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L’Astronef : un Ovni à Marseille

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Le trio à la tête du Théâtre de l'Astronef : de gauche à droite Clément Goguillot, Marie Laigneau-Bignon et André Péri © Matthieu Parent

Installé au cœur du centre hospitalier Édouard Toulouse dédié à la santé mentale, le théâtre de l’Astronef propose toute l’année des ateliers, résidences et spectacles à destination de tous les publics. Entretien avec André Péri, comédien, infirmier psychiatrique et co-directeur du théâtre

Un théâtre au cœur d’un hôpital psychiatrique ce n’est pas banal. Comment est né ce projet ?
L’hôpital se construit en 1962, et tout de suite se met en place une compagnie de théâtre, le Couffin d’Édouard, qui associe le personnel de l’hôpital (soignant ou non), les patients et des artistes : l’idée est de soigner les gens par un retour à la société, ce que l’on appelle la sociothérapie, et l’art est un des moyens de la mettre en place. Ce système a duré jusque dans les années 1980, puis ça s’est essoufflé. Quand je suis arrivé dans les années 1990, avec ma double formation de comédien et d’infirmier psychiatrique, j’ai souhaité relancer ce projet. Nous avons travaillé avec le Théâtre Off [ancien théâtre sis au Vieux-Port de Marseille, ndlr], en lançant des ateliers où sont nés des spectacles, qui ont ensuite tourné dans les hôpitaux, les maisons de retraite… Puis, en allant plus loin et en mélangeant comédiens professionnels, patients et soignants, nous avons joué au Théâtre Off, à La Criée, et au Festival d’Avignon… Mais le temps passe, les gens changent, et ça a été difficile de se redynamiser après cette expérience… jusqu’en 2021, où nous avons pleinement relancé le théâtre [hors période Covid… ndlr], avec Clément Goguillot, Marie Laigneau-Bignon et beaucoup de gens autour de nous, c’est un collectif.  

Que sait-on, scientifiquement, de l’impact d’une pratique artistique sur le parcours de soin ?
Scientifique n’est pas le bon mot. Il y a des velléités de soigner la folie par des moyens modernes qui reviennent régulièrement – et celle-ci est à la mode en ce moment… Ce que l’on sait en revanche, c’est que travailler la psychothérapie institutionnelle et la sociothérapie a un vrai impact sur le quotidien des patients. La pratique artistique, c’est un moyen d’expression, d’aller vers l’autre, faire avec l’autre. Un mélange se fait, sans étiquette.

Du mélange et de la création artistique, c’est justement ce que vous faites avec le spectacle Le Monde de Don Quichotte, en cours de création à l’Astronef (à découvrir les 1er et 2 juin).
C’est la première création made in Astronef, en collaboration avec L’Officine théâtrale Barbacane, et soutenue par la Drac et l’Agence régionale de santé. Nous sommes en train de le mettre en place avec des ateliers théâtre en direction de tous les publics. Un premier avec des comédiens amateurs, débutants ou non, et un autre avec des patients et des soignants. À terme, on va les mélanger pour créer le spectacle. Il y aura aussi des ateliers de cirque, de scénographie, de musique – où les participants fabriqueront leurs propres instruments. Ce spectacle sera une déambulation dans le centre hospitalier à la rencontre du personnage de Don Quichotte.

Le théâtre assure aussi une programmation tout au long de l’année. Comment la construisez-vous ?
Tout d’abord on évite de faire quelque chose de trop ciblé, trop « psy » : on va voir des pièces et on marche au coup de cœur. On accueille par exemple la Compagnie Thespis et son spectacle L’Iliade – accessible aux amoureux d’Homère comme aux ados – que l’on a découvert cet été à Avignon (13 avril). Le 17 février on a La piqûre du taon de la compagnie Hangar Palace qui nous fait un vrai délire – on est au bon endroit pour ça – autour de Socrate. On a aussi un partenariat avec La Criée : le 1er mars avec Midi nous le dira, un spectacle autour du foot féminin, puis avec Nos Héroïnes que l’on accueille le 3 mai.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI

Théâtre de l’Astronef
Centre hospitalier Édouard Toulouse
Marseille
astronef.org

Réchauffer février

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Anne Dancausse alias Peur Bleue

Le collectif marseillais IDEM – Identité, Diversité, Egalité, Méditerranée – qui organise chaque année le festival queer Transform, propose le 17 février une journée d’exception au Théâtre de l’Œuvre. Pour réchauffer l’hiver, il sera question d’érotisme féministe et/ou lesbien, par celles qui revendiquent aujourd’hui une intersectionnalité joyeuse apte à faire valser en éclat la société patriarcale postcoloniale qui modèle encore les représentations dominantes.

Seront présentes, Rebecca Chaillon et son Boudin Beguine Best of Banane, texte qu’elle performe comme autant de coups de poing salutaires, portant définitivement atteinte aux normes du corps féminin blanc et filiforme ; Romy Alizée qui dira les vertus orgasmiques de la randonnée ; et Azani V. Ebengou qui avec sa mère et sa compagne danse et performe des « Réponses au désespoir »,  celui qui vous saisit chaque matin morne face aux « violences quotidiennes » qui traversent les vies des lesbiennes noires. À partir de 17 heures, de 16 ans, et de 9,50 euros (15 euros en tarif plein).

A.F.

17 février
Théâtre de l’Œuvre, Marseille

Théâtre obligatoire au collège. Quand l’école doute 

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Quelques jours après la nomination du gouvernement Attal et en pleine polémique Oudéa-Castera, Emmanuel Macron tenait le 16 janvier une conférence de presse télévisée durant laquelle il a fait nombre d’annonces concernant l’Éducation nationale. Le président de la République avait notamment déclaré vouloir rendre le théâtre obligatoire au collège, expliquant que « cela donne confiance, apprend l’oralité et le contact avec les grands textes ». Une proposition qui pose question aux enseignant·e·s et aux artistes intervenants auprès des élèves. En cause, les moyens qu’un tel projet nécessiterait, mais aussi l’argumentaire développé par le président.
En question d’abord, l’idée que le théâtre « donne confiance ». Un argument que le metteur en scène Renaud-Marie Leblanc, qui intervient régulièrement dans le cadre scolaire, ne réfute pas, mais tempère : « C’est évident que cela donne confiance de s’exposer, surtout à l’adolescence, mais encore faut-il pouvoir mettre en œuvre cette confiance, ce n’est pas automatique ou thérapeutique ». Et cela demande du temps, des groupes réduits… un certain nombre de conditions dont les enseignants doutent de la mise en place. Selon Marion Chopinet, professeure de théâtre en lycée Antonin Artaud à Marseille, « la confiance vient davantage du groupe et de la cohésion, ce qui va à l’encontre de ce que toutes les réformes depuis Blanquer ont fait, c’est à dire contribuer à éclater le groupe classe ». 

Artistes ou communicants ? 

Pour certain·e·s, l’image que le président donne du théâtre entre en directe contradiction avec ce qui, dans la pratique de cet art, peut permettre de développer de la confiance en soi. « Je pense que dans le théâtre il y a l’idée d’aller trouver la singularité de chaque personne, d’augmenter cette singularité, et non pas de faire des exercices d’articulation, ce n’est pas la priorité » avance Marie Astier, metteuse en scène et comédienne. « Il confond cours de théâtre et cours d’éloquence » tranche-t-elle. 
Les professionnel·le·s contacté·e·s dénoncent dans l’argumentaire présidentiel une vision utilitariste du théâtre. Il sous-entendrait que l’art n’a d’intérêt que comme un moyen et non comme une fin en soi. « Il y a une demande croissante de la part des entreprises d’avoir des employés qui sachent bien parler, et cela se répercute à l’école » décrypte Renaud-Marie Leblanc. « Ce n’est pas pour en faire des artistes, c’est pour en faire de bons communicants » résume pour sa part Marie Astier. 
Au-delà de l’argumentaire utilitariste que sous-tend la proposition d’Emmanuel Macron, le lien nécessaire entre pratique théâtrale et « contact avec les grands textes » établit par le président agace également les professionnel·le·s interrogé·e·s. Pour Marion Chopinet, « c’est une vision extrêmement clichée, voire réactionnaire, qui ne couvre pas la réalité du théâtre tel qu’on le connait aujourd’hui et l’ampleur des créations qui existent ». « Commencer le théâtre en faisant les grands classiques, c’est anti-pédagogique » juge de son côté Renaud-Marie Leblanc. Constat partagé notamment par Marie Astier : « Il faut expliquer aux élèves que le théâtre peut parler de problématiques contemporaines, peut parler d’eux et peut les toucher, sinon ça peut vite les braquer ».

Un effet d’annonce ? 

Depuis le 16 janvier, cette proposition n’a plus été évoquée et, a priori, aucun moyen ne sera mis en place à la rentrée prochaine. Selon Nicolas Bernard-Hayrault, secrétaire départemental du SNES-FSU, la dotation globale horaire (c’est-à-dire le nombre d’heures dont dispose chaque établissement pour assurer tous les enseignements) ne permettra pas d’ajouter des heures de théâtre. Si ces cours doivent être donnés, ils devront donc l’être sur les moyens préexistants. Toujours d’après Nicolas Bernard-Hayrault, un recensement des pratiques en terme d’enseignement théâtral dans les collèges a cependant été lancé. Cela pourrait permettre de mettre en lumière la diversité des dispositifs déjà mis en place dans le cadre scolaire et auxquels enseignant·e·s comme artistes sont déjà habitué·e·s. « Il y’a déjà des choses qui existent et qui ont un sens, peut-être qu’il n y a pas besoin de tout repenser », conclut Marie Astier. 

CHLOÉ MACAIRE

Wajdi Mouawad : une bouteille à la Mère

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Mere © Tuong-Vi Nguyen

Pour héberger toutes les idées de Wajdi Mouawad, il en faut de la place. Et le grand plateau du Théâtre des Salins n’était pas de trop pour accueillir la création de cet auteur libano-québécois maintes fois salué pour ses pièces, films ou romans. En guise d’introduction, c’est le metteur en scène lui-même qui prend la parole au plus près d’un public encore bruyant. Il est drôle, caustique, et confie : « je n’ai pas pleuré depuis la mort de ma mère en 1987 ». Dans Mère, Wajdi Mouawad poursuit le cycle autobiographique qu’il a entamé avec les solos Seuls et Sœurs. Un troisième opus où il s’intéresse aux cinq années passées à Paris après avoir fui le Liban en guerre dans les années 1980, avec sa mère comme personnage central.

Sur la scène, nous voici dans l’appartement qui accueille cette famille de réfugiés. Sa mère cuisine, silencieuse – elle ne le restera pas longtemps – et l’on comprend rapidement toute la détresse de cette femme contrainte à l’exil. Autour d’elle il y a Wajdi, jeune, interprété par Loucas Ibrahim et sa sœur, Odette Makhlouf, qui apprennent tous deux à vivre à la française. Wajdi Mouawad reste souvent sur scène, aide à la scénographie, tel un fantôme regardant son passé. Toute la famille est tiraillée entre son obligation de vivre en France – où le taboulé n’est pas bon – et la difficulté à prendre des nouvelles du père, resté à Beyrouth pour le travail, faisant craindre le pire à la mère.

Cette dernière, interprétée par une formidable Aïda Sabra, n’est que bruit et fureur. À la fois drôle et pathétique, elle dirige sa famille d’une main de fer, hurle toute sa haine des chrétiens, des arabes et des juifs. On apprécie aussi cet incroyable relation avec Christine Ockrent, qui était alors la présentatrice du journal d’Antenne 2, attendue comme le messie chaque soir pour avoir des nouvelles du Liban. Une Christine Ockrent qui tient d’ailleurs son propre rôle sur scène, avec la rigueur et la classe qu’on lui connaît.

Mal de mer
Avec Mère, Wajdi Mouawad prouve une nouvelle fois son incroyable talent d’auteur et de metteur en scène. Il sublime pendant deux heures tout ce que le théâtre peut offrir de liberté créative. Il y a le jeu des comédien·nes bien sûr, mais aussi les odeurs qui se dégagent de la cuisine qui fleurent bon l’orient. Et cette langue arabe, traduite littéralement, qui offre de merveilleux ressorts comiques et poétiques. Ou encore la lumière, qui donne à chaque scène sa propre teinte, tantôt chaude, sombre ou éclatante de froideur, qui nous propulserait presque dans le cinéma de Bong Joon Ho.

Mais le talent n’excuse pas tout. Et on ne pourra que reprocher à Wajdi Mouawad d’avoir inscrit Bertrand Cantat au générique de la pièce, dont on entend quelques reprises chantées. L’auteur dit qu’il n’a plus pleuré depuis 1987, et visiblement il n’a pas versé la moindre larme pour Marie Trintignant, pourtant comédienne comme lui.

NICOLAS SANTUCCI

Mère de Wajdi Mouawad était donné les 9 et 10 février au Théâtre des Salins, Martigues.

Gémellité circulaire

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Elle/s © Ian Granjean

L’Envolée cirque est une compagnie qui aime les chapiteaux, la circularité, la proximité, l’exploit qui se partage sans démonstration de force et sans forcément d’effet « waou » mais plutôt un effet grâce, lenteur, poésie. Quand cela commence les deux femmes sont lovées corps à corps, tout en haut du chapiteau, et un homme chemine au long d’un cerce d’eau, au sol, chantonnant au micro, jouant quelques notes, percutant quelques surfaces, puis synthétise et diffuse. Là-haut les corps s’éveillent, et les deux femmes déploient leur gémellité fusionnelle…

Elles et lui
L’histoire qui se raconte entre les trois, comme toutes les histoires sans paroles, peut se lire avec nuances. L’une, en tous les cas, cherche à descendre, explore la toile qui strie l’espace, s’affranchit, revient, tandis que l’autre se balance en haut et attend de retrouver leurs moments fusionnels. Des fils arachnéens servent à descendre, à jouer, mais aussi à retenir les corps qui se suspendent à tout ce qui vient, jusqu’aux cheveux de l’autre. Jusqu’à toucher terre, enfin, qui est tout autant toucher l’eau, s’éclabousser, rencontrer l’homme qui entre dans l’eau à son tour. Et puis jouer encore avec la sœur qui reste suspendue mais se laisse atteindre par les éclaboussures, et rit avec eux.

Une histoire simple qui tient dans l’expressivité des regards, la puissance et la souplesse des acrobates. Elle permet la lenteur pure et parfaite de chaque déplacement, renversement, lâcher, porté au son d’une musique inventive, parfois trop forte (masculine?) pour accompagner la subtilité des mouvements (féminins?).

AGNÈS FRESCHEL

Elles a été joué du 9 au 11 février dans le cadre de l’Entre2 Biac au Domaine de Fontblanche, Vitrolles.

Arcadie heureuse

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La Pastorale ©Olivier Houeix

Le chorégraphe Thierry Malandain articule sa rêverie en tableaux mouvants habités par ses vingt danseurs dans les lumières savamment orchestrées de François Menou. En préambule à la Symphonie n° 6 de Beethoven, il reprend un extrait de sa Cantate Les Ruines d’Athènes tandis que le plateau, occupé par des barres de studio de danse disposées en damier, isole les trois personnages de la première partie dans des cases où les gestes de la grammaire classique se déploient et se réinventent.

Le protagoniste central, « Lui », fantastique danseur Hugo Layer, passe de la vie à l’immobilité de la mort, reprend souffle, opposant à la contrainte rectangulaire des lieux le mouvement cyclique des saisons. Les barres hissées dans les cintres, les costumes d’ombre, longues jupes-manteaux, cèdent le pas à des tuniques blanches évoquant une antiquité fantasmée. La luminosité s’accentue, les ombres s’effacent en une réconciliation de l’être et de la nature.

Avec une grande sobriété contrastant avec le foisonnement musical, la chorégraphie de Thierry Malandain ne cherche pas à illustrer mais convie à un voyage intérieur où les images de l’Arcadie heureuse s’esquissent avec vivacité. Pas de deux, trios, courses, retours, diagonales, grands jetés, tournoiements, peuplent la scène de leur brillante virtuosité. Les danses d’ensemble semblent émaner de sculptures antiques en leurs gestes précis aux angles géométriques et rappellent les univers de Nijinski ou d’Isadora Duncan, fluidité en épure, hymne à l’harmonie.  Si les ombres reviennent avec l’orage, elles sont vite dissipées par le cercle incantatoire des petits pas courbés d’Hugo Layer dessinés tout autour du plateau. Sa danse hors du temps donne à percevoir la fragilité de la beauté… et c’est une autre histoire.

MARYVONNE COLOMBANI

La Pastorale a été dansée les 8 et 9 février au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence

Concurrence culturelle, concurrence politique

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 « L’art est public ! » proclamait la Fédération nationale des arts de la rue en 2021, 60 ans après Jean Vilar qui affirmait que le théâtre était un service public. Entre-temps, des gouvernements et des collectivités plutôt à gauche ont tenté de mettre en place, puis de maintenir, un maillage d’opérateurs culturels d’utilité publique qui ne se fondaient pas sur la rentabilité financière mais sur un impact sociétal. C’est à dire sur la capacité des artistes à « émanciper » les citoyens disaient les uns, à favoriser la paix sociale ou l’intégration disaient les autres, à faire « participer » les amateurs ou à « participer » à des processus d’Education Artistique et Culturelle systématiques, dit-on aujourd’hui.

La gauche perd ses mots

Le monde culturel ne trouve plus d’espace d’expression, ni dans les médias publics, ni dans les programmes et discours politiques. Attaqué de toute part, sur son modèle économique coûteux en financement public d’une part, sur sa remise en cause du patriarcat et des résidus colonialistes d’autre part, et sur son régime d’indemnité chômage, il peine à trouver des défenseurs dans une gauche divisée par ses propres contradictions, et de moins en moins experte sur ces questions. Alors que les moyens accordés par l’État et les collectivités sont en baisse tendancielle depuis 15 ans, que les coûts augmentent et que les investissements privés diminuent fortement, l’exception culturelle française n’est plus comprise que par une poignée de politiques inaudibles.

La droite distille ses valeurs libérales

Simultanément, pour justifier leurs subventions, les opérateurs culturels se voient confier par les élus des missions de médiation et de professionnalisation, des exigences en termes de taux de remplissage, de pourcentage de recettes propres, de nombre de levers de rideaux, de dates de tournée, le tout sur fond concurrentiel puisqu’il faut séduire des programmateurs nommés par ces mêmes élus, partager des enveloppes en diminution constante, remporter des appels à projets et candidater à des marchés publics. Alors Rima Abdul Malak, licenciée par la macronie pour avoir attaqué l’empire médiatique Bolloré et l’honneur de la France en la personne de Gérard Depardieu, est remplacée par un emblème de la droite qui cadre mieux avec les intérêts privés de la nation, expression qui aujourd’hui n’est plus un paradoxe.

L’extrême droite impose son vocabulaire

Rachida Dati fait aussitôt allégeance aux chaînes Bolloré. Sur CNews et Europe 1. Face à une journaliste qui demande sans rire si elle va s’opposer aux subventions accordées aux institutions culturelles  « infiltrées par l’idéologie woke et déconstructrice », la ministre de la Culture répond « liberté de création ». Mais pas pour relever ce que la question de Sonia Mabrouk avait de délirant, pas pour dire que par nature la pensée et la création déconstruisent et prônent un positionnement critique et éveillé, pas pour se réjouir qu’enfin des mouvements citoyens et des artistes interrogent la culture du viol dans le cinéma ou les traces colonialistes de notre patrimoine. Rachida Dati défend la liberté d’expression des artistes contre la prétendue censure de leurs œuvres par les victimes.  

Backlash ou révolution ? 

Une révolution anthropologique est en cours chez les moins de 30 ans, qui remet en cause le patriarcat, fait le constat de la systémie du viol, veut ouvrir les yeux du monde pour construire enfin des horizons égalitaires et consentis. Mais dans le même temps les actes antisémites se multiplient, les Gazaouis meurent en masse sous les yeux des démocraties, Donald Trump s’apprête à reprendre les rênes de la première puissance mondiale et Marine Le Pen devrait, selon un sondage glaçant, remporter les prochaines élections présidentielles. À gauche, la concurrence joue à fond, et les partis semblent avoir perdu leur culture commune, préoccupés seulement de savoir lequel d’entre eux incarnera le prochain revers électoral. 

Un déclin politique qui s’accompagne du désintérêt progressif des questions culturelles. Et si la gauche repensait ensemble cet en-commun ? 

Agnès Freschel

Un été difficile

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20.000 species of bees still © 2023 GARIZA FILMS INICIA FILMS SIRIMIRI FILMS ESPECIES DE ABEJAS AIE

A la Berlinale 2023, la jeune Sofia Otero avait obtenu  l’Ours d’Argent de la meilleure interprétation, non genré, pour 20 000 espèces d’abeilles de l’Espagnole Estibaliz Urresola Solaguren. En parfaite adéquation avec le personnage qu’elle incarne, Aitor, surnommé Cocó, un jeune garçon qui se sent fille, une petite fille dans un corps  de garçon. « Je ne veux pas être comme mon père quand je serai grand ! » La mère, Ane (Patricia López Arnaiz) et ses trois enfants vont passer les vacances au Pays basque espagnol dans la maison familiale et retrouver oncles, tantes, cousins qui préparent le baptême du dernier né.

Tout est difficile pour Aitor, les sorties à la piscine, les achats dans les magasins, les repas familiaux. Son malaise s’accroit au fur et à mesure que tous, en particulier sa grand-mère, exigent qu’il se comporte comme un garçon. Sa mère, préoccupée par ses problèmes personnels, de couple et de carrière, considère qu’iel se cherche mais n’accepte pas ce qui est évident. Seule la grande tante, Lourdes (Ane Gabarain) apicultrice, qui soigne les gens du village avec les abeilles, va lui permettre de respirer et de sortir de cet étouffement. Comment ne pas réagir devant un enfant de neuf ans qui dit : « je n’ai pas de nom » ou « pourrais-je mourir et renaître en petite fille ? » Et Lourdes va agir, pensant aussi sans doute à sa propre enfance « tu peux regarder ce qu’il se passe ou agir comme ta mère et fermer les yeux », lance-t-elle à Ane… Aitor deviendra Lucia.

Annie Gava

20 000 espèces d’abeilles d'Estibaliz Urresola Solaguren 
En salle le 14 février

Regarder l’époque au fond des yeux

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© Valentine Chauvin-Presse

Le repas chez les Français de VGE de la compagnie Les Animaux en Paradis, une délicieuse comédie politique donnée au Théâtre de La Criée à Marseille

Julien Compani et Léo Cohen-Paperman poursuivent leur série théâtrale « Huit rois » qui dédient une pièce à chaque président de la Ve République. Après Mitterrand et Chirac, c’est à Valery Giscard d’Estaing que s’intéressent les deux auteurs. Pour illustrer le septennat giscardien, ils se sont inspirés de l’habitude qu’avaient prise le président et sa femme Anne-Aymone d’aller dîner chez des concitoyens afin de « regarder la France au fond des yeux ». Une prémisse idéale pour une comédie politique. D’un côté de la table, les vieux agriculteurs de droite, de l’autre, leur fille et son mari rencontré sur un piquet de grève en 1968, et au centre le couple présidentiel qui tente tant bien que mal de contenter tout le monde. L’ensemble est narré par le petit José, et ponctué de reprises plus ou moins à propos de tubes de l’époque qui offrent des respirations bienvenues.

Trivialité et politique
Très vite, le repas s’avère être une métaphore du mandat, et dure par conséquent à la fois deux heures et sept ans, sans que la cohérence narrative ne soit altérée. Nombre de sujets contemporains aux années Giscard sont évoqués : la crise pétrolière, le chômage, le libéralisme… le tout illustré par des scènes triviales comme le partage d’un plat de poisson ou une coupure d’électricité. Les droits des femmes sont aussi un sujet central, mettant bien en avant les limites du progressisme du couple présidentiel, et même des hommes de gauche de l’époque.
Cette accumulation de débat et de situations fantasques pourrait être indigeste si les acteurs n’étaient pas excellents, mais il le sont, maintenant dans leur jeu un brillant (et hilarant) équilibre entre grotesque et subtilité. Une vraie réussite !

CHLOE MACAIRE

Le repas chez les Français de VGE était donné du 1er au 3 février à La Criée, Marseille
Les Animaux en Paradis joueront Le repas chez les Français de VGE le 16 février au Forum Jacques Prévert de Carros.

Le vaisseau Terre perd le nord

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Le signal du promeneur © Cici Olsson

Cinq promeneurs scrutent l’obscurité à la recherche de la lumière pour mieux comprendre notre monde.

Du plateau plongé dans le noir surgissent de petites lampes rouges portées par les cinq acteurs. Le son grave d’un soubassophone s’élève, puis un chant choral harmonieux donne l’impulsion du départ. Le projet du Raoul Collectif, compagnie belge, s’inscrit dans la recherche d’une vie qui ait plus de sens en scrutant ce monde dans lequel nous sommes contraints de vivre et en évoquant des personnages réels ou fictifs. Les situations se succèdent avec rythme, accompagnées prodigieusement au piano ou à la trompette. Car nos comédiens sont aussi musiciens, chanteurs et acrobates. Un moment très fort du spectacle concerne l’évocation de l’affaire Romand qui horrifia notre société en janvier 1993, quand on apprit que ce faux médecin du pays de Gex préféra tuer femme, enfants, ses parents et même son chien, plutôt que de reconnaître ses forfaits. Les comédiens se livrent alors à la reconstitution parodique du procès devant une présidente grotesque et un avocat perruqué. Une autre scène montre un guerrier avec casque et armure qui déclare que le monde est en guerre et qu’il faut rentrer en résistance. Sans transition, on évoque l’histoire de la misérable chenille qui se découvre soudain papillon volant dans la lumière.

Une œuvre collective déjantée et caustique
Le plateau se trouve à la fin envahi d’objets hétéroclites qui soulignent l’absurdité d’un monde désordre et sans valeur. Comment s’y retrouver ? En faisant de la musique, en se réfugiant dans la forêt ? En pratiquant l’humour, en nous interpellant sûrement avec perspicacité et humour, mais aussi causticité et colère.

CHRIS BOURGUE

Le signal du promeneur s’est joué au théâtre Joliette du 30 janvier au 3 févier