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Les hommes de Rio

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© X-DR

C’est à un rare mais très pertinent jumelage que se sont attelés les deux musiciens, venus à Marseille le temps d’une masterclasse : celui de la musique de chambre injustement méconnue du groupe des Six et du répertoire brésilien, et tout particulièrement de la musique de Villa-Lobos. 

Les œuvres pour piano seul de ce dernier trouvent dans le toucher et la technique ahurissante de César Birschner une richesse d’interprétation rarement entendue. Le pianiste brésilien, fort d’une réelle personnalité, sait cependant se mettre au diapason de son partenaire. Le violon tout aussi bouleversant de Grégoire Girard déploie une richesse de son et une dextérité sans faille. Sur les sonates de Francis Poulenc et Georges Auric, le lyrisme à l’œuvre impressionne, notamment sur les largo – l’Intermezzo du premier, le mouvement lent du second. Autant de raison de reconsidérer ce répertoire, souvent oublié au profit de l’œuvre opératique de Poulenc, et de la musique de film d’Auric. 

Les influences se conjuguent et se transforment sur la très virtuose Cinéma-Fantaisie d’après le Bœuf sur le toit, traité halluciné de Darius Milhaud entremêlant sur une même phrase différents plans, tempi et styles. 

La commande faite à Karol Beffa, Un français à Rio,célèbre la liberté de cette musique-là, riche de rythmes syncopés et de couleurs mouvantes, forte d’un désir de narration impliquant un investissement total de ses interprètes. La complicité des musiciens se révèle particulièrement émouvante : la moindre fin de phrase, la moindre modification de son de l’un entraînant, sans un regard, l’approbation de l’autre. Aucune imprécision, aucune sècheresse de son et aucun désaccord ne vient entacher ces très belles pages, que l’on souhaite pouvoir bientôt découvrir le temps d’un enregistrement. 

SUZANNE CANESSA

Ce concert a eu lieu le 4 octobre au Palais du Pharo dans le cadre de la saison de Marseille concerts

Angelin Preljocaj en trios

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Annonciation © Jean-Claude Carbonne

Une grâce, une ferveur nouvelle semble animer le familier tableau d’Annonciation, créé en 1995. Donné en préambule de ce programme unissant des pièces séparées par trente ans de création, le duo, sans changer, revêt des traits inédits. La Marie de Verity Jacobsen est d’une grâce loin de toute candeur virginale, la vigueur et la douce robustesse de Mirea Delogu en font un archange à l’autorité enveloppante. Une complicité nouvelle opère entre ces deux personnages qui semblent contraints d’œuvrer ensemble pour une force, que l’on désigne en pointant vers le haut, dans ce goût du geste devenu signe emprunté au Trecento et déployé sur le registre du théâtre dansé. 

Cette complicité souvent résignée demeurera le fil rouge de cette trilogie où les corps des femmes, leur capacité d’engendrement mais aussi leur objectivisation se verront savamment scrutés.

S’affaisser ensemble

Torpeur, création de 2023 conçue donc vingt-huit ans après ce duo canonique, déploie un effectif et des modalités d’interaction démultipliés. On se croirait, durant les premières minutes, revenus à une danse naturelle proche de Lucinda Childs, scandée par les pulsations rassurantes d’une musique joyeusement répétitive dont les corps s’emparent avec frénésie. 

La danse d’aujourd’hui se nourrit de  désarticulation, de saccadé, de lâcher-prise ? Qu’à cela ne tienne, semble répondre Angelin Preljocaj : les battements s’espacent, les gestes s’étirent, et les corps s’alanguissent. Si bien qu’ils semblent imposer à une musique flottante leur propre rythme, et non pas que celle-ci leur dicte  comment faire battre leurs cœurs. 

Les douze danseurs et danseuses se rapprochent, s’explorent et se dénudent dans un mouvement inédit de sensualité. Exit les pas-de-deux délimitant hommes et femmes : c’est presque uniquement en trios, puis entre hommes et entre femmes que tous s’unissent et s’accompagnent, comme les corps exultants de Deleuze/Hendrix. De ces architectures de groupes, autonomes et un brin anthropophages, pointe cependant une inquiétude…

Mariages aveugles

On revient alors en 1989, année où Preljocaj s’imposa comme une voix majeure de la danse contemporaine. Les Noces de Stravinsky y avaient  voyagé, passant de la Russie paysanne du compositeur aux Balkans, à l’Albanie dont Preljocaj est originaire. 

Ces images gardent la couleur inaltérée du cauchemar, celui des mariages mal consentis : une fois de plus, ce sont les yeux bandés que les jeunes femmes avanceront vers leur destin. Elles auront beau échanger regards entendus, caresses chaleureuses, quitte à s’emparer elles-mêmes de dociles poupées de chiffon pour jouer le jeu, elles sortiront éternelles perdantes d’une partie jouée d’avance. Celle du rapt matrimonial. 

Engoncés dans des costumes cravates soulignant leur air juvénile, les hommes semblent à peine moins perdus. On croirait presque, le temps de ces sauts du haut de bancs d’école, où les femmes s’élancent, tournoyant comme des toupies, qu’un autre monde, qu’un envol est possible. La chute, amortie in extremis par les bras de leurs partenaires, n’en est que plus tragique.

SUZANNE CANESSA

Le programme s’est donné du 11 au 15 octobre au Pavillon Noir, Aix en Provence

Collège Attitude

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J'ai trop d'amis © Christophe Raynaud de Lage

La conclusion de J’ai trop peur laissait son jeune narrateur face aux portes du redouté collège le jour de sa rentrée en sixième, après tout un été d’angoisse et d’hésitation. J’ai trop d’amis s’ouvre sur la suite immédiate : l’entrée dans ce lieu si intimidant, et la répartition des jeunes recrues dans différentes classes. À la peur d’aller en sixième succède celle d’aller dans la mauvaise sixième : celle où ne seront pas inscrits les anciens camarades de l’école. 

Écrite sur commande du Théâtre de la Ville, où le dramaturge et metteur en scène David Lescot avait créé J’ai trop peur en 2015, J’ai trop d’amis explore avec malice et ingéniosité le langage de la fin de l’enfance, et les possibles du théâtre pour lui donner corps. La boîte mobile déjà effective sur l’opus précédent embarque de nouveau un jeune public ravi dans les salles de classes, la cour de l’école ou au domicile familial. Une fois de plus, c’est un trio de comédiennes qui incarne la totalité des personnages, en alternance les unes avec les autres. Les Bernardines ont ainsi accueilli une Camille Roy redoutable de drôleriedans le rôle principal, l’air souvent ahuri par ses découvertes successives : les statuts de « populaire » ou de « normal », les conventions amoureuses… Dans les rôles de son camarade Basile, de la brute du collège Clarence ou encore de sa soupirante Camille, Lia Khizioua-Ibanez se révèle particulièrement versatile, et toujours inspirée. C’est enfin Camille Bernon qui s’empare de la petite sœur de trois ans découvrant à son tour les joies de l’école maternelle. Gonflée à l’hélium, sa voix et sa diction délicieusement approximatives continuent de dérouter son grand frère passablement énervé par les égards redoublés de ses parents et ses facilités d’intégration. Sur un tube pop plutôt bien troussé, le bébé se fait chanteuse minaudière qu’on découvre en partageant ses écouteurs sur les bancs de l’école. Un joli moment parmi tant d’autres.

SUZANNE CANESSA

J’ai trop d’amis a été joué au Théâtre des Bernardines, Marseille, du 24 au 27 octobre

Un humour bien trop facile

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Une année difficile © Gaumont

En près de deux décennies, le duo Toledano-Nakache s’est imposé comme un mètre-étalon de la comédie française. Il en a remodelé les codes, notamment sur le terrain particulièrement délicat du film choral, et ce pour le meilleur. Les deux cinéastes disposent en effet d’un don rare pour filmer le collectif et ses joyeux dérèglements : Le Sens de la fête, le mésestimé Tellement proches, ou encore Nos jours heureux comptent parmi les comédies populaires les plus enlevées et efficaces de ces dernières années. 

Le résultat est nettement moins convaincant lorsque le duo se pique de parler de social, ou carrément de politique. Par le biais intime d’En Thérapie et le truchement de comédiens  excellents la pilule passait encore ; mais on ne peut pas en dire autantd’Intouchables, Samba ou  du plus récent Hors Normes. Les protestations bienvenues d’associations d’autistes face à cette ode peu subtile aux éducateurs du Silence des Justes, auront tôt fait de rappeler où se place ce cinéma-là, né du désir surplombant de filmer la différence et l’inclusion à tout prix. Quitte à procéder par mariage de raison : entre neurotypiques et neuroatypiques, entre juifs et arabes, comme, au temps d’Intouchables, richesse et pauvreté, handicap et racisme … La pauvreté du regard, l’artificialité des échanges apparaît ici crûment, et avec elles le mépris pour ceux qu’ils exposent aux rires.

Rire des autres

Une année difficile est peut-être ce que le duo aura fait de pire : ici encore, on se targue de s’être documenté auprès d’associations, dont certains membres apparaîtront à l’écran. Crésus, œuvrant auprès de surendettés auxquels les géniaux Pio Marmaï et Jonathan Cohen prêtent leur bagout et leur fragilité. Mais aussi Extinction Rébellion, nettement plus chargée par les cinéastes, qui trouve dans les visages plus juvéniles et maniérés d’une Noémie Merlant particulièrement malmenéeet d’un Grégoire Leprince-Ringuet plus en retrait. Des cibles idéales pour cet humour qui ne s’apparente qu’à de la dérision. 

Car c’est bien de ces militants écologistes que l’on rira tout au long du film : de leurs origines bourgeoises mal dissimulées, de leur immaturité affective, et de leur indécrottable naïveté. Les endettés se révèlent certes plus humains, plus malhonnêtes, et par là-même plus sympathiques. Ils font cependant les frais d’un sadisme inédit des réalisateurs, heureux de filmer leurs économies de bout de chandelle, et même la prostitution à peine voilée de l’un d’entre eux, devenue objet de comique récurrent. Impardonnable. 

SUZANNE CANESSA

Éric Toledano et Olivier Nakache, Une année difficile, est sorti le 18 octobre

À chacun son avenir 

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Nous étudiants © Makongo Films - Unité - Kiripifilms

« C’est l’histoire d’un étudiant qui prend la caméra et entreprend de se filmer avec ses amis pour dire : voilà qui nous sommes, regardez-nous, écoutez-nous ! » L’étudiant, c’est Rafiki Fariala. Il étudie les sciences économiques et de gestion à l’université de Bangui (République Centrafricaine). Il est d’abord slameur, sous le nom d’artiste Rafiki RH2O. Sélectionné pour participer à l’atelier de réalisation documentaire Varan à Bangui, il réalise son tout premier film Mbi na Mo – Toi et Moi. Son deuxième, Nous, étudiants, a été le premier film centrafricain présenté à la 73e Berlinale. Une chronique de sa vie et de celle de ses trois amis, Nestor Ngbandi Ngouyou, Aaron Koyasoukpengo et Benjamin Kongo Sombot, avec qui il partage tout, logement, repas, cours, sorties et galère.

Quatre vérités

Le film commence par une chanson. En gros plan, face caméra, le réalisateur chante son impuissance à changer les choses : « On dit souvent que la jeunesse est l’avenir. Les vieux nous ont menti. Ils se foutent de nous, ils ont tout verrouillé. Les jeunes étudient pour avancer mais les vieux ne font que les recaler. » Tourné pendant trois ans avec la complicité de ses amis, le film nous donne à voir les conditions de vie des étudiants de la seule université publique de sciences économiques : logements vétustes, salles de cours surchargées, manque d’argent. S’ajoute pour les étudiantes le harcèlement de certains enseignants qui ne s’en cachent pas. « Toutes les étudiantes appartiennent aux professeurs, vous allez chercher vos copines au lycée », disent-ils aux garçons. Les quatre amis discutent de tout. Aussi bien de la situation économique du pays que de leurs amours, de sexe ou d’avortement. On suit au commissariat Aaron, accusé à tort d’attentat à la pudeur par la tante de son amie qui demande comme compensation, entre autres, un cabri et six poulets ! On partage la tristesse de Nestor, passionné par ses études, brillant, qui, étonnamment, ne réussit pas son examen de licence et tous se demandent pourquoi. Même soutenu par ses amis, il doute de lui-même et remet en question son amitié avec Rafiki. « « Tu me traites non comme un ami mais comme si j’étais un personnage du film ! » posant ainsi une question importante pour tout documentaire : que deviennent les gens qu’on filme, après ? « A chacun son avenir », répond Rafiki. « Moi, je veux faire des films. » 

ANNIE GAVA

Nous étudiants, de Rafiki Fariala
En salle le 15 novembre

De l’art des contraires

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Young men, Antipodes © Y.Alain

Quatre pièces au programme s’enchaînent, entrecoupées d’intermèdes mutins au cours desquels les danseurs  parodient les bords de plateau, l’invitation d’un spectateur sur scène ou les annonces   réclamant l’extinction des portables.

The Roots de Kader Attou s’inspire d’un quotidien bancal pour composer, sur la musique d’un vinyle qui craque, une danse qui emprunte à la grammaire de chaque danseur, mêlant hip-hop et contemporain en un ensemble qui ne nie aucune singularité, racines porteuses d’une humanité foisonnante aux émotions multiples.

Puis la délicieuse saynète imaginée par Claire Laureau et Nicolas Chaigneau, Petite Dernière, interpellait la salle pour faire venir un spectateur imaginaire sur le plateau afin qu’il départage trois danseurs dans leur mime des Variations Goldberg de Bach, leurs pieds scandant les notes de la main gauche tandis que les mains et les bras épousent les gestes du pianiste pour les notes de la main droite. Les gestes hypnotiques apportaient une délicate fraîcheur à ce passage enjoué.  

Enfin, Young Men d’Ivàn Perez,  sur la musique de Keaton Henson, évoquait les dures séances d’un camp d’entraînement militaire, chorégraphiant les combats avec une précision d’orfèvre, puis ramenant sur scène des élans d’une fraternité et d’une tendresse qui manquent tant aujourd’hui à un monde qui s’emballe. Ronde folle où la vie dessine ses orbes. L’engagement des danseurs est irrésistible et leur bonheur d’être sur scène communicatif.  

Sulfureux ?

Le dernier opus du spectacle, -SIAS, chorégraphié par le collectif Les Filles de Mnemosyne, avec son défilé de mannequins de haute couture, ses effets de flashes, ses dandinements, ses tenues latex, empruntées à un univers sado-maso, sa musique électronique de circonstance, était moins convaincant. La violence gratuite d’un monde drogué que les jeunes danseurs n’incarnent pas reste aux frontières du sulfureux  et les postures sans équivoque ne dénoncent guère l’ensauvagement trouble qu’elles seraient censées condamner. 

MARYVONNE COLOMBANI

Antipodes a été créé les 6 et 7 novembre au Grand Théâtre de Provence 

La Distillerie, une ivresse à cultiver !

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Christophe Chave © X-DR

Zébuline. Tout d’abord, pourriez-vous définir ce qu’est exactement La Distillerie ?

Christophe Chave. La Distillerie, c’est un lieu de fabrique à destination régionale de spectacle vivant. On accueille toute l’année des compagnies de théâtre, de performances, de danse, pour des temps de travail, de résidence d’une à trois semaines avec mise à disposition du plateau, du son, des lumières, sans régisseur : les compagnies sont totalement autonomes. Grâce au dispositif Place aux Compagnies, né en 2016, s’orchestre un soutien à la production du spectacle vivant régional, depuis la production jusqu’à la diffusion. À la fin de la semaine de résidence (une seule est proposée dans ce cadre), une présentation du travail est effectuée devant des professionnels. En général, les projets tournent sur le plan régional. Il ne faut pas oublier « Le goûter des créations » mis en œuvre conjointement avec le Cercle de midi (la branche sud-est au niveau régional du « Chaînon manquant »). Cette année neuf compagnies exposeront leur projet de la manière qui leur convient à un public de professionnels (directeurs de structure, producteurs, diffuseurs, Réseau Traverse, la Drac). 

On peut parler d’un lieu en synergie ?

Oui. Pour la Drac, on fait partie des rares lieux de résidences tremplin (actuellement il y en a deux sur le territoire de la région Sud, l’Entre-Pont de Nice et La Distillerie). Malheureusement nous ne sommes pas encore un lieu labellisé, ce qui permettrait de soutenir toutes les compagnies en résidence (certes, il y a aussi des lieux labellisés qui accueillent des compagnies en résidence, mais ce n’est pas leur principale fonction). 

Quelles relations entretenez-vous avec les compagnies régionales ?

Le bouche à oreille suffit. Les compagnies m’envoient par mail leur projet, mais je ne me contente jamais d’un dossier, je rencontre toujours personnellement les artistes afin de parler de leur projet. Souvent, on a affaire à de jeunes compagnies qui sont encore assez précaires. Aussi, on cherche à les soutenir dans leurs démarches administratives, à les orienter vers des lieux qui pourront les aider. Les choix se font sur l’artistique, le rapport au monde des artistes, leurs questionnements. Le travail sur l’artistique ne correspond pas à une « nécessité de la création » mais à l’émancipation du public : le sortir de l’ornière télévisuelle et du carcan de l’individualisme.

Vous évoquiez les difficultés financières de La Distillerie en début de saison. Qu’en est-il aujourd’hui ? 

Je pourrais dire que nous en sommes au même point ! Le 10 octobre, nous avons eu une réunion avec des représentants de la Ville d’Aubagne, du Département, de la Région Sud, de la Drac. Toutes les subventions ont baissé sauf celles de la Région Sud. Sans vouloir être alarmiste, l’avenir de La Distillerie est en jeu. Si rien ne change on dépose le bilan en juin 2024, c’est une réalité. L’an dernier nous avons pu aider douze compagnies, cette année seulement neuf. Pour augmenter leurs financements, les structures institutionnelles attendent un geste de la Ville d’Aubagne, notre principal financeur, puisque La Distillerie est née de la volonté de la ville, pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui, une belle plate-forme de la création artistique et un tremplin de la vie culturelle régionale. Je crois qu’il ne faut jamais oublier que ce ne sont pas les lieux qui font les artistes, mais les artistes qui font les lieux. L’obscurantisme est fatal pour les démocraties c’est pourquoi le théâtre est fondamental car il est un endroit de réflexion.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARYVONNE COLOMBANI

Faire la lumière

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À rendre à M. Morgenstern en cas de demande, au Camp des Milles © DR

Au départ, il y a une boîte noire en carton bouilli retrouvée dans un grenier, un dossier gris assorti d’une note écrite au crayon à papier « À rendre à M. Morgenstern en cas de demande ». L’écriture est celle du grand-père de Frédéric Moulin. Nous sommes en 2018 au mois de janvier, l’acteur se plonge dans la centaine de documents contenus dans le dossier : lettres, notes, assignations à résidence, passeports, photos, permis de séjour, certificats médicaux, lettres préfectorales…. Qu’est-il arrivé à la famille Morgenstern, quelles relations avait-elle avec le grand-père, imprimeur de son métier, de Frédéric Moulin ? 

Naît une véritable enquête au cours de laquelle le comédien ira consulter les recueils du CHRD au mémorial de la Shoah, s’entoure d’historiens (principalement issus du réseau Mémorha). L’histoire « trop romanesque, trop parfaite pour sembler vraie », explique l’acteur, devra être mise à distance dans la pièce. Sabine Moindrot endosse le rôle de découvreuse. Elle entre dans cet univers avec une sensibilité et une justesse de jeu rares au cœur d’une mise en scène en épure qui se nourrit des ombres et des lumières, des paroles prononcées derrière un long rideau qui permet aussi la projection de photographies et de documents. La famille de Leopold Morgenstern-Singer devient familière : quel soulagement à l’annonce de leur fuite rocambolesque en Suisse ou de la naissance de leur deuxième enfant en 1945 ! Jouée au Camp des Milles, le lendemain des manifestations contre l’antisémitisme, la pièce prend une résonnance particulière. Il n’est pas question de « devoir de mémoire mais de travail de mémoire » précise Frédéric Moulin alors que, convié sur le plateau avec le père de l’acteur, Robert Singer, (l’enfant né en Suisse en 1945), lit un texte dans lequel il remercie ceux qui ont contribué à sauver sa famille et rappelle combien l’humanité a besoin de la solidarité des êtres et de leur attention pour ne pas plonger dans la barbarie. Le mouvement dialectique entre histoire et mémoire tient ici de l’intime et renvoie chacun à sa responsabilité individuelle. 

MARYVONNE COLOMBANI

La pièce a été donnée le 13 novembre 2023 au Camp des Milles, Aix-en-Provence. 

Rêve de wombat

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Le chemin du wombat au nez poilu © Patrick Berger

Artiste de la bande du Zef depuis 2022, la chorégraphe belge Joanne Leighton est née et a grandi en Australie. Un pays-continent qui est une source d’inspiration très importante pour cette artiste, tant elle ancre la démarche de sa compagnie dans l’exploration des notions d’espace et de site comme un tout, un commun peuplé de territoires, d’identités, d’espaces interdépendants. 

Danse de feu

Sur la scène du Zef en ce mois de novembre, Joanne Leighton présente sa première pièce jeune public : Le chemin du Wombat au nez poilu. Elle s’inspire ici des mythes aborigènes australiens, en l’occurrence celui du « temps du rêve » et de la création du monde. Sur l’écran qui occupe tout le fond de scène, un ciel nocturne où brillent des étoiles innombrables aspire les regards. À ses pieds, deux personnages allongés sur une montagne, parlent en regardant les étoiles, de la création du monde : le big bang, et puis rien. Puis un trou dans le sol, d’où sortent des animaux extraordinaires, comme le serpent arc-en-ciel, qui ondule et mange tellement de terre qu’il devient énorme, se transforme en lac, qui irrigue les rivières jusqu’à la mer. La végétation apparaît, d’autres animaux, l’oiseau-lyre, le paradisier, les pélicans… et le wombat au nez poilu, rêvant de son ancêtre, la fameuse wombat à la moustache rouge. 

Les deux conteuses-danseuses (Flore Khoury et Marie Tassin) devant l’écran où apparaissent les images de Flavie Trichet-Lespagnol transforment la narration contée en séquences dansées, et inversement. La création fantastique du monde continue de se déployer, les paysages se transforment, et un incendie gigantesque, comme celui qu’a connu l’Australie en 2018, ravage tout. Joanne Leighton dira dans la discussion d’après spectacle avec le public avoir voulu montrer cette crise actuelle comme une mythologie, pour y mettre de la distance et pouvoir y réfléchir. Et dans ce contact merveilleux avec la terre et les animaux, faire naître le désir de protéger, d’embrasser les différences, de se mettre ensemble pour la traverser.

MARC VOIRY

Le chemin du Wombat au nez poilu a été présenté les 9 et 10 novembre au Zef, scène nationale de Marseille.

MONTPELLIER : Il était une fois l’humain

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Faire fleurir © Hinterland

Présenté en co-accueil par Montpellier Danse et ICI-CCN Montpellier, cette création Faire fleurir de Nicolas Fayol se découvre comme une histoire sans paroles. Porté par un titre poétique prometteur, presque utopiste en ces temps sombres, cette pièce solo qu’il a lui-même chorégraphié est le récit en mouvement d’un être humain confronté à l’impossibilité de verticalité, et donc de bipédie. Mais aussi par extension de danse, telle qu’on la connaît et qu’on la vit aujourd’hui. Est-ce un handicap ? La réponse est mise en suspens pendant tout ce spectacle qui se déroule sous un cube-ciel bas irradiant de lumière blanche, presque aveuglante, formant un espace presque clos, dont on ne sait pas s’il est enfermement forcé ou cocon bienveillant. Dans ce solo sous contraintes, Nicolas Fayol explore un monde parallèle qui semble infini bien que restreint à quelques mètres carrés. Le danseur est pierre qui roule sans but, enfant qui teste ses limites, animal terrestre qui s’adapte au monde. 

Corps en transition

La quête d’alternative est une exploration portée par une énergie en régénération constante malgré les essais, les ratés, les inattendus. Le tout accompagné en live par le collectif interdisciplinaire Hinterland, bercé par l’électro expérimentale et intimiste du duo Mont Analogue et transfiguré par l’univers visuel rêveur de Jéronimo Roé. Si on ressent la forte influence de la danse hip hop dans la gestuelle de Nicolas Fayol, ce dernier aime plus que tout décloisonner les genres et nous propulse dans un autre mode d’état chorégraphié où le corps semble chercher une forme de fusion bienveillante avec la terre qui le porte, le soutient, l’accompagne. Pieds, genoux, dos, tête, bras… Tout devient appui, énergie, expérimentation. Avec une douceur et une lenteur qui finit par nous envoûter au point de ressentir l’état d’être du danseur. Un corps en transition, comme le devenir du geste. 

ALICE ROLLAND

Faire fleurir de Nicolas Fayol a été présenté les 9 et 10 novembre à l’ICI – CCN, centre chorégraphique national de Montpellier/Occitanie dans le cadre de la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée