samedi 19 avril 2025
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Aux couleurs de l’engagement

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Youthstar X Miscellaneous ©SOURIRENOIR

Issu de la culture reggae qui n’est pas que de la musique, mais un esprit militant de paix et de partage, Couleurs Urbaines programme du dub, et affirme que la musique et la fête peuvent rimer avec éco-responsabilité, engagement social et recherche de la parité, dans les équipes et sur scène. 

On sait que les musiques actuelles restent le secteur artistique où les femmes sont les plus rares, et encore plus rarement instrumentistes. Couleurs Urbaines, pour sa 15e édition, programme plus d’un quart de femmes sur scène, et Culture plus, équipe paritaire qui porte l’événement, veut atteindre 50% dans deux ans. Un colloque d’ouverture, le 1er juin, permettra également de mettre en question l’impact environnemental des structures et festivals varois.

Au programme

La programmation artistique se décline en deux jours de prélude, puis deux soirées intenses sur l’esplanade marine de Toulon. 

Le 2 juin c’est DJ Matteo qui occupe la place de l’Equerre de Toulon. Le musicien de Chinese Man mixe et réconcilie hip-hop et électro, en allant chercher des sons en Turquie, en Inde et en Amérique du Sud, et aussi dans des pépites jazz. 

Hip-hop toujours le 6 juin à La Seyne-sur-Mer, mais côté danse, avec Kadder Attou et la compagnie Accrorap qui fêtent leur ancrage en Provence avec ce Prélude, création pour dix danseurs en crescendo rythmique.

Puis le 9 juin on entre dans le dub et le cœur du sujet, avec pas moins de cinq sets successifs ! Dub inc pour un reggae français qui décoiffe les dreads ; The stone Monks qui entourent la ferveur de Soom T et son rap punk aux paroles acérées ; Brain damage, pas moins, pionnier du dub hexagonal qui occupe les scènes françaises depuis plus de trente ans ; Baltimores, MC marseillais qui avec Dedoo à la console et Romain à la basse, concocte un dub en live de sa voix métallique ; puis l’Ensemble National de Reggae, mi-fanfare mi-groupe de reggae, qui joue tous les standards historiques du répertoire. 

Le lendemain l’affiche est tout autant chargée, avec l’Entourloop aux platines qui sample rap et reggae ; Sara Lugo, qui de sa très belle voix chante le reggae comme les plus grandes chanteuses de jazz, donnant depuis la France une couleur soul à la Jamaïque ; Miscellaneous en duo avec le MC Youthstar de Chinese man, pour une fusion revisitée ; Georges Steady qui chante les paroles de Brassens sur les standards reggae, merengue et biguine ; et puis Dirlo, rappeur marseillais qu’on dit insolent quand il parle violence sexuelle, drogue et meurtre dans les calanques. La note discordante d’un festival engagé ? 

AGNÈS FRESCHEL

Couleurs Urbaines
Du 1er au 10 juin
Divers lieux, La Seyne sur Mer, Toulon
festival-couleursurbaines.com

Un magnifique cadeau signé Piers Faccini

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Rachele Andrioli © Giuseppe Rutigliano

C’est une proposition musicale rare, une expérience de spectateur en bien des points unique. Après une première édition plus que concluante, Les Voix de l’Autre réinvestissent l’abbaye du Thoronet, dans le Var. Sous la direction artistique de Piers Faccini, que l’on peut suivre les yeux fermés – et les oreilles grandes ouvertes –, le festival réaffirme son intention de « célébrer en musique le dialogue entre civilisations, peuples et religions autour de la Méditerranée ». Inutile de chercher d’autres occasions de voir les artistes qui y sont programmés, les propositions sont conçues sur mesure. Particulièrement le rendez-vous sobrement intitulé « parcours musical Les Voix de l’Autre ». 

Grottes et chênes centenaires

Chacun des deux jours, dans l’après-midi, une performance musicale itinérante va guider le public entre les bâtiments et espaces de l’abbaye, en compagnie de cinq artistes identiques le samedi et le dimanche, mais au son de répertoires différents. Au côté de Piers Faccini, on pourra écouter les tarentelles et pizzica de Rachele Andrioli, spécialiste des chants du sud de l’Italie, le multi instrumentiste algérien Malik Ziad, le Malien Adama Coulibaly, maître du donso n’goni et des traditions des chasseurs du Wassoulou et enfin les chants judéo-espagnol et arabo-andalou de la Marseillaise Mona Boutchebak.

Comme l’an dernier, une création originale marquera cette deuxième édition. Elle est confiée à Vincent Segal et Erik Truffaz. Le violoncelliste aux multiples collaborations artistiques et le trompettiste jazz, dont le goût pour la littérature, l’improvisation et le voyage intérieur rapprochent, promettent de « jouer avec la réverbération du lieu, de retrouver l’essence des grottes magiques, l’écho des canyons… » Un peu plus tard, sous les chênes centenaires, le maître marocain des musiques afro-maghrébines gnawa, Adil Amimi, nous immergera dans une de ces cérémonies de transe des traditions spirituelles que l’on nomme Lila. Le lendemain, en clôture, Mikrokosmos, ensemble de quarante jeunes chanteurs et chanteuses fondé par Loïc Pierre, devrait confirmer sa réputation de trublion de l’art choral avec le spectacle Le Jour m’étonne, dernier opus de sa tétralogie lancée en 2013 avec La Nuit dévoilée.

LUDOVIC TOMAS

Les Voix de l’Autre
10 et 11 juin
Abbaye du Thoronet
lesvoixdelautre.fr
Au programme
Samedi 10 juin. Parcours musical (15 h), Erik Truffaz & Vincent Segal (18 h), Adil Amimi (21h30)
Dimanche 11 juin. Parcours musical (15 h), ensemble Mikrokosmos (18 h)

À Avignon, une nouvelle ID-ILE commence 

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Festivalier.e.s © Florent PEPET

Si l’effervescence estivale de la Cité des papes connaîtra son apogée en juillet pour son Festival d’Avignon, il faut désormais compter sur un nouveau venu. Et cette fois, on ne parle pas de théâtre mais bien de musiques actuelles. Du rap, de la pop et de l’électro, ID-ILE Festival souhaite ainsi faire éclore un premier rendez-vous de taille dans le genre ces 9 et 10 juin prochains. Pour cela, l’association Idylle, porteuse du projet, s’appuie sur une programmation de qualité, mêlant jeunes talents et artistes reconnus, le tout dans un cadre somptueux, celui de l’île de la Barthelasse, espace naturel faisant face au centre-ville. 

Deux soirées deux ambiances

Premier point positif du rendez-vous, il ne manque pas de clarté : deux soirées, deux ambiances. La première, du vendredi 9, accueille six artistes estampillés rap et hip-hop. En tête d’affiche, le festival accueille la trap vaporeuse de Dinos, l’enfant de La Courneuve s’est rapidement distingué par la qualité de ses textes que l’on retrouve une nouvelle fois sur son dernier album Hiver à Paris sorti fin 2022. Autre artiste reconnu, Sofiane Pamart va présenter son univers plus qu’original dans la scène rap française. Formé au piano classique, il croise cet héritage avec les musiques urbaines, un mélange détonnant qui plait, puisqu’il est l’un des pianistes les plus streamés au monde, à 32 ans… La suite de la soirée verra également passer Jazzy Bazz, rappeur que l’on a découvert avec le collectif l’Entourage (Nekfeu, Alphawan…) et enfin Mona Guba et N3ms, deux artistes locaux gagnants du tremplin organisé par ce même festival plus tôt dans l’année. 

Le lendemain, place à la pop, la chanson et l’électro. Une soirée qui se distingue par un plateau presque totalement féminin. D’abord avec Pi Ja Ma, connue pour avoir partagé la scène avec Pomme, Pauline de Tarragon présente son nouvel album Seule sous ma frange accompagnée de son fidèle producteur-compositeur Axel Concato. Place ensuite à la pop de Suzane, née à Avignon, elle a depuis remporté deux Victoires de la musique et rempli quelques belles salles, comme l’Olympia… L’île de la Barthelasse va aussi pouvoir célébrer un retour. Celui de Jain, qui s’était faite muette ces quatre dernières années, on la redécouvre changée dans son dernier album The Fool. La soirée se termine avec Kungs, le DJ et producteur français au succès international et qui mâtine ses sets house de jazz et de soul. 

NICOLAS SANTUCCI

ID-ILE Festival
9 et 10 juin
Île de la Barthelasse, Avignon
id-ile.com
Au programme
Vendredi 9 juin : Dinos, Sofiane Pamart, Jazzy Bazz, DJ Bens 
+ Jiddy Bruh en inter-plateaux
Samedi 10 juin : Kungs, Jain, Suzane, Pi Ja Ma
+ Madame Benoit en inter-plateaux

Le Molotov prend ses quartiers d’été

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La Yegros © RubenGrande

Si l’on a appris avec tristesse l’annulation du festival Caravansérail il y a quelques semaines, le Théâtre Sylvain – qui fête son centenaire – sera quand même au cœur de la vie culturelle marseillaise cet été. Et ça commence avec un acteur de taille. Le Molotov, la salle hyperactive du cours Julien, propose deux belles soirées ces 8 et 9 juin prochains. La première invite La Yegros, artiste argentine installée à Montpellier, elle souffle une cumbia moderne faite de sonorité traditionnelle et de rythmiques électroniques. En première partie, le thème est respecté, puisqu’elle convie les maîtres de cette musique colombienne à Marseille avec La Cumbia Chicharra

Le lendemain, c’est une légende qui s’invite dans l’écrin de la Corniche. Au départ chanteur de mariage, Omar Souleyman célèbre depuis ses débuts en1994 dans le nord de la Syrie l’alliance du dakba et de l’électro. Une union aussi fascinante que survoltée, qui a déjà fédéré les festivaliers des plus grands rendez-vous internationaux (Glastonbury, South by Southwest…). Avant lui, on retrouve les non moins intéressants Biensüre, qui eux aussi produisent un subtil mélange mélodique, entre psychédélisme et musiques traditionnelles truque, kurde et arménienne. 

NICOLAS SANTUCCI

La Yegros et La Cumbia Chicharra
8 juin
Omar Souleyman et Biensüre
9 juin
Théâtre Sylvain, Marseille
lemolotov.com

Ébène par trois

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Le trio ? Vous en êtes certains ? Mais c’est le Quatuor Ébène ! Bien sûr, ce quatuor fondé en 1999 par le violoniste Pierre Colombet connaît des succès planétaires, mais cette formation sait parfois se restreindre en nombre pour aborder d’autres répertoires. Salon accueillait donc le Trio Ébène, dans le cadre des concerts égrenés tout au long de l’année en attendant le point fort de l’été par le Festival international de musique de chambre de Salon-de-Provence

Aux côtés de Pierre Colombet, le violoncelle de Raphaël Merlin et le piano d’Akiko Yamamoto (formée entre autres par Éric Le Sage) interprétaient dans l’écrin du théâtre Armand deux œuvres exigeantes, le Trio en la mineur de Maurice Ravel et le Trio pour piano et cordes n° 1 en si majeur opus 8 de Johannes Brahms. L’histoire du Trio de Ravel est marquée par les débuts de la première guerre mondiale : commencé avant la déclaration des hostilités, le 3 avril 1914, il sera achevé en août de la même année à Saint-Jean-de-Luz (le compositeur est mis à distance du conflit dans un premier temps, car exempté du service militaire en raison de sa constitution fragile et de sa petite taille). La composition rapide de l’œuvre est due à sa lente gestation (il mûrissait déjà l’idée de cette pièce en 1908), mais la tonalité est profondément liée au contexte tragique des affrontements qui déchirent alors le monde. Ravel écrivit à ce propos : « j’ai traité (mon Trio) en œuvre posthume. Cela ne veut pas dire que j’y ai prodigué le génie mais bien que l’ordre de mon manuscrit et les notes qui s’y rapportent permettraient à tout autre d’en corriger les épreuves ». 

La beauté du contraste

La forme classique de la sonate en quatre mouvements offre une charpente sans doute rassurante pour le musicien qui y greffe ses références personnelles. L’ancien zortziko basque (littéralement « le huit », poème traditionnel largement représenté dans les joutes oratoires ou deux « bertsolari » (poètes) improvisent leurs vers avec un sens aigu de la répartie, ou danse mesurée à cinq temps) anime le premier mouvement, Modéré, tandis que le deuxième mouvement, le scherzo, est composé sur la forme du pantoum (cette forme poétique d’origine malaise que l’on retrouve dans Harmonie de soir de Baudelaire). « On sait que dans ce genre de poème, disait Ravel, deux sens formant contraste doivent se poursuivre du commencement à la fin »… Une basse obstinée anime la danse ancienne qu’est la Passacailleavant l’éclosion orchestrale du Final, embrasement virtuose où les musiciens s’emportent en trilles, phrases arpégées, qui placent ce trio parmi les plus beaux jamais écrits. (Il a inspiré aussi les cinéastes, le premier mouvement a été utilisé par Claude Sautet dans Un cœur en hiver et le troisième par Alejandro González Iñárritu pour Birdman). 

Johannes Brahms écrivit son Trio pour piano et cordes n° 1 en si majeur opus 8 durant l’hiver 1853-1854, il a alors une vingtaine d’années. Mais les doutes l’assaillent quant à la qualité de l’œuvre, il va la récrire, la retravailler, presque quarante ans après sa composition ! « Je n’ai pas coiffé de Trio d’une perruque, je me suis contenté de le peigner et d’arranger légèrement ses cheveux », expliqua-t-il à son ami, maître de chœur, Julius Grimm. Le regard du musicien au sommet de son art se pose ainsi sur le travail de sa jeunesse, resserre les envolées, change certains thèmes, conserve les souples envolées lyriques, rend plus poignantes les mélodies que le violoncelle étreint, déplace la tonalité majeure du début en un poétique mineur. Les instrumentistes offrent ici toute la palette des émotions, transfigurent la partition en or vivant. Le bis ardemment réclamé offrira un passage de Ravel (deuxième mouvement du Trio) le maître des inventions. Escale sublime en attendant l’été.

MARYVONNE COLOMBANI

Trio d’Ébène a donné ce concert le 16 mai au théâtre Armand, à Salon-de-Provence.

« Les Eauditives » et les mots du silence

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La quinzième édition des Eauditives, ce festival de poésie (éditions, performances, présentations, rencontres, conférences, créations…) organisé par les éditions Plaine Page et ses fondateurs, Éric Blanco et Claudie Lenziconsacre une journée aux écritures sourdes, donnant une résonnance particulière au terme « eauditives »

Au cours de cette journée, un temps fort était consacré à la venue de l’un des pionniers de la langue des signes en France et du Réveil des sourds*Victor Abbou, pour la présentation de son livre paru en 2017 chez Eyes Editions, Une clé sur le monde (édition bilingue, car outre le texte plus de deux heures de vidéo en langue des signes sont disponibles grâce au QRCode). D’emblée, « l’entendante » que je suis est intriguée par le préambule qui spécifie que ce livre a été transcrit par la fille de l’auteur, Katia Abbou, traductrice et interprète en LSF (langue des signes française). Pourquoi écrire serait compliqué, pourquoi passer par une traduction ? Peu à peu l’ouvrage livre ses réponses : le « langage » sourd devient une langue, non mimétique du français, structurée, avec sa grammaire propre, son lexique et même sa graphie (en 1983 naît le premier tome du dictionnaire LSF). 

Reprenons au début, Une clé sur le monde est construit sur une double narration, celle, intime de la vie de Victor Abbou et celle plus générale qui brosse un panorama historique de l’histoire de la communauté sourde. Les deux récits s’éclairent l’un l’autre, l’auteur appartenant à une période charnière, le moment où en France est née une reconnaissance des spécificités de communication et où a été établie, avec d’immenses difficultés (et tout n’est pas encore gagné !), la possibilité d’accéder à tous les métiers, toutes les formes de connaissance, d’expression, d’art… Ce témoignage est doublement précieux car il apporte des précisions, des éléments vécus, qui sont ignorés du grand public, par exemple le fait d’imposer juste quelques corps de métiers aux sourds, leur internement pour démence alors que la plupart du temps, ils sont simplement incompris car personne n’est capable de les traduire.

Libérer l’expression sourde

On suit l’enfant Victor, à neuf ans, amené dans une école (il n’a jamais été scolarisé encore) destinée aux malentendants, il ne comprend pas ce qui lui arrive : on le vêt de l’uniforme de l’institution, son père le laisse… Il pleut, un enfant lui fait un signe afin qu’il le suive, et répète un autre signe pour désigner le lieu où ils vont s’abriter pour jouer, le préau. La connexion se fait entre le signe et ce qu’il désigne… « Mon plus beau cadeau d’anniversaire, sourit-il, la lumière se fit dans mon esprit. […] Je mettais enfin du sens sur ce qui s’offrait à mes yeux. Des possibilités infinies se profilaient devant moi. » Cette prise de conscience est celle de l’enfant, elle sera aussi celle de l’adulte grâce à des rencontres majeures, celle d’Alfredo, de Bill, de Jean Grémion, Emmanuelle Laborit, plus tard. 

Les méthodes américaines tellement en avance alors que les premiers travaux qui ont « libéré » les sourds avaient été menés en France (depuis l’Abbé de l’Épée), viennent apporter une réconciliation avec la langue des signes et libèrent l’expression sourde (depuis les débuts du XXe siècle, on préfère « l’oralisation » et la lecture labiale, la langue une et indivisible de l’État français renie alors toute autre langue).  L’International Visual Theatre, l’IVT, dédié à la langue des signes prend une importance capitale en faisant la démonstration éblouissante de la finesse et de la palette nuancée de la LSF. « L’IVT a fait tomber nos chaînes », explique Victor Abbou. La conquête de la langue entraîne une véritable naissance à soi-même, il s’agit d’une véritable libération. 

Ce qui est frappant dans ce livre c’est aussi le doute permanent de l’auteur face à ce qui peut lui être proposé. Il n’ose pas enseigner, jouer du théâtre, « écrire », il sera professeur d’université, acteur à l’IVT, excellera en tout. Le carcan des aprioris sur la communauté sourde est lourd !

Une clé sur le monde, illustré par des photographies, des dessins qui expliquent certains signes en LSF, est non seulement un ouvrage passionnant et documenté mais une ouverture sur un monde trop mis à l’écart encore aujourd’hui. 

MARYVONNE COLOMBANI

*Réveil des sourds : Le réveil des sourds est un mouvement culturel pour la réhabilitation de la LSF qui a émergé dans les années 1970-80, enclenchant un renversement des valeurs et la naissance d’une culture sourde, appuyé par la revendication du bilinguisme, une reconnaissance identitaire et l’entrée de la communauté sourde dans les rouages de notre société démocratique, sans exclusion de métier ni de fonctions. 

Une clé sur le monde, de Victor Abbou

Éditions Eyes – 20€

Port-de-Bouc, capitale du street art

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© X-DR

Une semaine durant, du 29 mai au 3 juin, la quatrième édition du festival Les Nouveaux Ateliers va déployer son caractère « à la fois tonitruant, artistique, populaire et pluridisciplinaire », selon les mots du maire de Port-de-Bouc, Laurent Belsola. Comme à l’occasion des trois premières manifestations, carte blanche est donnée à des street artistes venus du monde entier, la commune leur ouvrant ses murs. Neuf nouvelles fresques, signées Ana Langeheldt, Aphe, Bims, Clara Langelez, Gris1, Rosy One, Tchader, Xoana Almar et Zeklo, vont s’ajouter à la trentaine déjà réalisées les années précédentes. Chacune renforçant la présence de cet art « totalement libre, gratuit et accessible », qui marque pour l’élu la volonté d’ouvrir la culture à toutes et tous. Et qui, certainement, rend très « instagramables » les rues port-de-boucaines !

Parité et styles audacieux

© X-DR

Saluons particulièrement le point d’honneur mis par le collectif Lartmada, organisateur du festival, à inviter autant d’hommes que de femmes, de jeunes talents que d’artistes confirmés, qui prennent le temps de s’imprégner de la ville avant d’y apposer leur empreinte. Remy Uno, membre de la direction artistique, se réjouit que les habitants aient désormais l’habitude de voir leurs façades habillées. « Cela nous permet cette année de proposer des artistes aux styles plus radicaux, plus proche du post-graffiti. » Ainsi de Bims, au style explosif, intensément coloré, entre cubisme et abstraction. Ou de Rosy One, dont le travail reste ancré dans les années 1980, quand naissait le hip-hop. Il devrait aussi être fort intéressant de voir œuvrer en direct Aphe, Clara Langelez et Xoana Almar, aux inspirations plus figuratives. Le premier pour son approche méditative de l’art, la deuxième pour ses thèmes reliés à la nature, la troisième, venue de l’anthropologie sociale, pour son humanisme.

Du street art mais pas que

Notez par ailleurs que la semaine sera rythmée par des événements associés : de la rando-croquis à la performance de parkour, en passant par deux spectacles de danse, l’un inspiré par la gestuelle des travailleurs de la mer – marins, dockers, ouvrier de chantiers navals – (compagnie Regard d’Orphée), l’autre sous la forme d’un carnaval déambulatoire mené par la chorégraphe Nathalie Pernette, en partenariat avec le Sémaphore, théâtre de Port-de-Bouc. Un DJ set conclura les festivités, le 3 juin au soir.

GAËLLE CLOAREC

Les Nouveaux Ateliers
Du 29 mai au 3 juin
Divers lieux à Port-de-Bouc
lartmada.com

Dix ans, ça se fête

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© Julie Cohen/Mucem

Le Mucem fête ses dix ans et pour célébrer l’anniversaire, une année entière sera rythmée par autant de rendez-vous. Soit, de juin 2023 à juin 2024, dix occasions pour le public de venir ou revenir dans les divers espaces du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée. Car, promet Pierre-Olivier Costa, son nouveau président, tout sera désormais entrepris afin de mettre les visiteurs au cœur du projet muséal. Ils sont nombreux à s’être pressés dans la cour pavée du fort Saint-Jean, avoir humé les plantes puissamment parfumées du jardin des Migrations, admiré les altières passerelles ou la résille en béton conçue par Rudy Ricciotti. 1,2 millions de personnes cette année, ce qui en fait « le seul musée national à avoir retrouvé sa fréquentation d’avant Covid ». Pour autant, seulement un tiers pénètrent dans les salles d’expositions, et sur ce tiers, une sur-représentation des catégories socioprofessionnelles supérieures est révélatrice d’importantes barrières culturelles. « Cela ressemble trop aux musées parisiens » observe le président, décidé à changer sensiblement la sociologie des visiteurs, en attirant ceux qui ne sont pas familiers des lieux, de sorte qu’elle soit plus conforme à celle du territoire.

Attractions populaires

© Julie Cohen_Mucem

Les dix propositions de l’année anniversaire ont été pensées en ce sens. Le week-end d’ouverture, du 3 au 4 juin, promet des plaisirs variés : une marionnette monumentale, des projections humoristiques, contes, chants a capella, concerts, chorégraphies, lectures, jeux de pétanque et baby foot… Mais aussi un spectacle pyrotechnique du Groupe F, visible de bien loin, et pas moins de trois bals pour la clôture dimanche soir, chacun avec son ambiance, balèti, hip-hop ou raï. En novembre 2023, les enfants âgés de 10 ans issus de tous les quartiers de Marseille seront invités pour une grande boum, et au printemps 2024, de nombreux moments ludiques seront proposés en écho aux expositions, notamment Populaire ?, sur les objets du quotidien, et Images de la Méditerranée, évoquant les imaginaires multiples nés dans le bassin des civilisations antiques.

Autre volonté de Pierre-Olivier Costa, inverser le pourcentage d’œuvres issues de ses propres collections dans les expositions du Mucem, héritier du Musée national des arts et traditions populaires. Puiser dans ses riches fonds, pour valoriser les « objets qui ont façonné nos existences » lui semble gage d’une meilleure accessibilité. Ce sera aussi certainement moins cher que les prêts internationaux.

GAËLLE CLOAREC

Des valeurs à mettre en pratique
Pierre-Olivier Costa va devoir, au sein de son établissement, répondre aux salariés d'un prestataire, le groupe Pénélope, qui en assurent les missions d'accueil, contre une rémunération au ras des pâquerettes. Lors de la manifestation du 1er mai dernier, plusieurs d'entre eux brandissaient des pancartes dénonçant précarité et déontologie discordante : « Le Mucem nous exploite-t-il de plus en plus ? », pouvait-on y lire, ou encore « Conférences féministes & dress code sexiste pour les privat', WTF ? » 
Afin de gagner en cohérence, il faudrait réussir à faire respecter en interne les valeurs d'un musée de société tel que le Mucem. Mais aussi, comme nombre de structures de conservation, s’interroger sur les partenariats privés qui financent une part de son budget : s'afficher avec des multinationales polluantes passe de plus en plus mal auprès du public. « Je n'ai pas vocation à changer le monde économique et industriel, répond le président, quand on lui demande ses intentions à ce sujet, mais recycler le matériel d'exposition, et le choix de nos thématiques, sur la biodiversité par exemple, peut aider à faire bouger les choses ». Cela suffira-t-il ?
G.C.

Tour d’alphabet

Voici venu le dernier Abécédaire : depuis cinq ans, la salle des collections au fort Saint-Jean accueillait tous les six mois une sélection d’œuvres issues des fonds du Mucem, en un parcours de A à Z. La première thématique fut L’Amour, en 2018, et Les Maternités va clore le dispositif. Un sujet proposé par la commissaire Caroline Chenu, qui tient à son pluriel : « Le “s” en dit la diversité, qu’il y ait enfantement ou pas ». Le rapport à la mère nous concerne tous, insiste-t-elle, « c’est pourtant assez peu traité dans les musées, et le plus souvent, par des hommes ». Pour la lettre A, comme abandon, allaitement, allocations, aliénation, avortement ou adoption, elle a retenu l’  « Annonciation ». Pour le B, « Berceau » (il y en a 115, en bois, dans les réserves). Le D correspond au « Désir d’enfant », illustré par des ex votos en argent, dont l’un, ample ventre de femme enceinte réalisé par un artisan napolitain au XIXe siècle, évoque l’espoir et la foi dans les sociétés traditionnelles. Q, le « Qu’en dira-t-on », s’appuie sur les clichés visant vieilles filles et filles-mères, ornements d’assiettes en faïence produites en Moselle vers 1860. Le T, c’est la « Tendresse », peinte par une artiste contemporaine, la féministe kurde Zehra Dogan. Et ainsi de suite jusqu’aux lettres difficiles de fin d’alphabet, notamment le X, comme accouchement sous X. Être mère ou ne l’être pas, telle est la question.

G.C.

Les Maternités de A à Z
Jusqu'au 2 octobre
Mucem, Marseille
04 84 35 13 13
mucem.org 

Faces cachées, derrière la douleur

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Un ciel gris, presque blanc. De dos face à une jetée et au phare qu’on devine au loin, une fille. Quelqu’un en elle parle, s’adresse à une Absente. C’est ainsi que s’ouvre le thriller Faces cachées. Il se clora au même endroit dans la même lumière, mais la fille se retournera vers la caméra, offrant son visage à la lumière. Le thriller de Christine Molloy et Joe Lawlor s’inscrit entre ces deux plans. Le réalisateur et la réalisatrice se disent passionnés par la perte ou l’altération de l’identité. Un sujet déjà traité par leurs deux films précédents. Le thème croise ici celui du secret de l’adoption et des violences sexuelles. On est en Irlande. Rose (Ann Skelly) est étudiante en médecine vétérinaire. Sa mère adoptive est morte. Elle décide de contacter sa mère biologique, Ellen (Orla Brady), une actrice à succès, qui avait pourtant précisé sur le dossier d’abandon, qu’elle ne désirait pas être identifiée. Plus tard, coiffée d’une perruque, elle jouera Julie pour approcher Peter (Aidan Gillen), un père archéologue qui ne sait rien d’elle. Le film resserré sur le triangle Ellen-Rose-Peter se donne comme un drame sombre et sobre. Chacun de ces personnages reprend un des motifs de l’histoire. Le métier du père qui déterre un passé enfoui tout en niant le sien, renvoie à l’archéologie intime de Rose. Celui de la mère, renvoie au jeu de rôles, aux « faces cachées » de tout un chacun. Qui suis-je ? questionne Rose, et qui aurais-je été si je n’avais pas été abandonnée ? Pourquoi pas la brune Julie qui revivrait le passé d’Ellen ? Le titre anglais Rose plays Julie est en ce sens, plus explicite que le français. Quant au module sur l’euthanasie animale que la jeune femme suit dans le cadre de ses études vétérinaires, il propose la mort comme solution à la douleur.

La violence des sentiments affleure sur les visages des deux actrices superbement photographiés par Tom Comerford. Elle implose plus qu’elle explose dans ce cold case silencieux et épuré.

ELISE PADOVANI

Sortie : 30 novembre

Destiny Films

Love Life, une chanson aigre-douce

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« Quelle que soit la distance qui nous sépare, rien ne peut m’empêcher de t’aimer » dit Akiko Yano dans Love life, la chanson populaire qui donne son titre au film de Kōji Fukada. Et c’est bien cette distance dans le temps et l’espace que met en scène avec subtilité le réalisateur japonais.  Le proche et le lointain, l’ici et l’ailleurs. Le sentiment de perte qui infuse les vies et les répliques des séismes passés qui bouleversent le présent.

Taeko (Fumino Kimura) et Jiro (Kento Nagayama) vivent dans un petit appartement situé dans une résidence périurbaine, avec Keita, le petit garçon que Taeko a eu d’une première union. L’enfant est beau, malicieux, champion national junior du jeu de stratégie Othello dont les pions réversibles, blancs ou noirs, préfigurent les retournements dramatiques qui suivront. L’enfant est choyé, aimé par Jiro qui le considère comme son fils. Un bonheur domestique sans autre nuage que l’hostilité des parents de Jiro qui habitent l’immeuble en face et n’ont jamais pardonné à Taeko, mère célibataire, d’avoir évincé la première compagne de leur fils. Durant la fête d’anniversaire du père de Jiro, organisée par son fils et sa bru -avec ballons colorés et surprise, un drame terrible va briser le fragile équilibre familial, maintenu grâce à la politesse japonaise et à la patience des femmes. D’autant que réapparaît Park, le père biologique de Keita, un Coréen SDF et sourd que Taeko employée des services sociaux et maîtrisant la langue des signes, accepte d’ aider dans ses démarches administratives. Et, qu’à l’occasion du déménagement de ses parents, Jiro reprend contact avec son ex qui n’a jamais digéré leur rupture.  Double déstabilisation qui donnera lieu à deux échappées : celle de Taeko en Corée du Sud, celle de Jiro sur les lieux de ses premières amours. Pour mieux revenir dans ce petit appartement qui a enserré les personnages dans un bonheur apparent et normé, nimbé d’une lumière chaude. Chaque objet participe de l’écriture du film : les trophées de Keita, le damier du jeu au nom de tragédie shakespearienne, les bibelots, les dessins d’enfant, les photos, le linge au balcon, et le disque brillant d’un DVD suspendu, qui éloigne les oiseaux et peut-être les esprits.  Après Harmonium (Prix du Jury Un Certain regard à Cannes en 2016) L’Infirmière (2020) et Hospitalité (2021) le réalisateur nippon confirme son talent pour ouvrir et explorer les fêlures des histoires de famille. Brosser des portraits de femmes aussi. Ici Taeko, abandonnée autrefois avec son bébé, qui encaisse les  violences de son beau-père, de son ex compagnon et les coups du sort, discrète et impassible jusqu’au cri qui sort d’elle comme la lave du volcan.

Mis en scène au cordeau, Love life sélectionné à la dernière Mostra de Venise, joue sur la rétention des sentiments et parle à voix douce de notre solitude dans l’amour et la mort.

ELISE PADOVANI

Présenté en avant-première le 1er juin au cinéma Les Variétés dans le cadre du mois japonais, avec une rétrospective de l’œuvre de Kōji Fukada, le film sera en salles le 14 juin 

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