mardi 26 novembre 2024
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L’Origine du mal : familles, je vous hais 

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L'Origine du mal de Sébastien Marnier © The Jokers Films

L’origine du mal ? Vaste question philosophique ! Pour Sébastien Marnier, aucune hésitation : L’origine du mal, c’est la famille et sans doute aussi la société patriarcale et capitaliste. « La famille, c’est ce qu’il y a de pire au monde, comme un poison qu’on a dans le sang qui contamine et qui rend malade. » Voilà ce que dit Jeanne (Céleste Brunnquell), la plus jeune des femmes du dernier film du réalisateur d’Irréprochable etde L’Heure de la sortie. Inspiré par une histoire personnelle, L’Origine du mal raconte la vie de Stéphane (excellente Laure Calamy), ouvrière dans une conserverie de poissons, qui débarque dans la famille de son père biologique, Serge (Jacques Weber), un magnat de l’immobilier à la tête d’une chaîne d’hôtels.

Lutte de cast’
La famille vit dans une sorte de palais kitsch, sur l’île de Porquerolles, qu’a sur-meublée, sur-décorée la maitresse de maison, Louise (Dominique Blanc,surprenante dans ce rôle),la fille de Serge. George(Doria Tillier) est revenue de l’étranger et prend peu à peu le contrôle de l’empire familial, depuis l’AVC de son père. Quant à Jeanne, la petite fille, elle passe son temps à photographier et attend sa majorité pour fuir. Personne ne voit arriver Stéphane d’un bon œil, cette femme qui n’est pas de leur monde bourgeois. Même la gouvernante Agnès (Véronique Ruggia), à qui elle a pourtant proposé son aide. Chacun doit rester à sa place ! Mais, tel le jeune homme du Théorème de Pasolini, Stéphane crée le trouble, révèle, amenant chacun à des pensées et des actes que nul n’aurait imaginés. L’Origine du mal, un thriller où chacun joue sa partition va nous réserver des surprises jusqu’au bout. Nous découvrons par les yeux de Stéphane écarquillés, la maison où Louise, atteinte de syllogomanie, a accumulé des centaines d’objets précieux, tableaux, vases, sculptures, animaux empaillés dont un loup plus vrai que nature, et … plus de 4000 cassettes VHS qu’elle va protéger d’un filet, de peur qu’elles ne l’écrasent un jour. Un vrai coup de chapeau au décorateur du film, Damien Rondeau,ainsi qu’à la costumière Marité Coutard qui a créé pour Dominique Blanc des tenues d’actrices hollywoodiennes.La direction d’acteurs est parfaite : tous jouent avec conviction et talent des personnages ambigus, dont on découvre peu à peu les facettes cachées.
ANNIE GAVA

L’Origine du mal de Sébastien Marnier
En salle le 5 octobre 

« La cour des miracles » : humour et carte scolaire

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Image tiré du film "La cour des miracles" © Haut et court

C’est par un casting étonnant et drôle, face caméra sur fond jaune d’or que commence le dernier film de Carine May et Hakim Zouhani, La cour des miracles. Quelqu’un, en voix hors champ, recrutedescandidats pour des postes de professeur des écoles. Des candidats assez hétéroclites dont certains vont être embauchés à l’école Jacques Prévert, en Seine-Saint-Denis, coincée entre des tours et un chantier en construction. Parmi eux, Marion (Anaïde Rozam), venue d’une ferme collective dans le Puy-de-Dôme, passionnée de nature et très motivée par son nouveau métier. Premiers contacts avec ses petits élèves, assis sur des chaises inadaptées, dans une classe où manque le tableau. Rencontre avec ses collègues, réticents à lui communiquer les codes pour les photocopies, au nombre restreint. Qu’à cela ne tienne ! Marion va enseigner différemment, dehors dans la forêt voisine : la lecture, les maths mais aussi le silence, les arbres, les plantes, les chants d’oiseaux. Cette initiative va donner  une idée à la directrice de cette école, Zahia, (Rachida Brakni), inquiète de l’émergence d’un quartier de riches et de bobos : la résidence « Harmonie » avec une école ultra moderne, aux superbes formes organiques, pour accueillir les têtes blondes. Cela va bien évidemment aggraver la non mixité sociale et accentuer les demandes de dérogation à la carte scolaire. Mais avant tout, il faudra convaincre chacun des profs d’adhérer à ce projet de première « école verte » de banlieue. Et ce n’est pas une mince affaire ! Peu à peu, l’ancien cadre Jean-Pierre (Gilbert Melki), Fabrice (Disiz), Seid à l’orthographe défaillante (Mourad Boudaoud), Mickael (Raphaël Quenard), Jérôme (Sébastien Chassagne) et Thierry (Yann Papin) vont apporter leur contribution. Les murs de l’école et des salles de classes se couvrent de fresques multicolores et de dessins peints par les élèves souriants et enthousiastes La cour, devenue jardin, accueille plantes, poules et même moutons. Élèves et maîtres y pratiquent ensemble le tai-chi. Tous ces changements parviendront-ils à séduire les parents des chères têtes blondes et à réduire les demandes de dérogation ?

On rit beaucoup dans cette comédie sociale au titre à double sens, tournée à Aubervilliers l’été 2021, avec des comédiens amateurs et professionnels. Aubervilliers, la ville qui a amenée vers le cinéma Carine May et Hakim Zouhani, personnage principal de leur film autoproduit Rue des Cités  (sélection Acid 2011).

Avec ses dialogues percutants, ses personnages hauts en couleurs, sa tonalité douce-amère soulignée par la musique de Yuksek, La cour des miracles nous donne à réfléchir à l’avenir de l’école publique tout en nous faisant sourire. Un bon moment.

ANNIE GAVA

La cour des miracles, en sélection officielle à Cannes, sorti en salles le 28 septembre, a été présenté à Rousset en clôture du festival nouv.o.monde le 9 octobre en présence des cinéastes, Carine May et Hakim Zouhani, devant un public enthousiaste.
Le festival nouv.o.monde s’est tenu du 30 septembre au 9 octobre 2022
filmsdelta.com/nouvomonde

« Idea » : danser avec les mots

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Florence Hautier et Clara Higueras sont les têtes d'affiche de la pièce "Idea" © Théâtre du Maquis

Tout naît d’une rencontre entre la danseuse flamenquiste Clara Higueras et la comédienne Florence Hautier. La première a le désir de danser sur les poèmes d’Idea Vilariño, la seconde découvre l’œuvre de la poétesse uruguayenne avec passion. Les deux artistes choisissent textes et musiques, orchestrent les articulations entre la danse et les poèmes, tissent un regard complice mettant en regard gestes et mots, accompagnées par Pierre Béziers à la mise en scène, éclairages (sublimes clair-obscur) et scénographie. Lorsque l’on entend « Il fait froid, je suis vieille/ et rien ne vaut rien », on croit que les mots ont été écrits par une femme au soir de sa vie. En réalité, le désespoir d’Idea délaissée par le romancier Onetti pour une autre alors qu’une passion folle les avait unis, s’exprime là.

Idea a 21 ans. La déception et le désir imprègnent son œuvre poétique : « Je veux mourir maintenant que les étoiles gèlent, qu’en vain s’épuisent les étoiles muettes » ou encore « Pourquoi les jasmins/ pourquoi la vie. / Pour rien ». Les poèmes sont dits dans leur langue première puis en français, parfois Florence Hautier les dit en espagnol et Clara Higueras en français, les accents de l’une et de l’autre apportent leur saveur aux textes. Leur sensualité douloureuse nourrie de souvenirs scelle l’infrangible distance entre le mot et ce qu’il incarne tandis que la danse, parfois sans le support d’une musique, si ce n’est celle des doigts qui claquent, des talons qui rythment les évolutions d’un corps, dessine un poème vivant qui réinterroge le monde et l’éclaire. Le flamenco s’affirme ici comme une langue universelle, expressive et superbement contemporaine, offrant une palette subtilement colorée des remuements de toutes les passions. Un diamant taillé.

MARYVONNE COLOMBANI

Idea
Vu le 7 octobre à l’Ouvre-Boîte
À venir
14 et 15 octobre
L’Ouvre-Boîte, Aix-en-Provence
04 42 38 94 38 theatredumaquis.com

Un K’fé et ça repart

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Dowdelin est sur la scène du K'fé Quoi ! le 18 novembre © JP Gimenez

Le K’fé Quoi a bien chanté tout l’été. En goguette ou en guinguette, il a su animer la saison estivale avec goût et ambition à travers une série de concerts dans les villages des Alpes-de-Haute-Provence comme à domicile. La bise venue, la salle de Forcalquier propose une nouvelle saison automnale basée sur le savoir-faire qui lui sied. Des concerts, des sorties de résidences, des scènes ouvertes… un programme exigeant et familial.

K’fé-concerts

Le vendredi 14 octobre, la salle accueille Rakoon, figure montante de l’électro-dub, il a notamment sorti l’album Something Precious en 2021 qui a confirmé le talent qu’il avait laissé entrevoir sans ses premiers opus. On y trouve des sons hypnotisant, qui mêlent – souvent – des parties guitares à une symphonie électronique à la texture recherchée. Avant lui sur scène, le duo électro Organized Bazar qui mixe les sons afrobeat, house et hip-hop.

Une semaine plus tard débarque Omri Swafield. Natif d’Israël, d’une mère anglo-égyptienne et d’un père roumain, forcément ses influences musicales sont diverses. De ce melting-pot international naît une musique originale, parfois pop, folk, rap ou slam. À noter qu’il sera en sortie de résidence, et donc des surprises ne sont pas à exclure. Pour compléter la soirée, DJ Pola Facettes s’occupe des platines – munie de 45 tours s’il vous plaît – pour une sélection rock’n’roll.

Après les concerts d’Hibou (17 novembre) et Dowdelin (18), le K’fé Quoi invite à une soirée particulièrement attendue le 26 novembre. Elle y voit se croiser Nicolas Torracinta et Claire Days. Le premier s’est révélé au « grand » public avec son album The Granary sorti en début d’année. Le jeune chanteur corse impressionne de sa voix basse et profonde, ses mélodies de guitare qui ne tombent ni dans la facilité, ni dans la complexité superflue, le tout est juste et brillant. Claire Days n’est pas en reste. La Lyonnaise propose une pop-folk en clair-obscur, tantôt brillante, douce et légère, tantôt sombre et teintée de rock indé.

K’fé quoi d’autre ?

En plus des concerts, la salle de Forcalquier propose plusieurs autres activités. Comme les « Sam’Kiff » (5 novembre et 3 décembre), des événements qui se tiennent tout au long de la journée, du petit-déjeuner jusqu’à la scène ouverte en clôture. Des espaces de jeux, de réparation de vélos, un marché de produits locaux, une boum pour le goûter… Des journées familiales à l’image de ce que doit être un lieu de culture, un espace de vie où tout le monde a sa place.

NICOLAS SANTUCCI

Le K’fé Quoi 
Forcalquier
le-kfe-quoi.com

En bobine Simone

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Copyright - Marvelous Productions - France 2 cinéma

« Pour tout vous dire, je n’aime pas trop ça, les biopics … » L’aveu lâché au bout de quelques minutes par Olivier Dahan a de quoi nous faire sourire. Le réalisateur qui a popularisé le genre en France avec La Môme en 2008, et renchéri avec Grace de Monaco six ans plus tard, s’est pourtant heurté à ses limites. « Harvey Weinstein n’était pas très content de mon travail. Il voulait que je fasse apparaître Grace Kelly à l’écran, comme dans ces génériques qui confrontent les acteurs à ceux qu’ils incarnent. Je trouvais ça franchement con … Et je me suis fait taper sur les doigts !»

Une histoire hors du commun

Suite à cette dernière expérience désastreuse, Dahan s’était promis d’arrêter le cinéma. C’est la comédienne Elsa Zylberstein qui l’a convaincu d’y revenir avec ce projet de film autour de Simone Veil. La comédienne, qui a bien connu la politicienne, avait à cœur de porter sa vie hors du commun à l’écran. « Lorsque je l’ai connue, j’étais très impressionnée mais aussi très intimidée par elle. Nous avions déjeuné ensemble. Nous parlions beaucoup au téléphone – d’Hannah Arendt, notamment. Je serais beaucoup mieux armée pour la comprendre, pour échanger avec elle aujourd’hui. Mais j’ai au moins la chance de pouvoir emporter toujours un peu d’elle avec moi. On dit souvent qu’un acteur doit savoir se défaire de son personnage : j’ai complètement refusé de me défaire d’elle ! ». Pour l’atteindre, la comprendre, Elsa Zylberstein s’est attelée à une année « d’immersion, d’incantation, même ! Je m’étais fait faire des cassettes par Tomatis, comme pour apprendre une langue étrangère. Je voulais comprendre son phrasé, si particulier, si identifiable. Phrasé qui changeait largement selon le lieu : le privé, le monde professionnel, les conférences de presse … Je suis également partie à la rencontre de tous ceux qui l’avaient connue et avaient tant de choses à raconter sur elle. Cette projection des Justes d’Agnès Varda pendant laquelle elle avait hoqueté sans arrêt … ce genre de choses. »

Un film politique ?

Séduit par le sujet et la passion communicative de Zylberstein, Dahan s’empare de la vie de Simone Veil et la remodèle avec soin, en superposant comme à son habitude plusieurs temporalités : « les biopics sont des genres très sommaires : ils sont plus faciles à monter … J’ai tendance à me méfier de la chronologie. La tordre, la faire sauter permet d’échapper au factuel ».  Le personnage sera ainsi incarné, d’un bout à l’autre du film, par Elsa Zylberstein mais aussi par la plus jeune Rebecca Marder. Les traumatismes mais aussi les moments heureux de la jeunesse se télescopent ainsi avec les combats menés par la magistrate, puis la femme politique aguerrie. « Je ne voulais pas faire un film politicien mais un film politique. Un film qui traite de la question de la mémoire, de la parole. » Et touche en cela à un bégaiement de l’Histoire, dont Dahan, fils d’un juif rapatrié d’Algérie et ex-membre actif de la Licra, est particulièrement féru. C’est d’ailleurs à ce père disparu qu’il dédie ce long-métrage non sans faiblesses, mais indéniablement sincère. Moins « indécrottablement pessimiste » que son metteur en scène, Elsa Zylberstein s’avoue à son tour pétrifiée par la remise en cause du droit à l’avortement, « dont on voit qu’il a constitué le nœud de sa vie politique, mais aussi un jalon de l’Histoire du XXème siècle. Une Histoire qui va progressivement du monstrueux vers la  lumière. » Mais dont l’assombrissement semble aujourd’hui tangible.

SUZANNE CANESSA

« Correspondances » : petits échos manosquins

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De gauche à droite, Xavier Mauméjea, Miguel Bonnefoy et le médiateur Yann Nicol © CB

On a retrouvé avec grand plaisir l’excellent et charmant Miguel Bonnefoy venu nous parler de l’amour du soleil. Non qu’il se soit converti à une lointaine religion précolombienne, mais parce qu’il a découvert au détour d’un documentaire, l’existence d’un savant français oublié, à l’origine de la première machine à récupérer l’énergie solaire. Augustin Mouchot était un être maladif et discret. Il a cependant participé à l’Exposition Universelle de 1878 où il a exposé une machine qui fabriquait un glaçon avec l’aide du soleil. L’enthousiasme communicatif de Bonnefoy et la richesse imagée de sa langue en font un des écrivains incontournables des Salons. Il fait d’ailleurs partie de la deuxième sélection du Prix Femina. Il était en dialogue avec Xavier Mauméjean, qui a imaginé l’aventure épique d’un jeune anglais parti en 1936 en Espagne, en pleine guerre civile. Le grand-père de l’auteur s’était engagé dans la Phalange ; il a voulu comprendre les deux partis et construire une structure romanesque à partir de témoignages. Autre dialogue de Bonnefoy avec l’autrice d’un premier roman, Mona Messine, dans lequel elle a voulu offrir un destin de personnage à des animaux, notamment une biche – qui donne son titre au roman – car elle perçoit des similitudes entre l’humain et l’animal. Parallèlement Mona Messine a créé une maison d’édition engagée dans la publication de premiers romans de femmes.
René Fregni n’a pas été oublié. Marseillais, il est chez lui à Manosque et parle des lectures que lui faisait sa mère, de l’aventure des émotions et de l’amour des mots. Mais aussi des engagements politiques de sa jeunesse. Notons aussi la présence de Dominique Ané, connu comme auteur-interprète sous le nom de Dominique A. et compagnon des Correspondances depuis longtemps, qui propose ici un premier recueil de poèmes. Il déclare que ceux-ci sont plus personnels, plus autobiographiques que ses chansons.
Enfin c’est au Paraïs, demeure de Jean Giono, qu’a été rendu le très émouvant hommage d’Emmanuelle Lambert au président des Amis de Giono, Jacques Mény, récemment décédé. Elle évoque leur première entrevue organisée par Jean-François Chougnet, directeur du Mucem de Marseille, qui a initié le travail de plusieurs années sur l’organisation de la grande exposition Giono de 2020. Elle revoit la grosse sacoche qui ne quittait jamais Jacques, pleine de documents essentiels. Elle rappelle son enthousiasme presqu’enfantin et choisit de lire des extraits de quelques œuvres gioniennes pour illustrer sa passion de vivre et de servir l’auteur auquel il a consacré sa vie. Dans cette confidence pas du tout universitaire, mais affectueuse et émue, elle a donné un éclairage personnel sur une « aventure de travail et d’amitié ».

CHRIS BOURGUE

Les Correspondances se sont tenues du 21 au 25 septembre, à Manosque.

L’inventeur de Miguel Bonnefoy  (Rivages)
El Gordo de Xavier Mauméjean (Alma)
Biche de Mona Messine (Livres Agités)
Minuit dans la ville des songes de René Fregni (Gallimard)
Le présent impossible de Dominique Ané (L’iconoclaste)

Marseille : les années rock

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Motörhead ? Non c'est bien le groupe marseillais Quartier Nord en 1980, dont le chanteur Robert Rossi est aussi le curateur de l'exposition © Vincent Costarella

Pendant longtemps, on ne chuchotait pas à l’Alcazar. Ce lieu était le cœur battant de la fête marseillaise, et il a vu débarquer dans ses dernières années d’existence un nouveau style qui allait révolutionner la musique dans le monde entier : le rock’n’roll. Cinquante-six ans après sa fermeture en tant que salle de concert, le site devenu bibliothèque accueille Marseille, ville rock (1956-1980) – du rock à Marseille au rock marseillais, du 7 octobre au 31 décembre. Une exposition qui repose sur la présentation d’objets appartenant à des Marseillais, et au travail de Robert Rossi, son curateur, chanteur du groupe marseillais Quartiers Nord. 

Pourquoi 1956 ?
Comme pour son livre au titre éponyme de l’exposition, Robert Rossi a choisi de faire démarrer son récit en 1956. « C’est la plus vieille trace de rock à Marseille que j’ai trouvée », explique-t-il. Une présence dénichée dans Marseille Provence Magazine, où un article relate un concert des Rock’n’roll Cats, au Saint James, rue Venture. « On y voit le patron danser le rock avec d’autres personnes, ce qui laisse penser que ces soirées étaient déjà habituelles », ajoute-t-il. Une date qui remet en question un vieux poncif de l’histoire du rock en France. « On considère souvent que le rock avait débarqué avec les “marines” américains dans les ports militaires. Or il n’y avait pas particulièrement de “marines” à Marseille, et si la naissance du rock est officiellement datée en 1954, on voit bien que son arrivée à Marseille s’est faite très vite. »

Contributions et archives
Dès lors, le rock et tous les styles qu’il a engendrés soufflent sur la ville. Les pionniers dans les années soixante, le psyché à la fin de cette même décennie, puis le rock fusion, le hard rock et enfin le punk à la fin des années soixante-dix. Tous les courants sont représentés à l’aide d’objets appartenant aux musiciens de cette période, qui ont répondu à l’appel à contribution lancé plus tôt dans l’année. En plus de cet appel, l’exposition se construit aussi autour des archives de l’Alcazar. « L’équipe a recherché dans leur fonds et dans celui de Radio France. Ils ont retrouvé beaucoup de vinyles qui seront exposés. »

Pour l’inauguration, l’Alcazar offre un concert des Batmen, dont le chanteur Henry Sanchez faisait partie du groupe Why Not qui, en 1966, avait ouvert pour les Rolling Stones à la salle Vallier. « Mick Jagger s’était pris un barreau de chaise dans la tête à ce concert. » Une anecdote qui, comme tant d’autres, écrit la légende de cette musique à Marseille, et est à retrouver dans cette exposition événement.  

NICOLAS SANTUCCI

Marseille, ville rock (1956-1980) – Du rock à Marseille au rock marseillais
Bibliothèque L’Alcazar, Marseille
Du 7 octobre au 31 décembre
marseille.fr

« Azor » démonte le système bancaire en petites coupures

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Image tirée d'Azor d'Andreas Fontana ©Next Film Distribution

Le banquier suisse, Yvan De Wiel (Fabrizio Rongione) débarque à Buenos Aires avec son épouse Inès (Stéphanie Cléau) pour « récupérer » les riches clients argentins de la banque Keys Lama de Wiel. Keys, son associé, en place jusqu’alors, a brusquement disparu comme tant d’autres, en ces années 80 où la dictature militaire « éradique la vermine » dans tous les milieux. Qu’est-il devenu ? Qu’a-t-il fait ? Qui était-il ? Un débauché ? Un manipulateur dangereux ? Un homme bon ? Un voyou exubérant qui aurait trop parlé ? Charmant ? Ou laid comme un pou ? L’« absent » est partout, au croisement de témoignages contradictoires. Yvan va devoir se mesurer et se substituer à ce disparu, gagner sa place dans la guerre des banques qui, en ces temps incertains, proposent des refuges aux capitaux de la grande bourgeoisie ou à ceux récemment acquis par les nouveaux maîtres du pays. En cinq chapitres titrés, on suit l’itinéraire de De Wiel. « La tournée des chameaux » d’abord, rite d’initiation où il se présente aux gens qui comptent – dans tous les sens du terme. « Les visites »où il démarche les gros clients« Le duel » dans lequel il découvre le « cercle des armes », club privé fréquenté par le gratin de la junte et les concurrents américains. « Le gala »qui réunit tous les protagonistes et où il  « perd la face ». Et enfin « Lazzaro »,dernière étape qui le conduit hors des salons feutrés dans les ténèbres d’une jungle où il va enfin pouvoir se démarquer de Keys.

Grands hôtels, estancias luxueuses, intérieurs aux boiseries sombres, statuettes de bronze et sofas en cuir, les bruns et les crème, poudrés de lumière dominent à l’image. Tout est chuchoté, allusif, étrange et familier. La peur suinte mais l’horreur restera hors champ. Ambiance lourde, fantomatique, mortifère soulignée par la musique de Paul Courlet aux notes funèbres.

On croise un ambassadeur frileux, un prélat fasciste, une bourgeoise nostalgique, un chauffeur « qui rend des services spéciaux », des salauds ordinaires en costards cravates, complices. Azor signifie : « fais attention à ce que tu dis » ou mieux « tais-toi ».  Le « doux » Yvan dont la médiocrité est rehaussée par l’intelligence de sa femme, est un de ces monstres polis et policés, au langage et au comportement strictement codés. Le réalisateur dit ne pas s’intéresser à la psychologie, ce sont les environnements professionnels qui créent les récits. Les dictatures révèlent la vraie nature de la banque privée comme elle va révéler celle du protagoniste. Et le sourire d’Yvan, au dernier plan du film, est tout simplement glaçant.

ÉLISE PADOVANI

Azor d’Andreas Fontana
En salle le 12 octobre
Le film écrit en collaboration avec Mariano Llinas, concourait à la Berlinale 2021, section Encounters

Annie Ernaux, JE est une autre

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Image tirée du documentaire "Les années super 8" d'Annie Ernaux et David Ernaux-Briot © Les films Pelléas

Parce qu’Annie Ernaux, lorsqu’elle écrit, décrit toujours le monde à travers son propre point de vue, parce qu’elle parle de ce qu’elle sent, toujours, à la première personne ou à la troisième, féminine, JE commencerai par parler non de moi, mais depuis moi.

Depuis l’enfance, j’ai appris, comme toutes les femmes de mon âge, plus encore les plus âgées, et guère moins les plus jeunes, à lire des récits masculins. Pas forcément masculinistes, mais les auteurs hommes racontent le désir, le rapport à leur mère, fusionnel, à leur père, conflictuel, à leurs enfants (rarement !), à l’intime, au corps, au vieillissement, à la beauté, à la guerre, à tout ce qui s’érige ou tout ce qui se fend, au progrès ou au cycle… comme les hommes le perçoivent et le vivent. Ils sont socialement et historiquement conditionnés, malgré eux, comme cela.

Parce que j’ai toujours adoré lire, comme toutes les femmes de ma génération, j’ai appris à faire avec cette discordance entre ce que je lisais et ce que j’étais. À m’identifier plutôt aux personnages masculins qui désirent, à repérer les auteurs gays qui décrivent la beauté des hommes, puis à être enfin sidérée, soulagée, par le sentiment de familiarité dans les nouvelles de Colette, parfois dans George Sand, Simone de Beauvoir aussi, même si ses carcans étaient plus bourgeois que les miens, et bien sûr dans Duras. À chaque page, son JE fut un moi qui m’a construite : ses amants, ses couples, ses phrases mêmes, coupées, ressassantes, et cette Histoire qui balaye si particulièrement les femmes.

Après cela bien sûr il y a eu Sarraute, Nathalie. Son Enfance, et la plongée dans l’éveil au monde d’une petite fille, son regard dédoublé. Puis, très vivement, Annie Ernaux.

1983, La Place. Elle est une autre, plus âgée que moi, ses souvenirs ne sont pas les miens, je n’ai pas ce rapport-là à mon père, ni à sa mort. Pourtant, oui, tout me parle de moi, enfin, avec cette limpidité d’évidence.

La suite ne me décevra jamais. Dans Les Années, publié presque vingt ans plus tard, elle décrit ses souvenirs à partir de photos, dans une quête de vérité qui fait immanquablement penser à Nathalie Sarraute, parce qu’elle travaille page après page à définir la notion même de souvenir, et la façon qu’on a d’être aussi, au fond de soi, tous les autres qu’on porte en soi. Les armoires vides qui font écho à La Place, L’événement publié juste après Les Années, et Le jeune homme tout récemment, racontent comment un avortement a marqué son existence, et modifié son désir, sa relation à ses parents, puis aux jeunes hommes. Comment un homme pourrait-il écrire cela ?

Nul besoin d’avoir vécu ce qu’elle décrit pour éprouver cette familiarité, jusque dans son rapport intime au politique. Je n’habite pas Cergy mais je transpose naturellement vers la cité marseillaise de mon enfance le film de Régis Sauder J’ai aimé vivre là. Parce qu’elle y raconte comment on peut être heureux dans une ville nouvelle où l’on veut encore faire cité commune. Et c’est en lisant Les Années que j’ai compris comment la violence de la consommation s’exerce particulièrement sur la conscience des femmes, ménagères chargées du foyer et de l’en-commun.

Depuis Les Années, publié en 2000, le rapport des Français aux autrices a changé. On a vu timidement, marginalement, quelques textes de femmes apparaître dans les programmes du bac. Aujourd’hui, dans les rencontres littéraires, 80% du public est féminin, et enfin des autrices écrivent des romans qui ne parlent pas forcément de leurs amours ou de leur enfance.

Aujourd’hui enfin, une femme française est prix Nobel de littérature. C’est une magnifique victoire.

Enfin, je peux expliquer pourquoi lire des femmes me repose de la lecture de ces centaines de milliers de pages écrites par des hommes qui se croient universels. De Houellebecq, qui fait dire à Christine dans Les Particules élémentaires : « J’ai jamais pu encadrer les féministes. En quelques années, ces salopes réussissaient à transformer les mecs de leur entourage en névrosés impuissants et grincheux. ». Non, jamais une femme ne dirait cela.

Non, je n’ai plus envie de TE lire.

AGNÈS FRESCHEL

Heure de pointes 

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Trois gnossiennes Ludmila Pagliero Hugo Marchand -©Svetlana Loboff OnP-140

Événement au Grand Théâtre de Provence ! Cinquante-cinq danseurs de l’Opéra de Paris dont cinq étoiles, débarquent sur scène devant une salle comble. En ouverture, la pièce très académique de Forsythe pour quintette de danseurs, The Vertiginous Thrill of Exactitude, décline le vocabulaire du ballet classique dans ses différentes combinaisons : solos, pas de deux, pas de trois, section d’ensemble. Le tout sur pointe et en tutu, démonstration brillante de la maîtrise physique nécessaire à la moindre figure de danse. L’émotion arrive avec les Trois Gnossiennes de Hans van Manen. Accompagnées sur scène par le piano d’Elena Bonnay, les deux étoiles Ludmila Pagliero et Hugo Marchand épousent les harmonies sonores, se livrant à une interprétation subtile de la musique de Satie, conjuguant orbes poétiques et fluidité des gestes en une ensorcelante cérémonie. La virtuosité des corps n’est que l’instrument malléable d’une expression libérée de toutes les contraintes physiques pour atteindre le sublime.

The Seasons’ Canon Musique Max Richter Recomposed : Antonio Vivaldi The Four Seasons Chorégraphie Crystal Pite Décors Jay Gower Taylor Costumes Nancy Bryant Lumières Tom Visser


Tandis que And…Carolyn d’Alan Lucien Øyen propose aussi un superbe pas de deux où le quotidien laisse libre cours à l’expression de ses émotions sur des extraits de la bande originale d’American Beauty de Sam Mendes (Thomas Newman). La deuxième partie convoque cinquante-quatre danseurs sur le plateau avec la somptueuse chorégraphie de Crystal Pite, The Season’s Canon, composée pour le Ballet de l’Opéra, sur une musique de Max Richter. Les corps sont orchestrés en architectures mouvantes, tableaux bouleversants d’intensité où les danseurs forment un organisme vibrant, unique et multiple à la fois, transcendé par un rituel venu de la nuit des temps, nimbé de lumières d’apocalypse et d’ombres ocrées. Communion cosmique géniale d’où émergent quelques solistes chamaniques à l’ombre d’aurores boréales qui semblent sceller la destinée des mondes. On se laisse transporter par ces sculptures vivantes, la puissance de cette œuvre magistrale.

MARYVONNE COLOMBANI

Le Ballet de l’Opéra national de Paris s’est produit du 22 au 25 septembre au Grand Théâtre de Provence, à Aix-en-Provence.