mardi 1 juillet 2025
No menu items!
Accueil Blog Page 318

La parade du design

0
Villa Noailles, Boubetra Jessica © Grégoire Couvert

Formidable vitrine pour les jeunes créateurs de design et d’architecture intérieure, le festival Design Parade Hyères (2006) et Toulon (2016) a depuis longtemps acquis ses lettres de noblesse. Le week-end d’ouverture, le public était nombreux à arpenter les jardins et les pièces de la Villa Noailles conçue par Robert Mallet-Stevens en 1928. Là où, précisément, dix designers finalistes au concours bénéficient d’une forte visibilité et d’une scénographie qui fait la part belle à l’inventivité formelle et aux recherches sur les usages, le recyclage, la fabrication vertueuse, l’ergonomie. Notre coup de cœur va aux objets créés par Claire Pondard & Léa Pereyre, Anima II, inspirés du monde marin animal, dont l’oscillation varie selon les mouvements du public, l’air, le vent… Intéressées par la matérialisation de notre environnement numérique, les deux artistes suisses transforment la matière plastique découpée au laser en forme organique vivante. Et fantastique.

Objets modernes

Hors concours, on retiendra de cette profusion d’œuvres et de mises en scène la fresque monumentale d’Adrian Geller qui recouvre le grand escalier de la piscine d’une peinture florale aux tons sombres, fruit d’une résidence de création et d’une commande de la Villa Noailles. En écho toujours au lieu, plus précisément à la collection constituée par Charles et Marie-Laure de Noailles, l’ensemble Objets modernesse déploie dans les chambres et les salons selon une scénographie imaginée par la curatrice marseillaise Emmanuelle Luciani du Southway Studio. Les pièces d’art décoratif sont mises en miroir avec une photo d’Olivier Amsellem (table gigogne de 1925-26 de Marcel Breuer), un crayon pastel gras sur papier de Cécile Guettier (fauteuil dit Chaise Wassily de 1925 de Marcel Breuer) ou encore une photographie de Gérard Amaudric, reconstituant en version naturiste la pose de Luis Buñuel jouant à la roue allemande devant la piscine en 1930 !  

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Design Parade Hyères
Jusqu’au 4 septembre à la Villa Noailles
Design Parade Toulon
Jusqu’au 30 octobre à l'Hôtel des Arts
villanoailles.com

À Toulon, les intérieurs modernes se dévoilent

0
Eileen Gray, coiffeuse-paravent, 1926-1929 (provenant de la villa E1027)

Si l’an dernier Futurissimo. L’utopie du design italien se parcourait comme un divertissement – sauf à fouiller dans le catalogue –, Intérieurs modernes 1920-1930 réussit le pari d’être attractive, instructive et esthétique. Dans une scénographie pensée par Joachim Jirou-Najou (lauréat Design Parade 2008) en osmose avec les pièces de la collection, sans esbroufe mais séduisante, chaque chapitre nous éclaire sur la révolution opérée dans les années 1920-1930 par une poignée d’architectes, d’artisans et de décorateurs ayant à cœur de mettre à profit l’héritage des arts décoratifs et d’explorer les possibilités de l’industrialisation en cours. Il ne sera bientôt plus question de décoration intérieure mais d’équipement, de mobilier mais d’ameublement à l’orée de bouleversements empiriques. À tel point que nos intérieurs actuels ressemblent à des parents pauvres des prototypes d’une cabine troisième classe conçue pour les paquebots des mers de l’époque !

Une harmonie nouvelle

En dix ans seulement, Le Corbusier et Charlotte Perriand (Cité radieuse, Marseille), Pierre Jeanneret, Robert Mallet-Stevens (Villa Noailles, Hyères), Francis Jourdain, Pierre Chareau, Eileen Gray (Villa E-1027, Roquebrune-Cap-Martin) ont révolutionné l’habitat en se délestant des codes préexistants pour entrer de plain-pied dans la modernité. Où l’utilitaire se conjuguait au présent avec un certain art de vivre… Chaque objet était reconsidéré à l’aune de la fonctionnalité et non plus du « beau » dans une période marquée par l’éloge du corps à travers la pratique du sport et l’hygiénisme ; chaque mobilier était pensé comme un couteau suisse capable de répondre à des fonctionnalités diverses. Des recherches communes autour de nouveaux matériaux, tel l’acier tubulaire peint ou laqué associé au chêne ou au textile, émergeaient avec l’idée sous-jacente de « démeublement » ! L’objet, la lumière et l’espace étaient étudiés au même plan pour atteindre une harmonie nouvelle, différente, de même la rationalisation des espaces et la notion de confort devinrent elles-aussi indissociables.

Autant de bouleversements opérés par l’Union des artistes modernes en 1929 qui réunissait quelques dissidents des artistes décorateurs désireux de s’ouvrir à l’industrie sans discorde, selon le principe d’une pensée globale. Pour les néophytes comme pour les amateurs éclairés, l’exposition est une mine d’informations (croquis, diaporamas, tirages inédits et photographies) qui permet, à travers des exemples concrets et une parfaite contextualisation, d’appréhender cette révolution qui éclabousse aujourd’hui encore « notre » modernité.

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI 

1Prêts du Centre Pompidou, Centre national des arts plastiques et Musée des Arts décoratifs de Paris.

Intérieurs modernes 1920-1930
Jusqu’au 30 octobre
Hôtel des Arts, Toulon
04 94 93 37 90 hda-tpm.fr

La Villa Magdala à l’heure anglaise

0
Richard Ballard © Jacques Ballard

Domaine agricole, niché au cœur d’un parc arboré de trois hectares sur les hauteurs de Costebelle, le mas Bocage a été transformé au cours du XIXe siècle en résidence de villégiature par des aristocrates anglais. Dans la seconde moitié du XXe siècle, c’est un pilote de la base aéronautique navale de Palyvestre, qui en devient le propriétaire. Sa famille conserve le domaine intact tout en l’entretenant jusqu’à sa mort en 2012. Sa nouvelle propriétaire, la psychanalyste et écrivaine Marie-Magdeleine Lessana, impliquée depuis longtemps dans un dialogue vivant avec les artistes (arts plastiques, théâtre, littérature, musique) a décidé d’en faire un lieu d’art et de culture. Un espace d’émulation artistique, avec des propositions originales, exigeantes, transversales et pluridisciplinaires, tout en préservant le caractère architectural et l’environnement naturel de la Villa.

Peinture universelle

Première exposition cet été, Entre Terres et Ciels, autour des paysages du peintre anglais Richard Ballard : né à Liverpool en 1951 (dont le père, également peintre, avait eu un certain John Lennon comme élève), reconnu internationalement, il a vécu et travaillé à Paris, et est décédé au printemps 2021. Conçue avec ses deux enfants, Jacques et Olivia, cette exposition met en perspective pour la première fois les différentes séries, aux formats multiples, de l’artiste : ciels, paysages, arbres, pylônes, fleurs… L’un de ses amis, l’écrivain Daniel Pennac, a dit à son propos : « Un peintre regarde intensément les choses et voilà que le monde se met à exister pour de bon ». Richard Ballard aimait croire à l’idée d’une peinture universelle, qui transcenderait les frontières, les cultures.

MARC VOIRY

Entre Terres et Ciels
Jusqu’au 18 septembre
Villa Magdala, Hyères
villamagdala.fr

Ulysse s’échoue à Porquerolles

0
Le Songe d'Ulysse Villa Carmignac Porquerolles Jorge Peris Héroes boca a bajo 2022 © Jorge Peris coproduction Fondation Carmignac et lartiste. Courtesy de l'artiste - Photo : Marc Domage

Créée en 2000, la Fondation Carmignac s’articule autour de deux axes principaux : une collection d’art contemporain, qui comprend actuellement plus de trois-cents œuvres, et le Prix du photojournalisme soutenant annuellement un reportage d’investigation. Il fait aussi l’objet d’une exposition et d’un catalogue. Depuis juin 2018, en partenariat avec la Fondation, la Villa Carmignac, sur l’île de Porquerolles, est un lieu d’exposition accessible au public, qui propose des expositions temporaires, un jardin habité par des œuvres spécialement créées pour le lieu, ainsi qu’une programmation culturelle et artistique.

Homérique

Ulysse serait-il échoué sur l’île de Porquerolles au cours de son épopée vers Ithaque ? Y-a-t-il combattu et terrassé l’Alycastre, ce monstre envoyé par Poséidon (et sculpté par l’artiste Miquel Barceló à l’entrée de la Villa Carmignac) : la question reste ouverte. Ce qui est sûr, c’est que l’Odyssée d’Homère, et une balade sur l’île en compagnie du romancier-aventurier Sylvain Tesson, ont inspiré au directeur général de la Villa, Charles Carmignac – ex musicien du groupe Moriarty, – cette nouvelle exposition. Un parcours esthétique et mythologique, peuplé de femmes, de monstres, de héros, d’êtres fabuleux et divins, d’animaux, dont le commissariat a été confié à Francesco Stocchi (conservateur du musée Boijmans van Beuningen à Rotterdam). Soixante-dix œuvres modernes et contemporaines, issues des collections de la Fondation (Roy Lichtenstein, Cindy Sherman, Louise Bourgeois, Martial Raysse…) ou conçues spécialement pour l’exposition. À parcourir dans une scénographie imaginée par la Milanaise Margherita Palli, faite de couloirs et de croisements, de pièges et de trompe-l’oeil. À l’image du long retour d’Ulysse, avec ses bifurcations, ses impasses et ses pièges, les visiteurs sont confrontés à des choix : prendre cette voie ou lui tourner le dos, voir une œuvre et pas une autre.

MARC VOIRY

Le Songe d’Ulysse
Jusqu’au 16 octobre
Villa Carmignac, île de Porquerolles
04 65 65 25 50 fondationcarmignac.com

La Villa Arson désoriente le présente

0
Luca Vitone – Panorama (Pisa), 2006 , Telescope. Courtesy of Gianni Garrera collection, Roma. Credit Jean Christophe Lett

Trois expositions cet été sont proposées par la Villa Arson. Celle de l’artiste portugaise Carla Filipe, Hóspede [hôte], imaginée dans le cadre de l’année du Portugal en France. Celle du collectif Clusterduck, Meme Manifesto, et celle consacrée à l’art italien depuis les années 90 Le futur derrière nous. Elle même reliée à l’exposition Vita Nuova au Mamac, consacrée à la scène artistique italienne entre les années 1960 et 1975.

Née en 1973, Carla Filipe vit et travaille à Porto, et s’intéresse, dans une esthétique qualifiée de lo-fi et punk, associée à des panneaux de signalétique, du graffiti et des publicités politiques pré-numériques, aux transformations politiques, économiques et sociales qui façonnent les tensions et les contradictions de notre présent. Dans son installation-exposition en 28 drapeaux, Hóspede [hôte], elle questionne les notions d’hospitalité et d’Europe.

Le collectif Clusterduck (collectif italien interdisciplinaire d’artistes, activistes, théoriciens et web designers) a décidé d’explorer le monde des « mèmes », partagés à l’infini et quotidiennement sur les réseaux sociaux (qui n’a toujours pas vu Bernie Sanders avec ses moufles ?). Avec leur installation murale associée à une installation vidéo interactive, il s’agit pour ce collectif « d’escorter les visiteurs au cœur d’un voyage dans l’inconscient collectif d’internet et de ses représentations » et de questionner leurs impacts politiques.

Quant à Le futur derrière nous, exposition organisée dans le cadre de la présidence française de l’Union Européenne, il s’agit d’un regard sur les trois dernières décennies de la scène artistique italienne contemporaine. À travers les peintures, installations, vidéos, arts sonores et performances d’une vingtaine d’artistes, résonnant avec les idées utopiques de leurs aînés, regard orienté par « une double hypothèse : d’une part, la désorientation du présent et, d’autre part, la relation avec l’effacement de l’histoire récente ».  

MARC VOIRY

Hóspede [hôte]
Meme Manifesto
Le futur derrière nous
Jusqu’au 28 août
Villa Arson, Nice
villa-arson.fr

Au CAC de Briançon, le concret se fait la belle

0
© Anaïs Boileau

Le Centre d’Art Contemporain de Briançon est installé dans les anciennes prisons du palais de Justice de la cité Vauban et permet de découvrir la création contemporaine sous toutes ses formes, lors de rendez-vous réguliers, gratuitement. Des événements qui sont aussi hors-les-murs, comme c’est le cas, tout cet été, au parc de la Schappe, avec le travail d’Anaïs Boileau.

Née en 1992 à Nîmes, cette artiste photographe a déjà dans son palmarès de nombreuses expositions, distinctions et collaborations. On peut citer son projet Plein Soleil (inspirée par les femmes bronzant pendant des heures sur les plages du Sud de la France) qui a été présenté à New York en 2015 et à Photo Katmandou au Népal. Ses deux prix récoltés lors de la 31e édition du Festival international de mode, de photographie et d’accessoires de Hyères. Sa participation au festival photo de Thessalonique en Grèce au printemps 2018 ainsi qu’au festival photo Encontros da Imagen à Braga au Portugal en septembre 2019. Depuis sa première collaboration en 2015 pour M le magazine du Monde, elle travaille régulièrement pour la presse française et internationale.

À la limite du réel

Travaillant en série, inspirée par les cultures méditerranéennes, et par la peinture de Matisse, Gauguin, Neo Rauch, tout comme la photographie de Rineke Dijkstra, elle souhaite proposer une réflexion poétique sur la façon dont le territoire est pensé, vécu et raconté. « En créant des images picturales et en axant mon travail sur la couleur et la forme, j’ouvre une réflexion sur la manière dont nous pouvons représenter les choses simples de la vie quotidienne. Dans une évocation de sensations, j’aborde les différentes expériences et approches que nous avons avec les objets et ce qu’ils nous disent sur nos manières de penser et de vivre. » Des images rythmées, à la limite du réel et de l’abstraction, qu’elle compose intuitivement avec des chutes de papiers, des végétaux, des toiles chinées, des objets et matériaux de récupération.

MARC VOIRY

Anaïs Boileau
Jusqu’au 25 septembre
Centre d’Art Contemporain, Briançon
ville-briancon.fr

Brandon Ballengée : bio-artiste engagé

0
©M.VP_

Le Cairn, Centre d’Art Informel de Recherche sur la Nature, invite des artistes qui questionnent notre rapport à la nature, tels que Mark Dion, Delphine Gigoux-Martin, herman de vries, Andy Goldsworthy, Till Roeskens… Une activité menée à travers sa salle d’exposition temporaire, mais aussi, voire surtout, hors-les-murs, avec un parcours ponctué de sculptures sur trois sentiers du parc Saint-Benoît, où le Cairn se situe, et une collection d’œuvres pérennes sur le territoire de l’UNESCO Géoparc de Haute-Provence (plus de 200 000 hectares).

Cet été, c’est l’artiste américain Brandon Ballengée, également scientifique et militant écologiste, né en 1974, qui va occuper les lieux. Il a parcouru la planète pour étudier les espèces naturelles d’amphibiens déformés ou malformés, sentinelles de notre écosystème. Lors de sa première exposition personnelle à Londres en 2006, il avait proposé d’étonnantes photos scannées en haute résolution, des vidéos et des spécimens naturalisés de crapauds déformés. Un artiste qui joue volontiers avec les règles de l’espace muséal, environnement statique et maîtrisé, par l’implantation de structures organiques. En Louisiane où il réside, Brandon Ballengée mène des « éco-actions » hybridant pratiques artistiques et sciences participatives, afin de resensibiliser aux écosystèmes à travers des recherches de terrain. Préparée en juillet 2021 par une semaine de repérage du contexte dignois (exploration de sites, rencontres avec des entomologues de la région et observation nocturne de papillons de nuit…) cette exposition présente le travail d’un artiste inquiet du changement climatique et du déclin accéléré des espèces. Il déclare : « L’objectif sous-jacent est d’accroître la compréhension des problèmes environnementaux localisés tout en étant conscient que chacun d’entre nous, en tant qu’individu, a un impact et peut faire une différence dans notre environnement global ».

MARC VOIRY

Brandon Ballengée
Jusqu’au 30 septembre
Cairn, Digne-les-Bains
cairncentredart.org

Mots pour maux

0

Elles ont toutes les deux commencé très jeunes à faire du théâtre, puis des one-woman-show, et de fil en aiguille, les voilà écrivaines et comédiennes éblouissantes. On les avait repérées depuis l’été dernier sur les réseaux sociaux arpentant les rues d’Avignon, faisant des clins d’œil aux internautes, parlant de leur spectacle sans en dévoiler le propos. Cette fois il ne fallait pas les rater. Les voilà sur scène, étendant du linge, tâche ménagère ordinaire et typiquement caractéristique du travail quotidien de la ménagère. Cette corde à linge choisie par le metteur en scène Hervé Lavigne devient le fil conducteur du spectacle. Se succèdent alors une série de scénettes qui exposent des situations de violence faites aux femmes. Une bourgeoise se donne bonne conscience en sauvant une Cambodgienne de l’enfer de son pays mais la réduit en esclavage. Des enfants sont traumatisés par les cris de leur mère battue. Une adolescente raconte à sa mère qui ne veut pas l’entendre le viol commis par son frère. Une fille tente d’expliquer à son père par téléphone son homosexualité… 

Dialogues incisifs

Ces situations traumatisantes, ces dialogues incisifs ont été écrits avec finesse à la suite d’une multitude de témoignages de victimes, de travailleurs sociaux, de membres d’associations. Milouchka et Chrystelle Canals interprètent cette multitude de rôles avec talent, passant d’un registre à l’autre avec une virtuosité remarquable. Parmi le public l’émotion est à son comble. Notamment quand, vers la fin de la représentation, Milouchka s’avance en bord de scène : « Maintenant je vais parler de moi, de mon corps. » Atteinte d’obésité, elle confie les difficultés de sa vie quotidienne puis se met à danser. Cependant ne croyez pas que ce spectacle soit plombant, il y a aussi de l’humour, comme ce moment hilarant où les deux complices abordent le problème des règles qu’elles nomment malicieusement « pâquerettes ». Comme elles le disent, ce spectacle « ne changera pas la face du monde », mais il peut certainement stimuler les consciences.

Les Maux Bleus a été joué du 7 au 30 juillet au théâtre La Luna, à Avignon, dans le cadre du festival Off.
La pièce reçu le prix Avignon Award 2022.

À propos d’une humanité liée

0
Et si la vie n'était qu'un début ?, Jean Testanière, édition XO

On pourrait penser au premier abord que le livre de Jean Testanière, Et si la vie n’était qu’un début ?, n’est qu’une reprise facile de thèmes chers à Marc Lévy (la première de couverture est programmatique) ou d’éditions plus ou moins illuminées pondues par les escrocs et charlatans de tous poils qui exploitent à loisir les foules crédules. Il n’en est rien. Adeptes du paranormal : fuyez, vous seriez déçus ! Le texte tient davantage de la confession, du retour sur soi, dépouillé de toute volonté littéraire. L’auteur parle de lui à la première personne, simplement, énonce, faits, observations, souvenirs, rencontres. D’abord il y a l’étonnement, la peur, face à des capacités qu’il ne comprend pas, ne maîtrise pas : enfant, il subit littéralement des visions qu’il ne saisit pas comme telles. Il raconte ainsi à ses condisciples une remise de devoirs scolaires qui n’a pas eu lieu encore. En proie à la peur de  ce qui lui arrive, objet de suspicion quant à ses affirmations, le jeune garçon essaie toutes les stratégies possibles pour cacher ce qu’il considère alors comme une anormalité.

Auxiliaires de vie

Entre le soutien indéfectible de sa famille, des amitiés fortes, l’intervention de personnes « voyantes », Jean se construit, s’accepte, développe ses dons de clairvoyance. Jamais il n’en fera commerce. Le mystère de ces fulgurances, de cette complicité involontaire avec ceux qui ne sont plus mais qui apparaissent, parlent, toujours dans la bienveillance, reste entier. Le livre tourne aussi autour de l’insondable, de l’impossible, de l’irrationnel. Le scripteur ne ment pas, il expose avec un étonnement toujours neuf ce qu’il ressent, perçoit. Cet émerveillement du monde est particulièrement touchant. La confession devient une déclaration d’amour à l’humanité, à certains êtres précis aussi. Il y a les anonymes, mais aussi des noms connus (fort connus même) qui émaillent le récit, artistes, politiques. Leurs inquiétudes leur redonnent la dimension humaine que la starification leur avait fait perdre. C’est une histoire d’espérance que nous livre Jean Testanière, animé par la certitude de l’existence du monde des esprits. Grâce à ce long retour en arrière à la fois narratif et introspectif, il apprivoise l’idée de la mort qui l’a tant bouleversé : il perd son père alors qu’il n’a que six ans. Dépassant l’opposition traditionnelle entre la connaissance et la croyance, il se sert des verbes que sont « savoir » et « croire » comme « les deux auxiliaires qui (lui) permettent de conjuguer la vie à tous les temps, les couleurs primaires que servent à créer toutes les teintes, (ses) deux piliers fondateurs ». La croyance en un autre univers où les esprits perdurent, « autre forme de vie qui succède à notre existence terrestre », devient le socle d’une déclaration d’amour universel. La collation de témoignages en fin de livre semble être là pour soutenir le petit garçon que personne ne croyait et l’assurer de la pertinence de son propos.

MARYVONNE COLOMBANI

Et si la vie n’était qu’un début ?, Jean Testanière 
Éditions XO
19,90 €

Jour de gloire aux Chorégies

0
Missa Solemnis © Gromelle

On sait combien le Théâtre antique d’Orange se prête aux symphonies monumentales. Plus encore peut-être qu’à l’opéra, et certainement plus qu’au récital soliste-orchestre, qui nécessite quasi systématiquement une légère amplification. L’effectif conséquent nécessaire pour la Missa Solemnis de Beethoven semblait ainsi tout indiqué pour les Chorégies et leur 14 juillet. Ce sont donc cinq chœurs qui ont uni leurs forces sous la direction de John Nelson : les formations universitaires du COGE et du COSU, le Chœur de Grenelle, et deux chœurs suisses (Le Motet genevois et le Laudate Deum de Lausanne). Cinq chœurs qui ont fait preuve d’une cohésion et d’une implication à toute épreuve tout au long du concert. Rythmiquement inattaquables, les voix choristes ont également déployé un sens du phrasé et une texture d’une rare richesse. Le mérite en revient de toute évidence aux interprètes eux-mêmes, mais aussi à l’attention toute particulière que semble leur avoir accordée le chef, dirigeant assis et à main nue là où d’autres ne ménagent pas leurs effets. Quitte à délaisser quelque peu l’Orchestre Nexus : la phalange, solide et à l’écoute, et ce malgré les acrobaties successives de la partition, sait retomber sur ses pattes, et mise à raison davantage sur l’expressivité que sur la rigueur.

Missa Solemnis © Gromelle

Lyrisme redoutable

La Missa Solemnis, interprétée à la suite d’une Marseillaise en tutti aux petits oignons,est en effet d’un lyrisme redoutable. Composée conjointement à sa neuvième symphonie, qui fit entrer à grand fracas la voix humaine dans ce genre jusqu’alors exclusivement instrumental, elle place en son centre le registre vocal. Les voix solistes, traitées à égalité sur différents registres, brillent conjointement et tour à tour : la distribution, idéale, joue des contrastes et complémentarités. La soprano Eleanor Lyons conclut ainsi le Gloria sur un « Amen » puissant et solaire. Ses échanges avec le contralto plus aérien, souple et poignant de Marie-Nicole Lemieux sont d’une beauté à couper le souffle. Le Credo révèle notamment le timbre clair et du ténor Cyrille Dubois sur « Et homo factus est ». L’Agnus Dei révèle un Nicolas Courjal tendre et ancré. Incarnation de l’espoir et de la foi renouvelée en l’humain, le chœur se fait lui aussi soliste le temps du « Quoniam », grand moment du Gloria, et orchestre le temps d’entrées fuguées époustouflantes, jusqu’à l’apaisé et émouvant « Dona Pacem, Pacem ». Qui récoltera une longue ovation bien méritée.

Joué au le 14 juillet au Théâtre antique d’Orange dans le cadre des Chorégies.