production de la Cité européenne du théâtre, du Domaine d’O et de la Societas Romeo Castellucci 
À venir
Théâtre de la Ville de Paris
du 5 au 28 mars

Quelques figures de la poésie à Marseille 

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Roxana Hashemi © Aliona Gloukhova

Tout au fond de la Friche, collée aux voies ferrées, il y a la Villa des auteurs. C’est ici que travaille Roxana Hashemi, en tant que chargée de relations avec les auteurs et les publics pour La Marelle, lieu de création littéraire accueillant des artistes en résidence. Après un service civique en médiation, elle a intégré la petite équipe et participe activement au choix des prochains artistes que la structure hébergera. Ce travail de recherche, Roxana l’effectue aussi dans le cadre de la deuxième fonction qu’elle exerce, celle de co-directrice de la revue Muscle. « C’est une revue de poésie au principe simple. Il s’agit d’une longue feuille de papier qui est pliée en forme de leporello avec deux auteur·ice·s par numéro », explique-t-elle. Avec Laura Vasquez la fondatrice de Muscle, lauréate du prix Goncourt de la poésie 2023, Roxana Hashemi traduit de nombreux artistes et le périodique ne reste pas cantonné aux seul·e·s poètes d’expression française. Dans la même logique d’éclectisme, la revue poétique publie aussi bien des personnes connues que méconnues. Les artistes marseillais et de la région y sont fortement représentés, bien qu’il ne s’agisse pas d’un choix conscient d’après elle. « Les découvertes se font beaucoup par rencontres et c’est peut-être pour ça que celles-ci se font plus naturellement à Marseille qui est un des lieux importants en poésie. Il y a un truc avec la poésie ici, grâce au Cipm notamment, qui n’existe pas comme ça ailleurs », analyse-t-elle. 

Le Cipm, un lieu unique   

Le Centre international de poésie de Marseille a été fondé par la Ville en 1990 et se situe dans le Centre de la Vieille Charité. Cette institution au service de la poésie contemporaine dont le point névralgique est sa bibliothèque gratuite et en accès libre, propose une programmation de rencontres, d’ateliers, d’expositions et édite tout au long de l’année. « Nous avons l’un des fonds de poésie les plus importants d’Europe », indique Giula Camin sa bibliothécaire. Elle est la première femme et bibliothécaire de formation à gérer cet endroit, aux côtés de la documentaliste Cassandre Pépin. Pour Giulia Camin, c’est indéniable, le fait qu’un tel lieu soit né à Marseille n’est pas un hasard. « Cela s’explique par la présence vivante d’éditeurs, de poètes et de revues, ici et dans les alentours. Le centre transmet des poésies vues de Marseille, qu’elles soient françaises, européennes ou mondiales », avance-t-elle. « C’est un choix politique de ne pas fonder un tel centre à Paris, cela décentralise une vision de la poésie », ajoute la bibliothécaire. Interrogée sur le manque de visibilité et le caractère souterrain du Cipm, elle voit du mieux depuis l’arrivée de Michaël Batalla à la direction en 2019. Si ce dernier reconnaît que la communication du Cipm n’a pas toujours été efficace, le directeur pointe aussi du doigt la mauvaise foi de la presse qui saurait pertinemment que le lieu existe, mais ne viendrait pas assez. « C’est facile de parler d’entre-soi et d’élitisme si on ne vient pas », ironise-t-il. D’après le directeur du Cipm il y a derrière la critique de l’élitisme un reproche plus global à trouver. « Cela dérange qu’il y ait quelque chose d’ordre professionnel dans la poésie », affirme le directeur. Cette défense d’une poésie professionnelle ne s’oppose pas à l’existence de la spontanéité amatrice, qui constitue un vivier bienvenu pour l’institution littéraire. Ce qui compte, c’est que les différents acteurs de la poésie phocéenne, avec leurs différentes approches, collaborent. Et à voir les partenariats entre la Marelle, la librairie Zoème, le Cipm et d’autres, force est de constater que des passerelles existent déjà. Des projets qui perdureront si la création est au rendez-vous. « On a de la chance d’avoir des bons poètes à Marseille », se réjouit à ce sujet Giulia Camin. 

Qu’est-ce que la poésie pour vous ? 
Roxana Hashemi : « La poésie est peut-être une forme de condensation, d’intensification de quelque chose, une écriture qui fonctionne plus encore que d’autres écritures, par silences, par choses qui ne sont pas explicites »
Michaël Batalla : « La poésie c’est le contraire de la matière première »
Giula Camin : « La poésie se trouve du côté de l’implicite, c’est un acte de résistance au vandalisme langagier »
Luz Volckmann : « En écrire a toujours été synonyme d’échappatoire, de construction de nouvelles manières de sentir »

« Ne pas faire de la poésie bourgeoise » 

Luz Volckmann habite depuis 5 ans à Marseille. L’écrivaine et poétesse a publié deux livres en 2020 et 2021 aux éditions Blast, une maison d’édition toulousaine. Le premier, Les Chants du placard, est plutôt un recueil de nouvelles, tandis que le second Aller la rivière s’apparente plus à de la poésie. Luz Volckmann écrit actuellement un roman qu’elle projette de nommer Les Eternelles, un projet dans lequel la poésie ne sera pas absente, loin de là. La poétesse a pour modèle Jean Genet qui chargeait poétiquement tous ses écrits. « J’ai envie de raconter des histoires, c’est là où je me dirige, mais ma technique pour cela c’est la poésie », explicite-t-elle. La poétesse est trans, féministe, militante et elle entend l’exprimer dans ses écrits, dans un but de visibilisation et de représentation. « Des écrivaines trans francophones publiées, j’en ai seulement quatre en tête… L’accès à la publication pour nous est un challenge politique », observe-t-elle. La politisation de l’artiste est antérieure à la publication de ses œuvres, elle qui a fréquenté les cercles antifascistes avant les cercles de poésie. Elle développe aussi une approche intersectionnelle, où la question de la transidentité et du féminisme est indissociable de la question de classe. « Ce que j’aimerais faire avec Les Eternelles c’est suivre plusieurs personnages trans sur plusieurs années, dans des milieux de grosse précarité, qui galèrent, qui sont confrontés à la violence, la mort. En allant développer ce genre d’histoire, c’est aussi une manière de ne pas faire de la poésie bourgeoise », projette l’écrivaine. Elle qui a déjà collaboré avec la revue Muscle prévoit de nombreuses choses en dehors de son roman, notamment avec le collectif Offense, une compagnie d’art vivant pluridisciplinaire. Il existe une sempiternelle rengaine reprise par les poètes eux-mêmes, de Du Bellay à nos jours, consistant à dire que la poésie serait en danger. Pourtant il suffit de se pencher un peu sur Marseille pour voir que si danger il y a, la poésie résiste bien.

RENAUD GUISSANI 

L’air(e) du saxophone

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« Aria est à la fois le souffle, celui du saxophone, et l’air d’opéra ». Tineke Postma rappelle l’émotion puissante ressentie lors de sa première écoute de Maria Callas à l’âge de dix ans. L’intensité musicale est restée le sel de l’univers musical de la musicienne. « Respirer même et surtout quand nous nous sentons envahis par le négatif, nous permet de nous reconnecter à nous-mêmes et au monde, à l’humanité », poursuit-elle. La musique appartient à tous et, en leader subtil, Tineke Postma offre à ses musiciens, David Doruzka (guitare), Robert Landfermann (contrebasse) et Tristan Renfrow (batterie) des partitions profondes, aériennes, dont les volutes mélodiques laissent la place à de géniales improvisations interprétées en solos ébouriffants ou ensembles inspirés. La musique se fait narrative : s’esquissent une Idyll for Ellemis ou une perspective de douceur avec Leaning into the afternoon. La musicienne précise qui est le personnage de la divinité Hestia, déesse du foyer célébrée par Hymn for Hestia. Les histoires courent sous les notes, s’étoffent du grain des songes, s’évadent en une cascade rêveuse. Les tempi se plient au souffle du récit, modulent les accentuations, soutiennent les attentes, s’emportent dans l’extase d’harmonies retrouvées. La construction subtilement équilibrée des pièces renoue avec un classicisme lyrique, comme dans le sublime The sky is everywhere. Envoûtements délicats, onirisme… la beauté ne fait pas oublier le monde mais nous y convie, évoque la figure de la militante Angela Davis, emprisonnée à tort et qui malgré tout a persisté dans ses luttes et les a ancrées dans la réflexion sur ce que nous voulons pour notre Terre. Les méditations planantes sont emplies de liberté. Temps suspendu…

MARYVONNE COLOMBANI

Tineke Postma s’est produite le 24 février au Moulin à Jazz, Vitrolles.
Aria est paru en mai 2023 chez Edition

Affamons le peuple et préparons-nous au RN

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Le 21 février le gouvernement annulait par décret 10 milliards de dépenses de l’État sur le budget 2024. La raison ? Une croissance inférieure aux prévisions. Effectivement, on constate une croissance 2023 à 0,8% au lieu du prévisionnel de 0,9%. 

Pour retrouver le sacro-saint équilibre, le gouvernement pourrait choisir de rétablir l’ISF qu’Emmanuel Macron a supprimé dès 2018, occasionnant une perte nette de 4,5 milliards d’euros annuels de recettes fiscales. Il pourrait aussi, au-delà de la répression de la fraude fiscale des particuliers, prendre des mesures contre l’évasion fiscale des entreprises et des milliardaires français estimée, au bas mot, à 60 milliards d’euros annuels. Bref, il pourrait en appeler à la solidarité nationale des 10% des Français les plus riches, qui possèdent plus de 50% des richesses, soit 163 fois plus que les 10% les plus pauvres. Et relancer la consommation des pauvres, et donc les recettes de TVA, par une hausse des allocations  chômage, handicap, logement, des bourses des étudiants, des revenus minimaux…

Idéaliste ? Utopiste ? Chimérique ? Ceux qui prônent ce cercle vertueux fondé sur une meilleure répartition des richesses dans un pays immensément riche sont accueillis par un sourire condescendant, un sourire de classe : l’État libéral a renoncé à son rôle régulateur. 

Plus besoin des pauvres

Le capitalisme avait besoin du pauvre pour travailler, le libéralisme pour consommer. Le néolibéralisme d’État prend acte de sa foncière inutilité : ce ne sont pas les pauvres qui redressent le PIB, ils dépensent trop peu et préfèrent manger malsain des produits de première nécessité. Les appauvrir encore n’endettera pas la France, dont l’économie repose sur les industries du luxe. 

Peu importe que ce soit immoral, et contraire aux principes de notre République. Le gouvernement Attal choisit de mettre à bas ce qui permet aux Français de faire société, d’envisager l’avenir. Au lieu de lutter contre une pauvreté croissante, il décide, cyniquement, de faire payer les pauvres. 

Il vous faut lire la liste infâme

Chacun des chiffres du décret est une insulte à l’avenir. 

660 millions en moins pour l’accès au logement et l’amélioration de l’habitat ; 49 millions en moins pour la politique de la ville ; 175 millions en moins pour l’intégration et l’asile ; 307 millionssoustraits à la solidarité et l’égalité des chances, dont 230 millions au handicap et à la dépendance ; 180 millions en moins pour la jeunesse et la vie associative ; 327 millions en moins pour la justice ; 691 millions en moins pour l’enseignement primaire et secondaire ; 904 millionsen moins pour l’enseignement supérieur et la recherche.

Enfin, cerise atomique sur un gâteau indigeste, le gouvernement ponctionne 1,5 milliard à la transition écologique, au climat et à la biodiversité ; et, évidemment, 1,1 milliardà l’emploi.

Envahir les imaginaires

Quant à la culture, qui permet de penser l’avenir et de jouir du présent, c’est elle qui, en pourcentage, paye le plus lourd tribut :204 millions en moins, dont 95 millions pourla création. Les collectivités locales, qui voient aussi leurs subsides baisser, ne pourront en aucun cas compenser ce désengagement massif, qui va mettre en faillite les établissements labellisés de province, qui, parions-le, seront plus impactés que les opéras parisiens.

Mais rassurez-vous, Hermès, Louis Vuitton, L’Oréal, Dior et Chanel se portent mieux que jamais. Au fond, n’est-ce pas eux, la culture française ? Hachette aussi va bien, aux mains de Bolloré comme nombre de médias privés, que la baisse de 20 millions sur l’audiovisuel public ne peut que réjouir.

L’extrême droite sait bien que la maîtrise des médias, des images, des récits nationaux est décisive pour conquérir le pouvoir. Le gouvernement lui offre sur un plateau la désespérance du peuple.1 français sur 6 aujourd’hui ne mange pas à sa faim, 1 sur 5 vit en dessous du seuil de pauvreté. Les conditions sont réunies pour qu’ils rejettent un gouvernement qui les affame obstinément, et vote pour la seule opposition qui s’exprime sur les canaux de grande écoute.

AGNÈS FRESCHEL

Berlin célèbre la résistance au féminin

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#Frederic Batier/Pandora Film

Berlin est une ville où l’histoire tragique du XXe siècle pèse plus fort qu’ailleurs. Elle a incarné au cœur de l’Europe la séparation des blocs Est/Ouest et les mémoriaux actuels que scolaires et touristes visitent, rappellent ce dont sont capables les dictatures brunes ou rouges. La Berlinale propose fréquemment des drames historiques qui font revivre cette sombre période. Cette année encore, deux films nous y ramenaient à travers la véritable histoire de deux femmes que rien ne prédestinait à l’héroïsme mais qui, par amour ou fidélité à leurs valeurs n’ont pas tremblé devant les bourreaux.

Marie

Le Silence de Marie du réalisateur Davis Simanis, raconte le destin de Maria Leiko. Comédienne née à Riga en Lettonie, elle a été adulée dans son pays mais aussi en Russie et en Allemagne qu’elle a fui à l’arrivée des nazis. Le Silence de Marie commence en 1937. Maria se rend à Moscou pour reconnaître le cadavre de sa fille et récupérer sa petite-fille encore bébé. C’est une star qui semble intouchable. Un trophée pour le régime soviétique. On la convainc de rester à Moscou, de se joindre à la troupe du théâtre letton Skatuve. Très vite, elle est témoin des exactions de la NKVD. Il s’agit entre autres d’éliminer les camarades lettons, en les accusant tour à tour d’être des fascistes, des saboteurs, des espions. Que faire quand la mauvaise foi est armée et sans pitié ? Sinon continuer à jouer coûte que coûte, contourner la censure tant que c’est possible, opposer son art à la brutalité et à la bêtise. Piégée, surveillée, soumise au chantage quand on enlève sa petite fille, Maria sera arrêtée, torturée, sommée d’accuser ses collègues. Que faire ? Sinon se taire, ne pas devenir aussi indignes que les bourreaux.

Ni la femme élégante, fourrure blanche sur les épaules, ni la comédienne drapée de voiles à la danse très éloignée des canons du réalisme socialiste ni la prisonnière dépouillée de ses atours, ni la condamnée ne renonceront au théâtre, ultime acte de résistance. C’est Olga Sepicka qui incarne avec force Maria dans ce film modeste, de facture classique, à la palette sombre, qui résonne très fort dans le contexte de la guerre d’annexion conduite par Poutine.

Hilde

From Hilde with love d’Andreas Dresen, fait revivre Hilde Coppi, membre du groupe communiste allemand Orchestre Rouge. Arrêtée comme son compagnon en 1942, alors qu’elle était enceinte, guillotinée en 1943 avec ses camarades de lutte, elle a laissé un fils né en prison, qui n’eut de cesse de garder la mémoire de ses parents, et dont on entend la voix à la fin du film. Pas de croix gammées, de coups de feu, de séances insoutenables de torture. Pas plus que d’actes de sabotage pyrotechniques spectaculaires dans ce film d’une incroyable douceur. Le réalisateur évoque un été radieux, la rencontre amoureuse d’Hilde et de Hans Coppi, les baignades et les pique-niques des jeunes résistants au bord de l’eau, l’exultation des corps comme une véritable ode à la Vie. Images saturées de soleil qui reviendront en flash back alors qu’Hilde de sa prison n’aperçoit qu’un bout de ciel. En alternance, espaces ouverts de liberté et espaces fermés (ceux pour l’amour et la clandestinité puis pour la mort).

Le réalisateur dit avoir voulu s’éloigner des stéréotypes héroïques qui lui étaient proposés dans la RDA de son enfance, rendant perversement inaccessible au commun des mortels toute rébellion. Il montre comment la résistance à la monstruosité du Troisième Reich passe par de petits actes : une femme qui cache un document dangereux en s’asseyant dessus, une infirmière qui s’oppose à un docteur-boucher, une matonne qui infléchit les règles pour aider Hilde.

Incarnée par Liv Lisa Fries – l’inoubliable Charlotte Ritter de la série Babylon Berlin -, Hilde est une fille sage, discrète, au look de gouvernante avec sa tenue convenable et ses lunettes rondes. Une fille bien élevée même quand la Gestapo l’interroge. C’est par amour pour Hans qu’elle rejoint le réseau d’activistes et met sa subtilité au service de leur lutte anti-nazie, apprend le morse, envoie des messages aux Soviétiques, écoute les émissions de Radio Moscou pour transmettre aux familles des nouvelles des prisonniers allemands, colle des affiches. Liv excelle à traduire par ses gestes et postures, la vulnérabilité de cette femme et cette force intérieure, « cette boussole » comme dit le réalisateur qui lui indique ce qui est juste de faire. De Hilde avec amour, les derniers mots d’une dernière lettre de Hilde Coppi, repris par le titre du film semblent s’adresser tout aussi bien à sa mère et à son fils, qu’à nous qui voyons 80 ans plus tard, la résurgence décomplexée des mouvements fascistes.

ÉLISE PADOVANI

À Berlin

Le Silence de Marie, de Davis Simanis

From Hilde with love, d’Andreas Dresen

« Blue Giant », des bulles de jazz

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Copyright Eurozoom

Pour les amateurs de mangas, Blue Giant de Shinichi Ishizuka est une saga en dix tomes suivie des onze volumes de Blue Giant Supreme puis de ceux de Blue Giant Explorer. L’auteur y raconte le parcours de Dai Miyamato, un élève de terminale touché par le jazz comme par la grâce et bien déterminé à devenir le plus grand saxophoniste du monde. C’est un jeune homme « méritant », acharné, s’entraînant sans relâche. Il quitte sa ville de province, son équipe de baskets, son père et sa petite sœur pour chercher la consécration à Tokyo. Après avoir surmonté les difficultés de celui « qui se voit en haut de l’affiche », par la force de sa pureté, communiquant aux autres son énergie inépuisable et sa foi indestructible, il formera le trio Jass. À la batterie, son copain Tamada qu’il a converti à sa passion. Au piano, l’élégant Yukinori rencontré dans un club tokyoïte. Rompant le silence du papier, le réalisateur japonais d’ « anime » de 42 ans, Yuzuru Tachikawa, à l’occasion du centenaire de la Maison d’édition Shogakukan, sur des compositions de la pianiste compositrice Hiromi Uehara, condense les 10 tomes de Maître Ishizuka en deux heures et les porte à l’écran.

Tout se joue

Le scénario reste fidèle à l’histoire un peu lisse, conforme aux codes du genre, et à l’invraisemblable rapidité d’apprentissage des jeunes gens, doublés ici par de grands interprètes Hiromi Uehara pour Yukinori, Shun Ishiwaka pour Tamada et Tomoaki Baba pour Dai. Centré sur le rêve fou de ce dernier et sur l’ascension progressive du groupe, le film ne développe aucune intrigue secondaire et encore moins amoureuse. Des souvenirs s’accrochent parfois aux notes. Nourrissant la musique, d’enfance, de joies, de peines. En décor de fond, l’urbanité de la Capitale, sa scène jazz nocturne et le mythique Blue Note, rebaptisé So Blue. On retrouve les cadrages ciné très présents dans tous les mangas. Des plans zénitaux très larges aux macros des gouttes de sueur perlant au front des concertistes, Blue Giant crée un effet d’aspiration vers la scène où – sans jeu de mots, tout se joue. Bleus et rouges, en balance. Bleus et ors. Ombres dansées. Le film flambe dans les solos et les impros, où chacun donne tout, de ses doigts, de son souffle, de son cœur, de son âme. Car on le sait, et quelques poncifs égrenés le rappellent, la musique, ce n’est pas seulement des notes. Sinon à quoi bon ? Une des séquences les plus émouvantes du film, montre Yukinori jouant du piano d’une seule main, découvrant comme Miles Davis qu’il ne sert à rien de « jouer beaucoup de notes alors qu’il suffit de choisir les meilleures ».  

En guest star de cette animation, le saxo ténor de Dai. Spectaculaire dans l’enroulement étincelant de son tube de métal. Légendaire puisque lié, entre autres, à John Coltrane et Sonny  Rollins. Capable d’interpréter, comme la voix humaine – dont on le rapproche, l’infinie partition des émotions. Du feulement au cri. Un instrument du souffle. Celui qui se coupe par le froid de l’hiver alors que le jeune Dai répète près de la rivière, celui qui se libère en concert, celui qui donne « l’anima » au dessin. Privilégiant les live musicaux, liant, avec virtuosité, lumière et son, déformant l’espace et les lignes – du crayonné nerveux au maelstrom polychrome psychédélique, le réalisateur restitue l’énergie folle des jeunes protagonistes et nous offre un très beau moment de communion.

ÉLISE PADOVANI

Blue giant, de Yuzuru Tachikawara

En salles le 6 mars

A bas le patriarcat, inchallah !

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@pyramide films

Plan d’ensemble d’un quartier de Amman. Petits immeubles de béton gris ; profusion de fils électriques ; terrain vague. La caméra se resserre sur un soutien gorge rose accroché à des branchages. Une femme derrière une fenêtre grillée cherche à le récupérer sans se faire voir avec un balai. Première séquence surprenante : glissement du général au particulier, intrusion incongrue d’un objet intime sur la voie publique comme une transgression involontaire. Le cinéaste l’affirme : son film racontera « une histoire de survie, d’émancipation, d’espoir contre la domination d’un patriarcat oppressif »

Nawal, trentenaire, mère d’une fillette, perd brutalement son mari. En l’absence de fils, les biens du couple, maison, et pick-up acheté à crédit, reviennent de droit à la famille du défunt. Qu’importe si Nawal a participé à leur acquisition par sa dot et son salaire d’aide-soignante. Qu’importe si elle se retrouve sans toit, si Rufqi (Haitham Omari) l’oncle paternel lui enlève sa fille : « quand une femme perd son mari, elle perd tout » lui rappelle une des femmes en tchador – semblable à un agent de la police des mœurs iranienne. Elle n’oublie pas au passage de lui lister les interdits liés à son nouveau statut. Mais Nawal qu’on aimerait soumise à son destin, donnant le bon exemple à sa fille, va se rebeller. D’abord en douceur, sans élever la voix, puis de plus en plus violemment, à mesure que les injustices se dressent devant elle. Abandonnée par un frère lâche et veule, harcelée par un beau-frère cupide.

Chrétiens, musulmans : mêmes coups bas

Le film d’une veine farhadienne, inspiré par le vécu des Jordaniennes, soignant le naturel des dialogues (co-écrits par deux femmes, Rula Nasser et Delphine Agut), devient alors un suspense au rythme soutenu, une course contre la montre et une descente aux enfers pour l’héroïne superbement interprétée par la Palestinienne Mouna Hawa. Le réalisateur  privilégie les lieux clos, refuges ou prisons. La maison de Nawal aux pièces exiguës, dans un quartier populaire où tout le monde surveille l’autre. La maison bourgeoise des quartiers Ouest où Nawal s’occupe d’une grand-mère impotente, subit le mépris de classe de sa patronne et la mauvaise humeur de sa fille Lauren (Yumna Marwan). Deux mondes en opposition et en écho.

La riche famille chrétienne dont on ne voit que les femmes, sur trois générations – grand-mère, mère et fille – et la famille musulmane de Nawal, partagent les mêmes lois « tordues ». Lauren ne peut pas divorcer d’un mari infidèle qu’elle n’aime plus, ne peut pas avorter d’un enfant qu’elle ne désire pas. Malgré son argent et ses cheveux au vent, elle n’est pas plus libre que Nawal. L’une ne veut pas enfanter, l’autre a besoin d’enfanter. Aucune ne possède vraiment son corps. Leur complicité de circonstance ne peut être amitié mais elles sont toutes deux, les victimes de règles patriarcales soutenues par la justice religieuse et gouvernementale, admises comme une normalité. Des règles intériorisées par les femmes elles-mêmes qui les transmettent. La liberté au féminin c’est haram ! En revanche, tolérer l’infidélité et la violence des maris, la spoliation d’un beau-frère cupide, tout supporter sans faire de vagues, c’est s’en remettre à la volonté divine, invoquée à tout bout de champ.  

En jouant la montre pour retarder son expulsion, Nawal goûte à des victoires fragiles et provisoires – dont, et ce n’est pas la moindre, apprendre à conduire avec un kiné amoureux. Comme le réalisateur, elle donne quelques coups de griffes au système, sans entamer son pouvoir de nuisance. Car au bout du compte c’est bien Allah qui décidera si Nawal peut avoir un fils et garder son héritage. Inchallah !

ÉLISE PADOVANI

Inchallah un fils, de Amjad Al Rasheed

Festival de Cannes 2023, Semaine de la Critique, Prix Fondation Gan à la diffusion

En salles le 6 mars

« Shikun »,un rhinocéros dans la tour de Babel

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Copyright Epicentre Films

65 ans après sa création en 1959, à l’heure de la montée en puissance de nouveaux fascismes décomplexés, à l’heure où des bras se lèvent à l’unisson dans des foules uniformes, plus que jamais, la pièce du dramaturge franco-roumain, semble pertinente. C’est cette pièce-là, décrivant par l’absurde et la métaphore l’avènement du totalitarisme, que le cinéaste-plasticien-metteur en scène-architecte, Amos Gitaï choisit de placer au centre de son dernier long-métrage : Shikun. Réalisé avant le 7 octobre, ce film est né dans le contexte des manifestations contre le gouvernement d’extrême-droite de Netanyahou. Groupes féministes, soldats, pacifistes militant pour la coexistence israélo-arabe, unis dans une réaction non seulement, contre les réformes anti-démocratiques mais encore contre l’étouffement de tout esprit critique.

Une dialectique sensible

Un Shikun est un logement social. Celui dans lequel est tourné le film est un immeuble d’inspiration corbuséenne, de 250 mètres de long, édifié dans la ville de Beer-Sheva au sud d’Israël dans le désert de Néguev. Architecture forte que le réalisateur – admirateur du Bauhaus – utilise pour structurer son récit, figurer une tour de Babel d’après le châtiment divin, où se brouillent les langues. Palestiniens, Israéliens, émigrés ukrainiens, indiens, russes se côtoient au quotidien, interfèrent ou pas. Autour du Shikun, se construisent d’autres immeubles. On les aperçoit depuis le champ théâtral en huis clos délimité par le réalisateur. La caméra parcourt d’interminables couloirs-coursives le long desquels s’ouvrent les portes des appartements. Sur la musique de Louis Sclavis ou celle d’Alexei Kochetkov, cuivres et cordes, elle nous embarque en trottinette au sous-sol, sillonnant d’immenses aires de parking, rythmées par des piliers de béton. Plans séquences, caméra mobile, Amos Gitai chorégraphie avec virtuosité, une circulation incessante dans l’espace commun, joue sur les perspectives, les angles bruts. Sur la continuité et les contiguïtés. Un groupe d’architectes ou de promoteurs, un couple, une fanfare, des militaires, des rabbins, des petites filles… le débat se saisit dans une dialectique sensible : on se glisse dans le flux ou on le traverse à contre-courant. Une comédienne (Irène Jacob) qui semble répéter son rôle, surgit déclamant des extraits du Rhinocéros. Elle danse, court, virevolte, monologue, ou interprète plusieurs personnages à la fois. On s’arrête : un guitariste joue dans le passage, des élèves d’un cours de langue se présentent en hébreu à leur enseignante, une femme chante une vieille chanson… Reprenant un texte d’Amira Hass Nos enfants demanderont, une jeune femme interpelle un vieil homme : « Comment avez-vous pu infliger tant d’injustices durant tant d’années aux Palestiniens ? ». Dans un atelier, une jeune femme (Bahira Ablassi) et un homme fabriquent en silence des cornes de rhinocéros. Dans une antique bibliothèque yiddish, une vieille dame (Hana Laszlo) retrouve le livre que lui avait offert son père – survivant de la Shoah, pour sa bar-mitsvah.

Pense aux autres

À travers les interventions d’Irène Jacob, on suit la progression de la rhinocérite imaginée par Ionesco. La surprise de voir apparaître un rhinocéros (« c’est réel et ça ne devrait pas exister ! ») La frayeur de la contagion puis le déni. La relativisation (« au fond c’est naturel un rhinocéros et on a le droit d’en être un »). Enfin l’adhésion et la normalisation (« c’est beau une bête et c’est tellement plus simple d’être comme tout le monde »). Comme dans la pièce, il ne reste plus qu’une petite voix de résistance, la seule en langage humain portée par le seul rescapé. Une voix qui ne peut plus être entendue par personne : « je ne capitulerai pas ».

C’est Mahmoud Darwich qui aura le dernier mot : « Pense aux autres » nous dit le grand écrivain palestinien : quand tu fais la guerre, règles ta facture d’eau, rentres chez toi, comptes les étoiles… pense à ceux qui réclament la paix, qui tètent les nuages, vivent sous les tentes, ne peuvent rêver, et à tous ceux qui ont perdu le droit à la parole. En Israël, le titre du film d’Amos Gitai est celui d’une chanson qu’on entend dans le film : It’s Not Over Yet (Ce n’est pas fini). Si c’est d’espoir dont il s’agit, puisse-t-il dire vrai !

ÉLISE PADOVANI

Shikun, de Amos Gitaï clôt la trilogie initiée avec Un Tramway à Jérusalem et Laïla in Haifa

En salles le 6 mars

Le film était à la 74è Berlinale, Section Berlinale Special