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« Los Delincuentes », qu’est-ce qu’on attend pour être heureux !

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@WancaCine

Morán (Daniel Elías) est employé dans une banque de Buenos Aires. Célibataire de plus de quarante ans, sans perspectives, englué dans la routine dodo-métro-boulot, il prend soudain conscience (on comprendra bien plus tard pourquoi) qu’il perd sa vie à la gagner. Il décide donc de braquer sa banque. Non par cupidité ou folie des grandeurs mais par un simple calcul : il prendra la somme qu’il aurait dû percevoir jusqu’à sa retraite en une fois. Il y ajoutera une part destinée à dédommager un de ses collègues Román (Esteban Bigliardi), qu’il entraîne dans l’aventure. Il le charge de cacher le butin loin de la ville pour le récupérer à sa sortie de prison, puis se livre à la justice. Il estime sa peine à environ trois ans. Trois ans de taule contre le reste d’une vie de liberté. Pour lui, le compte est bon. Son complice adhère peu à peu à ce projet dément ou raisonnable – va savoir… Román abandonne sa femme et ses deux enfants pour trois jours, suit l’itinéraire que Morán lui a indiqué et qu’il a parcouru avant son délit. Román rencontre la belle et libre Norma (Margarita Molfino), sa sœur Morna (Cecilia Rainero) qui enregistre le bruit des herbes dans le vent, et Ramón (Javier Zoro Sutton) qui tourne un documentaire sur les jardins. Loin de son quotidien, il découvre comme Morán avant lui, une liberté qu’il ne s’autorisait plus.

A partir ce synopsis, on aurait pu imaginer un film de prison, de cavale comme il y en a tant. Puis un drame de trahison et de vengeance. Mais Los Delincuentes déjoue ces attentes. Le braquage s’inscrit dans le protocole quotidien de l’établissement bancaire, en silence et sans violence. L’enquête menée par une redoutable agente de la compagnie d’assurance, se fait en interne. Pas de poursuite spectaculaire. De filature angoissante. Pas de drame, pas de mort. Seule la prison reprend les motifs habituels, sans s’y appesantir fort heureusement. Quelques références au thema « voleurs au cinéma » jalonnent le scénario : un extrait de L’Argent de Robert Bresson, et quelques fausses pistes plutôt drôles.

… j’écris ton nom

Le crime, ici, c’est imaginer une autre vie inscrite dans un temps à soi, échapper à l’aliénation d’un travail alimentaire, trouver plaisir à vivre. Un côté anar à la Georges Darien, subversif mais individualiste.

Le réalisateur épouse le rêve de son anti-héros principal : élargir le champ pour prendre la poudre d’escampette. On passe des plans serrés et de l’espace clos des appartements, des locaux cadenassés des geôles ou de la banque, aux plans larges sublimant une campagne argentine idyllique sans clôtures. Les travellings verticaux ou horizontaux balayant le centre urbain, suivant le flux de la foule ou le surplombant, laissent place aux plans fixes, picturaux d’un déjeuner sur l’herbe près de la rivière ou à des panoramiques de western. Déclinant l’opposition initiatrice du scénario, « obéir/se rebeller », la mise en scène ne cesse de jouer sur la dichotomie : ville/campagne, Buenos Aires/Córdoba, intérieurs oppressifs badigeonnés de marron/extérieurs ouverts à tous les possibles, saturés de lumière. Split-screens pour réunir  espaces et temps. Tout devient indice dans ce jeu de piste de trois heures où on ne s’ennuie jamais. L’énigmatique scène initiale dans laquelle une cliente se voit refuser l’encaissement d’un chèque car elle a la même signature qu’un autre client de la banque, ne trouvera sens que plus tard.

Le vinyle des Pappo’s Blues, groupe de rock argentin, élément de la superbe BO – aux côtés de Bach, Camille Saint-Saëns, Francis Poulenc et Astor Piazzola, deviendra un objet transitionnel inattendu.

Le jeu oral pratiqué par Roman et ses compagnons de chemin, qui consiste à enchainer le nom de villes en prenant comme initiale la dernière lettre de celle citée précédemment, ne fera écho qu’après la fin du film. Tout comme le poème de Ricardo Zelarayan, La Gran Salina découvert en prison par Morán

Avec les cinq lettres du mot roman, Rodriguo Moreno (dont les initiales reprennent le R de Román et le M de Morán) nomme ses personnages par anagrammes : Morán, Román, Norma, Morna, Ramón. Des personnages et un auteur, en quête de liberté.

La fin reste ouverte sur les paysages de Córdoba tandis qu’on entend la voix de Pappo, comme une invitation à la chasse au trésor :

C’est impossible de résister
Jamais nous n’avons été dans une si mauvaise passe
Où l’ont-ils mise la liberté ?

ÉLISE PADOVANI

Los Delincuentes, de Rodrigo Moreno 
En salles le 27 mars

Dans les pas du flamenco 

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Maria Pérez © X-DR

Zébuline. Comment a été pensée cette 6e édition du Festival ?  
María Pérez. Notre festival se veut à la fois populaire, savant et solidaire. On n’est pas une vitrine de flamenco, on l’utilise comme prétexte pour créer des événements accessibles à tous, c’est un acte politique tourné vers les plus démunis, et qui se veut inclusif. Le thème de cette année, « Énergie en Méditerranée », m’a été inspiré par la chorégraphe Olga Magaña qui souhaitait faire une création avec un collectif de femmes migrantes ou en situation de détresse social. Ce projet s’appelle A Pulso. Le pulso c’est le pouls, mais faire quelque chose a pulso c’est la faire avec aucune autre force que la sienne, donc c’est une autonomie, une indépendance, un déploiement d’énergie.  

En quoi le flamenco est-il un art privilégié pour porter ces valeurs ?  
Le flamenco est un terreau magnifique pour l’expression des peuples exclus, de part son histoire. Il a été créé en Andalousie, au XVIe siècle, par des peuples exclus, persécutés et esclavagisés : les Noirs, les Gitans, les Arabes et les Juifs. Ils souffraient et se retrouvaient pour créer, chanter et exulter un peu leur misère. En cela, c’est un art qui est comparable au jazz ou au rap.  

Et c’est un festival international.  
Oui, ce serait un peu absurde que ce ne soit pas le cas. Le flamenco est présent dans le monde entier, et il a une influence grandissante sur l’histoire de la musique et du spectacle. Par exemple, dans cette édition, il y a Christina Hall qui est américaine, de San Francisco et habite à Séville depuis 18 ans. Il y a aussi Antonio Segura, à la Cité de la Musique. C’est un guitariste belge, fils d’immigrés d’origine andalouse, qui propose un flamenco très profond, très pur, avec quelque chose un peu jazz très novateur.  

Vous présentez ce festival comme un rendez-vous populaire, solidaire et savant. Si l’on entend les deux premières notions, qu’entendez-vous par savant ?
Sous Franco, il y avait des chants interdits, des artistes qui étaient obligés de partir. Mais ceux qui sont restés ont eu beaucoup de travail, car il fallait montrer une bonne image de l’Espagne, celle d’un un pays joyeux, où les jupes tournent. Il fallait que ce soit un cliché facile à lire de l’étranger et attractif pour le tourisme. Depuis, cette image lui colle à la peau, ce son côté tape à l’œil, espagnolade à deux balles, très vulgaire. En réalité, c’est un art transdisciplinaire, sublime, peut être le plus abouti de tout le pourtour méditerranéen. Il faut plusieurs vies pour le décrire et le comprendre. Ça, on y tient. 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR CHLOÉ MACAIRE  

Flamenco Azul
29 mars au 28 avril
Divers lieux, Région Sud
festivalflamenco-azul.com

« La dynamique culturelle publique d’un pays est essentielle »

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Pierre Dharréville © X-DR

Zébuline. Pourquoi ce projet de loi sur le statut des artistes-auteurs ? 

Pierre Dharréville. C’est évident, la création n’existe pas sans eux, et ils n’ont aucune garantie chômage. Depuis plusieurs mois nous menons une réflexion concrète sur la continuité de leur revenu avec les différents partenaires et représentants de ces professions. Les interprètes et les techniciens sont protégés par les annexes 8 et 10 mais l’acte d’écriture, de création, n’est rémunéré que par le patrimoine qu’il crée, c’est-à-dire le droit d’auteur. Ces professions ont le droit d’être reconnues comme un travail.

De quelles professions est-il question ? 

Elles sont diverses. Les photographes, les plasticiens et plasticiennes, peintres, designers, les paroliers, compositeurs et compositrices, les autrices et auteurs, les traductrices, bédéistes, chorégraphes, scénographes… Il s’agit de 350 000 personnes selon les chiffres officiels. Ce sont des professions assez invisibles, à qui on demande généralement de faire autre chose ailleurs.

Sur quels critères seraient-ils reconnus comme artistes-auteurs ? 

Évidemment il s’agit de fixer un seuil, on ne s’autoproclame pas artiste-auteur. Nous allons proposer une porte d’entrée au droit à l’indemnisation chômage, il faudra avoir perçu l’équivalent de 300 heures au Smic à l’année.

Est-ce le même seuil que pour l’ouverture des droits maladie et maternité ? 

Non, même si ces seuils fixés pour la Sécurité sociale doivent aussi être discutés. Là, il s’agit de l’Unédic, de la continuité de revenu entre deux périodes d’activité. Beaucoup d’artistes sont de fait au RSA. Si on les oblige désormais à faire 15 heures d’activité par semaine c’est la création artistique qui va en pâtir. Il est facile de justifier de ce qu’on a perçu au titre d’un travail d’auteur, il n’y a pas de raison que ces professions soient traitées comme si elles ne travaillaient pas.

Et comment financer ce dispositif ? 

La nécessité d’une loi c’est d’être juste, pas d’être financée. Mais l’Unedic est très bénéficiaire, et il faut bien sûr que les cotisations chômage augmentent et s’alignent, pour les artistes-auteurs, sur celles des autres professions. La proposition de loi est tout à fait pragmatique, et finançable, même s’il s’agit d’ouvrir aujourd’hui la discussion sur ses modalités d’application. C’est urgent, ces professions menacées aujourd’hui par l’émergence de l’intelligence artificielle sont fragilisées comme jamais. En réalité, si on n’a pas de protection des artistes-auteurs c’est le marché qui fait le tri. On sait, historiquement, que ceux que nous considérons comme de grands artistes aujourd’hui ont souvent eu peu de succès auprès des marchands. On ne peut pas laisser le marché réguler la création artistique. 

« La nécessité d’une loi c’est d’être juste, pas d’être financée »

À l’heure où Rachida Dati veut fermer des écoles d’art, ne vous sentez-vous pas à contre-courant ? 

Du gouvernement peut-être ! Quelle est cette idée ? Avons nous trop d’écoles d’art, trop d’artistes ? On a besoin de la création humaine, plus que jamais en ces périodes difficiles. J’ai été très choqué par cette déclaration. Dès l’annonce de réduction de budget par Bruno Le Maire, elle a déclaré qu’elle puiserait dans les fonds de réserve, ce qui est une illusion. Là elle veut fermer les écoles d’art publiques, alors même que les écoles privées se multiplient. Que les collectivités territoriales veuillent faire le compte de ce qu’elles dépensent dans les écoles supérieures d’art, cela se comprend. Mais l’enseignement supérieur, c’est de la responsabilité de l’État. Les collectivités territoriales vont de plus en plus mal, elles sont étranglées par les restrictions de leurs recettes et savent que cela va s’aggraver encore. Elles mettent l’État face à ses responsabilités dans la formation supérieure des artistes, et la réponse est la fermeture ? C’est inacceptable. On sait que les politiques culturelles trinquent en premier lorsque les collectivités territoriales font face à des restrictions budgétaires. Aujourd’hui la question est : veut-on la disparition de la création artistique ?

Quelle solution envisagez-vous pour financer cette baisse de budget de plus de 205 millions annoncée par Bruno Le Maire ? 

C’est incroyable. Le gouvernement est en train d’amender un budget qu’il a écrit tout seul et imposé tout seul sans même en discuter avec les députés… Il faut donc porter le combat, et je me ferai le relais des aspirations que porte le secteur mais qui nous concernent tous. La dynamique culturelle publique d’un pays est essentielle. 

Certains parlent de récupérer pour la création les 273 millions consacrés au Pass culture, qu’en pensez-vous ? 

D’abord, il ne s’agit pas d’accepter cette baisse de 204 millions ! Mais oui, effectivement, nous n’avons jamais été des défenseurs du Pass culture, qui n’atteint pas sa cible. Évidemment certains en font un usage intelligent, les librairies en particulier bénéficient du dispositif, mais il est globalement inefficace. Le dernier rapport documenté fait état de deux choses : ceux qui s’en servent ont déjà des pratiques culturelles. Et : il vient essentiellement alimenter un marché, c’est à dire les produits culturels des industries. L’argent public finance le privé et restreint le service public de la culture… Cette marchandisation s’accompagne d’une uniformisation des contenus, et l’ordre du divertissement triomphe. 

« Il faut que les inégalités territoriales cessent »

Qu’opposez-vous au divertissement, qu’est ce qui devrait triompher ? 

Le divertissement est nécessaire, mais la culture est aussi émancipatrice, créative, subversive. Elle appelle au partage, à l’échange, au dépassement de soi. Il y a peu de chances que le marché parie sur ces valeurs-là, et c’est pour cela que les politiques culturelles publiques sont nécessaires. L’autre point d’alerte, c’est la cohésion de la nation. Il faut que les inégalités territoriales cessent et que la politique culturelle de l’État ne soit pas essentiellement captée par Paris. Qu’il y ait des charges de centralité, c’est normal, mais pas au point où nous le vivons. Les collectivités territoriales ne peuvent plus assumer presque seules la vie culturelle de leur territoire. À ces déséquilibres, Rachida Dati répond par un plan pour la ruralité, méconnaissant le fait que la majorité des Français ne vit ni à Paris, ni en ruralité, mais dans des moyennes ou grandes villes que l’État délaisse. Il ne s’agit pas d’enlever des crédits culturels aux établissements parisiens, donc si on veut rééquilibrer il faut investir plus, pas moins. En fait, il s’agit simplement de savoir si nous voulons rester une grande nation culturelle.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR AGNÈS FRESCHEL

Violence (non) conjugale

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© J2mc-photo

Un homme, une femme, un huis clos. La pièce de Carole Fréchette a de quoi séduire les compagnies qui croient encore aux textes dramatiques, ceux qui déroulent des situations entre des personnages qui dialoguent, derrière le quatrième mur de la fiction. Nécessitant peu de moyens, en dehors du talent des comédiens et de la mise en scène, le texte de la dramaturge canadienne est souvent monté dans de petits théâtres, et embarque les spectateurs dans ses tensions et son histoire, à rebondissements. 

Portés par la mise en scène d’Henri Fernandez, qui joue des lumières et des sons pour faire surgir la rue et les espaces narratifs dans le petit appartement où le drame se noue, les deux acteurs s’affrontent. Solène Castels joue la princesse hystérique, jusqu’à l’agacement, Alexis Pottier le cynisme brutal, jusqu’à l’effroi. Car une sensation étrange persiste face à cette histoire de couple qui n’en n’est pas un : il est là pour l’argent, elle l’a recruté par petite annonce, mais veut monnayer non du sexe ou de la compagnie mais de l’amour, qu’il n’éprouve pas. Qu’est-ce que cela raconte ? 

Propos limite

Il est question de viol, de violence, de féminicide qu’elle semble vouloir provoquer, de suicide pour échapper à la contrainte. Comme si, cherchant l’amour, ils ne pouvaient trouver que le mensonge, le traumatisme, la violence, le meurtre. Comme si les femmes étaient forcément trop bavardes, et les hommes forcément trop brutaux. La mise en scène, littérale malgré quelques jolies échappées, renforce ces caricatures, sans jamais les révoquer. Il la séduit en la menaçant avec un couteau, elle l’enferme, lui ment, l’exploite, le saoule de mots et de reproches… Jusqu’à ce qu’on comprenne qu’il la frappe ? 

AGNÈS FRESCHEL

Jean et Béatrice a été joué les 15 et 16 mars au Théâtre Strapontin, Marseille

Énigmes du retour

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Voilà plus de trente ans qu’Akos Verboczy a quitté Budapest pour Montréal. Parti à l’âge de onze ans sous l’impulsion de sa mère, et en compagnie de sa sœur, c’est aussi et surtout son père et sa patrie qu’il laisse alors derrière lui. Déjà explorée dans l’essai autobiographique Rhapsodie québécoise : itinéraire d’un enfant de la loi 101, paru en 2016 et se concentrant sur son arrivée au Canada, c’est de nouveau de cette rupture entre deux continents et deux pans de son identité qu’il est question avec La Maison de mon père, sa première incursion dans le genre du roman encore très teintée d’intime. 

L’exil en héritage

Le Québec deviendra, on le devine, le lieu choisi par la branche maternelle, famille juive contrainte à plusieurs reprises à l’exil pour échapper aux vagues successives de persécution. Tandis que la Hongrie du père, issu d’une lignée aristocratique peu à peu décimée, semble appartenir au domaine de l’imaginaire et du fantasme révolu. Volage, alcoolique, endetté, irresponsable, le père n’aura pourtant pas laissé que des souvenirs amers à son fils, avant sa mort une douzaine d’années plus tôt. Non sans émotion, l’alter ego d’Akos Verboczy se lance à la recherche de cette « maison où le grenier est au rez-de-chaussée », comme il la qualifiait dans une de ses rédactions d’écolier, en compagnie de son ami d’enfance. Sur son chemin, l’enfant devenu quadragénaire s’affaire à retrouver différents membres de sa famille, et même son premier amour. L’occasion pour l’auteur au style tendre et lyrique de se frotter à une langue qu’il n’a jamais oubliée, et se révèle lourde de sens. Ainsi la « pótmama », se traduisant du hongrois en « mère suppléante », occupe-t-elle dans ses souvenirs une place bien à part ; ou le « haza » désignant à la fois la maison, la patrie et le foyer. Et de conserver de ce pays une douce mélancolie.

SUZANNE CANESSA

La Maison de mon père, de Akos Verboczy
Bruit du Monde - 21 €

Aucune idée : de l’absurde qui divise

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© Julie Masson

C’est éclatant. De la musique, de la poésie et de l’absurde. Voilà ce à quoi invite le dramaturge Christophe Marthaler dans Aucune idée. Une pièce qui s’ouvre dans un intérieur d’appartement vieillot et les notes de la viole de gambe du musicien Martin Zeller. C’est beau, et on aime le timbre baroque qui se dégage de l’instrument, surtout pour cette pièce qui se révélera tout aussi baroque et timbrée. Car bientôt arrive le comédien Graham F. Valentine, qui doit se reprendre à plusieurs fois pour ouvrir la boite aux lettres, et d’attaquer ainsi sa masterclass de comédie absurde et poétique qu’il déroulera pendant toute la durée du spectacle. On pense surtout à cet incroyable solo de beatbox – ou de parole – on ne sait pas trop – qui déclenchera tantôt des rires sincères, nerveux, gênés, tantôt l’indignation. Alors oui, il n’y aura pas de tension dramatique pendant la durée du spectacle, mais ce n’était certainement pas l’effet recherché, et il est parfois agréable de se laisser emporter loin de tout propos et de toute rationalité. N.S.

© Julie Masson

C’est éclaté. Un verre de Coca-Cola sans bulles, ce n’est pas horrible, mais c’est quand même décevant et sans grand intérêt. De la même manière, Aucune Idée de Christophe Marthaler n’est pas un ratage complet, mais on aurait pu s’en passer. À certains moments, le dramaturge finit par avoir les spectateurs à l’usure, à force de répétitions burlesques, mais pour le reste, on s’ennuie quand même beaucoup. Il faut être honnête, il y a quand même quelques bonnes idées : ce drôle de cambriolage, tout en politesse, pendant lequel le personnage interprété par Graham F. Valentine explique à sa victime « vous faites partie des gens qui valent le coup d’être cambriolés » ; ou encore l’astucieux mécanisme qui fait tomber des bibles et des magazines de l’intérieur du mur dans la boîte aux lettres ouverte. Mais ces moments ne permettent pas de pallier l’inexistence de continuité narrative ou de construction de personnage. Finalement, le seul moment vraiment stimulant, ce sont les dix dernières secondes… C.M. 

Aucune idée était donné les 14 et 15 mars au Théâtre des Salins, scène nationale de Martigues.

Un 20 000 lieues sous les mers sans fosse note 

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20000 Lieues sous les mers © Fabrice Robin

Et soudain le noir. Celui des abysses et de l’inconnu. Ainsi s’ouvre l’adaptation du roman de Jules Verne, 20 000 lieues sous les mers donnée ce 16 mars au Liberté à Toulon. Nous voici dans le Nautilus, ce sous-marin construit par le capitaine Nemo pour fuir la terre ferme, et les hommes qui l’occupent. Il recueille à son bord le professeur Aronnax, son domestique Conseil et Ned Land, un harponneur chasseur de baleine. Tous trois étaient à bord de l’Abraham Lincoln, navire amiral de la flotte américaine pour chasser un monstre marin. Mais c’est sur le sous-marin qu’ils tombent, et dans lequel ils se retrouvent coincés, à tout jamais peut-être.

Super-marionnettes 

De scènes en scènes, nous suivons la vie des trois captifs, du capitaine et de sa servante interprétée par l’excellente Pauline Tricot, seule femme au casting. Et s’il ne se passe pas grand-chose ici bas, on est bien dans ce salon cosy du fond des mers, et l’on partirait volontiers pour un tour du monde en leur compagnie. Il faut dire que les décors, sublimes, laissent un goût de sel, de rouille, et d’aventure dans la bouche. 

Puis viennent les ballets de marionnettes. Le moment plus vibrant du spectacle. D’abord depuis le hublot, et le passage impromptu de quelques poissons à la chorégraphie aussi maîtrisée que drôle. Elle devient ensuite poétique, quand le professeur et le capitaine s’essaient à la plongée, et que le marionnettiste mime jusqu’à la pesanteur des objets lancés sous l’eau. Spectacle saisissant signé Valérie Lesort, qui a valu à la pièce le Molière de la création visuelle en 2016. 

Il a fallu de l’audace pour présenter sur scène l’œuvre de Jules Verne, et l’on est admiratif du rendu : tout est fluide, et la magie opère toujours. Peut-être que l’on pourrait regretter le manque de profondeur de la pièce… qui reste sagement dans son XIXe siècle originel, loin des préoccupations contemporaines. Mais il faut prendre ce 20 000 lieues sous les mers pour ce qu’il est : du grand et beau spectacle, dont on rechigne à refaire surface.     

NICOLAS SANTUCCI 

20 000 lieues sous les mers était donné les 15 et 16 mars au Liberté, scène nationale de Toulon

Nicolas Philibert : des soins de toute beauté 

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Averroes et Rosa Parks © LES FILMS DU LOSANGE

Ours d’or avec Sur l’Adamant en 2023, Nicolas Philibert revient à la Berlinale avec son nouveau film, Averroès et Rosa Parks. Le second volet de son triptyque sur la psychiatrie, qu’il nomme lui-même le contrechamp du premier, où il filmait un centre de jour installé sur une péniche dans le centre de Paris : « Il ne fallait pas que le bateau soit considéré comme un lieu isolé. C’est un peu comme si, après avoir filmé ce qui est sur le devant de la scène, je montrais cette fois les coulisses, les soubassements. » 

Il nous emmène pendant plus de deux heures à l’hôpital Esquirol, dans deux pavillons de Paris centre, Averroès au rez-de-chaussée et Rosa Parks à l’étage. Il nous permet de rencontrer une douzaine de patients, des personnes différentes des gens dits normaux ainsi que leurs  soignants. Des rencontres qui peuvent nous surprendre, nous questionner, nous dérouter, nous ouvrir les yeux. Des gens qui n’ont pas de filtres face à la violence du monde, ce qui les fait dérailler. Tel Noé, un professeur très cultivé qui parle près d’une douzaine de langues, qui a eu son premier « pétage de plombs » à 28 ans, en plein burn-out.  

Une image soignée

La caméra bienveillante dePhilibert filme les entretiens individuels où se dévoilent les fragilités, les obsessions, le passé qui a conduit ces hommes et ces femmes à franchir la frontière de la « normalité ». Les soignants ont aussi toute leur place : ils écoutent, questionnent, rassurent, font émerger la parole. « Filmer la parole c’est filmer des visages, des regards, des mimiques, des gestes, des silences, des rires, des hésitations, des raccourcis, des associations, des extrapolations, des manières d’occuper l’espace et d’en ouvrir de nouveaux », explique Nicolas Philibert. Un film sur l’écoute, la nôtre aussi, celle de spectateur enfermé dans la salle de cinéma, plongé dans un univers « un peu flippant, comme un pénitencier » qui peut refléter nos peurs de la solitude, de la maladie ou de la mort, qui nous renvoient à nos propres vulnérabilités. 

En 1996, Nicolas Philibert avait tourné La Moindre des choses sur la clinique psychiatrique de La Borde, nichée dans les environs de Blois : il y filmait patients et soignants qui préparaient la traditionnelle pièce de théâtre du 15 août. Il vient de finir son quatrième film sur la psychiatrie : La machine à écrire et autres sources de tracas où il a accompagné des soignants bricoleurs au domicile de quelques patients, troisième volet du triptyque. Car comme l’explique le réalisateur, « la psychiatrie est une loupe, un miroir grossissant qui en dit beaucoup à la fois sur l’âme humaine et sur l’état d’une société. »

ANNIE GAVA

Averroès et Rosa Parks, de Nicolas Philibert
En salles le 13 mars 

Aimer, coudre et fricoter 

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Laissez-moi © EUROZOOM

Découvert à Cannes l’an dernier (en ouverture de l’Acid 2023), le premier long métrage de Maxime Rappaz, Laissez-moi, se déroule dans le Valais natal du réalisateur. Le paysage épuré, presqu’abstrait, largement symbolique, structure le film autant que Jeanne Balibar, de tous les plans dans le rôle phare, lui donne chair et sensibilité.

Il y a la montagne, la beauté du Val d’Hérens. Un village de vallée. Un hôtel d’altitude perché à 2500 mètres, grand parallélépipède austère gris bleu, près du prodigieux barrage de la Grande Dixence. Des millions de tonnes de béton. Pas plus lourd que ce qui pèse sur  Claudine (Jeanne Balibar). Des millions de mètres cubes d’eau. Tout aussi retenus que ses désirs. En bas, la base. En haut, l’échappatoire, le possible d’un jour, l’impossible d’une vie.

Claudine, la cinquantaine élégante, est couturière à domicile. Elle s’occupe seule de son fils déjà « grand » comme elle dit, handicapé psychomoteur privé d’autonomie (Pierre-Antoine Dubey). Tous les mardis, elle le confie à sa voisine, revêt sa robe blanche, son trench, peint ses lèvres de rouge, chausse ses bottines, et prend le bus pour l’hôtel du barrage. Avec la complicité d’un employé, elle choisit au restaurant des hommes de passage, seuls, se fait raconter les villes d’où ils viennent, couche avec eux sans demander d’argent, et redescend. Avant de rentrer, elle poste une lettre bleue pour son fils, qu’elle signe papa. Elle la lui lira plus tard, reprenant les mots de ses amants d’une fois, inventant un père voyageur qui décrirait les villes où il passe. 

Le sens du détail

Le réalisateur nous installe dans cette routine et dans les rôles multiples de Claudine. Mère dévouée, exemplaire, sacrificielle. Travailleuse modeste, sérieuse dans l’intimité de son atelier, à l’écoute de ses clientes : la très vieille femme qui renonce à se faire belle ou la jeune fille qui confie à Claudine la confection de sa robe de mariée. Claudine encore, lunettes noires, séductrice mystérieuse puis amante sensuelle. Une femme à mi-chemin de l’existence qui semble maîtriser sa double vie jusqu’au jour où elle rencontre Michael (Thomas Sarbacher) un ingénieur en mission qui pourrait ouvrir la cage où elle s’est elle-même enfermée. Car construire sa propre prison, ce n’est pas être libre. 

Maxime Rappaz qui vient de la mode a le sens du détail, du motif, du style. Il nous offre ici un film délicat. Mélancolique comme un voyage immobile. Du cousu main pour la grande Jeanne dont le verbe rare, le phrasé un peu traînant, la voix douce et vibrante laissent brûler un feu dévorant sous la placidité du lac.

ÉLISE PADOVANI

Laissez-moi, de Maxime Rappaz
En salles le 20 mars

La sculpture dans tous ses états 

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Photo de l’installation JEAN(S) 1-74 © M.V

Sous ce titre énigmatique Cendrer ses sculptures, l’artiste trentenaire, qui vit et travaille entre Paris, Marseille et Mexico, expose des œuvres réalisées entre 2014 et 2024. Dans les deux premiers espaces de Vidéochroniques, ce sont des sculptures constituées d’objets et de matériaux de récup à prédominance métallique, qui ont des allures d’assemblages, de jeux d’équilibre rêveurs, à la fois minimalistes et fantaisistes. Des bouts de cadres, étagères, supports, plaque découpée, barre, tige, grilles de rayonnages, associées à des rouleaux de revêtements décoratifs, bande de protection pour le cou, sac plastique, hublot, soucoupe en métal, tissu. Et même une branche d’arbre, servant de jambe de bois à une étagère esseulée. Trois ou quatre éléments associés, des sortes de calligraphies brèves et précaires, en trois dimensions.

Traduction des formes

Pas de cartels sur les murs, mais un livret de visite avec le plan de l’exposition, où l’on apprend que cette série de sculptures est regroupée par l’artiste sous le terme de « Misensemble ». Le texte d’Edouard Monnet, directeur de Vidéochroniques, donne plus d’informations sur la démarche artistique de Victoire Barbot : ses recherches portent sur différents états possibles d’une même sculpture. Elle a mis en place un protocole de création, qui part de la collecte et de l’assemblage, qu’elle fait suivre du dessin de cet assemblage, puis de sa version démontée et rangée, puis de la boite de rangement, de la mise en plan de la boîte, et finalement d’une mise en ligne « obtenue par l’addition des périmètres de chaque polygône figurant sur le plan ». Sept états différents pour une même sculpture, la mise en exposition de l’un des états excluant la mise en exposition des autres.

Adaptations de portes

Changement d’échelle avec les œuvres monumentales présentées dans les trois autres salles de Vidéochroniques : deux œuvres murales, chacune dans une salle, l’une en plaques de métal dorées embossées (5m de haut, 3m de large), l’autre un bas-relief en brique de mousses gravées (6m de haut, 4m de large). La première, Sans titre pour Paradis fait référence à La Porte du Paradis de Lorenzo Ghiberti, face à la cathédrale Santa Maria del Fiore à Florence, l’une des œuvres magistrales de la Renaissance. La seconde, Touchée, coulée, en briques de mousse gravées, est une adaptation de La Porte de l’Enfer de Rodin, d’où furent extraites pendant plus de 30 ans ses plus fameuses sculptures individuelles, dont le célèbre Penseur. Enfin l’installation, titrée JEAN(S) 1-74, est une sorte de jardin fragile, occupant tout l’espace, dans lequel on se déplace comme dans un magasin de porcelaine. Une démultiplication des mêmes matériaux, en l’occurrence : des tubes en cuivre, accueillant des épis de blé, dans les tiges desquels sont prises des cartes à jouer.

MARC VOIRY

Cendrer ses sculptures – Victoire Barbot
Jusqu’au 4 mai
Vidéochroniques, Marseille