vendredi 25 juillet 2025
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Un Casse-Noisette toujours contemporain

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Casse-Noisette de Blanca Li © D'aucante

C’est le soir de Noël, la jeune Clara reçoit de son oncle un casse-noisette. Durant la nuit, les jouets s’animent, le casse-noisette se transforme en prince et orchestre la bataille contre le Roi des rats qui veulent tout dévorer. Piotr Ilitch Tchaïkovski compose sur cette histoire la musique d’un ballet féérique en deux actes, trois tableaux et quinze scènes, chorégraphié par Marius Petipa et créé par Lev Ivanov pour sa première représentation en 1892 au théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg. Depuis les versions du ballet se sont succédées, remodelées au fil des goûts et des esthétiques des différentes époques : Vassili Vainonen le reprit en 1934 pour le Kirov, George Balanchine en 1954 pour le New York City Ballet, Fernand Nault en 1964 pour les Grands Ballets canadiens… sans oublier Rudolf Noureïev, John Neumeier, Maurice Béjart ou encore Jean-Christophe Maillot. 

La rue sur les planches

Longue tradition dans laquelle s’inscrit aujourd’hui l’inventive chorégraphe, réalisatrice, danseuse et comédienne, Blanca Li. Cette dernière intègre la grammaire du hip-hop, du popping, de la breakdance, à la technique classique. Les huit interprètes créent des échos entre les sensibilités russes et espagnoles, métissent les vocabulaires dans une atmosphère de cartoon, cultivant l’art du décalage cher à la chorégraphe née à Grenade. Les solos acrobatiques électrisent les salles, la musique de Tchaïkovski souvent revisitée et remaniée garde la saveur du conte originel. Cette pièce mythique du répertoire se laisse emporter par la fantaisie sans limites de Blanca Li en un irrésistible crescendo féérique. 

MARYVONNE COLOMBANI

Casse-Noisette
12 et 13 janvier
Pavillon Noir, Aix-en-Provence
04 42 93 48 14 
preljocaj.org

Comment vous dire nos vœux ? 

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L’année horrifique s’est achevée, mais une plus terrible encore semble se profiler. Comment souhaiter une année de bonheur dans un pays où la gauche a sombré, le RN triomphé et les conquis sociaux reculé comme jamais, creusant chaque jour l’écart entre des riches éclatant d’arrogance et des pauvres souffrant de faim et de froid, et crevant souvent de désespoir ? Dans un contexte  international où la guerre s’installe aux portes slaves de l’Europe, où les régimes fascistes s’enracinent jusqu’à nos frontières, où le massacre d’un peuple entier est en cours ? Dans un contexte planétaire où l’eau va manquer, l’air pour respirer, l’énergie, où la mer s’acidifie et les glaciers fondent, où les forêts et les espèces disparaissent, où la canicule s’installe été après été, où les tempêtes, ouragans et inondations mortelles se multiplient chaque hiver ? 

Vraiment, comment vous souhaiter une bonne année ? 

Il est pourtant quelques signes, paradoxaux et trop discrets, de progrès civilisationnels désormais indéniables. Quelques exemples ? Les survivances discriminatoires héritées des régimes d’apartheid et des empires coloniaux ne vont plus de soi et sont profondément remises en cause par les jeunes générations, tout comme les inégalités femme/homme, l’homophobie et la transphobie. Des générations qui veulent instaurer d’autres rapports au travail, à leurs enfants et à ceux des autres, aux animaux et aux paysages, qui veulent vivre d’autres relations de couple. Les violences sexistes et sexuelles ne passent plus, ceux qui défendent Depardieu sont cornerisés et la loi Immigration révolte et répugne la majorité des jeunes français.

Pourtant, nous ne croyons plus en l’avenir. Peut-être le principal obstacle réside-t-il dans notre vision moderne du progrès, qui le lie à la technique et néglige les avancées culturelles, les progrès de l’esprit et de civilisation ?

Ce sont pourtant aux médias et à la culture que les forces réactionnaires s’attaquent au premier chef, interdisant les journalistes en Palestine, les manifestations en France, dénigrant les woke, les trans, les racisés qui veulent parler pour eux-mêmes. Envoyant des contre-feux médiatiques pour détourner l’attention des peuples, effaçant les visages des noyés en Méditerranée, des victimes à Gaza, des femmes Afghanes et esclaves Libyens. Ils savent, eux, que c’est par la culture et les médias que la maitrise des esprits, donc de l’avenir, s’écrit.

Alors, que reste-t-il à souhaiter ? Si l’on veut que les années à venir soient bonnes, ou du moins vivables, et que nos enfants retrouvent la confiance dans l’avenir et la joie de leur présent, on ne peut  désirer qu’une chose : une année de luttes, de pensée, de partage, d’attention à l’autre et à sa beauté. 

Nous vous souhaitons donc une bonne année de culture, réciproque et engagée !

AGNÈS FRESCHEL

« La vie rêvée de Miss Fran », Daisy Ridley contre-attaque

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© Condor Distribution

Étrange choix que ce titre choisi pour la distribution française du film : La vie rêvée de Miss Fran, en écho au rêveries fantasques de Walter Mitty. La comédie très feel good de Ben Stiller ne semble en effet pas compter parmi les influences de Rachel Lambert. Et les rêves dans lesquels la jeune réalisatrice plonge Fran n’ont rien d’idylliques : le titre original, Sometimes I think about dying (parfois, je pense à mourir) en révèle davantage la teneur … La jeune et timorée employée de bureau, campée avec une rare délicatesse par la britannique Daisy Ridley, cache en effet sous ses airs timides et rangés un étonnant goût pour le macabre. S’enchevêtrent ainsi en début de métrage des scènes anodines de bureau, ponctuées d’échanges pour le moins banals entre collègues, de dîners silencieux en solitaires, et d’échappées vers les paysages marins plus sauvages de l’Oregon. S’y déploient toujours, de façon inattendue, les fantasmes morbides de Fran, que le grain de l’image – grâce à la très belle photographie de Dustin Lane – et la musique douce et élégiaque de Dabney Morris rendent étonnamment apaisants. Le fantasme de mort apparaît ainsi non pas comme l’expression d’un désespoir, mais comme un refuge sans doute trop séduisant face à un monde dont Fran peine à appréhender les codes.

L’arrivée de Robert, un nouveau collègue de travail curieux mais plus affables, incarné par l’humoriste Dave Merherje, a tout pour bouleverser le quotidien de Fran, dont les interactions sociales se limitaient jusqu’alors à quelques hochements de tête gênés. Le spectacle de cette éclosion-là, porté par la justesse de la réalisation et l’interprétation très inspirée de Ridley, vaut à lui seul le détour.

SUZANNE CANESSA

La vie rêvée de Miss Fran, Rachel Lambert
En salles le 10 janvier

NÎMES : tout feu tout flamenco 

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Patricia Guerrero-Deliranza © Claudia Ruiz Caro

C’est devenu un incontournable de la planète flamenca et au-delà. Le Festival Flamenco, plus que validé par la nouvelle directrice du Théâtre de Nîmes, Amélie Casasole, qui a pris ses fonctions en juin 2023 à la suite de François Noël, le, traditionnel rendez-vous de janvier conserve ses deux semaines de programmation, son volume de spectacles et sa direction artistique signée Chema Blanco (qui est aussi le directeur de la référence mondiale du genre : la Biennale de Séville). Un festival qui sans renier les racines du genre, s’ancre dans l’actualité de la discipline, en souligne les résurgences comme les émergences, se frotte au contemporain, et explore ses devenirs. Et qui sort des murs du théâtre pour s’ouvrir sur la ville, avec notamment un concert au musée de la Romanité, une exposition à l’office de tourisme et l’ouverture, le temps du festival, de la bodega La Macarena. 

Cante et toque

Parmi les rendez-vous très attendus des afficionados : la présence du chanteur Israel Fernández, une première. Artiste de Tolède, 34 ans, issu d’une famille gitane, enfant prodige du « cante », il sillonne les scènes internationales en réconciliant les amateurs de « cante puro » et ceux en recherche de modernité, accompagné de la guitare de Diego del Morao (11 janvier). La soirée anniversaire du guitariste Gerardo Núñez est également incontournable : il fêtera, entouré de cinq autres génies de la guitare flamenca, quarante-cinq ans d’une brillante carrière, qui l’a vu recevoir plus d’une dizaine de prix et collaborer avec l’Orchestre Philharmonique d’Udine ou Israel Galván. Génie de la six cordes, il incarne avec Vicente Amigo et Tomatito, la génération qui succède à l’immense Paco de Lucía (le 20). 

Baile

Sur la quinzaine de spectacles programmés par le festival, huit sont portés par des femmes. La danseuse de Cordoue Olga Pericet présente en première française La Materia, deuxième volet de sa trilogie inspirée du guitariste Antonio de Torres, avec le danseur Daniel Abreu (10 janvier). María Moreno, jeune danseuse de Cadix, propose elle un voyage à travers l’âme de la soleá, l’un des grands styles du flamenco, à travers une « déconstruction » vertigineuse (12 janvier). Originaire de Cadix également, formée à Grenade et Séville, Lucía Álvarez à la danse puissante et charnelle, tout autant qu’élégante et subtile, présente sa dernière création Insaciable (14 janvier). 

La danseuse sévillane Paula Comitre est l’une des étoiles montantes de la danse flamenca. Elle présente deux pièces : en première mondiale, après vous, madame, un hommage vibrant à l’une des grandes novatrices de la danse flamenca : La Argentina (16 janvier à l’Odéon). Et, en compagnie de Lorena Nogal, Alegorías, mêlant flamenco et danse contemporaine, où les deux danseuses, que tout semble opposer, unissent leurs forces pour dépasser les limites (17 janvier). La Toulousaine Stéphanie Fuster a plaqué ses études de droit pour aller vivre sa passion flamenco, à Séville, pendant près de 10 ans. Elle présente Gravida, celle qui marche, inspirée du personnage issu d’un bas-relief antique, où elle désacralise le flamenco, pour mieux le retrouver (18 janvier). Enfin, Prix national de danse en 2021 en Espagne, aujourd’hui directrice artistique du Ballet Flamenco de Andalucia, Patricia Guerrero revient à Nîmes avec six danseurs pour Deliranza, chorégraphie inspirée par Alice au pays des merveilles (19 janvier).

MARC VOIRY

Festival Flamenco
Du 10 au 20 janvier
Théâtre de Nîmes
theatredenimes.com

Scrapper, prendre la bonne roue

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Sur le carton qui ouvre Scrapper, le premier long métrage de Charlotte Regan, on lit le vieil adage : « Il faut un village pour élever un enfant », aussitôt barré d’un trait et remplacé par un « je me débrouille très bien toute seule » manuscrit. Géorgie (Lola Campbell) a 12 ans, vient de perdre sa mère et ne sait plus trop où elle en est sur le parcours en cinq étapes du deuil : Déni, Colère, Marchandage, Dépression, Acceptation. Elle semble aller de l’un à l’autre. Elle a la maturité que donnent le malheur et la précarité, et les rêves têtus de l’enfance qui croit à l’impossible. Ce sont les vacances d’été. Pour éviter un placement par les services sociaux, elle s’invente un oncle que personne ne voit, qui serait venu s’occuper d’elle et dont le nom inventé de Winston Churchill n’étonne personne. Elle entretient sa maison, paie le loyer grâce aux vols de vélos qu’elle opère avec son copain Ali (Alin Uzun) plus âgé qu’elle. Drôle de binôme, ces deux-là, inséparables complices. Géorgie est une « scrapper » – en argot londonien une fonceuse, une bagarreuse. Dans sa vie bricolée et précaire va faire irruption le peroxydé Jason (Harris Dickinson), son père biologique qu’elle n’a jamais vu, pas vraiment plus adulte qu’elle. L’un et l’autre vont apprendre à se connaître. Géorgie fera grandir Jason et Jason redonnera une part d’enfance à Géorgie.

Un récit joyeux et ludique

Rien de bien original dans ce pitch. Un drame social à la Ken Loach – que la réalisatrice admire. Une communauté ouvrière où tout le monde se connaît, la banlieue londonienne avec ses petites maisons serrées les unes contre les autres, les jardins étroits, la voie ferrée et la campagne pas loin, un pont qui enjambe les routes qui mènent ailleurs, les mômes qui trainent seuls, jouent au foot, chapardent. Un décor qui pourrait être gris mais que Charlotte Regan et sa directrice photo – la réalisatrice du récent How to have sex, Molly Manning Walker, poudrent de lumière et acidulent de rose, jaune, vert, violet. Les personnages ne seront pas définis par leur statut social, le point de vue décalé de Géorgie fait exploser un potentiel carcan naturaliste. Au récit joyeux et ludique des retrouvailles père-fille, s’intercalent des témoignages sur Géorgie, face caméra, façon documentaire, mais qui tourneraient au chœur antique commentant les actes de la fillette : ses camarades assises dans l’herbe trop verte, maquillées, robes roses et paillettes, un trio de jeunes ados Noirs façon comédie musicale sur leurs vélos jaune vif, la fourgue du trafic de bicyclettes, un enseignant peu canonique et un couple d’adultes « responsables » pas très futés. Les araignées de la maison au nom prestigieux de Napoléon ou d’Alexandre le Grand dialoguent style cartoon.

Dans le rôle principal, la jeune Lola Campbell dont c’est la première apparition à l’écran, est formidable de naturel. Après Aftersun de Charlotte Wells sorti l’an dernier et dont on l’a rapproché, Scrapper, qui vient de remporter à Sundance le Grand Prix du Jury dans la catégorie World Cinéma Dramatic, témoigne du talent des jeunes réalisatrices britanniques.

ÉLISE PADOVANI

Scrapper, de Charlotte Regan

Copyright @Scrapper Films Ltd

En salles le 10 janvier

« Si seulement je pouvais hiberner », dans la chaleur des yourtes

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© Eurozoom

On connait peu de réalisatrices mongoles : en 2006, Byambasuren Davaa avait réalisé Le Chien jaune de Mongolie et en 2011, Les Deux Chevaux de Gengis Khan, l’histoire de la quête de la chanteuse Urna Chahar-Tugchi pour trouver les origines d’une chanson. En 2023 à Cannes, pour la première fois, était sélectionné à Un Certain Regard un film mongol : Si seulement je pouvais hiberner, dela cinéaste et scénariste Zoljargal Purevdash. Un titre emprunté à un souhait d’Ulzii, un lycéen de 15 ans  d’un quartier défavorisé d’Oulan-Bator.

Ulzii vit avec sa mère, illettrée et alcoolique, et ses frères et sœur, dans une yourte, à la périphérie de la ville où se sont installés beaucoup de réfugiés économiques. Ils ont été obligés de quitter leur campagne natale pour venir chercher du travail, ce qui est loin d’être facile. Il fait très froid, parfois jusqu’à moins 35 degrés, et dans ce quartier, on se chauffe en brulant du charbon quand on peut le payer, sinon de vieilles planches qu’on récupère. Dans leur yourte, la mère et ses quatre enfants ont froid et faim ; les disputes sont fréquentes entre l’adolescent et sa mère que l’alcool abrutit. Mais Ulzii tient le coup : il va au lycée à la ville, une des plus polluées au monde ; son professeur a repéré ses capacités en physique et lui propose de passer un concours, très couteux pour lui, ce qui lui permettrait d’obtenir une bourse pour poursuivre ses études. Il doit trouver l’argent pour s’y inscrire ; il s’épuise au travail, s’endormant parfois en cours, et va jusqu’à rejoindre un groupe d’hommes qui font des coupes de bois illégales. Il y a des jours où il aimerait hiberner !

District Yourte

La caméra le suit partout, filmant  les gestes du travail, les moments de complicité et de jeux avec ses frères et sœur, sa colère quand la mère décide de repartir à la campagne avec un seul des enfants le laissant s’occuper des deux autres. On partage son inquiétude quand son petit frère tombe gravement malade mais aussi ses moments de détente quand il retrouve ses copains, buvant, dansant comme tous les adolescents du monde. On le suit jusqu’au concours national qui se déroule à la campagne, loin de sa yourte. On aurait envie de l’aider et le regard caméra qu’il nous adresse au moment des résultats nous émeut aux larmes.

Zoljargal Purevdash a elle-même vécu dans le district des yourtes après le divorce de ses parents. Adolescente, elle détestait ce quartier auquel elle est attachée aujourd’hui. Elle veut soutenir sa communauté, tenue responsable de la pollution due au chauffage au charbon : « À travers ce film, je voulais montrer que quand on respire cet air pollué, ce qu’on respire, c’est la pauvreté de nos frères et sœurs. » Elle se reconnait dans le personnage de cet adolescent à qui elle a donné ses propres rêves, ayant découvert comme lui que la solution était l’éducation. « J’ai toujours adoré regarder des films, mais je n’avais jamais osé me projeter dans le métier de réalisatrice. Plus tard, j’ai eu une bourse complète pour faire du cinéma au Japon. Quand j’ai vu que tous les scénarios que j’écrivais se passaient en Mongolie, il était clair que je reviendrais travailler ici. » Et c’est réussi !

ANNIE GAVA

Si seulement je pouvais hiberner, de Zoljargal Purevdash
En salles le 10 janvier

Duo à quatre corps

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© Agnès Mellon

Zébuline : Vous présentez Versus comme « un duo pour quatre interprètes ». C’est-à dire ?

Michel Kelemenis. Mon sous-titre exact c’est « un duo d’aimants à quatre corps ». J’ai eu le désir d’interroger le duo, mais l’une des particularités du spectacle vivant, c’est que dès lors que l’on met deux personnes en présence, c’est déjà un duo. Alors qu’on ne travaille pas sur la notion de duo, on travaille sur la rencontre de ces deux personnes. Moi je voulais aborder cette figure vraiment dans une préoccupation de chorégraphe. L’idée étant de mettre en perspective, à travers des notions de substitution permanente, une écriture qui va les concerner tous, mais qui se révèle toujours en duo. Ça semble un peu abstrait, mais en réalité c’est très immédiat, dans la perception. J’ai donc travaillé sur cette notion de duo, et d’aimants. « Aimant » étant pour nous en français un terme double, qui évidemment parle de gens qui s’aiment, et qui parle aussi de l’aimant magnétique, où est en jeu le fait de se repousser, de s’opposer ou de s’attirer. 

Quel dispositif scénographique avez-vous imaginé pour cette pièce ?

Michel Kelemenis © Agnès Mellon

C’est un espace qui est petit, 5m x 5m, 25m2, que les quatre danseurs, deux femmes, deux hommes, vont habiter à peu près en permanence, il n’y a pas de développement qui isole les uns par rapport aux autres. J’ai créé cette image en moi pour travailler : les yeux des spectateurs tout autour seraient l’équivalent des murs d’une chambre d’hôtel, qui voit défiler en permanence du récit de rencontres, qui vont avoir plein de textures différentes. Une sorte d’éternité en déroulement. Ceci amène beaucoup d’obligations pour respecter cette distance et cette présence. Au regard de ce que j’aime moi dans la danse, je me suis refusé à ce que « petit espace -proximité » se traduise par « petits gestes d’intimité ». Donc c’est vraiment une danse de déploiement que je mets en scène, en offrant aux spectateurs de voir les danseurs dans ce déploiement d’une manière qui leur est d’habitude un peu interdite, car le rapport scène-salle éloigne forcément le danseur du spectateur. 

Comment avez-vous travaillé sur la musique  ?

J’ai travaillé avec ce même musicien qui accompagne le Magnificat de JS Bach, et c’est la quatrième production après Coup de grâce et Légende pour laquelle je fais appel à lui, Angelos Liaros-Copola, qui est un musicien d’origine grecque, mais qui travaille sur la scène berlinoise, avec des petits labels électro. Il y a dans sa musique une sorte de double-entrée, qui est d’être en même temps très en tension, voire un peu noire parfois, un peu inquiétante, et d’un autre côté, une dimension très lumineuse, une sorte de lumière qui s’ouvre dans ses sons, qui pour moi apparaît plus comme son versant grec d’origine. Je lui ai demandé de créer un environnement qui serait l’environnement des spectateurs et des danseurs, comme le brouhaha qui se trouverait en quelque sorte autour d’un lieu, dans lequel va se dérouler cette somme de récits de rencontres, à travers la substitution des danseurs, deux par deux.

Entretien réalisé par MARC VOIRY

Versus
Du 9 au 12 janvier
KLAP, Maison pour la danse, Marseille

Mouvement perpétuel

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Möbius, cie xy © Christophe Raynaud de Lage

Pas de décor, c’est inutile. Dans Möbius, les dix-neuf acrobates de la compagnie XY redessinent l’espace scénique, occupant toutes les dimensions qu’elles soient verticales ou horizontales. Le cirque devient ici espace de danse, une danse augmentée par les capacités hors normes de ses interprètes. Mais le corps est bien au cœur du propos : pas d’agrès ni d’objets quelconques, la machine humaine suffit. Banquines (ce terme issu de l’italien ancien « saltare in banco » consiste à permettre à un ou plusieurs voltigeurs d’être propulsés par des porteurs qui créent l’équivalent d’une assise sommaire avec leurs mains), main à main, sauts, plongées, colonnes humaines, tout s’articule autour des musculatures des danseurs-acrobates. Les équilibres, les voltes, les saltos, les lancés qui s’entrecroisent, s’orchestrent en un mouvement perpétuel fascinant, le tout sans filet, accordant à cette chorégraphie aérienne la sensation que les limites n’existent plus. Le directeur du Théâtre national de la Danse de Chaillot, Rachid Ouramdane, anime les mouvements d’ensemble à l’image des grands vols d’oiseaux (Möbius a souvent été comparé aux vols des étourneaux), où chacun connaît un parcours propre et cependant est lié au groupe de telle sorte que l’impression d’une unité s’impose. L’énergie collective s’organise selon une géométrie variable qui maintient le mystère sans jamais rompre le caractère hypnotique de sa danse. La création devient le bien commun, chaque artiste a posé sa touche. De tout cela se dégage une harmonie rare peuplée de moments à couper le souffle. L’année 2024 débutera avec panache au Grand Théâtre de Provence !

MARYVONNE COLOMBANI

Möbius
6 et 7 janvier
Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
lestheatres.net

Les 1001 figures d’Huma Bhabah

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© X-DR

D’une telle ampleur, c’est une première, dans une institution française. Et elle est bien méritée. Il suffit de se promener au fil des salles de l’hôtel des collections du MO.CO pour s’en rendre compte. Intitulée Une mouche est apparue, et disparut, l’exposition monographique dédiée à Huma Bhabha s’y déploie avec intelligence, le fruit du travail passionné du regretté Vincent Honoré, directeur des expositions de l’institution montpelliéraine récemment décédé*. Sans jamais surcharger l’espace ni brusquer le regard, grâce à une présentation épurée qui laisse place à l’imagination, on découvre les figures puissantes et polymorphes de l’artiste américano-pakistanaise née en 1962 à Karachi. Qu’il s’agisse de sculptures, de dessins, de photos, de photogravures ou de céramiques, soit une cinquantaine d’œuvres exposées, le visiteur est invité à se plonger avec délectation dans un monde étrange fait de strates successives, physiques comme intellectuelles. Anthropomorphes et pourtant hybrides, ses impressionnantes sculptures forment une armée pacifique de vigies totémiques venues d’un autre monde, dont la présence est presque déstabilisante.

Culture populaire

L’universalisme des formes renvoie à la culture populaire, celle de la littérature de science-fiction et du cinéma d’horreur (ou l’inverse). Mais aussi à la statuaire antique ou à l’histoire de l’art, dont un clin d’œil décalé au Cri de Munch. Huma Bhabha collecte, assemble, modèle les matériaux pour les adapter à son univers singulier et leur insuffler la vie. Ses sculptures sont un enchevêtrement de couches de liège, de polystyrène et d’argile, qu’elle met parfois en forme grâce à des fils de fer, ajoutant souvent une touche de peinture. Cette complexité est contrebalancée par un aspect brut, volontairement inachevé. Qu’il s’agisse de sculptures, de dessins ou encore de céramiques, les figures d’Huma Bhabha s’affirment comme des êtres fantastiques, bien que jamais totalement effrayants, témoins sans âge du dualisme inhérent à notre humanité.

ALICE ROLLAND

Une mouche est apparue, et disparut 
De Huma Bhabha 
Jusqu’au 28 janvier 
MO.CO, Montpellier
* suite à son décès brutal fin novembre, l’exposition est gratuite pour tous les publics jusqu’à son terme. 

Un Polaroid qui ravive la mémoire

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© Denise Oliverfierro

Quel medium étonnant que le polaroid. Innovant par son instantanéité dans les années 1950, il est aujourd’hui un phénomène de mode nostalgique apprécié pour une certaine lenteur, soit une quinzaine de minutes pour se révéler entièrement. Avec le temps les images vieillissent, s’effacent, se transforment, oublient leur histoire… Paulo Duarte s’est imprégné de ce medium de l’éphémère afin de le transposer dans l’espace scénique. Sur scène, Polaroïd est une installation complexe faite de multiples écrans et projecteurs, une façon originale pour l’artiste de recomposer le parcours de son père comme on reconstituerait un album de famille à posteriori. Se pencher sur des souvenirs incomplets, c’est questionner la représentation au-delà même des notions de vrai et de faux. Que dit une image ? Que cache-t-elle ? 

Maux d’exil

La voix off de Paulo Duarte nous accompagne comme un phare sonore, tandis que l’artiste contribue au récit en se jouant des images dont certaines sont créées en live, tout comme la musique, avec l’aide de deux acolytes talentueux. Après plusieurs années passées dans un Brésil devenu le paradis des désillusions, Duarte père revient dans un Portugal sous le joug de la dictature salazariste. Dans cette pièce où le son est essentiel, il est ainsi question de mots de filiation comme de maux d’exil, de grande Histoire et de la grandeur des petites histoires. Entre marionnettes et jeu d’ombres (ainsi que de lumière), le théâtre d’objet y est poétique, touchant, innovant. La photographie se fait trace. Comme la mémoire, il est toujours temps de raviver son imaginaire. Et pour lui redonner vie, partager son histoire.

ALICE ROLLAND

Polaroid a été présenté du 12 au 14 décembre au Théâtre de la Vignette, Montpellier