samedi 26 juillet 2025
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Dans les flashs de Michel Kelemenis

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Versus © Agnès Mellon

Après Coup de grâce, en écho aux attentats du 13 novembre 2015, Légendes, spectacle jeune public sur les enjeux écologiques, 8m3 en réponse au confinement, et Magnifiques, hymne à la jeunesse et à la danse, inspiré par le Magnificat de J.-S. Bach, Versus est la création 2024 de Michel Kelemenis, fondateur et directeur de Klap – Maison pour la danse. Une pièce qui, comme il nous le racontait dans une interview récente [lire sur l’entretien ici], se centre cette fois-ci sur des questions d’ordre purement chorégraphique, se détachant des thématiques d’actualité. Un travail sur la structure même du duo, « duo à quatre corps », et « duo d’aimants, au double sens de ce terme ».

Substitutions

Quatre petits gradins et quelques coussins au sol délimitent un espace central. Les danseurs, deux femmes, deux hommes (Aurore Indaburu, Claire Indaburu, Anthony La Rosa, Max Gomard) s’avancent, pantalons et hauts blancs, pieds nus. Deux par deux, ils déroulent et coupent du scotch blanc, le fixant sur le sol noir, dessinant l’espace de jeu : un carré de cinq mètres de côté. Puis sous une lumière stroboscopique, éclate un flash de danse à toute vitesse, drum and bass hardcore, et s’arrête brutalement. Les interprètes sont ensuite des points dans l’espace, formant des figures géométriques, carré, losanges, cercles. Puis s’observant, soi-même, l’autre, se reniflant, se défiant, se détournant, s’accueillant, s’accouplant, se repoussant. Parmi les différentes figures que la chorégraphie fait naître, des mises en miroir, jouant de substitutions d’interprètes fluides et bluffantes – ou d’artiste-spectateur – douces et souriantes. Des face-à-face également, cherchant le point d’équilibre entre répulsion et attirance magnétiques, le capturant et le maintenant dans des duos dansés à la limite de l’effleurement. Dans une autre séquence, le « duo à quatre corps » se joue entre un·e et trois : échanges de regards tendus, corps trépignants, accumulant une énergie qui explose subitement, traversant l’espace en un éclair, dans un mouvement d’ensemble de corps s’entremêlant. Le scotch blanc est arraché du sol, nouveau flash de drum and bass et de danse, c’est la fin. Donnant l’impression rétrospective d’avoir assisté à un moment suspendu d’une grande intimité.

MARC VOIRY

Versus

Le 21 mars
Théâtre Comoedia, Aubagne

Du 9 au 12 janvier
Klap - Maison pour la Danse, Marseille
kelemenis.fr

13 janvier
Mucem, Marseille
mucem.org

MONTPELLIER : Offenbach, hymne à la Vie 

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© Marc Ginot / OONM

La Vie Parisienne célèbre la capitale française comme l’épicentre cosmopolite d’un monde, coloré, populaire et enivré, un concentré tapageur de la modernité… Christian Lacroix ne pouvait que s’en emparer ! Pour sa première mise en scène lyrique l’artiste fait preuve d’une maturité d’analyse et d’une juvénilité du regard qui surprend à chaque instant de ces 3h30 trop courtes. Et si la version filmée diffusée sur ARTE TV était enthousiasmante, les chœurs et l’orchestre de Montpellier ont donné un relief et un volume inusité à la musique du maître français de l’opéra bouffe et de l’opérette. 

Sous-genre convenu ? Au moment des « fêtes » resurgit avec ce répertoire la prévention de légèreté, de musique convenue et facile, que l’on offrirait, un peu méprisant, en cadeau à ceux qui viennent exceptionnellement à l’opéra, une fois par an, pour applaudir en mesure et reconnaître des tubes d’antan dont ils ont hérité, souvent sans le savoir, des lèvres fredonnantes de leurs parents ou aïeux. Si la question de l’opportunité esthétique se pose clairement avec certains livrets vulgaires et sexistes et certaines partitions aux effets redondants et balourds, Offenbach a écrit des pages merveilleuses, et cette production inédite renoue avec la version de 1866, jamais jouée, qui recèle des petites merveilles vocales et orchestrales. La musique est dont un régal, d’autant que les chanteurs, Florie Valiquette en tête, ont de sacrés brins de voix. 

Sans fausse note ! 

Mais c’est surtout leurs performances d’acteurs qui épatent : ils sont drôles, agiles, pétulants, excessifs, touchants, emportés par un élan commun, un chœur qui les dynamise, des danseurs qui les entrainent dans un mouvement sans relâche et commun. C’est un régal constant pour les yeux, les costumes étant évidemment somptueux de couleurs, de formes et de matières qui osent tout, le décor, dans ses citations modernes voire futuristes, faisant l’apologie d’une société en mouvement, en expansion, où le train, l’ascenseur, les cabarets et hôtels viennent bouleverser l’ordre des salons bourgeois et d’une aristocratie en train de disparaître. 

Car La Vie Parisienne est une critique acerbe de ces gens « du monde » que leurs valets remplacent et dupent allègrement. L’apologie du plaisir, de l’alcool, de la fête et du sexe, sans entrave, bouleverse l’ordre social, et se double d’un éloge permanent de l’étranger et du cosmopolite, qui fonde l’identité parisienne dès le 19e siècle. Un rappel bienvenu en ces temps de loi Immigration… d’autant que Christian Lacroix démine très habilement les passages discutables de l’œuvre. En faisant danser par des hommes la danse de la belle femme qu’on harcèle, en exécutant le french cancan par un mime avec les bras, il libère aussi la femme de l’objectivation dont elle était victime lorsque le plaisir sexuel s’affirmait enfin, mais à ses dépends…

AGNES FRESCHEL

La Vie Parisienne s’est jouée à l’Opéra comédie du 20 décembre 2023 au 4 janvier 2024

SÈTE : Collectionneurs modestes 

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Libres ! double exposition visible au MIAM, jusqu’au 26 mai, prend les Arts modestes du côté des collectionneurs. Dès l’entrée des vidéos font visiter l’appartement de FB/DL, qui accumule sur ses murs, ses étagères, ses meubles, ses sols, des pièces de collection, transformant leur lieu de vie en une galerie habitée et surchargée. La collection repose sur des artistes de la Figuration libre, les Sétois célèbres Hervé di Rosa et Robert Combas en tête, mais ils côtoient modestement des artistes dont la réputation est plus discrète, et des objets d’art tout à fait anonymes, revendiquant une beauté incongrue ou posant simplement là leurs formes, leurs couleurs, leur exotisme souvent. 

La confrontation de ses œuvres reconnues d’art, si modeste soit-il, avec des objets chinés de puces en brocantes, mais surtout chez des antiquaires, dans des galeries et ventes aux enchères, éclaire les unes et les autres : la Figuration libre française, a puisé son énergie vitale dans les artéfacts et figurines, les imageries plus ou moins sacrées ou publicitaires des années 50 à 90, leur accordant par là même une attention et un statut nouveau qui affirmait leur intérêt et leur beauté. 

Classées par les collectionneurs, et par le musée, dans une logique de confrontation de tailles et de thèmes qui ne doit rien à la notoriété de l’auteur, ce sont d’autres œuvres qui surgissent, globales et dialoguant dans un bel esprit d’égalité et d’apologie des marges. Ainsi les toilettes des collectionneurs sont reconstituées, les murs et les tablettes recouverts de pièces majeures d’Hervé di Rosa, et de Combas, crucifix colorés et nain doré au doigt d’honneur allègre qui voisinent avec des amants anonymes et des yeux envolés… 

Un sentiment de voyage vers une incongruité familière qui s’augmente par la confrontation des œuvres et objets vernaculaires français avec des œuvres et objets vernaculaires africains. 

Inconscients macabres, parfois joyeux

Au premier étage du musée brut qui n’oublie pas sa mémoire industrielle, une autre collection. D’une tonalité différente, elle est exposée selon le même principe d’une scénographie accumulative et thématique qui crée des espaces de narration. Mais les pièces collectionnées par MB/JB sont nettement moins solaires, plongeant dans des inconscients collectifs ou individuels plus sombres : les œuvres surréalistes de Felix Labisse et Lucien Coutaud, peintures à la Dali où illustration de livres poétiques à la Cocteau, témoignent d’une période historique plus sombre, d’une figuration onirique plus figée, moins libre de saturer les pigments et d’exploser les toiles, les représentations et les cadres.  

À leurs côtés, établissant un lien entre l’Amérique latine et le surréalisme comme Buñuel devenu mexicain, la collection d’objets votifs sud-américains, marquée par un détournement carnavalesque et démoniaque, fait contrepoint par son humour et renvoie au même inconscient macabre. Mais joyeux !

© Pierre Schwartz

Exhaustivité classifiée 

On peut conclure le voyage par un petit tour dans la collection permanente au second étage : les vitrines folles de Bernard Belluc, cofondateur du MIAM en 2000 avec Hervé di Rosa, accumulent les objets témoins dans une volonté d’exhaustivité et de conservation universelle digne des bibliothèques de Borges. Sans commentaire, elles parlent pourtant mieux qu’une thèse de notre passé, de la séparation des univers des filles et des garçons, ou de l’époque où les marques s’illustraient avec des Y’a bon Banania et biscuits Bamboula. Les Black Men d’Hervé di Rosa, vus au rez-de-chaussée, y retrouvent leur origine, et leur force critique. 

AGNES FRESCHEL

Libres ! Collectionneurs d’arts modestes
Commissariat Françoise Adamsbaum et Norbert Duffon
Jusqu’au 26 mai 
MIAM, Musée international des arts modestes, Sète

Quel avenir pour le Lumière ? 

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© Ville de La Ciotat

Ce Nouvel an à La Ciotat, les traditionnels vœux de bonne année avaient pour certains un goût amer. Plusieurs dizaines de personnes étaient d’ailleurs réunies devant le cinéma Lumière, car le passage en 2024 signifiait aussi la fin de son histoire vieille de 110 ans, lui qui projetait le 31 décembre son dernier film. Une dernière séance qui aurait dû sceller plusieurs années de lutte entre la mairie et les anti-fermetures, réunis notamment par le collectif La Culture, ça Urge !, mais qui ouvre d’autres interrogations quant à l’avenir de la Halle Lumière, promise à devenir un lieu pluridisciplinaire à dominante musicale.

« On a au moins gagné le fait que le lieu reste culturel » se réjouit Régine Douzenel, membre du collectif La Culture ça urge !, dont le mot d’ordre s’est aujourd’hui transformé en « La Concertation, ça urge ! ». Car le budget pour le réaménagement du bâtiment ayant déjà été voté, il reste désormais à savoir comment il sera alloué, d’où l’importance pour elle d’une discussion entre la mairie et le collectif, qui craint que l’ex-cinéma ne soit dévoyé de son caractère public. 

De son côté, l’adjoint au maire en charge du Cinéma Jean-Louis Tixier se veut rassurant, et rappelle que le lieu conservera une salle de projection. « Je suis favorable à ce que la salle du Lumière qui sera gardée reste publique », indique-t-il. Pourtant, le chiffre évoqué de cinq séances par an ne réjouit pas tout le monde : « laisser une salle de projection pour seulement cinq séances par an, c’est juste pour montrer qu’ils restent en lien avec le cinéma », ironise Régine Douzenel. 

A l’appel du collectif La culture ça Urge !, des dizaines de manifestants se sontréunis pour la dernière séance du cinéma, ce 31 décembre 2023 © XDR

D’après elle, il faudrait aller beaucoup plus loin en ouvrant une deuxième salle que l’Éden, l’autre cinéma historique de la ville, pourrait gérer. « Des tas de villes ont des cinémas sur plusieurs sites, pourquoi pas nous ? » s’interroge-t-elle. Questionné à ce sujet, Michel Cornille, le président de l’association qui gère le cinéma de l’Éden, ne se dit pas intéressé par un tel projet. « Le cinéma n’est pas mort à La Ciotat. Nous assumions déjà 95% des films d’art et essais de la ville, nous assumerons les 5% restants dont s’occupait le Lumière », explique-t-il. D’ailleurs l’association devrait bientôt embaucher un·e salarié·e supplémentaire pour subvenir à cette hausse attendue de la fréquentation.  

« Un lieu pluriculturel à dominante musicale »

Pour l’adjointe à la Culture Nathalie Lainé, la musique doit être mise à l’honneur dans l’ex-cinéma. « On voudrait que ce soit un café-concert, mais pas seulement », explique-t-elle. Musique, danse, théâtre, la pluridisciplinarité serait le maître-mot. Lors de la concertation prévue à la fin du mois, artistes, membres d’associations et élus municipaux se réuniront. « Cela n’a pas à être un lieu figé », estime l’adjointe. La mairie n’a pour autant pas entièrement les mains libres quant à l’avenir du lieu, ou du moins sa forme. « On est aussi dépendants de ce que nous autorisera à faire l’assistant à maîtrise d’ouvrage », reconnaît Nathalie Lainé. 

Même si les avis divergent, l’amour pour le septième art à La Ciotat est partagé. Un projet de musée du Cinéma est sur les rails, et la mairie prévoit de créer des sections cinéma dans les écoles et lycées. De son côté, le collectif Culture, ça urge ! promet d’être actif et entreprenant. De quoi suivre avec intérêt la concertation annoncée par le maire Alexandre Doriol.

RENAUD GUISSANI

Jean-Louis Tixier défend la fermeture
Adjoint au maire de La Ciotat en charge du Cinéma, et ancien adjoint à la Culture, Jean-Louis Tixier rappelle que « la fermeture du Lumière est actée depuis plus de dix ans et a été votée à l’unanimité. » Le conseil municipal de l’époque, tous bords politiques confondus, avaitpointé du doigt la rentabilité du cinéma jugée insuffisante:« Il faut une moyenne de 25 personnes par séance pour qu’un cinéma soit rentable, pourtant le Lumière n’en a que six par film », précise-t-il. R.G.

Roman et Histoire

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Yan Lespouxnoir par Julien Lutt

Depuis sa parution à l’automne dernier, Pour mourir, le monde s’est vu saluer avant tout pour sa singularité. Rares sont en effet les auteurs à s’attaquer aujourd’hui à l’Histoire avec un grand H, qui plus est lorsque celle-ci se déroule hors de nos terres. En pleine mer, pour être plus précis : celle qui jouxte le Médoc natal de Yan Lespoux, où s’ouvre une épopée qui nous emmènera jusqu’au Mozambique. Rien d’étonnant pour l’auteur qui avait déjà, avec son recueil de nouvelles Presqu’îles paru en 2021, exploré les landes du Médoc au travers de différents regards et perspectives.

Voyages, voyages

Rares sont également aujourd’hui les récits s’ancrant dans un XVIIe siècle si éloigné des enjeux et préoccupations d’aujourd’hui. Yan Lespoux s’est semble-t-il, pour construire son histoire, davantage inspiré des récits d’aventure de Stevenson que de ses contemporains. La langue demeure pourtant un réel enjeu pour cet universitaire qui enseigne l’occitan et son histoire à l’Université Paul Valéry de Montpellier. Celle-ci est, évidemment, pétrie de sonorités latines. Dont celles qu’il emprunte à Antonio Vieira, écrivain et religieux jésuite, pour ce si joli titre, donnée en épigraphe : « Naître petit et mourir grand est l’accomplissement d’un homme ; c’est pourquoi Dieu a donné si peu de terre pour sa naissance et tant pour sa sépulture. Un lopin de terre pour naître ; la Terre entière pour mourir. Pour naître, le Portugal ; pour mourir, le Monde. »

Grande Histoire, trajectoires intimes

Le roman nous emmène ainsi en 1627 sur la route des Indes, sur les pas d’expéditions menées, entre autres, par Manuel de Meneses. C’est en se livrant à des recherches sur l’histoire du Médoc pour un colloque que l’auteur a nourri tout d’abord sa réflexion, puis son imagination, sur cette époque riche en fantasmes et pourtant en proie à une violence rare. L’Histoire ne s’écrit pas ici au nom des conquérants et des vainqueurs, mais bien des anonymes, des personnages fictifs que l’auteur a peu à peu érigés sur cette trame. Au nom de Fernando, marin au passé trouble, ou encore Diogo, engagés de force, ou par nécessité, par les autorités portugaises. Ou encore la jeune et émouvante Marie, trouvant refuge dans une communauté de naufrageurs pour échapper à son oncle alcoolique. Touffu, parfois haletant et même, par endroits, étouffant, Pour mourir, le monde ne perd rien de sa singularité ou de son souffle.

SUZANNE CANESSA

Pour mourir, le monde de Yan Lespoux
Éditions Agullo
À venir
Tournées générales organisée par Libraires du Sud 
le 18 janvier à 19h à la librairie Papiers Collés de Draguignan 
le 19 janvier à 17h30 la librairie La Pléiade de Cagnes-sur-Mer

Invitation à dîner

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Le repas des gens © Christophe Raynaud de Lage

C’est la création de Nous qui était prévue en ce mois de janvier 2024 à La Criée par François Cervantès et sa compagnie L’entreprise. Nous ? L’ambition de faire écho à l’état du monde, un monde qui n’est fait que de liens, mais où « nos liens ont été tellement coupés que nous en sommes devenus malades, dans une incapacité de comprendre le monde qui nous entoure ». Il s’agissait de mettre en scène une centaine de personnages, inspirés de rencontres réelles, joués par neuf artistes. Mais Nous ne peut pas exister, pour l’instant. Car des questions liées à la représentation des racisés dans une « distribution exclusivement blanche » n’ont pu être résolues, explique François Cervantès.

La culture comme relation

S’il faut donc se passer de Nous, Le repas des gens ne s’éloigne pas de cette question des liens que François Cervantès met au cœur de sa démarche artistique, arrimée à l’exigence éthique, esthétique et politique d’adresser ses créations à tout le monde, tout en sachant que tout le monde ne va pas au théâtre. C’est pour cela qu’il a implanté depuis 2004 sa compagnie à la Friche la Belle de Mai, y menant l’aventure d’une troupe, d’un répertoire, et d’une relation longue avec le public. Avec des acteurs aussi formidables que Catherine Germain, Stephan Pastor, Laurent Ziserman, Nicole Choukroun, Dominique Chevallier, Bonaventure Gacon. On a ainsi pu rencontrer le merveilleux clown Arletti dans Le 6e jour, s’embarquer dans Le voyage de Penazar, Le concert, Une île, La distance qui nous sépare, Le rouge éternel des coquelicots, et assister, en 2021, en jauge réduite, aux Cabaret des absents, adressé à tous·tes celles et ceux qui ne vont pas au théâtre, présenté sur la scène d’un Théâtre du Gymnase juste avant sa fermeture pour travaux.

À table !

Si Nous souhaitait justement faire suite à ce Cabaret des absents, Le repas des gens tire aussi son origine de ce précédent spectacle, plus précisément d’une scène à la situation fantaisiste, que François Cervantès a développé, tout en considérant le public une nouvelle fois comme le rôle principal de la pièce. Un couple, qui n’est jamais allé au théâtre, a invité un lointain cousin, directeur de théâtre, à dîner chez eux, moment rituel où tout le quartier a pris l’habitude de passer, pour discuter. Fortement marqué par cette soirée, le cousin invite alors le couple à dîner, mais au théâtre, sur scène, et y rencontrer le public. Leur hospitalité naturelle transforme le spectacle en soirée, devenant une rencontre joyeuse et émouvante avec l’essence du théâtre. 

MARC VOIRY

Le repas des gens
Du 16 au 27 janvier
La Criée, théâtre national de Marseille
theatre-lacriee.com

Revenons en aux fées 

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Un conte de fées © ÉLise Py

D’ordinaire cantonnées aux seconds rôles, voire au rang d’accessoires utilitaires, les fées sont au premier plan de cette nouvelle création de la compagnie De la loge au plateau.C’est d’abord la Fée des miracles qui fait son entrée, pleine de panache, sur New York New York, et la proximité de la scène du petit Badaboum Théâtre fait son office, absorbant les enfants massés au premier rang. Pourtant ici, tout n’est pas que glam et choses aisées : cette fée-là – gouailleuse Jocelyne Monier, habituée des créations du Badaboum – est vieillissante, et le téléphone ne sonne plus guère pour recevoir des voeux à exaucer… Pour prendre la relève, elle forme une apprentie fée, campée par le flamboyant Joseph Colonnal. Un choix revendiqué par l’auteur et metteur en scène Geoffrey Coppini, figure locale un temps accompagné par Montevideo: « petit, je rêvais d’être une fée pour le carnaval de l’école, mais cela m’apparaissait comme quelque chose d’interdit. Par ce choix de distribution, je donne quelque part la liberté aux jeunes spectateurs de pouvoir se rêver dans tous les possibles ». 

Scénographie pimentée

Car foin des assignations de genre ici, on moque fanfreluches et paillettes, tout comme on rigole des légendes et traditions parfois galvaudées, et tant pis si ce n’est pas toujours très fin ni complètement assumé – cette allusion à la cancel culture (trop) rapidement désamorcée, l’a-t-on surinterprétée ? Les références sont là, savoureuses : « on ne naît pas fée, on le devient ». D’apprentissages « orthoféfiques » en recettes d’élixirs, le binôme, attachant, va parvenir à se forger une place dans un monde où les fées n’en ont plus, cantonnées à célébrer les goûters d’anniversaires ou trôner dans les parcs d’attractions – le déclassement de l’artiste, un sujet cher à l’auteur. La scénographie, quant à elle, pimente le tout, entre une coiffeuse facétieuse et un totem à baguettes d’où surgissent des accessoires. Les petits sont ravis, les grands ne s’ennuient pas !

JULIE BORDENAVE

Un conte de fées se joue jusqu’au 13 janvier au Badaboum Théâtre, Marseille.

Une errance marseillaise

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Le voyage accidentel © Sebastien Manya

L’histoire commence le 6 mars 2019. Quelques mois plus tôt, Marseille vivait la tragédie des effondrements de deux immeubles de la rue d’Aubagne et de ses huit disparu·e·s. Après ce drame, la ville vit dans l’angoisse d’une catastrophe similaire, et plusieurs milliers personnes doivent quitter leurs domiciles mis en péril. C’est ce qui est arrivé ce 6 mars 2019 à Sharon Tulloch, artiste-designer marseillaise, dans son appartement de la Belle de Mai qu’elle doit abandonner en deux heures. S’en suivent 1523 jours d’errance, sans chez-elle, et sans atelier puisqu’elle travaillait chez elle. C’est ce qu’elle raconte aujourd’hui dans son carnet de bord Un voyage accidentel, dont une lecture musicale est organisée ce 13 janvier à 16h au Musée d’Histoire de Marseille. 

Musique et paroles

Sur scène, Sharon Tulloch est accompagnée du contrebassiste Emmanuel Reymond. Ensemble, ils reviennent sur le parcours de l’autrice, mais aussi sur de nombreux témoignages qu’elle a recueilli d’autres délogés. Dans son livre, ces derniers sont croqués sous son crayon, et pour la lecture, l’artiste a choisi de diffuser leurs paroles. 

Un spectacle proposé dans le cadre de l’exposition Place à prendre, acte II qui rassemble objets, récits et œuvres de voisins et délogés touchés par les effondrements du 5 novembre 2018. 

NICOLAS SANTUCCI

Un voyage accidentel
13 janvier à 16 h
Musée d’Histoire de Marseille
deracine.fr

À bas maux

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Un silence © Kris de Witte_Les Films du Losange

Le haut du visage d’Astrid (Emmanuelle Devos) dans le rétroviseur central de la voiture qu’elle conduit. Un petit cadre sur celui du pare-brise. Le reflet renvoyé d’un regard triste, hagard, d’une larme, furtive. On se souviendra de ces premiers plans du film à la dernière séquence, où ce même visage cadré cette fois en gros plan, fera face. Un Silence, le dixième film de Joachim Lafosse, nous conduit à travers le labyrinthe des secrets de famille, à ce regard frontal qui ne fuit plus le jugement.

Astrid est l’épouse de François (Daniel Auteuil), un avocat célèbre engagé dans la lutte contre les réseaux pédophiles. Il dénonce les complicités politiques et policières, défend les parents de jeunes victimes, organise des marches blanches et des actions de soutien. Un « chevalier blanc » dont le noir passé va bouleverser le cours des choses. 

François et Astrid vivent dans une demeure bourgeoise dotée d’un parc, d’une grande piscine ; protégée par de hautes grilles. Dans l’actualité du procès en cours, des dizaines de journalistes en quête de scoops, les guettent. Leur fille Caroline qui vient d’avoir un bébé vit ailleurs. Leur reste un fils adopté, Raphaël (Matthieu Galoux), grand adolescent de 18 ans, très réservé, qui sèche ses cours et semble très mal dans ses baskets. Entre François, surbooké, le nez sur ses écrans des nuits entières, et Astrid multipliant les efforts pour sauver sa famille et aider son fils, rien ne semble aller non plus. Lorsque son frère, Pierre – qu’on ne verra jamais – et ses propres enfants se mettent en quête de justice, le fragile équilibre qu’elle maintenait depuis 25 ans se rompt.

Une infinité de silences

Après L’Economie du couple (2016) et Les Intranquilles (2021), Joachim Lafosse poursuit ses investigations sur le couple par ce drame intime, qu’il veut « sobre et sans pathos », dévoilant  le mécanisme de la culpabilité, du déni et de la honte. 

Inspiré par l’affaire de l’avocat belge Victor Hissel – défenseur de Julie et Melissa Lejeune, victimes de Dutroux – Un Silence fonctionne comme une implosion. Construit sur un flash back, juxtaposant des séquences-fragments sans expliciter les causalités, se coulant dans le point de vue d’Astrid – elle-même engluée dans le secret, le film implique le spectateur. Il devra recoller les morceaux, et on lui laissera le dernier mot pour le dénouement. Le récit, filmé en Dolly, avance « à pas de loup », privilégiant le clair-obscur qui engloutit les personnages dans leurs ombres, accompagné d’une BO qui selon le réalisateur« distille une tonalité particulière et rappelle que nul n’est maître en sa demeure. » Interprétation impeccable de Daniel Auteuil et d’Emmanuelle Devos dans la rétention des émotions et l’économie du jeu. 

Il existe, on le sait, une infinité de silences. Celui d’un coupable, de sa victime, de ses complices, n’efface jamais ce qui fut. Il ne fait que prolonger le malheur, y agrégeant des dommages collatéraux dévastateurs. C’est un silence de trop.

ÉLISE PADOVANI

Un silence, de Joachim Lafosse
En salles le 10 janvier

Quand ça tourne mal 

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Making of © Ad vitam distribution

C’est un film dans le film. Celui qui raconte le combat d’ouvriers pour sauver leur usine que tourne Simon (Denis Podalydès). Mais très vite tout dérape. Car dès la première séquence, il est clair que ce ne sera pas facile : le jeune recruté pour le making of du film entre dans le champ et on doit retourner la scène. Il est viré et remplacé par un jeune figurant qui a confié au réalisateur son premier scenario, Joseph (Stefan Crépon). Puis les financiers font pression pour que la fin soit modifiée : « On a financé un film avec une fin positive, hyper optimiste. Là, c’est super plombant. »Simon se rend compte que son producteur (Xavier Beauvois) leur a fourni un autre scénario que le sien ! La star (Jonathan Cohen) intervient pendant le tournage pour donner encore plus de place à son personnage et écraser Nadia, la jeune actrice débutante (Souheila Yacoub). Très vite tout dérape pour Simon qui refuse de renoncer à raconter « l’histoire vraie de gens écrasés par le capitalisme, celles d’ouvriers occupant leur usine menacée de délocalisation. » Les financiers retirent les fonds, son producteur est dépassé et est souvent aux abonnés absents. Il faut alléger le plan de travail, couper des scènes, ce que propose la directrice de production (Emmanuelle Bercot). Les techniciens, sous pression, vont-ils travailler sans salaire ? Sa femme  (Valérie Donzelli) lui reproche de ne penser qu’à son travail et veut le quitter. Joseph qui fait le making of le suit partout, faisant en quelque sorte le portrait d’un cinéaste en burn-out. Ce sera peut-être le seul film à l’arrivée craint l’habilleuse. 

Sans lourdeur

La mise en abyme n’est certes pas un thème original. On pense évidemment à La Nuit américaine de Truffaut, Mulholland drive de Lynch ou Ça Tourne à Manhattan de Tom DiCillo. En trois actes, le dernier film de Cédric Kahn, Making of est un film sur le travail du cinéma : « Ce qui m’intéressait, c’était d’entrer dans le cinéma par un angle politique et social, et pas du tout mythologique, explique Cedric Kahn. Un film politique, social, humain sur le cinéma, mais surtout amusant. » Et c’est réussi. Les acteurs, aussi bien les comédiens professionnels que les figurants, des ouvriers recrutés dans les Yvelines où le film a été tourné, sont excellents. Des scènes drôles, une mise en scène impeccable, le choix de trois formats – la vidéo du stagiaire filmant le making of en format carré, la comédie en format normal et le film des ouvriers en scope –, une réflexion sociale sans lourdeur, répondent à la question posée au début du film : « Que veulent les spectateurs ? Qu’on parle d’eux ou oublier leurs soucis ? » Peut-être les deux ! 

ANNIE GAVA

Making of, de Cédric Kahn
En salles le 10 janvier