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Accueil Blog Page 253

Toucher la colonne invisible

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Baptiste Caillaur et Chloé Stefani encadrent l’armoire à poésie installée chez Véronique Boulanger. PHOTO XAVIER CANTAT L.

On s’attendait à une sorte de salon littéraire où l’on déclamerait une flopée de poésies peintes en bleu et rose, on assiste à une sorte de thriller où deux individus débarquent dans un appartement vide, hésitent à faire on ne sait quel sale coup, s’apprêtent à partir quand un bruit de serrure les stoppe net dans leur fuite. La lumière éclaire une dame chargée d’un cabas… elle sursaute en apercevant les deux suspects, s’inquiète, demande une explication. Jennifer et Lucas ont organisé un procès dont elle est la seule accusée. Anciens élèves de cette frêle professeure, ils ont assisté à ses ateliers de poésie qu’elle dispensait tous les jeudis soirs. Ils ne s’en sont pas remis.

Juges et accusée

Avec L’armoire à poésie, Jacques Forgeas transmet via Madame Armand, l’enseignante retraitée, son amour de la poésie qui permet à chaque individu de vivre un ailleurs, un à-côté, un virtuel aussi nécessaire que le pain et l’eau. Denis Malleval a organisé une mise en scène tout en chassés-croisés, où juges et accusée s’évitent avant de se rejoindre. Il ne pouvait trouver meilleure interprète pour Madame Armand que la gracile Véronique Boulanger. Diction inattendue, provocante sous un voile de douceur, sourires désabusés face à l’absurdité de la situation. Quand l’atmosphère se fait trop lourde, elle rafraîchit l’air d’une réplique pointue, d’une parenthèse électrique qui provoque de jolis rires dans le public. Baptiste Caillaud et Chloé Stefani sont de bien séduisants partenaires au jeu millefeuille qui cache quelque secret, quelque reconnaissance à tous ces poètes qui nous aident à mieux vivre parce que « d’autres mondes existent enroulés au nôtre. Qu’il faut les approcher et qu’ils ne répondent que si on leur parle. » Brillant procès qui nous fait accoster la colonne invisible, « celle du mystère et des rêves… et parfois de la passion » dans une scénographie inventive et réussie de Camille Dugas.

Jean-Louis Châles

« L’armoire à poésie » est donné jusqu’au 29 juillet à L’Oriflamme (Avignon).

Rêve sur une banquette

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Quoi de plus banal que la rencontre furtive entre un homme et une femme ! Mais si l’action se situe dans une salle isolée d’un aéroport où les protagonistes sont coincés faute de voir leur avion décoller sous une tempête de neige, la scène se corse. Un lieu insolite pour un tête-à-tête hérissé de craintes, de désirs, de curiosité où se glisse le plaisir de la conversation. Auteur contemporain, Philippe Beheydt déploie une fois de plus son talent de dramaturge et de scénariste. Dans cet Aéroport on sent que quelque chose de peu ordinaire va nous ébranler. Elle, silencieuse, volontiers désagréable, rejette toute tentation de « se faire de nouveaux amis ». Lui, un rien hâbleur, s’incruste, lui propose des jeux drolatiques, invite à révéler quel était le rêve de l’enfant qu’on a été. La belle se laisse prendre, ou feint de se laisser prendre…

Escale amoureuse

Avec un dialogue calibré qui entraîne les personnages dans des aveux, des lâcher-prises déconcertants, on éprouve très vite une tendresse pour ce couple éphémère. Philippe Beheydt instille des non-dits éloquents chez ces fracturés du bonheur, ou plutôt ces autistes du bonheur. Avec L’aéroport, la solitude, le mal effrayant de ce siècle, est brisée pour un court laps de temps, suspendu dans cette salle confortable (joli décor de Géraldine Mine) où braver un interdit (aimer dans un lieu singulier) donne un piquant supplémentaire à la rencontre. Laura Favier et Philippe Beheydt jouent avec les mots, avec les gestes, avec leurs regards qui, quoi qu’il arrive, finiront par se diluer dans le vide. Émotions à fleur de silence, sourires au détour d’une réplique facétieuse, cette comédie des cœurs brisés suscite une impalpable nostalgie : pourquoi n’avons-nous jamais vécu cette jolie histoire ? Ce rêve inassouvi qu’ont vécu une femme et un homme aux prénoms aveugles.

Jean-Louis Châles

« L’aéroport » est donné jusqu’au 29 juillet à Présence Pasteur.

Le souffle du jazz au Palais Longchamp

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Universelle, la musique de Gilberto Gil a résonné avec tout le public du Palais Longchamp. PHOTO M.F.

Le Marseille Jazz des Cinq Continents est enfin de retour au Palais Longchamp. Et quoi de mieux pour débuter l’escale dans ce lieu qu’un concert d’une étoile montante du jazz moderne. Déjà récompensée de deux Grammy Awards pour son deuxième album Linger Awhile, Samara Joy a proposé un concert dans la lignée des concerts de jazz attendus dans un festival international. Habillés formellement pour l’occasion, le groupe et la chanteuse montrent que leur jeune âge est loin de les empêcher de jouer dans la cour des grand·es, non pas qu’ils aient eu besoin de le prouver. On reconnaît certaines influences de la new-yorkaise dès les premières notes du set. Il ne faut pas trop se creuser la tête pour reconnaître à la voix de Samara Joy la chaleur et l’expressivité de celle d’Ella Fitzgerald. Pour autant, la jeune chanteuse fait montre d’une technique et d’une portée vocale unique, qui lui permet de donner tour à tour à ses mélodies des accents lyriques lors de poussées aigües grandiloquentes saluées par le public ; ou des tons de soul et de r’n’b grâce à des mélismes judicieusement maniés tout au long de sa performance. L’identité jazz, pour autant, reste au cœur du concert. Des rythmiques swing nerveuses aux ballades plus douces, la voix de Samara Joy s’épanouit librement dans cet espace musical, tant dans la mélodie que dans la cadence. Comme l’a bien résumé Hughes Kieffer, directeur du festival : une voix qui touche en plein cœur et dont on n’a pas fini d’entendre le « jazz flamboyant ».

Une affaire de famille

Gilberto Gil est à Marseille chez lui. Déjà invité à de nombreuses reprises par le festival, c’est son grand retour depuis la fin de la crise du Covid-19. Très à l’aise en français, le patriarche effectue sa tournée accompagné des membres de sa famille. Le moment est impressionnant : sur scène se dévoile l’arbre généalogique Gil, entre enfants et petits-enfants. Flor, la dernière petite fille du musicien, est presque aussi connue que son grand-père et autant acclamée lorsqu’elle s’avance sur scène pour son duo avec Gilberto Gil. Surprise pour les néophytes : une seule guitare acoustique sera utilisée pendant le concert, le reste étant entièrement amplifié. Exit un set entier de bossa nova douce, une énergie contagieuse s’empare du lieu et fait vibrer le public du Palais Longchamp aux rythmes de la discographie de Gilberto Gil – et d’inédits comme Touche pas à mon pote – et d’hommages à la musique populaire brésilienne.

Car c’est avant tout de cela qu’il a été question pour ces deux concerts. Rendre hommage au Brésil et à sa musique devant un public francophone et lusophone. De quoi créer de très beaux souvenirs quand tout le public entame avec Samara Joy la chanson Chega de Saudade de Carlos Jobim, ou connaît par cœur tous les refrains de la famille Gil. Une soirée réussie donc, sur laquelle a (beaucoup) soufflé le vent de la bonne musique.

Mathieu Freche

Marseille Jazz des Cinq Continents se déroule jusqu’au 27 juillet.

Dans l’intimité de la Cour d’honneur !

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« By Heart » de Tiago Rodrigues a été donné en clôture du Festival d’Avignon 2023. PHOTO MAGDA BIZARRO

C’est un peu du Tiago Rodrigues à tous les étages. Dans ce (presque) seul en scène dans la Cour d’honneur, le directeur du Festival donne en spectacle sa propre création. Et s’il est accompagné sur scène de dix spectateurs volontaires (qui ce soir là n’étaient que des femmes) c’est bien lui la vedette de cette pièce drôle et si intime. 

Enchainant les saillies, il déclenche des éclats de rires à répétition. D’autant que le texte qu’il interprète à merveille – il le joue depuis dix ans – lui permet d’improviser à foison. Charmeur, il prend plaisir, se lâche, donne à voir et à entendre un humour toujours fin et complice, à grand renfort de références à son pays et à sa langue maternelle.

Mais c’est avant tout une pièce très personnelle, sur la vieillesse et l’oubli, qu’interprète Tiago Rodrigues. Dans  cette Cour d’honneur qui n’invite pas forcément à l’intimité, le metteur en scène parvient à narrer avec délicatesse l’histoire de sa propre grand-mère. Elle qui, bientôt aveugle, lui demanda de lui choisir un livre à apprendre par cœur : By heart.

Garder une trace

Tiago tente donc de faire la même chose avec les dix spectatrices présentes sur scène. Il devient leur chef d’orchestre et essaie de leur apprendre le Sonnet 30 de Shakespeare. Entre chaque groupe de vers qu’il enseigne à ses cobayes, il parle de sa grand-mère ,  de la résistance poétique de Boris Pasternak, des poèmes d’Ossip Mandelstam transmis par sa femme qui les a appris par coeur, pour résister aux effacements staliniens.Comme dans cet extrait de Fahrenheit 451 de Ray Bradbury où, à l’ère des autodafés, chaque membre de la résistance apprend un livre par cœur pour en conserver une trace. C’est un peu ce que fait Tiago Rodrigues sur scène, en même temps qu’il immortalise le geste de sa grand-mère.

Avec cette pièce minimaliste dans son dispositif, Tiago Rodrigues désacralise la Cour d’honneur habituellement occupée par les spectacles les plus attendus de juillet. Entre moments graves et esclaffements collectifs, Tiago Rodrigues crée une synergie que l’on voit rarement au Festival. Une performance qui tranche clairement avec le reste de la programmation et offre une bouffée de fraicheur pour finir cette 77e édition en beauté.

Rafael Benabdelmoumene

À Marseille, les mélodies du bonheur

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Au sein du jardin Benedetti, à quelques pas de la corniche Kennedy, Lucile Pessey, Lionel Ginoux et Mikaël Piccone ont interprété plusieurs trésors de la musique française. PHOTO S.C.

La musique acoustique continue de ravir les jardins des premier et septième arrondissements de Marseille, cadres idéaux pour des effectifs réduits. La mélodie française sous toutes ses formes semblait toute indiquée pour y proposer des grands classiques de la musique romantique et moderne, jusqu’à une incursion vers la musique contemporaine. Le genre, consistant à mettre en musique de courts textes pour voix et piano à la façon des chansons populaires d’alors, était des plus prisés par les compositeurs et compositrices à partir du milieu du XIXe siècle, soucieux de déployer leurs talents. Puisque la forme, à la fois très codée et furieusement libre, permet à ses interprètes de déployer des trésors d’expressivité et de poésie.

Un long siècle et demi

Le plaisir des interprètes à parcourir ses pages s’est révélé particulièrement communicatif. À commencer par celui de la soprano Lucile Pessey, qui sait insuffler sans peine à Fauré ou Reynaldo Hahn une délicatesse et une musicalité rares : Après un rêve ouvre ainsi les hostilités dans un silence béat et admiratif ; À Chloris rappelle de quel bois se chauffait un compositeur souvent réduit au couple secret formé avec Marcel Proust. Le baryton Mikhael Piccone, lui, nous remémore sur la musique de Lionel Ginoux créée en mai dernier qu’il sait donner à ce registre-là de belles tonalités tragiques. Mais c’est visiblement lorsqu’il s’aventure du côté du théâtre qu’il s’amuse le plus : sur Le Loup et l’Agneau de La Fontaine, mis en musique par Lecocq, ou Le Paon de Ravel, qui récoltent de nombreux rires de l’assemblée. Sur Kurt Weill, dont Lucile Pessey interprètera avec émotion Youkali, Mikhaël Piccone touche élégamment au tragique. Le long siècle et demi traversé par l’équipe n’essouffle en rien la pianiste Marion Liotard, qui se plie sans difficulté à toutes les variations stylistiques et toutes les acrobaties requises. Et se livrera à une nécessaire remise en lumière de la compositrice Augusta Holmès, honteusement effacée de l’histoire alors que ses modestes mélodies, mais également ses quatre opéras et autres œuvres symphoniques, avaient considérablement marqué leur temps.

Suzanne Canessa

« Avant le soir » se tient jusqu’au 17 septembre dans divers lieux des premier et septième arrondissements de Marseille.

Avignon : la « fête civique » est finie

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Lors de la conférence de presse de clôture du Festival d’Avignon, Tiago Rodrigues a condamné les attaques racistes dont a été victime Rébecca Chaillon. PHOTO CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE

Tiago Rodrigues a dressé un bilan à chaud de sa première édition comme directeur du Festival d’Avignon, rappelant son attachement aux deux piliers du Festival, cette « fête civique ». Premier axe, la prise de risques aux côtés des artistes dans le processus de création, et dans leur liberté d’expression. Tiago Rodrigues a d’ailleurs condamné fermement les agressions physiques et verbales racistes qui ont émaillé les dernières représentations de Carte noire nommée désir de Rébecca Chaillon. Il s’est dit « fier » de présenter ce spectacle, comme il pourrait être fier de la représentation des queers dans The Romeo, des crève-la-faim dans Welfare, des insurgés dans G.R.O.O.V.E. etc.

Premières fois

Deuxième axe, un accès démocratique au théâtre, pour le plus grand nombre et pour le public le plus divers possible. De ce côté-là aussi, c’est plutôt réussi ! Le taux de remplissage des salles approche les 94%, en hausse par rapport à l’année dernière. D’autant que 15.000 places de plus étaient proposées à la vente. 44 spectacles étaient présentés cette année dans 42 lieux, dont la Carrière Boulbon retrouvée, et la nouveauté que constituent les espaces naturels de Pujaut et Barbentane. Une délocalisation en milieu naturel qui va se poursuivre lors des prochaines éditions.

Avignon, c’est une manifestation culturelle portée par l’attachement du public à « son » Festival, mais qui doit s’ouvrir à d’autres ! Grâce au dispositif « Première fois », engagement phare de la nouvelle direction, le Festival a compté 5000 spectateurs nouveaux, et 2 800 personnes ont suivi des médiations, des visites et des ateliers. Les jeunes, également, étaient plus nombreux dans les salles.

Coté scène, 75% d’artistes faisaient également leur première fois à Avignon. Le pari de la langue invitée a été tenu avec quatorze projets liés à la langue anglaise, ce qui a logiquement permis une augmentation du public international, grâce aussi à 64 % de la programmation surtitrée ou accessible à un public anglophone.

Avant-goût

L’année prochaine, la langue invitée sera l’espagnol. Une langue « qui raconte une histoire de l’Europe dans le monde » et « qui se parle dans des pays avec une grande richesse des arts vivants », a justifié le dramaturge portugais. Quant aux dates, le Festival sera légèrement décalé en raison des Jeux olympiques. Il se tiendra du 29 juin au 21 juillet 2024, soit deux jours de plus que cette année.

Côté programmation, Tiago Rodrigues mettra en scène d’Hécube d’Euripide, avec la Comédie-Française, pour faire résonner Antiquité et problématiques contemporaines.

Le spectacle itinérant produit par le Festival, sera conçu par Mariano Pensotti, metteur en scène argentin.

Mothers. A Song for Wartime de Marta Górnicka qui devait se jouer cet été sera présenté l’année prochaine. Si réunir le cœur composé de 21 mères ukrainiennes, polonaises et biélorusses s’avère, enfin, possible.

Caroline Guiela Nguyen, nouvelle directrice du Théâtre National de Strasbourg, réserve Lacrima, sa nouvelle création, pour cette 78e édition. Elle y suivra le parcours de fabrication  d’une robe, d’Alençon où travaillent les dernières dentelières, à Mumbay (Inde) où sont conçues les broderies. Un parcours géographique et historique qui mêlera secrets, violences, comédiens amateurs et professionnels et quatre langues. Du pur Festival d’Avignon !

Rafael Benabdelmoumene

Anna Netrebko, nectar d’Orange

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Le public du théâtre antique debout pour saluer les artistes de cette dernière soirée des Chorégies d’Orange. PHOTO J.L.

Deux ans après une « Nuit Verdienne » très testostéronée avec Ludovic Tézier, Roberto Alagna et Ildar Abdrazakov, le théâtre antique d’Orange retrouve le pape de l’opéra italien pour un grand gala Verdi, mixte cette fois, avec Anna Netrebko et de Yusif Eyvazov. Le couple star de l’art lyrique, qui avait annulé sa venue à Orange en 2019, est accompagné par leur chef fétiche, Michelangelo Mazza. Ce dernier dirige l’Orchestre philharmonique de Nice avec sobriété : les pupitres bien équilibrés développent d’intéressantes textures, notamment sur le ballet d’Otello.

Sur des pages du grand répertoire romantique verdien (Le Trouvère, Macbeth, La force du destin…), Anna Netrebko, décriée en Russie comme à l’étranger suite à sa réaction pour le moins maladroite à la guerre en Ukraine, démontre qu’elle fait encore partie des plus grandes sopranos du monde. Très théâtrale et charismatique sur scène, elle projette tantôt avec puissance, lorsqu’elle incarne une impitoyable Lady Macbeth, tantôt avec la sobriété expressive que les rôles féminins de Verdi appellent souvent. Le format du récital, qui privilégie les ensembles et les scènes entières aux airs, et le cadre spectaculaire du théâtre antique, participent bien sûr à cette immersion scénique.

Musicalité à toute épreuve

Yusif Eyvazov démontre avec brio qu’il est très loin d’être une simple pièce rapportée : son timbre clair, puissant et expressif brille tout au long de la soirée, en particulier sur La Force du Destin. Le duo avec sa compagne sur le déchirant final d’Aïda est peut-être le point culminant de la soirée : des voix en osmose, une complicité vocale comme scénique et une musicalité à toute épreuve.

Netrebko et Eyvazov sont accompagnés pour ce récital par la mezzo-soprano Elena Zhidkova et le baryton azéri Elchin Azivov. Si la première apparaît très en retrait, vocalement comme scéniquement, le second imprime sa marque lors de beaux duos sur Le Trouvère et surtout sur l’air « Eri tu che macchiavi quell’anima »extrait d’Un bal masqué. Le grand quatuor de Rigoletto « Bella figlia dell’amore » s’avère toutefois vocalement un peu déséquilibré en faveur du duo star de la soirée. Le récital s’achève sur le célébrissime « Libiamo » de La Traviata, comme un clin d’œil à ce rôle emblématique du début de carrière de Netrebko. La boucle est bouclée !

Julius Lay

Concert donné le 24 juillet au théâtre antique d’Orange, dans le cadre des Chorégies.


Avec Marcus Miller, la basse prend de la hauteur

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Marcus Miller avec sa basse signature de la marque américaine Sire. PHOTO M.F.

C’est après le concert d’Alfa Mist et de son groupe que Marcus Miller monte sur scène. Si le premier avait déjà réussi à réveiller le Théâtre Silvain grâce à son jazz moderne mâtiné de hip-hop et une batteuse hypnotisante, le second a rameuté les fans au bord de la scène.

Le son de Marcus Miller est reconnaissable entre mille. Notamment grâce à sa technique de slap, poussée extrêmement loin dans le domaine du jazz. Pour rappel, le slap consiste à simultanément frapper et pincer les cordes pour avoir un son percussif proche de celui d’une batterie. Associée aux mélodies efficaces composées par Miller et à un puissant son de – vraie – batterie, un cocktail explosif est servi sur un plateau à un public déjà conquis. La chanson Detroit pose cette ambiance pour démarrer le concert, et rappeler à tous le niveau du monsieur au chapeau et des musiciens présents sur scène. Une technique solide et une précision en béton donnent aux basses de Marcus Miller une netteté déconcertante. L’instrument n’est plus utilisé pour remplir le fond d’un spectre audio, mais bien pour laisser s’exprimer tout le vocabulaire du musicien, ici en liberté dans son jazz si unique.

Basses fréquences

Comble de la classe, Marcus Miller parle à son public et présente ses musiciens le plus souvent en français. Jusqu’à la question : « Vous voulez qu’on joue Blast ou Come Together ? ». S’ensuit un arrangement de Come Together des Beatles, où la cohésion entre Miller et son public ne pouvait plus être niée, l’ensemble du théâtre attendant patiemment le signal pour chanter à l’unisson le refrain du standard. Peu après, les musiciens sortent de scène sous les applaudissement, et laissent la place à Hughes Kieffer, le directeur de Marseille Jazz des Cinq Continents, concluant ainsi l’escale du festival au Théâtre Silvain. Mémorable.

Mathieu Freche

Marcus Miller s’est produit au festival Marseille Jazz des Cinq Continents le 22 juillet au Théâtre Silvain. Le festival se déroule jusqu’au 27 juillet.


Au Off d’Avignon, du Proust sur les planches

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Seul en scène, Xavier Marchand interprète le narrateur du « Temps retrouvé » de Marcel Proust. PHOTO ÉRIC REIGNER

Le Temps retrouvé est le septième et dernier tome de À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. En miroir avec Du Côté de chez Swann qui abordait la jeunesse du narrateur, Proust y questionne cette fois la vieillesse, avec mélancolie.

À l’occasion d’une fête donnée chez les Guermantes, le narrateur se rend compte des effets des années sur les corps. Il revoit tous ceux qu’il a côtoyés dans sa vie, et décrits au cours des précédents romans. Il prend conscience, avec une auto-ironie sarcastique, que lui aussi a vieilli. Il se demande alors quelle trace il laissera et s’il aura le temps de finir d’écrire son livre. Le Temps retrouvé sera d’ailleurs publié, en 1927, à titre posthume. 

Adaptation sobre

Xavier Marchand a fait le pari d’adapter le dernier volet de ce monument de la littérature, et de la langue, au théâtre. Il met en scène et incarne le récit sobrement, dans une épure qui fait confiance à la force littéraire, au style, et aux degrés temporels et narratifs du récit autofictionnel.

Dans ce seul en scène le comédien interprète le narrateur, qui prend conscience du temps qui passe et se demande combien d’années il lui reste à vivre, mais aussi, par moments, les silhouettes de l’histoire, et lui-même comme personnage. Le ton sobre de Xavier Marchand, tout simple, contrebalance et complète l’épanchement du style de l’écrivain. Le décor est sommaire, un bureau et un écran qui permettent quelques échanges avec des personnages apparaissant en vidéo. Discrètement, le comédien change d’allure au fur et à mesure du récit pour illustrer l’œuvre et le travail du temps. La boucle est bouclée, de soi à soi, dans les multiples relations et incarnations entre auteur, narrateur, personnage, acteur et metteur en scène.

Rafael Benabdelmoumene

« Le temps retrouvé » est à découvrir jusqu’au 29 juillet au Théâtre du Petit Chien.

La Roque d’Anthéron : un semi-marathon festivalier

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Jean Rondeau, seul face aux « Variations Golberg » de Bach, sous les voûtes de l’abbaye de Silvacane. PHOTO VALENTINE CHAUVIN

Au Festival international de piano de La Roque d’Anthéron le 24 juillet, on pouvait ainsi faire un détour par le cloître de l’abbaye de Silvacane avant de rejoindre la conque protectrice du parc de Florans. Un événement était programmé à la croisée du cloître : le claveciniste Jean Rondeau venait jouer, sans partition et tout d’un trait les Variations Goldberg de Bach (disque paru chez Warner Classics en février 2022). Son élégance, son naturel, son intelligence fine de l’œuvre, soulignaient la puissance et la foisonnante beauté de ce sommet de l’écriture contrapuntique. La lecture exhaustive du recueil, (environ cent minutes de jeu), se transforme en un exercice mystique, une ascèse qui permet des changements de tempi époustouflants de virtuosité technique pure, des respirations lentes à l’écoute du monde, laissant sourdre petit à petit une lumière qui s’extrait de la gangue des notes.

Hommage au silence

En trente-deux chapitres, tous les mystères de l’âme sont approchés, transmutés. Le temps s’arrête, l’infini s’installe. Rien ne saura faire sortir l’artiste de la bulle onirique que les harmonies dessinent. Les vibrations d’un téléphone (oui il faut vraiment éteindre et ne pas mettre en silencieux !) s’interposent entre deux passages. Le dos tendu, Jean Rondeau attend sans se retourner et reprendra lorsque le bruit parasite cessera. À la fin de la ronde, le claveciniste restera dans la même tension, mains posées sur le clavier, puis poings fermés sur les cuisses, droit dans la sublime beauté d’un silence qui ne veut pas s’éteindre avant que toutes les tensions se relâchent et qu’un tonnerre d’applaudissements viennent rouler sous les voûtes de l’abbaye. « Je considère que les Variations Goldberg furent écrites pour le silence, en ce sens elles se substituent au silence », déclare-t-il dans la présentation de son disque. Rarement l’invisible a été aussi tangible !

Après cette « ode au silence » [ibidem], il fallait entrer dans l’univers beethovénien, grâce à la belle interprétation de François-Frédéric Guy du troisième concerto du compositeur en un jeu très fluide, une souplesse de jeu rare qui s’accorda subtilement avec le superbe Hong Kong Sinfonietta dirigé avec pertinence par Yip Wing-sie. L’excellent ensemble, ayant pris totalement la mesure de l’espace dans lequel il intervient, avait encore gagné en rondeur, équilibre et expressivité. Sans doute la Symphonie n° 3 dite Héroïque de Beethoven était de trop en raison de sa longueur dans un programme déjà bien chargé. Difficile alors d’en goûter les nuances !

Maryvonne Colombani

Concerts donnés le 24 juillet à Silvacane et au parc de Florans dans le cadre du Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron.