dimanche 20 juillet 2025
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De l’art, à chaque instant

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La limite est une façade © Rigal Dorian/Minuit

Les Instants Vidéos est un festival foisonnant (167 œuvres réalisées par 192 artistes issu·e·s de 45 pays) qui se déploie dans de multiples temporalités et de multiples espaces : il y a les Rencontres, qui ont eu lieu à La Friche en octobre, il y a aussi les Échappées belles en Région Sud et dans le monde (Italie, Iran, Jordanie, Palestine). Et il y a l’exposition (21 installations vidéo) que l’on découvre jusqu’au 14 janvier prochain, au 3e étage de la Tour Panorama, à la Friche la Belle de Mai. 

Poésie, Nature et IA

On commence avec l’installation Tassaout de la Française Sarah Violaine : une projection au sol, sur un tapis recouvert de sable, au centre d’un espace clos par du tulle bleu. Une évocation de Mririda N’aït Attik, courtisane et poétesse marocaine rebelle dans le Haut Atlas des années 1940. La poésie part ensuite en forêt : dans Feel the heat du Finlandais Pasi Autio, où un homme danse seul la nuit au milieu des arbres, sous des lumières colorées, et des chants d’oiseaux. Dans le nocturne et labyrinthique Drawing Circles de la Suisse Rebekka Friedli, qui file au ras du sol, entre rêve et conte étrange. En plongée cosmique au cœur de la matière avec le triptyque La noirceur souterraine des racines du Canadien Charles-André Coderre. Ou encore dans Walden (verb) de l’Américaine Emma Rozanski, triptyque au format monumental, adaptation expérimentale rêveuse, dans des lumières blanches de paysages enneigés, du récit d’Henry David Thoreau. 

Mais le lien à la nature s’expérimente aussi par une limace filmée au ras du sol dans By way of explanation… de Neil Ira Needleman, proposant un éloge de la lenteur, ou avec une chouette blanche, dans le sauvage et chorégraphique My furies d’Agnès Guillaume. On constate par ailleurs, traversant de nombreuses œuvres, l’utilisation de l’IA et de ses algorithmes génératifs. Ainsi la série Endless Landscapes de Nicolas Clauss, des moments d’une à quatre secondes, filmés dans l’espace public (Le carnaval de la Plaine par ex) explorés dans une temporalité dilatée. Dans Infinity of waste de Nelson Chouissa et Eloi Jacquelin, une vidéo-projection en noir et blanc, générée en temps réel, une zone de déchets infinie est créée aléatoirement. Et dans Planets and robots des Lituaniens Julius Zubavičius et Antanas Skučas, c’est la collaboration entre IA et humains qui est évoquée, un film d’animation à l’humour ironique et décomplexé.

MARC VOIRY

Les Instants Vidéos
Jusqu’au 14 janvier
Friche la Belle de Mai, Marseille
instantsvideo.com 

Silence, action, ça tourne ! 

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Derviches tourneurs de Damas © Cyril Zannettacci

Ce n’est que le début de la représentation, mais les spectateurs filment déjà les neuf protagonistes. Puis une voix se fait entendre, c’est celle de Noureddine Khourchid de la mosquée des Omeyyades de Damas. Il est ensuite rejoint par le reste de la troupe. Le rythme est fait de vagues successives, la marée syrienne monte et se retire. Quand la musique, le chant et la danse atteignent leur apothéose, c’est là que tout s’arrête. Les danseurs claquent brusquement les talons sur le sol et après une salve d’applaudissements, le silence est retrouvé pour un temps. Puis un mot ou une note retentit, et tout peut recommencer.

Quelques fois, c’est seulement l’un d’entre eux qui s’illustre. La seule voix de Khourchid ou un solo d’oud de Mohamed Kodmani résonnent alors. Pour les derviches tourneurs que sont Yazan Al-Jamal, Ahmad Altair et Hatem Al-Jamal, c’est la même chose. Il arrive qu’il n’y en ait qu’un qui danse, mais le plus souvent c’est de concert qu’ils œuvrent à produire des mélodies et des chorégraphies hypnotiques. Dans les deux cas, une identique impression d’unité se dégage. Cela témoigne de toute la fraternelle cohésion qu’implique cette tradition soufie ancestrale.

Tourner, mais pas en rond 

Il n’aura échappé à personne que les danseurs tournent sur eux-mêmes. Pas non plus que les chants sont similaires d’une séquence à une autre. Tout se ressemble mais rien ne se répète réellement. Les mouvements des derviches fluctuent, les chants changent et les musiques s’adaptent. Après leurs longues danses qui auraient donné la nausée à quiconque d’autre, les trois tourneurs regagnent leurs chaises en souriant et en marchant droit. A la fin, les applaudissements se font si nombreux que la troupe des derviches décide de revenir sur scène pour une dernière danse. Un souvenir à se repasser en boucle. 

RENAUD GUISSANI 

Spectacle donné le 19 novembre dans le cadre des Rencontres d’Averroès, au Silo, Marseille.

« L’extraction, c’est le vol »

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L’écoféministe Vandana Shiva fait déborder l’auditorium du Mucem, avec une marée de jeunes femmes

Pour lancer en fanfare la troisième saison de ses Procès du siècle, le Mucem a reçu le 16 novembre une figure de l’altermondialisme, Vandana Shiva. Invitée par Opera Mundi, dans le cadre de son cycle de conférences 2023-2024, sur le thème « De l’eau. De la terre aux océans », la scientifique et philosophe est venue parler d’écoféminisme à un public très nombreux. À tel point que la file d’attente s’étendait jusqu’à la grotte Cosquer, et qu’une partie n’a pu pénétrer dans l’auditorium Germaine Tillon. Sans surprise, une grande majorité de femmes, souvent très jeunes, avaient fait le déplacement, témoignant de l’enthousiasme croissant pour ce courant de réflexion.

Luttes féminines

L’écoféminisme, selon cette physicienne et philosophe, c’est d’ailleurs bien plus qu’un exercice intellectuel : infatigable militante, elle en a fait son combat depuis des décennies, face à l’industrie agroalimentaire néolibérale. Au Mucem, elle est revenue sur certaines de ses luttes victorieuses : le mouvement emblématique Chipko, dans les années 1970 en Inde, mobilisation féminine majeure contre l’exploitation des forêts himalayennes, qui dura dix ans ; l’empêchement, avec les activistes de l’eau, de la privatisation du Gange par Suez en 2002 ; ou encore, en 2004, la fermeture d’une usine Coca Cola qui vidait les nappes phréatiques dans le Kerala. À chaque fois, c’est la solidarité et l’endurance des populations qui ont prévalu contre les multinationales et les politiques publiques irresponsables.

À bas l’extractivisme patriarcal

« L’extraction, c’est le vol », martèle Vandana Shiva, convaincue que capitalisme et patriarcat sont étroitement liés. « Quand les femmes réfléchissent à l’agriculture, elle pensent aux oiseaux, aux lombrics, dans un système circulaire, et pas seulement aux marchés ». Celle qui a vu dans sa jeunesse une montagne s’effondrer, suite à la destruction d’une forêt entière, met inlassablement en lumière les infinies interactions qui permettent à la vie de prospérer dans des écosystèmes en bonne santé. Après ses Mémoires terrestres, tout juste parus aux éditions Wildproject/Rue de l’Échiquier, elle planche sur son prochain livre, qui portera sur la photosynthèse. « Aucune technologie ne peut rivaliser avec cela : une transformation opéré par une plante vous donne à la fois de l’eau et de l’air à respirer ! »

Conférence donnée le 16 novembre au Mucem, Marseille

Un auteur peut en cacher beaucoup d’autres !

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Invité en résidence à La Tour d’Aigues par Les Nouvelles Hybrides, l’écrivain Marcus Malte
évoque quelques pans de sa bibliothèque idéale

Malicieusement, l’association Nouvelles Hybrides demande aux auteurs qu’elle invite en
résidence de choisir quatre auteurs dans une bibliothèque qui leur serait idéale. Exercice de
style auquel Marcus Malte s’est prêté, choisissant des œuvres « au sommet de la
littérature »
, dues à Cormac MacCarthy, Vladimir Nabokov, Jean Giono et Albert Cohen.
L’entretien, semé de lectures par les membres du groupe de lecture à haute voix des
Nouvelles Hybrides, avec la complicité du journaliste – et ex-rédacteur en chef du Ravi
–Michel Gairaud, permettait d’aborder ces monuments en cherchant à déceler leur influence sur l’écriture et les univers de Marcus Malte.

« Il n’a peur de rien, Albert Cohen »

Évoquant Cormac McCarthy, Marcus Malte s’exclame « avec ce genre de mec, ça va du très
bon au génial ! Méridien de sang fait partie des livres qui m’ont foudroyé. Tiré d’une histoire vraie, ce livre est d’une violence incroyable et d’une immense poésie »
. Le point commun entre les quatre auteurs évoqués est indubitablement la force de leur style : « la plus grande partie du plaisir de lecture vient du style » insiste l’invité qui souligne le tour de force qui consiste à mêler plusieurs strates narratives dans Ada de Nabokov avec son « art de dire les choses sans les dire ». S’emparant ensuite du roman de Giono, Le hussard sur le toit, l’auteur de Qui se souviendra de Phily-Jo ? déclare son admiration : « Giono est un type qui est capable de nous emmener où il veut et de nous faire croire tout ce qu’il raconte, même si les faits sont tout autre, mais on est embarqués, mystifiés. Il y a la beauté, la dureté, ce qui est implacable dans la nature de même que chez les hommes. » Enfin, la palme du livre le plus drôle qu’il ait jamais lu revient à Mangeclous d’Albert Cohen, alliant satire politique, humour, esprit de la farce. « Il n’a peur de rien, Albert Cohen, il n’hésite pas à aller dans la grossièreté du trait.» Ce qui rend les auteurs fabuleux, c’est la conjonction entre un style et une histoire… la dernière jubilation en date de Marcus Malte, 2666 de l’auteur chilien Roberto Bolaño.

Rencontre organisée le 16 novembre par les Nouvelles Hybrides, à la bibliothèque de La Tour d’Aigues.

Le féminisme est une fête

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Plusieurs rendez-vous de la journée se tiennent à la Friche la Belle de Mai (Marseille) © C. Dutrey

Après un succès certain l’an dernier, J’crains dégun se déclinera de nouveau de part et d’autres de Marseille durant la journée du 24 novembre, la veille de la journée internationale de mobilisation pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Et ce afin d’élargir la durée de ce temps fort, mais aussi et surtout de toucher un public de scolaires – le 25 novembre tombant cette année un samedi. Dès 9h, des ateliers Cocose seront ainsi proposés aux écoliers de maternelle, tandis que la Friche la Belle de Mai accueillera les publics des collèges. Au programme, entre autres, un atelier d’écriture animé par la rappeuse et autrice Erika Nomeni, ou encore des ateliers de réflexion sur la représentation des femmes au cinéma et à la télévision animés par le cinéma l’Alhambra, mais aussi de précieux moments de sensibilisation animés par l’association Femmes en défense.Les lycéens et lycéennes pourront retrouver des stands de Village préventionet une série de courts-métrages commentée autour des femmes et du féminisme animée par Les Instants Vidéo à la mairie du 1/7. L’Espace Coco Velten leur proposera, entre autres, un temps de danse-thérapie avec Afrovibe, ou encore une initiation à la pratique radiophonique animée par Jouïr Podcast.

Faire corps

Ces moments seront ensuite proposés durant l’après-midi à tous les publics, dont certains réservés aux femmes et minorités de genre : le tournage de portraits filmés par Marie Milliard ou encore l’atelier « Corps et voix pour l’estime de soi » animépar Marisoa Ramonja à Coco Velten, mais aussi l’atelier de danse Fera coordonné par la Cie Kilo à l’espace Sénac. La Friche la Belle de Mai accueillera également de beaux moments : le Théâtre de l’opprimé piloté par le Planning Familial 13, ou encore une lecture de textes autour des questions de violences sexuelles et de la transphobie par Luz Volckman, précédée d‘un débat animé par le collectif FAGS. C’est également du théâtre que la Mairie du 1/7 proposera avec Mais toujours le poing levé, restitution par la Cie Krasna et les 2nde du lycée Simone Weil de la pièce de Pauline Peyrade. Avant que la soirée se fasse festive à Coco Velten le temps, entre autres, d’un concert de rap féminin et féministe et d’une DJ Set menée par des femmes et minorités afrodescendantes.

SUZANNE CANESSA

J’crains dégun
24 novembre
Divers lieux, Marseille
jcrainsdegun.fr

L’Espace Julien fête le retour de Johan Papaconstantino

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Johan Papaconstantino © Jehane Mahmoud

La dernière fois qu’il était sur scène chez lui à Marseille, c’était au Zef en mars dernier, quelques semaines après la sortie de son premier album. Depuis, il s’est lancé dans une tournée marathon, ne s’épargnant que quelques jours de repos épars. On l’a notamment vu à Bucarest, Berlin, Barcelone… et récemment en tête d’affiche à l’Olympia de Paris. Un rythme frénétique, qui témoigne du succès que le chanteur rencontre depuis la sortie de son album Premier degré

Il faut dire que Johan Papaconstantino a su se distinguer par une pop qui sonne juste, aux accents électro, hybridée de ses influences grecques paternelles. Les tonalités urbaines rencontrent le son strident du bouzouki, l’ensemble est porté par sa voix aux envolées orientales et à l’autotune bien ficelé. Une originalité qui se construit par touches, pour cet artiste qui est aussi peintre – et dont le travail mériterait la même attention que l’on porte à sa musique. Très attendu, l’Espace Julien affiche complet pour fêter son retour.

NICOLAS SANTUCCI

Johan Papaconstantino
22 novembre
Espace Julien, Marseille
espace-julien.com

La puissance et la force

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À une spectatrice qui l’interrogeait sur la possibilité d’espérer encore un avenir face à la montée, qui semble inexorable, des violences et de l’extrême droite, Corinne Pelluchon, philosophe invitée des Rencontres d’Averroès, recommandait de guetter les « signaux faibles » dans le flux ininterrompu qui nous informe de nos défaites. D’observer ces actes de résistance, ces manières d’inventer d’autres modes de vie, de refuser les chemins tout tracés des entreprises capitalistes, de ralentir, de sortir des dominations pour construire des relations horizontales, égalitaires, dans le respect du vivant.

Opposer la puissance à la force. Face à l’élection de Javier Milei, plus catastrophique encore que celle de Bolsonaro ou de Trump, qui risque bien de revenir dans un an ; face aux crimes de guerre de Poutine qui enlève et « russifie » les enfants ukrainiens comme le faisait déjà Hitler, avec le même peuple ; face à Netanyahou qui bombarde les ambulances, les hôpitaux et les civils, et laisse des colons sans loi s’armer et abattre ceux qu’ils ont colonisés ; face au Hamas qui mène une guerre barbare qui ne peut aboutir à aucune paix, où peut-on voir des « signaux faibles »  qu’un autre avenir, désirable, est possible ?  

Face à la force, à ce « futur sans avenir », il nous faut retrouver de la puissance, et l’affirmer.  Puissance de s’opposer, comme Oumou Sangaré, aux traditions de polygamie et d’excision pour affirmer la détermination des femmes maliennes, l’importance de la musique et du corps. Puissance du trio Mademoiselle, de la mémoire de Rachid Taha qui a tant fait pour décoloniser les consciences. Puissance d’un concert symphonique à la mémoire des enfants morts, de ces festivals de cinéma qui rappellent à chaque séance qu’un autre monde est possible, porté par des femmes, des jeunes, en Méditerranée, en Espagne, en Afrique, qui parlent du peuple, de la tendresse, de la vie, simplement. 

Ces signaux faibles qu’il faut guetter et soutenir dominent aujourd’hui l’offre culturelle sur nos scènes qui luttent sans fléchir, sans discontinuer, contre les discours abrutis des médias dominants gangrénés par l’extrême droite. Lorsqu’on change de lunettes, que l’on se détourne des flux, que l’on guette, les signaux faibles deviennent assourdissants. 

La puissance des démocraties devrait consister à les aider à surgir et à vivre, pour reconstruire un avenir vivable et possible, pour tous. Sortir et partager sa culture avec d’autres, gouter à tous les arts, est plus que jamais un acte de résistance aux obscurantismes qui surviennent. 

AGNÈS FRESCHEL

Sarah McCoy la nouvelle Norma

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En première partie, la chanteuse-compositrice Liquid Jane (Jeanne Carrion) séduisait le public par la vivacité de sa voix, de ses textes, son empathie, son humour. Accompagnée de « Simon au synthé et Ben à la batterie » (ainsi les présenta-t-elle), elle proposait des chansons de son répertoire et quelques nouveautés en avant-première. Les textes renvoient au vécu, s’attachent à des détails drôles, épinglent ceux qui ont trahi leur parole, les êtres aimés puis détestés, dessinant un univers prenant servi par une voix juste et pure aux envols affirmés. Sa pop-rock-néo-soul aborde les ombres pour les transmuter en lumière. « Je suis fière de partager la scène avec Sarah McCoy, une femme aussi forte » déclarait-elle avant un dernier bis.

Diva-lionne

Il est vrai que la diva Sarah McCoy impose d’emblée une âme, un style, une approche, vivante, pugnace, mutine, blessée parfois, rebelle toujours. Seule sur scène, à genoux, elle lance son premier morceau a cappella, bouleversante de fragilité et de force. Sur le tapis électro-pop-jazzy décliné avec un talent fou par ses deux complices, Jeff Halam(basse) et Antoine Kerninon (batterie, machines), (on les avait déjà entendus en trio au Théâtre Durance en novembre 2022), sa voix puissante et nuancée déploie mots et mélodies, ostinato envoûtant d’Oracle, blues crépusculaire de Weaponize me… La vie de la chanteuse continue de nourrir ses créations soulignées par un piano qui flirte avec les ombres dans un nouveau répertoire qu’elle qualifie de « thermonucléaire », tant le bouillonnement des instruments sous-tend les incantations vocales. Le spectacle reprend les compositions de High Priestess, album qui expose « la dissection et l’interrogation de soi et de la santé mentale avec un couteau musical douloureux mais gentil » (ibid). Le refrain de Weaponize me, « each lie was just a bullet in your gun, but all it took was one, to weaponize me » (« chaque mensonge n’était qu’une balle dans ton fusil, mais il n’en fallait qu’un seul pour m’armer ») montre la jeune femme debout face aux violences reçues. Le rire homérique de la diva-lionne emporte tout, triomphe des petitesses de la vie. Si le cœur reste vulnérable, jamais l’artiste ne se pose en victime. Se moquant de ceux qui se « mettent à la place des êtres dans la peine », et serinent « I’m sorry », elle répond « I’m sorry, take it all » et se désaltère d’un verre de vin rouge disposé à côté d’elle avant de convoquer les fantômes des pianistes comme Rachmaninov au cœur d’une rêverie aux accents telluriques sur le piano. Sa première chanson en français, La fenêtre, invite les « souvenirs noirs et blancs » alors que la pluie tombe sur Paris égrenant des souvenirs douloureux. L’amour ne met pas cependant la chanteuse en état de faiblesse : elle rugit avec sa voix de blues, refait des détours par la soul, s’enracine dans la pop, orchestre les contours d’un univers personnel qui fascine l’auditeur. La musique plane, groove, s’enivre de beats obstinés, émeut, subjugue, clame une liberté qui se conquiert et c’est très beau.

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 2 novembre 2023 au 6mic, Aix-en-Provence.

Je et elle (s) 

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Neige Sinno © Jean-François Robert

Le livre de Neige Sinno se fonde sur plusieurs voix narratives, points de vue pluriels d’une personne unique : la narratrice enfant, violée régulièrement par son beau-père durant sept années, la narratrice adulte qui écrit son histoire, la fille de sa mère qui n’a rien vu, la mère de sa fille qu’elle protège. Une pluralité narrative qui dit aussi comment une conscience se morcelle.

Neige et sa sœur ont des « prénoms de contes de Grimm », leurs parents étaient séparés quand leur mère avait rencontré leur futur beau-père… Dès le début de son texte, l’autrice essaie de faire le portrait de son « bourreau ». Elle s’adresse au lecteur directement, se demandant si elle doit utiliser le « je », ou plutôt « dire elle, la petite fille ». Mais ce qui est sûr, c’est qu’elle veut raconter, sans mentir, en faisant se succéder des paragraphes qui portent chacun un titre. Cette exigence la soutient, sans plainte et sans aide : elle n’a jamais consulté ni analyste, ni psychologue. Sa parole directe se fait sans artifice ; elle a survécu à l’outrage, elle témoigne librement, ne s’apitoie pas, mais sa colère ne faiblit pas. Elle a voulu parler non seulement pour protéger ses sœurs et son frère (deux enfants sont nés du mariage) mais aussi pour protéger tous les autres enfants. Cependant pas de happy end, pour personne, car la blessure ne s’efface pas.

Volonté de puissance d’un prédateur

Forte de ses lectures d’Annie Ernaux, comme elle transfuge de classe, de Virginia Woolf, Christine Angot et tant d’autres dont elle cite les passages des livres qui l’ont marquée, un jour, Neige a décidé de parler à sa mère. Elles ont porté plainte toutes les deux en 1999. 

Au procès, il a déclaré qu’il n’avait pas supporté que la petite fille ne l’aime pas et lui préfère son père. Il avait avoué son crime. Sans témoin, ni preuves, s’il ne l’avait pas fait, il n’y aurait pas eu de condamnation. 

Surgitalors l’image du Tigre, figure de violence et de mort que Neige emprunte à un poème de William Blake. Il avait trouvé le sexe pour la dominer. 

Ni témoignage, ni essai, cette non-fiction narrative tente de comprendre ce qui se passe dans la tête d’un prédateur. Si Neige considère que l’écriture est un pouvoir, elle l’a ressenti aussi comme un devoir. « Et la vie continue comme une route avec ses creux et ses bosses » avait-elle déclaré aux Correspondances de Manosque.

CHRIS BOURGUE

Triste tigre de Neige Sinno
P.O.L-20 €

Une semaine rythmée par Marseille Concerts 

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Francis Poulenc © X-DR

C’est devant deux salles combles que se sont produits les musiciens conviés cette semaine par Marseille Concerts : la grande salle Déméter de La Criée pour une soirée dédiée à Poulenc, et la salle La Major du Palais du Pharo, pour deux programmes moins éloignés qu’il n’y pourrait paraître. 

Nul doute que la présence, le 6 novembre, de la grande Felicity Lott et de François Morel, avait de quoi attirer un public nombreux. Mais on pouvait regretter que cette affiche n’ait pas attiré le public familial attendu, que la célèbre Histoire de Babar avait de quoi allécher. D’autant que l’ex-Deschiens n’a pas son pareil pour donner à ce conte désarmant de simplicité ce qu’il faut de naïveté et d’humour. La soprano de 76 ans s’est également emparée avec émotion et musicalité des textes de Cocteau ou d’Anouilh, qui résonnent chez Poulenc avec une poésie inédite, et que la cantatrice connaît sur le bout des doigts. Mais la vraie star de la soirée était sans conteste le pianiste Ismaël Margain, qui savait certes se faire accompagnateur en retrait pour laisser place à ces deux voix singulières, mais s’est également révélé comme un soliste sans pareil sur les très belles pièces de musique de chambre. Soit la terrassante Sonate pour flûte et piano sur laquelle Juliette Hurel s’est hissée avec grâce ; mais aussi les tout aussi sublimes sonates sur lesquelles le hautbois d’Armel Descotte et la clarinette d’Amaury Duvivier ont laissé l’auditoire sans voix. Un hommage à la hauteur du talent si souvent sous-estimé de ce compositeur à l’immense sensibilité.

On revient avec le Trio Goldberg sur le terrain des classiques, pourtant habilement revisité. Rarement joué, le Divertimento en mi bémol majeur de Mozart se révèle d’une inventivité folle : l’alto de Federico Hood rivaliserait presque de présence avec le violon de Liza Kérob, sur des passages dialogués amenant toujours l’auditeur où il ne s’y attendrait pas. L’opus 54 de Haydn, transcrit de sonates pour piano, semble quant à lui annoncer la mélancolie beethovénienne : le violoncelle redoutablement habile de Thierry Amadi s’y fait main gauche galopante. En bis, l’aria des Variations Goldberg résonne à son tour avec une modernité foudroyante, rappelant l’alchimie assez inouïe de cet ensemble dont on espère vite entendre reparler.

SUZANNE CANESSA

Concert donné le 11 novembre à La Criée, Théâtre national de Marseille