lundi 21 juillet 2025
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Moi, Capitaine, cap vers l’enfer

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Copyright Greta De Lazzaris

Depuis trois ans, Arte Mare, le plus vieux festival corse de cinéma, quelque temps après sa clôture à Bastia, s’invite à l’Alhambra pour proposer en avant-première, un des films de sa sélection.

Cette année, ce fut le dernier Matteo Garrone,  Io capitano (Moi, Capitaine) Grand Prix Allindi et Petru Mare 2023. Par ailleurs, Lion d’argent et Premio Marcello Mastroianni du meilleur espoir pour le jeune acteur Seydou Sarr, à la dernière Mostra. Choisi pour représenter l’Italie aux Oscars parce que selon l’Anica (Association nationale des industries cinématographiques et audiovisuelles) ce film incarne « avec une grande force et maîtrise cinématographique le désir universel de recherche de la liberté et du bonheur ».

Moi, capitaine est né de la rencontre du réalisateur avec un jeune migrant de 15 ans à Catane qui lui raconte comment il s’est trouvé sans aucune compétence en la matière, pilote d’une embarcation chargée de clandestins. Matteo Garrone se documente, écoute d’autres migrants et décide de mettre sa vision de cinéaste au service de leurs récits de vie, comme un intermédiaire, un médiateur, en épousant leur perspective. Pour son scénario, il collabore avec de nombreux Africains dont l’ Ivoirien Mamadou Kouassi – qui a fui la guerre civile et travaille aujourd’hui comme médiateur interculturel à Caserta.

Une épopée homérique

Fort de ce background ancré dans une actualité tragique, au lieu de réaliser un documentaire comme on a pu en voir beaucoup, où des rescapés témoignent face caméra, le réalisateur de Gomorra choisit la fiction et l’épopée homérique, héroïse ses personnages, leur conférant une dimension universelle. Le visage de son protagoniste devenu capitaine, saisi de trois quarts, mangera la moitié du grand écran à la fin du film, rejoignant les figures romanesques d’un Jack London.

Le film commence à Dakar. En immersion dans une fête costumée. Une communauté pauvre mais joyeuse, riche d’enfants rieurs et turbulents. Seydou compose des chansons et rappe avec son cousin Moussa. Il rêve – à l’instar de millions d’ados de par le monde, de devenir une vedette internationale. La fenêtre de son portable s’ouvre sur les paillettes de l’Occident. Et malgré les avertissements de la mère de Seydou (Khadi Sy) « Sur la route de l’Europe, il y a des cadavres partout », les deux jeunes garçons préparent en secret leur départ. Comme Pinocchio, héros d’un précédent film de Garrone, le candide Seydou, guetté par les renards et les chats, quitte l’amour et la sécurité du foyer, pour un voyage initiatique et cruel.

Un contrechamp à l’horreur

Narration linéaire qui suit le long itinéraire des jeunes sénégalais, bien vite plongés dans l’enfer. Mali, Niger, Sahara, Lybie jusqu’à Zuera, lieu d’embarquement des migrants pour Lampedusa. La ligne rouge suivie par des milliers d’Africains, qui se matérialise sur une carte comme une saignée ou une plaie à vif. Des étapes-épreuves qui mettent en évidence à la fois la noirceur humaine mais aussi la solidarité entre les damnés. Soumis aux exactions de toutes sortes, rackettés, entassés dans des véhicules, débarqués dans le désert, contraints à une marche épuisante jalonnée des corps morts de ceux qui n’ont pas pu aller jusqu’au bout. Enlevés, jetés dans les prisons libyennes, torturés, vendus comme esclaves, maltraités comme des bêtes, malgré les doutes et les souffrances, Seydou et Moussa resteront humains. Le rêve ne quittera pas Seydou, deviendra même plus fort qu’il ne l’était au départ. Comme à son habitude, Garrone, introduit des scènes oniriques hallucinatoires. Belles, poétiques, elles surgissent au sein d’une réalité cauchemardesque. Sans incongruité. Car la photo confiée Paolo Carnera, superbe, fait contrechamp à l’horreur ou l’accentue.

ELISE PADOVANI

Moi, Capitaine, de Matteo Garrone
En salles le 3 janvier

Sideral

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Sébastien Ly a fondé sa compagnie Kerman en 2005, et développe son travail chorégraphique autant sur scène qu’in situ. Après une trilogie sur la mémoire qui l’a ramené vers ses origines vietnamiennes, il s’est tourné vers une écoute attentive de son environnement, en interrogeant dans un cycle de travail débuté en 2018 la notion d’ « Habiter le monde ». C’est-à-dire la manière d’être présent à soi, aux autres, au monde qui nous entoure et dont nous faisons partie. Après Nhà (2019) et NOW (2021), voici donc Sideral, création 2023, un voyage en orbite, avec pour point de départ le cosmos et comme destination, la Terre. Deux artistes circassiennes suspendues jouent avec les forces de l’attraction terrestre tout comme avec celle d’un corps vers l’autre, au gré d’une partition musicale créée et interprétée par Loïc Guénin et Éric Brochard, eux-mêmes suspendus.

1er décembre
Le Zef, scène nationale de Marseille

Une folie douce et contagieuse

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Un vent de jeunesse souffle sur Mona Corona ; roman graphique d’anticipation érigé sur un Beyrouth postapocalyptique, célébrant le pouvoir de rébellion d’une jeune femme, puis d’un collectif. Son autrice Michèle Standjofski n’est pourtant pas une nouvelle venue sur la scène du 9e art. Célébrée dans tous les festivals francophones (Angoulême, Amiens, Aix-en-Provence, Saint-Malo) comme au Proche-Orient (Istanbul, Sharjah et son Beyrouth natal), l’autrice née en 1960 enseigne depuis plus de trente ans à l’Académie Libanaise des Beaux-Arts, et a fait ses armes, entres autres, dans l’illustration, et tout spécialement pour le quotidien L’Orient – Le Jour. Elle fut notamment reçue aux Rencontres du 9e Art à Aix-en-Provence pour présenter Toutes les mers, récit autobiographique alors en cours d’écriture, célébrait sa famille venue des quatre coins de la Méditerranée avec, en filigrane, une inquiétude de plus en plus tenace quant à l’avenir du Beyrouth où elle avait échoué.

Pouvoir rare

On ne change pas de cadre mais de décor avec le tout aussi sublime et foisonnant Mona Corona, où la capitale libanaise se fait à peine plus dystopique qu’elle ne l’est déjà. La peur de la contamination et le retour au couvre-feu évoquent bien la Covid 19 ; mais la toxicité rose de l’air rappelle quant à elle celle des explosions d’août 2020. L’action de Mona Corona se déroule une dizaine d’années plus tard : tout espoir semble annihilé, sauf celui de Mona, douce rêveuse, dans le pouvoir de ses plantes inquiétantes. Sorte de sorcière inhibée à la sensualité pourtant débordante, la jeune femme semble détenir le pouvoir rare et précieux de faire reverdir la terre. Sa joie, tenace face au pire en voie d’advenir, ou déjà advenu, semblait déjà salutaire lors de la sortie du roman au début du mois d’octobre. Elle se fait aujourd’hui d’autant plus nécessaire et poignante. 

SUZANNE CANESSA

Mona Corona, de Michèle Standkofski
Bruit du Monde - 24 €

La vie, anti-mode d’emploi

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On ne présente plus Ian McEwan, tenu aujourd’hui pour le plus grand romancier anglais vivant. Tout juste peut-on se réjouir de la longévité d’un auteur ayant su surprendre son lectorat à chaque roman, et s’étant frotté aux genres comme aux sujets les plus retors et les moins séduisants. Leçons prend ainsi un risque que l’auteur n’avait jamais pris auparavant, celui de la longueur : plus de 600 pages, pari étonnant de la part de McEwan dont les récits avaient jusqu’alors brillé par la densité et même la frénésie de son action. 

Introspection

Sur bien des points, Leçons évoque le plus grand succès public de McEwan, Expiation, écrit en 2001 et adapté au cinéma quelques années plus tard – Atonement, dans sa traduction française Reviens-moi. Une fois de plus, il y est question d’un écrivain en herbe, ou du moins d’un écrivain contrarié : l’imagination fertile de Briony condamnait toute sa famille, à la veille de la seconde guerre mondiale, à une explosion sans précédent. Leçons s’ouvre sur deux autres dynamitages : celui de Tchernobyl dont le nuage rode autour de Roland Baines, jeune père d’un nourrisson dont l’épouse a soudainement disparu ; et celui de sa propre cellule familiale, érigée comme pour le protéger d’une série de traumatismes dont le récit nous révèlera peu à peu la teneur. S’enchaînent ici les époques et autres retours en arrière, notamment sur les leçons de piano mâtinées de séduction et de violence qui (dé)formeront un Roland à peine adolescent.

Mais le goût du rebondissement et de la révélation ont ici cédé le pas à l’introspection et à l’intime, dans toute son horreur comme dans ses plus belles révélations. Il y a sans doute beaucoup d’Ian McEwan dans ce Roland Baines pourtant déchu, né comme lui en 1948, et nourrissant comme lui des velléités littéraires masquant mal un besoin de reconnaissance et de repères : comme lui, Roland Baines découvrira sur le tard l’existence d’un frère caché. Et se verra, tout comme lui, travaillé jusqu’à l’obsession par la question du double.

SUZANNE CANESSA

Leçons, de Ian McEwan
Gallimard - 26 €
Traduit de l’anglais par France Camus-Pichon

Mucem : les Luttes en question

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Rencontre du 27 novembre, avec Mame-Fatou NIang, Seumboy et Nora Hamadi © S.C.

Fort de deux éditions riches et denses, les Procès du sièclese tenant tous les lundis soir au Mucem de novembre à mars s’intéressent cette année aux luttes, à leurs enjeux, à leurs histoires et à leurs terminologies. Ce fut ainsi autour de l’héritage de la colonisation, qualifié tour à tour de « postcolonial » ou encore de « néocolonial », et au terme qui lui est souvent opposé de « décolonial » que la rencontre du 27 novembre s’est articulée, en compagnie de l’enseignante-chercheuse et artiste Mame-Fatou Niang, de l’artiste et militant Seumboy Vrainom :€ et de la modératrice Nora Hamadi, journaliste entre autres pour Arte et France Culture. Un faux procès et vrai débat aussi nécessaire, tant ces termes et les idées qui s’y rattachent semblent aujourd’hui encore méconnus en France, voire transformés en objets de méfiance, et tant les questions qu’ils soulèvent demeurent d’une brûlante actualité – « hautement inflammables », ajoutera Nora Hamadi en ouverture de la rencontre. Seumboy rappellera ainsi dès sa première intervention le sens de ces termes-clefs : le postcolonialisme, « idée que la colonisation a façonné le monde, et entre autres la répartition des langues et des monnaies », empruntée à Edward Saïd. Et celle du décolonialisme, puisée chez Hannibal Quirano : « malgré l’arrêt de la colonisation officielle, mais les rapports de force qui existaient à l’époque coloniale n’ont pas changé ». Le dialogue se révèle passionnant politiquement parlant, mais aussi et surtout lorsqu’il déborde sur l’art : celui des deux intervenants, dont celui de Fatima Mazmouz, présentée par la conservatrice Hélia Paukner ; mais aussi et surtout ceux de Seumboy et Mame-Fatou Niang, dont le documentaire sur son enfance et sa « désorientation » scolaire s’annonce passionnant.

La Négritude à venir

Autant dire qu’on attend de pied ferme la rencontre du lundi 4 décembre pensée en hommage à Claude McKay, également honoré par un colloque tenu du 30 novembre au 2 décembre à Aix-Marseille Université, dont Marseille célèbre le centenaire de l’arrivée en France. L’auteur jamaïcain naturalisé américain de Banjo mais aussi de Romance in Marseille, republié aux éditions Héliotropismes en 2021, a constitué une influence considérable pour le mouvement de la Négritude en France et dans les pays colonisés. Si bien qu’il demeure aujourd’hui encore célébré et cité par les mouvements antiracistes tels que Black Lives Matter. Le rôle de modératrice reviendra cette fois à Rokhaya Diallo, journaliste pour le Washington Post et le Guardian et chargée d’enseignement à Paris 1 – Panthéon-Sorbonne. L’enseignante-chercheuse angliciste Maboula Soumahoro, spécialiste des domaines afro-américains et de la diaspora noire-africaine, dialoguera avec la philosophe et écrivaine Nadia Yala Kisukidi. Nulle doute que l’autrice, également maîtresse de conférences à l’Université Paris 8 – Vincennes, saura puiser dans sa recherche et dans son œuvre dédiée à la pensée féministe noire de quoi conjuguer au présent l’œuvre de Claude McKay et de ses successeurs.

SUZANNE CANESSA

Prochaine rencontre le 4 décembre à 19 h à l’auditorium du Mucem avec Rokhaya Diallo, Maboula Soumahoro et Nadia Yala Kisukidi. 

L’arène des passions

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Duel Reality © Ekopics

Tout est affaire de passions, c’est du moins ce qui semble être le postulat de la fabuleuse troupe des 7 Doigts de la main pour aborder le mythe de Roméo et Juliette. Les familles ennemies de Vérone, les Montaigu et les Capulet sont ici des équipes d’athlètes repérables par leurs couleurs, les bleus et les rouges. Le public se voit d’ailleurs embarqué dans la bataille qui oppose les belligérants/concurrents, chaque spectateur ayant reçu d’entrée un bracelet bleu ou rouge selon qu’il se situait dans la partie paire ou impaire de la salle. 

« Qui a besoin de tragédies ? »

Tout débute par une rixe entre deux spectateurs qui se lèvent ulcérés et se hissent sur le plateau pour en découdre. Peu à peu la lutte s’organise, devient chorégraphie emportée sur la Danse des Chevaliers de Prokofiev, puis s’orchestre en concours sportif où toutes les acrobaties les plus périlleuses sont de mise tandis que le public est invité à soutenir son équipe. Les numéros se succèdent avec vivacité, époustouflants de virtuosité pure, mâts chinois, jonglage, hula hoop, mains à mains, acrobatie aérienne sur chaînes, balançoire à bascule acrobatique, corde, ruban, duo sur trapèze. Les agrès semblent parfois inutiles, les corps servent de tremplin, de tapis, s’élancent, traversent des cerceaux, s’envolent, ne retombent que pour rebondir encore plus haut… 

L’énergie sensuelle de ce collectif fusionne les genres en une théâtralité somptueuse, guerre artistique au cours de laquelle chaque protagoniste défie la gravité en une danse qui rend sensible toute la tension narrative qui sous-tend le spectacle : au cœur de l’affrontement que tente de mesurer un arbitre, les amants de Vérone se découvrent, sont séparés, se retrouvent. Les mots de Shakespeare hantent les quelques dialogues sur lesquels s’articule le propos. La fin seule change, Juliette contraint les deux familles à quitter leurs couleurs pour n’en épouser qu’une. L’entente unit enfin les combattants, les amoureux peuvent vivre leur passion. « Nous avons changé la fin. Qui a besoin de tragédies de nos jours ? » déclare l’un des protagonistes. En effet…

MARYVONNE COLOMBANI

Duel Reality-Au jeu comme en amour a été joué à guichets fermés du 22 au 25 novembre, au Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence.

Harpagon à l’Opéra

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THEATER -THE MISER by Moliere directed by Jerome Deschamps at the Grand theatre, Roger-Planchon space of the TNP, Theatre National Populaire de Villeurbanne Lyon in October 2022. With the Company Jerome Deschamps, Flore Babled and Benedicte Choisnet in alternation, Lorella Cravotta, Vincent Debost, Jerome Deschamps, Fred Epaud, Herve Lassince, Louise Legendre, Yves Robin, Stanislas Roquette and Geert Van Herwijnen. THEATRE - L AVARE de Moliere mise en scene par Jerome Deschamps au Grand theatre, salle Roger-Planchon du TNP, Theatre National Populaire de Villeurbanne Lyon en octobre 2022. Avec la Compagnie Jerome Deschamps, Flore Babled et Benedicte Choisnet en alternance, Lorella Cravotta, Vincent Debost, Jerome Deschamps, Fred Epaud, Herve Lassince, Louise Legendre, Yves Robin, Stanislas Roquette et Geert Van Herwijnen.

On connait bien Jérôme Deschamps. Auteur, metteur en scène, comédien, ancien directeur de l’Opéra-Comique et cocréateur de la troupe des Deschiens. Et lui connaît bien son Molière ! Après avoir mis en scène Les Précieuses ridicules (1997) puis Le Bourgeois Gentilhomme (2022, avec musique et ballet), il s’est remis à l’ouvrage sur un autre grand classique du maître : L’Avare. Représentée pour la première fois sur la scène du Palais-Royal le 9 septembre 1668, cette comédie de caractère en cinq actes et en prose, adaptée de La Marmite de Plaute, n’a pas particulièrement passionné le public à l’époque, alors qu’elle deviendra par la suite l’un de ses plus grands succès. L’une des raisons avancées est que L’Avare est parfois qualifiée, à l’instar du Misanthrope et des Femmes savantes, de « comédie sérieuse ». Car Harpagon, que Molière interprétait lui-même, n’est pas un personnage entièrement comique. Et sous les excès d’une passion aveugle pour l’argent, se trouvent la tyrannie domestique, le mariage forcé, l’individualisme et la misogynie. Mais aussi la cruauté, la solitude et la tristesse.

Rendez-moi ma cassette !

« Comédie sérieuse », comédie de caractère, qui n’empêche la comédie d’intrigue : Élise veut se marier avec Valère tandis que son frère Cléante veut épouser Mariane. Mais leur père, le vieil Harpagon, usurier, a lui-même jeté son dévolu sur Mariane, tandis que sa fille doit se marier avec un vieux marchand, et son fils avec une riche veuve. À la satire d’origine, Jérôme Deschamps ajoute une touche de folie teintée d’absurde, dans une mise en scène sobre, laissant toute la place au jeu des acteurs et à la richesse du texte : décor volontairement minimaliste, fard blanc sur les visages, et costumes d’époque (confectionnés par Macha Makeieff et les ateliers costumes du TNP). Tout comme Molière, dans le rôle du vieil avare accroché à sa cassette, le metteur en scène s’en donne à cœur joie : bedonnant et traînant de l’arrière-train, tout en délires, loufoqueries et férocités. 

MARC VOIRY

L’Avare
Du 29 novembre au 1er décembre
Opéra de Marseille
Dans le cadre de la saison du Gymnase hors les murs.
lesthéâtres.net

Forte « dansité » à l’Espace Julien

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Johan Papaconstantino © N.S.

On était prévenu, l’Espace Julien serait comble. Il faut dire que Johann Papaconstantino s’est bien fait désirer. Depuis son concert « intimiste » au Zef en mars dernier, puis une immense tournée européenne, le chanteur au succès désormais bien établi était très attendu ce 22 novembre chez lui à Marseille. D’ailleurs à 18 heures, certains faisaient déjà la queue pour être aux premières loges. Et ils n’avaient pas tort, car il fallait jouer des coudes – et écraser quelques pieds – pour s’approcher du phénomène pop à la sauce grecque pendant son concert – désolé aux pieds qui se reconnaitront. 

Plat signature

Johan Papaconstantino apparaît alors dans un décor sobre et minéral. Accompagné de deux excellents aux percussions et aux machines, il égrène au fil du concert les morceaux de son album Premier degrès, et certains de Contre-Jour, son premier EP qui lui a permis de se faire connaître. L’enchaînement des titres prouve que l’artiste a indéniablement trouver une recette qui fonctionne : l’alliance des beat électro-pop avec le son du bouzouki, et les percussions aux rythmiques orientalisantes, provoquent dans le public des mouvements qui ne laissent peu de doutes sur son efficacité. Passent par là Tata, Bricolo, Comme un lundi… autant de morceaux qui seront chantés en chœur par le public. Et à Johann Papaconstantino de terminer dans l’effervescence générale par son tube J’sais pas et sa reprise de Christophe Les mots bleus

C’est un concert solide et parfaitement rodé que le chanteur a donné ce soir-là à l’Espace Julien. Mais les plus sévères ou rabat-joie auraient attendu que ses morceaux soient plus sublimés que dans cette version live peut-être trop sage. On pourrait aussi lui reprocher l’effet miroir dont souffrent quelques morceaux… mais blâmerait-on un cuisinier de servir sa meilleure recette à tous les services ? Car la force de Johan Papaconstantino c’est avant tout d’avoir trouvé un son qui le distingue de tout autre. Qui plus est avec une sincérité qui se ressent a chaque mesure. Une performance rare dans la musique actuelle (à succès), et qui mérite à elle seule tous les compliments. 

NICOLAS SANTUCCI

Concert donné le 22 novembre à l’Espace Julien, Marseille.

Traversées marines à Correns

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Miquèu Montanaro, Correns © M.C

En préambule le musicien apportait quelques explications « Je suis né au bord de la mer. Depuis tout petit je m’y suis baigné. Maintenant, je n’y arrive plus »… Une série de poèmes en provençal est née au fil des actualités tragiques qui hantent les eaux de la Méditerranée. Autour de ces poèmes le fil des mélodies s’est tissé. Le compositeur improvise sur l’instrument traditionnel qu’est le galoubet-tambourin dont il métamorphose les accents par des boucles électro, utilisant un ensemble de flûtes de tailles différentes, « mais toutes à trois trous », et mêle son jeu à celui des sons enregistrés de la guitare électrique (Fabien Mornet), de la contrebasse (Romain Berthet), des violon et violon baryton (Baltazar Montanaro), de la flûte traversière (Miquèu Montanaro) et des tambourins (Frédéric Nevchéhirlian et Christian Sébille). 

Les ressacs du temps

Les poèmes sont en provençal mais portés par des voix de locuteurs issus de diverses régions de l’Occitanie : « si les mots ne changent pas, les intonations changent et donnent une saveur, une géographie différente », sourit le poète. Seul en scène, Miquèu Montanaro utilise les fonctionnalités toutes nouvelles du Logelloop mis au point par Philippe Ollivier : les mélodies, les voix des récitants et les rythmes pré-enregistrés apportent leurs tessitures et leurs harmonies, liées intimement aux images vidéo projetées sur une toile qui occupe tout le mur de scène. Le son du tambour éclot derrière les spectateurs bientôt accompagné d’une flûte aérienne. Homme-orchestre, le musicien monte sur scène, semble invoquer le grand poème de la mer avant que les images répétitives et hypnotiques des fonds marins et des vagues ne viennent ombrer le plateau de leurs écumes. Le sable laisse entendre les pas d’un être absent, les eaux impriment leur ressac aux amarres, reflètent la silhouette d’un bateau vide, les vagues se fracassent sur des rochers, contrastant avec l’apparente innocuité des étendues bleues. 

« Avant l’aube, le corps dans la vague mauvaise » est observé par le récitant : « le corps venait de l’autre côté du monde, de l’autre côté de l’espoir. » La mer des mythologies se transforme en cimetière, les volutes harmoniques se font incantatoires, épousent les émotions, composent un poème symphonique bouleversant, hymne à la liberté des peuples et des êtres. Il s’agit cependant d’une symphonie et non d’un requiem. La fin est emplie d’espérance et de fraternelle humanité. 

MARYVONNE COLOMBANI

Mar, Simfonia Maritima a été présenté le 24 novembre au Chantier de Correns.

Danser au féminin

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Intro de Mellina Boubetra © T. Lejolivet

C’est dans le domaine du hip-hop que Mellina Boubetra et Nach ont fait leurs premières armes. L’une y a trouvé un jeu sans cesse renouveler sur l’ancrage, la gravité et la désarticulation des corps ; l’autre, en s’immisçant dans le mouvement Krump dès le milieu des années 2000, une obsession pour la danse rituelle et le goût du récit. 

Créées respectivement en 2018 et 2021, Intro et Rehgma se pensent comme des dialogues à trois voix. La toute première pièce conçue par Mellina Boubetra vise ainsi moins l’introduction que l’introspection collective : celle d’Allison Faye, Katia Lharaig et Fiona Pincé, questionnant les possibles et limites de leurs corps raidis, exultants, discourants. Tantôt à l’unisson, tantôt en décalage, voire en réponse l’une à l’autre, les danseuses n’en dévoilent que davantage leur individualité, portées chacune à leur façon par la musique de Patrick de Oliveira. Musique qui devient, dans Rehgma, un protagoniste à part entière, incarné par un piano que Noé Chapsal et la chorégraphe elle-même viendront explorer le temps de boucles envoûtantes et d’envolées toujours surprenante. C’est ici, plus encore que la gestuelle saccadée et l’exploration de mouvements contenus dans des points de fixation différés, la capacité des thèmes et développements à toujours surprendre, à toujours adopter de nouvelles tournures, qui enthousiasme le plus durablement. Et avec elle le goût de l’abstraction qui se refuse à dénuder les corps, préférant leur offrir de nouvelles possibilités d’incarnation.

Beauté brute

C’est avant tout de corps, de physicalité et de jouissance qu’il est question chez Nach. La danseuse formée au Krump rappelle le temps d’une conférence dansée plutôt inspirée ce que ce courant né dans les ghettos de Los Angeles contient de nouveau mais aussi d’éternel en termes de rage, de rite et de théâtralité. Le flamenco et son « duende », le butô et le kathakali se frayent un chemin dans ce récit de formation se bornant à la première personne mais aussi dans une autre première pièce, Cellule, plaidant pour l’exploration sensorielle, l’expérience des limites et le goût de la beauté brute.

SUZANNE CANESSA

Spectacle donné les 23 et 25 novembre dans le cadre du cycle ChoreograpHer au Pavillon Noir, Aix-en-Provence.