vendredi 11 avril 2025
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À Gréoux, le jazz fait son jeu

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The Big Marteen's © X-DR

Précédé depuis deux éditions par une série de diners jazz dans les restaurants gryséliens  – ambiance brésilienne cette année avec Andréa Caparros et Émile Mélenchon, et jazz du monde avec Duo Tãal – le Gréoux Jazz Festival débute le 14 septembre. Pour commencer, un spectacle de danse avec des quadruples champions du monde de boogie-woogie, William et Maéva, accompagnés par l’orchestre montpelliérain The Big Marteen’s. Place ensuite le 16 septembre au quintet de Julien Brunetaud, pianiste autodidacte, qui a été accompagnateur de Chuck Berry, et qui vit désormais à Marseille, ville qui a inspiré son cinquième album Feels Like Home, enregistré avec le contrebassiste Sam Favreau et le batteur Cedrick Bec. Ils sont rejoints sur scène par Vincent Strazzieri au saxophone et Romain Morello au trombone.

Louis 8tet

Jazz manouche ensuite avec le Django AllStars, où l’on trouve trois solistes de haut vol : le guitariste Samson Schmitt, le violoniste Pierre Blanchard (adoubé par Stéphane Grappelli, embauché par Thomas Dutronc) et l’accordéoniste Ludovic Beier. La rythmique est assurée par Antonio Licusati, contrebassiste et Philippe Cuillerier, guitariste. Le lendemain, place à la Satchmocracy, projet du trompettiste arrangeur, compositeur et chanteur Jérôme Etcheberry. Un « Joyeux hommage à Louis Armstrong » relecture et arrangements swinguant et dynamiques, en octet, sur des compositions et interprétations légendaires du roi Louis. C’est le Olivier Franc Quintet qui clôture cette huitième édition du festival, pour un « Sidney Bechet à jamais » : le saxophoniste joue les « tubes » incontournables de Sidney Bechet, entrés dans la légende, pépites méconnues et grands standards, que le jazzman aimait jouer dans les rues d’Antibes, de Paris et d’ailleurs.

MARC VOIRY

Gréoux Jazz Festival
Du 14 au 18 septembre
Centre de Congrès l’Étoile, Gréoux-les-Bains 
greouxjazzfestival.com

Un été en cire et en terre au MO.CO.

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Berlinde de Bruyckere, Tre Arcangeli © Mirjam Devriendt

Pour Piller | Ekphrasis l’Hôtel des collections a repris son nom d’hôtel Montcalm désormais dédié aux expositions monographiques. L’artiste belge Berlinde De Bruyckere investit la totalité du white cube de ses sculptures en cire, bois, tissus et peaux animales. Le parcours est saisissant. Il y a là des chevaux, des corps, des troncs d’arbres ; tous tronqués, hybrides, comme arrêtés dans le processus de transformation qui les condamnait à disparaitre. Ce ne sont pas des natures mortes, ce sont des formes ressuscitées ; avec toute la douleur qui les habitent encore, survivante. Les mélanges de substances et de corps posent l’œuvre de la plasticienne entre expérience quasi médicale et tentative d’offrir un ultime souffle de vie aux âmes qu’elle exhume. Créés spécialement pour l’exposition, les Trois Archanges occupent le centre d’une des grandes salles. Trois princesses Peau d’Âne ployant sous le poids de leur parure animale, puissantes autant que misérables. Les pieds de cire sont en demi pointe, les genoux bleuis. Le reste du corps disparait sous la sombre pelisse. Lugubre ? Oui. Comme le sont ces chevaux réassemblés, sanglés, morts. Ou ces harnais habités d’une présence, muées en gigantesques vulves tuméfiées. Les arbres sont des sacrifiés, eux aussi : foudroyés, broyés.

Et pourtant, une sensation de complétude s’installe. La conscience d’être au bon endroit, là où les turpitudes du monde sont pensées et transcendées. La prose poétique de Antjie Krog, auteure Sud-Africaine, ponctue les séries de la sculptrice : « serions-nous devenues meilleures en nous contentant de nous contempler épanouies ? » Peut-être que oui, finalement, les anges pourront à nouveau s’envoler et regarder la Terre tourner, encore un peu.

Contre-nature, du grotesque flamboyant

« Contre Nature », Anne Wenzel Silent Landscape © Nicolas Brasseur

Contre-nature convoque aussi l’alchimie, celle de la terre et du feu ; en un ensemble de quelque deux-cents céramiques présentées à La Panacée dont la scénographie signée Mr. & Mr. est remarquable. Claire Lindner illumine la première salle de ses créatures tortueuses pleines de couleurs, toutes très récentes et inspirées par le mouvement des nuages. Aussi séduisantes que des bonbons, inquiétantes comme des champignons vénéneux, ses pièces sont habitées d’un flux dont les méandres trouvent un écho au plus profond des tripes. Anne Wenzel a couvert d’arbres peints à l’encre noire la salle qui abrite son Silent Landscape (2006), installation monumentale. Des sapins, sur un plateau de six mètres de long, forêt décimée, tragique témoignage d’une nature qui souffre. Miroir discret, quelques centimètres d’eau font se multiplier les reflets et les questions. Et les quinze masques (Sans titre, 2020) de Sylvie Auvray, flamboyantes gueules cassées, donnent au grès la puissance et la magie d’une boule de cristal.

ANNA ZISMAN

Piller | Ekphrasis, Berlinde de Bruyckere
Jusqu’au 2 octobre
MO.CO., Montpellier
moco.art
Contre-nature, une épreuve du feu
Jusqu’au 4 septembre
MO.CO. Panacée, Montpellier

Éric Bourret, artiste 100 bornes

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© Eric Bourret - TERRES - Musee de Lodeve

Lors du vernissage de son exposition, Éric Bourret revenait tout juste de 30 jours passés à arpenter les flancs de l’Himalaya. Photographe sur pieds, il est un artiste marcheur ; un usager du paysage avec appareil. Il n’y a pas de hiérarchie entre les termes, ils fonctionnent de pair. S’il entre dans l’environnement, à la façon d’un éternel explorateur de matières et de sensations, c’est pour en extraire des prises de vue qui puissent justement transcrire son propre mouvement parmi les éléments qu’il traverse. Chaque pas est une découverte d’un hyper présent ; plus qu’une image qui cadrerait sa vision du paysage, son regard extrait un morceau de temps, qu’il restitue dans toute son épaisseur.

Éric Bourret développe en effet un dispositif qui rapproche ses photographies de la quête menée par le mouvement impressionniste. Il offre une durée supplémentaire à l’infime espace-temps imposé par le regard photographique : déclenchant, en direct, six à neuf prises de vue sur le même négatif, la nature bruisse dans le cadre. « J’assume l’idée du transitoire et de l’aléatoire » ; et l’œuvre du photographe respire un air qui nous parvient chargé d’une émotion tellement vivante qu’elle nous accroche, jusqu’à nous envelopper dans un ample récit.

Vision panoramique

Au musée de Lodève, l’histoire se déroule sur des centaines de millions d’années. Des empreintes de dinosaures côtoient des traces de pluie datant d’avant même leur existence. L’échelle du temps donne le vertige, et les séries photographiques de l’artiste, invité à parcourir ce territoire si riche en vestiges préhistoriques, contribuent à brouiller et enrichir le regard sur ce qu’est ce paysage. Les séries Salagou et Grands Causses déclinent la technique de surimpression, donnant au lac des allures de surface minérale, et aux troncs d’arbres un mouvement qui évoque le flux de l’eau. Les matières changent de nature, les couleurs en viennent à disparaitre, et l’immuable fait place à une impermanence déstabilisante autant qu’inspirante. L’eau devient fossile, et le bois, fluide. Larzac découle d’une autre approche. Cinquante-deux photos disposées en quatre lignes fouillent les taillis. Ce n’est plus le tremblement des éléments qui provoque le mouvement, mais la multitude. Telle une mosaïque, l’installation (signalons la qualité de l’accrochage, effectué par l’artiste et la directrice Ivonne Papin-Drastik) propose une vision panoramique de l’avancée de Bourret dans l’aridité du paysage. La chromatique, entre mousses et feuilles mortes, est presque sonore, on entend les pas du photographe qui se heurtent aux épines, les cailloux qui raclent les semelles. Et si les plans sont souvent très rapprochés, voire étouffants, c’est pour mieux faire respirer la puissance narrative des sujets ainsi juxtaposés, presque abstraits, et tellement suggestifs.

ANNA ZISMAN

Terres, d'Éric Bourret
Jusqu’au 28 août
Musée de Lodève
04 67 88 86 10 museedelodeve.fr

Glenn Ligon : les mots pour le peindre

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Double America, néon et peinture © Farzad Owrang

Les stores autour du hall du deuxième étage du Carré d’Art sont relevés. Le bâtiment va fêter ses trente ans l’année prochaine, et la monographie consacrée à Glenn Ligon est en quelque sorte, aussi, un hommage à son architecture, l’une des créations phare de Norman Foster. Son directeur Jean-Marc Prévost a choisi de laisser la série de néons peints « America » jouer sur les reflets des parois de verre, magnifiant l’espace en l’émancipant de sa fonction de white cube. Déclinaison des sept lettres en capitales lumineuses, détourées en noir ou blanc – ou points rouges pour l’installation présentée à l’entrée. À lire en miroir, (Ruckenfigur, 2009) comme si nous étions derrière le néon. Le Newyorkais, né en 1960, dit s’être inspiré du célèbre tableau Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich. Ainsi, AMERICA (plus de 3 mètres de haut) se découvre comme si ce mot, avec toute l’histoire et les symboles qu’il porte, se tournait pour contempler… le mur. Et nous serions là, spectateurs de ce destin clinquant et lumineux, qui va droit dans l’impasse. Double America (2012) se reflète lui-même, blanc sur noir, fragile Narcisse, et le dernier (Untitled, 2008) clignote, désuète enseigne, disque rayé, adoré, trop entendu.

Force sourde

Glenn Ligon joue avec les mots depuis ses débuts. Emprunter ceux des autres, les sortir de leur contexte, les contraindre à exprimer autre chose ou souligner le sens sous-jacent qu’ils diffusent : dans ses toiles couvertes de lettres où l’encre dégouline des contours des pochoirs qu’il utilise, où la peinture donne du relief, où le traitement sérigraphique crée une troisième dimension, c’est une réflexion sur la place du Noir, du déclassé, de l’homosexuel qui est à l’œuvre. Le titre de l’exposition, Post-Noir évoque sa volonté de se situer en dehors de ce qui enfermé, en particulier le fait même justement d’être noir. Noir, il l’est, homosexuel aussi, et l’une des figures qui le nourrissent est l’écrivain James Baldwin. Le Carré d’Art présente la dernière pièce de sa série Stranger, qui reproduit l’intégralité de l’essai publié en 1953, Stranger in the village. Sur près de vingt mètres de long et trois mètres de hauteur, ce texte, issu de l’expérience de l’écrivain qui s’était retrouvé seul noir dans un village suisse où jamais aucun n’était passé, claque sur la rétine. Vibrants, les caractères (au pochoir, toujours, partiellement recouverts de poussière de charbon) apparaissent ou se fondent sur la toile. Une vague qui submerge, lisible autant qu’illisible, d’une force sourde. Elle est éclatante dans toiles de la série Coloring : l’artiste a donné à des écoliers des illustrations de figures « typiques » afrocentrées des années 60-70, qui les ont coloriées. Agrandies, réinterprétées sans se départir de la liberté du geste enfantin, les images sont chargées d’une joyeuse subversion qui balaie la médiocrité des messages d’origine.

ANNA ZISMAN

Post-Noir, Glenn Ligon 
Jusqu’au 20 novembre
Carré d’art, Nîmes
carreartmusee.com

Terre en vue à la Villa Datris

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Michel Gouéry, Frère Javel 2010. Céramique émaillée-Collection FRAC Auvergne. Vue de l'exposition Toucher Terre ©Bertrand Hugues

Happée par l’œuvre de Jean-Baptiste Bernadet, une voix émue surgit de derrière notre dos : « C’est magnifique, hein ? ». Danièle Kapel-Marcovici, fondatrice et présidente de la Fondation Villa Datris, s’émerveille et partage. Cette générosité si sincère donne à chacune des expositions annuelles qu’elle présente une saveur bien particulière. On entre autant dans l’univers des artistes et des thématiques choisi·e·s que dans la sensibilité toujours très fraiche de cette entrepreneuse passionnée de sculpture contemporaine.

Untitled, (Sign, 2019), donc. Un disque d’un mètre de diamètre, pierre de lave émaillée aux couleurs irisées, aux pleins et creux qui pourraient être la carte d’un monde sans lieux. Un organisme en mutation, quelque chose qui pulse, se développerait dans un ralenti que l’œil chercherait à attraper. C’est bien cet effet très archaïque, provoqué par la matière terre et l’élément feu, qui est convoqué dans Toucher terre. Art ancestral dont les artistes se sont saisis à pleines mains, courant atemporel qui semble pourtant réunir cet été les aspirations des curateurs, tant les expositions mettent la glaise cuite à l’honneur en 2022.

Urgence

LINDNER Claire, The Fall © photo Bertrand Hugues

À la Villa Datris, cent trente-cinq pièces sont présentées, en six thématiques (matière en mutation, fragile, vivante…), provenant de la collection de la Fondation ou prêtées. Pas de hiérarchie entre les cent trois artistes ; Caroline Achaintre, Picasso, Léger, Johan Creten, Théo Mercier, Penone, Barthélémy Toguo côtoient des noms moins connus, et les œuvres dialoguent parfaitement entre elles. On retrouve avec bonheur le très pertinent Antoine Renard – vu récemment au Crac de Sète – et son interprétation en impression 3D de La Petite Danseuse de quatorze ans de Degas (Impressions, après Degas, 2020). Les couches produites par l’imprimante (céramique, émail), les accrocs, la couleur de la terre (dégradé d’ocres), transforment le modèle en une sorte de momie parfumée – l’artiste utilise des fragrances dans nombre de ses travaux. La fillette a perdu son tutu et sa natte. C’est un corps, un fantôme (de l’histoire de l’art) qui continue de questionner.

Autre corps, tout en veines aux couleurs chatoyantes, Frère Javel (2010) de Michel Gouéry. Incroyable de technicité, c’est un écorché contemporain, homme creux devenu concrétions, revenu d’une Atlantide oubliée.

Parmi toutes les œuvres présentées, les deux pièces de Rodolphe Huguet portent la plus grande charge politique. Pièges à rêves (2018) est un morceau de grillage où des empreintes de doigts (en terre cuite) s’agrippent ; percutant. Sans titre (WARchitecture, 2017-18), une valise éventrée ceinte de tuiles fondues, maison de fortune, porte toute l’urgence de notre monde qui s’enflamme.

ANNA ZISMAN

Toucher terre 
Jusqu’au 1er novembre
Fondation Villa Datris, L’Isle-sur-la-Sorgue
04 90 95 23 70 fondationvilladatris.com

Maison Jean Vilar : des notes, des livres, et des photographes

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Jean-Pierre Darras et Philipe Noiret, jour de relâche à Tout-Vent, Entraigues, 1959 © Maurice Costa

Installée au rez-de-chaussée, Infiniment, Maria Casarès, Gérard Philipe une évocation, célèbre le centenaire de ce couple, indissociable de l’aventure vilarienne. Commissaire de cette exposition de la Maison Jean Vilar, Jean-Pierre Moulères assemble un choix de photographies, enregistrements sonores, objets et éléments d’archives autour des deux monstres sacrés. La sélection couvre la création en 1947 par Philipe et Casarès, sous la direction de Roger Blin, des Épiphanies d’Henry Pichette puis leur engagement conjoint au côté de Jean Vilar, jusqu’à la mort de Gérard Philipe en 1959. Cette date coïncide avec une période radicale pour Maria Casarès, suite à la disparition d’Albert Camus peu de temps après.

Le diable dans les détails

« La photographie de théâtre c’est d’abord pour moi un rapport au sens mais aussi à l’espace. » Christophe Raynaud de Lage définit ainsi son approche d’un événement dont il est le photographe officiel depuis 2005. Et d’ajouter « L’idée est que le public entre à l’intérieur des images et puisse les ressentir. » Son exposition baptisée L’Oeil présent estinstallée au premier étage. Conçue en collaboration avec Laurent Gachet, créateur scénique et Pierre-André Weitz, fidèle scénographe d’Olivier Py, elles’assimile à une déambulation sensorielle à travers une mémoire fragmentée. Il ne s’agit pas de suivre une chronologie mais de vagabonder à travers les lieux (cloîtres, gymnases, cours…) du Festival. À chaque station, bribes sonores, maquettes de décors reconstitués, dialoguent avec les empreintes que constituent les images des créations rêvées dans ces espaces. Les coulisses ne sont pas occultées pour mieux capter la recherche, le doute, le travail.

Cette année une pièce du premier étage de la Maison accueille les notes de services de Jean Vilar. Punaisés sur les tableaux partagés, ces brefs messages à l’intention des personnels, témoignent de l’exigence de Vilar, premier convaincu que le diable rode dans les détails, de même qu’ils synthétisent son éthique et sa foi en l’esprit de troupe. Après le TNP de Villeurbanne puis Marseille au Théâtre de la Criée, l’exposition produite par l’Association Jean Vilar arrive enfin à Avignon.

Côté jardin

Toujours en place au jardin des Doms, Côté jardin-Jean Vilar et Avignon balise une promenade photographique en harmonie avec le plein-air et la détente liés au lieu. Le parcours ressuscite les premiers festivals de Vilar et sa troupe à travers des moments de concentration, de conversation, de délassement dans la nature, autour d’une table, souvent au verger Urbain V. Compilations d’images légendaires et de vues rarissimes, l’exposition empile les prolongations jusqu’à, on l’espère, résider en permanence sur ce Rocher des Doms voué à une prochaine requalification.

MICHEL FLANDRIN

Infiniment, Maria Casarès, Gérard Philipe – une évocation, jusqu’au 30 avril 2023
L’Oeil présent, jusqu’au 31 mars 2023
Ce soir, oui tous les soirs, Jean Vilar, Notes de service, jusqu'au 30 avril 2023
Côté jardin-Jean Vilar et Avignon, jusqu'au 13 novembre
Maison Jean Vilar, Avignon
04 90 86 59 64 maisonjeanvilar.org

Avignon sous les tropiques

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Archipel fluvial de Mariuá Rio Negro État d'Amazonas Brésil 2019 © Sebastião Salgado

« Créer un environnement où le visiteur se sente au cœur d’une forêt ». Cette intention anime l’accrochage imaginé par Lélia Wanick Salgado, scénographe-commissaire de l’exposition Amazônia et épouse du photographe Sebastião Salgado. La forêt amazonienne se partage entre neuf pays d’Amérique du Sud, dont 60 % en terre brésilienne. Vaste comme dix fois la France, le territoire abrite moins de quatre-cent-mille habitants qui pratiquent quinze dialectes différents. Agrégeant sept années d’expéditions, le dispositif se divise en trois espaces. La Grande Chapelle rassemble deux-cent clichés réalisés auprès de douze communautés indigènes et trois ocas. À l’intérieur de ces habitations autochtones, sept films réalisés spécialement pour l’exposition, compilent des récits du quotidien délivrés par des membres des diverses communautés.

En immersion

Indienne Yawanawá, État d’Acre, Brésil, 2016 © Sebestão Salgado

« Je suis né dans un pays musical. Les indigènes chantent beaucoup, jour et nuit, sauf au moment de la chasse. Amazonia s’assimile à un voyage en forêt. On y entre par les airs ou en bateau. On suit le fleuve. La forêt devient touffue jusqu’à l’espace où l’on peut rencontrer les tribus. » En lien avec les mots de Sebastião Salgado, l’immersion à l’intérieur de la Grande Chapelle, s’enveloppe dans une partition signée Jean-Michel Jarre. Le musicien mêle des boucles orchestrales ou synthétiques, évoquant les timbres de la nature. S’y ajoutent des sons de l’environnement et des éléments récupérés dans les archives sonores du musée ethnographique de Genève. La Sacristie Sud accueille une projection de cent-dix photos paysagistes au rythme de Érosion, Origine du fleuve Amazone, poème symphonique composé par Hector Villa-Lobos.

Le même nombre de vues alimente Portraits d’indigènes. Sis dans la Chambre neuve du camérier, le diaporama se déroule, cette fois, sur la partition composée pour l’occasion par Rodolfo Stroeter. Amazônia nous immerge dans un poumon en danger au cœur d’un monument emblématique d’un passé glorieux, le pari s’annonce judicieux au moment tant de questions absorbent l’avenir.

MICHEL FLANDRIN

Amazônia
Jusqu’au 30 novembre
Palais des papes, Avignon
04 32 74 32 74 palais-des-papes.com

On Air : « Il n’y a pas de honte à faire des soirées payantes »

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Alban Corbier-Labasse est le directeur de la Friche la Belle de Mai depuis septembre 2021 © Pascal Nampémanla Traoré

Instaurés en 2013 par l’ancien directeur Alain Arnaudet, ces rendez-vous très populaires des Marseillaises et Marseillais permettaient un embryon de mixité dans un territoire aux inégalités criantes. Les explications d’Alban Corbier-Labasse, directeur du lieu depuis septembre 2021.

Zébuline. Pourquoi avez-vous décidé de rendre les soirées On Air payantes ?
Alban Corbier-Labasse. Plusieurs choses ont conduit à cette prise de décision. L’une concerne le modèle économique. C’est le seul événement où la Friche est en position de production directe. Le toit-terrasse générait un déficit important pour notre structure alors que partout ailleurs dans Marseille, ce sont des lieux où les organisateurs de soirée gagnent de l’argent. Nous en perdions beaucoup et ce n’est pas négligeable dans un contexte de raréfaction des subventions publiques. Elles n’ont pas bougé depuis dix ans et des subventions qui ne bougent pas sont des subventions qui baissent, par la force de l’augmentation des charges. Si on veut sauver ces soirées sur un moyen terme, il fallait trouver un modèle économique qui nous permette de les sécuriser. L’idée est de ne plus perdre d’argent mais on ne va pas en gagner.

«la gratuité d’une offre ou d’un espace culturel n’a jamais été signe de démocratisation»

La fin de la gratuité dans un quartier aussi défavorisé est tout de même symboliquement forte…
D’expérience, dans tous les lieux où je suis passé, la gratuité d’une offre ou d’un espace culturel n’a jamais été signe de démocratisation. Dans l’ambition, cela semble naturel ; dans les faits, ce n’est pas la réalité. Dans bien des cas, ce sont ceux qui ont déjà le capital culturel et social qui savent comment y accéder et se sentent légitimes pour le faire. Si, quand c’est gratuit, il n’y a pas de mixité, quand c’est payant, il y en aura encore moins. Sauf que dans notre projet d’évolution du toit-terrasse, on se sert des nouvelles recettes pour embaucher trois jeunes médiateurs recrutés à la Belle de mai. En plus de nos propres équipes de médiations, ils vont travailler avec les associations du quartier pour mettre en place un dialogue à partir duquel on va offrir le Ticket Toit, carte valable tout l’été et gratuit pour deux personnes. Celle-ci est donnée en nombre illimitée aux associations qui les distribuent aux publics qu’elles sensibilisent. Quand on fera le bilan à la fin de la saison, on espère pouvoir dire qu’on a servi une plus grande mixité des publics que l’inverse.

Dernier aspect, l’accès est fluidifié. On n’a plus de queue monstre comme c’était parfois le cas dès 18 heures. La plupart des gens ayant acheté leur billet avant, ils sont sûrs de rentrer.

Proposer ce Ticket Toit aux publics qui socialement ou culturellement ne se sentiraient pas spontanément concernés n’est-il pas stigmatisant ?
La relation tissée avec les associations est faite de telle sorte que cela ne le soit pas. Prenons le cas des jeunes étudiants précaires : ils n’entrent pas dans le dispositif, ils ont plus de 16 ans et pas les minimas sociaux. Il y a tout de même des outils qui leur permettent de ne pas payer l’accès comme le Pass culture ou le Pass Région. On peut en débattre toute la vie mais je pense que le Ticket Toit est une carte privilège plutôt qu’une carte stigmatisation.

Le privilège d’être pauvre ?
Ce n’est pas du tout ce critère. Le public concerné est celui des associations du quartier La Belle de mai. Cela peut être des mères isolées, des familles nombreuses, des jeunes en situation de décrochage, etc. C’est aux associations qui travaillent dans le territoire de proximité d’orienter et de décider à qui donner ces entrées gratuites.

Dans notre précédent entretien, vous disiez souhaiter que la Friche devienne une vraie coopérative. Or visiblement ni les résidents, ni les administrateurs et ni les opérateurs invités sur le toit-terrasse n’ont été consultés ou informés en amont du passage au payant…
La SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) a la responsabilité de l’exploitation. Des réunions ont été faites très en amont avec Les Grandes Tables (le restaurant de la Friche, ndlr), coproducteurs des soirées et qui sont sur la même longueur d’ondes que nous. Mais effectivement, toutes les décisions à la Friche ne font pas l’objet d’un vote à l’unanimité des résidents ni des sociétaires. Si un jour on décide d’augmenter le tarif des visites d’exposition, je ne pense pas qu’on demandera à l’ensemble de la communauté de donner son avis. Sinon on serait dans un blocage de fonctionnement permanent.

Les opérateurs culturels qui pensaient proposer une programmation en accès libre se retrouvent du jour au lendemain à devoir assumer le fait que ce soit payant.
Il n’y a pas de honte à faire des soirées payantes. Surtout à cinq euros ! Et tous ceux qui ont produit un événement étaient au courant du changement de format. Ils ne l’ont pas découvert à l’ouverture des portes ! Si éthiquement pour eux, c’est compliqué de passer de zéro à cinq euros, ils pouvaient aussi refuser de le faire. Je n’ai pas participé à ces discussions-là. C’est dire à quel point les choses sont déconcentrées à la Friche. Jusqu’à présent, toutes les équipes sont très contentes de l’évolution du format.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LUDOVIC TOMAS

Catherine Cattaruzza et le mal des frontières

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Catherine Cattaruzza. I am folding the land, France-Lebanon, 2022. Courtesy of the artist.
Catherine Cattaruzza. I am folding the land, I am folding the sea, France-Liban, 2022. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

À Martigues, les grands formats (2m50 sur 1m70) de Frontières infranchissables interpellaient les passants sur les rapports entre intime et politique. Une question loin d’être « hors-sol » pour Catherine Cattaruzza : née en 1968 à Toulouse, elle a grandi au Liban, pays auquel elle est profondément attachée, mais qu’elle a dû quitter plusieurs fois, du fait des situations de violence politique. Une expérience de l’exil, des frontières, de l’effacement, qui l’a marquée à jamais. Et qui l’a amenée à développer un travail plastique et photographique se nourrissant de territoire, de trace, d’identité et de mémoire. Depuis 1992, année où s’est mis en place, à la fin de la guerre civile, le système politique, économique et social qui a conduit à la situation catastrophique actuelle du pays, elle travaille avec des pellicules périmées, donnant des qualités de lumière et de couleurs étonnantes à ses images. Et une présence à l’intangible, à l’incontrôlable, à l’instabilité permanente, qu’ils soient à l’œuvre au Liban ou, plus largement, dans le monde. Dans I am folding the land (Je plie la terre), organisé au centre Fernand Léger de Port-de-Bouc, dans le cadre du Grand Arles Express, elle évoque son rapport au monde à travers une exploration du contexte sismique libanais, aussi bien géologique que géopolitique, politique, économique, sanitaire, social ou environnemental. À travers un parcours qui l’a menée le long des trois failles sismiques majeures du pays, elle interroge le paysage et ce qu’il nous dit du monde, reliant transformation du territoire physique et de la pensée, dans leurs dimensions politique et poétique, inspirée par la pensée du tremblement d’Édouard Glissant.

MARC VOIRY

I am folding the land de Catherine Cattaruzza
Jusqu’au 2 septembre 2022
Centre Fernand Léger, Port-de-Bouc
04 42 40 65 19 centrefernandleger.com

Juliette Roche, vous connaissez ?

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Sans titre, dit american Picnic, vers 1918, huile sur toile © Aïnu - Photo A. De Valence, ADAGP, 2022

Artiste issue de la très haute bourgeoisie parisienne, ses œuvres d’avant la première guerre mondiale conjuguent les influences esthétiques des différents groupes d’artistes qu’elle fréquente : les formes simples, le caractère décoratif et l’univers symboliste des peintres du mouvement nabi, les découpes géométriques du cubisme (elle rencontre Albert Gleizes en 1913, qui deviendra par la suite son mari). Pendant la première guerre, elle est à New York, où elle participe au groupe dada avec Marcel Duchamp et Picabia, ce dernier faisant son portrait en manomètre : l’étrange et l’ironie s’introduisent dans la pratique de celle qui se désignait elle-même comme « la dame en peau de léopard » qui « boit du whisky et parle d’art ». Après la guerre, Juliette Roche multiplie les natures mortes, les portraits féminins et les autoportraits, tout en se consacrant à des travaux d’illustrations et d’art décoratif.

Icône de modernité

En 1927, avec son mari, elle fonde à Sablons (Isère), les Coopératives artistiques et artisanales de Moly-Sabata. Puis en 1939, ils s’installent dans le grand mas des Méjades à Saint-Rémy, où ils accueillent, pendant la seconde guerre mondiale, leur ami Gaston Chaissac. Elle cesse de peindre après la disparition de son mari en 1953. Peu exposée de son vivant (2 expositions), son œuvre, qui ressortit aux genres traditionnels de la peinture (portrait et autoportrait, paysage, scène de genre, nature morte, scènes bibliques ou mythologiques) avait fait l’objet d’une rétrospective en 1962, à la galerie Miroir à Paris. Cette nouvelle exposition, Juliette Roche – L’insolite conçue par le Musée Estrine en partenariat avec la Fondation Albert Gleizes par le Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon et le MASC, musée d’art moderne et contemporain des Sables d’Olonne, vise à la reconsidérer comme une icône de la modernité.

MARC VOIRY

Juliette Roche – L’insolite
Jusqu'au 23 décembre
Musée Estrine, Saint-Rémy-de-Provence
musee-estrine.fr
04 90 92 34 72