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Jazz à Junas se conjugue au féminin pluriel

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Sandre Nkaké sur scène pour le Jazz à Junas.

Pour ses trente ans, le festival Jazz à Junas s’est offert une affiche féminine à son image : créative, débordante d’énergie et riche de mille influences musicales. À commencer par Anne Pacéo, modeste et pétillante mais qui se transforme en bête de scène une fois derrière sa batterie. À regret, on l’entendra plutôt en tant qu’accompagnatrice discrète des titres de son album S.h.a.m.a.n.e.s, lesquels font la part belle à la voix, dans la continuité de son opus précédent Bright Shadows. Le rythme y est évidemment essentiel, mais souvent en retrait pour laisser place à l’art vocal de deux chanteuses qui s’harmonisent et se complètent subtilement. Anne Pacéo s’y révèle dans tout son talent de compositrice, évoquant avec une pudeur touchante des titres comme L’Aube, écrit « quand tout s’effondrait », Healing, joué comme un mantra pendant le confinement, ou Wishes, témoignant de ce moment de bascule où les certitudes se révèlent être des mirages. À travers des mélodies inspirées de traditions chamaniques de guérison, la musique se fait apaisement, la douleur guérison.

Royale Nkaké

La résilience est ce qui lie Anne Pacéo à l’autre invitée de cette douce soirée sous les étoiles : Sandra Nkaké, la reine à la peau d’ébène et à la tessiture de velours épicée, majestueuse, impressionnante, puissante. Dans les carrières de Junas, sa voix se joue du rock, du jazz, de la soul pour se faire porteuse de sens, de révolte à travers son dernier album Scars. Son histoire, ses plaies, ses blessures, dans son corps et dans son âme, mais aussi celle, collective et plurielle, des femmes dans une société qui leur laisse peu de répit. Le point levé, la guitare en bandoulière comme une arme musicale, l’autrice-compositrice-interprète scande : « Sage-femme, femme au foyer, astronaute, cheffe d’entreprise, caissière… Nous sommes toutes les femmes que l’on peut voir si on prend simplement la peine d’ouvrir les yeux. Oui nous sommes bien là, on voudrait  nous silencier, on voudrait nous effacer, contre toute cette violence qui nous est faite on a quelques mots… » Avant de chanter comme un slogan : « My body my choice, my right my voice, we gonna kill your ignorance » (« Mon corps mon choix, mon droit ma voix, nous allons tuer votre ignorance »). Une fois partagées, racontées, assumées, transcendées par la musique, les cicatrices deviennent une force incroyablement puissante de changement.

ALICE ROLLAND

Concerts donnés le 19 juillet dans le cadre de Jazz à Junas.

À Montpellier, les talents se signalent

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La soliste Karine Deshaye sur scène

On sait quel lien unit l’Orchestre national de Montpellier à Hector Berlioz : déjà très présent et actif tout au long du XIXe siècle, l’orchestre excellait dans les pages de Berlioz puis de Meyerbeer, qu’il exécutait avec d’autant plus de plaisir que le répertoire allemand lui avait été interdit suite à la défaite de Sedan. Et si le Corum porte aujourd’hui le nom du plus célèbre des compositeurs romantiques français, c’est que Georges Frêche le tenait pour le plus illustre, et nourrissait pour la vie musicale de sa ville des ambitions à sa juste démesure.

Berlioz forever

La phalange était donc très attendue en ces lieux mêmes le 21 juillet sur les Nuits d’été, célèbre cycle de mélodies chantant, sur des poèmes de Théophile Gautier, les joies et souffrance de l’amour et de son délitement. Si le propos est, comme sur la Symphonie Fantastique, redoutablement amer, les moyens musicaux déployés sont pour le moins réjouissants. Exit le cadre intime habituellement prêté à la mélodie : le chant a ici pour complice un orchestre fourni, dont il sollicite tour à tour les timbres les plus touffus. Dès la primesautière Villanelle, la précision de la direction de Michael Schonwandt épate. L’écoute de sa soliste Karine Deshayes, est admirable. Outre la perfection de la synchronicité rythmique, la finesse des couches amalgamant les fondations posées par les cordes, les légères envolées solistes des vents, sans jamais couvrir ou contredire le timbre clair et doux de la mezzo-soprano, à l’interprétation redoutablement mélancolique. Le reste du cycle, et du programme entier, demeurera tout aussi incarné.

Sur le méconnu Aladdin d’Horneman donné en ouverture, et surtout sur le Pelléas et Mélisande de Schönberg, poème symphonique succédant de quelques années à sa Nuit Transfigurée et ne déméritant ni en densité, ni en puissance. La postérité a surtout retenu l’adaptation opératique de ce mythe si étrange ; mais la pièce, manifeste symboliste pur jus de Maeterlinck, a également inspiré nombre de compositeurs au tournant du XXe siècle, dont un Arnold Schönberg pas encore séduit par les sirènes du sérialisme. Le chromatisme teinte cette pièce s’écoulant en seul bloc d’un désespoir tranchant radicalement avec la modalité enveloppante de l’opéra créé la même année. L’amour malheureux se fait ici tragique, et les échanges entre pupitres musclés et douloureux. L’orchestre brille une fois de plus sur cette partition particulièrement difficile : les solistes sont irréprochables, à commencer par la violoniste supersoliste Dorota Anderszewska, le violoncelliste Cyrille Tricoire, mais également le hautbois de Ye Chang Jung. Pour ce dernier concert donné en tant que chef titulaire de l’orchestre, Michael Schonwandt se voit remettre le titre de citoyen d’honneur de la ville de Montpellier par le maire Michaël Delafosse, en compagnie de la directrice de l’Orchestre Opéra National Valérie Chevalier, visiblement très émue.

Play Liszt !

Voilà plus de dix ans que le génie du piano Bertrand Chamayou s’est attelé aux Années de pèlerinage de Franz Liszt. Le temps d’un enregistrement particulièrement acclamé, mais aussi de tournées présentant l’intégralité de l’œuvre en une seule représentation dans différents lieux en 2011. Les trois heures – entractes non inclus – nécessaires pour les interpréter ont par la suite poussé le pianiste à ne proposer que des extraits – une des trois années, ou quelques tableaux seulement – dans d’autres programmes ou d’autres récitals. Quelle belle idée, cependant, que d’y revenir douze ans plus tard. La technique n’a pas faibli, ni le phrasé, sublime, fin, évident : la durée du concert n’affecte ni la concentration, ni la forme physique du musicien tout juste quadragénaire, qui articule les thèmes et les architectures en perpétuelle mouvance sans la moindre difficulté. C’est, semble-t-il, l’interprétation même, et avec elle le sens et la cohérence du voyage, qui a bénéficié de cette décennie de repos. La quête de l’absolu, musical comme amoureux, animant le moindre des tableaux composés par le virtuose hongrois, s’est tempérée d’un spleen nouveau. La chute dans la Vallée d’Obermann semble se chanter dans un long sanglot ; la Tarantelle étourdissante danse avec une folie nouvelle, moins méphistophélique qu’étrangement solaire ; la Marche funèbre semble moins redouter la mort qu’en appeler à un perpétuel renouveau. Donné dans le cadre plus intimiste de l’Opéra Comédie le 22 juillet, le récital remporte l’adhésion d’un public tenu en haleine au retour de chaque entracte.

Jeunesse de l’art

Très remplis, et complets pour certains, les concerts du midi ont permis à un public de jeunes et d’habitués de découvrir des talents à suivre avec la plus grande attention dans les années à venir. Ce fut notamment le cas le vendredi 21 juillet, qui présenta le fort charmant duo constitué de la soprano Cyrielle Ndjiki Nya et de la pianiste Kaoli Ono dans un programme se présentant de façon un brin trompeuse comme une sélection de chansons de cabaret. Les pages empruntées à Rachmaninov et interprétées avec une fou gue quelque peu outrée en début de récital ne sont ainsi pas celles qui convainquent le plus. La voix est certes puissante, et la complicité avec un piano saillant réjouissante. Le romantisme de Duparc et de son bijou inaltérable L’invitation au voyage séduit cependant totalement, de même que le très beau Au pays où se fait la guerre, et surtout la Chanson perpétuelle de Chausson, où la finesse d’articulation et les qualités d’interprète de la chanteuse se font particulièrement frappantes. Kaoli Ono entame ensuite avec le Prélude pour piano de Gershwin la transition attendue vers le cabaret, mais pas n’importe lequel : celui de William Bolcom et de son facétieux Toothbrush time, ou encore celui des Cabaret Songs de Britten, pures merveilles sur lesquelles le plaisir des deux musiciennes est particulièrement tangible.

Tout aussi trompeur, le concert concocté par Kevin Chen a fait salle comble. Outre la sublimissime Ballade n°4, on ne retrouvait guère de Chopin dans le programme interprété avec une fougue et une technicité rare par le très jeune (à peine dix-huit ans !) pianiste canadien. C’est du moins ce que l’on pouvait croire en découvrant les compositeurs choisis : Bach, Scriabine, Liszt, ou encore le compositeur australien contemporain Carl Vine. Mais on comprend dès les premières notes de la Fantaisie et fugue en la mineur BWV 904 que c’est en effet Chopin que Kevin Chen, également compositeur à ses heures perdues, souhaitait faire entendre dans ces pages voisines. Le phrasé qui prévaut à toute accumulation de notes étrangères : appogiatures, échappées, incursions maîtrisées vers une dissonance d’une modernité folle. L’instinct mélodique à toute épreuve ; l’art de l’agencement et de l’accumulation thématique, jusqu’au vertige. Une belle réussite, qui nous révèle un pianiste mais surtout un musicien à découvrir de toute urgence.

SUZANNE CANESSA

Le Festival Radio France Montpellier Occitanie s’est tenu du 17 au 28 juillet.

Les romances de Marina Viotti

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Pochette de l’album « Porque existe otro querer », de Marina Viotti et Gabriel Bianco. PHOTO APARTÉ

Si Marina Viotti revient régulièrement au Festival international de Musique de Chambre de Provence, ce n’est pas parce qu’elle a remporté les Victoires de la Musique en chant lyrique cette année, mais bien parce que ses qualités vocales lui permettent d’aborder tous les territoires avec la même intelligence et la même justesse.

Son dernier album, concocté avec la complicité de Gabriel Bianco à la guitare, Porque existe otro querer, dessine un parcours au cœur de mélodies françaises et hispaniques, de Gabriel Fauré à Jacques Brel. Les transcriptions pour guitare des accompagnements pianistiques ou orchestraux, sont d’une richesse rare, faisant écho aux pièces composées pour la guitare, comme Madroños (Les arbousiers) de Federico Moreno Torroba (un solo instrumental superbement enlevé) ou semblent évidentes pour cet instrument, comme le sublime Dos gardenias d’Isolina Carrillo, délicieusement souligné par des scansions dues au saxophone de Gerry Lopez, lorsque la voix de la mezzo-soprano ne mue pas la légèreté en emphase dramatique aussi espiègle que prenante.

Tour du monde

Se jouant de la polysémie du verbe espagnol « querer », « vouloir, aimer, quérir, chérir… » la chanteuse, qui rappelle que le titre de l’album est une référence au texte de la mélodie Quiero d’Inès Halimi, explore le thème de l’amour, de la jalousie, de la déception, de la séduction, de la quête, du souvenir nostalgique. Les mélodies puissantes, élégantes, subtiles de Fauré, Massenet, Manuel de Falla, Pauline Viardot (sublime sur un poème de l’écrivain russe Afanassi Fet, Die Sterne, « Les feuilles se taisaient, les étoiles brillaient »), croisent celles de La chanson des vieux amants de Jacques Brel, ou La vie d’artiste de Léo Ferré sur laquelle la voix récitante magnifie le texte et insuffle toute sa conviction aux paroles « moi je conserve le piano, / Je continue ma vie d’artiste ». La voix lyrique épouse avec aisance et simplicité chaque univers. L’Espagne des Siete Canciones populares de Falla répond aux quatre mélodies de Fauré, traverse l’Atlantique pour la merveilleuse Historia de un amor de Carlos Aleta Almarán (Panama). Un petit clin d’œil à l’Italie avec La danza de Rossini ajoute sa verve malicieuse sur un rythme de tarentelle et l’on regarde les étoiles aux côtés de Pauline Viardot… Un petit bijou de finesse composé de 22 tableautins ciselés !

Maryvonne Colombani

« Le Cid » prend un coup de jeune

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Deux beaux et jeunes acteurs au service d’un trentenaire célèbre : Pierre Corneille. PHOTO DR

Après avoir écrit de joyeuses comédies, Pierre Corneille s’attèle à une tragi-comédie : Le Cid. Il n’a que trente ans lorsqu’il écrit ce chef d’œuvre qui, aujourd’hui encore, passionne la nouvelle génération. Il circule en effet dans cette pièce un souffle juvénile où l’on s’aime à en mourir, où l’on manie l’épée pour une simple gifle, où l’on part au combat pour accrocher victoire et honneurs concomitants. Rodrigue et Chimène, héros légendaires, voient leur amour contrarié par l’égoïsme, l’intransigeance bétonnée par la notion d’honneur de leurs pères respectifs. L’un insulte l’autre. Le fils doit venger cet affront dans le sang au risque de perdre sa belle… et sa gloire guerrière. Fameux dilemme cornélien !

De la musique aussi

Pour redonner vie à ces amours difficiles, Marc et Claire-Estelle proposent un arrangement en jouant de larges extraits de la tragédie. Ils laissent le soin à Don Sanche (le rival malheureux de Rodrigue) de résumer la situation. C’est diablement efficace et peut donner l’envie aux nouveaux spectateurs de se plonger dans l’univers cornélien magnifié par la beauté des alexandrins, la psychologie rigide des héros embarqués malgré eux dans des situations tortueuses. Grâce à leur jeunesse, leur beauté et surtout leur plaisir évident d’interpréter un tel texte, les deux comédiens rajeunissent une œuvre digne d’un film de cape et d’épée. La mise en scène minimaliste laisse le champ libre aux mots du poète et aux musiques délicates composées et interprétées par Chimène elle-même ! Claire-Estelle aussi à l’aise au piano qu’à la flûte, glisse dans la représentation une élégance douloureuse qui sous-tend les conflits politiques ou amoureux. Les voix sont belles et se répondent à merveille dans les duos les plus célèbres où l’aurait préféré l’absence de piano en accompagnement ; elle dilue la beauté de la musique de Corneille qui n’a guère besoin d’être surlignée.

Jean-Louis Châles

« Le Cid » est donné jusqu’au 29 juillet à 19h au Théâtre des Trois Raisins (Avignon).

La poésie complice d’Aylen Printchin et Lukas Genusias

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Pochette de l’album « Debussy//Hahn//Stravinsky » de Aylen Pritchin et Lukas Geniusas. PHOTO MIRARE

Deux musiciens hors pair pour trois chefs-d’œuvre ! L’album concocté par le violoniste Aylen Pritchin et le pianiste Lukas Geniusas nous embarque dans un voyage qui suit trois compositeurs majeurs des débuts du XXe siècle par le biais de trois œuvres qui marquent aussi l’itinéraire qui a façonné la complicité du duo des deux interprètes. La troisième Sonate pour violon et piano de Debussy les a réunis lors de la demi-finale du concours Tchaïkovski 2019 et le Duo concertant de Stravinsky accompagna leur premier récital, il y a dix ans. Quant à la Sonate en ut majeur pour violon et piano de Reynaldo Hahn, elle est « au cœur de [leur] duo » ainsi que le précise Lukas Geniusas : la poésie du Colloque sentimental de Verlaine (« Dans le vieux parc solitaire et glacé / Deux ombres ont tout à l’heure passé […] / Tels ils marchaient dans les avoines folles, / Et la nuit seule entendit leurs paroles ») y croise une expression élégante et resserrée qui semble charmer l’essence même du temps, l’enveloppant dans l’orbe de ses phrasés.

Dans les tourments d’une époque

C’est ainsi que l’on entend ce diamant taillé après la fluidité foisonnante de la Sonate de Debussy qui convoque pour les deux artistes les vers d’Anna Akhmatova, (« Si vous saviez de quels débris se nourrit / Et pousse la poésie, sans la moindre honte, / Comme les pissenlits jaunes, comme l’arroche / ou la bardane au pied des palissades »). Les désordres de l’âme sont ici coulés dans une sculpture moirée où se dessinent les impatiences, les étonnements, les élans, les exacerbations d’un esprit qui semble chercher à tout appréhender. Le duo devient alors le support unique d’une pensée qui se déverse sur le monde, l’effleurant, le recomposant, unissant dans un même regard la réalité et l’image que l’on s’en fait. Le Duo concertant de Stravinsky éclot ensuite dans la netteté de ses orchestrations, de sa rigueur quasi mathématique et pourtant (ou sans doute en raison de), d’une émotion complexe et vive où affleurent les bouleversements du monde à l’instar de ceux d’une psyché en proie aux tourments d’une époque. La fragilité des deux compositeurs précédents qui rend compte, en misant sur un sentiment d’étrangeté, des remuements tragiques des débuts du XXe, se replie sur les échappatoires du rêve, reste sensible dans l’acharnement des cordes, des rythmes marqués du piano, leurs assoupissements, leurs hésitations, leur finesse marmoréenne. La fusion spirituelle des deux instrumentistes permet une transmutation de la matière en idéal. On est subjugué par la beauté de l’ensemble.

Maryvonne Colombani

Lukas Geniusas est en concert le 31 juillet au Festival international de piano de La Roque d’Anthéron.

Quand « Avant le soir » ose la science-fiction

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Les comédiens de « Fahrenheit 451 » au milieu du public réuni au square Labadié. PHOTO MAIRIE 1-7

Le roman de Ray Bradbury compte parmi les plus célèbres du domaine de la science-fiction, y compris par ceux qui ne l’ont pas lu. Plus nombreux sont ceux qui l’ont découvert à travers l’adaptation de François Truffaut, signée en 1966, soit treize ans après la parution du best-seller. Comme avec toutes les dystopies de cette époque, on est frappé par son actualité – montée des fascismes, des inégalités sociales, du virtuel, de la guerre – mais aussi par ce qui n’a pas été anticipé, en particulier au sujet de la place des femmes et des racisés.

Ainsi la charge que l’auteur signe à l’encontre des digest et autres résumés synthétiques prônés par l’audiovisuel, déclamée avec conviction par Stéphane Pastor, sonne un peu en décalage avec le dispositif. Celui qui pousse la troupe du Badaboum Théâtre à transposer pour la scène ce texte très précurseur en son temps, mais décalé 70 ans plus tard. Pour les exemples de livres « dangereux » bannis par cette société totalitaire, dont La Case de l’Oncle Tom perçu par Ray Bradbury comme un brûlot anti-esclavagiste, quand sa réception aujourd’hui est tout autre ; ou pour ceux qu’ambitionnent de sauver les marginaux en les apprenant par cœur, qui incarnaient alors la modernité, mais n’évoquent aujourd’hui que le siècle dernier, exclusivement masculin…

Le goût du théâtre

Cela est d’autant plus dommage que la mise en scène d’Anne-Claude Goustiaux ne manque ni d’idées, ni de pertinence, et qu’une très légère adaptation de ces références suffirait en actualiser sa création, très ambitieuse ! Le goût du théâtre et du romanesque transpirent de cette pièce rythmée par l’électro joliment rétrofuturiste de Phabrice Petitdemange. Les voix non amplifiées des comédiens nous parviennent de part et d’autre du parc, rappelant l’essence d’un théâtre sans artifice et affectation. Face au Montag troublé incarné avec tendresse par Frédéric Schulz Richard, les personnages campés avec une énergie communicative par Stéphane Pastor, Sophie Pichon et Peggy Péneau font mouche – mention spéciale à l’épouse apeurée maîtrisée à la perfection par cette dernière. De quoi redonner de la saveur, sinon à la science-fiction et à la dystopie, à ce goût-là du jeu.

Suzanne Canessa

« Fahrenheit 451 » est rejoué ce vendredi 28 juillet au square Labadié et mardi 22 août au Jardin Benedetti (Marseille).

Des cœurs gros comme ça

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Cinq merveilleux acteurs caressent notre imaginaire avec « Amour ». PHOTO GUILLERMO CASAS

Deux petites filles habitent dans des maisons mitoyennes. Elles jouent, se disputent, se réconcilient aussi vite, et laissent courir leur imagination, entraînant avec elles celle des spectateurs. Ici tout est suggéré : quelques morceaux de craie dessinent des objets qui prennent vie : sonnette de porte, radio et même toilettes ! Masqués, les comédiens ne diront pas un mot ; seuls leurs corps bavardent, leurs attitudes trahissent leurs émotions et leurs pensées. Les acteurs, enfants turbulents, retrouvent les gestes enfantins, leur maladresse, leur spontanéité et leur désir d’imiter les adultes. Des querelles sans importance, des réconciliations attendrissantes succèdent aux éclairs de jalousie. Les petites amies jouent mais la venue d’un petit garçon suffit à les séparer avant de les réunir.

Pièce précieuse

Magie du théâtre, en un éclair, les années leur tombent dessus et les voici vieilles dames, toujours aussi querelleuses, toujours aussi complices. Les mouvements s’alourdissent, le cœur est toujours vaillant. Dans un décor mobile en structures métalliques et tiroirs secrets, très finement éclairé, la représentation décroche très vite un sourire sur les lèvres des spectateurs, de tous âges, ravis de se laisser embarquer dans cette histoire imagée, où l’esprit gambade, guidé par des souvenirs lointains ou par le temps présent : il suffit de prendre le temps d’observer les jeunes enfants ou les vieilles personnes que nous côtoyons. Une bande-son évocatrice soutient une mise en scène soignée sans être encombrante ni trop démonstrative assurée par Jokin Draji auteur du texte chorégraphié de Amour. Une pierre précieuse dotée d’un cœur gros comme ça, qui brille de sa plus belle eau dans un univers poétique sans jamais être mièvre.

Jean-Louis Châles

« Amour » est donné jusqu’au 29 juillet au Théâtre de l’Oulle (Avignon).

Quand Solaar groove

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Sur la scène de l’amphithéâtre du Domaine d’O à Montpellier, MC Solaar était accompagné de trente musiciens. PHOTO MARC GINOT

À peine est-il monté sur la scène de l’amphithéâtre du domaine d’O, que le voilà généreusement ovationné. Malgré sa relative absence des projecteurs – seulement deux albums en seize ans – MC  Solaar n’a pas perdu son public, au contraire. La salle est comble, 1800 spectateurs de tous âges, avec ou sans cheveux blancs, quelques enfants. Il faut l’avouer, l’invitation était aussi attrayante qu’atypique : sur scène, il est accompagné d’un big band de trente musiciens. Soit une section cuivres, l’ensemble de cordes de l’Orchestre national de Montpellier, une poignée de choristes, deux guitaristes, un batteur. Au clavier, le directeur musical de ce New Big Band project : Issam Krimi, pianiste, compositeur et producteur, montpelliérain depuis plusieurs années, également connu pour avoir porté le projet Hip Hop symphonique avec l’orchestre philarmonique de Radio France.

Hasta la vista

Cette nouvelle orchestration des titres-phares d’un des plus grands poètes du rap français, portée par des musiciens qui ne cachent pas leur plaisir à accompagner sur scène un MC Solaar aussi rayonnant que modeste, met en lumière tout le génie d’un artiste qui a puisé dans la diversité du hip-hop, mais aussi la musique africaine et les classiques noirs américains. Quel bonheur de réécouter en live Prose Combat, Qui sème le vent récolte le tempo, Victime de la mode, Nouveau western ou encore Caroline. Solaar pleure sonne comme une apothéose, MC Solaar insuffle toute l’énergie dont il est porteur, son flow, longtemps timide malgré un timbre reconnaissable entre mille qui n’a pas pris une ride, retrouve enfin du pep’s. La foule danse. Sonotone clôt le bal, clin d’œil au temps qui passe autant qu’acte de résistance face à la morosité des râleurs ridés. Non, on ne baissera pas le son. Et on le montera d’un cran, les bras levés, perfusés à un rap qui n’a pas perdu son sens, tout en envoyant bouler les diktats de la société pour Hasta la Vista. Pas de doute, Solaar pleure, mais son groove demeure.

Alice Rolland

Concert donné le 23 juillet dans le cadre du Festival Radio France Occitanie.

Rocher Mistral : engatse à La Barben

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Vue aérienne du château de La Barben © Georges Somne - Creative commons

Quand on tape « Rocher Mistral » dans un moteur de recherche, il faut faire défiler quelques pages avant de passer les entrées commerciales et touristiques, pour trouver les points de vue plus critiques sur le « Puy du Fou provençal ». Les objections ne manquent pourtant pas au projet de parc de loisirs porté par un jeune entrepreneur, Vianney d’Alançon, sur la commune de La Barben (13), ou il a acquis un château pour y produire des spectacles. Xavier Daumalin est professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’Aix-Marseille ; riverain de la forteresse du XIe siècle, il a répondu à nos questions sur le contexte et les conséquences de cette entreprise.

Zébuline. En tant qu’historien, quel est votre regard sur la programmation du Rocher ?

Xavier Daumalin. C’est un parc qui a pour ambition de transmettre la culture provençale, à travers des spectacles dits historiques. Alors pourquoi pas ? Je n’ai rien contre ce genre de format. Le problème est qu’il n’y a aucun comité scientifique. C’est le porteur du projet actuel, Vianney d’Alançon, qui la plupart du temps écrit les spectacles, sans formation puisqu’il a arrêté ses études à l’âge de 17 ans. S’il reconnaissait qu’il est dans la fiction, comme le fait le Parc Astérix, ce serait différent. Mais à partir du moment où l’on aborde l’Histoire, notamment auprès du public scolaire, il faut être rigoureux. J’habite à 400 mètres, je vois les bus arriver, et cela me questionne.

« Derrière ce parc d’attraction il y a un projet politique »

De quoi ces spectacles traitent-ils ?

La noblesse apparaît toujours aventureuse, le clergé apporte l’éducation au peuple, présenté comme braillard… Il se réfère souvent au « Puy du Fou », tout en expliquant qu’il ne s’agit pas tout à fait de la même chose. Mais ce n’est pas une bonne référence ! Du point de vue historique, Philippe de Villiers y a fait n’importe quoi. Ce qui me tracasse, c’est qu’il y a un enjeu de formation du citoyen, à la citoyenneté, à la démocratie, et c’est dangereux. Il est soutenu par des membres de la fachosphère. Derrière ce parc d’attraction il y a un projet politique, avec une volonté de délégitimer le savoir universitaire, au profit d’une Histoire qui serait plus sensible, plus proche du peuple… 

En tant qu’universitaire, on comprend que cela vous heurte.

Bien-sûr. Cela attaque une connaissance établie au terme d’un protocole rigoureux, de critique, de comparaison et de croisement des sources. Toutes nos sources sont vérifiables, nos notes de bas de pages servent à cela : quiconque veut aller vérifier le peut. Là, c’est quelqu’un qui fantasme l’Histoire, qui utilise ses propres conceptions et projette ce qu’il a envie de transmettre. Il a fait la même chose à Saint-Vidal, un village de Haute-Loire où il a racheté un château et essayé de promouvoir des spectacles dits historiques, avec l’appui de Laurent Wauquiez [président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, ndlr]. Jusqu’à ce que les riverains se plaignent des nuisances sonores, et que cela se transforme en une sorte d’hôtel de luxe.

À La Barben aussi, les riverains se mobilisent.

Il faut savoir que tous les spectacles organisés à l’extérieur du château, dans les jardins à la française ou le jardin potager, sont pratiqués avec des dispositifs scéniques illégaux, jamais validés par la Drac. Cela a fait l’objet de recours en justice. Ce sera jugé le 16 novembre. Un collectif de riverains s’est créé, pour dénoncer les spectacles à ciel ouvert, jusque tard dans la nuit. Deux familles de locataires ont déjà déménagé. Ceux qui sont propriétaires serrent les dents et luttent pour faire en sorte que cette société entre dans la légalité.

Le zoo de La Barben reçoit déjà 350 000 personnes par an. Vianney d’Alançon tablait sur 300 000 dans un premier temps, pour atteindre un million ensuite, en visant surtout une clientèle de touristes étrangers. C’est pour cela qu’il a besoin de grands parkings. On est dans du sur-tourisme, alors qu’ailleurs en Provence, dans les Calanques par exemple, on met en place des opérations de « dé-marketing » pour essayer de le limiter.

« Le projet est hors-la-loi, il pratique la stratégie du fait accompli, mais il a des appuis puissants »

La volonté des associations de protection de la nature est aussi de préserver la faune et la flore alentour ? 

Si la version maximale du permis était validée, cela entraînerait une artificialisation des terres très dommageable sur les berges de la Touloubre, renforçant les risques d’inondation. Concernant les risques d’incendie, nous sommes dans une zone classée en « aléa fort ». Faire venir tant de touristes, c’est aggraver ce risque ! Par ailleurs, il y a eu un rapport de la MRAe [Mission régionale d’autorité environnementale, ndlr] : depuis l’ouverture en juillet 2021, ont été constatées des dégradations sur la colonie de Murins [chauves-souris à oreilles échancrées nichant dans les souterrains du château, une espèce protégée]. L’aigle de Bonelli, rapace emblématique de la région, est également affecté par les pollutions lumineuses et sonores. La question de la biodiversité fait partie de ce qui sera jugé le 16 novembre.

Quelle est la position des pouvoirs publics, notamment les collectivités locales ?

Le maire a pris trois arrêtés de sursis à statuer contre le permis d’aménager. Il considère que c’est un trop gros projet, avec un impact lourd sur l’environnement, et voulait donner du temps à son évaluation. Le préfet a publié un recours contre ces sursis à statuer, et nous attendons incessamment le rendu du délibéré par le Tribunal Administratif. Renaud Muselier, président de la Région Paca, et Martine Vassal, à la tête du Département et de la Métropole, ont soutenu le projet en lui apportant plusieurs millions de subventions. Le député Manuel Bompard a posé une question au gouvernement sur la validité de ces subventions. Cela devient une question politique. 

Le projet est hors-la-loi, il pratique la stratégie du fait accompli, mais il a des appuis puissants, parmi ses actionnaires figure par exemple la famille Dassault.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR GAËLLE CLOAREC

Des poignards pour rire

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Comment décider ce qui est ou non essentiel pour l’humanité ? Pendant deux années, sous l’afflux de mensonges, de peurs distillées par certains médias, on a biaisé les réponses pour laisser « sur le côté de la route » toute l’activité culturelle. Même un acteur de cinéma fort connu a déclaré : « On peut bien vivre un an sans aller au cinéma ». No comment sur ceux qui aiment cracher dans leur potage rémunérateur. Alexis Chevalier, doté d’un optimisme à tout crin, fait confiance à l’imagination de l’acteur, à nos rêves les plus extravagants et interprète avec son co-auteur Grégoire Roqueplo, un duo presque circassien autour d’une affirmation déroutante : Ceci n’est pas une saucisse.

Malice et intelligence

Ils retrouvent l’immortelle complicité du clown blanc et de l’Auguste, attachés à déglinguer les rouages d’une société qui aimerait tant avoir la mainmise sur nos cerveaux. Thibault Truffert met en scène Guigue et Po (leurs noms de scène) avec une délirante habileté, règle au millimètre les gags, les saillies verbales qui font mouche au détour d’une réplique, d’un geste, d’une mimique. Comme chez Ionesco on se dit que tout cela est absurde mais tellement proche d’une actualité si anxiogène. L’air de rien, d’une chiquenaude aiguisée, ils frappent tous azimuts et déclenchent des fous-rires incontrôlables, de ces fous rires qui vous requinquent pour toute la journée, car on a ri de leur intelligence, de leur malice si peu conforme à la bien-pensance. Ébloui par leur talent protéiforme, leur générosité maligne, on se dit qu’avec des lascars de cette trempe, le monde pourrait mieux tourner. Il faut faire confiance aux rêves, surtout quand on démolit des théâtres pour en faire des parkings, des lieux de promenade, des supermarchés et pourquoi pas une chambre froide pour charcutiers vénaux. Si ce n’est pas une saucisse, ce n’est pas non plus une blague.

Jean-Louis Châles

« Ceci n’est pas une saucisse » est donné jusqu’au 29 juillet au Pixel Avignon.