dimanche 20 juillet 2025
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Grand vent d’espoir au Zef

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Oumou Sangaré, la diva malienne, a mis le feu sur la scène nationale marseillaise

Elle est une star absolue, à la voix inaltérable, porteuse de la parole forte des femmes maliennes et de toute l’Afrique, toutes ses diasporas. Son dernier disque Timbuktu, parle de la capitale historique du Nord mais est très inspiré par le Sud malien et la musique de son Wassoulou natal, tout aussi guinéen et ivoirien. Elle y chante la puissance des arts, de la musique et de la danse qui ne sont pas « des marques de faiblesse mais de force et de civilisation ».
La grande dame parle à tous en femme libre, plonge dans le blues et le rock, laisse flotter des modalités guinéennes, des mélodies et des accords traditionnels. Elle structure ses chansons comme des litanies où elle martèle ses messages, sans couplet ni véritable refrain. Dans la salle le public, très nombreux, débordant des sièges, debout, chante en bambara avec elle, tendant les bras vers elle, électrisé… Elle chante l’amour, demande aux hommes de respecter leurs femmes et leurs enfants, et son message dans Timbuktu est avant tout un message de paix, dénonçant sans les nommer les divers djihadistes qui détruisent son pays, où la guerre est partout, et qu’elle ne reconnaît plus.
« Je chante pour vous faire danser mais aussi pour vous faire comprendre mon message : arrêtez la guerre ! » Ses mélodies, ses paroles, ses musiciens de haut vol – et musicienne à la basse – ses deux choristes au contrechant rendent le Mali universel, dans un show au rythme effréné…

Oumou Sangaré a chanté au Zef, scène nationale de Marseille, le 18 novembre.

« Backstage », un voyage initiatique

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Une chorégraphie endiablée, très sensuelle, où danseurs et danseuses en superbes costumes colorés s’étreignent, se repoussent alors qu’en fond de décor, sur de grands panneaux se succèdent des images de lieux pollués, d’incendies, de glaciers qui fondent, de terres assoiffées. Un spectacle de la compagnie de danse Sans frontières qui doit continuer jusqu’au  bout malgré la blessure à la jambe d’Aida (Atef Ben Mahmoud) : son partenaire sur scène et dans la vie, Hedi (Sidi Larbi Cherkaoui) l’a fait tomber après qu’elle l’a provoqué. Mais Il est vital pour la troupe qu’elle donne son dernier spectacle à Marrakech le lendemain. Il faut donc trouver au plus vite un médecin. Or on est en plein cœur des montagnes de l’Atlas. Alors que le minibus essaie de gagner la ville la plus proche, un animal provoque une embardée : deux pneus crevés. Commence alors une errance à travers la forêt, celle des songes et des cauchemars où vont se révéler peu à peu les liens qui unissent les membres de la troupe, les tensions qui les séparent. Une errance chorégraphiée comme un ballet à travers des paysages qui prennent à la  lueur de la lune les couleurs de la nuit puis de l’aurore. Des lieux oniriques comme dans certains films de Miyazaki. La caméra de Benjamin Rufi semble danser avec les personnages qu’elle suit à tour de rôle, nous livrant leurs espoirs, leurs secrets, leur envie de liberté, au son de la musique de la forêt. Le crissement des branches, le bruit du vent, les cris des bêtes, orchestrés par le compositeur Steve Shehan participent à l’envoûtement. « On voulait que ce soit un voyage initiatique » confie le couple de réalisateurs Afef Ben Mahmoud et Khalil Benkirane.

Backstage, leur premier long métrage, a demande plus de sept ans de préparation et réunit acteurs, chorégraphes et danseurs, de différentes nationalités : tunisienne, marocaine, algérienne, palestinienne, chacun parlant dans sa propre langue. « Dès le début, il y avait ce parti pris d’universalité, précise Afef Ben Mahmoud.Notre film se fonde sur la danse contemporaine ; l’expression corporelle n’a pas de limite, n’a pas de pays, n’a pas de frontière. Nous voulions rester fidèles à cette idée que ce soit dans le choix des décors, dans cette camera qui continue à danser, dans les sons de la forêt. Cette forêt qui parle, on l’a conçue comme une symphonie dansante. »

ANNIE GAVA

Backstage, de Afef Ben Mahmoud et Khalil Benkirane
Sortie en salles non communiquée

« Our Lady of the Chinese Shop », un conte angolais

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Une voix off en mandarin, commente, accompagne ce qu’on découvre à l’écran : une femme transporte des seaux de haut en bas des escaliers de sa maison alors que l’eau s’infiltre à travers les murs, y creusant des fissures. Alors que des ouvriers ont été appelés pour réparer, ils sont chassés par une voisine « c’est la maison qui pleure ! » affirme t-elle. Le chagrin de cette demeure, c’est celui de Domingas (Cláudia Púcuta), la maitresse de maison, qui s’occupe à contre cœur de son mari, Bessa (David Caracol) malade mais toujours tyrannique. Ce sont deux des personnages du premier long métrage d’Ery Claver, membre du collectif de cinéastes  « Génération 80 ». Ils essaient de nouvelles formes cinématographiques qui  peuvent désorienter certains spectateurs, comme l’a fait remarquer l’un d’entre eux lors de la projection à Apt.

Des Vierges et un barbier

Peut-être suffit-il de se laisser em-porter et de suivre chacun des quatre personnages de ce film choral. Ne pas s’étonner si le prologue arrive aux deux tiers du film, après le deuxième chapitre, donnant à voir une conférence – banquet, satirique, destinée aux dirigeants et notables de Luanda – dont Bessa – dans un stade où les spectateurs sont remplacés par des vêtements suspendus aux gradins. Un prologue qui donne quelques clés et éclaire un peu ce qu’on pouvait trouver insolite. On peut encore se laisser guider cette voix qui murmure des vers énigmatiques d’une grande poésie ; peut-être celle de ce Chinois qui, figure récurrente, de sa terrasse regarde les autres en bas, ou qui, dans le quartier chinois éclairé au néon, vend des statuettes en plastique de la Vierge, censées soulager tous les maux. On peut compatir au chagrin du jeune Zoyo (Willi Ribeiro) parcourant les rues de Luanda à la recherche de son chien Tobias. Sourire devant un barbier mégalomane admirant une des statues de la Vierge, en plastique et s’exclamant « les Chinois font de belles choses ! » Et surtout espérer que Domingas se remette de la mort de sa fille dont elle juge son mari responsable et trouve sa voie.

À travers cette galerie de personnages, c’est le fossé qui existe entre les cultures et les classes sociales, les traces du passé portugais et de la religion, l’emprise commerciale de la Chine sur l’Angola dont parle ce conte urbain dont les séquences, inattendues, nous font parfois sourire mais surtout nous font réfléchir.

ANNIE GAVA

Our Lady of the Chinese Shop, d’Ery Claver a été présenté lors de la 21e édition des Festival des cinémas d’Afrique du Pays d’Apt qui s’est tenue du 9 au 14 février

Danser du regard 

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TRIPTYCH © Virginia Rota, Peeping Tom

Représenté au Théâtre des Salins à Martigues, le spectacle Triptych de la compagnie Peeping Tom affichait déjà complet bien avant la première. Dans un paysage chorégraphique contemporain où dominent le dépouillement et l’abstraction, la compagnie belge tranche par un retour assumé à une certaine narrativité, à des effets de surprise, changements à vue inspirés du théâtre ou des décors hyperréalistes qui évoquent un plateau de cinéma.

Rêves troublés

En trois parties, (The missing door, The lost room et The hidden floor), les huit interprètes montrent des corps émus dans des lieux eux-mêmes toujours voués à l’énigme. Un couloir, une chambre à coucher, le carré d’un navire, un restaurant abandonné, tous découpés en vue de 3/4, y sont le terrain d’un jeu qui évoque parfois l’enquête, et cachent sous leur banalité apparente une logique non-euclidienne proche du fantastique ou du cinéma d’épouvante d’un Lynch ou d’un Hitchcock. Les portes s’y dérobent, comme dans un jeu de chausse-trappe, le couloir devient un balcon, un ascenseur, ou une penderie peuplée de corps, tandis que l’eau inonde le plateau, ou qu’une tornade souffle au dehors.

« Peeping Tom » (qui désigne en anglais le « voyeur ») excelle aussi à suggérer le caractère furtif du regard sur ce que, peut-être, on ne devrait pas voir. Une scène de crime originelle qui ne trouve jamais son élucidation. Des suicides faits pour de rire. L’intimité d’une chambre à coucher bientôt détournée en jeu dérisoire. Et, comme dans les souvenirs ou les rêves troublés qui ne forment jamais récit, se succèdent les tableaux vivants où les danseurs surgissent, se confrontent, roulent, s’aiment le temps d’un duo amoureux, véritable acte de résistance face aux forces de la nature… avant de chuter au sol. Un mélange de nostalgie mélancolique, de grâce et d’humour noir dont on savoure la beauté rémanente encore longtemps.

JULIA BUREAU ET ÉTIENNE LETERRIER

Triptych a été donné les 16 et 17 novembre aux Salins, scène nationale de Martigues.

Capter la jeunesse 

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Rêves © Mujo productions

Arthur Perole est chorégraphe. Artiste associé aux Théâtres en Dracénie, il entreprend en 2019 un projet de danse avec une classe du collège Ferrié de Draguignan. La réflexion s’oriente autour de la transe et de l’identité. Et pour la deuxième année du travail, il s’associe au cinéaste Pascal Catheland pour capter la parole de ces adolescents de 14 ans. Entre septembre 2020 et juin 2021, alors que la pandémie masque les visages et que la spontanéité des échanges est considérablement entravée, par un intelligent travail de maïeutique, les deux réalisateurs font naître et formaliser les pensées de 17 collégiens·iennes. Des 50 heures de rush tournées, ils font une série documentaire d’1h40. Ce sera Rêves, en quatre épisodes thématiques : Mad World, Les Amours, Comme un adulte, et Mon corps. Les deux Emma, les deux Julien, Alexandre, Sébastien, Louann, Sarah, Noa, Benjamin, Jade, Samantha, Gabriel, Louise, Nicolas, Angèle et Matteo… Des ados de la classe moyenne française.

Questions d’ados

Face caméra, sur fond blanc, chacun·e répond aux questions des réalisateurs : « Comment as-tu vécu le confinement ? Comment vois-tu le futur ? À quoi rêves-tu ? Qu’est-ce que l’amour ? Le Covid a-t-il changé la donne ? Comment t’évades-tu ? Qu’est-ce que c’est qu’être adulte ? À quel moment as-tu senti que l’enfance était finie ?  Veux-tu avoir des enfants ? Et si tu te décrivais ? Qu’est-ce que la transe ? » La parole individuelle de plus en plus intime devient chorale. Elle s’orchestre à deux, trois ou plus. Les ados sont saisis dans leur établissement varois : couloirs, consignes, salle de classe, réfectoire, cour de récréation. Les adultes à peine entraperçus disparaissent très vite. Les réalisateurs, toujours hors champ, semblent même, quand ils questionnent, baisser la voix. Pour mieux faire entendre celle de cette génération née en 2007-2008, se prenant la crise sanitaire, en pleine adolescence,  consciente des tourmentes écologiques et économiques à venir. Jeunesse connectée, qui fantasme parfois le passé sans réseaux de leurs grands parents, mais ne peut se passer des applis. Plus mûre et plus lucide que certains voudraient le croire. Globalement pessimiste mais capable de rêves et d’espoirs. Moments statiques entrecoupés par la danse des jeunes corps sur de la musique techno, dans une la fête costumée, pailletée et nocturne. Des corps en trans(e)formation, dont on voit les perceptibles changements au cours de l’année de tournage.

Avec les idées de passage, de traversée, de métamorphose, de péril, d’inquiétude et d’exaltation, qui s’y associent, le mot « transe(s) » aurait pu titrer le film. Rêves lui a été préféré pour son potentiel de projection. Rêvons donc.

ÉLISE PADOVANI

Rêves, de Pascal Catheland et Arthur Perole
En salles le 29 novembre

Krumpeuse en série

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Nulle part est un endroit © T.Bohl

Programmée dans le cadre du cycle ChoreograpHer, c’est seule que Nach occupera la scène du Pavillon Noir le temps d’un diptyque consacré au krump. La chorégraphe et danseuse également connue sous le nom d’Anne-Marie Van, se prête ainsi le temps de Nulle part est un endroit au rare et savoureux exercice de la conférence dansée. Tombée amoureuse de cette branche du hip-hop née au début des années 2000 à Los Angeles, pétrie de rage et de poésie, Nach décompose et retranscrit, vidéo à l’appui, les pas, la gestuelle de cette danse « s’emparant de la violence pour s’en défaire ». En 2008, la jeune femme s’était envolée pour la Californie afin d’aller à la rencontre de ce mouvement en pleine effervescence. Devenue une krumpeuse convaincue, Nach a signé depuis trois chorégraphies pour différents effectifs. C’est sa toute première qu’elle proposera de découvrir à la suite de Nulle part est un endroit : Cellule, créée en 2019, nimbée de jeux de lumières et de sons empruntés aussi bien à cette danse faite d’éclats et de dureté qu’à un cinéma sibyllin.

SUZANNE CANESSA

Nulle part et un endroit 
Cellule
23 novembre 
Pavillon Noir, Aix-en-Provence

À bout de souffle 

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Matria © Les Alchimistes

Ramona, employée dans une société de nettoyage, voit son quotidien bouleversé lorsque son patron annonce à tous les agents qu’à la suite d’un changement de direction, les salaires vont être revus à la baisse. Elle a 42 ans, huit ans d’ancienneté, et quitte son poste, révoltée. Certes  il lui reste les quelques heures qu’elle fait sur le port, relevant les filets ou remplissant des sacs de moules. Pas assez pour survivre. Elle se met à la recherche d’un nouvel emploi. La caméra, nerveuse, la suit, d’agence en bureau : sa colère grandit, ses propos deviennent de plus en plus agressifs. Il y a de quoi ! Sa vie est dure entre un mari qui boit, la brutalise parfois, la trompe. Quant à sa fille, Estrella, qui lui en veut, elle a quitté la maison, s’est installée avec un apprenti boulanger et veut abandonner ses études, ce que Ramona ne peut accepter. 

Sans pauses

C’est une vraie course contre la montre qui s’engage pour elle. On pense à Juste une nuit d’Ali Asgari ou A plein temps d’Éric Gravel. Elle a du mal à respirer, Ramona. La caméra de Lucia C. Pan ne la lâche pas : en voiture, à  pied, de chez elle à l’appartement du vieil homme dont elle s’occupe, son nouvel emploi à mi temps. Un espoir pour elle de pouvoir prendre sa vie en main. Seules pauses dans cette vie où elle s’essouffle, les coups de fil à sa copine, une soirée avec elle. Oublier un temps son quotidien, dansant, buvant jusqu’à plus soif. L’interprétation de Maria Vasquez dans le rôle de cette femme qui se bat jusqu’au bout pour vivre autre chose que ce qui lui est assigné est remarquable. Et comme le disent les paroles de la chanson qui clôt le film « Femme si fatiguée de te battre, que puis je te dire femme ? Si tu es comme notre terre et notre terre est telle que toi ? On sort du film d’Alvaro Gago à bout de souffle !

ANNIE GAVA

Matria, le premier long métrage d’Alvaro Gago, était en compétition au festival Cinehorizontes, Marseille.
En salles le 14 février 2024

Catherine Marnas, retour au pays

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Le Rouge et le Noir Novembre 2023 Théâtre Texte Stendhal Adaptation et mise en scène Catherine Marnas Dramaturgie Procuste Oblomov © Frédéric Desmesure

Ses mises en scène de Brecht, Nancy Huston, Dubillard, Copi ou Koltès restent dans la mémoire des spectateurs de la région : elle fait partie de ces grands artistes que Marseille n’a pas su garder. 

Son histoire avec la deuxième ville de France est rocambolesque, et douloureuse. Après l’avoir nommée directrice de La Criée en 2013 puis remplacée brutalement par Macha Makeïeff, le Ministère et la Ville de Marseille lui avaient construit le théâtre de la Friche de la Belle de Mai en compensation… sans lui donner les moyens de le faire fonctionner. 

Attachée à Marseille, c’est avec enthousiasme mais le cœur serré qu’elle était partie à Bordeaux prendre la suite de Dominique Pitoiset à la direction du l’Ecole Supérieure Nationale et du CDN. Qu’elle a profondément changé, en démocratisant et rajeunissant spectaculairement le public, en programmant les grands metteurs en scène français, et énormément de femmes et de jeunes qu’elle aidait en production, remettant ainsi Bordeaux dans le circuit national des scènes publiques. 

En compagnie

Catherine Marnas © Frédéric Desmesure

Dix ans après, à 68 ans, il n’est plus question de reprendre la direction d’un lieu, fonction qui selon elle doit « obéir au droit du travail », et cesser à l’âge de la retraite. Laisser la place aux nouvelles générations d’artistes et d’auteurices est pour elle essentiel, et sa programmation dans son Centre Dramatique l’a suffisamment démontré.  

Elle « réactive » donc sa Compagnie Parnas, avec 150 000 euros de subventions annuelles de l’État, attribués aux artistes qui quittent la direction d’un CDN et dont le répertoire tourne. Car elle revient avec des idées plein la tête et des spectacles déjà produits, dont Le Rouge et le Noir et Herculine. Dans ses bagages des décors, des comédiens fidèles, une expérience de pédagogie de l’acteur irremplaçable, un attachement et une connaissance des opérateurs, des scènes et des publics de la région. 

Espérons que, dix ans après, à l’heure où les femmes artistes ont enfin un peu plus de places et de financements, le territoire qu’elle a adopté – elle se définit comme « rurale et ardéchoise » – saura l’accueillir à la hauteur de son talent. 

AGNÈS FRESCHEL


À livre ouvert

Le Rouge et le Noir adapté à la scène par Catherine Marnas est une grande relecture du chef d’œuvre de Stendhal. Totalement fidèle, et complètement personnelle

Julien Sorel est-il le modèle littéraire des transfuges de classe ? Une citation d’Édouard Louis projetée avant l’ouverture du spectacle le suggère, comme l’entrée en matière par la fin, le discours de Julien Sorel à l’issue de son procès : « Messieurs, je n’ai point l’honneur d’appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s’est révolté contre la bassesse de sa fortune. »

D’entrée la lecture romantique de Stendhal est mise à mal, pour une vision plus complexe, réaliste voire matérialiste, du personnage et de l’époque. Les rapports amoureux y dépendent des rapports de classe et du poids du clergé, des hiérarchies qu’impose la vieille aristocratie dans une société réactionnaire : on est 1830, en pleine Restauration, réaction au sens propre à la Révolution et à l’Empire. 

Lecture historique, l’adaptation de Catherine Marnas ne cherche pas à moderniser l’intrigue, mais parle pourtant de notre époque à chaque instant. Par la liberté des personnages féminins, leur sensualité, leur soif de jouissance et de liberté ; par la critique appuyée du clergé et de la religion ; par les motivations d’ascension sociale qui sont autant de tentatives de sortir de la pauvreté et d’affirmer l’égalité. Le Rouge et le Noir, classique de la littérature, retrouve sa force, à livre ouvert. Le scandale de sa parution, rappelé au début du spectacle, en est comme ravivé.

Sans réserve 

Il est rare qu’un spectacle vous laisse sans réserve et se déroule, plus de deux heures durant, sans fausse note ni moments faibles. Là tout est juste et fort : la scénographie sans ostentation de Carlos Calvo, avec un proscénium et de simples projections sur des pendrillons translucides, décline les espaces, de la ferme paternelle à la prison en passant par le riche décor de la maison aristocratique ou de la chambre bourgeoise. Les comédiens sont tous les cinq formidables, drôles, émouvants, jamais convenus, surprenants, profonds. Jules Sagot campe un Julien Sorel qui se veut froid mais sans cesse, à fleur de peau, laisse voler ses mains et couler ses larmes. Bénédicte Simon est une madame de Rénal débordante de tendresse et de sensualité, constamment émouvante. Laureline Le Bris invente une Mathilde féministe, loin des caricatures cérébrales qu’elle pourrait susciter. Simon Delgrange et Tonin Palazzotto incarnent tous les autres, monsieur de Rénal, le père Sorel, le père de la Mole, les curés, avec une souplesse et une drôlerie constante.

Car on s’amuse beaucoup des travers de cette société si artificielle, de ses valeurs et rigidités qui empêchent de vivre l’amour. La critique sociale, matérialiste, n’empêche ni le rire, ni les sentiments de vibrer d’un bout à l’autre du spectacle. Surdoué, frustré, sans mère, Julien est un hypersensible qui s’ignore, qui ne reconnaît pas l’amour qu’il éprouve, qui ne voit pas celui qu’il suscite chez deux femmes follement éprises. Sa mort, tragique, inspirée d’un fait réel, dit autant l’impossibilité de changer de classe que celle d’aimer et de jouir. Eloge des sens très elliptique dans le roman, que la mise en scène et la présence des corps fait éclater d’évidence.

AGNÈS FRESCHEL

Le Rouge et le Noir a été créé au Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine du 7 au 17 novembre. Il sera joué dans les CDN de Tours, Angers, Béthune… 

Leïla Ka livre sa Maldonne

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Maldonne © Nora Houguenade

Sur la scène nationale de Cavaillon ce 16 novembre, Leïla Ka jongle avec les symboliques, les états et les perceptions, aux côtés de quatre interprètEs. Tout commence sur un réveil ou une résurrection. Couronné en 2022 au concours Danse Elargie du Théâtre de la Ville, Bouffée, courte pièce, toute en gestes et respirations, ouvre la pièce. Celle-ci se prolonge à l’intérieur de rectangles lumineux, dont la géométrie variable accorde de la place ou circonscrit une promiscuité. Les corps et les vêtures virevoltent sous les infra-basses, une valse de Chostakovitch, un bourdonnement de Leonard Cohen ou une poussée de Lara Fabian. 

Élégance

Lointaines descendantes de Frégoli, le maître des transformistes, ces dames jonglent avec les tenues, ouvrent le bal, sombrent dans l’épuisement, se crêpent le chignon puis s’abandonnent dans un lâcher-prise aussi délectable qu’indispensable. Certes, les vêtements sont plus moins ajustés, mais qu’importe, la vie s’écoule et le spectacle continue. Même mal fagotées, il y a de la générosité, de l’authenticité et une vraie élégance dans les figures de Leïla Ka. 

À l’honneur au Pavillon Noir
Dans le cadre du « Cycle Choreographer », le Pavillon Noir d’Aix-en-Provence propose une soirée spéciale dédiée à Léïla Ka ce 25 novembre. Sur scène, on retrouve ces précédentes pièces, Se faire la belle, C’est toi qu’on adore et Pode Ser, qui l’ont vue s’imposer comme une des jeunes chorégraphes les plus en suivies de sa génération. 

Maldonne célèbre les plis qui tombent mal, Dans un style griffé, à mi-chemin entre une gestuelle mécanique, convulsive, qui renvoie aux automates ou aux sports de combats et le drapé aristocratique d’une robe de bal. Baigné d’une théâtralité à la fois fière et burlesque, Maldonne célèbre le féminin, non par le pamphlet, le dolorisme ou la revendication mais dans l’exaltation d’une joie, d’une complicité, vigoureuses et ensoleillées. 

MICHEL FLANDRIN

Maldonne a été donné le 16 novembre à La Garance, scène nationale de Cavaillon. 
À venir
23 et 24 novembre 
Zef, scène nationale de Marseille

28 novembre
Théâtre Durance, scène nationale de Château-Arnoux-Saint-Auban

1er décembre
La Passerelle, scène nationale de Gap

La scène marseillaise se mobilise pour Lollipop 

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Paul Milhaud et Stéphane Signoret, les co-fondateurs du Lollipop Music Store © Vincent Luer

Zébuline. Ce concert de soutien témoigne-t-il d’importantes difficultés auxquelles vous êtes confrontés ? 

Stéphane Signoret. Ce n’est pas nous qui avons eu cette idée, c’est à l’initiative d’Anaelle Loze de l’Intermédiaire. On traverse comme beaucoup de gens, de sociétés, une période difficile, d’autant plus dans le commerce culturel. L’inflation touche tout le monde et le budget culture se réduit. Des gens qui nous achetaient trois ou quatre disques par mois n’en achètent plus qu’un ou deux. Il y a aussi le prix du vinyle qui augmente et provoque un effet pervers : on réduit nos marges pour que le prix reste raisonnable, et on en vient à vendre des disques plus chers qu’avant, mais on gagne moins d’argent. 

Comment explique-t-on cette hausse du prix du disque ?

Ca a commencé avec le Covid et l’augmentation des prix des matières premières. Moi qui ai en parallèle un label [Lollipop Records, ndlr], j’ai constaté que depuis 2020 le prix du pressage a été multiplié par deux (pour 500 vinyles). Il y aussi l’offre et la demande : il y a peu d’usines de pressage et beaucoup de demande. Les majors font aussi pression pour que le prix augmente et faire du disque un objet de luxe… On est au carrefour de plusieurs facteurs défavorables. 

Les grandes enseignes ont aussi énormément développé leur offre de vinyles. Pourrait-on imaginer un système de protection pour les disquaires indépendants, à l’instar des librairies et le prix unique ? 

Effectivement, on n’a pas les mêmes protections que dans le livre. Pour nous, la TVA est à 20% alors que pour eux elle est à 5,5%. Depuis longtemps les acteurs du disque essayent de faire pression mais ça n’a jamais marché. Pour le prix unique du disque ce serait une bonne solution mais c’est beaucoup plus difficile à mettre en place. Dans le livre, chaque édition est nationale : il y a une édition française, allemande… alors que dans le disque il y a une édition unique pour le monde entier. Donc même si on met un prix unique en France, il y aura une concurrence des ventes par correspondances.

Dans cette période incertaine, c’est important d’avoir le soutien de la scène rock marseillaise…

Oui bien sûr, on est très touchés que les groupes aient spontanément accepté, et on a beaucoup de retours de gens qui souhaitent venir. Mais ce serait contre-productif de venir ce jour-là et se dire que l’on a sauvé Lollipop. Même si je connais les difficultés que nous connaissons tous, le plus important c’est de venir le reste de l’année…!

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI 

Soirée de soutien au Lollipop
25 novembre
L’Intermédiaire, Marseille
lollipopmusicstore.fr