samedi 26 juillet 2025
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Mission accomplie pour la mandoline

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Une première soirée très mascul’In ! PHOTO DIMITRI CAPEL

Voilà désormais trois ans que Vincent Beer-Demander, fier représentant de la mandoline et de son ancrage méditerranéen, propose au public marseillais une programmation pensée autour de cet instrument si unique. À en croire le public, nombreux et enthousiaste, le petit luth italien connaît un véritable regain d’intérêt. De la part d’auditeurs sensibles aux douces et mouvantes sonorités du plectre, mais aussi de compositeurs s’étant frotté à ses possibles, pour des résultats toujours enthousiasmants, et invariablement dédiés au mandoliniste star. L’opus enregistré par Vincent Beer-Demander et le pianiste Nicolas Mazmanian en 2021 célébrait ainsi déjà l’inventivité et la sensibilité de Lalo Schifrin, célèbre compositeur du thème de Mission Impossible, mais pas que ! Les Variations sur un thème de Lalo Schifrin écrites par le pianiste y faisaient déjà merveille : transcrites par ses soins pour mandoline soliste et orchestre, elles gagnent encore en ampleur.

Arpèges napolitains

Les modes à transposition limitées de Messiaen y côtoient les mesures syncopées à 5/4, et les tonalités baroques chères au compositeur argentin. Même son de cloche pour le Cinematic Concerto de Régis Campo, sublimé par le clavecin de Riho Ishikawa, puisant son principe moteur dans un ostinato entêtant. Si bien qu’on sortira presque davantage convaincue par les pièces des compositeurs « maison » que celles, pourtant de très bonne tenue, de Lalo Schifrin lui-même et de Vladimir Cosma. La première, dont nous n’entendrons que le premier mouvement, s’érige sur des arpèges diablement napolitains. La seconde emprunte à Marius et Fanny son lyrisme délicieusement sucré. Sur ces pages savoureuses, l’Orchestre Philharmonique de Marseille, réuni pour la première fois dans la cour du palais Carli, déploie une précision et surtout un enthousiasme communicatif, qui doit beaucoup à la direction de Benjamin Lévy. Le chef a en effet déjà enregistré ces pièces avec l’Orchestre de Cannes dans un enregistrement, sorti en mai dernier (chez Lossless). On ne saurait que le recommander !

Suzanne Canessa

Mandol’In Marseille Festival
Jusqu’au 14 juillet
Divers lieux, Marseille
mandolinmarseillefestival.com

La Chartreuse : cinquante ans de bouillonnement

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Jusqu’au 24 juillet, les Rencontres d’été viennent troubler la quiétude du cloître Saint-Jean. PHOTO ALEX NOLLET

Il y a un demi-siècle, Bernard Tournois installait le Centre international de recherche de création et d’animation (Circa), au sein de la chartreuse Notre-Dame-du-Val-de-Bénédiction, sise à Villeneuve-lès-Avignon. Aujourd’hui Centre national des écritures du spectacle, la Chartreuse célèbre son anniversaire le temps de ses Rencontres d’été. Outre les expositions comme la Chartreuse en 1953, à travers les photographies du futur cinéaste Alain Cavalier et JADE, jadis aujourd’hui et demain…, compilation de films documentaires produits entre 1978 et 1980 par le Circa, la commémoration suit le fil de la transmission de deux créations du Théâtre de Cuisine et de Dominique Houdart, en collaboration avec la Maison Jean Vilar.

« Il faut respecter les traditions mais se garder des habitudes », martèle Marianne Clevy, directrice de la Chartreuse. Si les lectures théâtrales conservent une place conséquente dans sa programmation, le centre national accueille cinq propositions. En co-réalisation avec le Festival d’Avignon (L’Oeil nu, pièce chorégraphique de Maud Blandel), la sélection Suisse en Avignon (Cécile, performance fleuve assurée par Cécile Laporte), le Train Bleu, haut lieu du Off (La Conférence de la TTension du collectif Impatience), Les Hivernales (Corps sonores par Massimo Fusco, danseur-masseur) et Villeneuve en Scène (La boîte de Pandore), puzzle circassien imaginé par Marion Coulomb. Il est à noter que les trois dernières propositions ont été conçues lors de résidences dans les cellules d’écritures de la Chartreuse. Car comme le répète Marianne Clevy : « Tout au long de l’année, les artistes habitent ici. »

Autrices à l’honneur

Depuis deux ans le Bivouac des comités de lecture ouvre les Rencontres d’été, du 7 au 9 juillet, avec les Voix du bivouac, sélection de pièces radiophoniques et trois Grandes Lectures, autour de trois autrices, la Belge Anaïs De Clercq, l’Haïtienne Phanuella Tommy Lincifort et la Japonaise Shiko Kasahara. Le cycle « Confluences », promesses d’écritures est bien entendu reconduit et placé, cette année, sous les mises en espace de Marcial Di Fonzo Bo, de même que les « Intrépides », lectures de six textes au féminin, dirigée par Léna Bréban, sur un accompagnement musical de Claire Diterzi.

La journée du 23 juillet, consacrée à Tim Crouch, auteur-performeur, invité par le Festival d’Avignon, constitue le temps fort de la Biennale de la traduction, en lien avec la langue invitée par Tiago Rodrigues, directeur du Festival. Enfin, outre sa précieuse librairie, la Chartreuse rouvre ses jardins d’été, cantine éphémère, pour Marianne Clevy, une oasis incontournable dans l’opulence de ces Rencontres d’été.

MICHEL FLANDRIN

Rencontres d’été de la Chartreuse
Du 6 au 24 juillet

Villeneuve-lès-Avignon
chartreuse.org

Un festival à expériences multiples

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(c) Bohumil KOSTOHRYZ

Plus que jamais le festival avignonnais tient ses promesses en restant attentif aux expressions contemporaines inventives, chercheuses, ludiques. Le regard de sa directrice, Isabelle Martin-Bridot, s’est focalisé cet été sur huit compagnies qu’elle accueillera sur le plateau du CDCN d’Avignon, de la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon et de l’Atelier – La Manutention.

Des journées marathon

Le voyage commence dès 10 heures avec Catol Teixeira et son Clashes Licking qui « joue avec l’imprévisible, négocie avec le risque, pour favoriser les espaces de friction et de vibration ». Pour se terminer à 21h15 avec Hear Eyes Move – Dances with Ligeti d’Elisabeth Schilling, un concert-danse et une danse-concert aux images multisensorielles en résonance avec la musique de Ligeti. Entre-temps, on découvrira la création 2023 d’Yvann Alexandre, Infinité, distribué pour quatre interprètes et dansé par un duo ! Selon le choix improvisé du chorégraphe, six combinaisons possibles sont déroulées à la manière du jeu enfantin Shifumi. Marina Gomez, également à l’affiche du Festival de Marseille, partage un peu de son expérience personnelle dans Asmanti (Midi-minuit) en faisant de sa pièce un terrain de jeu pour des jeunes des quartiers dits « zones rouges » dans un savant mélange de rap et de cinéma.

Si Marina Gomez nous interpelle sur les conditions de vie de ces jeunes, Hamid Ben Mahi réfléchit à la condition des femmes aujourd’hui et aux enjeux posés par la société patriarcale. Mais à sa manière, en chorégraphiant un Royaume cent pour cent féminin à l’énergie hip-hop pleine de poésie. Pour ceux et celles qui n’auraient pas vu Simple d’Ayelen Parolin à Marseille dans le cadre du festival actoral, le CDCN d’Avignon accueille son trio haut en couleurs qui privilégie « un certain rapport au jeu et à l’idiot ». Une proposition à l’apparente inoffensivité, comme détachée, où tout est sans cesse redistribué et restructuré. Six ans après une première performance sur le thème de la frontière, Mathieu Desseigne-Ravel et Michel Schweizer prolongent leur réflexion dans la création du duo Nice trip perturbé par la présence d’un jeune interprète chargé de dynamiter leur discours. 

Hors les murs

Avec Lucien Reynès, son complice de Naïf production, Mathieu Desseigne-Ravel crée à L’Atelier un tandem sur l’altérité, l’interdépendance, la complexité des liens, sans craindre de faire Polémique (recherche d’une pédagogie du conflit). Massimo Fusco, artiste associé des Hivernales, réinstalle son salon de massage et d’écoute Corps sonores à La Chartreuse tandis que les facétieux et intrépides Marco Delgado et Valentin Pythoud « se battent » à mains nus dans leur désopilant Dos découvert au festival Constellations 2022 à Toulon. 

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

On (y) danse aussi l’été !
Du 10 au 20 juillet
Aux Hivernales, CDCN d’Avignon
hivernales-avignon.com

Quand Avignon prend ses quartiers gardois

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À deux pas de l’effervescence avignonnaise, Villeneuve en Scène promeut un « festival doux ». PHOTO VILLENEUVE EN SCÈNE

Chaque été les chapiteaux, les tables, les roulottes et les transats s’installent face au fleuve au Palais et au pont, sous l’abbaye médiévale, à Villeneuve-lès-Avignon. La programmation éclectique du festival répond à deux exigences : l’itinérance possible de la forme, et la qualité artistique de spectacles inscrits dans une cohérence programmatique faite de continuité, d’échos et de complémentarités. 

Quant à l’appellation de « slow festival » dont Villeneuve en Scène se réclame, elle est toute relative ! Ce sont treize spectacles qui jouent chaque jour, durant douze jours, à prix raisonnables (19 euros pour le plus cher), et on peut obtenir un tarif réduit, voire super réduit, en venant à vélo ou en bus, en accompagnant un moins de 26 ans, en ayant la carte du Off…

Écritures plurielles

À voir en famille : Dissolution, un très beau texte de Catherine Verlaguet qui met à portée des enfants, à travers le monologue d’un drôle de grand-père (Rachid Bouali) en train de mourir, un carpe diem aussi profond qu’optimiste. Julie Vidit (CDN Nancy Lorraine) met également en scène un autre spectacle, plutôt pour ados, autour de La Grève scolaire (Skolstrejk), et de l’engagement des jeunes pour le climat.

En famille toujours : le Cabaret renversé de La Faux Populaire invite les spectateurs à table (dès 7 ans) pour parler de l’amour et du couple entre deux numéros, et la compagnie EquiNote allie équilibres équestres, rêve shakespearien et nostalgie fantastique.

Villeneuve en Scène propose également un parcours danse avec Short People, un quintet loufoque et dynamique de Bruno Pradet (Cie Vilcanota), Autrement qu’ainsi, un beau solo de Yann Lheureux sur la maladie d’Alzheimer, et la Valse à Newton (chorégraphie Frédéric Cellé), un trio acrobatique qui cherche à suspendre le temps en arrêtant un pendule de Newton spectaculaire.

Interroger l’érotisme

À réserver pour des oreilles moins jeunes, le solo circassien de Marion Coulomb, qui ouvre la Boîte de Pandore, le récit du procès de son viol, des effets sur son corps et dans sa pratique du cirque ; et Stéphane Bonnard (Komplex Kapharnaum) qui ouvre un continent : celui d’un squat de réfugiés, dits migrants (mais que dit ce mot ?) entre deux univers, devenus un sigle MNA, mineurs non accompagnés, un nombre, des ombres.

À partir de 16 ans également, le cirque de Boris Gibé s’attache à L’Anatomie du désir, et s’expérimente. Pour pénétrer sereinement dans sa « Panoptèque », goûter et entendre avant de regarder, contempler Vénus, les automates qui défilent, interroger l’érotisme, et voir le corps réel de Boris Gibé incarner le désir féminin et s’élever…

AGNÈS FRESCHEL

Villeneuve en Scène
Du 10 au 22 juillet
Villeneuve-lès-Avignon
festivalvilleneuveenscene.com

Avignon : un été pour feuilleter Jean Vilar

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Julien Perrier dans « Bazar Vilar » de Dominique Houdard © YOAN LOUDET

Notable innovation, la directrice Nathalie Cabrera installe, non pas un mais trois spectacles, dans les murs de la Maison Jean Vilar. À commencer par le jardin de Mons, pour lequel Gwenaël Morin, à l’initiative du Festival d’Avignon, signe un bail de quatre ans et présente, dès cet été,sonSonge d’une nuit d’été de Shakespeare, à partir du 8 juillet.

Mitoyenne à l’écrin de verdure, la salle de La Mouette, sera le théâtre d’une transmission. Créé en 2015 par Dominique Houdart, le Bazar Vilar restitue l’odyssée vilarienne, de la mercerie sétoise aux utopies avignonnaises. Julien Perrier s’approprie les bobines, l’escabeau, la machine et le dé à coudre, détournés par le créateur, véritable référence du théâtre d’objet. Ce nouveau Bazar sera représenté du 14 au 16 juillet, après une première, le 13, à la Chartreuse.

Plusieurs épisodes

Auparavant et toujours à destination du jeune public, KiLLT, Ki lira le texte, production des Tréteaux de France, plongera une poignée de visiteurs dans un salon, tapissé de mots pour supporter les maux (du 10 au 14 juillet). Côté livre, la Librairie du Festival réintègre le rez-de-chaussée, de même que ses animations dédiées, d’abord avec Partage de Midi, dialogues avec un auteur chaque jour, du 9 au 19 juillet, ainsi que Les Douze heures des auteurs, le mercredi 12 de midi à minuit, à la découverte des écritures d’aujourd’hui.

Mais l’évènement d’été demeure Feuilletons Vilar ! oùNathalie Cabrera puise dans Jean Vilar, une biographie épistolaire, publiée aux édition Actes Sud, en collaboration avec l’Association Jean Vilar, la matière d’une Grande Lecture. Le découpage en douze épisodes est confié à une actrice et un acteur, différents chaque jour, au service des échanges entre le créateur du Festival et diverses personnalités dont André Malraux, Maria Casares, Sylvia Monfort, Gérard Philipe… (du 9 au 20 juillet, 11 heures, dans la Calade).

MICHEL FLANDRIN

La Maison Jean Vilar pendant le Festival d’Avignon
Jusqu’au 25 juillet
maisonjeanvilar.org


Stars Académie

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© Vincent Beaume

Sous la houlette de leur professeur Kirill Gerstein, les musiciens de l’Académie du Festival d’Aix-en-Provence proposeront ce 5 juilletun concert ambitieux, comportant notamment l’arrangement pour ensemble de chambre de la Symphonie n°4 de Mahler. Mais aussi des trios de Brahms et de Ligeti, ouvrant quelque peu la programmation jusqu’alors très sage d’Aix en Juin et de ses nombreux concerts gratuits en amont du Festival d’Aix-en-Provence. Le directeur adjoint de l’Académie Paul Briottet se félicite pourtant de « la fidélité des spectateurs de ces concerts gratuits, qui permet aux musiciens de gagner en visibilité auprès du public, mais également de professionnels qui se font de plus en plus nombreux au festival. »Si certains sont déjà de « vrais pros, qui ont pour la plupart déjà un agent, des dates importantes dans leur pays d’origine », le festival d’Aix en Juin leur permet de « se déployer, dans tous les sens du terme : de s’ouvrir à d’autres publics, d’ouvrir leur réflexion. »

L’occasion de rappeler pour cet habitué de l’Académie, pour laquelle il travaille depuis 2012 mais dont il est « un spectateur assidu depuis à peu près 1993 », forme désormais des musiciens mais également des metteurs et metteuses en scène, sous l’autorité bienveillante de Katie Mitchell. « Ted Huffmann et Philip Venables, tous deux présents sur cette édition, ont également été membres de l’Académie. Il ne s’agit pas d’une simple formation, mais bien d’un accompagnement, d’un mouvement autour de la création même », précise Paul Briottet.

Un public au rendez-vous

Ce 29 juin, le cours Mirabeau s’est une fois de plus rempli d’un public d’amateurs et de novices pour son concert Parade(s), faisant entendre l’ensemble de son Académie de chant sur des airs célèbres de la trilogie Mozart – Da Ponte, commentée avec un sens de la synthèse et une joie communicatives rares par Timothée Picard, dramaturge du festival. L’orchestre certes très amplifié du Balthasar Neumann Ensemble laissa présager, sur l’ouverture de Cosi Fan Tutte, une performance à ne pas manquer ; et ce dès la première de ce 5 juillet !

Les concerts de l’Académie donnés à l’Hôtel Maynier d’Oppède, et permettant de découvrir les 28 et 29 juin dernier des instrumentistes merveilleux, ont également conquis une assemblée conséquente sur des pages pourtant bien éloignées de ces tubes. Bien qu’on puisse déceler dans l’Octuor pour cordes et vents de Schubert, véritable curiosité, et dans le Quintette pour vents et piano deBeethoven des accents mozartiens assez savoureux.  

SUZANNE CANESSA

Parade(s) s’est tenu le 29 juin sur le cours Mirabeau, dans le cadre du festival Aix en Juin.

G.R.O.O.V.E. : la fiction précède le réel

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G.R.O.O.V.E de Bintou Dembélé © Christophe Raynaud de Lage

En 2019 avec Les Indes galantes, la chorégraphe Bintou Dembélé avait marqué les esprits en introduisant l’esprit insurrectionnel à l’Opéra de Paris. À Marseille, et dès ce soir à Avignon, G.R.O.O.V.E. est une clef pour comprendre pourquoi notre réel s’embrase.

Le spectacle est déambulatoire. Il veut nous déplacer, nous emmener avec lui vers une conscientisation, peu à peu, durant trois heures. Il commence au cinéma, par la projection de trois courts métrages explicites qui marquent le contexte social et historique des danses hip-hop, ou plus généralement groove, et populaires. Contre l’apartheid, la misère, l’homophobie, issues de traditions millénaires comme en Inde du Sud, ces danses telluriques, ancrées dans le sol, le rythme, la performance, affirment toutes la présence physique, et niée, des « intouchables », des racisés. Dans chaque culture.

Après les films, le public sort de la salle. Bintou Dembélé présente les artistes, dédie le spectacle à Nahel, reçoit de très longs applaudissements. Une communion de vue s’installe, et les parcours commencent. On s’assied en rond autour d’un chant suspendu, d’un solo de danse, d’une cithare. Les installations d’un public très nombreux, autour de chaque forme, sont un peu laborieuses, pour des interventions parfois anecdotiques. Le doute vient.

Puis il y a cette scène, frappante, d’un corps assassiné qu’un groupe silencieux traine longuement à terre, puis suspend, soulève, tandis que tout autour du public des dizaines de costumes vides s’élèvent, comme autant de victimes anonymes des violences et ségrégations racistes.

Le poing levé

Il est temps alors de réunir les groupes et de cheminer, en procession, vers le théâtre. D’y assister aux Indes galantes. L’opéra de Rameau et sa célèbre « Danse des Sauvages » boucle le parcours, et inscrit la danse dans l’histoire coloniale de la France. Les danseurs entrent sur scène comme des robots asservis, indifférenciés, souffrants. Puis ils relèvent la tête, frappent des pieds, exécutent des soli d’une virtuosité folle, se démembrant, tournant sur la tête, renversés. Le groupe fait corps autour des individus, éclatants de talent et de force. Et lorsqu’ils lèvent le poing, libérés, l’insurrection est là…

C’est pourtant au partage qu’ils invitent le public, qu’ils viennent chercher un à un pour danser avec eux. Pour que la fête succède à l’oppression. Pas sûr que, pour cette fin-là, la fiction précède le réel. À Marseille, le 30 juin, c’est la violence qui attendait le public à sa sortie du spectacle. Trop tard pour se comprendre ?

AGNÈS FRESCHEL

G.R.O.O.V.E.
Du 5 au 10 juillet à 17 h, relâche le 7
Départ cinéma Utopia
festival-avignon.com

Vaison Danses fait le grand écart

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Alice © Ho Chao-Sheng

Le festival Vaison Danses a construit son succès sur une ligne de force : accueillir de grands corps de ballets aux styles et aux esthétiques éclectiques. Cet été, place à la Suisse avec le Béjart Ballet Lausanne, la France avec Hervé Koubi, la Compagnie XY et le Ballet Preljocaj, et Taïwan avec B. Dance. Une programmation au spectre large concoctée par Pierre-François Heuclin, directeur artistique du festival depuis 2017, qui a su renouveler le festival en invitant durant ses trois premières années de mandat des artistes jusque-là absents. Tel est le cas d’Hervé Koubi, invité pour la première fois en 2018 avec Les Nuits barbares ou les premiers matins du monde, présent cette année avec Sol Invictus en première mondiale. Un opus qui s’inscrit « dans la trace de la douce séquence orientaliste de Ce que le jour doit à la nuit et dans la violence de Nuits barbares, mais dans une forme plus épurée, « encore terrienne, mais moins martiale ». Et avec une compagnie où désormais les femmes ont leur place ! Autre retour très attendu, celui d’Angelin Preljocaj qui propose sa version personnelle du Lac des cygnes, ballet emblématique de ses chorégraphies narratives, en contrepoint de son conceptuel Gravité sur la scène du théâtre antique en 2021.

Une pépite taïwanaise

Découverte au festival On y danse (aussi) l’été en 2019 avec Rage, la Compagnie B. Dance dirigée par Po-Cheng Tsai est saisissante de virtuosité et d’expressivité. Si Rage a longuement imprégné nos rétines par la performance de ses interprètes et la rigueur de sa structure chorégraphique, qu’en sera-t-il d’Alice proposée ici en première européenne ? On nous annonce « une chorégraphie à couper le souffle, des costumes haute couture et une scénographie élégante » qui donneront naissance à un pays des merveilles à coup sûr particulier. Serait-ce la rencontre improbable du monde fantastique de Lewis Carroll avec l’art du zen… 

Grand écart

En invitant la Compagnie XY, Vaison Danses jette un pont entre art chorégraphique et art du cirque dans ce qu’il a de plus inventif et de plus performant. Depuis quinze ans, le collectif, fort de quarante acrobates, œuvre à la création de grandes formes dont Möbius, son cinquième spectacle, qui convoque 19 d’entre-eux à explorer le vertige à travers portés, voltiges et pirouettes. Une forme poétique à couper le souffle conçue avec le chorégraphe Rachid Ouramdane.

Hommage

Enfin, Vaison Danses fait un saut dans le temps en compagnie du Béjart Ballet de Lausanne autour d’un triple programme en forme d’hommage au maitre qui a marqué l’histoire du festival. Pour le plaisir de voir ou revoir les pièces de Maurice Béjart le Boléro de 1961 et 7 danses grecques de 1983, et de Gil Roman qui lui a succédé en 2007 : Alors on danse… !, création 2022. La boucle est bouclée.

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Vaison Danses
Du 11 au 26 juillet
Théâtre antique, Vaison-la-Romaine
vaison-danses.com

Paula, rester en apnée

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« La vie s’écoule dans l’espoir pour demain. D’une manière ou d’une autre, j’oublierai ton parfum, j’avancerai comme le fait la rivière droit devant, sans jamais retourner en arrière. Et comme chaque souffle nous rapproche de la mort, je resterai en apnée. » La chanson de Rebeka Warrior qui a composé la musique du premier film d’Angela Ottobah, Paula, fait écho aux espoirs du spectateur qui, pendant une heure et demie, a vécu à coté de cette petite fille de onze ans dans un huis clos en pleine nature.

Tout commence à Paris. Paula (Aline Hélan-Boudon) vit avec son père, Joseph, (Finnegan Oldfield) en convalescence, encore sous oxygène. Elle s’occupe des courses, en sortant du collège où elle s’ennuie et multiplie les bêtises. Ses seuls amis, Achille (Salomon Diallo) un jeune garçon et Moncoco, un doux lapin blanc. Pour les deux mois de vacances, son père lui réserve une surprise : une jolie maison dans un cadre idyllique au bord d’un étang. Une aubaine pour Paula qui fait de la plongée en apnée et aime la nature. Mais peu à peu, tout doucement, un malaise s’installe ; ils vont rester dans ce lieu perdu au delà de l’été. Ce père trop présent, trop proche, pris dans ses certitudes existentielles, éducatives, alimentaires, enferme sa fille dans un amour envahissant, exclusif, malade. Pas de lait, c’est pour les veaux ! Pas de sucre qui abime le cerveau ! Exercices physiques obligatoires. Il surveille tout, même les appels téléphoniques avec la mère, en mission en Corée. Il la coupe de tous, l’obligeant même à relâcher en pleine forêt son lapin blanc : elle lui est trop attachée.

Amour fou

Peu à peu, il l’embarque dans sa folie : la séquence où ayant décidé de se débarrasser de choses superflues, ils se mettent à tout casser, à faire un grand feu de joie, est hallucinante. La caméra de la talentueuse Lucie Baudinaud filme les deux corps qui dansent à la lueur des flammes et le visage de Laura souvent entre interrogation, amour pour son père malade ou peur. Car l’emprise grandit de jour en jour ; il lui vole même son espace, sa chambre, abattant les cloisons. Il l’a déscolarisée. C’est lui qui lui donnera des cours « elle a besoin d’un accompagnement spécialisé», affirme-t-il à l’assistante sociale venue contrôler. Il ne faut pas qu’elle lui échappe et il la forge telle qu’il le désire, prêt à écarter par les paroles ou la violence ceux qui pourraient aider Paula à sortir de cet amour envahissant et destructeur. Les deux acteurs, Aline Hélan-Boudon et Finnegan Oldfield sont parfaits. La caméra filme, souvent en plans serrés, la douceur insidieuse, les gestes tendres qui emprisonnent, le manque de la mère, la main de Paula qui caresse un silure au fond du lac ou son lapin blanc dont elle devra toucher les viscères, l’ayant retrouvé mort. On pense à Répulsion de Polanski, à La Nuit du chasseur de Laughton parfois. Les paysages, autour de l’étang de Taysse (en Corrèze) et les séquences sous l’eau sont superbement cadrés et la musique de Rebeka Warrior ajoute à l’ambiance de ce premier film, très fort, qui vous prend à la gorge et vous plonge en apnée dans les eaux troubles de la folie.

ANNIE GAVA

Paula, d’Angela Ottobah
En salles le 19 juillet

Mercredi, tout est permis

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Mirage(c)edu-rull

Comme chaque été, le Citron Jaune s’allie aux Soirées du Port Côté Docks pour proposer une programmation arts de la rue, en marge de la sardinade hebdomadaire qui investit joyeusement le quai de la Libération de l’industrieuse Port-Saint-Louis-du-Rhône. Cette année, Les Mercredis du Port allient fantaisies graphiques, manipulations d’objets et melting pot d’époques et de traditions. Coup d’envoi le 5 juillet avec Poi de la compagnie Cia D’es Tro, étonnant jonglage sur d’énormes toupies de bois, construites par l’artiste majorquin Guillem Vizcaino lui-même, dont les gainages de cordes renvoient aux silhouettes des bateaux environnants. En deuxième partie de soirée, place à un art oratoire décoiffant : avec Leçons impertinentes par Zou, l’espiègle Maëlle Mays aborde frontalement le sujet des relations amoureuses – drague, consentement, histoire du baiser… Une carte du tendre à parcourir en compagnie des  plus jeunes (dès 10 ans).

Danse et cirque

Le 12 juillet, l’entêtant ballet Yin Zéro de la Compagnie Monad prend le relais : les jupes virevoltantes de Cyrille Humen et Van-Kim Tran tournoient pour réinventer un rituel de transe moderne, conviant danse derviche et jonglage contact. Plus tard dans la soirée, le chorégraphe catalan Quim Bigas incarne dans l’inclassable performance Molar les diverses représentations possibles du bonheur : mises en partage, ces gestuelles créent immanquablement la liesse parmi le public assemblé, car oui, le bonheur peut être contagieux ! Autre chorégraphie participative le 19 juillet, avec Mirage (un jour de fête) : les huit danseurs de la compagnie Dyptik s’y inspirent des différentes cultures au milieu de fanions suspendus, puisant leur énergie décomplexée tant dans le hip-hop que dans les danses traditionnelles et le cirque.

Clôture en musique avec la Fanfara Station (Tunisie, États-Unis, Italie), présente dès le mercredi matin sur le marché hebdomadaire. Puis fin des festivités le 26 juillet : les enfants du quartier Vauban ouvrent le bal avec la restitution des ateliers de cirque Le fil d’Arianne. Place ensuite à un classique du cirque hors les murs, pour un moment suspendu de contemplation : le funambule Damien Droin en apesanteur sur son fil, défiant l’horizon et la pesanteur sur une structure rappelant celle d’un vaisseau amiral (Home, Hors surface). Final participatif avec Tsef zon(e), qui ressuscite la puissante vitalité intergénérationnelle du fest noz breton. Aux côtés de Pauline Sonnic et Nolwenn Ferry du duo C’hoari, mise en jambe dès le mercredi matin, sur le marché local ! Chaque mercredi, l’équipe du Citron Jaune, quant à elle, tient guinguette avec des boissons bio, tandis que restaurateurs et producteurs locaux régalent les papilles. Entre nous, on vous conseille le loup en papillote… À déguster au cœur de la foule, ou en marge sur un banc, mirant le promesse d’un horizon lointain par-delà de la Plage Napoléon.

JULIE BORDENAVE

Les Mercredis du Port
Du 5 au 26 juillet
Quai de la Libération, Port-Saint-Louis-du-Rhône
lecitronjaune.com