mercredi 17 septembre 2025
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Les contes naissent aux frontières des mondes

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Les Amants méconnaissent les boutons du bonheur Picture a day like this - Festival d'Aix-en-Provence 2023 © Jean-Louis Fernandez

George Benjamin avait bouleversé le Festival avec le monument qu’est Written on skin, sur un livret de Martin Crimp. 11 ans plus tard le même duo de création livre un nouveau chef d’œuvre.

Le récit écrit par le dramaturge, complice de longue date du musicien, dans un style en épure, très resserré, met en scène une femme qui vient de perdre son enfant, alors qu’il commençait à former ses premières phrases. Refusant sa mort, elle va tenter de le ramener à la vie. Il lui faudra rapporter le bouton du vêtement d’une personne heureuse. Trois « Parques », personnages aux habits noirs surgis au moment du deuil, lui tendent une feuille de route désignant les personnes qu’elle devra rencontrer et solliciter.

Chercher la voix du bonheur

Une note de piano, prélude à un chant dépouillé où naissent naturellement quelques mélismes, éclot dans le miroitement des ombres rendant le noir vivant comme un tableau de Soulages. Le Mahler Chamber Orchestra dirigé par le compositeur épouse les variations du texte, le chatoiement de ses nuances, telle une toile moirée. Marianne Crebassa apporte à ce dénuement le velours de sa voix de mezzo-soprano, émouvante dans sa droiture et sa retenue, rendant plus tangible encore sa colère devant l’atroce perte.

Elle croise des Amoureux, Beate Mordal et Cameron Shahbazi, mais l’Amant proclame son engouement pour le polyamour. L’Amante le rejette alors. La soprano amoureuse deviendra plus tard une Compositrice bipolaire arrogante et égarée dans les affres de la composition, changement de rôle jubilatoire !

La mère croise encore un baryton à la tessiture vertigineuse, John Brancy, qui campe un Artisan versatile qui trouve le bonheur dans sa « molécule de chlorpromazine ». Puis un Collectionneur qui cherche à être aimé de la Femme en échange du bouton. Enfin, dans un jardin merveilleux (vidéo somptueuse du plasticien Hicham Berrada), elle rencontre Zabelle, subtile Anna Prohaska, qui est heureuse seulement parce qu’elle n’existe pas…

Le retour au réel, au cœur des trois murs en miroirs opacifiés de la scénographie de Daniel Janneteau et Marie-Christine Soma, se teinte alors de fantastique, un bouton brille dans la main de la mère…

 La fin reste ouverte, le monde intérieur, l’espace de jeu, le livret, la musique, sont en symbiose totale, dans cette bulle onirique et poétique. Un spectacle envoûtant et hypnotique.

Maryvonne Colombani

La pièce se tenait jusqu’au 24 juillet, Jeu de Paume, Festival d’Aix-en-Provence

Les réalités combinées du paysage

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Un trombone pour partager le paysage. Paysages partagés, Caroline Barneaud et Stefan Kaegi, 2023 © Christophe Raynaud de Lage

Ce n’est pas une pièce de théâtre, ni même une performance ou une promenade. C’est un peu à tout cela à la fois que nous invitent Caroline Barneaud et Stefen Kaegi le temps d’une fin de journée. Une parenthèse contemplative pour s’arrêter et observer un instant ces paysages que nous ne faisons que traverser.

Sur le plateau de Pujaut, un bois touffu, un vignoble ou un promontoire sur la vallée deviennent la scène éphémère de sept propositions artistiques. Inégales, souvent inachevées ou frustrantes, comme si la déception de l’attente et l’effleurement des formes était un principe.

La première scène invite les spectateurs à s’allonger sur le versant d’une colline et à écouter la joyeuse discussion entre une enfant, un météorologue, un garde forestier, une chanteuse ukrainienne et une psychologue. Eux aussi sont, comme leur auditoire, au milieu du bois et de ses bruits. Ils débattent de questions existentielles -la peur, la mort- ou plus concrètes -les feux de forêts ou les avions.

L’audio se termine à peine que plusieurs musiciens commencent à jouer, allongés et cachés dans les arbustes. Ces intermèdes musicaux composés pour l’occasion par Ari Benjamin Meyers pour flûte, tuba, saxophone, trombone et trompette s’adressent aux arbres, à l’air, aux oiseaux, à la terre.

Paysages augmentés

Un peu plus loin, le spectateur-promeneur est invité à enfiler un casque de réalité virtuelle. Ironique, dans ce cadre sauvage ? Le décalage opère pourtant, tant cette expérience invite à repenser le paysage. Embarqué à bord d’un drone, le public effectue un survol stationnaire virtuel du plateau qui lui permet de repenser l’horizontalité du paysage pour l’appréhender dans sa verticalité. Une mise en perspective qui n’oublie pas de souligner combien  les « ressources naturelles » sont attaquées et convoitées.

Car un des enjeux de Paysages Partagés est de mieux comprendre cet environnement dit naturel grâce à la technologie. Au lieu d’opposer l’artifice technologique et la nature vierge, l’œuvre humaine artistique et scientifique,  le parti est pris de les combiner, et d’enrichir les regards. Même si ces centaines de personnes, casques sur les oreilles ou masque de réalité virtuelle sur la tête surprennent les promeneurs de passage qui les observent d’un air ahuri !

Pourtant, le peu de comédiens présents au fil des étapes déçoit globalement. Trois d’entre eux donnent tout de même une captivante conférence théâtrale au milieu des vignes. On y parle, joyeusement, agriculture et chant d’oiseaux. Et la dernière pièce change totalement la donne. Après avoir été le centre d’attention toute la journée, c’est la nature elle-même qui prend la parole et se rebelle, refuse la destruction engendrée par les humains et ne veut plus être notre « paysage partagé ».

RAFAEL BENABDELMOUMENE

Paysages partagés se tenait jusqu’au 16 juillet à Pujaut.

Wozzeck  tournoie et plonge

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Simon McBurney affine son adaptation d’un précieux travail sur la lumière. PHOTO MONIKA RITTERSHAUS

Aix-en-Provence avait déjà applaudi sa mise en scène de La Flûte enchantée, Simon McBurney revient en signant un nouveau chef d’œuvre, sublimé par une distribution vocale luxuriante et un London Symphony Orchestra ébouriffant sous la houlette de Sir Simon Rattle.

Dans une lumière grise, on entend des chiens aboyer, on voit des soldats au garde-à-vous, plantés sur un dispositif scénique aux trois cercles concentriques dont le tournoiement lent entraîne les personnages, parfois à l’envers des aiguilles d’une montre, dans un temps qui se distord, parfois dans des sens opposés qui les séparent et extrait Marie assassinée de l’ordre du temps.

Aliénation morale

Impossible d’échapper à ces cercles dantesques, à ce mouvement aliénant la liberté. Se refusant à la scène naturaliste de l’incipit de l’opéra au cours de laquelle le soldat Wozzeck (Christian Gerhaher, autant acteur que génial chanteur) rase le Capitaine qui s’acharne sur lui, Simon McBurney campe le malheureux debout, interrogé cruellement à propos du fils illégitime qu’il a eu avec Marie (Malin Byström, bouleversante), par le Capitaine sanglé dans son uniforme blanc et accompagné d’un enfant, son double en miniature, tandis que les autres personnages, tels un chœur antique muet assistent sans intervenir à cet acharnement.

À l’aliénation morale s’ajoute celle des inégalités de classe : Wozzeck répond qu’il est difficile d’être vertueux quand on est pauvre. La mécanique impitoyable de l’intrigue accable le personnage central : injustice sociale, cruauté mentale -il est le cobaye d’un docteur qui examine sans émotion les rouages de l’esprit humain-, trahison amoureuse -Marie le trompe avec le beau Tambour-Major-, le conduisent inéluctablement à la folie et à la mort.

Une porte dressée comme une guillotine, seule sur la scène nue, ouvre vers l’appartement de Marie et laisse voir son enfant, ou vers le bar où la foule danse et boit, brossée en un tableau naturaliste. Les leitmotive permettent de tisser une trame cohérente qui unit les quinze tableautins de l’intrigue, le jeu subtil et velouté de l’orchestre apporte une harmonie onirique aux dissonances de Berg, tandis que la mise en scène permet de passer d’une scène à l’autre avec une fluidité rare, dans une variation des nuances de la lumière et des ombres qui convoquent tout un arrière-plan pictural et cinématographique. Un diamant noir !

Maryvonne Colombani

Wozzeck etait donné jusqu’au 24 juillet au Grand Théâtre de Provence dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence.

En dialogues, et symbiose

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Oxmo Puccino et Yaron Herman en symbiose © Clara Lafuente

Koki Nakano accompagné par un danseur, ce n’est pas une surprise. Le pianiste considère que « il n’y a pas de son sans mouvement ; il n’y a pas de mouvement sans son. Les deux sont indissociables ». Sur scène, avant la danse, il s’agit de piano, mais pas seulement : ordinateur, enregistreur et effets accompagnent son jeu délicat, fluide, dédié aux titres de son dernier album Oceanic Feeling. De l’ambient mélodique, des paysages sonores aux textures électroniques subtiles.

Mourad Bouayad apparaîtra sur scène une bonne quinzaine de minutes après le début du concert, épousant les mouvements de la musique de façon très étroite, faisant même penser à du mime, s’enroulant d’une façon à la fois lente et vive autour de l’axe vertical du corps, convoquant quelques échos d’une gestuelle hip-hop. Il repartira et reviendra un peu plus tard pour une seconde performance, toujours aussi intense mais moins musicalement mimétique, se déployant sur tout l’espace de la scène.

Amour consenti

Pour Oxmo Puccino, se présentant, avec humour, comme le « rappeur officiel de l’amour», jouer avec un jazzmen n’est une surprise non plus : il a fréquenté les Jazzbastards, et a partagé des aventures avec Ibrahim Maalouf, Erik Truffaz ou Vincent Segal.

Yaron Herman, pianiste adepte de l’improvisation, précise que « dans le jazz on ne triche pas avec notre incertitude » : il aime aussi les rencontres avec des interprètes qui ne sont « pas de son monde », comme M, ou le rappeur gabonais Benjamin Epps.

Avec Puccino, son piano se fait tour à tour étouffé, percussif, mélodique, swing, jazz, ludique ou mélancolique, proposant des perspectives décalées ou très raccord avec les chansons du « rappeur à la voix de miel ». Dont une bonne partie du public, les trentenaires, connait par cœur ses paroles et ses punchlines Qu’elles soient  tendres : « prenons nous dans les bras tant que le loup n’y est pas », ou oecuméniques : « soyons tous unis au lieu de crier nos différences ». Spirituelles : « la liberté passe parfois par un long chemin », ou passionnées « le son qui coule dans mes veines ».

Le public reprendra avec entrain les paroles de « Pas ce soir » adressé en guise de signal d’avertissement aux « jeunes coquins vigoureux », ces « loups qui chassent les brebis », en cette soirée très masculine. Pour enchainer en chœur avec un« Joyeux Anniversaire » adressé à Yael Herman (43 ans), info donné en live par Puccino (qui en a 48).

MARC VOIRY

Le festival lyrique s’ouvre au jazz

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Lakecia Benjamin, l’altesse de l’alto © Vincent Beaume

En dehors des chanteuses,  être une jazzwoman n’est pas une évidence, et une saxophoniste encore moins. Même si ces dernières années, enfin, quelques unes s’imposent dans ce monde de liberté musicale, mais pas d’égalité de genre.

Lakecia Benjamin, lauréate du Deutscher Jazzpreis Award du meilleur instrument à vent international, arrivait en star sur la scène aixoise, vêtue d’or et d’argent. La géniale saxophoniste, entourée d’ailleurs de trois hommes (Ivan Taylor, contrebasse, Zaccai Curtis, piano et E.J. Strickland, batterie), dévoile les morceaux de son tout nouveau CD, Phoenix, qui célèbre la vie : elle est une miraculée d’un accident de la route.

Les grands thèmes des musiques de John Coltrane et surtout d’Alice Coltrane deviennent l’étoffe de compositions veloutées sur lesquelles un piano limpide vient rêver, souligné par la contrebasse et les inventions percussives de la batterie. Les pièces se nourrissent aussi des univers plus contemporains, passant de leur ancrage dans le blues à des envolées de free jazz, flirtent avec le slam, revisitent la ballade, font un clin d’œil à l’œuvre de Basquiat, replongent dans la profondeur du gospel, lient intensément création et discours engagé pour la défense de la paix, des droits humains, parodient au passage certains rythmes de marche militaire ou reprennent le poème de la militante féministe Sonia Sanchez, Peace is a Haiku Song qui voit les mains de toutes les couleurs battre des ailes comme des papillons.

Le jeu précis et inspiré de la saxophoniste semble s’abstraire des limites physiques. La main gauche virevolte sur les clapets puis s’en détache à la fin des motifs comme pour laisser les sons s’envoler, libres dans la vibration de leurs harmoniques. 

 Paysages et voyages sonores

Le Trio Noé Clerc, (Noé Clerc, accordéon, Clément Daltosso, contrebasse, Elie Martin-Charrière, batterie) se présentait en quintet avec deux nouveaux complices, Robinson Khoury, trombone et Minino Garay, percussions. Créatifs et espiègles, les cinq musiciens (hommes) dessinent leur Secret Place (leur dernier album), avec une palette qui puise dans de multiples univers, blues, jazz, musiques contemporaines et traditionnelles, le tout avec une finesse d’orchestration rare.

Les Premières pluies, « de la goutte d’eau à l’averse puis à la tempête » précèdent le tableau coloré et impressionniste de Blue mountain, dont les couleurs varient tout au long de la journée, s’inspirant au passage du blues, d’une note jazzée et de lointains airs balkaniques. Se greffent des passages dus aux autres musiciens : un mélange époustouflant de jazz, tango, et poèmes déclamés en castillan par Minino Garay, éblouissant Distancing from reality de Robinson Khoury. On découvre l’accordina dans la chanson en occitan Canson, on valse-musette avec La Mystérieuse (Jo Privat), on part en Arménie grâce à Arapkir bar… Voyages oniriques comme seule la musique sait les créer.

MARYVONNE COLOMBANI

Ces concerts ont été donnés les 11 et 15 juillet Festival d’Aix 

Voyages en enfance

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Le jour du coquelicot. © Barbara Buchmann Cotterot

Un petit théâtre de bois se dresse dans l’aire de jeu vers laquelle se précipitent les enfants à la sortie de chaque spectacle. La petite cabane au milieu des toboggans est comme une version miniature de la Maison Pour Tous de Monclar dans laquelle s’installe Le Totem chaque été. Cette année encore, les spectacles sélectionnés sont d’une grande qualité et transportent aussi bien enfants que parents.

Zèbre pour tout-petits

La diversité des disciplines théâtrales permet à chacun d’y trouver son compte : théâtre d’objet, art du récit, marionnette ou encore danse et musique. Zèbres mêle un peu tout cela. À travers ce spectacle pour les tout-petits -à partir de 3 ans- Camille Dewaele et Cécile Mazéas ouvrent tous les jours à 9h50 la porte d’un univers ludique et sensible. Le duo de danseuse hip-hop et de marionnettiste chanteuse accompagne l’arrivée d’un petit zèbre. Ce petit être va évoluer dans un monde coloré et magique où les décors détaillistes s’ouvrent et se dévoilent tel un album à tirette.

Sa tempête

Le Totem fait aussi la part belle au théâtre d’objet, comme avec Tempête dans un verre d’eau, qui se produit à 11h. Un comédien déjanté, Clément Montagnier, explique aux spectateurs sa passion pour La Tempête de William Shakespeare et fait résonner la comédie avec sa vie personnelle. Grâce à des reconstitutions miniatures toutes simples, il illustre l’histoire qu’il raconte à son auditoire captif au milieu des éclats de rire. D’une simple canette, il crée des personnages et les fait évoluer. Une lampe torche et quelques bruitages reconstituent la tempête. Sa régisseuse et metteuse en scène Marie Carrignon devient son acolyte de scène dans une pièce drôle et touchante, conseillée à partir de 8 ans.

Intergénérationnel

Le théâtre jeune public entend aussi parler aux enfants des sujets tabous qui les concernent. Le jour du coquelicot, joué à 15h10, aborde le thème des premières règles, du passage vers l’adolescence, des relations entre générations. Sam, 9 ans, se questionne sur son corps et ses sentiments, tandis que sa grand-mère lutte contre l’amnésie qui la gagne. Au milieu de cela, un lapin survolté tente maladroitement de réconcilier tout le monde. Une histoire touchante et de belles images, comme la robe de mots de la grand-mère qui perd la tête, ou l’intérieur du cerveau de Sam, fait de fils que le lapin va tenter de démêler.

Fable écolo

Enfin, Quand les corbeaux auront des dents est un petit feu d’artifice. Tous les jours à 16h10, deux comédiennes d’une folle énergie, Cassandre Forget et France Cartigny, narrent l’odyssée d’un corbeau affamé parti à la recherche de ses anciens compagnons de chasse, les loups. Complices et décalées, elles offrent un conte « poético-écolo-déjanté » sur la difficile cohabitation entre les animaux et les humains. Du théâtre d’objet drôle et merveilleusement bien pensé qui offre deux niveaux de lecture, pour les enfants mais aussi pour les parents. On y évoque par exemple le patron des chasseurs Willy Schraen, le mouvement des Soulèvements de la Terre ou encore le sensationnalisme de certains médias. Chacun y trouve son compte. Les adultes s’esclaffent et les enfants sont captivés par la petite histoire qui se matérialise devant leurs yeux.

RAFAEL BENABDELMOUMENE

Tous les spectacles du Totem se sont joués jusqu’au 25 juillet

Un, deux… Brahms !

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Les notes du poète

Les images féminines hantent la musique de Brahms : la bienveillante attention de Clara Schumann n’est pas un mystère, ni son influence créatrice sur le musicien. Pourtant le XIXème siècle ne fut pas plus que les précédents, enclin à mettre en avant et soutenir les femmes artistes. George Sand, amie et admiratrice de Pauline Viardot, s’en inspire pour camper le personnage de Consuelo, « la plus grande, la plus prophétique de ses héroïnes » (Michelle Perrot in George Sand à Nohant). Elle écrivait à la musicienne : « ah ! que je voudrais parfois avoir quinze ans, un maître intelligent, et toute ma vie à moi seule ! Je donnerais mon être tout entier à la musique, et c’est dans cette langue-là, la plus parfaite de toutes, que je voudrais exprimer mes sentiments et mes émotions. Je voudrais faire les paroles et la musique en même temps » (ibidem). En hommage, le violoncelliste et chef d’orchestre Victor Julien-Laferrière fonde l’Orchestre Consuelo, musiciens amis qui se cooptent, d’où une magnifique unité. C’est cet ensemble, surnommé par son fondateur « l’Orchestre des Amis de Brahms », qui accordera la souplesse et la vivacité de ses interprétations aux œuvres brahmsiennes dans l’écrin familier de la conque du parc de Florans. La virtuosité sobre et élégante d’Adam Laloum s’attachait à l’un des plus longs concertos du répertoire, le Concerto pour piano en ré mineur opus 15 (une cinquantaine de minutes d’exécution). Si les premières représentations en janvier 1895 à Hanovre puis à Leipzig ne furent pas couronnées de succès (la représentation de Leipzig fut abondamment sifflée), la musique étant jugée incompréhensible, sa reprise par Clara Schumann rendit grâce aux beautés de l’œuvre, conçue au départ comme une symphonie. La part orchestrale ne laisse pas dominer sans réserve le soliste, mais l’intègre à son climat fantastique où sourdent les légendes. Le spectaculaire est évité, le piano fusionne avec les autres instruments, puis entame un dialogue nourri avant d’introduire de nouvelles atmosphères, les cordes jouent en sourdine soutenues par les cors en un mouvement intimiste puis le piano s’épanche en tournoiements lyriques qui peuvent faire allusion à l’amour que Brahms porte à Clara. La coda et les trilles qui achèvent le deuxième mouvement subjuguent par leur subtile légèreté. Le dernier temps du concerto entremêle les thèmes en une danse vive. La maestria de l’interprète fait oublier l’impressionnante technique nécessaire à l’exécution de l’œuvre. Seule l’émotion reste en une palette nuancée parcourant une gamme qui va du recueillement au triomphe. Adam Laloum offrira en bis le subtil Intermezzo opus 118 n° 2 en la majeur de Brahms puis l’un de ses bis fétiche, Moments musicaux opus 94 n° 2 en la bémol majeur de Franz Schubert. Enchantements ! 

Sacre d’une étoile

Si la Sérénade pour orchestre n° 2 en la majeur opus 16 donnée la veille n’avait pas convaincu, la Sérénade pour orchestre n° 1 en ré majeur opus 11 nous rendait l’envergure de l’Orchestre Consuelo en six mouvements dessinés comme de délicats tableautins : lyrisme mêlé des échos pittoresques d’une fête villageoise, ciel plus inquiet rendu par les syncopes des cordes, harmonie d’une symphonie pastorale, plénitude, airs allants, mélodie des cors, éclats brillants… introduction enjouée à la pièce maîtresse que fut le Concerto pour piano et orchestre n° 2 en si bémol majeur opus 83, (composé vingt ans après le premier), joué par Marie-Ange Nguci. Dès les premières notes, conversation entre le cor et le piano vite rejoint par les respirations des cordes, la jeune pianiste impose son jeu, clair, puissant, élégant, nuancé. En un exercice de haute voltige, le piano se joue des arabesques, des accords profonds, des couleurs foisonnantes, des trilles aériens, des trémolos, livre l’expression pure du Sturm und Drang, le « Orage et passion » qui a scellé les débuts du romantisme allemand dans ses éclats, ses retournements, ses passages alanguis, ses cadences aux allures d’improvisation, ses échappées oniriques, ses volutes souples, ses effervescences et ses déchaînements. Toute simple face au public, l’ancienne élève du regretté Nicolas Angelich, est souveraine et lumineuse dans son interprétation. En danse, elle serait sacrée étoile sur scène tant elle transcende la musique qu’elle aborde. 

En bis elle montrera d’autres facettes de son immense talent en présentant le premier Mouvement du Concerto pour la main gauche en ré majeur de Ravel, l’étude n° 6, Toccata, de Saint-Saëns et Tombeau sur la mort de Monsieur Blancheroche en do mineur FbWV632 de Froberger. Éblouissements ! 

MARYVONNE COLOMBANI

Concerts donnés les 13 et 14 août au parc de Florans dans le cadre du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron 

Attention! Le concert de Maria João Pirès du 17 août est malheureusement annulé pour raisons de santé. Marie-Ange Nguci a accepté de remplacer cette immense dame du piano. Son programme comprendra des oeuvres de Bach-Busoni (Chaconne), Ravel (Gaspard de la Nuit), Beethoven (Fantaisie en sol mineur opus 77), Schumann (Kreisleriana opus 16). Une variété d’oeuvres exigeantes qui mettra encore en évidence les qualités rares de la jeune pianiste.

Vagabondages dans le Off

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Les deux comédiennes réunies sur scène.

On était curieux de voir la représentation de Home movie, pièce écrite par Suzanne Joubert, bien connue des spectateurs du théâtre des Bernardines à Marseille. Las, si le texte nous happe par son côté décalé qui reflète la vanité ridicule des trois personnages et l’inanité de notre société en dégringolade, la mise en scène de Jérôme Wacquiez et les costumes d’Adeline Caron, qui parient sur le monde du cirque et du Music-Hall, ne convainquent pas. Trois personnages ont fait leurs valises mais ne savent pas où aller et surtout ils se méfient de leurs voisins représentés par une quatrième personne, sorte de chamane sauvage qui manipule herbes sèches et instruments de percussion. La dénonciation d’une certaine forme de racisme ambiant est certes bienvenue mais le traitement en paillettes et confettis ne sert ni la cause, ni le texte, malgré la bonne volonté des comédiens. (Home movie-Cie Les Lucioles-La Factory-théâtre de l’Oulle)

Deux comédiennes épatantes, Marie Desgranges et Marie Dompnier, ont écrit et joué un spectacle sensible et plein d’humour sur une conception de la famille qui sort du schéma traditionnel et patriarcal. Elles interprètent avec malice deux amies qui échangent leurs expériences. L’une est hétéro avec des enfants aux pères différents, l’autre est homosexuelle et s’est confrontée à son désir d’enfant. L’expérience de l’homoparentalité est pleine d’hésitations et d’obstacles, mais elle est exaltante et permet d’offrir de nouveaux modèles. Mise en scène épurée, décor minimaliste et grande force. ( La famille s’agrandit-Cie Sorcières & Cie-joué à Le train bleu)

Les festivaliers se pressaient pour le spectacle tiré de la bande dessinée de Fabcaro, auteur à succès, publiée en 2019. Déjà découpée en trois actes, le récit s’est facilement adapté pour une mise en scène déjantée laissant toute sa place à l’humour caustique de l’auteur. Servie par un groupe d’acteurs efficaces et mis en scène par Amélie Etasse et Clément Séjourné, le spectacle nous sert une caricature criante de notre société dans une scénographie inventive et colorée. Il s’agit d’une réunion de famille dominicale au cours de laquelle les participants cherchent désespérément un sujet de conversation au point qu’ils téléphonent à la voisine pour lui en demander un. Puis la réunion tourne au drame…On y rit mais on se désespère d’y trouver des similitudes avec nos contemporains.

Chris Bourgue

(Formica-Atelier Théâtre actuel-joué au Théâtre les Gémeaux)

Quatuor du Nouveau Monde 

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Le quatuor Zemlinsky

Plutôt que de mettre le piano à l’honneur le Festival aixois invitait les quatre musiciens tchèques, qui jouent ensemble depuis 1994, à démontrer leur talent et leur symbiose avec le Quatuor n°12 dit « Américain » de Dvořák. Un choix judicieux ! Le groupe parvient à proposer sa version très personnelle de ce quatuor pourtant si souvent joué, avec des changements de tempi drastiques, assumés, et des variations d’ornementation subtiles. Ils sont aussi fascinants à écouter qu’à voir, aussi impliqués dans le récit fantastique de Dvořák que le public qu’ils entraînent.

Quatuor plus plus

Comment dépasser les frontières du quatuor, formation si particulière et parfaite ? En proposant des quintettes, bien sûr ! C’est au côté de Dominique Vidal que les Zemlinsky jouent le Quintette pour clarinette K581 en la Majeur de Mozart. Pour l’occasion, monsieur Vidal joue sur l’instrument pour lequel le quintette avait été écrit à l’origine : la clarinette de basset, qui descend une tierce plus grave que sa congénère. On peut donc apprécier les basses de cet instrument, autant que de très beaux solos dans les aigus. Le quatuor fait corps comme un seul instrument, dialoguant avec la clarinette pour un interlude classique charmant.

Puis c’est le Quintette pour piano et cordes opus 81 en la majeur de Dvořák, encore, qui clôt le concert après l’entracte. On retrouve l’engouement romantique de la première partie, une intensité sans répit dans un voyage à travers mille paysages tout le long des quatre mouvements. Le deuxième nommé Dumka, ou “méditation”, est sublime : le thème au piano se déploie sous les mains de Philippe Gueit avec profondeur et délicatesse. Le final est une explosion de joie furieuse dans des unissons fous. Výborně !

 Julius Lay

Ce concert a eu lieu le 3 août à l’Auditorium Campra, Aix en Provence, dans le cadre des Nuits Pianistiques

Salon des complicités musicales

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Sur la feuille de salle Éric Le Sage, piano, Paul Meyer, clarinette, Emmanuel Pahud, flûte, posent « en romantiques », cheveux ébouriffés et costumes XIXème, puis en truands sortis du film French Connection. Titre espiègle pour ce trio français, qui convoque une musique romantique allemande en truands de haut vol.

Trafiquants de musique

Leur complicité y est évidente. Les duos font alterner autour du piano une clarinette au son plein et rond et une flûte aérienne. Les Trois Romances opus 94 que Robert Schumann offrit à son épouse, Clara, pour Noël 1849, étaient pour hautbois et piano (Clara, pianiste virtuose en fut la première interprète), qu’à cela ne tienne !

Dans des CD précédents, Emmanuel Pahud et Paul Meyer ont adapté la partition à leurs instruments, toujours accompagnés par Éric Le Sage. Paul Meyer apporte ainsi le velouté de son jeu plein et nuancé à cette déclaration d’amour du compositeur, puis à ses trois Fantasiestucke inspirées des contes fantastiques d’Hoffman.

Puis Emmanuel Pahud accorde sa verve à Clara Schumann, à ses audaces raffinées malgré la simplicité de ses très lyriques Drei Romanzen (Trois Romances), et enfin à Fanny Mendelssohn dont les trois lieders, Wanderlied, Vorwurf et surtout le sublime Warum sind denn die Rosen so blass transportèrent la salle dans une bulle poétique moirée de songes.

Les trois musiciens étaient enfin en trio sur deux valses de Shostakovich, toutes deux composées pour le cinéma, la Valse n° 3 extraite du film Le Retour de Maxime et la Valse n°4 de The Gadfly (Le taon).

En quelques mouvements virtuoses tout est dit de leur amitié, de leur intime connaissance musicale. Le terme jouer prend ici toute sa dimension, l’entente se glisse dans un regard, une note plus appuyée, une variation qui se déploie avec humour, un phrasé espiègle, une tonalité d’orgue de Barbarie, une conclusion  – trop vite venue pour les auditeurs qui en redemandent ! En bis le trio reprend la première valse. Une redite ? Certes non ! La richesse de la partition leur permet de brosser un paysage neuf. Facétieux, les musiciens démontrent combien l’interprétation modèle notre écoute et notre appréhension des œuvres.

Ils en parlent

« Les voir tous ensemble, c’est une chance ! On a bataillé pour ça. Il s’agit tout de même des trente ans du festival ! » s’exclame Florent Piraud, administrateur de l’association. Les trois musiciens bavardent ensemble à la fin du concert, à propos de leurs familles respectives, se donnant des nouvelles.

Lorsque la question des origines de leur amitié, et de leur rencontre est posée, les trois interprètes sourient. « On s’est rencontrés en 1982 lors du concours de l’Eurovision en finale à TF1, à cette époque la musique existait encore à la télé », expliquent Paul Meyer et Emmanuel Pahud. Cinq ans plus tard Éric Le Sage, découvert au Festival de Montpellier, rejoignait le duo.

Ce dernier explique : « De fil en aiguille le festival de Salon est né. Paul faisait déjà les couvertures de la revue Classica. Au début nous étions dans la chapelle de Vernègues, pour deux concerts. Nous avions l’ambition vaine de la faire classer pour qu’elle échappe au passage du TGV en construction. Quand elle s’est retrouvée sous le pont du train, nous avons migré à Salon. »

« Le concept, ajoute Emmanuel Pahud, n’a jamais changé : rassembler des amis, découvrir des musiciens et des œuvres. Tous les ans il y a au moins une création ; cette année ce sera une nouvelle œuvre d’Albert Guinovart composée en miroir du Carnaval des animaux de Saint-Saëns. »

De deux concerts, le festival s’est étoffé à vingt-trois cette année avec quarante-cinq artistes invités. « On les connaît quasiment tous, les circuits se recoupent, certains amènent de nouveaux musiciens, les anciens élèves sont là aussi, les artistes reviennent, pour la plupart : revenir, c’est bon signe (rires). Par exemple, la chanteuse Marina Viotti qui revient cette année pour présenter son dernier album, Porque existe otro querer, accompagnée du guitariste Gabriel Bianco, a été stagiaire au festival alors qu’elle n’avait que dix-neuf ans. À l’époque elle était « gothique / métal », elle a flashé sur plein de choses ici, et elle a reçu cette année le premier prix des Victoires de la musique classique en lyrique ! Il faut dire que sa famille est une grande famille de musiciens… C’est sans doute lié au cadre, les gens viennent chercher une unité ici, la salle, ce que l’on joue, la durée du concert… »

Les mots se mêlent, les phrases commencées par l’un sont finies par les deux autres. Chacun sourit à l’évocation des changements de programme de dernière minute, « une légende », puis se mettent à évoquer « les concerts-surprise, les variations au dernier moment, car un artiste a été bloqué et n’a pas pu arriver à temps ou une partition qui est coincée à l’étranger… ».

À propos des créations la question du « sur-mesure » est évoquée. « Les compositeurs ne sont pas des tailleurs, affirme Emmanuel Pahud, on leur laisse leur imaginaire, ils sont ici comme chez eux et c’est à nous, interprètes, de servir leur propos, de les encourager dans leur fibre créative. Ici, en une semaine, il se passe davantage de choses que dans la plupart des salles, de nombreux projets sont nés ici et quelques disques aussi. ».

À les entendre on pourrait dire que Salon est le centre du monde. « C’est un peu vrai s’amusent les musiciens. Le violoniste Daishin Kashimoto qui n’a pas pu se déplacer exceptionnellement cette année, a fondé au Japon un écho du festival de Salon qu’il a nommé Le Pont, nous y serons d’ailleurs ! » Amitié, confiance, plaisir d’être ensemble, de voir l’évolution de chacun, osmose entre les musiciens, sont les maîtres mots de ce rendez-vous annuel si atypique dans son fonctionnement, et si éblouissant.

MARYVONNE COLOMBANI

Concert et entretien le 28 juillet, Abbaye de Sainte-Croix, Salon-de-Provence

Festival International de Musique de Chambre de Provence