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Côté Cour : Lorsque la harpe rencontre la flûte, que se disent-elles ?

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Les festivals s’annoncent, les programmes longuement concoctés livrent les secrets de leurs soirées. Les présentations se succèdent, cherchent à donner un avant-goût aux possibles publics. Il y a tant de spectacles sur la région ! Difficile d’effectuer un choix !

Le tout jeune festival Côté Cour organise (déjà !) grâce à ses fondateurs, les musiciens Marie Laforge (flûte traversière) et Léo Doumène (harpe), sa troisième édition, investissant le territoire aixois de Pertuis à Puyricard en passant par Venelles et Aix-en-Provence. 

Ces deux passionnés offraient en guise d’introduction aux délices chambristes de l’été un duo harpe et flûte évoluant sur « le fil rouge de la danse ». Comme une évidence le concert débute par une sonate de Jean-Sébastien Bach. « Avec lui s’achève la période baroque et commence la musique classique », sourit Léo Doumène qui présente avec finesse chaque pièce, précisant les transpositions : la Sonate pour traverso et clavecin devient pour flûte traversière et harpe, déclinant les élans mesurés de la Sicilienne dont le rythme ternaire n’est pas sans évoquer la valse (la célébrissime Valse du Parrain de Nino Rota est une Sicilienne). Les phrasés souples de la flûte se posent sur les fantaisies élégantes de la harpe. Le jeu fluide des deux complices s’accorde sur la danse populaire de la Suite en duo de Jean Cras (ce marin inventeur de la « règle Cras » et musicien), mime un orchestre traditionnel, s’orientalise, épouse les mouvements de l’eau, converse avec une spirituelle légèreté avant de traverser l’océan pour redécouvrir le Nuevo Tango de Piazzolla, plonger dans l’atmosphère embrumée des cafés de Buenos Aires avec des extraits de L’Histoire du Tango du compositeur argentin, esquisser quelques pas de danse, évoquer les origines de cette danse emblématique par le superbe Bordel 1900 qui décrit le tango dans les maisons closes du début du XXe où il est né avec ses mélodies provocantes, sa vivacité, ses rythmes ostinato à la harpe qui se transforme en instrument percussif. 

Auparavant, le duo avait interprété Café 1930 (deuxième mouvement de cette œuvre), plus à écouter qu’à danser, déployant arpèges et ornementations à la harpe (transposition de la guitare) sur les expressives modulations de la flûte. L’inventivité éloquente d’Entr’acte de Jacques Ibert venait clore ce moment musical, prélude à un été qui s’annonce particulièrement riche et comptera une création, mondiale par essence, du compositeur Apparailly pour le Trio Moïra, (Marie Laforge, Léo Doumène et Raphaël Pagnon, alto).

MARYVONNE COLOMBANI

Concert donné le 19 mai dans la salle des mariages de la mairie d’Aix-en-Provence.

À venir

Côté Cour du 2 au 6 août, à Aix-en-Provence, Puyricard et Venelles. 

Voix de femmes, voix du monde…

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On pourrait commencer par le dernier ouvrage de Jean DarotL’enfant don, tout juste sorti des presses pour les éditions Passiflore, une histoire très poétique et humaine composée à partir d’observations ethnographiques dans les Pyrénées menées par Isaure Gratacos (Femmes pyrénéennes, un statut social exceptionnel en Europe, éditions Privat) qui ajoute au livre une passionnante postface où elle expose les principes d’un « vivre sociétal précurseur qui ignorait les différences de genre en une anticipation bimillénaire sur les sociétés contemporaines » (déjà le géographe et historien grec, Strabon (60 av. J.-C., @ 20 ap. J.-C.) notait leur gestion proche d’une « autodétermination collective »). 

Jean Darot s’empare de la description étonnante dans les sociétés patriarcales européennes du fonctionnement particulier de la société montagnarde de quelques vallées où le droit d’aînesse, mais sans distinction de sexe, permet de préserver les « maisons-souche » qui forment la base de la vie communautaire, avec des réunions des chefs (hommes ou femmes, les aînés) de famille. Ces derniers n’ont d’ailleurs pas le droit de se marier entre eux afin de préserver la pérennité de cette structure, et ne peuvent épouser que des cadets. 

Le récit débute à l’été 1938, sur une scène de retour : Adam, l’enfant, revient de la guerre d’Espagne. Une série d’analepses reconstitue son histoire, celle de ses parents, les biologiques et ceux qui l’ont reçu en don. Langue en épure pour une narration bouleversante d’humanité, de partage, d’empathie… le texte déroule ses orbes avec la simplicité de l’évidence, il n’est pas d’héroïsation, d’états d’âme vains, juste une réponse humaine à la douleur. Seuvia, fille aînée, tête d’une maison-souche, décide avec son époux de porter un enfant afin de remédier à la détresse d’un couple-ami qui ne peut concevoir. Cette profondeur d’émotion, cette logique de survivance se retrouvait, portée par le même style, charnel, ancré dans la réalité des choses, (écho de certains textes de Jean Giono) dans L’homme semence publié par les éditions Parole en 2006. 

L’Homme Semence

L’Homme Semence recèle le témoignage de Violette Ailhaud, née en 1835 et morte en 1925 au Saule mort, hameau du village du Poil dans les Basses-Alpes (aujourd’hui Alpes-de-Haute-Provence). Une enveloppe de sa succession ne pouvait être ouverte par le notaire avant l’été 1952 et uniquement par l’aîné des descendants de Violette, et de sexe féminin, ayant entre quinze et trente ans. Une certaine Yveline âgée de vingt-quatre ans aurait alors hérité de l’enveloppe et du texte qu’elle contenait, et l’aurait confié aux éditions Parole en 2006, maison dirigée alors par Jean Darot, son fondateur. 

Le livre a un tel succès que de nombreuses troupes de théâtre vont s’en emparer, qu’il sera adapté dans le film Le Semeur, (sorti le 27 septembre 2017) réalisé par Marine Francen, et sera traduit dans de nombreuses langues (on peut souligner celle en anglais par Nancy Huston). Le sujet est aussi lié à l’Histoire : le coup d’État du 2 décembre 1851 de Louis-Napoléon Bonaparte déclenche la révolte de nombreux républicains et des soulèvements jusque dans les campagnes où s’exercera une violente répression, les hommes sont tués, emprisonnés, déportés (la plupart en Algérie). Nombreux sont les villages où les femmes restent seules. Dans le village de Violette, les femmes font un pacte : le prochain homme qui viendra sera leur mari à toutes afin que le cycle de la vie continue… ce sera « l’homme-semence ».

L’histoire, puissante, poignante, est aussi étudiée au lycée. Le 17 mai dernier, la classe de terminale spécialité Histoire des Arts de Madame « K » (Madame Kmieckowiak) recevait au lycée international de Luynes la comédienne et musicienne Kimsar pour son adaptation de L’Homme Semence. Au rythme foisonnant des phrases qui épousent avec souplesse les diverses tonalités de la narration, se greffe l’imaginaire musical de Kimsar. Les sons accordent leurs prolongements aux mots, leur offrent un écrin subtil, offrent leur langage, commentent, ajoutent, amplifient, ironisent parfois, espiègles, se refusent à la paraphrase, mais nimbent l’univers poétique de leur palette variée, guitare rêveuse, percussions haletantes, tempo de slam, lyrisme emporté, ton du guide local… On se laisse porter par un texte que l’on a déjà lu maintes fois, on le redécouvre, avec une saveur nouvelle, bouleversante. 

Il s’écoule plus de deux ans avant qu’un homme n’apparaisse au village de Violette : « ça vient du fond de la vallée. Bien avant que ça passe le gué de la rivière, que l’ombre tranche, en un long clin d’œil, le brillant de l’eau entre les Iscles, nous savons que c’est un homme. Nos corps vides de femmes sans mari se sont mis à résonner d’une façon qui ne trompe pas. Nos bras fatigués s’arrêtent tous ensemble d’amonteiller le foin. Nous nous regardons et chacune se souvient du serment. Nos mains s’empoignent et nos doigts se serrent à en craquer les jointures : notre rêve est en marche, glaçant d’effroi et brûlant de désir. » 

Les questions intelligentes et sensibles des élèves rendent grâce à cette interprétation, sa construction fine, sans cesse en équilibre loin de tout pathos de pacotille. 

Revendication de paternité

Violette Ailhaud, quelle auteure ! Et pourtant, elle aussi est une élaboration romanesque due à son éditeur, Jean Darot, qui explique : « comme je venais d’éditer son “petit frère”, L’enfant don, j’ai, à dix-huit ans d’écart, décidé de reconnaître ma “paternité ou maternité”. J’ai choisi le prénom Violette parce que ce n’est pas un nom chrétien, il n’appartient pas à la religion qui a tant accablé les républicains de 1851, et le nom Ailhaud est emprunté à André Ailhaud (dit Ailhaud de Volx, 1799-1854) qui fut le chef des républicains du département des Basses-Alpes, qui est le département qui s’est le plus soulevé pour le maintien de la République. Il participa à la prise de la préfecture de Digne le 6 décembre et commanda les troupes républicaines qui firent battre en retraite l’armée bonapartiste le 9 décembre lors de la bataille des Mées. Il sera déporté à Cayenne où il mourra du scorbut. Pourquoi ce livre et pourquoi sous pseudonyme ? J’avais plusieurs collections dans ma maison d’édition Parole, un jour, j’ai reçu un texte qui a fait naître la collection “Main de femmes”. Mais je ne recevais rien d’autre qui puisse entrer dans cette collection, et avec un seul livre, ce n’est plus vraiment une collection ! Alors j’ai écrit moi-même un texte. Il fallait qu’il soit signé par une femme, c’est ainsi qu’est née Violette Ailhaud… »

MARYVONNE COLOMBANI

L’Homme Semence a été joué par Kimsar au Lycée international de Luynes le 17 mars.

Année anniversaire du Mucem : un lancement réussi

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© Gabriel Popoff

C’était le clou du week-end. Le 3 juin au soir, une fois la nuit tombée, les nuages n’ont pas empêché la débauche de pyrotechnie du Groupe F (Le Temps des lumières vives) d’en mettre plein la vue aux spectateurs. De quoi magnifier l’architecture des lieux pour les plus proches, mais aussi de permettre au public juché plus loin, qui sur son balcon, qui du bord de mer, d’en admirer les splendides effets de couleur.

Entre les gouttes

En journée, les curieux venus en nombre découvraient les expositions du moment, particulièrement Barvalo [lire critique ici], et des accrochages prévus spécialement pour l’occasion, une grande baleine aérostatique dans le hall, ou le banc de sardines gonflées à l’hélium, propice à la méditation, dans le bâtiment Georges Henri Rivière, conçus par Aérosculpture. Au sous-sol, des courts-métrages sur le thème de la fête (ah, Le p’tit bal de Bourvil repris par Decouflé !). Dans la Galerie de la Mer, c’est le Ballet national de Marseille qui attirait plus particulièrement les applaudissements, avec ses vingt danseurs interprétant en alternance cinq pièces chorégraphiques signées (LA)HORDE, Oona Doherty ou encore Lucinda Childs. Dans les bâtiments du J4 ou sur l’Esplanade, de plus petites formes ponctuaient les allées et venues. L’Homme-orchestre, par exemple, alias Santiago Moreno, musicien multi-instrumentiste et marionnettiste virtuose. Ou encore de légers Instants musicaux proposés par Marseille Concerts, avec notamment une toute jeune formation, le Quatuor à plectres phocéen, quatre mandolinistes heureux de se produire à l’air libre, entre les gouttes.

Gouttes qui ont fini par tomber, malheureusement, juste après les réglages de la balance, pour les bals prévus le dimanche soir.

GAËLLE CLOAREC

Le week-end d'ouverture des 10 ans du Mucem s'est tenu du 2 au 4 juin.

Droit d’asile, droit sacré

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Les suppliantes © DR

L’intelligence humaine de cette tragédie, écrite 460 ans avant J.-C., a de quoi faire douter du progrès historique, face aux élucubrations d’un Éric Ciotti, sans parler d’un Zemmour.

L’accueil de l’autre, l’hospitalité, est au cœur des Suppliantes, ces femmes africaines qui demandent l’asile dans une Europe en train de naître, quelque part sur la côte grecque.

Des femmes qui fuient des mariages forcés, et font courir au peuple qui les accueille le danger de la guerre. Mais le droit d’asile y est sacré.

Depuis plusieurs années Valérie Trébor et Fabien-Aïssa Busseta invitent les habitants de la Belle de Mai, ados, enfants, groupes de femmes de générations différentes, à s’emparer de ce texte. À le lire, le dire, le commenter, le chanter, le jouer. Dans des restitutions publiques, des podcasts sur Radio Grenouille, des publications. Les mots d’Eschyle s’échangent, bruissent d’accents divers, se chargent de questionnements contemporains. Tissent des récits d’exils qui sont aussi des récits d’espoir, d’avenir à construire plus que de dangers à fuir. 

Et une exposition 

Récits de femmes, d’émancipation, récits joyeux. Récits aussi sur le regard inamical, inhospitalier, auquel les racisés doivent si souvent faire face. Sur le rapport à la France des enfants post-coloniaux, dont les parents se sont « battus pour la France », ou ont été exploités par une nation qui continue à leur demander des preuves de leur « intégration ».

Plus qu’un spectacle, il s’agit de la restitution de ce travail collectif, mis en scène comme une grande aventure de quartier, une quête de dignité et de reconnaissance, sur des musiques composées par Vincent Beer Demander. Dans le hall de La Criée une exposition restitue les étapes de ce projet, aussi importantes que leur résultat : un texte écrit en commun à Marseille, à partir d’une tragédie écrite avant la fondation de la plus vieille ville de France, et dont l’identité terrienne provençale, somme toute récente, cohabite avec des histoires migratoires maritimes bien plus anciennes, riches de leur diversité, et de leur appel à notre humanité commune.

AGNÈS FRESCHEL

Les Suppliantes
15 et 16 juin
La Criée, Marseille
Entrée libre sur réservation
theatre-lacriee.com

Les rues d’Aubagne vont danser

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Rodéo-Grenade © Leo Ballani

Il s’agit de préparer les Jeux olympiques en reliant sport et art. Quoi de mieux pour cela que la danse, et le principe de gratuité et de joie partagée dans la rue ? La direction de ce nouvel événement, qui se tient du 15 au 18 juin à Aubagne, est confiée à Josette Baïz et sa compagnie Grenade, ainsi qu’à Caroline Selig, directrice d’Artonik. Plusieurs autres éditions auront lieu dans les Capitales Provençales de la Culture désignées par le département 13, jusqu’en 2024. La la prochaine édition est prévue en septembre à Istres.

À Aubagne, ce sont pas moins de treize spectacles et quatre DJ sets qui se déploient durant quatre jours. Tout est gratuit, et de grande qualité artistique. Les deux directrices ont choisi de travailler avec des compagnies qui font la richesse du territoire, et d’inviter quelques classiques des arts de la rue, version sport !

Rodéo et Caramel

Les jeunes de la Compagnie Grenade ouvrent la danse jeudi 15 juin en reprenant Kamuyot, une pièce virtuose d’une belle énergie du chorégraphe Ohad Naharin, suivi par les Aubagnais entrainés dans une création collective hip-hop du chorégraphe maison Miguel Nosibor (compagnie En Phase). 

Puis le week-end enchaine les propositions les plus diverses : du théâtre avec une demoiselle qui concocte une tarte Caramel Chocolat  (La Cuisinière, Cie Tout en vrac) le Centre Chorégraphique de Lorraine qui se lance dans un Disco Foot free style qui transforme les dribbles en grands jetés… 

La compagnie marseillaise L’Eléphante danse sa création Utopy, peuplée d’animaux fantastiques colorés, créée sur la Canebière le 14 mai, Noëlle Quillet reprend Garçon, un très beau duo entre la danseuse et une marionnette à sa taille… Quant à la compagnie franc-comtoise Oxyput, elle viendra présenter Fuel Fuel, une pièce pour quatre danseurs, un musicien et des jerricans, qui tourne depuis 2018, et que l’on a peu vue dans la région. 

Ce sont les compagnies organisatrices qui enflammeront la fin du festival : le samedi le Groupe Grenade, composé de jeunes ados d’un niveau impressionnant, présentera des extraits de sa prochaine création Demain c’est loin, puis leurs ainés, formés et dirigés eux aussi par Josette Baïz, proposeront sa nouvelle création sur un tempo de Rodéo, hip-hop et musclé ! 

La compagnie Artonik, associée à Générik Vapeur, proposera une déambulation sous l’œil de marionnettes géantes : Kinisi célèbre le sport, revisite ses gestuelles avec le regard toujours décalé et subtil de Caroline Selig, qui n’interdit en rien une musique déjantée et un incroyable don pour le lâcher prise collectif ! 

Les arts pour tous et toutes, dans la rue, gratuits, par des nombreuses compagnies régionales, avec participation des habitants, et dirigés par des femmes… Que demander de plus ? 

AGNÈS FRESCHEL

13 en Jeux
Du 15 au 18 juin
Divers lieux, Aubagne
departement13.fr
aubagne.fr

Sanglant Samson et Dalila à l’Opéra Grand Avignon

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Samson et Dalida © Roberto Alcain

Nombreux sont les grands opéras narrant avec passion et sensualité une histoire d’amour érigée sur fond de guerres entre les peuples. Aïda, Norma et l’inoxydable Samson et Dalila en constituent les exemples les plus éloquents. À ceci près que le chef-d’œuvre de Camille Saint-Saëns n’occulte en rien la violence du conflit entre les Hébreux et les Philistins, et la haine viscérale qui sous-tend les rapports entre ses deux protagonistes. En cela, la mise en scène âpre et brutale de Paco Azorin, créée au Festival de Mérida en 2002,se révèle fidèle au propos, qu’elle déplace sur le terrain de l’universel.

Chaud et froid

Cela fonctionne un temps : le premier acte, porté par les Chœurs de l’Opéra Grand Avignon et de Toulon, place la foule des Hébreux au centre de l’action. On y retrouve des personnes en situation de handicap, soutenues et accompagnées par les forces vocales. Les enfants du Grand Avignon incarnent les Philistins sacrifiés à leur tour par les Hébreux. L’Orchestre national Avignon-Provence, sous la direction de Nicolas Krüger, fait briller cette partition dont on n’aura que rarement entendu la noirceur et le désespoir. Les échanges de l’Acte II relèvent du pur chef-d’œuvre : Marie Gautrot et Marc Laho incarnent les rôles-titres avec une aisance vocale admirable. Dalila n’aura de cesse, conformément au livret, de souffler le chaud et le froid, et ici, l’amour et la haine sur un Samson complètement dépassé. Le Grand Prêtre de Nicolas Cavallier récolte également tous les suffrages. Dommage donc que le dernier acte, plombé entre autres par des costumes et surtout une chorégraphie macabre grandiloquente signée Carlos Martos de la Vega, se repaisse de l’imaginaire d’une exécution publique sans recul, et surtout en glissant sur le terrain de l’essentialisation. Le mélange jusqu’alors cohérent entre le réalisme insoutenable du registre guerrier et la métaphore intemporelle laisse ici un goût amer.

SUZANNE CANESSA

Samson et Dalila a été donné les 9 et 11 juin à l’Opéra Grand Avignon.

Troublantes Mythologies à La Criée

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Mythologies © JCCarbonne-2

Inspiré par les Mythologies de Roland Barthes, le spectacle créé par Angelin Preljocaj l’an dernier en collaboration avec le Ballet de Bordeaux a depuis fait le tour des scènes de France. Il a opéré un retour remarqué au Théâtre de La Criée avec une distribution remaniée, constituée de vingt danseurs uniquement issus du Ballet Preljocaj, dont la plupart n’était pas présents sur la distribution initiale.

Les thèmes demeurent inchangés : les rapports entre les genres, mais aussi entre humanité et animalité, entre violence et grâce sont examinés par une chorégraphie riche et toujours minutieuse. On y retrouve les guerrières Amazones et les Naïades, toujours représentées dans des ensembles célébrant leur puissance sexuelle et leur désir d’indépendance, qui transparaissent dans la danse même, entre majesté et liberté. Mais la prédation est également dépeinte sans fard : celle des Amazones envers Thalestris mais aussi celle des Gorgones envers Persée, plus diffuse, et surtout celle du Minotaure envers sa victime sacrificielle. La violence sourd des échanges entre les personnages mais n’est pas propre à leur animalité : les costumes, toujours splendides, et signés Adeline André, convoquent toujours davantage cette brutalité lorsqu’ils emmènent les personnages du côté du contemporain. Le catch, mais aussi le complet-cravate, sont autant d’actualisations contemporaines de mythes ancestraux chères à Barthes, et convoquent à leur tour des images de brutalité et de désir de contrôle. Ils limitent les mouvements quand les robes et justaucorps souples les amplifient, et donnent naissance à des échanges toujours passionnants. Le tout tranche avec la sauvagerie dépeinte : la musique de Thomas Bangalter, d’une intensité constante, et les vidéos de Nicolas Clauss, toujours très à propos.

KARLA CILIEN & ISABELLA MILLER

Mythologies a été donnée du 8 au 11 juin à La Criée, théâtre national de Marseille.

La parole libérée

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Parloir © Simon Gosselin

La pièce écrite et mise en scène par Delphine Hecquet met en situation une mère face à sa fille venue la visiter en prison. Le motif de la condamnation d’Élisabeth se dessinera peu à peu mais là n’est pas le cœur de la pièce. Sa jeune metteuse en scène s’intéresse moins aux raisons et aux conditions de son enfermement qu’aux relations entre les deux femmes. À la libération de la parole intime, sa résonance entre les quatre murs gris et les mots qui jonglent avec les longs silences. La mère et la fille, jouées avec un tact et une sincérité bouleversante par Marie Brunet et Mathilde Viseux, vont mettre à nu leurs âmes meurtries et faire tomber un à un les masques. Les non-dits éclaboussent la vérité, les mensonges se fissurent, les incompréhensions s’estompent au fur et à mesure que leur amour se renforce.

Dans un espace paradoxalement ouvert au plateau (le contraire d’un parloir étouffant), c’est là un parti-pris scénographique intéressant, avec seulement une table, deux chaises et une estrade pivotante, la mise en scène explore les recoins de chacune. Tour à tour face-à-face, dos au public, debout ou assises, elles vont se frôler les mains avant de s’étreindre longuement… Aucun artifice superflu, ni jeu de lumières extravagant, ni bande sonore bavarde, seulement le talent de deux comédiennes et un texte puissant qui oscille entre documentaire et fiction pour créer sa propre narration. Cette tragédie contemporaine se fait l’écho de la situation de milliers de femmes battues en France, prisonnières déjà de la chape de plomb qui pèsent sur elles, de leur impossibilité à parler, même aux proches. Jusqu’à l’irréparable.

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Parloir a été joué le 23 mai à Châteauvallon, scène nationale d’Ollioules dans le cadre du Théma « Justice es-tu là ? » et en prélude au festival Vis-à-Vis, temps fort de la création artistique en milieu carcéral (du 31mai au 2 juin, Ollioules et Toulon). 

La Yegros : coup de jaune pour le Silvain

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La Yegros, le 8 juin au Théâtre Silvain © N.S.

C’est une anarchie pittoresque qu’on aime à retrouver. Celle des voitures qui inventent des places pour se garer et des scooters qui débordent – un peu – sur la chaussée. À l’heure du chassé-croisé entre plagistes et spectateurs du concert, on imagine déjà que l’affiche sera un succès. La descente vers le Théâtre Silvain ne laisse plus de doute, ce sont plusieurs milliers de personnes qui déboulent pour s’ambiancer de la nu-cumbia de La Yegros, l’artiste argentine installée en France depuis quelques années.

L’invitation a été lancée par Le Molotov, qui prend place dans l’amphithéâtre le temps de deux soirées. Et ce n’est pas un hasard si le public est au rendez-vous, quand on sait que la salle du cours Julien a depuis longtemps fédéré la communauté cumbia autour d’elle.

C’est donc naturellement les fers de lance du genre à Marseille qui ouvrent la soirée, avec la Cumbia Chicharra. Une mise en bouche parfaite avant celle que tout le monde attend, qui débarque sur scène avec un astucieux gilet-chapeau jaune en fourrure.

Autour d’elle, l’ambiance est tropicale. Par sa musique certes, mais aussi par les nombreuses fleurs et autres plantes disséminées partout sur la scène, renforçant quelque peu l’impression de voyage musical auquel on assiste. La Yegros égrène ses morceaux avec l’énergie qu’on lui connaît, bien aidée par des musiciens sûrs de leurs instruments, à cheval entre tradition – bandonéon, bongos… – et modernité électrique – guitare, claviers… Le public, plutôt jeune, répond avec enthousiasme à son chant tout en scansion, et en émotion. La fureur tropicale laisse finalement place au silence, mais pendant quelques heures seulement. Le lendemain c’est une autre fureur qui est attendue, venue du Moyen Orient cette fois, avec le dakbe électronique d’Omar Souleyman. De quoi parfaitement lancer la saison estivale d’un théâtre centenaire, en forme comme jamais.

NICOLAS SANTUCCI

La Yegros a donné son concert le 8 juin au Théâtre Silvain, à Marseille.

Notre joie 

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Il est une chose qu’ils n’auront pas. Notre joie. 

Ils auront beau raccourcir notre vie de retraite, exiger que les bénéficiaires des minimas sociaux travaillent gratuitement, raser les maisons des Comoriens pauvres, détruire l’éducation nationale, appauvrir les collectivités territoriales, renforcer inutilement les normes de sécurité en espace public, restreindre pendant des années les jauges des spectacles, nous confiner. 

Ils auront beau baisser les subventions pour des motifs idéologiques, interdire les festivals pendant les Jeux olympiques, remettre en cause la précieuse liberté d’expression des artistes, exiger des drones pour surveiller les foules des concerts, au frais des organisateurs. 

Ils auront beau nous imposer une société de surveillance et de censure, qui prend des faux airs des dictatures où l’on brûle les livres, ils n’auront pas notre joie. 

Les citoyens plébiscitent la culture partagée. Toutes les cultures, toute l’année. Et les festivals sont l’âme estivale des villes du Sud, indissociables de leur attrait, indispensables pour panser les plaies et penser le présent. 

Sur nos scènes, le combat s’installe. Au Festival de Marseille, qui commence par une grande œuvre participative et militante Parades & Désobéissances. À Septèmes-les-Vallons où la Fête se fait Offensive. À Aubagne où les arts de la rue offrent gratuitement des sources de réjouissance et de participation à la danse. À La Criée, où les habitants de la Belle de Mai s’emparent de la scène pour une relecture des Suppliantes. À Marsatac, pourvoyeur labellisé de joie collective. Et même à Aix-en-Provence, où juste avant le festival le plus cher et le plus dispendieux de la région, après Cannes, Aix en Juin s’offre de très belles prémices : les séances de cinéma gratuites parlent des Misérables et les chambristes classiques combinent les répertoires méditerranéens, toujours aussi gratuitement… 

On se retrouve où ? 

AGNÈS FRESCHEL