vendredi 25 juillet 2025
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Au pays de l’itinérance

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©Festival Villeneuve-en-Scene

Laissez derrière vous l’effervescence du Festival d’Avignon, haut-lieu de théâtre et d’arts de la scène, et passez le pont. De l’autre côté du Rhône, Villeneuve-lez-Avignon se présente volontairement comme le « jardin du festival d’Avignon ». Du 10 au 22 juillet, un festival singulier s’y déploie dans une zone naturelle protégée de 2,5 hectares située sur la rive nord du fleuve, la plaine de l’Abbaye, dont la fraîcheur bucolique possède un charme des plus intemporel. Partie intégrante du Off d’Avignon, Villeneuve en Scène s’affiche comme un événement culturel à part entière. Sa spécificité ? Être « le festival des écritures itinérantes ». Avec la volonté de promouvoir « des spectacles riches et variés où le théâtre côtoie le cirque, les musiques, la danse et les arts de la rue » afin de montrer un « panorama de la création d’aujourd’hui en spectacle vivant ».

Né en 1996, ce slow-festival est un hymne à l’itinérance artistique sous toutes ses formes. Pour minimiser l’impact environnemental, tout se joue en plein air, sous les chapiteaux et autres structures mobiles comme entre les roulottes de compagnies souvent nomades. Un souci d’éco-responsabilité et une façon de s’ouvrir à un public le plus large possible, la proximité étant dans son ADN, comme dans celui des compagnies invitées.

Sur les traces d’un aventurier norvégien

Cette année, les familles sont au cœur de la programmation, laquelle propose une douzaine de spectacles en intermittence : Avant la nuit d’après se révèle un moment de théâtre équestre enchanteur avec le cirque EquiNote, alors que Passage du Nord-Ouest est une grande fresque de théâtre dans laquelle le groupe Tonne emmène les spectateurs, petits et grands, sur les traces de Roald Amundsen, un célèbre aventurier norvégien. Autre spectacle à voir en famille, autre genre : Le Cabaret renversé de La Faux Populaire, ludique et surprenant à souhait. Également pour les jeunes spectateurs, Dissolution est une histoire intergénérationnelle extrêmement touchante sur les liens familiaux interprétée par le CDN Nancy Lorraine. Ce dernier monte une autre pièce, cette fois à destination des ados, l’âge de la révolte : Skolstrejk, issu du slogan de la jeune militante pour le climat Greta Thunberg, soit « Skolstrejk för klimatet » (à traduire par : grève scolaire pour le climat). De nombreuses formes hybrides sont aussi à découvrir, que ce soit le très sensoriel Anatomie du désir, un « objet circassien métaphysique non identifié » proposé par Boris Gibé de la compagnie Les Choses de rien. Ou Continent, de Komplex Kapharnaüm, compagnie habituée du festival, une forme performative et musicale autour du texte de Stéphane Bonnard, écrit après avoir vécu 18 mois au sein d’un squat illégal à Lyon.

Place à la danse le temps d’une soirée « trois-en-un », présentant trois spectacles à découvrir l’un après l’autre. À commencer par la Cie Vilcanota et son joyeux Short people, suivi par Autrement qu’ainsi, solo chorégraphique de la compagnie du Montpelliérain Yann Lheureux autour de la maladie d’Alzeihmer. Avant de clore la soirée avec Valse à Newton par les trois danseurs du Grand Jeté ! autour d’un pendule géant. Notre coup de cœur va à La Boîte de Pandore par la Cie Betterland, en co-programmation avec La Chartreuse, dans lequel Marion Coulomb traite avec espoir et résilience du sujet complexe des violences sexuelles sur mineur·es, entre lancers de couteaux et guitare électrique. Vaste programme !

ALICE ROLLAND

Villeneuve en Scène
Du 10 au 22 juillet
Divers lieux, Villeneuve-lez-Avignon
festivalvilleneuveenscene.com

Welfare à Avignon : une reconstruction du théâtre

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« Welfare » de Julie Deliquet dans la Cour d’honneur du Palais des papes PHOTO CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

Le documentaire de Wiseman est poignant de vérité. De talent aussi, avec cette caméra qui filme au plus près, ce montage au cordeau, cette façon de susciter les paroles, les émotions, de capter ce moment de l’histoire américaine où tout bascule, où le néo libéralisme de Reagan commence à mettre à bas le système social issu du New Deal. Cinquante ans après 1973, loin de New York, sur une scène de l’ampleur de la Cour, que faire de ces gros plans, de ces émotions, de cette histoire, de ce réel, de cette cinquantaine de trajets particuliers et si datés, si situés ?

Pour faire théâtre, Julie Deliquet transmute cette matière en universaux, regroupe les histoires et fabrique des personnages avec plusieurs personnes. Dramatise le tout en plaçant les histoires dans un espace commun, soumis au regard de tous, qui sont aussi les témoins de tous les autres. Mais garde des costumes très seventies : col roulé moulant, tenue beatnik délicieuse, imprimés, cheveux longs, moustache, favoris et bonnet orange.

Étrangement, ces costumes, comme le décor, gymnase où le matériel sportif est tout autant daté, concourt à l’universel en faisant de ce passé américain un passé commun, déconnecté de la ville qu’on ne voit pas, et connecté à notre enfance ou à celle de nos parents. Et c’est ce système d’écho qui fait théâtre, par une distanciation qui n’est pas brechtienne mais construit comme un degré intermédiaire entre le spectateur et le spectacle, nécessaire à la représentation.

Douleur de la pauvreté

Tout au long de Welfare le public reste éclairé, loin des salles obscures des cinémas, qui invitent  à la perception individuelle et intérieure. Le public forme une communauté, comme les personnages sur scène qui se battent ensemble pour obtenir des aides sociales vitales pour chacun d’entre eux. Et les acteurs sont époustouflants.

Ils portent toute la douleur de la pauvreté. La colère d’une mère de cinq enfants, enceinte, que son mari vient d’abandonner, mais qui ne parvient pas à obtenir un changement de bénéficiaire de son aide sociale. Ses enfants ont faim, elle va accoucher sans ressources.

Comme ont faim l’épileptique sous méthadone, Valérie Johnson dont on a perdu le dossier, madame Gaskin, et ce professeur qui ne peut plus travailler et vole pour manger. Les travailleurs sociaux, le policier, font ce qu’ils peuvent, plus ou moins. Fuient face à la colère, mais s’allient pour mettre dehors le vétéran blanc aux propos violemment racistes.

Par la force et le talent extraordinaires de chacun·e des acteurs les échos avec notre temps se font terribles. Le rejet des Noirs, la faim, la drogue, les femmes violentées, abandonnées, l’appel au meurtre raciste du vétéran, nous concernent directement, public uni face au spectacle d’une société qui se délite. Une société de souffrances que le théâtre ne peut pas sauver, mais qu’il peut représenter pour lutter contre un néolibéralisme aujourd’hui globalisé.

Agnès Freschel

Welfare est donné jusqu’au 14 juillet dans la Cour d’honneur du Palais des papes.
festival-avignon.com
Welfare, le documentaire de Frédéric Wieseman, est visible jusqu’au 23 juillet au cinéma Utopia.
cinemas-utopia.org

Le fil rouge de l’été

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Pour mettre à l’honneur le patrimoine viticole de la région, le festival des Musicales dans les Vignes de Provence investira pas moins de 42 domaines pour des concerts en plein air au cœur du terroir. 74 soirées se succèderont ainsi du 8 juin au 18 septembre. Loin d’être un décor pittoresque, l’expérience culinaire et œnologique est au cœur du concept du festival. Les hôtes vignerons invitent dès 19 h le public à une dégustation de vin, et des food-trucks proposent une offre de restauration. Le concert commence vers 20h30, le public installé dans des transats.

Les domaines se répartissent dans toute la région, choisis tant pour la qualité de leurs raisins que pour l’attrait patrimonial de leur château. L’incursion commencée l’année dernière dans les Alpes-Maritimes se poursuivra dans les châteaux Bellet et Crémat près de Nice ; les autres concerts auront lieu dans le Var, le Luberon et les Bouches-du-Rhône. De nombreux lieux feront leur réapparition, comme le château de la Goude à Aix-en-Provence qui accueillera un prestigieux dîner concert le 7 septembre, le château Bonisson à Rognes ou le château Saint Hilaire à Coudoux.

Assemblage

La programmation musicale s’appuie toujours sur trois piliers : le jazz, les musiques du monde et la musique classique. Le groupe Hot Peppers portera haut les couleurs du jazz de la Nouvelle Orléans tout au long de l’été. Samy Daussat, le groupe local du Swing du Sud et les Marseillais du Basilic Swing célèbreront le jazz manouche, tandis que le chœur amateur régional du Gospel Var, dirigé par Suzanne Wognin, se produira à Rognes et dans le Var. Le talentueux accordéoniste Rémy Geffroy sera les 7 et 8 août à Coudoux et à Pertuis pour faire résonner les sonorités jazz folk, et le Big Band 13 mettra à l’honneur le swing de Harlem à Puyricard le 1er juillet. Grande figure du festival, Michel Pellegrino sera partout, au saxophone à Rognes le 20 août ou à célébrer les chants populaires italiens.

Le répertoire classique réunira des habitués du festival : ainsi le public pourra-t-il entendre les pianistes Stefan Cassar et Patrick Zygmanowski jouer Chopin et Nikolaï Kuznetsov jouer Rachmaninov, Alain Arias et son quintet briller sur les Quatre Saisons de Vivaldi, la soprano Chloé Chaume chanter à Vidauban et au Beausset les 26 et 27 juillet. Le 9 août au Puy-Sainte-Réparade, Patrice Fontanarosa, ancien super-soliste de l’Orchestre National de France, rejoint par sa fille pianiste Stéphanie. Le ténor Alexandre Guerrero rejoindra la fête autour des chants napolitains. Le flûtiste Frédéric Chatoux, super soliste à l’Opéra de Paris donnera à entendre à Lourmarin le 11 juillet un programme dédié à Carmen.

Enfin les musiques de l’Amérique seront à l’honneur avec le tango, le jazz brésilien des groupes Nina Papa et Cor Brazil, les sons havanais des groupes Color Cubana et Latin Clan, le jazz nord-américain de Caroline Mayer. Le jazz des Balkans ne sera pas oublié avec Rona Hartner. Santé !

PAUL CANESSA

Les Musicales dans les Vignes de Provence
Du 8 juin au 18 septembre
Divers lieux, Région Sud
lesmusicalesdanslesvignes.blogspot.com

Une mosaïque d’émotions

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Les six membres de Mosaïc se sont rencontrés grâce au dispositif Medinea PHOTO Vincent Beaume - Festival d’Aix-en-Provence.

Une nappe sonore aux cordes, respiration primordiale avant l’éclosion d’une mélodie, d’un rythme, frémissement d’un accordéon, et la flûte kaval, comme un oiseau qui s’élance, est rejointe par les percussions multiples d’une batterie traditionnelle et d’une darbouka…

Avec le sextet Mosaïc, la cour de l’Hôtel Maynier d’Oppède entre dans un songe éveillé, chatoyant de couleurs multiples. Cet ensemble de six jeunes musiciens que le Festival d’art Lyrique d’Aix a fait se rencontrer grâce au programme Medinea, s’est définitivement soudé durant le confinement, explique en souriant la violoncelliste Adèle Viret, à l’origine du groupe.

Rythmes de l’Orient

« C’était un projet un peu fou de réunir six artistes par vidéo lorsqu’ils habitaient dans quatre pays différents. Cela a donné un long parcours qui a abouti à des résidences à Lisbonne, Hammamet, Marseille, sous le regard bienveillant de Fabrizio Cassol. Notre répertoire est basé sur un mode de composition collective : tout est sorti de nos rencontres ».

Cette complicité est tangible sur le plateau, les regards, les comptes des temps, les enchaînements, les nuances, les débuts et fins de passages solistes, plus ébouriffants les uns que les autres. Le jazz se mêle aux rythmes syncopés de l’Orient tandis qu’un parfum venu des Balkans distille ses orbes sur les élans chambristes « classiques ».

Aucune voix ne se dédie de ses origines, mais écoute, fusionne, va vers… Les passages entre les univers s’effectuent avec subtilité, le violoncelle creuse les sonorités, la contrebasse (Zé Almeida) reprend les motos ostinato avant de se livrer à une improvisation jazzée, l’accordéon (Noé Clerc) s’immisce dans les diverses formes en un souffle qui se démultiplie, la flûte kaval, virtuose (Georgi Dobrev), redessine les montagnes et emprunte leurs chants aux oiseaux, les percussions (Hamdi Jammoussi) jouent entre l’Atlas et les volets bleus de Sidi Bou Saïd, tandis que la batterie (Diogo Alexandre) épouse tous les tempi avec une redoutable maestria. L’ensemble est hypnotique, bouleversant d’humanité et d’humour.

MARYVONNE COLOMBANI

Mosaïc a donné son concert le 6 juillet à Hôtel Maynier d’Oppède, dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence.

Au Festival d’Avignon, un Jardin des délices hors-sol

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Le Jardin des délices investit la Carrière de Boulbon PHOTO VIVARIUM STUDIO

Chez Philippe Quesne, le diable se cache dans les détails. Le Jardin des délices, créé pour le festival, s’inspire du tableau de Jérôme Bosch peint à l’orée de la Renaissance. Et chaque petit élément du triptyque aux mille détails est, pour le metteur en scène, l’occasion de se lancer dans une multitude d’analogies et de digressions. Pas toujours très claires.

Sur scène, des explorateurs au style kitsch ont fait d’un bus leur camp de base et forment tour à tour un ensemble de flûtes à bec, un cercle de lecture ou encore un spectacle de magie improvisé. Puis de se lancer dans une soudaine analyse du tableau, sortie de nulle part mais somme toute assez comique.

Écrin minéral

Bref, Philippe Quesne nous offre pendant deux heures un enchainement de séquences décousues, ponctuées par des traits d’humour parfois faciles mais bienvenus. L’humour, mais aussi la musique permettent de raccrocher le public à une trame très distendue. Les comédiens deviennent alors musiciens, le temps d’un air de clavier apaisant, d’un solo de violoncelle ou d’un extrait d’opéra.

Ajoutez à cela le cadre exceptionnel au milieu duquel déambulent les comédiens, et le tiercé aurait pu être gagnant. La Carrière de Boulbon, au milieu de la garrigue provençale, est réinvestie par le Festival d’Avignon après sept ans d’absence. Philippe Quesne aime rappeler l’importance de ce lieu qu’il qualifie de « personnage principal du spectacle ». Sans aller jusqu’à cet excès, il est vrai que l’écrin minéral et vertigineux offre un contraste intéressant avec l’esthétique rétrofuturiste de la pièce.

Le metteur en scène l’utilise aussi pour se jouer du spectateur et le dérouter. Comme lorsque les grillons qui résonnaient pourtant dans la carrière depuis le début s’arrêtent soudainement à la demande d’un comédien. Le pouvoir de l’homme sur la nature, la place du vivant, le futur de la Terre… Des thématiques intéressantes mais seulement effleurées au passage, au milieu d’un ensemble trop souvent confus.

Rafael Benabdelmoumene

Le Jardin des délices est donné jusqu’au 18 juillet dans le cadre du Festival d’Avignon.

Une Carmen habitée et féminine aux Chorégies d’Orange

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Carmen a été donné dans le spectaculaire décor du théâtre antique d’Orange PHOTO PHILIPPE GROMELLE

Particulièrement attendue, l’unique représentation de la Carmen mise en scène par Jean-Louis Grinda au festival des Chorégies d’Orange ce 8 juillet s’est très vite remplie, de même que sa générale du 6 Juillet. Si bien que l’on pourra regretter qu’elle ne se décline que sur une date, là où la moindre des cinq dates prévues à Marseille avait affiché complet. Et ce sans pouvoir se vanter d’une distribution aussi superlative : l’immense Marie-Nicole Lemieux valant à elle seule le déplacement. On se souvient de l’amertume de celle qui, acclamée dans ce rôle en version de concert, affirmait ne pas avoir le physique gracile et aguicheur recherché par des metteurs en scène souvent libidineux. Les temps ont changé, et force est de constater que la rencontre entre la mise en scène assez sage du directeur du festival et la contralto idéale pour le rôle fait des merveilles.

Regard vif

Cette Carmen-là ne racole pas : sa séduction se situe ailleurs, dans une sensualité et une gourmandise que laisse deviner son phrasé impeccable et son timbre chaud, d’une beauté à se damner. L’alchimie avec le Don José idéal de Jean-François Borras est évidente : quelque chose de l’enfance se joue entre ces deux-là, jusqu’au déploiement même de la violence, que la mise en scène n’occulte jamais, jusqu’à un final un peu décevant, en regard de l’acuité du regard déployé jusqu’alors. L’âme de Carmen, incarnée par la danse flamenco de la très douée Irene Oliveira, danse au rythme d’une musique d’une inventivité décidément inégalée.

L’Orchestre national de Lyon, les Chœurs des Opéras Grand Avignon et de Monte-Carlo et surtout la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon brillent sur ces envolées bien plus techniques et ardues que leur apparente légèreté ne le laisse paraître. Il faut dire que les troupes peuvent compter sur la direction proprement excellente de la cheffe napolitaine Clelia Clafiero, qui avait déjà fait merveille sur la dernière marseillaise. Les choix audacieux de tempi et les jeux de nuances non moins périlleux fonctionnent tous sans faille, puisque portés par un sens du phrasé, de l’écoute du plateau et une vision limpide du propos.

Suzanne Canessa

Carmen a été donné le 8 juillet au théâtre antique d’Orange, dans le cadre des Chorégies.

Avignon Off : Des fumées sans feu

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Tête-à-tête joyeux et inattendu entre Molière et Emmanuelle Lorre à L'Optimist (le bien nommé). PHOTO MARINE CESSAT-BÉGLER

Venue tout droit de Nizza la bella où elle codirige le soyeux Théâtre de la Libé, Emmanuelle Lorre invite les festivaliers à égratigner les idées reçues qui encrassent le mythe de notre incontournable Molière. Il est fascinant de constater le nombre de rumeurs souvent fausses et malveillantes qui s’agglutinent sur les personnalités les plus en vue « comme le miel fait les mouches » (George Dandin). Le succès déclenche des aigreurs qu’aucun médecin, volant ou non, ne saurait guérir. Nourrie de lectures diverses et contradictoires sur son cher Molière, Emmanuelle décide de s’adresser directement à lui, donc à nous, pour des mises au point qui ne manquent ni de saveur, ni de piquant. La belle, telle une justicière en guerre contre les affabulateurs, remet les pendules à l’heure. Sa conviction amuse, son aplomb séduit. Le buste de Molière la regarde, goguenard, heureux sans doute, que plus de 400 ans plus tard, on s’intéresse encore à lui. Voix joliment timbrée, diction claire, la comédienne ratisse large : Corneille, la couleur verte, le physique du maître… et surtout elle déglingue toutes les flèches empoisonnées qui ont sali la réputation de la vie amoureuse et chaotique de l’auteur du Misanthrope.

Tête-à-tête avec Molière est justement sous-titré L’illustre inconnu. On lève ici un coin du voile mais il reste encore tant à apprendre en relisant ses pièces ! C’est une invitation au pays des fausses nouvelles, un voyage léger en compagnie du maître dans un Paris crasseux où aucun aristocrate ne se risquait à mettre un pied. Un oasis frais et ludique que Mademoiselle Lorre irrigue avec élégance et bonne humeur. Avec elle il y a des fumées sans feu, n’en déplaise aux atrabilaires.

À voir ou à revoir

Dans une mise en scène de Paméla Ravassard d’après le roman de Gilles Paris, Courgette fut un bienfaisant moment de théâtre du festival 2022. Pour tous ceux qui n’ont pu y assister faute de places ou par ignorance, le spectacle revient fort à propos.

Il s’appelle Icare, surnommé Courgette, c’est un enfant d’aujourd’hui qu’on a conduit dans un centre d’accueil, Les Fontaines, parce qu’en voulant tuer le ciel, c’est sa mère qu’il a envoyée ad padres. Une mère alcoolique, violente et peu maternelle. Icare sympathise avec d’autres petits cœurs égratignés, trouve un père de remplacement avec un policier attentif à son bien-être, et ressentira les premiers frissons amoureux grâce à une jeune fille du foyer.

En compagnie de Courgette on vit un moment vaporeux hors du temps, hors des noirceurs dont nous barbouillent tous les médias. On rit, on pleure, on chaparde quelques moments de bonheur : un foyer pour enfants peut être un semblant de paradis. On veut y croire et ça fait un bien fou.

JEAN-LOUIS CHÂLES

Tête-à-tête avec Molière, jusqu'au 29 juillet, tous les jours sauf mardi à 18h25, Théâtre de L'Optimist
bluemoon-spectacles.com.
Courgette, jusqu'au 29 juillet, tous les jours sauf lundi à 10 h, au Théâtre du Girasole.
Tél. 04 90 82 74 42.

Le Luberon, terre de musiques

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Elsa Dreisig (c) Simon Fowler

L’indéniable talent des Musicales du Luberon réside sans doute dans la capacité de cette association présidée par Patrick Canac d’inviter au cœur de lieux chargés d’histoire un florilège musical éclectique où se croisent les siècles et les répertoires. L’excellence est au rendez-vous avec des artistes dont le rayonnement international ajoute au prestige des soirées du programme.

Le concert d’ouverture s’apprête à marquer les esprits : pour la première fois l’opéra probablement le plus célèbre de Purcell, King Arthur, sera joué au festival, sur la place de l’horloge de Ménerbes, interprété par l’Orchestre, les solistes (sopranos, Zoë Brookshaw, Mhairi Lawson, Lauren Lodge-Campbell, ténors, Jeremy Budd, Matthew Long, basses, Marcus Farnsworth, Ashley Riches) et les Chœurs du Grabrieli Consort dirigé par Paul Mc Creesh. Nul doute que le célébrissime « air du froid » viendra tempérer les canicules annoncées.

Des voix au féminin

Les grandes voix de notre temps se donnent rendez-vous au fil des représentations, on entendra la soprano Karine Deshayes et Delphine Haidan (mezzo-soprano) accompagnées par l’Orchestre national Avignon-Provence sous la houlette de Debora Waldman pour un Viva Rossini dont les pièces seront présentées par Jean Michel Duez (airs tirés du Barbier de Séville, Démiramis, Cenerentola ou encore L’Italienne à Alger), tandis qu’Elsa Dreisig (soprano dont le début de carrière est fulgurant) et Fiona McGown (mezzo-soprano) inviteront à un « tous en scène avec Mozart » mis en espace par Claudine Hunault avec la participation des étudiants du Scad, accompagnées par le subtil piano de Celia Oneto Bensaid que l’on retrouvera lors de la « dernière nuit d’été » (15 septembre) au sein du Quatuor Héloïse Luzzati pour un programme Schumann, Luise Adolpha Le Beau et Gustav Mahler. On entendra aussi des formations instrumentales, duo violon, violoncelle (Geneviève Laurenceau et Henri Demarquette) pour un voyage de Bach à Bacchus, et orchestre Lausanne soloists menés par le violoncelle de Xavier Phillips pour un parcours aux Senteurs du Sud

MARYVONNE COLOMBANI

Les Musicales du Luberon
Du 9 au 28 juillet
Divers lieux, Luberon
musicalesluberon.fr

Un vent de flamenco souffle sur Aubagne

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Maise Márquez présentait son spectacle « Habla la tierra » sur la scène sévillane. PHOTO M.C.

L’esplanade Charles de Gaulle à Aubagne était comble cette année encore. L’effervescence de la soirée de clôture des Nuits Flamencas rendait bien compte de celle des journées précédentes, alliant transmission, conférences, concerts, danse, cinéma… la dernière soirée débutait par une fougueuse initiation à la sévillane, cette danse qui peut symboliser tour à tour la rencontre, la séduction, la dispute, la réconciliation, enchaînant ses pas, ses ronds de jambe, ses coups, ses pas de basque ou de bourrée. L’art flamenquiste trouvait ensuite une palette foisonnante de registres dans les deux spectacles donnés sur la grande scène, soulignant à quel point cette danse multiple est expressive, conte, poétise, s’accorde aux plus intimes variations des sentiments, du plus subtil au plus emporté, emportant les éléments dans son orbe.

Garcia Lorca convoqué

C’est la Terre qui parle avec la danseuse Maise Márquez (prix Extraordinaire du Festival de Jerez en 2019) accompagnée des percussions de David El Chupete, de la guitare de David Caro et du chant de Manuel Pajares et Manuel Gines. Les modulations des airs de Habla la Tierra vibrent à l’unisson des pas de la danseuse qui tisse une trame ardente, rompant la trame, laissant les phrases en suspend puis les reprenant avec d’infimes fluctuations, les pas se pressent, les talons emballent le rythme des instruments qui suivent avec allant les fantaisies narratives d’un discours qui trouve en lui-même ses propres ressorts. C’est l’univers du poète assassiné à Grenade, Federico Garcia Lorca, qui se voyait ensuite évoqué dans une mise en scène très théâtrale adaptant les musiques de Manuel de Falla aux guitares de Jose Tomás Jimenez et Francis Gómez, les chants d’Enrique Rimache, El Quini, Manuel de la Nina et Remache, aux pas de Marina Valiente, Caludia Cruz et Marco Flores, chorégraphe et metteur en scène de l’ensemble.

Sota, Caballo y reina présente une succession de tableautins, miniatures espiègles et vivantes, inspirés du concours Granada Cante Jondo de 1922 (concours conçu par Manuel de Falla et Lorca), animés par la virtuosité pittoresque des danses, ici un café, là, une salle de bal, une scène campagnarde, un mariage, une cérémonie… le caractère souvent tragique du flamenco se mue en volte fantaisiste, le sourire gagne, la maestria des danseurs subjugue. Marco Flores joue, danse, emporte le public dans la verve de ses évolutions. Une pure merveille.

MARYVONNE COLOMBANI

La soirée de clôture des Nuits Flamencas s’est tenue le 1er juillet, à Aubagne. 

Orange fait tout pour Lemieux

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(c) Gromelle

L’édition 2023 des Chorégies d’Orange ne comporte en effet qu’une seule représentation opératique : mais pas n’importe laquelle puisqu’il s’agira de l’intemporel Carmen le 8 juillet dans une mise en scène classique et pertinente de Jean-Louis Grinda, directeur du festival, que les publics de Toulouse, Monte-Carlo et de Marseille cet hiver ont déjà pu admirer. Dans le rôle-titre, le public d’Orange retrouvera la captivante Marie-Nicole Lemieux, déjà acclamée il y a deux ans dans Samson et Dalila. Promesse de graves de velours, la contralto québécoise a été saluée par la critique pour sa Carmencita en version concert puis dans la mise en scène de Jean-Louis Grinda à Toulouse. À ses côtés, le public retrouvera des connaisseurs de cette production : la cheffe Clelia Cafiero, très remarquée lors de la dernière à Marseille, Jean-François Borras, Don José déjà partenaire de Lemieux à Toulouse, et Alexandra Marcellier, saluée dans le rôle de Micaëla à Marseille. Sans oublier Ildebrando d’Arcangelo, Escamillo impeccable en janvier à l’Opéra de Paris. Au vu des forces en présence et de la popularité de l’œuvre, il est presque dommage de ne se limiter qu’à une seule représentation, qui s’annonce pleine à craquer !

Un retour

La superstar de l’opéra Anna Netrebko a connu une année 2022 mouvementée : elle a subi à tour de rôle le boycott des maisons d’opéra occidentales et russes après avoir dénoncé tardivement l’invasion de l’Ukraine. Nonobstant, la cantatrice russe a effectué un come-back tonitruant. Si la diva avait annulé sa venue à la dernière minute à Orange en 2019, elle fera bien ses débuts dans le théâtre antique le 24 juillet en clôture du festival, aux côtés comme souvent de son talentueux mari Yusif Eyvasov. Le ténor et la soprano, qui seront accompagnés de l’Orchestre Philharmonique de Nice du chef Michelangelo Mazza et du baryton Elchin Azivov, interprèteront un programme de grands airs d’opéra de Verdi.

Dans ces Chorégies, événement traditionnellement lyrique, ce sont paradoxalement les ouvertures du programme à d’autres formes qui semblent s’accaparer la tête d’affiche. Ainsi le Ballet de la Scala de Milan, interprètera-t-il le 15 juillet des extraits du Lac des Cygnes par Noureev et deux créations récentes de Philippe Kratz et Manuel Legris, le 18, le jazzman Kyle Eastwood rendra hommage en musique à la filmographie de son célèbre père. Mais le public orangeois pourra surtout entendre deux pianistes de très grande envergure. Tout d’abord l’inoubliable Khatia Buniatishvili le 2 juillet, qui interprètera le célébrissime Concerto n°23 de Mozart ; Kirili Karabits et l’Orchestre National de Lyon enchaîneront sur la Symphonie n°2 de Rachmaninov. Puis l’incontournable Evgeny Kissin le 11 juillet, pour un récital autour de préludes et des Etudes-Tableaux de Rachmaninov.

Les habitués du festival retrouveront la soirée Pop the Opera le 22 juin ouvert aux jeunes de la région, la soirée télévisée des Musiques en Fête, et le retour du ciné-concert le 7 juillet autour de Buster Keaton et de son Mécano de la Générale, avec l’Orchestre d’Avignon dirigé par Debora Waldman.Il ne faudra enfin pas oublier de cocher dans les agendas le récital Scène Emergente le 13 juillet au Théâtre des Princes avec les jeunes et talentueux Rémy Brès-Feuillet, Emy Gazeilles et Floriane Hasler ! De quoi satisfaire tout un chacun, même les amateurs d’opéra un peu restés sur leur faim.

PAUL CANESSA

Chorégies d’Orange
Du 19 juin au 24 juillet
Théâtre antique, Orange
choregies.fr