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OCCITANIE : L’érotisme de vivre

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Alice Mendelsson et Catjerine Ringer © Mathias Walter

Pendant une longue partie de sa vie, Alice Mendelson a écrit en marge du reste de sa vie, sans jamais chercher à être publiée. En 2021, Catherine Ringer révèle ces textes au grand public, dans L’érotisme de vivre, spectacle initialement créé en soutien au théâtre parisien de La Huchette après le Covid. Dans ce spectacle, Catherine Ringer donne corps et voix aux mots de la poétesse, amie de son père et aujourd’hui nonagénaire. Parfois en chantant, parfois non, l’ancienne chanteuse des Rita Mitsouko, accompagnée sur scène par Grégoire Hetzel, met toute la sensualité de sa voix au service de ces poèmes qui disent l’amour, le désir, la joie de vivre, la joie de tout.

CHLOÉ MACAIRE 

28 janvier
Opéra Orchestre National de Montpellier 

Preljocaj abolit les lois de la gravité

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Gravite © JC Carbone

Au carrefour d’une grammaire classique astucieusement contournée et de tracés audacieusement contemporains, Gravité, créé en 2018 au Théâtre National Populaire (TNP) dans le cadre de la Biennale de Lyon, connaît depuis un succès sans démenti, à l’instar de pièces pourtant tenues pour moins expérimentales – Blanche-Neige ou encore le plus récent Lac des cygnes, affichant régulièrement complet. Un succès dû, entre autres, à une réception critique particulièrement enthousiaste, mais aussi au plaisir renouvelé de ses interprètes et du chorégraphe à la reparcourir. Gravité ne manque en effet ni d’audace ni de créativité. L’opus, non content de questionner les lois de la pesanteur en mettant à profit la force physique et expressive de ses interprètes, s’intéresse avant tout aux liens qui se nouent entre eux. Et nous plonge avec une réelle ferveur dans les profondeurs mystérieuses de l’attraction, obsession récurrente chez le chorégraphe et entrevue de nouveau, entre autres, dans Deleuze/Hendrix ou Torpeur. Une expérience sensorielle qui trouve sa quintessence dans la virtuosité de danseurs rattachés à la pièce depuis déjà quelques années.

Ici, le temps (musical) devient espace

Dès les premières notes de la bande son, où se conjuguent les compositions intemporelles de Bach, Xenakis, Chostakovich, et Ravel avec les rythmes hypnotiques de Philip Glass, Daft Punk, et les expérimentations sonores avant-gardistes du fidèle collectif 79D, le rideau s’ouvre sur une scène où des corps semblent gésir au sol, en apesanteur apparente. Cet initial tableau statique se transforme au gré des décharges successives de mouvements, dévoilant une chorégraphie où une grâce presque irréelle cohabite harmonieusement avec des furies collectives, et parfois même guerrières. Comme souvent chez Preljocaj, c’est entre hommes et femmes que se noue le dialogue le plus intéressant,  caractérisé par une identité partagée mais décalée, et trouvant son équilibre dans la partition complexe de Bach et le canon cancrizans de L’Offrande Musicale. Loin des conflits larvés puis outrés agitant la foule des Noces, Gravité marque un tournant dans la représentation des genres par le chorégraphe. Les duos se succèdent dans une ronde infinie, explorant avec fluidité différentes polarités, notamment dans des portés où la légèreté se marie à la densité de l’espace, créant des tableaux d’une beauté envoûtante.

La chorégraphie, organique et contrapuntique dans son fonctionnement interne, ne se contente pas de juxtaposer des gestes : elle façonne les différents macrocosmes mis en scène en confrontant les mouvements à la légèreté d’un moment et à la densité d’un autre. Ces variations subtiles sur le temps et le rythme, magnifiées par la lumière délicatement mouvante d’ Eric Soyer, guident avec une élégance infinie la progression de l’action, plongeant le spectateur dans un univers où chaque instant peut s’élargir de façon insoupçonnée.

Harmonie des corps

Car c’est bien une harmonie, loin de la contagion ou de l’emprise, qui unit les danseurs. Les échanges sur scène ne sont pas des jeux d’influence. Les duos procèdent d’une dynamique d’échange d’un partenaire à l’autre, d’un dispositif au suivant : elles s’essaient à différentes polarités, notamment dans les portés. On n’efface ainsi pas l’un au profit de l’autre. L’exemple saisissant des deux danseurs propulsant leurs créatures, deux danseuses affublées de casques de moto, révèle une symbiose artistique où les auxiliaires ne sont pas de simples pygmalions, mais des facilitateurs des mouvements surnaturels que les créatures incarnent.

Ces jeux sur le temps et le rythme accompagnent la progression de l’action, jusqu’à ce cercle organique qui retentit au son du Boléro de Ravel, à la fois inquiétant et étonnant de lyrisme, fin parfaite et pourtant différée d’un spectacle jouant habilement sur l’attente.

SUZANNE CANESSA

Gravité d’Angelin Preljocaj
19 janvier
Scène de Bayssan, Béziers

Dans les coulisses du tourisme de masse

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Animal, 2024

Présenté au cinéma La Baleine à Marseille le 10 janvier, Animal de Sofia Exarchou sort en salles ce 17 janvier

En 2016, dans son premier long métrage, Park, la réalisatrice grecque Sofia Exarchou avait tracé un portrait amer de son pays en nous faisant partager l’été de jeunes désœuvrés, d’athlètes à la retraite et de chiens parmi les ruines et les sites sportifs à l’abandon du village olympique d’Athènes, dix ans après les Jeux. Pour son deuxième film, Animal, c’est dans le microcosme d’un hôtel all inclusive d’une île grecque qu’elle nous emmène suivre le travail  quotidien des animateurs. De ceux qui sont chargés de fabriquer aux touristes des moments dont ils se souviendront, les incitant à revenir l’été suivant. « Je voulais faire un film sur le travail en Europe occidentale et dans les sociétés capitalistes. J’ai très rapidement décidé que l’histoire se déroulerait dans l’industrie du tourisme. »

Parmi cette troupe d’employés, trois figures féminines : Kalia (Dimitra Vlagopoulou), la trentaine qui a déjà fait un grand nombre de saisons, Eva (Flomaria Papadaki), 18 ans dont c’est le premier été et la petite Mary 6 ans – ou peut-être un seul personnage à différents moments de sa vie. Kalia à qui la scène, le travail, ont volé les rêves. Kalia que la caméra de la directrice de la photo Monika Lenczewska suit partout, sur scène, dans les coulisses, sous la douche, s’attardant sur une plaie qu’elle tente de réparer… avec une agrafeuse. Car the show must go on ! Le  loisir est garanti à longueur de journée : pour les enfants, les adultes, à la piscine, au bar, à la plage…

Précarité, noirceur, fatigue

Avec ce film, Sofia Exarchou s’est beaucoup documentée sur le travail des animateurs de ces hôtels et les coulisses de ce tourisme de masse, elle a crée son propre univers, une sorte de cirque moderne imaginant avec le chorégraphe Christos Papadopoulos des ballets originaux, une troupe aussi, presque une famille car ces animateurs vivent ensemble dans des logements à la périphérie du complexe hôtelier, comme pris au piège. Tels ces poissons dans un aquarium qu’on voit dés les premiers plans et qui reviennent. Leitmotiv comme le tube des années 1970 Yes Sir, I Can Boogie de Baccara qu’on réentend à la fin, moment bouleversant où Kalia va affronter son destin et sans doute le changer. Ce film à l’esthétique soignée, à la mise en scène fluide met les corps au centre et nous fait réfléchir sur ceux qui les usent en travaillant : « Je voulais surtout parler de ceux qui connaissent la précarité, la noirceur, la fatigue induites par ces conditions. Pour moi, Animal devait être une allégorie pour n’importe quel autre secteur d’activité », précise la réalisatrice. C’est réussi !

ANNIE GAVA

Anima, de Sofia Exarchou
En salles le 17 janvier

Sur les routes russes

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La Grâce © Bodega Films

Sélectionné à la dernière Quinzaine des cinéastes de Cannes, La Grâce d’Ilya Povolotsky, nous embarque dans un voyage du nord au sud de la Russie

Des paysages de montagnes puis de steppes désertiques, un van rouge sur une route cahotante. À son bord, un homme au visage fermé et une adolescente qui mâche bruyamment un chewing-gum. Qui sont-ils ? Que font-ils là ? On ne sait pas grand-chose des protagonistes du premier long métrage de fiction d’Ilya Povolotsky. Taiseux, ils vivent dans ce van qui contient toutes leurs affaires, en particulier le matériel d’un petit cinéma itinérant et une urne funéraire. Il faut accepter de ne pas tout comprendre immédiatement, de se demander ce qui se passe, fasciné par ces paysages qu’ils traversent. Accepter de partager le voyage de ce père (Gela Chitava) et de sa fille (Maria Lukyanova) du sud au nord de la Russie, de la frontière géorgienne jusqu’aux rives de la mer de Barents. Chercher de l’eau, se ravitailler en essence, monter un écran de fortune dans des lieux improbables, montrer à des villageois, sortis de nulle part, Le Frère, un film culte d’Alexeï Balabanov. Le père vend sous le manteau des DVD pornos et se fait poursuivre par des villageois furieux. Avec son polaroid, la fille prend des photos des gens qu’elle croise, des paysages et même de dos, nu, le premier garçon avec qui elle a couché mais qui ne doit pas la suivre.

L’histoire d’un passage

Tourné en pellicule, en longs plans séquences, panoramiques et plans fixes, le film d’Ilya Povolotskynous donne à voir des paysages désolés, un monde fantôme aux couleurs de l’hiver, où « l’été semble avoir été annulé », d’immenses bâtisses aux murs lépreux. Parfois, père et fille ne peuvent poursuivre leur voyage ; la route est coupée. Des gens en combinaison blanche ramassent des poissons morts, décimés par la peste. Au fur et à mesure que l’on va vers le nord, les couleurs deviennent de plus en plus minérales, le temps semble se dilater jusqu’à la mer qui emporte les cendres. « Le film a l’air d’être un road-movie mais c’est inexact. C’est une histoire de passage à l’âge adulte, de maturité »,explique sa réalisatrice. Tourné dans l’ordre chronologique en 42 jours sur 5000 km, La Grâce est un superbe film, âpre, dont les images restent en mémoire comme ces albums anciens qu’on feuillette au fil du temps.

ANNIE GAVA

La Grâce, Ilya Povolotsky
En salles le 24 janvier

Quand le mensonge sonne juste

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"Celui qui s'en alla" de Lisa Guez © Clara Normand

Dans Celui qui s’en alla, Lisa Guez donne à voir un manipulateur mythomane dans une mise en scène épurée et surréaliste

Avec ses pièces, Lisa Guez explore les phénomènes d’emprises. C’est ce que l’on a de nouveau pu constater au Théâtre Joliette ces 12 et 13 janvier avec Celui qui s’en alla, qui s’intéresse à la figure du manipulateur. Alexandre (Arthur Guillot) ne ressent pas la peur. Il ne ressent rien d’ailleurs, alors il joue avec ce que ressentent les autres, avec leur vie toute entière même. Interné dans un hôpital psychiatrique, il rencontre Maria (Nelly Latour), une jeune patiente qui, suite à un accident, est incapable de distinguer ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Il s’engouffre dans cette brèche. Alexandre est un mythomane, un manipulateur incapable de ressentir quoique ce soit. Il affabule en permanence, si bien que tous ceux qu’il rencontre se retrouvent comme Maria, incapables de savoir s’il dit vrai ou non. La mise en scène épurée et surréaliste épouse avec subtilité les formes de ses affabulations, concrétisant sur scène certains de ses récits.

Le faux gourou
Les cinq personnages secondaires sont autant de nuances de relation d’emprise qui peuvent exister avec un tel manipulateur. Si chacun d’entre eux est tout à fait singulier, une différence est visible entre l’écriture des personnages masculins et féminins. Les hommes, assez caricaturaux, veulent qu’il donne un sens à leur vie, ils cherchent en lui un gourou. Au contraire, les femmes se débattent davantage dans ses filets, elles voudraient développer de vraies relations humaines avec lui.

Ce qui est intéressant, c’est qu’il est très peu question d’argent, de statut social, de sexe. Alexandre ne tire aucun bénéfice concret de ses manipulations. Il détruit pour le plaisir, pour tester les limites, sans que jamais rien ne l’affecte. Ou presque, car il semble par moment souffrir de cette différence. Mais peut-on le croire ? Alors on comprend sa mère qui veut l’aider, son ex-petite amie qui veut croire en lui. Le spectateur aussi est pris au piège de ce bijou de théâtre contemporain.

CHLOÉ MACAIRE

Celui qui s’en alla a été donné les 12 et 13 janvier au Théâtre Joliette, Marseille.

Celle qui a dit non

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Primadonna © Destiny films

Dans Primadonna, Marta Savina met en lumière l’histoire de Franca Viola, première italienne à s’être opposée à la pratique du mariage dit « réparateur »

Il y a des actes de courage individuel qui infléchissent l’Histoire, changent la donne, ouvrent la voie. Des actes révolutionnaires sans révolution : un refus soudain de se plier à une loi injuste, une tradition oppressive, une violence ou un oubli. C’est le « non » de Rosa Parks dans l’Alabama raciste des années 1950. C’est aussi celui de Franca Viola, la première Italienne à s’opposer, en 1965, à la pratique séculaire du mariage « réparateur », refusant d’épouser son ravisseur et violeur et le traînant, malgré les pressions sociales, devant les juges.

« Pour la première fois non seulement une jeune fille en Sicile a préféré être “déshonorée” plutôt qu’accepter la violence d’un homme, mais surtout, un père, au lieu de résoudre la question en épaulant un fusil et en se vengeant avec ses propres mains, a cru dans la force de la loi et dans celle de l’État. » écrivait La Stampa. La loi qui exonérait le violeur s’il lavait le déshonneur de sa victime en la prenant pour femme, sera abrogée en 1981. Cette histoire hante Marta Savina. En 2017, elle en fait le sujet de son court métrage Viola. En 2022, celui de son premier long, Primadonna.

Casting parfait pour ce film primé au Festival de Rome. Franca Viola devient Lia Crimi, toujours interprétée par Claudia Gusmano au visage de madonne. Lia naturellement anti-conformiste, préfère travailler aux champs avec son père que rester à la maison avec sa mère et son petit frère pour apprendre à être femme au foyer. Dario Aita est l’antipathique et archétypal Lorenzo Musicò, fils du parrain du coin, arrogant, sûr de son impunité, flanqué de sa bande de voyous. Pour lui, il y a les femmes qui restent au lit comme sa maîtresse et celles qu’on épouse comme Lia – qui a quelquefois flirté avec lui, tout en restant chaste. Fabrizio Ferracane incarne avec subtilité, le père, accablé par l’oppression de « ceux qui ne perdent jamais » et fier que sa fille les brave. Sans oublier, Francesco Colella, avocat mis sur la touche qui finira par défendre Lia.

Au grand jour
La réalisatrice reconstitue l’affaire en trois temps dans une mise en scène sobre, linéaire, un peu illustrative. D’abord une contextualisation plus stylisée que documentaire : juxtaposition de scènes, succession de gestes simples. Dans des paysages beaux à couper le souffle où tout semble immuable, se dessine un monde rural archaïque, patriarcal, sous la coupe de la mafia locale et d’un clergé complice dominant ses « brebis » à coups de processions et de sermons. Puis le basculement du rapt et du viol. Le séisme familial et intime. Les conséquences du choix de Lia : mise au ban du groupe, stigmatisation, menaces, exactions. Et enfin le procès.

Si Primadonna n’apporte pas de grandes surprises en termes d’écriture cinématographique, ni de scénario, n’évitant pas toujours l’aspect édifiant, on retiendra de fort jolies scènes. Comme cette baignade nocturne de toute la famille Crimi qui, ostracisée par la collectivité, n’a plus droit au grand jour. Un grand jour que film a le mérite de faire sur le cas Franca Viola, une femme qui a dit non.

ÉLISE PADOVANI

Primadonna, de Marta Savina 
En salles le 17 janvier

Sur les sentiers de la peur

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La tête froide © UFO distribution

Avec La tête froide, Stéphane Marchetti part sur les routes migratoires des Alpes, et filme avec intensité le rôle des passeurs

Des sommets enneigés et, au milieu de nulle part, dans un camping inutilisé en saison froide, un mobil-home : la maison de Marie (Florence Loiret-Caille), une femme fragilisée par la vie, criblée de dettes, que le propriétaire menace de chasser faute de loyers payés. Travaillant deux soirs dans un bar, elle survit grâce à la contrebande de cigarettes. On est prés du col de l’Échelle, à la frontière italienne. En pleine nuit, un jeune homme noir lui fait signe : il a besoin d’aide pour une jeune femme cachée dans la neige qui va accoucher. C’est un jeune réfugié gambien, Souleymane dit Soul (Saabo Balde), qu’elle accompagne dans un centre d’accueil, un hébergement provisoire. « Je n’ai pas l’intention de me lancer dans l’humanitaire ! » clame t-elle. Elle ne le peut guère, en effet. Le propriétaire lui a coupé eau et électricité ; sa fille qui vit à Grenoble chez sa tante débarque et lui annonce qu’elle veut arrêter ses études. Marie est acculée et se décide à accepter la proposition de Soul de devenir « passeuse ». C’est en Lybie que Soul a rencontré un passeur et l’est devenu à son tour. Commence alors pour Marie le cercle infernal du passage de migrants, des mensonges à son compagnon, Alex (Jonathan Couzinié) gendarme, des risques de plus en plus grands au cœur des Alpes. Car Soul a besoin d’une grosse somme d’argent pour gagner l’Angleterre avec sa jeune sœur, Awa. Jusqu’au jour où…

Pentes neigeuses
En 2017, Stéphane Marchetti avait réalisé avec Thomas Dandois un documentaire : Calais, les enfants de la jungle. Dans ce premier long métrage de fiction, La Tête froide, il choisit de raconter l’enfer des routes migratoires à travers la rencontre de ces deux êtres qui, peut-être, n’ont pas le choix. À aucun moment, il ne juge ses personnages : chacun a ses raisons et le spectateur suit avec angoisse leurs trajets dans cette immensité neigeuse. La caméra filme  tour à tour l’espace exigu, oppressant, où Marie a dû héberger Soul ou du véhicule qui transporte les migrants, les routes escarpées et glissantes, les pentes neigeuses où ils risquent leur peau. On ressent le froid, la tension, la peur. Les deux acteurs sont excellents aussi bien  Florence Loiret-Caille qui joue cette femme nerveuse, au sang froid étonnant dont le visage, filmé souvent en gros plan, exprime avec beaucoup de sensibilité les émotions que Saabo Baldequi incarne un personnage durci par la vie mais plein de tendresse pour sa petite sœur. On peut juste regretter la fin… que l’on ne vous dévoilera pas !

ANNIE GAVA

La tête froide, de Stéphane Marchetti
En salles le 17 janvier

À l’écart du monde

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S’inspirant du fait divers du « Bal des Folles », Arnaud des Pallières saisit dans Captives l’horreur d’un asile pour femmes de la fin du XIXe siècle

C’est par un gros plan sur les mains gantées d’une jeune femme que s’ouvre Captives d’Arnaud des Pallières. Chair encagée par la résille noire, poignets entravés par le fer de menottes. On est en 1894, vêtue d’une simple robe de velours bleu, Fanni (excellente Mélanie Thiery) vient d’entrer de son plein gré à l’asile de la Pitié Salpêtrière. Déshabillée, palpée, interrogée sur ses antécédents médicaux, elle est admise dans un « service tranquille et semi tranquille » de cet enfer. Les cris, les bains forcés, la promiscuité, la violence des gestes, la brutalité des gardiennes, la cruauté de la directrice. Près de 500 captives, autant de jeunes taxées d’hystériques, vieilles, malades, simplettes, délinquantes, alcooliques ou mises là, à l’écart par leur famille parce qu’elles gênaient. Aucun espoir de guérison : on ne les soigne pas, on les calme, douches froides, bromure.

Que vient faire la belle Fanni ici ? Elle cherche à retrouver sa mère dont elle a perdu la trace il y a déjà des années. C’est par ses yeux que nous découvrons ce monde clos : les lieux où les femmes sont entassées, les pavillons privés comme celui où on retient arbitrairement Hersilie Rouy (Carole Bouquet) internée sous un faux nom par un frère qui l’a spoliée de son héritage, pianiste privée d’un bon piano, intellectuelle qu’on empêche d’écrire. Les drames aussi : une jeune femme qui accouche et dont on fait disparaitre le bébé. Une femme anorexique qu’on gave comme une oie la veille de sa sortie et meurt étouffée. Une autre qui se pend. Et dans cet univers impitoyable géré par la terrible surveillante générale, Bobotte (Josiane Balasko) et la haineuse La Douane (Marina Foïs), des moments de grâce : la répétition du quadrille pour le fameux Bal des Folles où Bobotte les a inscrites, les moments où Fanni chante. Les visages de ces femmes abimées, filmés en gros plan, par la caméra de David Chizallet se nimbent de lumière. Le moment où Fanni fait danser Camomille (Yolande Moreau), la mère qu’elle pense avoir retrouvée est bouleversant. Leurs visages superbement éclairés, rendent ce moment magique, faisant presque oublier les regards libidineux de ceux, venus de l’extérieur assister à ce spectacle de cirque honteux.

Intimité et réalité historique
Certes on peut se demander comment une femme peut se faire interner aussi facilement, quitter ainsi pendant deux mois mari et enfants sans donner de nouvelles, se mettre en danger dans ce milieu fermé. A-t-elle vraiment toute sa raison ? Le scénario se coupant d’une logique rationnelle traduit sans doute un égarement intime, et justifie le parti-pris d’Arnaud des Pallières d’une caméra en immersion, adoptant le point de vue de Fanni, captant au plus près, ses émotions, ses mystères. La peau de Mélanie Thiery sans maquillage, saisie jusqu’aux pores, jusqu’au bord rosé des paupières gonflées est saisissante de nudité.

C’est un an avant la parution du roman de Victoria Mas, Le Bal des folles, qu’Arnaud des Pallièreset sa scénariste Christelle Berthevas se sont vus proposer par un producteur ce sujet du « bal des folles » de la Salpêtrière. Le film n’en est donc pas une adaptation. Il relève bien d’une vision cinématographique où la réalité historique et documentaire se déforme entre rêves et cauchemars pour faire vivre au spectateur, selon le désir du réalisateur, « une expérience mentale ».

ÉLISE PADOVANI ET ANNIE GAVA

Captives, Arnaud des Pallières
En salles le 24 janvier

Blanca Li prolonge Noël

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Casse-Noisette, Blanca Li, Aucante, 2022

Au Pavillon Noir à Aix-en-Provence, la chorégraphe espagnole proposait un Casse-Noisette joyeusement revisité

Peu de ballets classiques se prêtent autant à la réécriture que Casse-Noisette. Moins marquée par les questions de genre et de séduction que Le Lac des Cygnes ou Giselle, l’œuvre de Tchaïkovski se pare d’éléments merveilleux et d’un brin d’orientalisme. De quoi séduire Blanca Li et titiller son goût du mélange, du singulier et de l’enfantin. Le premier acte se fait ainsi populaire, festif et désordonné. Une famille recomposée de sept danseurs et danseuses enchaîne, toute de paillettes de Noël vêtue, free-styles, chorégraphies collectives, head-spins, break-dance mais aussi déhanchés empruntés, entre autres, à la salsa et au reggaeton …  Lorsqu’apparaît le casse-noisette, campé par Nelson Ewandé, la danse saccadée, robotique, se réapproprie avec grâce les différents mouvements esquissés jusqu’alors – et se risque même à une petite Macarena ! L’Acte II se recentre sur la musique de Tchaïkovski, et construit des tableaux moins foutraques, quoique toujours aussi composites, dont une charmante marche militaire des soldats rapidement détournée. Les divertissements – danses arabe, chinoise et turque, entre autres – loin de l’imaginaire douteux d’alors, permettent à des danses en duo revisitées de convoquer d’autres imaginaires. Jusqu’à une pluie de neige artificielle sur scène, sur laquelle les pas chassés se font poussées ouvertes. Le rêve de Clara demeure, comme chez Hoffmann, ouvert : le retour à une réalité étriquée n’est ici pas de mise.

SUZANNE CANESSA

Casse-Noisette a été joué les 12 et 13 janvier au Pavillon Noir

Marseille : année close ?

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Le 42 de la Canebière va devenir une maison de la Police Municipale © N.S

À la fermeture de Montévidéo s’ajoutent cette année de nombreuses déconvenues pour les lieux culturels

L’échec d’une politique culturelle court-termiste.
Hubert Colas et toute l’équipe de Montévidéo quittent le camp de base d’un festival unique à Marseille, un lieu phare de la vie culturelle marseillaise qui a vu naître et vivre tant de soirées théâtrales, musicales, de débats. Un tel lieu qui ferme, ce n’est pas seulement un lieu de moins, mais le symbole d’un véritable échec.
Les causes de cet échec sont multiples, et dues à la demande faite aux artistes, durant vingt ans, de s’installer dans des lieux privés, et de payer le loyer et les investissements liés à cette installation avec les subventions que la Ville, mais aussi d’autres collectivités, leur allouaient, et ce malgré le rachat de ces lieux par des propriétaires peu scrupuleux. Jean-Marc Coppola, adjoint à la Culture, nous expliquait déjà non sans tristesse que l’état des finances actuelles de la ville ne lui permet malheureusement pas de préempter tous ces lieux privés, lieux dans lesquels les compagnies marseillaises ont été poussées à s’installer non pas par la municipalité actuelle, mais par ses prédécesseurs. Cependant, l’annonce de deux autres fermetures de lieux culturels à Marseille interroge sur les priorités de la municipalité.

La fin d’une culture de proximité ?
La première d’entre elles n’est que temporaire : il n’y aura pas de saison, cette année, au Théâtre Silvain. Sophie Camard, maire des 1e et 7e arrondissements, annonçait lors de ses vœux sa fermeture pour des « travaux nécessaires dans les coulisses et la maison du gardien ». On peut se demander pourquoi lesdits travaux ont lieu durant la saison estivale, entraînant ainsi la fermeture du plus grand amphithéâtre de Marseille, l’annulation de tout ou partie de certains festivals, et la frustration inévitable de 30 000 spectateurs sans lieu de repli.
Ce même 11 janvier, Benoît Payan annonçait que la Maison du Figaro, bâtiment célèbre situé au 42 Canebière, centre du centre-ville de Marseille, allait perdre sa vocation culturelle historique, pour devenir une maison de la Police Municipale.
Dans cet Espace Culture abandonné, les Marseillais ont trouvé jusqu’en 2015, année de sa fermeture définitive, une information culturelle de qualité, des lieux d’expositions et de débats mais aussi pour les professionnels un lieu idéal, central et ouvert, pour leurs réunions et conférences de presse. Lors de sa dernière année de fonctionnement, il était fréquenté par 165 000 visiteurs, sans compter les passants qui s’arrêtaient à ses vitrines d’exposition. Les services culturels de la Ville y étaient en contact avec les professionnels et les artistes.
Le transformer en commissariat bis sur la Canebière, dans l’intention louable de réhabiliter la notion de police de proximité au service des habitants, comme l’annonçait le maire Benoît Payan lors de ses vœux, témoigne d’une vision de la sécurité qui, pour se prémunir des émeutes et de la criminalité, parie sur la police plutôt que sur la culture. Culture de proximité qui, pourtant, comme toutes les études sérieuses le montrent, est un facteur important d’apaisement social sur le long terme.

Pour (interminables) travaux.
Ce signe inquiétant n’est pas isolé : il est l’héritage d’un abandon des bâtiments culturels durant les dernières années des mandatures de Jean-Claude Gaudin. D’un abandon qui a poussé à ouvrir des tiers lieux temporaires, tels que Coco Velten et Buropolis, aujourd’hui fermés ; d’un abandon qui a conduit à la très longue fermeture pour travaux du Gymnase, pour plus de trois ans, après la fermeture du Théâtre de Lenche et du Gyptis, qui ne sont aujourd’hui plus des salles de spectacle, et un Théâtre de la Friche aujourd’hui sans programmation.
Pour couronner le tout, la fermeture du métro à 21h30 en semaine, redoutée par la municipalité mais passée en force par la Métropole, durera au moins deux ans. Forçant ainsi les lieux culturels à concentrer leur programmation sur le week-end, cette fermeture promet de diminuer fortement le nombre de spectacles à l’affiche sur les saisons à venir, et menace de transformer de nouveau la deuxième ville de France en cité fantôme.
Premier motif de satisfaction dans les sondages marseillais, motivation importante pour les visiteurs qui passent un week-end ou leurs vacances dans la cité phocéenne, la vie culturelle marseillaise souffre pourtant d’un manque criant de lieux de spectacle, de répétition et d’information. Et risque de se voir dans l’impossibilité de tenir ses belles et sincères promesses.

SUZANNE CANESSA