mardi 26 novembre 2024
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Le retour du fil prodigue

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L'âne chargé d'éponges et l'âne chargé de sel © ALIS

On n’est jamais sûrs de rien : malgré l’énergie et l’enthousiasme que déploient les équipes culturelles pour proposer des manifestations de qualité, malgré le public au rendez-vous, il arrive aux meilleures initiatives de vaciller. Cette 9e édition du festival jeunesse En Ribambelle ! a failli être la dernière, faute de financements adéquats dans la période post-covid. Heureusement, le Département des Bouches-du-Rhône et l’État ont fini par mettre la main à la poche et permettre à cet événement unique en son genre de perdurer. Il y aura donc bien une 10e édition l’an prochain, avec l’ambition, ces moyens aidant, de renforcer la coordination entre les structures accueillantes, et peut-être de proposer un spectacle « liant » qui circulerait dans chacune d’elles. Espérons que cette incertitude ne se reproduise plus, et souhaitons longue vie à En Ribambelle !

Une programmation à dominante « verte »

Pour rappel, le festival a été créé en 2014 par le Théâtre Massalia, scène conventionnée d’intérêt national Arts vivants, enfance et jeunesse, et La Criée, théâtre national de Marseille. Il propose aux enfants, dès le plus jeune âge, et leur famille, des spectacles qui gravitent autour des arts de la marionnette et de l’objet, dans plus d’une dizaine de lieux culturels, à Aubagne, Berre-l’Étang, Cornillon-Confoux, Fos-sur-Mer, Grans, Istres, Marseille, Miramas, Port-de-Bouc, Port-Saint-Louis-du-Rhône et Vitrolles. L’édition 2022 compte dix-neuf œuvres soigneusement choisies, avec un coup d’envoi le 19 octobre à Aubagne, où le Comoedia accueille Crème-glacée, de l’Insomniaque Compagnie. L’histoire, destinée aux 7 ans et plus, d’une fillette qui voudrait bien que sa mère lui en raconte, des histoires, sauf que celle-ci n’a vraiment pas le temps : elle doit sauver l’environnement ! Une thématique qui intéresse aussi La Salamandre : son Océan d’amour, à voir tour à tour au Massalia (22 octobre), au Forum des Jeunes et de la Culture à Berre l’Etang (le 25), au Sémaphore (27 et 28) et au Mucem (le 31), traite sous forme d’Odyssée burlesque de pollution et de société de consommation. Ou encore le Groupe maritime de théâtre, qui met Les pieds dans l’eau : deux voisins s’y chamaillent au point de ne pas s’apercevoir que leur village perché n’est pas à l’abri des flots montants. Un spectacle tout en papier pour les petits à partir de 3 ans (22 octobre, Espace Robert-Hossein à Grans). Si la nature et l’écologie ne sont pas toujours aussi explicites, elles transparaissent néanmoins en filigrane dans plusieurs autres propositions, preuve que les artistes jeunesse, toujours pionniers, se sont emparés avec délicatesse de ces sujets qui vont concerner tous les enfants du monde.

GAËLLE CLOAREC

En Ribambelle !
Jusqu'au 22 novembre
Bouches-du-Rhône
festivalenribambelle.com

Un Roi Lear à l’épreuve du temps 

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Le roi Lear © Jean Louis Fernandez

Deux grandes personnalités du théâtre français se sont retrouvées au Théâtre de la Criée autour de ce Roi Lear très attendu : Georges Lavaudant à la mise en scène et Jacques Weber dans le rôle-titre. Pour un résultat moins tonitruant et monumental qu’indéfectiblement humain.

Avec pour seul décor fixe trois grandes colonnes de marbre, une ambiance froide et austère s’installe dès la première scène. Un roi Lear usé souhaite partager son royaume entre ses trois filles. Pour y parvenir, elles doivent déclamer leur amour pour leur père en public. Les deux premières ne se font pas prier : Astrid Bas et Grace Seri rivalisent, dans les rôles ingrats de Goneril et de Régane, de flagornerie dissimulant bien mal une inextinguible soif de pouvoir, portée par de beaux éclats de voix. La cadette et la plus aimée Cordélia, incarnée avec une douceur résignée par Bénédicte Guilbert, ne joue pas ce jeu-là et lui retourne son « rien ». Le roi dégoupille et la répudie. La suite n’est que complots, intrigues de château, violence et mises à mort. 

Effroi et tendresse 
Loin de tout faste, la mise en scène de Lavaudant s’appuie avant tout sur la lisibilité du texte, traduit avec verve par Daniel Loayza, complice de longue date. Les émois et tourments des personnages apparaissent à nu au spectateur, portés par une direction d’acteurs inspirée et maîtrisée. Jacques Weber impressionne en patriarche sénile, tour à tour redoutable de cruauté et désarmant parce que toujours perdu. L’acteur se jette à corps perdu dans ces errements : on se demandera à plusieurs reprises qui, de l’acteur ou du personnage, est le plus éreinté. Manuel Lelièvre livre, en fou du roi désabusé, un contrepoint d’énergie salutaire à la torpeur ambiante. Quand les plus solaires Gloucester et Kent campés avec flegme par François Marthouret et Babacare Mbaye Fall délimiteront çà et là quelques oasis de générosité. Moins tragique qu’à l’accoutumée, le dénouement contemple cette filiation contrariée aux accents incestueux prononcés avec moins d’effroi que de tendresse. 

SUZANNE CANESSA ET NICOLAS SANTUCCI 

Le Roi Lear a été joué du 14 au 21 octobre à La Criée, Marseille 

Mômaix : de l’école du jeune spectateur

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Ôlô, un regard sur l'enfance © Stevan Jobert

Remplissant pleinement sa mission de service public, la mairie aixoise a instauré depuis quelques années le dispositif Mômaix qui conjugue les deux fonctions de médiation culturelle et de festival jeune public. 

Beaucoup de musiques cette année au 6mic. La compagnie Aisthesis fait sonner les rythmes de Pogo et Maryse nous conduit au Mount Batulao. Sylvie Paz et Nicolas Cante imaginent un conte électro, Carbonero, au Petit Duc, qui prend sous son aile la compagnie du Pestacle avec Un temps pour toi et cultive le goût des paradoxes avec la compagnie Eponyme, Alter Zégos… ou presque. Tandis que le clochard céleste Zik, de la compagnie Amuzik, tente de sauver la musique dans Zikotempo au théâtre de poche de la Mareschale, où le théâtre d’objets adopte ses modes inventifs et malicieux avec Senna’ga et son Petit Guili

Danse, cirque et marionnettes
Les marionnettes de Dimanche (Focus & Chaliwaté) investissent le Jeu de Paume et celles de la compagnie Neshikot L’Ouvre-Boîte qui n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat de la poésie avec Plouf !, de Pieds nus dans les orties, quand il ne se plonge pas dans les méandres des contes à la suite de Jeanne Béziers et son Riquet, opéra miroir. Le langage universel de la danse envahit les plateaux du Grand Théâtre de Provence (GTP), fêtant les trente ans de la compagnie Grenade avec Demain c’est loin, ou du Pavillon Noir où Personne n’épouse les méduses. C’est du moins ce que nous raconte le Ballet Preljocaj qui accueille aussi Boléro de Gilles Verièpe alors que le 3 bis f chante le Temps de la baleine avec Jonas Chéreau. Le cirque décline ses prouesses à la Manufacture avec le Carrousel des moutons (Irque & Fien), au GTP grâce à la compagnie Akoreacro et son Dans ton cœur

Bientôt Noël 
Les textes sont aussi à l’honneur. Le petit garde rouge de Chan Jiang Hong avec François Orsini (Jeu de Paume), Pister les créatures fabuleuses de Baptiste Morizot au Vitez qui s’attache à la relecture d’Animal’s farm d’Orwell dans Porkopolis (Traversant3). Les grands classiques pour enfants ne sont pas oubliés avec Le magicien d’Oz et Retour au Pays d’Oz de la compagnie Ainsi de suite qui sacrifie à l’esprit de Noël en évoquant La folle histoire de Monsieur Scrooge. Le théâtre Le Flibustier présente Un cadeau pour Noël (Créaarts) et celui de La Fontaine d’Argent met en scène Le cambrioleur de Noël qui, maladroit à souhait, va devoir se faire passer pour le père Noël… Bref, l’embarras du choix !

MARYVONNE COLOMBANI

Mômaix
Jusqu’au 23 décembre
Divers lieux, Aix-en-Provence
04 42 91 99 19
mairie-aixenprovence.fr

Déesses et divas divines

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Les Métamorphoses © Ludivine Venet

Instant magique dans l’été 2021 : la compagnie En devenir 2 avait donné une forme réduite des Métamorphoses d’Ovide. Étoffé, ce travail offre un moment de partage amical de plus de trois heures dans le cadre d’un banquet. Le metteur en scène Malte Schwind a voulu servir un repas, offrant ainsi des temps de pause au public et aux comédiennes. Devant une immense toile de fond de Simon Bouillaud, toute en tons mordorés, les deux comédiennes évoluent, parées comme des divas, alourdies de bijoux, perchées sur des chaussures scintillantes. Divines Naïs Desiles et Yaëlle Lucas. Des deux côtés de la scène, une chaise, une table avec miroir et fards offrent à chacune de rares moments de respiration et de repos. Le public, lui, est installé selon un dispositif tri-frontal devant le plateau vide qu’elles occupent magnifiquement, avec une énergie exceptionnelle, pour nous transmettre ces récits venus d’un autre temps, pleins de passions et de terreur. Le destin tragique d’Actéon qui, ayant aperçu Diane prenant son bain, se voit changé en cerf et dévoré par ses propres chiens. Tirésias qui fut alternativement femme et homme et obtient le pouvoir de lire dans l’avenir après avoir été rendu aveugle par la coléreuse Junon. Persée tranche la tête de Méduse, la met dans un sac et la fait circuler dans le public. Orphée descend aux enfers pour chercher Eurydice mais la perd une seconde fois : ici Yaëlle Lucas interprète merveilleusement le chant de Gluck. Mais aussi l’histoire terrible de l’incestueuse Myrrha, amoureuse de son père, changée en arbre pleureur qui offre sa résine, la myrrhe (un morceau en circule alors de main en main). Entre tous ces récits fabuleux, c’est Malte Schwind qui sert les victuailles, lasagnes délicieuses dans des assiettes qu’il a lui-même tournées. Trinquons donc ensemble à la santé de Bacchus ! Les comédiennes ont changé de costume et actionné le rideau de fond de scène qui vire or et argent. Et de se lancer dans une danse effrénée. Des musiques populaires, dont des chansons de l’italienne Mina, ancrent ces récits dans notre époque. On en sort nourri dans tous les sens du mot.

CHRIS BOURGUE

Les Métamorphoses ont été jouées les 19 et 20 octobre au théâtre Antoine Vitez, Aix-en-Provence
À venir
9 et 10 novembre
Théâtre du Bois de l’Aune
Aix-en-Provence

Candide arrivisme 

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Illusions perdues © Simon Gosselin

Il serait sans doute hasardeux d’affirmer que des Lucien de Rubempré aient pris le pouvoir dans les grandes rédactions parisiennes. On pourrait pourtant jurer que les mécanismes qui portent aux nues le héros balzacien comme ceux qui le conduisent à sa chute professionnelle et morale sont calqués sur les faiblesses, si ce ne sont les penchants, du monde des médias, des idées voire de la culture de notre siècle. C’est dans cette facilité de transposition inconsciente qui s’installe dans l’esprit du spectateur·trice que réside en partie la force de l’adaptation du roman Illusions perdues par la metteure en scène Pauline Bayle. Dans son rythme aussi. Un rythme vif, virevoltant mais qui prend le temps – deux heures trente – de décortiquer un engrenage et son implacable logique pour aboutir à la démonstration connue d’avance. Le succès/pouvoir donne le tournis autant que l’ambition/gain est un terrain propice à la compromission. Aussi indiscutables que sont l’éthique, la candeur et le talent par lesquels est animé le jeune homme de lettres fraîchement débarqué d’Angoulême, il ne pourra que céder à l’instrumentalisation de celles et ceux qui voient en lui un faire-valoir de leurs opportunistes aspirations. Qu’elles soient politiques, artistiques, financières, sociales et mêmes amoureuses. 

Immoralité joyeuse
Autant portée par une tension dramaturgique que par un sentiment d’insouciance et d’immoralité joyeuse, la pièce nous emporte dans un tourbillon de complots et de règlements de compte presque euphorisant. Sur le plateau nu, que l’on ne peut interpréter autrement que comme un ring, les pires coups sont permis. Les cinq remarquables comédien·ne·s, tour à tour journaliste, artiste, éditeur, libraire, mécène… – influenceurs déjà sans foi ni loi –, incarnent une panoplie de personnages récurrents qu’on ne prend pas la peine d’assigner à leur genre (mais étonnamment les deux acteurs, contrairement aux femmes, ne jouent que des rôles qui correspondent au leur…). Surgissant des gradins disposés de manière quadri-frontale (un dispositif devenu très tendance en théâtre), mêlé·e·s au public, iels ne cherchent même plus à masquer leurs desseins de vengeance ni de gloriole, tous·tes rivalisant d’une ouverture sans borne à la corruption. Même les moins initié·e·s, à commencer par Lucien lui-même ou sa maîtresse Coralie, jeune comédienne avide de succès. Celle-ci finira humiliée, souillée par des projectiles de boue dont elle ne va pas se relever. Quant à Rubempré, poète défroqué, il sortira de sa fulgurante et éphémère ascension dans le monde de la presse totalement consumé. Laissant entre les griffes d’un capitalisme dont le monde n’est pas prêt d’être sevré, une proie vidée de son innocence et de son intégrité.

LUDOVIC TOMAS

Illusions perdues a été joué les 20 et 21 octobre au Zef, Marseille

Voyageurs d’hiver

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Trio Wanderer © Marseille Concerts

Pour peu que l’on accepte que César Franck soit comptabilisé parmi les compositeurs nationaux – au grand dam de nos amis belges ! – le programme concocté par le plus célèbre des trios ambitionnait d’explorer le seul répertoire hexagonal. C’est du moins ce que les explications fournies et bienvenues proposées par le violoniste Jean-Marc Phillips-Varjabédian laissent entendre. Mais les promesses n’engagent, bien heureusement, que ceux qui y croient.

La faute à un goût trop prononcé pour le répertoire germanique ? Le patronyme de l’ensemble fondé en 1995 est sans ambiguïté. Emprunté à Schubert, il convoque ce lied éponyme clamant non pas la joie d’arpenter le monde, mais la douleur de s’y découvrir toujours étranger. On ne change pas d’où on vient !

Finesse inouïe
Car peu importe la terre qu’il arpente, le Trio Wanderer se révèle toujours tel qu’en lui-même : d’un indécrottable romantisme allemand, prompt à l’ardeur tourmentée comme à la tendre ironie. Loin de nous, cependant, l’envie de s’en plaindre. En témoigne le silence ému et lacrymal qui accompagne le Tristia de Franz Liszt donné avant l’entracte. Connue de chaque musicien jusqu’au bout des ongles, la pièce adaptée de la Vallée d’Obermann touche, dans sa transcription pour trio, au sublime. Calées sur les graves éraillés d’un piano touffu, sur lesquels l’inimitable Vincent Coq ne saura jamais s’empêcher de chantonner, les lignes dessinées par le violon de Varjabédian et le violoncelle de Raphaël Pidoux s’apposent l’une à l’autre avec une délicatesse rare. La finesse inouïe des traits le dispute à un sens consommé de l’éclat. Les thèmes s’échangent sans faiblir d’un instrument à l’autre, pour un résultat proprement terrassant.

Sur César Franck et son premier Trio concertant – composé à seulement quatorze ans ! – le trio lâche également les chiens : entre chant et cri, tonnerre et éclaircies, le petit précis de fougue se décline au fil de cette forme cyclique dont Franck fut le fer de lance. Sur Camille Saint-Saëns et son Trio n°2, l’ombre de Schumann et de Mendelssohn plane. Elle demeure cependant à juste distance, et le son se fait ici moins rugueux que précédemment. Les deux bis réclamés standing ovation à l’appui, convoquant Lili Boulanger et Dvorak, achèvent d’élargir ces horizons invariablement teintés de méditation et de mélancolie.

SUZANNE CANESSA

Trio Wanderer a joué le 22 octobre au Palais du Pharo, dans le cadre de la saison de Marseille Concerts

Poutine perd la vedette

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Vedette-s © Elise Py

Dans ce théâtre de « province », la programmation de la pièce Putin ou le Prince travesti fait figure d’événement. Non seulement parce qu’accueillir une compagnie parisienne renommée garantit un succès public. Mais aussi parce que le sujet abordé, la persécution des personnes LGBT+ en Russie, permet de mettre un coup de projecteur sur une salle à l’avenir incertain. Bien évidemment, rien ne se passera comme prévu, la neige ayant bloqué tous·tes les comédien·ne·s sur le trajet. Sauf un·e : l’acteur principal, Gabriel, diva drama queen, qui va mettre toute son énergie et sa passion pour la scène, à former en une journée cinq habitant·e·s de la commune afin d’éviter l’annulation de la représentation.
Co-écrit par Jérôme Nunes et Geoffrey Coppini, et mis en scène par ce dernier, Vedette(s) est lui aussi un spectacle qui réunit amateurs et professionnels. Trois d’un côté et cinq de l’autre. Réussir à évoquer l’homophobie d’État du régime russe, la répression policière à l’égard des gays, les camps pour homosexuels en Tchétchénie… dans un registre de comédie rocambolesque n’était pas gagné d’avance.

Satirico-queer
Portant le spectacle à bout de bras, Frédéric Schulz-Richard virevolte de Gabriel au prince Putin travesti en Miss Putinka, passant de l’extravagance à la froide dénonciation du totalitarisme, iel-même exerçant une forme d’autoritarisme sur le reste de la troupe. En en faisant évidemment trop – chaque rôle contient sa dose de caricature – mais juste ce qu’il faut. Incarnant un régisseur tacite et sensible, Samir El Karoui est celui qui dévoile avec le plus de subtilité la complexité de son personnage, ce qui ne demande qu’à sortir de son enfouissement. Les cinq comédien·ne·s non professionnel·le·s, recrutés après un travail en atelier, n’ont pas à rougir de leur potentiel comique. La plupart du temps dynamique et percutant, Vedette(s) a malheureusement aussi tendance à s’enliser régulièrement dans des longueurs verbales et de mise en scène inutiles. Dommage car le parti pris de tourner en ridicule une réalité grave par la mise en abîme satirico-queer avait tout pour convaincre.

LUDOVIC TOMAS

Vedette(s) a été joué du 18 au 22 octobre au théâtre Joliette, Marseille.
À venir
15 et 16 novembre
Théâtre Antoine Vitez, Aix-en-Provence

De l’éternel retour

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Ensemble Irini © Yulika Sève

L’Ensemble Irini fondé en 2015 par la jeune cheffe, musicologue et artiste lyrique, Lila Hajosi, présentait, après Maria Nostra et O Sidera (deux spectacles gravés respectivement chez l’Empreinte Digitale et Paraty/Pias Harmonia Mundi), son troisième programme intitulé Printemps sacré- Vivre, Mourir, (Re)naître dans l’écrin de la salle Musicatreize. Concocté avec intelligence durant les années confinées, ce nouvel opus rassemble en sa solide charpente des motets sacrés du trop méconnu Heinrich Isaac, peut-être allemand, sans doute né vers 1450 sous le nom d’Heinrich Isaac ou Isaak ou encore Ugonis de Flandria, et assurément mort un 26 mars 1517 à Florence où il officia comme cantor et compositeur au service de Laurent le Magnifique. Avant d’être exilé à la mort de ce dernier en Autriche auprès de Maximilien Ier. Il revint à Florence vingt ans plus tard protégé par le pape Léon X à qui il avait enseigné la musique quand il n’était encore que Giovanni, fils de Laurent de Médicis. Ouf ! Croisées avec les pièces d’Heinrich Isaac, sont présentées des polyphonies extraites de la liturgie orthodoxe géorgienne. Ainsi que l’explique la feuille de salle, remarquablement précise et documentée, la Géorgie « dernier bastion chrétien à l’Est de la mer Noire » vient d’être divisée en trois royaumes à la suite de guerres terribles entre les Turcs et les Perses musulmans au moment où Isaac y est ; cependant, elle saura préserver les canons de sa musique sacrée, « écriture à trois voix, chacune insécable des autres ». Comme aucune partition ou traité ne nous est parvenu, le travail de reconstitution, extrêmement délicat, a été entrepris par des ethnomusicologues internationaux. Ce patrimoine a été récemment consacré par l’Unesco.

 « Déstinées fracturées »
Trois étapes scandent un récit allégorique construit autour de « deux destinées fracturées », celle d’Isaac qui fut un concurrent de Josquin des Prés et connut exil et effondrement de son monde et celle de la Géorgie, terre bouleversée par invasions et sempiternels conflits. Le thème nommé « Vivre » ouvre le concert, nourri des paroles et de l’esprit du Cantique des Cantiques du roi Salomon, ainsi le Tota pulchra es (Tu es toute belle) auquel font écho Shen khar Venakhi (Tu es un vignoble nouvellement fleuri), Saidumlo samotkhe (Tu es un paradis mystique, Ô mère de Dieu ). Vivre est ici synonyme d’aimer : « Mon âme s’est liquéfiée quand mon Bien Aimé a parlé » dit Anima mea, tandis que cet amour divin accorde le repos et la vie éternelle de Ts’midata tana ganu svene. La trame musicale aérienne est empreinte d’une certaine gravité, comme consciente de sa fragilité intrinsèque. Les voix placées avec justesse s’élancent, pures. Parfois un léger vibrato naturel vient les moirer d’un supplément de sens. Le chœur réunit sur la plupart des pièces l’ensemble au complet, mezzo-sopranos, Eulàlia Fantova, Clémence Faber, contraltos, Julie Azoulay, Lauriane Le Prev, ténors, Olivier Merlin, Matthieu Chapuis, basses, Guglielmo Buonsanti, Sébastien Brohier, mais parfois se contente de la présence de quatre ou de six voix. L’originalité de ce chœur réside ainsi dans cette union des voix féminines et masculines que certains puristes s’acharnent à séparer quand il s’agit de musique ancienne. Curieusement les airs de la deuxième partie, Mourir, ont plus d’allant que les précédents, s’emplissent de lumière, consacrant la mort comme un passage, douloureux par les abandons qu’elle implique mais empli de la joie du dévoilement du mystère et du vrai repos. Les mises en terre orthodoxe préparent le tombeau de Laurent de Médicis qui convoque toute une imagerie traditionnelle où les animaux pleurent alors que « le Laurier (est) frappé soudainement par la foudre impétueuse ». Cette étape nécessaire conduit à (Re)Naître, grâce à la Mère de Dieu, la « Théotokos » et surtout à l’éblouissant Virgo Prudentissima d’Heinrich Isaac, véritable chef d’œuvre aux fils sans cesse renouvelés, alternés, tissés, mêlés, repris en une souple circulation entre les différents pupitres. S’en dégage une impression de plénitude qui transporte l’auditoire. 

« Chaque fois que je conçois un programme, je l’orchestre par rapport à un morceau. Ici, tout tend vers celui-là, sans doute l’une des plus belles œuvres polyphoniques jamais écrites », sourit Lila Hajosi à la sortie du concert. Le verbe est musique, somptueux dans ses incandescences.

MARYVONNE COLOMBANI

L’Ensemble Irini a donné Printemps sacré- Vivre, Mourir, (Re)naître, le 22 octobre à la salle Musictreize, Marseille

Cinemed : la Géorgie à Montpellier

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Table ronde sur la Géorgie, Cinemed © AG

Depuis longtemps, Cinemed et son directeur Christophe Leparc s’intéressent au cinéma géorgien. On se souvient en particulier du superbe La Terre éphémère de George Ovashvili qui avait obtenu en 2014 pas moins de quatre prix dont l’Antigone d’Orou de Dede de Mariam Katchvani, Prix du public 2017. Pour cette 44e édition, six cinéastes de la nouvelle génération du cinéma géorgien étaient invités à participer à une table ronde animée par Guillaume de Seille, et à présenter un film, court ou long métrage. Levan Lomjaria du National Film Center a commencé par rappeler le passé du cinéma géorgien avec des cinéastes reconnus, comme  Otar Iossellani, Serguei Paradjanov et bien d’autres. Avec le contrecoup de la chute du système soviétique, les années 90 ont été très difficiles, car jusque-là tout était centralisé et n’existait aucune structure propre. S’est alors imposée l’idée d’un centre national qui sera créé en 2001. Avec le National Film Center, inspiré du modèle français, et grâce à Tamara Tatishvili, qui l’a dirigé, le cinéma géorgien a été reconnu au niveau international, malgré les difficultés et le manque de moyens.

Nécessaire formation
Tour à tour, les cinéastes invités ont parlé de leur expérience. Levan Koguashvili,qui présentait son dernier film Brighton 4th, a insisté sur la nécessité de la formation et rappelé le rôle de Tatishvili dans celle des producteurs comme Vladimir Katcharava qui accompagne Mariam Khatchvani. Cette dernière a elle-même créé le Festival international de Svaneti, une région montagneuse dans le nord-ouest du pays, avec des ateliers pour aider d’autres jeunes cinéastes. Peut-on parler d’une nouvelle vague ? C’est un peu tôt pour le dire a précisé Alexandre Koberidze qui présentait Sous le ciel de Koutaïssi. Mari Gulbiani a précisé combien les Ateliers Varan en France avaient été importants pour elle qui a développé le festival CineDoc de Tbilissi. Elle présentait Before Father gets back. George Sikharulidze, qui a réalisé plusieurs courts dont Une nouvelle année, enseigne à l’étranger et vient de tourner son premier long en Géorgie. Quant à Papuna Mosidze, qui présentait son court Journal intime – l’histoire d’une femme ukrainienne dont la vie a été bouleversée par l’invasion russe -, elle vient d’obtenir un financement pour son premier long et a expliqué combien la concurrence était rude. Ont été soulignés aussi le manque cruel de salles de cinéma, l’importance de l’éducation à l’image, la mise en place d’une soixantaine de « missionnaires » dans les écoles, qui mènent campagne pour apprendre à analyser les films et savoir en parler, etc.
Une table ronde passionnante qui a donné envie de voir ou revoir les films proposés comme le superbe Et puis nous danserons de Levan Akin ou Les Montagnes bleues d’Eldar Chenguélaia. Un filmqu’a choisi de nous présenter Levan Koguashvili, un de ses préférés, culte en Géorgie, et que, selon lui, Kafka n’aurait pas renié puisqu’il s’agit d’une comédie sur l’absurdité du système bureaucratique soviétique en décrépitude. Un excellent choix que le public de Cinemed a fort apprécié. 

ANNIE GAVA

Pas très fair-play Gérald !

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Des festivals et des événements culturels reportés voire annulés en raison de la tenue du grand raout olympique à l’été 2024 ? Il est peu probable que Gérald Darmanin mette ses menaces à exécution. Pour une fois, aurait-on envie d’ajouter. Mais la petite phrase du ministre de l’Intérieur prononcée à l’occasion de son audition au Sénat sur la sécurité des Jeux olympiques de Paris est révélatrice. D’abord de son ignorance du terrain, du savoir-faire des opérateurs culturels en termes de gestion de foule et de leur prise au sérieux de la question de la sécurité des publics. La plupart du temps, ce ne sont pas les forces de l’ordre qui veillent à la protection des spectateurs·trices lors de ces manifestations mais des prestataires professionnels pris en charge par les organisateurs. De plus, établir une hiérarchie entre les besoins sécuritaires d’un événement médiatique à dimension internationale et ceux de rendez-vous attendus chaque été par plusieurs millions de personnes est une mise en concurrence imbécile entre le sport et la culture. C’est encore une fois méconnaître l’apport précieux d’un écosystème – pourtant fragile – au dynamisme économique, au lien social et à l’attractivité de territoires dont le rayonnement repose souvent sur ces festivals. Le plus étonnant est que les risques d’une collusion logistique entre les festivals et les Jeux olympiques ont été soulevés avec insistance par les opérateurs culturels eux-mêmes lors de la réunion de bilan des festivals qui s’est tenu le 3 octobre au ministère de la Culture, en présence de Rima Abdul-Malak. Les difficultés réelles – liées notamment à la suppression de milliers de postes dans la police et la gendarmerie par Nicolas Sarkozy, ancien mentor de Darmanin – appellent des solutions concertées. Pas une énième sortie atterrante d’un ministre dont le maintien au gouvernement reste tout aussi atterrant… Plus sournoisement, ses propos confirment le verdict gouvernemental prononcé pendant la pandémie de Covid-19 à l’encontre de la culture : non essentielle ! « Les JO à Paris, c’est une fois par siècle, chacun doit faire des efforts », a argué le locataire de la place Beauvau. Il est vrai que la culture, les artistes, la jeunesse peuvent bien encore se sacrifier pour Airbnb, Carrefour ou Coca-Cola, partenaires émérites de ce qui reste de l’olympisme.

LUDOVIC TOMAS