mardi 22 juillet 2025
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Le combat d’un chef

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Michele Spotti © Marco Borrelli

Depuis sa nomination en tant que directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Marseille, le jeune chef italien Michele Spotti était très attendu par le public de l’Opéra. Quelques jours après avoir assuré durant tout le mois de novembre la direction de Turandot à Bastille, le revoilà donc de retour à Marseille, et plus précisément à l’auditorium du palais du Pharo, pour son premier concert en tant que chef titulaire. Et qui plus est sur un programme ambitieux, assez éloigné du répertoire habituel de l’orchestre pour surprendre, et pourtant constitué d’œuvres passionnantes à jouer comme à entendre.

Des grands noms convoqués

Le concert s’ouvre sur la Pulcinella-Suite de Stravinsky, sorte de manifeste pour un retour aux fondamentaux après l’éclat du Sacre du printemps, pétri d’influences plus baroques que classiques, au premier rang desquels Bach et son art inégalé du contrepoint. Composée sous sa forme ballet pour orchestre et voix, la pièce redistribue dans sa version orchestrale le chant aux instruments et tout particulièrement au hautbois de l’impeccable Ivan Kobilskiy, très présent tout au long du concert, mais aussi au premier violon de Marcello Miramonti

On s’aventure avec Richard Strauss et son Concerto pour hautbois vers les mêmes paysages mélancoliques : Bach semble avoir laissé la place à Mozart et à son sens des proportions, mâtiné de mélancolie. Le hautbois de l’impressionnant soliste Francesco di Rosa dialogue, comme c’est souvent le cas dans l’orchestre straussien, avec l’alto lyriquissime de Magali Demesse.

C’est enfin Beethoven que l’on croit entendre en remontant encore un peu plus loin, chez Schubert, dans cette Symphonie n°4 dite « La Tragique » pourtant bien moins déchirante que ses partitions ultérieures. L’orchestre déclame d’une seule voix cette œuvre de jeunesse rarement jouée, et pourtant très habitée. Avec une joie redoutablement communicative.

SUZANNE CANESSA

Concert donné le 3 décembre au Palais du Pharo, Marseille.

Conte à quatre mains 

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Hänsel et Gretel © Mirco Magliocca

Au départ, le spectacle a été conçu avec l’Orchestre de Paris et Grand Corps Malade en récitant, voix off, sur les dessins de Lorenzo Mattoti, le génial réalisateur du film d’animation La Fameuse Invasion des ours en Sicile. Dominique Pitoiset et Nadia Fabrizio reprennent le spectacle, adaptent le texte, conçoivent une mise en espace, réduisent la taille de l’orchestre à une transcription sur piano à quatre mains. Puis mettent en place une scénographie et des effets de lumière qui font véritablement entrer la représentation dans l’univers du théâtre. Trois pièces musicales suivent le récit, Hänsel et Gretel de Engelbert Humperdinck, La Nuit sur le Mont Chauve de Moussorgski et sa Sérénade, pièce du cycle des Chants et danses de la mort (arrangements pour quatre mains de Richard Kleinmichel). 

Mystère poétique

Les deux pianistes sur scène, Elsa Bonnet qui joue « à la maison » (elle a débuté ses études pianistiques à Aix-en-Provence avant d’intégrer le CNSM de Paris et de connaître une carrière internationale) et Pierre-Marie Gasnier lui aussi au palmarès impressionnant et « ambassadeur Pleyel », adoptent des costumes (dus à Nadia Fabrizio) qui renvoient aux deux protagonistes du conte, petite robe de poupée et nœud blanc dans les cheveux pour elle et tenue d’enfant sage pour lui. La vivacité complice et intelligente des instrumentistes tresse les phrases musicales autour du récit porté avec une subtile espièglerie par Nadia Fabrizio. Les voix des personnages naissent au fil de la narration ; les articulations du conte, les formules incantatoires scandent le déroulé de l’action tandis que les dessins de Lorenzo Mattoti, rétro-projetés sur un grand écran en fond de scène épousent les péripéties du conte. On voit l’ombre de la main armée d’un pinceau tracer des formes étranges qui peu à peu prennent sens. 

La peur invoquée d’emblée par la conteuse se traduit dans le foisonnement des arbres, des perspectives où s’entremêlent ronces, buissons et fourrés, laissant une place minuscule aux personnages stylisés. Le mystère poétique des formes correspond à celui des musiques, et enrobe le spectateur dans son orbe expressionniste. Le conte se mue en fable par sa morale qui célèbre la fraternité solidaire. Le spectacle accessible dès huit ans est une pépite dont les largement plus de huit ans se régalent aussi !

MARYVONNE COLOMBANI

Hansel et Gretel a été donné du 30 novembre au 2 décembre au Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence.

Qui trop embrasse

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Nuit d'Octobre © Rémi Blasquez

On attendait de ce grand spectacle, produit par un centre dramatique national et joué à La Criée, qu’il donne enfin un écho auprès d’une vaste audience à cette page si noire de notre histoire contemporaine. C’est en partie une réussite, et le public du théâtre national de Marseille a été touché par la mise en drame de cette nuit où des centaines de « français musulmans d’Algérie », pacifiques, ont été tués par balles et coups de matraque, jetés à la Seine, torturés par la police française aux ordres de Papon. Pourtant cette histoire récente, aux échos hélas contemporains, ratait en partie son objectif artistique.

Sans nuance

Choisissant volontairement la fiction et récrivant l’histoire avec des personnages plausibles inspirés de personnages réels, les deux autrices voulaient s’éloigner du théâtre documentaire sans renoncer à rendre la complexité des faits et de ses ramifications, ajoutant à cette nuit d’octobre les essais nucléaires au Sahara, le métro Charonne un an plus tard, présentant sans nuance les policiers comme des abrutis fascisants secondés par des harkis cruels. Figurant le poids du silence avec trop de mots, brouillant les pistes au lieu de les éclairer, bousculant la chronologie de digressions, de dialogues avec des fantômes, alourdissant l’espace de décors, de pénombre, de pluie et de sable tombés.

Les comédiens, aux prises avec cette profusion, peinaient à faire naitre l’émotion de leurs personnages. Un constat d’autant plus regrettable qu’il suffirait sans doute de quelques coupures, quelques silences, un autre rythme, quelques moments intimes, pour que cette Nuit d’Octobre voit vraiment le jour.

AGNÈS FRESCHEL

Nuit d’Octobre a été joué du 29 novembre au 3 décembre à La Criée, théâtre national de Marseille. 

Trouver sa Place

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Place © Pascal Gely

C’est un spectacle déjà auréolé de nombreuses critiques élogieuses et de prix qui débarquait sur la scène du Théâtre Joliette. Place, de Tamara Al Saadi, déjà distingué du prix des Lycéens du festival Impatience 2018, encensé l’année suivante au Festival d’Avignon, ne perd rien de sa force, ni de sa sensibilité, malgré les années. Une pièce dans laquelle l’autrice et metteuse en scène revient sur son parcours de vie, elle qui a posé le pied en France avec toute sa famille suite à la première Guerre du Golfe, alors qu’elle avait 4 ans. 

Tout le propos répond à la problématique à laquelle la jeune femme est confrontée depuis son enfance. En France, où elle est réfugiée, elle doit apprendre à vivre avec ces deux cultures qui la traversent sans pour autant se renier. Pour donner du corps cette dualité, la jeune metteuse en scène choisit de dédoubler son personnage : Yasmine Nadifi jouera la version d’elle-même sensible à sa première culture, et Marie Tirmont sera celle qui souhaitera pleinement « s’assimiler ». 

Sur le plateau, une suite de scènes fugaces présente les différents membres de la famille. Le frère, joyeux et irrésistiblement drôle – remarquable Ismaël Tifouche – ; la sœur, dont on comprendra qu’elle est arrivée trop jeune pour être véritablement irakienne, trop tard pour se sentir française ; et les parents, tous deux malades d’avoir quitté leur terre natale. 

L’ensemble apportera ce qu’il faut d’humour et de tendresse. On rira fort, les yeux encore embués. Il y aura de la beauté aussi, comme quand une pluie de sable viendra marbrer le plateau, jusqu’alors pauvre de seulement quelques chaises en plastique. La pièce égratigne aussi la société française qui n’oublie jamais de renvoyer la jeune femme à ses origines, comme quand, titulaire d’un master, on lui demande si elle parle français. Dans cette pièce, Tamara Al Saadi parvient surtout à transcender sa propre histoire pour en faire un objet universel, avec une humanité qui se dégage dans chaque éclat de voix, de rire et de larme. 

NICOLAS SANTUCCI

Place a été donné du 28 novembre au 1er décembre au Théâtre Joliette, Marseille. 

« Faire ensemble »

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© Ville de Marseille

Zébuline. L’éducation populaire est une nouvelle délégation, créée par votre majorité en 2020. Êtes-vous satisfaite de ces trois premières années d’exercice ?

Marie Batoux. Si la question est de savoir si j’ai réintroduit de l’éducation populaire dans la politique publique, cela reste un sujet en cours ! et c’est pour cela que l’on organise les Rencontres. Car l’éducation populaire est un concept lointain, vaste, qui a été parfois malmené, parfois dévoyé, discrédité, perçu comme quelque chose qui n’est plus actuel, qui ignore que le peuple a une culture en voulant « l’éduquer ». Finalement, ce que l’on fait depuis ces dernières années avec les Rencontres, c’est se poser la question d’une éducation populaire du XXIe siècle, qui soit en phase avec une société qui a changé, mais qui reste sur ses principes fondateurs. Et on progresse, notamment sur la question de la participation de l’individu à la politique publique.

L’éducation populaire connaît, selon les époques ou les personnes, plusieurs définitions. Comment envisagez-vous ce concept ?

L’éducation populaire, pour moi, c’est un espace d’émancipation de l’individu dans un cadre collectif. Le « faire ensemble » est primordial dans la manière dont on peut penser les pratiques professionnelles, que ce soit des animateurs ou des acteurs d’associations  culturelles, sportives, citoyennes. Le dénominateur commun, ce qui permet de rassembler ceux qui se reconnaissent dans l’éducation populaire, c’est finalement la manière de produire un processus qui s’appuie sur l’individu dans un cadre collectif.

D’ailleurs le thème des prochaines Rencontres s’inscrit autour des « pratiques collectives ».

Exactement. La méthode pour construire le programme de ces Rencontres a été de garder les co-animateurs de l’année dernière, pour faire un bilan et progresser sur l’édition 2023. En septembre, nous avons invité tous ceux qui avaient été présents aux dernières rencontres pour faire un point d’étape avec les problématiques qui avaient été abordées et voir comment on allait plus loin. Donc on a vraiment été dans un processus de co-construction et, effectivement, ce qui est important dans la pratique des uns et des autres c’est que dans cette période historique où la pratique individuelle est valorisée à l’extrême, la question du collectif a des vertus et nous devons les remettre au centre de la réflexion. 

Marie Batoux © VdM

Pourquoi était-ce important d’organiser ces Rencontres ? 

C’était une délégation qui n’existait plus, ou qui n’a peut-être jamais existé à Marseille. Et la priorité était de se remettre d’accord sur ce qu’était l’éducation populaire. L’arrivée de Robin Renucci au Théâtre de La Criée a été un moment important : on s’adresse à quelqu’un qui travaille sur ces questions dans tous les endroits où il est passé depuis longtemps, donc je l’ai interrogé sur ce que signifiait pour lui, en tant que directeur de La Criée, le concept de  pratique artistique et collective. 

En 2022, [Les Rencontres de l’Éducation populaire de 2021 ont été perturbées par le Covid, ndlr] beaucoup de gens travaillant dans des petites structures, culturelles ou associatives, se sont mobilisées. On a été surpris par cette appétence. On n’avait pas forcément prévu de faire de nouvelles Rencontres mais c’était important pour moi de continuer ce dialogue-là, qui a été fondateur et fédérateur. Quelle est cette capacité que l’on a à travailler avec les habitants, qu’on soit élus, professionnels, acteurs sociaux, éducatifs ou culturels. Et donc on a construit deux journées, une première qui est sur un temps de rencontres professionnelles, et une deuxième ouverte au public et à tous ceux qui se reconnaissent de l’éducation populaire. Parmi les temps forts le spectacle Nos Héroines, particulièrement symbolique. C’est une pièce participative, construite par Wilma Lévy et sa compagnie de théâtre avec des femmes qui sont quotidiennement usagères d’un centre social

Il y a un débat organisé autour de l’esprit critique, un thème qui est souvent au cœur de l’éducation populaire. Certains disent pourtant qu’à trop vouloir enseigner l’esprit critique individuel, on favorise la montée des pensées complotistes. Que répondez-vous à cela ? 

Je pense exactement le contraire, c’est pour cela que l’on a un atelier sur l’éducation aux médias. Certains qui se pensent très critiques au regard de la pensée institutionnelle, et donc des journaux qu’ils pensent affiliés au pouvoir politique, sont beaucoup moins critiques quand une autre pensée arrive par les réseaux sociaux, qu’ils ont eux mêmes choisis, où ils dialoguent dans un cercle restreint sans questionner la manière dont l’information a été construite. La pensée critique nous permet de comprendre qu’un éditorialiste et un journaliste ce n’est pas la même chose. Que ça a sa place dans un journal, mais c’est une des choses qui probablement floute la perception du citoyen. C’est aussi cette incapacité qu’ont peut-être les médias à mettre en perspective une pensée, comme pendant le Covid, où l’on n’a pas été capable d’expliquer que la pensée scientifique, face à l’imprévu, avait besoin de temps pour se construire, et pouvait faire des allers retours sur son savoir. C’est cela que l’on doit reconstruire en terme de politique publique : nous devons nous armer collectivement face à ces questions qui émergent dès l’école, et en dehors de l’école. 

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI

Les Rencontres de l’éducation populaire
Du 8 au 10 décembre
Divers lieux, Marseille

L’art de la réparation

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Tangente distribution

 Dans une masterclass à Marseille, la réalisatrice Alessandra Celesia avait parlé de ce qu’était pour elle faire du cinéma : « Pour moi, filmer est une manière de s’interroger et de se “soigner”. Il y a quelque chose que tu ne comprends pas du monde et c’est en le filmant que tu essaies de le saisir. Filmer le réel, c’est tenter d’y mettre un peu d’ordre aussi. […] La réalité est insupportable alors il faut la raconter pour essayer de la comprendre. »

Chacun de ses films précédents lui a permis de peaufiner son travail en posant des questions : jusqu’où peut-on aller ? Le documentaire peut-il être vrai ? Qu’est-ce que la vérité ? Par exemple, dans Anatomie d’un miracle, la cinéaste qui n’est pas croyante, suivait trois femmes paralysées cherchant le miracle auprès de la vierge bleue qui saigne, métaphore de son impossibilité à vivre dans son Italie. Une manière de voir comment chacun s’en sort de ses blessures.

Une idée qui tombe à pic

La Mécanique des choses, son dernier film, plus personnel, nous donne à voir une cinéaste à fleur de peau, qui a besoin de réparer toutes ses failles. Un film qui s’est imposé tout à coup, à la suite d’une chute, celle de Tito, son chat, tombé du 8e étage, vivant mais les pattes brisées. Un choc pour Alessandra Celesia,qui en a fait resurgir d’autres, traumatismes de l’enfance, accidents de l’âge adulte. Culpabilité et envie de réparer. Elle contacte l’Association française de personnes paralysées et, grâce à la chercheuse Stefana Carelli, rencontre à Barcelone une équipe de chirurgiens chinois qui travaillent sur la régénération de la moelle épinière. Quand l’un d’entre eux accepte d’opérer Tito, nait l’idée du film.

Alessandra et son équipe partent à l’hôpital Tongren de Kunming, en compagnie de gens paralysés, volontaires pour être opérés. Un fil narratif clair : on va suivre leur aventure, les connaitre peu à peu, Aline, Virginie, Stéphane et toute l’équipe chinoise. Mais si on peut régénérer la moelle osseuse, peut on régénérer l’âme ? Par le jeu subtil du montage, d’autres strates surgissent, celles de la mémoire ; le présent et le passé se télescopent, nous révélant les blessures de la cinéaste : la culpabilité de n’avoir pu « sauver » son père de la dépression, d’avoir cru être responsable d’un accident de la route. Des images rugueuses, furtives, extraits de films de famille, son père au gouvernail d’un bateau sur la mer ou scènes reconstituées, l’accident et le motard, blessé à terre. Une fillette blonde, tantôt elle enfant, tantôt une autre. Elle adulte, filmée en gros plans par son fidèle directeur de la photo, François Chambe, face à sa thérapeute qui fait émerger l’iceberg, tomber les barrières. Un film particulier, un film qui soigne : « Le remède, c’est ça qui est à la base de mon film. » La Mécanique des choses ?  Celle des corps aussi et des choses qui sont en nous et qu’on n’arrive pas à connecter. Un film fort qui nous fait approcher de très près cette cinéaste sensible dont on avait fort apprécié les opus précédents, en particulier Come il bianco présente au FID 2020.

ANNIE GAVA

Le film a été présenté aux États généraux du film documentaire de Lussas.

La Mécanique des choses, d’Alessandra Celesia
En salles le 6 décembre
Une séance est prévue le 16 décembre au cinéma La Baleine (Marseille) en présence de la réalisatrice.(En clôture des RISC)

Les rivages du fric 

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L’écriture d’Agnès Mathieu-Daudé emporte le lecteur jusqu’à la pensée intime de la narratrice principale : « Élevée sur le tremplin de la frustration, Suzanne Valeyre était prête à être propulsée le plus loin possible. » Ce travail de la pensée, travail de re-construction identitaire, forme la matière principale du roman. Il est rendu particulièrement éprouvant par la transplantation du personnage d’un milieu modeste à un milieu doré, à la faveur du mariage improbable de cette belle française avec Paolo. Ce dernier est l’héritier d’un riche capitaine d’industrie italien, Ercole Signorelli, spécialisé dans la fabrication de roulements à billes, entrant dans la fabrication d’armements. 

La psyché individuelle des personnages s’inscrit dans l’histoire italienne du milieu du siècle dernier, qui voit l’émergence conjointe du fascisme et de l’industrie pétrolière, après celle du charbon. Aussi, un deuxième travail auquel se consacre Suzanne structure le roman. Il consiste à enquêter sur le kidnapping de Paolo enfant, en 1976, à la faveur d’une révélation fortuite. Cet événement prend la forme confuse et obstinée du secret de famille, qui définit le rapport au monde des Signorelli : « Taire des choses importantes, est le b.a.-ba des affaires ». En revanche, l’ancien métier de journaliste de Suzanne commande sa relation au monde, sous les formes conjointes d’une mauvaise conscience et d’une quête de vérité dont on ne sait jusqu’où elle la conduira…

Western spaghetti et comédie de mœurs

Le texte procède de flash-back en flash-back, insérés dans le présent, qui balisent plusieurs histoires et mémoires : histoire de l’Italie, storytelling de l’entreprise, histoire de famille, l’ensemble étant réuni par les forces conjointes de l’héritage et de la filiation. Le passé – la poignée de main entre Giorgio Signorelli, grand-père de Paolo, et Mussolini en 1938 – est ramené à l’actualité, sur des questions d’écologie ou encore de flux migratoires (les migrants étant ces fameux marchands de sable).

Le référent cinématographique, propre à la génération d’Ercole, est récurrent. La beauté des corps, dans ce monde de l’apparence et du décorum, est une ressource sociale centrale. Pour l’inoxydable mère de Paolo, « on ne laisse pas son corps à l’abandon ». Mais les descriptions des paysages sardes, au présent, ont un souffle poétique, puisant dans la beauté authentique et vulnérable de la nature, Suzanne étant particulièrement sensible à la dégradation écologique de l’île.

L’écrivaine aime saisir ses personnages de l’intérieur, à l’aide d’une minutieuse écriture du ressenti. Elle est équilibrée par la prise de distance qu’apporte un humour qui affleure constamment sous les mots : « la grotte dédiée à Tanit […] sur le sol de laquelle s’amoncelaient porte-bonheur et autres ex-voto […], et même un préservatif non usagé, qui n’avait a priori pas grand-chose à faire dans un lieu dédié à la déesse de la fertilité […] ». Le marchand de sable qui traverse le roman comme les rivages de Sardaigne invite ici à ouvrir les yeux.

FLORENCE LETHURGEZ

Marchands de sable, d’Agnès Mathieu-Daudé
Flammarion – 21 €

Retour de marché

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Hostile © Cie Bakélite

La 6e édition du Marché noir des petites utopies, festival organisé à Marseille sous la forme d’une biennale depuis 2013 par la Cie Anima Théâtre, s’est ouverte le 1er décembre avec la projection au Gyptis de La sociologue et l’ourson d’Étienne Chaillou et Mathias Théry, et se clôturera le dimanche 10, au lendemain de la fête d’anniversaire(s) qui célébrera les 10 ans du festival et les 20 ans de la compagnie. Le dimanche 3 décembre, rendez-vous était donné à la Casa Consolat pour Tricots, une histoire de souvenirs qui grattent de la Cie Des gens comme tout le monde et Hostile de la Cie Bakélite.

Petites formes, grandes aventures

Le public est tamponné et divisé en deux : les « Métal » et les « Prison ». Les « Prison » sont guidés jusqu’à l’Atelier Gouache où une grosse forme colorée en laine tricotée affalée sur un bureau, s’anime. C’est un pull d’où s’extirpent une main, puis une tête et le visage souriant d’une femme aux cheveux gris, qui confie qu’arrivée à « l’âge du milieu » elle recherche la sérénité, mais pas à travers le tricot ! Et tirant les fils de son énorme pull, les accrochant aux pointes de tableaux à clous, auxquels succèdent ensuite d’innombrables câbles électriques et prises multiples, elle évoque avec humour, à travers tous ces liens matérialisés qui l’attachent et saturent son espace, les périodes et paysages de sa vie, jusqu’au pétage de plomb ! Une danse solo festive, découvrant des dessous tricotés, conclura par une invitation joyeuse à « tricoter pour soi-même ». Retour à la Casa Consolat, puis direction le Théâtre de la Ferronnerie où là aussi, on découvre, affalée sur une table, une tête, protégée d’un tissu aux quatre coins noués, sous un projecteur dégageant une chaleur intense. Au bord de la table, une gourde, que l’homme cherche désespérément à saisir. Il fait plus que soif, il fait plus que chaud, on est dans le désert et le bout de papier que l’homme qui vient de se relever a trouvé, montrant sa tête patibulaire sous le mot « Wanted » ne laisse aucun doute : c’est un western. Solitude, désert brûlant et glacé, serpent, indiens, signaux de fumée, transe mystique, aigle, squelettes, cheval, mirages, rebondissements, comique de répétition et coups de théâtre, tout y passe, sans aucune paroles. Une inventivité, un sens du raccourci et de l’ellipse à l’esprit « cartoon » jubilatoires. Bref, deux grandes aventures en deux petites formes.

MARC VOIRY

Tricots, une histoire de souvenirs qui grattent et Hostile étaient présentés le 3 décembre à l’Atelier Gouache et au Théâtre de la Ferronnerie dans le cadre de la biennale Marché noir des petites utopies., à Marseille.
Marché noir des petites utopies
Jusqu’au 10 décembre
Divers lieux, Marseille

Ignacio María Gómez au Forum de Berre  

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Ignacio Maria Gomez © DR

Chaque année, la programmation du Forum de Berre regorge de pépites musicales. Ce sera encore le cas ce 8 décembre avec Ignacio María Gómez, le chanteur sud-américain aux multiples influences. Né en Argentine, il file au Mexique à l’adolescence, et découvre la musique des Mandingues, l’ethnie africaine présente en Afrique de l’Ouest. Il commence ensuite un voyage musical initiatique en Amérique latine, et va à la rencontre des populations d’origines africaines. Sa musique se colore de ses nombreuses découvertes et devient cet objet aussi captivant qu’indéfinissable. Il y a de la méditation chez lui, de la rythmique africaine, de la chaleur bossa… un brillant mariage de ce que la musique du monde peut nous offrir. Sur la scène du Forum du Berre, il sera accompagné par Loy Ehrlich, personnage incontournable de la musique africaine, par ailleurs ancien directeur artistique du festival Gnaoua d’Essaouira. 

NICOLAS SANTUCCI

Ignacio María Gómez 
8 décembre
Hall du Forum, Berre-l’Étang
forumdeberre.com

Un peu d’amour avec Pippo Delbono 

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© Estelle Valente Teatro Sao Luiz

L’amour n’est pas seulement un sentiment, mais un état de l’âme : « un véritable engrenage dans le corps humain, qui sélectionne, déplace, brise et réassemble tout ce que nous voyons, que nous sentons, que nous désirons » tel semble être le centre de gravité de l’art de Pippo Delbono, acteur et metteur en scène, dont les spectacles émeuvent les théâtres et les festivals depuis plus de vingt ans. Après La Gioia, hommage et ultime déclaration d’amour à Bobò, décédé en 2019, acteur pilier de sa troupe, microcéphale, sourd-muet, que le metteur en scène avait sorti de l’asile après l’avoir rencontré lors d’un atelier théâtre, voici Amore, où Pippo Delbono explore la nécessité d’aimer tout autant que la peur provoquée par ce sentiment si puissant.

Saudade

Un projet né de la rencontre et de l’amitié entre Pippo Delbono et le producteur de théâtre italien Renzo Barsotti actif au Portugal depuis des années. Un spectacle dans lequel, outre le Portugal, Pippo Delbono évoque la pandémie de Covid 19 pendant laquelle des personnes sont mortes sans entendre d’ultimes paroles d’amour et de réconfort. Il mêle à sa troupe des musiciens et des artistes portugais de fado, qui exprime la nostalgie et la tristesse, et la saudade, l’amour pour tout ce qui est perdu. Accompagné des mots de poètes portugais, ou du brésilien Carlos Drummond de Andrade (« Aimer l’inhospitalier, l’âpre, un vase sans fleur, un sol de fer, un oiseau de proie. Tel est notre destin : aimer sans limite. Aimer notre manque d’amour. ») mais aussi de ceux de Jacques Prévert ou de Reiner Maria Rilke, Amore est un théâtre d’images, un voyage musical et une traversée de l’âme humaine. 

MARC VOIRY

Amore 
Du 6 au 10 décembre
La Criée, théâtre national de Marseille
Une programmation du Théâtre du Gymnase hors-les-murs