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Accueil Blog Page 209

La transe au masculin

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Näss © C.Audureau

De sa formation et de son début de carrière marqués par le hip-hop, le chorégraphe Fouad Boussouf a conservé le goût du collectif, de la circularité et de la juxtaposition. Peu de choses distinguent Näss, créé à Avignon en 2019,du plus tardif Fêu sur le strict plan de la forme, si ce n’est que chaque pièce se concentre sur un ensemble masculin ou féminin. Vue pour la première fois en octobre dernier à la Biennale de Lyon 2023, l’exclusivement féminine Fêu s’approprie ces mêmes pas, entre hip-hop et danses traditionnelles, les mêmes tableaux d’ensemble et le même goût de l’échappée. Une dislocation similaire s’y opère également entre la danse de troupe, sorte de transe concertée quasiment à l’unisson, et les solos s’érigeant comme des promesses de singularité et d’individualité, mais confinant toujours davantage à la performance, face à laquelle ne peuvent s’opposer que des regards passifs. Les sept danseurs ne manquent ni d’énergie, ni de précision : mais la complicité semble leur manquer. Est-ce à dire que l’absence de mixité conduit bien souvent, et peut-être malgré elle, à un refus du contact et du frottement ? C’est pourtant à la fraternité que ces pas sautillants se faisant parfois pas de course appellent. Pensé en hommage au groupe de musique Nass El Ghiwane et à la culture gnawa, ainsi qu’au Maroc, pays natal de Fouad Boussouf – « näss » signifiant en arabe « les gens » – se rêve contestataire, émancipateur et utopiste. Il se révèlera gentiment fédérateur.

SUZANNE CANESSA

Näss a été joué les 8 et 9 décembre au Pavillon Noir, Aix-en-Provence

Ophélie, le grand retour

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Institut Ophelie © Jean-Louis Fernandez

Ophélie, quelle histoire… Mais laquelle ? Celle du Hamlet de Shakespeare, dans laquelle la belle princesse du Danemark finit par sombrer dans la folie à cause de son amoureux vengeur avant de mourir noyée, on aimerait bien l’oublier. Surtout qu’on nous l’a rabâchée à toutes les sauces, faisant de la défunte, victime aussi tristement jolie que résignée, une représentation féminine de premier choix pour les artistes… masculins, évidemment. Dans Institut Ophélie, montée en 2022 sur la scène du Théâtre des 13 Vents CDN Montpellier, qu’ils dirigent en duo depuis 2018, Nathalie Garraud (à la mise en scène) et Oliver Saccomano (à l’écriture) ont décidé de faire un pas de côté pour regarder les Ophélie en face. Cette « invention », a été conçue en diptyque avec leur pièce d’étude Un Hamlet de moins. Tout se passe dans une pièce aux multiples portes, de ces décors qui font penser à ces cauchemars dont on n’arrive pas à sortir, sauf en se réveillant en sursaut en pleine nuit. Pas de fenêtre mais une lumière écrasante, irréelle, et une femme. Brune, les cheveux courts, la gouaille revancharde. Qui est-elle ? Elle ne nous dit pas son nom. Fait étrange : elle parle d’elle-même à la troisième personne. Mais parle-t-elle vraiment d’elle ?  « Vous voyez une femme. Derrière elle, un paysage de guerre. » Le spectateur ne voit que des portes, car c’est un passé de femmes qu’elle porte, traversé physiquement par des hommes qui parlent (trop), font la guerre (trop) et décident de la marche du monde (mal). 

Héroïne d’un soir

Ce sont des hommes également qui ont créé cet Institut d’Ophélie, un lieu où l’on remet des Ophélie en perdition sur le droit chemin. Sans pour autant se demander quelle est la source de leur malheur. Notre héroïne d’un soir n’est pas Ophélie, elle l’affirme. Elle est son « après », sa colère enfin mise à jour, son désir d’être vivifiant, sa révolte infiniment poétique, sa multiplicité insaisissable. Le rôle semble taillé sur mesure pour la comédienne Conchita Paz. Bien qu’elle ne soit jamais très longtemps seule sur scène, on ne voit et on n’entend qu’elle, tant elle est incandescente. Parler de liberté dans un lieu clos pourrait sembler paradoxal, et pourtant c’est bien cela qu’elle fait tout au long de la pièce, elle se libère. Est-elle hallucinée, folle, un fantôme ? Peu importe, elle est le combat des femmes, du passé et du futur. Car rien n’est gagné. La lutte doit continuer. « Tenez bon » nous dit la femme. Le désespoir ne triomphera pas. 

ALICE ROLLAND

Institut Ophélie est présenté jusqu’au 20 décembre au Théâtre des 13 vents, Centre Dramatique National, Montpellier

Alonzo King, la rivière des songes

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Deep River © RJ-Muna

Il existe des chorégraphes qui nous deviennent rapidement familiers, dont on reconnaît la signature à peine le rideau levé, dont chaque geste nous rappelle un autre geste vu ailleurs, dans un autre spectacle, interprété pour un autre danseur. Et pourtant encore tellement vivant dans notre souvenir. Alonzo King fait partie de ces magiciens de l’art dansé, en un instant il nous emporte ailleurs, dans un lieu qu’il a créé de toutes pièces, une sorte de songe dans lequel le spectateur prend un plaisir presque coupable à se plonger avec indolence. Comme toujours, les corps des danseuses et des danseurs sont longilignes, extrêmement musclés, d’une souplesse incroyable comme d’une beauté saisissante. Intense et d’une sensualité aérienne, le mouvement est virevoltant tout en étant toujours très ancré dans le sol, doté d’une dynamique aussi entêtée qu’entêtante. Tout en rondeur, ce mouvement est tourbillon, qu’il tourne sur lui-même ou se déploie comme une vague. Les bras sont omniprésents, les mains prêtes à l’envol tandis que chaque saut est aussi léger qu’un soupir. Pendant ce temps, les jambes s’étirent à l’infini, enchaînent équilibres, fouettés et pirouettes sans jamais faiblir. Précises, les pointes symbolisent un classicisme d’une pureté virtuose, sans jamais s’imposer, au contraire. Avec Alonzo King, grand admirateur de Balanchine, tout est esthétique. Cela en serait presque lassant. 

Zones d’ombre

Pourtant quelque chose semble changé, la lumière d’Alonzo King à laquelle nous nous étions habitués n’est pas la même, des zones d’ombre sont là. On note une rigidité inattendue, des barrières invisibles entre les danseurs, un inconfort dans certaines attitudes. Mais aussi une main sur la bouche, un corps qui se tord ou s’abandonne, une fièvre enivrante, un rire terrifiant… L’harmonie est sans cesse interrompue entre solos, duos, trios et mouvements d’ensemble. Ce manque de transitions n’est rien d’autre que la face visible du Covid-19. Car ce ballet est né des deux premières années de pandémie pendant lesquelles les artistes de LINES Ballet ont souvent travaillé en solitaire dans des bulles de création improvisées. Traversé par de magnifiques chants spirituels de tradition juive comme africaine, Deep River se veut ainsi un appel à naviguer sur une rivière d’espoir même dans les moments les plus sombres. Agiles, expressifs, sensibles, le dernier solo comme l’incroyable pas de deux final rayonnent. Inoubliables. 

ALICE ROLLAND

Deep River d’Alonzo King et du LINES Ballet était présenté les 13 et 14 décembre par Montpellier Danse au Corum

Jarry encore, Ubu toujours

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Costumes de Père et Mère Ubu, pour la mise en scène de Jean Vilar, 1958 © Association Jean Vilar

En 1889, Alfred Jarry (1873-1907), quinze ans au compteur, écrivait Ubu Roi. En 2023 l’auteur fête ses 150 ans. L’occasion de commémorer l’immortalité d’une œuvre tapageuse et, malheureusement, prodigieuse d’actualité.

L’exposition est centrée sur la production du Théâtre National Populaire conduite en 1958 par Jean Vilar. Sous titrée Jarry, Ubu, Vilar, le théâtre en liberté, elle déploie une arborescence à partir de certains costumes, imaginés par le peintre Jacques Lagrange, décorateur et coscénariste de l’intégralité des films de Jacques Tati.

Chargé de la gestion des collections et des recherches iconographiques- documentaires, Adrian Blancard suspend ces pièces admirablement préservées, au centre d’une galaxie où évoluent les multiples satellites, constitués de notes de mise en scène, extraits de programme, photographies de Georges Wilson-Père Ubu et Rosy Varte-Mère Ubu (quel couple!), signées Agnès Varda.

À ces documents historiques, issus du Fonds Jean Vilar et de la Bibliothèque Nationale de France (dont l’antenne avignonnaise s’étend sur le second étage de la « Maison »), s’ajoutent les affiches de multiples Ubu, joués, au fil du Off Avignon et des dessins, maquettes, effectués par les enfants du Centre de loisirs de la Barthelasse et de l’Espace Pluriel, sous le regard de la plasticienne Pauline Tralongo. À l’origine de la restauration du petit cheval (de bois) dessiné par Jacques Lagrange, l’École d’art d’Avignon compose la cheville ouvrière du Ubu, Atomic, Cabaret.

Ubu au présent (hélas)

À quelques encablures de Noël, le merdredi22 décembre, se tiendra une soirée performance, prolongée par Qui Ubu boira, bal festif. Des ateliers préparatifs gratuits sont programmés les 13 et 20 décembre.

Enfin, du 11 décembre au 19 janvier, trois cycles d’ateliers de fabrication sont pris en charge par la Cie Deraïdenz, fer de lance de l’expression marionnettique dans la Cité des Papes. Une déambulation des figures confectionnées clôturera, le 20 janvier, ce salut à Alfred Jarry et ses thuriféraires.

Bon anniversaire Alfred ! illustre une synergie exemplaire entre différentes structures locales, doublée d’une évocation plus que jamais nécessaire, dans un temps où les Ubu émergent, pour de vrai, aux quatre coins de la planète.

MICHEL FLANDRIN

Bon anniversaire Alfred !
Jusqu’au 20 janvier 

Y’a de l’Ubu
Jusqu’au 31 mai
04 90 86 59 64
maisonjeanvilar.org

Intenses et grandes petites

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Majorettes © Philippe Savoir

On l’oublie mais la notion même de « majorette » est un oxymore, la contradiction en un terme du grand, militaire et viril « major », et de « ette », féminin diminutif. Mickaël Phelippeau, qui aime à s’approcher des pratiques artistiques et sportives populaires pour exposer doucement, pudiquement, l’intimité des êtres, ne pouvait que s’intéresser à ce paradoxe vivant. 

Dès leur entrée sur scène les Major’s Girls sont bouleversantes. Leurs corps maigres ou franchement ronds, leurs visages marqués par le temps, la chirurgie et le maquillage, sont surprenants d’intensité. Elles défilent, longuement, fortes d’une expérience à toute épreuve, fatiguées cependant par les ans. Car les plus jeunes de la compagnie ont plus de quarante ans, et sont pour la plupart les filles des anciennes, 70 ans, qui ont fondé la compagnie en 1966. Et qui sont toujours là, menant toujours une troupe qui a 60 ans d’âge moyen. 

Jusqu’au bout

On apprendra ces détails biographiques plus tard, quand elles parleront d’elles, succinctement, entre deux numéros. Leurs voyages, le luxe d’un hôtel, des réceptions qu’on leur réservait, l’évocation des tournois, des strass d’un défilé, contrastent avec l’apéro chips qu’elles partagent, le divorce, la FIV, les difficultés qu’elles évoquent, leur condition de femmes qui traversent la vie et vieillissent.  Leurs propos sont magnifiés dans leur geste, ce bâton qu’elles peinent parfois à rattraper, ces pas martiaux exécutés par des cuisses chatoyantes, ces paradoxes, encore, des femmes de caractère. Et leurs moments de joie, les petits enfants qui viennent saluer avec elles, le rapport fille-mère tendrement dansé, le beau chauffeur moustachu épousé (« mon père », précise la fille). 

Pourquoi restent-elles majorettes ? C’est leur famille, leur fierté, leur fenêtre sur le monde, leur ciel étoilé. Elles seront ensemble jusqu’au bout jurent-elles, jusqu’à ce qu’elles ne puissent plus bouger. Avec la capitaine, fondatrice de la compagnie à 16 ans en 1966 (oui oui, 73 ans), qui fait virevolter son bâton à une vitesse folle, tout autour de son corps solidement debout.

Après avoir abandonné l’uniforme pseudo militaire et pris des habits de ville pour parler d’elles, elles enfilent l’uniforme libre, noir et jaune, que Michel Phelippeau affectionne. Débarrassées des oxymores, magnifiquement humaines.

AGNÈS FRESCHEL

Majorettes, créé lors du festival Montpellier Danse 2023, a été joué le 8 décembre au Zef. Il sera repris le 1er juin au Pavillon Noir, Aix en Provence.

Immersions musicales 

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Tous en sons au Conservatoire de Marseille © P.Morales

Samedi matin, l’Orchestre de Mandoline des Minots de Marseille, créé il y a trois ans par le compositeur Vincent Beer-Demander, nous présentait les premiers mouvements de sa création en cours, La légende du Nord : une épopée aux relents elfiques, mise au point avec Rachel Tolkien, petite-fille du célèbre auteur. Un astucieux dispositif, plaçant les jeunes musiciens au coeur même de l’auditoire dans une salle Tomasi transfigurée, rendait l’expérience particulièrement saisissante : lutins guillerets à la flûte traversière, inquiétudes du trémolo de mandoline, accents enveloppants de tuba ou de violoncelle… Un aperçu réjouissant de cet époustouflant travail collectif réunissant des minots de tous quartiers – Air Bel, Vaillant, Saint-Just Corot… – dans une pratique hebdomadaire. Il faut dire que la mandoline, instrument méditerranéen par excellence, noue une relation historique avec Marseille : c’est ici que fut créée la première classe de mandoline au monde, en 1921. À terme : c’est une classe par établissement scolaire qui est visée ! Enjoué, le compositeur profitait de chaque séquence pour en détailler les principes d’orchestration – brillante idée de mêler théorie et mise en pratique immédiate, tout en permettant aux enfants spectateurs de voir leurs pairs jouer en live, selon le principe immuable du festival : « être dans le son ». 

De fait, les expériences immersives se succédaient durant tout le week-end. Ici une prise en main d’instruments, là une Cuisine musicale décomplexée permettant au plus petits de se familiariser avec un répertoire classique – Bizet, Rossini – agrémentés d’un instrumentarium de casseroles ou bouteilles en verre. À l’étage,Musique à l’image explorait le potentiel expressif du paysage sonore, accompagnant le bestiaire en métal du sculpteur Thierry Fabre: errements d’une baleine mélancolique au marimba, rencontre fortuite entre un marcassin facétieux et un calamar indolent… Sous les boiseries de la salle Billioud, les enfants captivés n’en perdaient pas une miette. Et si le VJing très abscons du dominical Vents à emporter a perdu l’attention de quelques jeunes spectateurs, déjà proches de la sieste méridienne, on ne peut que souligner l’exceptionnelle diversité qui préside au choix de cet excellent festival jeune public ! 

JULIE BORDENAVE

Un week-end au Conservatoire se tenait les 9 et 10 décembre au Conservatoire Pierre Barbizet, dans le cadre de la 5e édition du festival Tous en sons, Marseille.   

Danser en stéréo

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Stereo DCA © Roméo Ricard

L’attrait indéniable qu’exercent les différents spectacles de Philippe Decouflé tient sans doute à leur capacité à donner chaque fois une impression de nouveauté. Puisant dans un imaginaire qui se nourrit de multiples influences, le danseur et chorégraphe sait arpenter les univers en mêlant les disciplines et adaptant le flux de son inspiration à un ensemble à la fois polymorphe et puissamment structuré. Stéréo n’échappe pas à la règle et tient du cinéma, de la BD, en un esprit rock hypnotisant, baigné des superbes lumières de Gregory Vanheulle et Chloé Bouju. La danse et la musique s’équilibrent avec humour grâce à l’impeccable trio Arthur Satàn (guitare), Louise Decouflé (basse) et Romain Boutin (batterie) qui n’hésite pas à rejoindre les évolutions des cinq danseurs, Violette Wanty, Olivia Lindon, Eléa Ha Minh Tay, Vladimir Duparc, Pierre Boileau Sanchez et Baptiste Allaert, le seul comédien de formation de la troupe. Son introduction à la représentation est désopilante et ses interventions qui instaurent une complicité avec le public sont à pleurer de rire. Les techniques de danse répondent aux parcours des artistes, classique avec des tenues sur pointes que ne renieraient aucun rat de l’opéra, hip-hop acrobatique, énergie circassienne… Les soli pétillants alternent avec les duos espiègles au cours desquels les protagonistes se jaugent, s’affrontent, se réconcilient, se séduisent, puis les mouvements d’ensemble apportent leur rigueur géométrique et leur inventivité dynamique. La course sur place initiale est un pur moment de maîtrise. Le rétro flirte avec les élans futuristes, les tenues se paillettent, les esprits aussi. Une bulle de joies éblouies. 

MARYVONNE COLOMBANI

Stéréo a été donné le 8 décembre aux Salins, scène nationale de Martigues.

Quand l’écologie crie justice

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©G.C.

Le 11 décembre, l’activiste Camille Étienne et Jérémie Suissa, délégué général de l’association Notre Affaire à Tous, étaient invités par la journaliste Paloma Moritz. En s’appuyant sur une Commission d’enquête participative, atelier de réflexion élaborant argumentaires et témoignages, ils intervenaient sur les recours juridiques contre l’inaction climatique. Peuvent-ils réellement changer la donne ? Pas à eux seuls, même si les procès se multiplient contre les États et les multinationales. Pour Jérémie Suissa, faire bouger les lignes implique « une complémentarité des modes de lutte ». Dans cette « grande bataille culturelle à gagner », le soutien des mobilisations populaires étaye les procédures.Camille Étienne, de son côté, pousse à mettre les patrons de Shell, Total et consorts face à leurs responsabilités : « Il ne peut y avoir de justice sans coupable : ces hommes sont certes engagés dans un système, mais ils ont pris des décisions, dissimulé des faits, ce qui affecte la vie de millions de gens ». 

Vues d’artistes

La comédienne Fabienne Jullien, incarnant la Durance, amenait un concept qui serait une avancée majeure s’il se généralisait partout dans le monde : l’octroi d’une personnalité juridique aux écosystèmes tels que les rivières, mis en danger par l’activité humaine. « Si nous devenons des entités à part entière, vous ne pourrez plus vous considérer comme « maîtres et possesseurs » de la nature ainsi que le formulait Descartes. Si vous respectez nos droits, vous n’en vivrez que mieux. » 

Son confrère metteur en scène, Grégoire Ingold, incarnait quant à lui un vrai-faux élu breton, soumis à un procès bâillon pour diffamation de la part d’une ferme-usine installée sur sa commune. Un récit inspiré de faits réels, tant la justice peut aussi être utilisée par le camp des pollueurs, dotés de réserves financières énormes, contrairement à ceux qui s’opposent à leurs agissements. Quand ils ne passent pas directement aux menaces ou pire, en témoignent la journaliste Morgan Large, dont les roues de voitures ont été dévissées parce qu’elle enquêtait sur les algues vertes, ou Paul François, paysan roué de coups par les sbires de Monsanto.

GAËLLE CLOAREC

Les Procès du siècle se tiennent chaque lundi dans l’auditorium du Mucem jusqu’au 11 mars. 

Ce qui reste

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© Estelle Valente Teatro Sao Luiz

On a tant aimé et détesté Pippo Delbono, l’ennui dans ses successions de séquences vaines, le soudain choc d’une image si juste qu’elle vous bouleverse à jamais. Il est devenu plus rare sur les scènes françaises depuis une dizaine d’années, surtout depuis la mort de Bobó, son merveilleux comédien microcéphale. C’est d’ailleurs de mort, plus que d’amour, qu’Amore nous parle. Deuil, vieillissement, disparition, douleur. Sur le plateau de belles images statiques s’enchaînent, mais peinent à émouvoir dès qu’elles se mettent en mouvement. Le corps vieilli de Gianluca, trisomique, de Nelson le clochard, n’ont plus la force d’évocation et de tendresse qu’ils dégageaient. Pippo lui même, qui parle au micro depuis la salle, peine à imposer sa présence. Pour compenser, reste la musique. Le fado, ses artistes, chanteurs et chanteuses, guitaristes, qui rappellent la difficulté d’aimer en dictature salazarienne, en Angola colonisé. Des chants d’amour si tristes, pourtant joués trop forts, artificiellement sonorisés, enrichis de guitares enregistrées… 

La magie de Pippo, ce soir-là, ne franchissait pas la scène, malgré les images, malgré les mots douloureux du poète au micro, malgré l’attente d’une salle prête à s’émouvoir de ce tableau du deuil amoureux, du silence de la solitude, de la vieillesse qui approche. Peut-être, d’autres soirs, la fragile étincelle des spectacles de Delbono parvient-elle à allumer, comme dans le passé, des flambées superbes. 

AGNÈS FRESCHEL

Amore a été joué du 6 au 10 décembre au Théâtre de la Criée dans le cadre de la programmation du Gymnase hors les murs.

Le degré zéro du théâtre ?

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Le Zerep LA MERINGUE DU SOUTERRAIN © Ph. Lebruman 2021

Dès l’entrée dans la salle, le spectateur est accueilli par un décor étrange, moulages d’oiseau, de cheval, de têtes énormes en carton-pâte, campés sur les sièges de l’auditoire, tandis que le plateau semble être un album désordonné où se jouxtent des formes de meringue, de bonbons en gelée, de silhouettes de personnages cinématographiques et d’une bouche géante ouverte sur ses dents, surmontée de narines qui couleront vert à la fin de la pièce, on pourrait se penser au milieu des pages de Fluide Glacial. Une dame au double-menton tremblotant (Sophie Lenoir) arrive sur scène, attend en vain son rendez-vous, un monsieur dont la figure est entachée des mêmes attributs. Ce dernier (Stéphane Roger) arrivera trop tard, réitérant le thème de la non-rencontre et du théâtre de l’absurde. Le texte, divisé en quatre parties aux titres à rallonge calligraphiés sur de larges ardoises noires, débarque sous forme de jeu au cours duquel une présentatrice déchaînée invite le public à deviner le dernier mot de citations célèbres, alors que son comparse se campe derrière une table de mixage qui amplifie les effets. Il est impossible, voire inutile de chercher une logique dans ce bric-à-brac dément. Les protagonistes endossent des rôles sans relation entre eux, semblent parfois jouer leur propre personnage, font une démonstration improbable de marionnettes, mettent en scène un canard péteur, peignent les jambes de l’une, montrent les fesses de l’autre, s’emparent de tout pour une performance effrénée, démontent les clichés, ignorent les frontières. C’est énorme, déroutant, fantasque, iconoclaste, et puise dans l’essence du rire la force de faire un pied de nez gigantesque à tous les modèles du « prêt à penser ». Salutaire et revigorant !

MARYVONNE COLOMBANI 

La meringue du souterrain a été donné les 7 et 8 décembre au Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence.