jeudi 24 juillet 2025
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« Hélène après la chute » : fastueux et fastidieux

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Brontis Jodorowsky et Aurore Frémont dans Hélène après la chute © © Antoine Agoudjian

Troie vient de tomber, après dix années d’une guerre sanglante déclarée par les Grecs en représailles dudit enlèvement d’Hélène. Pâris, son amant et ravisseur, est mort de la main du roi Ménélas, son époux. À la veille du jugement qui cèlera le sort de l’ancienne reine de Sparte, Ménélas demande à la voir. Avec Hélène après la chute, Simon Abkarian s’est donné le défi de combler un vide laissé dans la mythologie grecque en racontant ces retrouvailles, révélant les deux personnages mythologiques dans toutes les nuances qu’il leur imagine. Les spectateurs découvrent un Ménélas (Brontis Jodorowsky) vulnérable et meurtri, qui peine à répondre à Hélène (Aurore Frémont), cynique, qui le provoque, moque ses silences, et l’encourage à la violer, ce à quoi il se refuse. Dans cette joute verbale pleine de rancœur, chacun tente de blesser l’autre et de le ménager dans le même temps. Elle lui donne les raisons de son départ, assumant pleinement la responsabilité de celui-ci. Il lui parle de sa douleur. Ensemble, ils évoquent leur amour passé. De l’un contre l’autre, la colère se retourne contre leur rang et les obligations qui y sont liées. Le mariage forcé qui, même s’ils s’aimaient, leur a volé leur innocence d’enfants. L’injonction à l’honneur et à la virilité pour lui. La dépossession de son corps et de son destin pour elle. Un dialogue émancipateur, sublime, tressé de métaphores lyriques qui jouent sur les mots dans la veine de l’écriture classique, ce qui peut parfois le rendre difficile à saisir. Malheureusement, la mise en scène ne met pas toujours en valeur le texte, ne ménageant pas assez de respirations pour permettre au spectateur d’assimiler toute la beauté du discours.

Des comédiens brillants mais…

De la même façon, la scénographie contrebalance assez maladroitement l’intimité qui devrait être induite par ce huis-clos. Le décor se veut fastueux, pour un souci de cohérence dramatique – l’action se déroulant dans la chambre du défunt prince Pâris. Dans les faits, le plateau est encadré par des miroirs légèrement déformant, un choix peut-être suranné mais qui présente l’avantage de mettre en valeur le superbe travail de lumières conçu par Jean-Michel Bauer. Au centre, un canapé mobile et sur le côté, vers le fond, le piano de Macha Gharibian, qui accompagne l’action de sa musique et de sa voix. La musicienne est habilement intégrée à la mise à scène par des adresses directes des protagonistes à son égard, faisant d’elle un personnage à part entière, ce qui aurait pu être intéressant si cela était tenu tout au long de la pièce. On ne s’explique pas non plus le choix de Simon Abkarian de faire venir sur scène deux figurants qui promènent le canapé pendant les interludes musicaux, dans un ballet qui n’a pas grand intérêt.

La mise en scène serait donc bien fade, si ce n’était pour l’excellente direction d’acteurs et, de fait, le jeu brillant des comédiens, on pense notamment à la physicalité impressionnante d’Aurore Frémont. Tous deux incarnent leur texte avec justesse, traversant tout un panel d’émotions avec subtilité, à l’exception de changements brutaux de tonalités lors d’explosions de colère, rompant le charme qui peine déjà à s’installer.

CHLOÉ MACAIRE

Hélène après la chute était présenté du 19 au 22 décembre à La Criée, théâtre national de Marseille

Au plus près des publics de la culture

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Parvis du Zef, scène nationale de Marseille ©Vincent Beaume

Voilà déjà un an que l’Observatoire des publics et des pratiques de la culture a présenté ses activités au Musée d’Histoire de Marseille à un public de professionnels de la culture, d’étudiants et d’autres curieux. S’y étaient alors esquissés les enquêtes, pratiques et études en cours, ainsi que les horizons à explorer par la suite. L’Observatoire issu d’Aix-Marseille-Université, mais aussi d’une collaboration avec l’Université de Toulon, Sciences Po Aix, du CNRS et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a vu fleurir ses projets d’étude dans différents milieux : elle viendra présenter les résultats de ces enquêtes menées par différents collaborateurs et collaboratrices scientifiques le 19 décembre de 9h à 13h au Zef.

Tour d’horizon

Le domaine des cultures scientifiques, tout d’abord, se verra abordé le temps de trois interventions : celle, donnée par Maria Elena Buslacchi, dédiée à ses acteurs, publics et événements ; celle d’Alexia Cappucio dédiée à la science pour le journaliste ; et enfin, celle de la médiation de l’Histoire en ligne, donnée par Sami Dendani. La géographie culturelle marseillaise sera ensuite explorée par Elisa Ullauri Lloré, le temps d’une étude dédiée à la Biennale de la Joliette ; puis par Zohar Cherbit, qui s’est quant à lui intéressé à l’Opéra et à l’Odéon ; et enfin par Gloria Romanello autour du Musée d’Histoire du Centre Bourse. Rémi Boivin explorera ensuite les publics de la culture arlésienne, avant qu’un focus sur la jeunesse ne soit proposé. Sylvia Girel et Anaïs Mérentier évoqueront les travaux d’éducation à l’image menés par le cinéma L’Alhambra auprès des classes Segpa, avant que Matthieu Demory ne présente l’enquête conséquente consacrée aux pratiques culturelles des étudiants. De quoi esquisser les horizons, espérons-le, réjouissants, des publics de la culture de demain.

SUZANNE CANESSA

Parlons publics !
19 décembre (de 9h à 13h)
Zef, scène nationale de Marseille
observatoire-publics.univ-amu.fr

À Monaco, la danse grand format

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Répétitions de L'Enfant et les sortilèges © Alice Blangero

Du 20 au 23 décembre, Ravel sert de fil conducteur aux représentations du Grimaldi Forum en ces temps de l’Avent. Créé le 20 février 1951, le ballet La Valse, chorégraphié par George Balanchine sur les Valses Nobles et Sentimentales de Ravel, nous invite dans une salle de bal où évoluent des danseurs qui tournoient au fil de huit danses. Outre la mise en abîme de l’image même de la danse, s’ajoute une parabole de l’existence : la mort guette et séduit l’une des protagonistes qui finit par mourir. Attrait, fascination qui préfigurent d’une certaine manière toutes les fins tragiques de la littérature et du cinéma au cœur d’une foule en liesse. 

50 danseurs, 90 musiciens, 100 choristes

Clou de la soirée, créé en 1925 à l’Opéra de Monte-Carlo, L’Enfant et les Sortilèges, composé par Maurice Ravel sur un livret de Colette dont on fête cette année les 150 ans de la naissance, est une fantaisie lyrique qui met en scène un enfant de sept ans qui n’a guère envie de faire ses devoirs de vacances. Sa mère le gronde. Pris d’un accès de colère, l’enfant fait pis que pendre, détruit les objets, martyrise les animaux : « je suis libre, libre, méchant et libre ! ». Épuisé, il s’effondre dans le vieux fauteuil qui se recule. Les objets s’animent, les animaux se mettent à parler et s’apprêtent à se venger des maux que leur a infligés le capricieux… La scène intimiste connaîtra cette année un développement fantastique grâce à la nouvelle interprétation, taillée sur mesure pour les danseurs d’exception que sont ceux de la troupe internationale monégasque par leur directeur, le chorégraphe Jean-Christophe Maillot qui met 240 artistes sur scène : les Ballets de Monte-Carlo, l’Orchestre Philharmonique et les Chœurs de l’Opéra de Monte-Carlo, une Académie de jeunes chanteurs créée spécialement par Cecilia Bartoli, et le Chœur d’enfants de l’Académie Rainier III. Bref, les grandes institutions artistiques monégasques se fédèrent autour du projet. Quel panache !

MARYVONNE COLOMBANI

La Valse 
L’Enfant et les Sortilèges 
20 au 23 décembre
Grimaldi Forum, Monte-Carlo
balletsdemontecarlo.com

OCCITANIE : Les joyeuses fêtes de l’Opéra de Montpellier

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LA VIE PARISIENNE - Compositeur : Jacques OFFENBACH - © Vincent PONTET

Pour le premier opéra de sa saison, l’institution montpelliéraine frappe fort. La Vie Parisienne, grand opéra d’Offenbach, s’installera à l’Opéra Comédie du 20 décembre au 4 janvier pour six dates très attendues. Celles-ci mettront à l’honneur le livret et la partition originale de La Vie Parisienne, souvent amputé de passages pourtant cruciaux pour la compréhension de l’ensemble – et notamment de l’acte IV, dans lequel brille Madame de Quimperkaradec. C’est au Palazetto Bru Zane et à ses recherches musicologiques dédiées, entre autres, au XIXème siècle français, que l’on doit la recréation à l’Opéra de Rouen en 2021 de cette version originale malmenée, et depuis partie pour une tournée à Tours, au Théâtre des Champs’Elysées ou encore à Limoges … Comme toujours chez cet orfèvre de l’opéra bouffe à la française, on y rencontrera une foule de personnages issus du vaudeville : comtesses, baronnes, militaires, millionaire brésilien, courtisanes et autres amants, campés, entre autres, par les formidables Flannan Obé, Jérôme Boutillier, Eléonore Pancrazi … Trois heures trente de grand spectacle empruntant sa finesse mélodique à Mozart et son apparat au grand opéra à la française. Le couturier Christian Lacroix, déjà sollicité sur des costumes et décors, notamment à l’Opéra de Versailles,y signe sa première mise en scène, en collaboration avec Romain Gilbert et Laurent Delvert. Dans la chorégraphie, rassemblant huit danseurs sur scène dont son assistant Mikael Fau, la jeune Ghysleïn Lefever promet de conjuguer les multiples talents que sa carrière de danseuse, comédienne et metteuse en scène lui a permis d’aborder. 

Babar et son orchestre
Un poil plus court – quarante minutes seulement – le chef-d’œuvre de Poulenc dédié à l’enfance sera également joué à l’Opéra Comédie, salle Molière. Composée pour piano, L’Histoire de Babar, le petit éléphant y sera joué dans sa version brillamment orchestrée par Jean Françaix. Le texte, facétieux et décidément intemporel, de Cécile et Jean de Brunhoff, sera interprété par le comédien Damien Robert et la comédienne et traductrice en Langue des Signes Françaises Wafae Ababou le 16 décembre à 11h et 17h. 

Musiques de chambre en vadrouille
Une foultitude de concerts en petits comités sera également donnée hors les murs. Au Théâtre Bassaget de Mauguio, les bassons et contrebassons de Magali Cazal, Blandine Delangle, Arthur Antunes et Rodolphe Bernard proposeront un programme s’étendant de Vivaldi aux Beatles dimanche 17 décembre à 18h. Même jour, même heure pour le trio constitué du violoncelliste Cyrille Tricoire, de la pianiste Anne Pagès-Boisset et de la soprano Hwanyoo Lee, mais c’est cette fois-ci au Théâtre de l’Albarède à Ganges qu’une sélection plus qu’éclectique fera voyager le public du Paris d’Offenbach au Bréil d’Heitor Villa-Lobos, en passant par la mélodie coréenne de la compositrice Wonju Lee. Du 5 au 7 janvier, trois jolis programmes s’enchaîneront. La salle Jacques Brel de Prades-le-Lez accueillera le violoncelle de Pia Segerstam et la harpe d’Héloïse Dautry pour un concert tout aussi éclectique le vendredi 5 à 20h30, où l’on retrouvera notamment un extrait du ballet Maa en hommage à la compositrice Kaija Saariaho. Dimanche 7 à 16h à la salle multiculturelle de Bagnols-sur-Cèze, c’est un concert « multitimbré » que la violoniste Ekaterina Darlet-Tamazova, l’hautboïste Tiphaine Vigneron, l’accordéoniste Simon Barbaux, le contrebassiste Tom Gélineaud et le percussionniste Pascal Martin nous promettent, avec un programme explorant aussi bien l’Europe de l’est que l’Amérique latine. Le plus sage quatuor réunissant les violonistes Sylvie et Olivier Jung, ainsi que l’altiste Florentza Nicola et le violoncelliste Alexandre Dmitriev explorera des chefs d’œuvre transcrits à l’Eglise Saint-Hilaire de Mèze le dimanche 7 à 17h.

Fêter dignement la nouvelle année

C’est enfin la jeune cheffe napolitaine Clelia Cafiero qui prendra la tête de l’orchestre au Corum pour deux éditions du concert du Nouvel An, le dimanche 31 janvier à 18h et le lundi 1er janvier à 12h. La soprano Charlotte Bonnet l’accompagnera sur un programme réunissant les inévitables valses de Johann Strauss, deuxième du nom, mais aussi des pages inoxydables de Gounod – dont le célèbre Air des bijoux – et de Franz Lehár, dont l’ouverture célébrissime de La Veuve joyeuse, suivie de l’air de Vilya. De quoi donner à ce début d’année ce qu’il faut d’allant et de bonne humeur.

SUZANNE CANESSA

La Vie Parisienne, du 20 décembre au 4 janvier, Opéra Comédie

L’Histoire de Babar, le petit éléphant, 16 décembre, Opéra Comédie

Concerts décentralisés, 17 décembre et du 5 au 7 janvier, Maguio, Ganges et divers lieux

Concert du Nouvel An, 31 décembre et 1er janvier, Opéra Berlioz, Corum

Enfants sacrifiés de l’exil

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Élégie d'exil © Berger Alexandra

« Comme vous me voyez-là, je n’ai rien d’un daron comorien, j’ai écrit une fiction que je porte en scène… » répond Soly lorsqu’on lui demande s’il raconte son histoire. Jusqu’ici il avait deux identités, celle de B.Vice, du hip-hop, de la mémoire de son ami assassiné Ibrahim Ali, et celle de M’Baé Tahamida Mohamed, le travailleur social et militant. En écrivant et en jouant Elégie d’exil il noue ces deux fils par la langue, le théâtre, mettant en scène les destins tragiques des Comoriens des quartiers marseillais. « Qui pourraient à quelques détails près être Algériens ou Marocains, enfants de la colonisation française. »

Révolte tragique

Au Théâtre de l’Œuvre la salle hypercomble (sur les marches, debout au fond, dans les travées…) d’un public marseillais majoritairement noir attendait la pièce avec fébrilité. Il est rare de voir quatre Noirs au jeu, à l’écriture, à la mise en scène (Estelle Ntsende, qui joue aussi la fille) Profondément hip-hop par le mélange de musiques live (Salif Diarra) et samplées (Mozarf), par la danse krump, par le rythme slamé des mots et des rimes, Elégie d’exil raconte une histoire simple. Celle d’un Comorien qui peine à vivre à son arrivée à Marseille, réussit pourtant à se marier, à fonder une famille, à élever trois enfants, dont deux meurent. Dans une rixe idiote pour l’aîné, victime d’un règlement de compte, troué de balles et jeté dans un coffre pour le plus jeune. Comment un fils dérive-t-il ? Les ravages du trafic de drogue sont décrits mais aussi le poids des traditions communautaires, les difficultés d’un enfant à accepter l’humiliation constante de ses parents qui enchainent ménages et petits boulots…  Sa révolte, tragique parce qu’elle se retourne contre lui et les siens, semble, dans ce contexte social délétère, inévitable.

AGNÈS FRESCHEL

Elégie d’exil a été créé le 6 décembre au Théâtre de l’Œuvre, Marseille.
À venir 
Mtoulou fait son safari musical
Ahamada Smis
16 décembre à 18h
theatre-oeuvre.com

La transe au masculin

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Näss © C.Audureau

De sa formation et de son début de carrière marqués par le hip-hop, le chorégraphe Fouad Boussouf a conservé le goût du collectif, de la circularité et de la juxtaposition. Peu de choses distinguent Näss, créé à Avignon en 2019,du plus tardif Fêu sur le strict plan de la forme, si ce n’est que chaque pièce se concentre sur un ensemble masculin ou féminin. Vue pour la première fois en octobre dernier à la Biennale de Lyon 2023, l’exclusivement féminine Fêu s’approprie ces mêmes pas, entre hip-hop et danses traditionnelles, les mêmes tableaux d’ensemble et le même goût de l’échappée. Une dislocation similaire s’y opère également entre la danse de troupe, sorte de transe concertée quasiment à l’unisson, et les solos s’érigeant comme des promesses de singularité et d’individualité, mais confinant toujours davantage à la performance, face à laquelle ne peuvent s’opposer que des regards passifs. Les sept danseurs ne manquent ni d’énergie, ni de précision : mais la complicité semble leur manquer. Est-ce à dire que l’absence de mixité conduit bien souvent, et peut-être malgré elle, à un refus du contact et du frottement ? C’est pourtant à la fraternité que ces pas sautillants se faisant parfois pas de course appellent. Pensé en hommage au groupe de musique Nass El Ghiwane et à la culture gnawa, ainsi qu’au Maroc, pays natal de Fouad Boussouf – « näss » signifiant en arabe « les gens » – se rêve contestataire, émancipateur et utopiste. Il se révèlera gentiment fédérateur.

SUZANNE CANESSA

Näss a été joué les 8 et 9 décembre au Pavillon Noir, Aix-en-Provence

Ophélie, le grand retour

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Institut Ophelie © Jean-Louis Fernandez

Ophélie, quelle histoire… Mais laquelle ? Celle du Hamlet de Shakespeare, dans laquelle la belle princesse du Danemark finit par sombrer dans la folie à cause de son amoureux vengeur avant de mourir noyée, on aimerait bien l’oublier. Surtout qu’on nous l’a rabâchée à toutes les sauces, faisant de la défunte, victime aussi tristement jolie que résignée, une représentation féminine de premier choix pour les artistes… masculins, évidemment. Dans Institut Ophélie, montée en 2022 sur la scène du Théâtre des 13 Vents CDN Montpellier, qu’ils dirigent en duo depuis 2018, Nathalie Garraud (à la mise en scène) et Oliver Saccomano (à l’écriture) ont décidé de faire un pas de côté pour regarder les Ophélie en face. Cette « invention », a été conçue en diptyque avec leur pièce d’étude Un Hamlet de moins. Tout se passe dans une pièce aux multiples portes, de ces décors qui font penser à ces cauchemars dont on n’arrive pas à sortir, sauf en se réveillant en sursaut en pleine nuit. Pas de fenêtre mais une lumière écrasante, irréelle, et une femme. Brune, les cheveux courts, la gouaille revancharde. Qui est-elle ? Elle ne nous dit pas son nom. Fait étrange : elle parle d’elle-même à la troisième personne. Mais parle-t-elle vraiment d’elle ?  « Vous voyez une femme. Derrière elle, un paysage de guerre. » Le spectateur ne voit que des portes, car c’est un passé de femmes qu’elle porte, traversé physiquement par des hommes qui parlent (trop), font la guerre (trop) et décident de la marche du monde (mal). 

Héroïne d’un soir

Ce sont des hommes également qui ont créé cet Institut d’Ophélie, un lieu où l’on remet des Ophélie en perdition sur le droit chemin. Sans pour autant se demander quelle est la source de leur malheur. Notre héroïne d’un soir n’est pas Ophélie, elle l’affirme. Elle est son « après », sa colère enfin mise à jour, son désir d’être vivifiant, sa révolte infiniment poétique, sa multiplicité insaisissable. Le rôle semble taillé sur mesure pour la comédienne Conchita Paz. Bien qu’elle ne soit jamais très longtemps seule sur scène, on ne voit et on n’entend qu’elle, tant elle est incandescente. Parler de liberté dans un lieu clos pourrait sembler paradoxal, et pourtant c’est bien cela qu’elle fait tout au long de la pièce, elle se libère. Est-elle hallucinée, folle, un fantôme ? Peu importe, elle est le combat des femmes, du passé et du futur. Car rien n’est gagné. La lutte doit continuer. « Tenez bon » nous dit la femme. Le désespoir ne triomphera pas. 

ALICE ROLLAND

Institut Ophélie est présenté jusqu’au 20 décembre au Théâtre des 13 vents, Centre Dramatique National, Montpellier

Alonzo King, la rivière des songes

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Deep River © RJ-Muna

Il existe des chorégraphes qui nous deviennent rapidement familiers, dont on reconnaît la signature à peine le rideau levé, dont chaque geste nous rappelle un autre geste vu ailleurs, dans un autre spectacle, interprété pour un autre danseur. Et pourtant encore tellement vivant dans notre souvenir. Alonzo King fait partie de ces magiciens de l’art dansé, en un instant il nous emporte ailleurs, dans un lieu qu’il a créé de toutes pièces, une sorte de songe dans lequel le spectateur prend un plaisir presque coupable à se plonger avec indolence. Comme toujours, les corps des danseuses et des danseurs sont longilignes, extrêmement musclés, d’une souplesse incroyable comme d’une beauté saisissante. Intense et d’une sensualité aérienne, le mouvement est virevoltant tout en étant toujours très ancré dans le sol, doté d’une dynamique aussi entêtée qu’entêtante. Tout en rondeur, ce mouvement est tourbillon, qu’il tourne sur lui-même ou se déploie comme une vague. Les bras sont omniprésents, les mains prêtes à l’envol tandis que chaque saut est aussi léger qu’un soupir. Pendant ce temps, les jambes s’étirent à l’infini, enchaînent équilibres, fouettés et pirouettes sans jamais faiblir. Précises, les pointes symbolisent un classicisme d’une pureté virtuose, sans jamais s’imposer, au contraire. Avec Alonzo King, grand admirateur de Balanchine, tout est esthétique. Cela en serait presque lassant. 

Zones d’ombre

Pourtant quelque chose semble changé, la lumière d’Alonzo King à laquelle nous nous étions habitués n’est pas la même, des zones d’ombre sont là. On note une rigidité inattendue, des barrières invisibles entre les danseurs, un inconfort dans certaines attitudes. Mais aussi une main sur la bouche, un corps qui se tord ou s’abandonne, une fièvre enivrante, un rire terrifiant… L’harmonie est sans cesse interrompue entre solos, duos, trios et mouvements d’ensemble. Ce manque de transitions n’est rien d’autre que la face visible du Covid-19. Car ce ballet est né des deux premières années de pandémie pendant lesquelles les artistes de LINES Ballet ont souvent travaillé en solitaire dans des bulles de création improvisées. Traversé par de magnifiques chants spirituels de tradition juive comme africaine, Deep River se veut ainsi un appel à naviguer sur une rivière d’espoir même dans les moments les plus sombres. Agiles, expressifs, sensibles, le dernier solo comme l’incroyable pas de deux final rayonnent. Inoubliables. 

ALICE ROLLAND

Deep River d’Alonzo King et du LINES Ballet était présenté les 13 et 14 décembre par Montpellier Danse au Corum

Jarry encore, Ubu toujours

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Costumes de Père et Mère Ubu, pour la mise en scène de Jean Vilar, 1958 © Association Jean Vilar

En 1889, Alfred Jarry (1873-1907), quinze ans au compteur, écrivait Ubu Roi. En 2023 l’auteur fête ses 150 ans. L’occasion de commémorer l’immortalité d’une œuvre tapageuse et, malheureusement, prodigieuse d’actualité.

L’exposition est centrée sur la production du Théâtre National Populaire conduite en 1958 par Jean Vilar. Sous titrée Jarry, Ubu, Vilar, le théâtre en liberté, elle déploie une arborescence à partir de certains costumes, imaginés par le peintre Jacques Lagrange, décorateur et coscénariste de l’intégralité des films de Jacques Tati.

Chargé de la gestion des collections et des recherches iconographiques- documentaires, Adrian Blancard suspend ces pièces admirablement préservées, au centre d’une galaxie où évoluent les multiples satellites, constitués de notes de mise en scène, extraits de programme, photographies de Georges Wilson-Père Ubu et Rosy Varte-Mère Ubu (quel couple!), signées Agnès Varda.

À ces documents historiques, issus du Fonds Jean Vilar et de la Bibliothèque Nationale de France (dont l’antenne avignonnaise s’étend sur le second étage de la « Maison »), s’ajoutent les affiches de multiples Ubu, joués, au fil du Off Avignon et des dessins, maquettes, effectués par les enfants du Centre de loisirs de la Barthelasse et de l’Espace Pluriel, sous le regard de la plasticienne Pauline Tralongo. À l’origine de la restauration du petit cheval (de bois) dessiné par Jacques Lagrange, l’École d’art d’Avignon compose la cheville ouvrière du Ubu, Atomic, Cabaret.

Ubu au présent (hélas)

À quelques encablures de Noël, le merdredi22 décembre, se tiendra une soirée performance, prolongée par Qui Ubu boira, bal festif. Des ateliers préparatifs gratuits sont programmés les 13 et 20 décembre.

Enfin, du 11 décembre au 19 janvier, trois cycles d’ateliers de fabrication sont pris en charge par la Cie Deraïdenz, fer de lance de l’expression marionnettique dans la Cité des Papes. Une déambulation des figures confectionnées clôturera, le 20 janvier, ce salut à Alfred Jarry et ses thuriféraires.

Bon anniversaire Alfred ! illustre une synergie exemplaire entre différentes structures locales, doublée d’une évocation plus que jamais nécessaire, dans un temps où les Ubu émergent, pour de vrai, aux quatre coins de la planète.

MICHEL FLANDRIN

Bon anniversaire Alfred !
Jusqu’au 20 janvier 

Y’a de l’Ubu
Jusqu’au 31 mai
04 90 86 59 64
maisonjeanvilar.org

Intenses et grandes petites

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Majorettes © Philippe Savoir

On l’oublie mais la notion même de « majorette » est un oxymore, la contradiction en un terme du grand, militaire et viril « major », et de « ette », féminin diminutif. Mickaël Phelippeau, qui aime à s’approcher des pratiques artistiques et sportives populaires pour exposer doucement, pudiquement, l’intimité des êtres, ne pouvait que s’intéresser à ce paradoxe vivant. 

Dès leur entrée sur scène les Major’s Girls sont bouleversantes. Leurs corps maigres ou franchement ronds, leurs visages marqués par le temps, la chirurgie et le maquillage, sont surprenants d’intensité. Elles défilent, longuement, fortes d’une expérience à toute épreuve, fatiguées cependant par les ans. Car les plus jeunes de la compagnie ont plus de quarante ans, et sont pour la plupart les filles des anciennes, 70 ans, qui ont fondé la compagnie en 1966. Et qui sont toujours là, menant toujours une troupe qui a 60 ans d’âge moyen. 

Jusqu’au bout

On apprendra ces détails biographiques plus tard, quand elles parleront d’elles, succinctement, entre deux numéros. Leurs voyages, le luxe d’un hôtel, des réceptions qu’on leur réservait, l’évocation des tournois, des strass d’un défilé, contrastent avec l’apéro chips qu’elles partagent, le divorce, la FIV, les difficultés qu’elles évoquent, leur condition de femmes qui traversent la vie et vieillissent.  Leurs propos sont magnifiés dans leur geste, ce bâton qu’elles peinent parfois à rattraper, ces pas martiaux exécutés par des cuisses chatoyantes, ces paradoxes, encore, des femmes de caractère. Et leurs moments de joie, les petits enfants qui viennent saluer avec elles, le rapport fille-mère tendrement dansé, le beau chauffeur moustachu épousé (« mon père », précise la fille). 

Pourquoi restent-elles majorettes ? C’est leur famille, leur fierté, leur fenêtre sur le monde, leur ciel étoilé. Elles seront ensemble jusqu’au bout jurent-elles, jusqu’à ce qu’elles ne puissent plus bouger. Avec la capitaine, fondatrice de la compagnie à 16 ans en 1966 (oui oui, 73 ans), qui fait virevolter son bâton à une vitesse folle, tout autour de son corps solidement debout.

Après avoir abandonné l’uniforme pseudo militaire et pris des habits de ville pour parler d’elles, elles enfilent l’uniforme libre, noir et jaune, que Michel Phelippeau affectionne. Débarrassées des oxymores, magnifiquement humaines.

AGNÈS FRESCHEL

Majorettes, créé lors du festival Montpellier Danse 2023, a été joué le 8 décembre au Zef. Il sera repris le 1er juin au Pavillon Noir, Aix en Provence.