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« Sans frontières fixes » : les voix de l’amer

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Sans frontières fixes © Hugues Castan

Voilà plusieurs années que la partition de Lionel Ginoux attendait d’être portée à la scène. Les chants composés pour baryton, et interprétés avec justesse et brio par Mikhael Piccone, sont d’une limpidité et d’une finesse qui ne peuvent que provoquer l’émotion. Adaptés de textes de l’auteur jeunesse Jean-Pierre Siméon, les chants disent, sans la surligner mais sans non plus l’occulter, la douleur de l’exil, de la migration forcée. Conçu en soutien à SOS Méditerranée, le spectacle pensé par le fondateur du Calms (Collectif des artistes lyriques et musiciens pour la solidarité) adjoint à cette parole littéraire et musicalisée celle des membres de l’association, partis secourir en mer ceux qui risquaient d’y périr. Déclamés avec pudeur par le comédien Corentin Cuvelier, ces témoignages s’adjoignent à une partition instrumentale de très bonne tenue, composée pour l’occasion par Lionel Ginoux en contrepoint avec les chants initiaux. Les musiciennes – Marion Liotard au piano, Marine Rodallec au violoncelle – y insufflent ce qu’il faut de lyrisme et de résolution pour ne pas dénaturer le propos. Ces voix venues de la mer résonnent ainsi sur scène, jusqu’aux parties de témoignage que l’on devine indicibles, voire insupportables. La chorégraphie âpre, physique et d’une expressivité à toute épreuve de David Lliari anime les corps fébriles des danseuses et danseurs : Thomas Barbarisi, Mélanie Ramirez, Samy Mendy et Doumbouya Talaour s’emparent de la scène avec une ferveur et une vérité qui ajoutent de la rage et de l’émotion là où, on le devine, la peur et le chagrin ont déjà pris chez d’autres le dessus. L’apparente simplicité du dispositif ne confine jamais au simplisme, et rares sont les spectacles qui ont cru aux possibles de la musique, de la danse et de l’art en général pour dire ce monde-là. Encore trop rares sont celles qui y parviennent aussi bien.

SUZANNE CANESSA

Sans frontières fixes a été donné le 26 mai au Théâtre Toursky, Marseille.

Dessiner des paysages musicaux

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Festival de Chaillol © Alexandre chevillard

Zébuline. Une curiosité en éveil, une attention aux réalités d’un territoire, des formats qui se renouvellent… Quel regard portez-vous sur l’évolution du festival ?

Michaël Dian. La première édition a été imaginée en 1997, sur un coin de table de la cafétéria du Conservatoire de Paris d’où la plupart des musiciens étaient issus : une liste d’œuvres du répertoire et les noms de quelques copains musiciens. Un petit flyer, bricolé à la hâte, circulait à Chaillol et alentours, photocopié et distribué par l’Office de tourisme de Chaillol. L’organisation était rudimentaire mais c’était plein d’élan et très convivial. Les concerts étaient pleins, un chapeau tournait à la fin et la soirée se prolongeait tard dans la nuit, à la Bagatelle, l’hôtel restaurant de la station. Le Festival de Chaillol a pris forme l’année suivante, lorsque Gérard Blanchard, le maire de Chaillol – il l’est encore – a eu l’idée de rouvrir l’église du Hameau de Saint-Michel, fermée depuis plusieurs décennies. Il s’est passé là quelque chose, une alchimie miraculeuse qui perdure. Qui aurait imaginé que, vingt ans plus tard, nous y accueillerions Françoise Nyssen, ministre de la Culture [de mai 2017 à octobre 2018, ndlr].

Qu’est-ce qui vous a poussé à investir ce territoire, de penser la diffusion et la création sur des modes nouveaux ?

Je passe sur l’histoire familiale qui me lie au Champsaur, il faudrait un livre pour la raconter ! Le Festival de Chaillol est rapidement devenu un événement pour la commune et pour les villages des environs qui se manifestaient pour recevoir un concert, nous faisant pressentir le devenir du projet. L’itinérance est l’une des décisions les plus fécondes que nous ayons prises. Elle a créé une dynamique, un mouvement. Avec Marc Lourdaux et Hervé Cortot, les premiers présidents de l’association, nous avons senti que la relation au territoire était une dimension centrale du projet. Comme artiste musicien, défendre une programmation d’excellence me semblait aller de soi. J’aurais pu en rester là mais j’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui m’ont appris à regarder le paysage au-delà de la carte postale, à comprendre qu’il est une réalité historique, vivante, habitée. Aujourd’hui, ces notions sont dans l’actualité, poussées sur le devant de la scène par la gravité d’une crise systémique qui oblige à repenser nos façons de faire, à imaginer une relation plus juste à nos environnements. J’ai été confronté très tôt à ces sujets en œuvrant avec les gens du pays qui en savaient long sur le sujet et qui ne m’ont pas lâché ! Cela a été une magnifique école de terrain.

Michael Dian © Alexandre Chevillard

La programmation de cette nouvelle édition est d’une grande diversité, fait une large place à la création, un élément constitutif de vos saisons. Elle offre aussi de nombreuses propositions où la musique s’offre autrement. Comment l’avez-vous imaginée ?

Le concert est un moment privilégié, tellement essentiel. Mais aligner quinze propositions, aussi exceptionnelles soient-elles, ne fait pas une saison. Pour qu’émerge un sens, il faut un agencement. Pas de relief sans perspective. Il s’agit de dessiner un paysage en imaginant des circulations parmi les gestes artistiques retenus, choisis amoureusement. Ainsi, apparaît une ligne d’horizon que le regard embrasse, dont les concerts sont comme les sommets. Comme en montagne, ils communiquent entre eux, par des chemins, des résonances qu’il faut révéler et qui sont autant d’invitations à se mettre en marche. C’est le sens du projet culturel que nous portons : donner accès en créant des situations et des modalités de relation à la musique pour que chacun trouve un endroit pour se mettre à l’écoute : ateliers de pratique, méditation en musique, sieste musicales, déambulations au musée, plateau radiophonique en public. L’autre élément tient à la nature de la programmation, qui propose beaucoup de répertoires originaux, avec de formidables qualités d’invention et une salutaire liberté de ton. Aujourd’hui, les artistes incorporent librement les ressources musicales les plus variées, faisant dialoguer des traditions musicales qui étaient longtemps restées encloses. Avant d’être un vocabulaire, la création musicale est une attitude faite de curiosité et d’ouverture au monde, un souffle libre et vital. Aucune grammaire musicale n’est à exclure, toutes peuvent être le terreau d’un geste inédit. C’est l’effet de la révolution numérique qui fluidifie l’accès aux sources, abolit les anciennes hiérarchies, invite à l’hybridation des langages. Proposer un large panorama de ces musiques, ouvrir des chemins, se mettre en route, c’est tout l’esprit du Festival de Chaillol depuis sa création.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARYVONNE COLOMBANI

Festival de Chaillol 
Du 15 juillet au 11 août
Divers lieux du Champsaur, des Sources du Buëch et de Gap-Tallard
09 82 20 10 39 
06 40 11 37 78  
festivaldechaillol.com

Aux rythmes de Papet J

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Huit ans déjà que Papet J n’avait pas sorti de disque sous son nom. Le dernier c’était Raggamuffin Vagabond en 2015. Ce 26 mai dernier, quand Marseille s’embrasait pour célébrer les trente ans de la victoire en finale de la Ligue des champions, une autre étoile marseillaise offrait un joli cadeau à sa ville. Un dernier opus intitulé Pas pressé, dans lequel on retrouve la gouaille joyeuse de Papet, gravée uniquement sur vinyle, comme un retour aux influences reggae des pionniers jamaïcains – même si ce n’est pas un 45t – que l’on distingue aussi, et surtout, dans la musique. 

Tel Prince Buster avant lui, c’est avec son chapeau « pork-pie » que Papet J aime déambuler dans sa ville. Une déambulation qui démarre avec Hé Hé Ho, en ouverture du disque, et où déjà, les principaux marqueurs qui vont rythmer l’écoute sont présents. Du reggae d’abord, installé sans détour par une ligne de basse puissante et engagée, à la limite de la saturation. Et les paroles, où l’artiste invite comme souvent les cultures du monde qui l’entoure à partager une même danse : « Ça chante en occitan, français ou catalan, en basque, en algérien, anglais et castillan, patois jamaïcains, tous les patois italiens, quelque soit le langage ça fait le même bien. »

Prendre son temps

La suite avec Bonne raison, Changer de route et Éléments de langage, où le regard vif mais empathique de l’auteur sur la société est porté par des mélodies toujours emballantes. On s’arrête ensuite sur Pas pressé, le titre éponyme du disque qui, comme son l’indique, ralenti quelque peu le tempo. À l’écoute, on est de suite frappé par le clavier qui ouvre le morceau, et qui revient ci où là plus tard. Une intro qui nous plonge immédiatement dans la nostalgie de nos compilations Trojan, et qui laisse place à un titre particulièrement bien senti, où flow des paroles, lignes de basse, rappellent à l’auditeur pourquoi il aime le reggae. Une musique qui parle au corps et à l’âme, sans les brusquer certes, mais qui peut les chambouler. 

S’il a souvent chanté « pas d’arrangement » avec le Massilia Sound System, on ne peut ici que saluer la qualité de ces derniers. Car ce disque, plutôt épuré et donnant toute sa place à la voix, la basse et les percussions, est saupoudré de quelques artifices sonores, légers mais donnant un relief certain à l’ensemble. Un travail juste, né de la collaboration avec Grégory Lampis alias Puppa Greg, propriétaire du 149 Studio, où le disque a été enregistré, et Moussu T à la direction artistique. Une association qui a donné naissance à un disque à la fois simple et efficace, où l’on retrouve Papet J là où on il nous avait laissé, et exactement à l’endroit où l’on espère le retrouver très vite. 

NICOLAS SANTUCCI

Pas pressé, de Papet J
Manivette Records / Baco distribution – 22 €
À venir
30 juin : Festival Marseille se renouvelle 

Angelin Preljocaj et la jouissance de la torpeur

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Annonciation © JC Carbonne

Zébuline. Pourquoi reprendre Noces, créé en 1989, et Annonciation, créé en 1995 ? Quel intérêt prenez-vous à reprendre ce répertoire ancien ?

Angelin Preljocaj. Le thème de Montpellier Danse 2023, « Répertoire et création », recoupe une de mes préoccupations anciennes. J’ai toujours eu besoin de mettre en perspective ce que je suis en train de faire avec des répertoires, le mien ou d’autres. Et puis, une œuvre n’existe que si elle est donnée, et je pense qu’il est dommage de laisser mourir tant de pièces qui ont été créées avec de l’argent public, et donc lui appartiennent. Diffuser le patrimoine est important, et donne à la danse une épaisseur historique qui lui manque souvent. Les diffuseurs veulent avoir des créations, des premières… Cela n’est pas très écologique, cela coûte cher en décors, costumes, lumières, il faut s’interroger aujourd’hui sur ce mode de production et de diffusion du spectacle vivant, pour des raisons écologiques et budgétaires.

En dehors de ces raisons de directeur de ballet, vous avez sans doute des motifs plus artistiques, plus personnels, pour reprendre ces deux pièces…

Bien sûr. J’aime mes interprètes, qui apportent beaucoup à mes œuvres. Le sens d’une pièce s’épaissit des différentes incarnations qui viennent l’habiller, la transformer. Un pianiste aujourd’hui qui jouerait Bach comme Glenn Gould aurait l’impression de bégayer, mais un qui jouerait sans connaître Glenn Gould passerait à côté d’une vision désormais essentielle à sa compréhension. Il en est de même pour la danse, mais on le sait moins. Chaque interprète lui apporte une inscription dans le temps, dans l’époque. Et rien ne marque mieux l’époque que le changement des corps.

Justement, concrètement, qu’est-ce qui a changé dans Noces ? 

C’est très étrange. La pièce est exactement la même, je n’ai pas changé un pas. Mais dans le rapport homme-femme, la violence est encore plus forte. La pièce met en scène un rapt sur la musique très tellurique de Stravinsky. L’assujettissement des femmes en est le sujet. J’y suis très sensible, cet état de société me révolte, j’ai une mère, quatre sœurs une femme et deux filles, comment ne pas l’être !

Aujourd’hui, par rapport à 1989, ces sujets des violences faites aux femmes sont médiatisés et combattus. Mais l’assujettissement continue, la sauvagerie est toujours là. Les danseuses aujourd’hui s’en emparent avec encore plus de panache.

« Je cherche une grammaire de l’hébétude, un rythme, une dynamique de l’indolence »

Est-ce du même ordre pour Annonciation ? Le duo est plus intime et plus intemporel…

Annonciation c’est une forme à habiter qui dépend davantage encore des interprètes. Les Annonciations sont toujours peintes dans des jardins clos, qui symbolisent la virginité de la Vierge à qui l’Ange vient annoncer qu’elle porte l’enfant de Dieu. Cet espace est scénographié avec un tapis rouge, qui symbolise le ventre, le sang. Lorsque l’Ange pénètre cet espace réduit, contraint, intime, il a la forme d’une femme. Je ne voyais pas un homme pénétrer cet espace.

L’ambiguïté de genre de l’Ange est-il le même aujourd’hui ? Vous avez eu des interprètes très intergenres, à l’époque on disait androgyne. Comment cela résonne t-il ?

L’Ange a une gestuelle immédiatement martiale. Son arrivée est une déflagration, qui s’entend dans la musique. L’espace ne peut pas contenir un tel être, il vole en éclat. Comme le temps. On est dans une réalité quantique, dont la durée varie selon les protagonistes, une éternité, un instant. Tout est dans les mains, les corps, les gestes des danseuses. Tout cela est très précis, et doit être extrêmement habité. Bien sûr, pour chaque duo, c’est une création.

Une autre pièce sera créée justement. Vous pouvez nous en dire un mot ? Son titre à quelques jours de la création ?

Le titre est Torpeur, et la pièce, qui est une petite forme sans décor, explore cet état de corps. J’ai toujours aimé chercher de ce côté-là. Ma danse est plutôt vive, j’aime bien chercher ce qui peut contrer cela, explorer le poids dans Gravité, l’extase dans Near Life Experience. Là je cherche une grammaire de l’hébétude, un rythme, une dynamique de l’indolence. J’ai besoin de tracer les choses dans les corps, que l’émotion surgisse de la forme et pas de l’affect. Les corps de la danse peuvent parler directement aux corps des spectateurs si on parvient à cela. Alors j’alourdis, je ralentis, j’épaissis. Je vois ce que cela donne, l’effondrement d’un corps. Un effondrement volontaire, consenti, une jouissance de la torpeur. Celle qui nous saisit quand il fait très chaud, que l’on n’a pas envie de bouger, et que le plaisir qui en découle est immense…

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL

Noces, Annonciation, Torpeur
20 et 21 juin
Opéra Berlioz
Le Corum, Montpellier

Spectacles donnés dans le cadre de Montpellier Danse, qui se tient du 20 juin au 4 juillet.

montpellierdanse.com

Nathalie Négro, touches créatives

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Nathalie Négro © Lily Sadin

Zébuline. Pourriez-vous évoquer votre parcours ? 

Nathalie Négro. Ne m’a jamais quittée la boulimie de faire, de produire, de m’enrichir de contacts, de rencontres, de concerts, de créations de spectacles. Pianiste classique et contemporaine, j’ai voulu développer mes propres projets artistiques et mes expérimentations. Il a fallu que je crée mon propre espace, un peu comme dans Une chambre à soi de Virginia Woolf, [rires] afin d’initier des rencontres, faire du spectacle vivant, expérimenter, croiser les genres musicaux et ceux du spectacle vivant. 

Est-ce parce que vous êtes une femme ?

Sans aucun doute. Nous sommes obligées de créer notre propre espace, parce que femmes, car aucun espace n’a été pensé pour nous. Nous sommes obligées d’inventer notre place, de la fabriquer de bout en bout. Toute la compagnie de Piano and co est traversée par un engagement féministe. C’est pour cela que pour 80 000 000 vues je me suis inspirée d’une héroïne féminine. Il faut qu’il y ait des modèles auxquels s’identifier, des modèles positifs et forts, pas des victimes ou des objets… 

Est-ce pour cela que la transmission occupe une grande place dans votre travail ?

La création et la transmission sont indissociables. La pédagogie a toujours fait partie de mon travail et en même temps j’ai participé à beaucoup de créations, j’ai créé des festivals dans de petites communes alpines (2007-2012) autour de compositeurs et compositrices d’aujourd’hui. Je suis très attachée au travail qui s’articule sur un territoire, de l’occuper, quel qu’il soit. En 2007, j’ai fondé un festival dédié à la création au féminin. C’était dans la foulée de la bombe qu’a été la sortie du rapport de Reine Prat en avril 2006, premier écrit officiel sur des questions de genre publié par le ministère de la Culture. J’ai alors travaillé sur la visibilité des femmes, recensé par des chiffres sexués les pratiques internes des conservatoires (direction, enseignement, œuvres abordées…). Ce n’était pas encore un sujet à l’époque, et faute de moyens, j’ai arrêté, mon équipe de Piano and co était trop petite. Aujourd’hui, elle s’est étoffée avec des personnes magnifiques. 

2013 a aussi été une année très importante. Dans le cadre de MP13, Piano and co a pris son envol grâce à un opéra-slam, 80 000 000 de vues, qui évoquait l’histoire d’Asmaa Mahfouz, cette jeune égyptienne qui a appelé les Égyptiens par le biais d’une vidéo postée sur le net le 18 janvier 2011 à se rassembler place Tahrir. Ce spectacle a permis des appels à résidence, j’ai travaillé durant quatre mois sur le territoire de Dunkerque. Le projet reposait sur une mise au service du territoire des artistes (centres sociaux, camps de migrants, écoles, prisons, hôpitaux…). Cette « utilisation » des artistes de cette manière a été déterminante pour mes propres choix. Pour résumer, en 2021 Piano and co a été la première compagnie conventionnée en Paca dirigée par une femme ! C’est pour cela que j’ai repris le sujet de 2007 à propos de la visibilité des femmes. 

Une relation particulière avec les publics ?

Oui, le public doit être impliqué, il s’agit de de vivre ensemble l’instant. Avec la pièce de Terry Riley, In C, interprétée par cinquante jeunes musiciens européens dans la salle des rotatives de La Marseillaise dans un dispositif en mouvement, il y eut un lien intime entre partition, écoute, lieu… Chaque fois je m’adapte au lieu en essayant de casser le rapport frontal entre la scène et le public. J’essaie d’exploser le plafond de verre des femmes et le quatrième mur de la scène [rires]. 

Il s’agissait aussi d’un projet européen (Europe in C). Pouvez-vous nous parler de Musical Bounce Back ?  

Ce nouveau projet est né durant la crise sanitaire, il est cofinancé par le programme Erasmus + de l’Union européenne. Résilient et fédérateur, il s’est appuyé sur un processus innovant (connexion à distance par le LoLa (Low Latency system) qui permet de jouer et répéter avec d’autres à distance) et réunit Arménie, Chypre, Grèce, Portugal et France sur un modèle horizontal. Il comprend un kit pédagogique et des commandes à des compositrices de ces pays. Dans chacun d’entre eux, un travail est mené pour découvrir ou redécouvrir le matrimoine musical ainsi qu’une sensibilisation à l’égalité hommes/femmes au sein des établissements d’enseignement musical. En 2024, le projet s’achèvera à Marseille par un final d’une semaine avec conférences, rencontres, concerts, tables rondes, sensibilisation avec des élèves, expositions photo, films, et, on l’espère avec la sortie du disque de Trio and Co, contenant en fil rouge les créations des compositrices rencontrées tout au long du projet. 

Une sororité musicale… 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARYVONNE COLOMBANI

Trio and co 
23 juin 
Cité de la Musique, Marseille
pianoandco.fr
citemusique-marseille.com

Festival du film d’Artiste : de Cannes à Marseille

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Light attaching to a girl

Pour sa 13e édition, le Festival du film d’Artiste (AVIFF) s’installe à Marseille, au cinéma Les Variétés, les 24 et 25 juin. Un rendez-vous qui se présente comme « une 3e voie/voix entre cinéma et audiovisuel, œuvre cinématographique et œuvre d’art contemporain. » Il propose vingt films, sans format ni thématique imposés, sélectionnés parmi les 400 reçus. Des films réalisés par des artistes venus d’Allemagne, Finlande, Estonie, Danemark, Chine, Taïwan, Japon, États-Unis, Liban et France. Parmi ces films, trois ont été primés par un Jury à Cannes les 21 et 22 mai derniers et deux ont eu le prix « Coup de cœur ».

Les primés
Light attaching to a girl (États-Unis) de Laina Barakat suit Clare, étouffée par un père autoritaire et deux sœurs aînées, qui essaie de s’échapper. Finding my color, sera projeté en présence du réalisateur Junji Kojima et de sa fille : pour Yui, une jeune fille de quatorze ans, peindre des images avec différentes couleurs est son seul moyen d’être elle-même. Dans Vividream de Matteo Di Loreto, entre rêve et réalité, une jeune fille se retrouve dans le public du Théâtre Royal Danois et découvre qu’il y a d’autres personnes avec elle. 

Les Coups de cœur 
Behind the Shield, un portrait filmique de la ville de Beyrouth au cours des trois dernières années sera présenté par sa réalisatrice Sirine Fattouh. Et Atlas O Phoenix sera là pour Ordinary, un essai personnel et expérimental, qui pose la question : « Vos yeux ont-ils vraiment vu (moi ?) ».

Pour découvrir les quinze autres films, narratifs, expérimentaux, documentaires ou animation, rendez vous au cinéma Les Variétés (Marseille) ces 24 et 25 juin.

ANNIE GAVA

AVIFF
24 et 25 juin
Les Variétés, Marseille
art-film-festival.com

Un monde flottant sans gravité

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Chutes d'étoiles, par Geneviève Gleize, François Viol & Christine Ferrer. © Campredon

La ville de L’Isle-sur-la-Sorgue dévoile son nouveau « projet culturel moderne et adapté aux enjeux contemporains ». Rebaptisé Campredon art & image, le centre d’art présente désormais « une seule exposition thématique et collective annuelle de plusieurs artistes d’univers variés ». Pour ce changement de cap, il a réécrit son identité visuelle et fermé ses portes durant un an pour des travaux de rénovation patrimoniale. Sa réouverture laisse place à l’exposition (Zéro) gravité qui, comme son titre l’indique, évoque l’apesanteur, le temps suspendu dans ses représentations photographiques, immersives et numériques. 

Illusoire 

Sur les 21 artistes invités à partager leurs expériences extatiques, la Compagnie Adrien M & Claire B fait de ses Mirages & miracles une installation participative où le dessin croise la manipulation, où la tablette provoque le trouble du réel.Des traits finement sculptés dans le papier, des galets à la douceur naturelle, des images animées dès lors qu’on manipule l’outil numérique : quel sens donner au réel ? Quelle perception ? La démarche est ludique mais est-elle nécessaire tant le duo pierres-dessins inertes se suffit à lui-même… Dans son Arbre ciel, Stéphane Guiran nous invite à toucher l’infini dans un espace sonore broyé de noir absolu, transpercé par de longues mèches lumineuses, sans début ni fin. Comme un lien intangible entre ciel et terre.

Les envols photographiques de Forgetmat, Bernard Plossu, Renaud Marion ou Jacques-Henri Lartigue comme les anamorphoses de Geneviève Gleize ne nous font guère décoller de la réalité objective. On aurait aimé plus de distanciation avec le sujet dans le choix des œuvres : d’apesanteur, certes il en est question, mais de manière trop littérale. Ici pas de voyage mystique ni de spiritualité, seuls les principes physiques et la gravitation stricto sensu…

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

(Zéro) gravité
Jusqu’au 8 octobre
Campredon art & image
l’Isle-sur-la-Sorgue
04 90 38 17 41
campredonartetimage.com

L’Opéra de Marseille chérit ses Huguenots

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© Christian DRESSE 2023

Interrogé récemment au sujet du grand retour de Meyerbeer sur les scènes françaises, et plus particulièrement de ses Huguenots, Maurice Xiberras répondait que l’absence de cet opus magnum étaient avant tout due à l’absence d’interprètes adéquats pour ses rôles particulièrement exigeants. Et les vocalises acrobatiques, échevelées et truffées de virelangues – « plus blanche que la blanche hermine » – ont de quoi lui donner raison. Seuls des chanteurs et chanteuses doté·e·s d’un ambitus mais également d’une diction hors pair pouvaient s’affranchir d’un tel exercice, qui mobilise ses interprètes sur près de quatre heures et demie de spectacle. De tous les actes et quasiment de tous les plans, le Raoul d’Enea Scala possède le timbre et les qualités d’articulation idéales pour ce répertoire. Rare non francophone de la distribution, il brille pourtant sur les voyelles les plus nasales et sur les nombreuses consonnes, et sait déployer l’énergie et la fougue que réclament le personnage, seul protagoniste mobilisé sur les cinq actes. 

Peu de surprises

Ses camarades de jeu masculins brillent également sur des partitions très exigeantes : Marc Barrard est un comte de Nevers impeccable, et François Lis un comte de Saint-Bris de très bonne tenue. Nicolas Courjal ravit l’auditoire sur le moindre de ses airs, fort de graves assez ahurissants et d’une présence scénique inimitable, qui rend tangible l’évolution psychologique de son Marcel. La distribution féminine est peut-être plus brillante encore : habituée des lieux – et on ne s’en plaint pas ! – Karine Deshayes campe une Valentine irréprochable. Les performances vocales de la soprano roumaine Florina Ilie et Eleonore Pancrazi sont également ahurissantes, et insufflent ce qu’il faut d’ambiguïté au duo constitué par Marguerite de Valois et son page. L’orchestre, dirigé par José Miguel Pérez-Sierra, se révèle lui aussi très à l’aise sur ce répertoire qu’il commence à bien connaître.

Reste qu’on pourra trouver dommage que tant de grands musiciens et interprètes soient mobilisés sur une œuvre si peu riche en grands moments, scéniques comme musicaux. La mise en scène de Louis Désiré, épurée mais cohérente plastiquement parlant, ne rend cependant pas plus clair le déroulement déjà très confus du livret. Les émois des personnages, à mille lieues du sérieux que le sujet invoque – celui du massacre de la Saint-Barthélemy – n’atteignent jamais le spectateur. Parfois saisissante, la musique ne réserve cependant que peu de surprises… ou de moments de grâce.

SUZANNE CANESSA

Les Huguenots été donné du 3 au 11 juin à l’Opéra de Marseille

Dupouy, à la croisée du poétique et du politique

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London Lovers, 2009 © Raphaël Dupouy

Raphaël Dupouy a fait son premier « tour du monde » en 1989, il avait 26 ans. Et déjà il photographiait tout ce qu’il découvrait. Sa préférence ? Les mégalopoles : New York, Shangaï, Tokyo… dont il révèle l’extraordinaire vitalité dans un corpus d’images « agitées » où le mouvement est omniprésent. Celui de la vie et du temps qui passe, celui de la fureur et de la vitesse des métros et des avenues bondés, des fast-food et des enseignes électriques, dans un savant exercice photographique qui croise temps réel et symbolique. Une sorte de fuite en avant permanente qui l’a projeté sur les routes à la rencontre d’autres modes de vie. 

Palpitation intérieure

Son autoportrait en noir et blanc, en argentique comme il se doit, en témoigne dès 1989. 

Depuis, le photographe n’a jamais cessé de voyager, à Londres, Lisbonne, Tunis, entre deux parenthèses au Lavandou, son port d’attache, habité par la même envie « de mettre du sens dans ses prises de vue ». Et qu’importe l’appareil car le sujet lui importe plus que les performances technologiques : « c’est la mise en abime du réel qui m’intéresse depuis mes débuts ». Un champ d’expérimentations infinies qu’il poursuit en traquant des visages, des vitrines, des autos, des tags et autres graffitis qu’il aime à superposer. C’est ce que l’on croit au premier rager : la superposition, la reconstruction, l’inversion. Mais c’est tout autre chose dans l’intention comme dans le processus, il s’agit pour lui de flouter le réel, de lui apporter une autre dimension, plus poétique ou plus onirique, moins documentaire, en travaillant sur le temps d’exposition de la pellicule. Avec « une part d’aléatoire totalement revendiquée », notamment dans la multi-impression au moment de la prise de vue, qui donne à ses tirages un supplément d’âme. Une palpitation intérieure. Seule exception dans son exposition L’Envers du décor, l’île de Port-Cros, là encore une réalité tronquée, annonciatrice d’un nouveau rêve : arpenter l’île pour en offrir sa propre vision subjective, sensible. Loin du tumulte des villes.

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

L’Envers du décor
Jusqu’au 24 juin
Espace Cravero, La Garde (83)
04 94 08 69 47
le-pradet.fr

La Révolution prend son temps

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Nos ailes brûlent aussi - Myriam Marzouki © Christophe Raynaud De Lage

Depuis 18 ans Les Rencontres à l’Échelle œuvrent, patiemment, à l’ouverture vers les artistes des pays post-coloniaux. En découvrant et en produisant des spectacles forcément différents, en les programmant sur les grandes scènes marseillaises, Julie Kretzschmar et quelques autres ont ouvert la voie à une diversification de nos représentations, qui se généralise aujourd’hui, enfin. Et bouleverse nos regards, sur l’histoire mais aussi sur le théâtre.

Liberté et traumastismes

Ainsi, on peut considérer que Nos Ailes brûlent aussi aussi n’est pas un spectacle complètement réussi, au rythme mal réglé, hésitant dans sa forme. Et, ou, être bouleversé par cette reconstitution distanciée de la Révolution Tunisienne. Myriam Marzouki créé au cœur d’une Histoire en train de s’élaborer, et c’est la place juste pour parler de cette Révolution avortée et trahie. La fuite de Ben Ali, victoire initiale, ne permet pas de construire une démocratie, dans un petit pays où le désir de liberté et d’égalité se heurte aux traditions, à la religion, mais aussi aux traumatismes d’une population marquée par la faim et la torture. Un pays que l’on quitte, même si « la Révolution prend son temps », et que ce mouvement premier donne l’espoir qu’une suite adviendra un jour, malgré la dictature revenue.

Dans la salle du Zef, pleine à craquer d’un public jeune et divers, on entend rire ceux qui comprennent l’arabe, visiblement nombreux, et on regrette un peu que tout ne soit pas traduit. La partition gestuelle en revanche est suivie par tous : ces sièges de fortune que les trois révolutionnaires doivent partager malgré leurs désaccords, ces cendres qui recouvrent la scène lorsque tout cela échoue, le désir de franchir la mer et de fuir, la partition nouvelle que l’on essaie d’écrire ensemble. Des symboles clairs, installés un peu trop longuement pour un public qui n’est pas entièrement au fait de l’actualité tunisienne, et aurait sans doute besoin d’un texte, par endroits, moins allusif et plus incisif.

AGNÈS FRESCHEL

Nos Ailes brûlent a été donnée le 8 juin au Zef, scène nationale de Marseille dans le cadre des Rencontres à L’Échelle qui se poursuivent jusqu’au 17 juin