La formule a fait ses preuves plutôt vingt fois qu’une : depuis 2020 et le premier confinement, le CALMS-Collectif des artistes Lyriques et des Musiciens pour la Solidarité déconfine l’opéra en l’amenant au plus près des habitants des cités populaires. L’idée, celle de profiter d’un concert depuis son balcon ou sa fenêtre en temps de Covid, a largement survécu à la pandémie et depuis les spectateurs descendent dans les cours et sur les places, surpris au départ, curieux, et de plus en plus enthousiastes et nombreux au fil des huit semaines de programmation !
Cela a commencé à Aix en Provence et Marseille, puis à Manosque, Orange, Boulbon, Paris, Bastia… Dans la quinzaine de villes traversées, le même succès. Pas forcément celui d’une foule rassemblée, ou d’une salle comble emportée par l’enthousiasme d’une représentation lyrique, mais celui d’un enfant qui « n’avait jamais écouté ça » et veut devenir chanteur d’opéra, celui de familles qui se donnent le droit d’apprécier l’opéra, la beauté de la voix et de ce répertoire universel.
Les concerts durent 20 minutes, et auront lieu durant 5 semaines devant le centre social Le Bartas (15h45) puis place des rameaux (16h45) à Vitrolles puis au City stade (18 h) et sous les pins de la médiathèque (18h45) de Berre. Un clavier tenu par la pianiste Olga Bondarenko accompagne les duos de solistes dans des programmes thématisés d’airs connus, drôles ou dramatiques, solos et duos, habilement présentés par Mikhaël Piccone, directeur artistique du CALMS. Gounod, Verdi et Delibes ouvriront la première session sur les amours difficiles de Roméo et Juliette, La Traviata et Lakmé. Rendez vous chaque mardi, jusqu’à Carmen et Offenbach en juin !
« Regarde-moi, Anna. J’ai mis mon jean délavé que tu détestais tant ». C’est à son épouse disparue depuis un an que Severino s’adresse ici. Et c’est à elle qu’il s’adressera tout au long d’un récit vibrant et polyphonique : un périple explorant sa Sicile natale à la recherche de son amour perdu. De Stromboli, l’île sur laquelle ils s’étaient établis, à Librizzi, leur ville natale, l’époux délaissé explore à rebours ce couple construit sur une série de rancoeurs et de malentendus. Moins solaire, moins solide que sa jumelle Nina, Anna menaçait pourtant de fuir dès le jour de son mariage. « Moi, je serai malheureuse toute ma vie », annonce-t-elle à un Severino bien trop énamouré pour l’abandonner ici. L’ombre de Peppe, père déserteur d’Anna, plane sur cette existence mélancolique comme un mauvais souvenir, mais aussi comme la promesse d’une autre vie. « Il faut quand même du courage pour s’enfuir et ne plus revenir, pour essayer d’être quelqu’un d’autre tant qu’on est encore en vie », conclura ce dernier.
Peinture précise
Le rêve d’une vie loin des contraintes de la vie de famille et de ces foyers étouffants du Sud, où l’amour ne semble jamais être une option pérenne, traverse cette fugue à plusieurs voix. « L’amour vient avec les enfants », promettra la mère, Serafina, à une Anna perplexe. Loin des joies qui lui avaient été promises, le chemin vers la maternité sera, lui aussi, douloureux. Donner de la voix à une absente, disparue à elle-même avant même de s’être soustraite aux autres, est une des belles idées au cœur de ce premier roman.
Diplômé en philosophie et en sciences humaines, installé dans la province de Messine, Mattia Corrente s’est déjà vu saluer en Italie des prix du Parco Majella et du Città di Erice pour sa peinture précise et inspirée d’une région à l’histoire aussi lourde que ses paysages demeurent sublimes. Pour les servir, un sens aigu de l’image et de la réminiscence, mais également de la formule, se déploient tout au long du texte – on devine, pour servir le style sans jamais le dénaturer, un très beau travail de traduction par Jacques Van Schoor.
SUZANNE CANESSA
La fugue d’Anna, de Mattia Corrente Bruit du Monde - 23 € Traduit de l’italien par Jacques Van Schoor
Le cinquième tome de la quatrième pentalogie d’Aki Shimazaki, est en librairie. L’autrice d’origine japonaise, qui vit au Canada et écrit en français, excelle à entrer dans l’intimité de ses personnages, livrant leurs hésitations, leurs petits secrets ou leurs erreurs dans une langue épurée aux phrases courtes et simples.
Susuko, 15 ans, narratrice du cinquième tome d’Une clochette sans battant, se réjouit de l’arrivée prochaine de son frère Torû, son aîné de onze ans, ingénieur automobile dans une ville éloignée. Elle lui est très attachée. En réalité, il n’est que son cousin, fils de sa tante, décédée peu après sa naissance. Son père avait ensuite épousé sa belle-sœur. Ces indications sont livrées peu à peu au fur et à mesure de l’évocation des souvenirs de son enfance. En fait Susuko est amoureuse de son demi-frère et rêve de l’épouser. À l’âge de 12 ans n’avait-elle pas fait cinq heures de train toute seule sans prévenir sa famille pour aller lui rendre visite ? Aussi veut-elle déclarer ses sentiments. Comme on pouvait s’y attendre son frère lui dit qu’il l’aime profondément, mais comme sa sœur.
Affronter son avenir avec confiance
Après avoir beaucoup pleuré, Suzuko, décide de renoncer à son rêve. Attirée par les arts, elle s’intéresse à une pratique ancestrale, le kintsugi, qui consiste à réparer les poteries en les recollant avec de la laque et de la poudre d’or. Cela évoque pour elle sa famille recomposée et la profonde affection dans laquelle ils ont tous vécu jusqu’alors.
L’occasion d’effectuer un stage d’initiation à cette technique lui ouvre de nouveaux horizons. Son amour de petite fille admirative et rêveuse va s’orienter vers une passion artistique et la rencontre d’un garçon de son âge. Enfin prête à devenir une adulte, au terme d’un récit plein de finesse qui procède par touches légères, soulignant les changements d’une société traditionnelle qui s’adapte aux mutations de notre époque.
Marseille, juin 2023 : un hélicoptère survole la ville qui s’embrase. Feux de poubelles, tirs de mortiers. Antoine arpente la rue Saint Ferréol pillée. Ce « soulèvement » le ramène des années en arrière lorsque jeune sociologue, il débutait sa carrière dans une ville du 9.3.
Tout avait commencé avec un hold-up. Trois jeunes avaient surgi dans une bijouterie de la Courneuve, raflé la caisse et les bijoux. Une patrouille les avait pris en chasse, sans succès. Furieux, les policiers avaient débarqué aux Boqueteaux par fourgons entiers. Construite dans les années 1950, la « cité de l’avenir » était connue pour posséder l’immeuble le plus long d’Europe. Les habitants en étaient fiers. Ils gardaient « le souvenir d’une cité travailleuse où l’on partait bosser le matin, avec un rythme d’homme qui entraient le soir fatigués mais pleins des bruits de la vie, du chantier de l’usine ». Avec la crise, tout s’était « ratiboisé » : le travail, l’usine, la fierté et la vie.
En envahissant la cité que cherchaient les policiers ? « Les bijoux, la bagarre, l’affrontement, le coupable, l’apaisement, la discussion, des coups, la provocation » ? Certes, les mômes des Boqueteaux ont des choses à dissimuler : des baskets volés, quelques grammes de shit ou « la terreur que l’on ressent devant les flics et qu’on cache derrière les pierres qu’on lance ». Mais de butin, aucun. Pour les « flics » rebrousser chemin, c’est perdre la face. Alors les arrestations tombent, arbitraires. Le lendemain « ce ne sont plus des cailloux qui volent mais des cocktails molotov ». Puis le drame se produit. Un policier poursuit et vise à la poitrine un jeune armé. Il tombe… Mort. Ce dernier était-il prêt à tirer comme l’affirme la police ? Les témoignages s’affrontent. La légitime défense est retenue, le non-lieu proclamé. Samuel Ka, trafiquant de cocaïne n’était pas aimé. Pour autant méritait-il la peine de mort ? s’interrogent les habitants qui se replient dans l’humiliation, la honte et la résignation.
Flics cowboys
« Derrière une émeute, il y a une mèche et quelqu’un qui l’allume» déplore Jean Marc Fontaine. Sous sa plume, les protagonistes se déplacent comme sur un terrain de foot. Jeunes en défense, flics cowboys à l’attaque, éducateurs pris entre deux feux. On y trouve aussi les politiques en campagne, les journalistes plus intéressés par les voitures brûlées que par les associations, le sociologue appelé en renfort et utilisé « comme de la vaseline pour faire glisser le suppositoire », « les professeurs qui ont le savoir et les parents qui n’ont pas les mots ».
Fontaine signe un roman inspiré de faits dont il a été témoin lorsqu’il était engagé au sein d’une association du 9.3. Les émeutes de Marseille ont été le déclencheur pour écrire. « Dans les cités, il n’y a pas la même justice, pas la même école, pas la même santé, pas la même police. Depuis les Minguettes en 1983, cela fait un demi-siècle qu’on ne fait rien ».
Anne-Marie Thomazeau
Trois fois la mort de Samuel Ka de Jean-Marc Fontaine Éditions Globe sortie le 2 mai
Marie-Charlotte Calafat et Stéphane Ibars, commissaires de l’exposition Passions partagées, qui s’ouvre au Mucem jusqu’en septembre, ont eu pour mission de faire dialoguer deux collections. Celle, d’art contemporain, constituée au fil des décennies par le galeriste Yvon Lambert, né en 1936 à Vence (Alpes-Maritimes). Et celle du musée, axée sur les arts, techniques et traditions populaires en Europe et Méditerranée. Ils ont choisi de se focaliser sur « l’histoire intime que l’on entretient avec les objets », qu’ils soient conçus pour la vie quotidienne, ou reconnus comme œuvre d’art. D’un côté, « la relation indéfectible qu’entretiennent les artistes avec leur environnement quotidien, la manière qu’ils ont d’en révéler la beauté, d’en transformer l’expérience ». De l’autre, la grâce des créations humaines usuelles, quand la forme répond parfaitement à la fonction, ce qui en décuple le plaisir d’utilisation.
Une résonance et des limites
Les fonds du Mucem sont riches d’items surprenants, souvent émouvants, parfois propres à secouer : aussi mettre au mur d’une exposition, sur le même plan, un tableau de Jean-Michel Basquiat, aux prises avec ses démons, et l’œilleton de métal du centre pénitentiaire des Baumettes, d’un bleu presque Klein, frappe l’esprit. Les procédés scénographiques conçus par George-Henri Rivière, à l’origine des missions ethnographiques des musées de société, favorisent cette résonance. Dès l’entrée, un costume de gardian Camarguais soutenu par des fils de nylon, sans mannequin, chevauchant un cheval fantôme, impose une présence-absence forte. Mais au-delà de certaines juxtapositions efficaces, de par la qualité des œuvres ou la pertinence de leur mise en perspective, le parcours peine à convaincre. Les visiteurs non familiers de l’histoire de l’art ou des missions du Mucem pourront être déroutés : il est facile de passer à côté de l’intention ou du fil rouge. D’autres seront étonnés par le ton des textes de la poétesse Ryoko Sekiguchi, invitée à rédiger le texte de vingt et un « cartels imaginaires ». Dommage, car les centres d’intérêt d’Yvon Lambert, notamment tout ce qui a trait à la culture méditerranéenne, ont indéniablement des points de convergence avec le travail des conservateurs.
GAËLLE CLOAREC
Passions partagées Jusqu'au 23 septembre Mucem, Marseille
Il y a PAC et PAC : d’un côté le Printemps de l’Art Contemporain, du 2 au 19 mai, 16e édition du festival qui rend visible auprès du « grand public » par une multitude d’expositions la vitalité de la scène de l’art contemporain dans l’agglomération marseillaise. Et de l’autre le réseau Provence Art Contemporain (anciennement « Marseille Expos ») qui organise et porte ce festival, 62 structures (institutions muséales, galeries, espaces expérimentaux, collectifs de commissaires, Beaux-Arts de Marseille, lieux de résidences et de production), œuvrant également tout au long de l’année auprès des artistes, des structures et des publics en termes de professionnalisation, formation, médiation et communication.
Ouvertures marseillaise performées
Comme l’année dernière, le grand week-end festif d’ouverture à Marseille se décline en nocturne, par groupement de quartiers, du 2 au 5 mai. Avec 4 jours et 4 soirées de programmation dans toute la ville et une série de vernissages, concerts et performances dans l’espace public. Car cette année, chacune des 4 ouvertures est « introduite » par une performance.
Ainsi, le 2 mai, pour l’ouverture Camas Cours Julien Opéra et quartier des antiquaires, Arthur Gillet performera La flamme et la flemme sur la place Jean Jaurès à 18h et 18h30. Le 3 mai pour l’ouverture Belsunce Joliette Panier Bougainville Estaque Yoan Sorin performera Pour tous les diables au croisement de la rue Bernard du Bois et de la rue Longue des Capucins à Belsunce, à 18h. Le 4, pour l’ouverture Longchamp Belle de Mai Blancarde Plombières, c’est au kiosque à musique du Palais Longchamp qu’on pourra assister à 21h à la performance Circular Swing de Ju Bourgain. Enfin, le 5, pour l’ouverture quartiers Sud et bords de mer, ce sera Trajectoire infinitive une performance de Santiago Reyes à 14h30 à l’Atelier Tchikebe et à 16h30 au [mac], musée d’art contemporain de la ville de Marseille.
Clôture aixoise festive
La clôture du PAC à Aix-en-Provence le 18 mai sera au même diapason, multiple et festif : des nocturnes jusqu’à 22h à la Galerie Parallax pour Les petites peaux, de Fabrice Domenet, Catherine Dovellos, Anthony Morel, à la Galerie Ars Longa pour le vernissage de Adrénaline de Kenza Merouchi. Et jusqu’à minuit au Couvent des Pêcheurs pour l’exposition collective A comme Animal des étudiant·e·s de l’École Supérieure d’Art d’Aix- en-Provence, ainsi qu’à la Chapelle de la Visitation, au Musée des Tapisseries, et au Pavillon de Vendôme pour Beyond Consciousness de Chiharu Shiota. Enfin, Place des Prêcheurs, entre 18h et 21h30 les performances Roasty Boiled Toastinette de Léa Puissant, Rage Là de Saphir Belkheir, La fin du roman de Fanny Lallart, et le dj set de Sandar Tun Tun. Toutes les autres (nombreuses) infos sur p-a-c.fr.
Si Avignon a son Palais des Papes, Carpentras a son Inguimbertine. Amorcé en 2017 avec l’installation d’une bibliothèque multimédia dans l’ancien hôtel-Dieu de la ville, le projet s’est conclu par le transfert d’une bibliothèque de conservation avec collections muséales. Car c’est le pari de ce nouvel équipement culturel : permettre la lecture publique d’un côté et l’accès aux fonds patrimoniaux de l’autre. Pour ce qui est de la bibliothèque-musée transférée il y a peu, celle-ci se décline en trois sections distinctes. Il y a tout d’abord la partie historique qui revient notamment sur le Comtat Venaissin, ancien état pontifical dont Carpentras fut la capitale. Dans cette histoire on retrouve notamment celle des Juifs carpentrassiens qui vécurent sous gouvernement pontifical dans un quartier dédié. Il y a ensuite la section de la bibliothèque, le cœur de l’exposition permanente, présentant les nombreuses acquisitions de l’évêque d’Inguimbert, que ce dernier légua par la suite à la ville. La dernière partie est bien plus visuelle puisqu’elle expose de nombreuses peintures d’artistes originaires du pourtour vauclusien. Le tout dans les 10 000 m 2 de l’hôtel-Dieu, plus grand monument historique du Vaucluse derrière le Palais des Papes.
L’humanisme en ligne de mire
La bibliothèque-musée s’est donc construite sur les donations de d’Inguimbert et des autres donateurs qui lui ont emboîté le pas. Mais plus globalement, c’est sur l’esprit humaniste des Lumières que repose cette institution de l’Inguimbertine. Cette quête du savoir total via l’encyclopédisme permet un rayonnement culturel que la ville de Carpentras, principale financeur du projet, cherche à développer. Avec 55 000 imprimés ancien, 1 200 tableaux, 3 400 manuscrits… les fonds de l’Inguimbertine sont ouverts à toutes les disciplines et ce dans une rare profondeur de champ. La volonté des Lumières de lutter contre l’ignorance par la connaissance et la raison s’incarne dans de tels lieux. Dans une société qui exacerbe nos peurs et nos réflexes identitaires, il est plus que jamais urgent de faire appel au bon sens et à l’esprit critique. L’Inguimbertine rappelle l’absolue nécessité de la culture et de l’éducation culturelle, à l’heure où l’extrême droite menace de la dévoyer.
RENAUD GUISSANI
Le weekend d’inauguration de la bibliothèque-musée l’Inguimbertine s’est tenu les 20 et 21 avril à Carpentras
Zébuline. Le festival Propagations signe cette année sa quatrième édition. Quelle place ce rendez-vous tient-il dans la saison du GMEM ?
Christian Sebille. Quand je suis arrivé, mon prédécesseur avait un énorme festival, Les Musiques, qui durait trois semaines. Et il représentait l’essentiel de l’activité : tout le travail de recherche, d’accueil de résidence, était tourné vers lui. Aujourd’hui, on a un lieu que l’on fait vivre toute l’année, donc on est obligés de répartir les moyens. On a créé une saison « Les modulations », qui marche très bien et qui permet une permanence de la création musicale sur Marseille et le département. D’autres moments de rencontres avec le public se fait tout au long de l’année avec des sorties de résidence que l’on appelle les « ExtraMod ». Propagations est devenu un point d’orgue de l’activité que l’on mène toute l’année, et non plus « le » moment essentiel.
Comment s’intègre ce travail à l’année dans la programmation du festival ?
Je pense à tous les spectacles qui ne pourraient pas être là si on n’avait pas cette politique de partenariat avec nos amis de la culture. Par exemple Compositions sonores pour cinéma expérimental est un travail que l’on a mené toute l’année autour du séminaire animé par Javier Elipe Gimeno, un éminent compositeur qu’on a la chance d’avoir sur le territoire marseillais qui travaille à Satis [un des partenaires de la plateforme du GMEM, dispositif réunissant le Conservatoire, la Cité de la Musique, l’Esadmm, l’École supérieur d’art d’Aix et l’Amu, ndlr]. On a aussi le Marseille Labo Land de Jean-Marc Montera qui va nous proposer une improvisation musicale sur le film Häxan, la sorcellerie à travers les âges. Il y a comme d’habitude le concert Émergence, avec les étudiants du Conservatoire et de la Cité de la Musique, animé par Pom Bouvier-p. Tous ces partenaires, ces jeunes compositeurs·ices, vont présenter le travail résultant d’ateliers menés toute l’année.
Que va-t-on découvrir dans le reste de la programmation ?
Il y aura à La Criée Alan T., un très beau projet de Pierre Jodlowski sur Alan Turing, ce mathématicien qui a trouvé comment décoder les messages de l’armée allemande et qui a permis indirectement la réussite du débarquement. Un homme très important, mais étant homosexuel, on a très peu parlé de lui… Puis Ornithologie de la compositrice américaine d’origine chinoise Julie Zhu que l’on accueille depuis 5 ans. Ce projet est tenu à bout de bras par Liao Lin-Ni, qui en tient la direction artistique, et qui travaille avec le sheng (orgue à bouche chinois), qui sera joué par son maître mondial Wu Wei sur la scène du Module au GMEM. On va voir aussi Memento, de Jérôme Combier, où trois orchestres finissent par se retrouver pour proposer une très belle pièce finale. On présente ensuite avec nos amis de Klap deux projets : Forêt, de Franck Vigroux, avec de nombreux développements technologiques, visuels et musicaux. Et le très fin, subtil et beau En mon for intérieur de Alvise Sinivia qui présente un projet avec la danseuse Mellina Boubetra : elle danse avec une bande magnétique sur laquelle est enregistrée sa voix en direct par un magnétophone analogique. Puis on a une soirée co-produite avec la scène nationale du Zef accueillant deux propositions : Les Métamorphoses de Bastien David, et son grand métallophone circulaire, puis Noorg, le duo de Loïc Guénin et Éric Brochard qui vont nous faire un solo électronique entouré de 18 hauts-parleurs. On terminera avec Primaria de Claire Bergerault, Silvia Tarozzi et Deborah Walker à l’Opéra de Marseille, avant une fin en apothéose avec Song and Voices, une création de Franserca Verunelli pour l’Ensemble C Barré.
Outre le festival, quelles sont les ambitions du GMEM pour les prochaines années ?
Même si j’ai hérité d’une bonne structure, en bonne santé, avec une belle équipe… en douze ans de travail on a changé de dimension – en partie grâce à la fusion avec le GRIM. Mais vous savez que la situation économique est mauvaise, donc on est plus dans une recherche de stabilité que dans un déploiement. On essaye de travailler avec des fondations privés, de se développer à l’international… mais si on se développe dans une direction on est obligé d’en limiter une autre : on est confronté à une recherche d’équilibre.
Le festival de musique expérimental Sonic Protest a annoncé que 2024 serait sa dernière édition. Comment avez-vous réagi à cette annonce ?
C’est triste parce que tout un pan de la musique expérimentale avait une vraie plateforme de visibilité qui disparaît. Le deuxième constat que je fais c’est que toutes ces expériences dont on parle souvent, comme les fameux tiers-lieux que l’on voit fleurir partout – et aussi défleurir –, si elles ne sont pas confortées, stabilisées, elles ont du mal à survivre. Si à un moment il n’y a pas d’institutionnalisation, de moyens financiers donnés à ces expériences formidables, elles finissent par disparaître, car elles tiennent sur l’énergie de deux, trois, ou quatre personnes.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NICOLAS SANTUCCI
Au programme Fixin: installation sonore de Sylvain Darrifourcq 3 au 12 mai, Friche la Belle de Mai (Studio) Autonomics : installation sonore de Kinda Hassan 3 au 12 mai, Friche la Belle de Mai (GMEM, Studio pédagogique) Compositions sonores pour cinéma expérimental, de Javier Elipe Gimeno 3 mai, Friche la Belle de Mai (le Module) Häxan, la sorcellerie à travers les âges, par Marseille Labo Band 4 mai, Friche la Belle de Mai (IMMS) Modulisme, l’oreille s’électrise..., Carte blanche à Philippe Petit 4 mai, Friche la Belle de Mai (sous le Module) Émergence, Conservatoire Pierre Barbizet & Cité de la Musique 5 mai, Le Couvent Totems électroacoustiques, de Marco Stroppa 6 mai, Friche la Belle de Mai (Petit plateau) Alan T., de Pierre Jodlowski 7 mai, La Criée REACHing OUT !, Joëlle Léandre & The Who/Men 8 mai, Friche la Belle de Mai (Petit plateau) Ornithologie, de Wu Wei, Julie Zhu, André Serre-Milan et Alexis Baskind 9 mai, Friche la Belle de Mai (le Module) Memento, Jérôme Combier 9 mai, Friche la Belle de Mai (Grand plateau) En mon for intérieur, de Alvise Sinivia 10 mai, Klap Maison pour la danse (Grand studio) Forêt, de Franck Vigroux 10 mai, Klap Maison pour la danse (Salle de création) Primaria, de Claire Bergerault, Silvia Tarozzi et Deborah Walker 12 mai, Opéra de Marseille (Foyer Ernest Reyer) Song and voices, de Francesca Verunelli, Ensemble C Barré et Neue Vocalsolisten 12 mai, Friche la Belle de Mai (Grand plateau)
La parole a circulé entre élu·e·s, professionnels et participants sensibles à la conservation comme à la transmission des langues régionales ou celles issues des Outre-mer et des diasporas. À l’évocation des élus des territoires de Bretagne, Alsace, Région Sud, Corse, Pays basque, Réunion, Martinique, Occitanie, Saint-Martin (Antilles) il apparaît clairement que la France est un pays pluriel dont le français est la langue commune mais non la langue unique.
Pas de ratification
La nation française a bâti son unité sur le monolinguisme. D’abord contre le latin utilisé dans les actes de justice et par le clergé, avec le roi François Ier, puis contre les langues régionales, avec la Révolution française puis la IIIe République et l’instruction obligatoire en français.
Face à la reconnaissance de l’Europe des langues régionales et minoritaires, la Constitution dispose que « la langue de la République est le français » : le Conseil constitutionnel a jugé dans sa décision du 15 juin 1999 qu’en adhérant à la Charte, la France méconnaîtrait les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi, d’unicité du peuple français et d’usage officiel de la langue française.
Le Conseil d’État a confirmé en 2013 ce jugement et a opposé un avis négatif à une telle ratification le 30 juillet 2015.
Reconnaître, conserver, enseigner les langues
Pourtant, pour Fabien Le Guernevé, adjoint en charge de la Culture de Vannes, vice-Président de la FNCC et fervent défenseur de la langue et de la culture bretonnes, la conservation et la transmission des langues régionales ou minoritaires doit constituer un objectif fort des élus, au plus proche de leur territoire : une meilleure mutualisation entre offices de langues régionaux permettrait une prise en compte collective et équitable des réponses des ministères de la Culture et de l’Éducation nationale. Victor Vogt, Président de l’Office pour la Langue et les Cultures d’Alsace et de Moselle revient sur les enjeux de transmission dans le cadre scolaire et les écueils classiques liés aux traumas de l’histoire franco-allemande.
Pour Agnès Freschel, adjointe déléguée aux Cultures et aux Mémoires du premier secteur de Marseille, il faut promouvoir toutes les langues parlées en France et se défier de la tentation identitaire comme d’un prétendu universalisme centralisateur. La proximité entre projets culturels, artistiques et promotion des langues minoritaires répond aux enjeux soulevés par les droits culturels et aux nouvelles prérogatives des collectivités. Elles témoignent de leur vitalité dans la production contemporaine musicale notamment à Marseille.
Des élues de la Réunion, de la Martinique et de Saint-Martin soulignent l’importance de la reconnaissance et de l’enseignement des créoles dans les territoires et département d’Outre mer. Leur variété, leurs apports culturels, leurs inventions verbales, la reconnaissance, pour les locuteurs, de la validité de leur culture.
Vers une reconnaissance ?
Les langues régionales et minoritaires, qu’elles soient frontalières ou coloniales, illustrent de façon puissante l’enjeu de pouvoir qui s’exerce dans leur contrôle, qu’elles s’expriment entre pouvoir central et régional, ou entre territoire sous gestion administrative et politique de l’État français.
Faire avancer une nouvelle étape de décentralisation permettant d’attribuer la compétence des langues régionales aux collectivités territoriales et d’être une « tête de réseau » pour les Office de promotion des langues et cultures régionales est une intention claire pour la FNCC.
Sans paradoxe, il apparaît que langues régionales et minoritaires partagent les mêmes imaginaires, ceux de l’autochtonie et de l’ailleurs, ceux de la créolisation, et du Tout-monde.
Le sport serait populaire, et l’art élitiste. Le sport physique, l’art intellectuel. Le sport vide la tête et l’art la remplit… Entre ces oppositions fantasmées, niaises ou réelles, Des exploits, des chefs-d’œuvre s’engouffre et plonge le visiteur dans un fascinant miroir artistique à la pratique sportive. Né de l’intelligent commissariat signé Jean-Marc Huitorel, spécialiste des relations entre art et sport, et critique d’art, la nouvelle exposition prend place dans trois hauts lieux de l’art marseillais : au Frac Sud, au Mac et Mucem. Une triple entente qui permet d’agréger quelque 3 000 m2 de surface d’exposition, où les œuvres tissent, sur le fil du rasoir, un étonnant mariage entre gestes artistique et sportif.
L’Heure de gloire
C’est une exposition qui se décline en trois temps, trois lieux et trois thèmes. Au Frac Sud, le sous-titre prend des airs warholiens, ou patriotique, avec L’Heure de gloire. Et dès l’entrée, la gloriole du sport est de mise. On est écrasés par l’imposante sculpture de trois têtes de lion portant les anneaux olympiques signée Jean Bedez. Une œuvre réalisée à l’occasion des Jeux de Pékin en 2008, soulignant la puissance politique que le régime chinois avait donné à cet événement – on ne saurait reprocher de telles basses pensées à la France de Macron. La suite est plus fine, comme avec l’installation de Berdaguer & Péjus Smith,Norman, Carlos, Mexico 68, soit la reproduction en cinétographie Laban (système de notation chorégraphique) du podium historique ayant vu Tommie Smith et John Carlos soulever le poing en soutien au mouvement de lutte contre la ségrégation raciale dans leur pays. Le résultat est hypnotique, aussi léger que le poids historique derrière cette subtile composition.
Des œuvres politiques qui prennent place à côté de pièces plus spontanées, critiques ou joviales : on rit devant ce baby-foot conçu par Bianca Argimón, où les joueurs sont extraits de leurs barres, et gisent au sol, simulant une blessure. On est fasciné devant la beauté de ce vélo, percé de milliers de trous, ironisant sur la recherche démesurée de légèreté et de performance dans le cyclisme. Et on reste perplexe face à ces couples de motards qui s’enlacent amoureusement, flanqués d’injures homophobes à la place des pubs habituelles… Il ne faudra pas non plus louper les productions des élèves de l’École supérieure d’art d’Aix. Mordants, certains se sont amusés à révéler le revers de la médaille, frappants sur celles-ci des titres de presse tel « La fête du fric », ou en encore des caméras de surveillance.
Tableaux d’une exécution
C’est dans le flambant Mac de Marseille que la visite se poursuit. Cette fois sous le titre Tableaux d’une exécution, référence aux pièces pour piano de Moussorgski. Et comme son nom l’indique, le Mac s’intéresse à l’art « accroché » : des peintures, des dessins, des photographies. En guise d’accroche justement, c’est une impressionnante œuvre de Pascal Rivet qui accueille le public : un tirage photo de 6 mètres sur 9, aux mêmes dimensions que l’œuvre originale – qui, trop grande, ne pouvait entrer dans le musée. On y voit un peloton cycliste pris dans une chute, aux ondulations graphiquement superbes mais perturbantes, et on perd l’équilibre avec les coureurs. Plus loin, les huiles de Nina Childress, et notamment sa Goldengirl, femme seule sur la piste d’athlétisme, buste relevé, que la peintre auréole d’un coup de pinceau lumineux et solaire.
Le parcours proposera aussi la série Deuxième génération, de Jérémie Setton, qui dessine à l’eau et au savon d’Alep sur des panneaux de Placoplatre des scènes sportives : une femme s’étirant, une homme qui lance un poids… On apprend qu’il s’agit de ses grands parents, qui se sont rencontrés dans les milieux culturels et sportifs du Caire et d’Alexandrie en 1940. Ou encore les pièces de Johanna Cartier, dont le tableau Droit au but présente une femme en maillot et talons aiguilles, genoux écartés, ballon de foot entre les jambes. Un woman-spreading qui sonne juste dans l’univers très machiste du football. Le Mac offre enfin une grande place au travail de Julien Beneyton sur l’illustre boxeur français Jean-Marc Mormeck… qui en dit autant sur ce sportif, que sur l’attraction « maladive » – et fascinante – de son auteur.
Trophées et reliques
Place au troisième temps de l’exposition, intitulé Trophées et reliques. Et quand il s’agit de reliques, le Mucem n’est jamais très loin. Le parcours s’intéresse cette fois à l’objet : celui qui n’est qu’un simple ustensile, celui qui devient œuvre d’art et celui qui devient relique. À l’entrée de la salle, ce sont d’ailleurs six objets qui accueillent le visiteur, parmi lesquels des gants de boxe de Mohammed Ali, des chaussures de Franz Beckenbauer, un casque de Marcel Cerdan… Ces pièces, pourtant très réalistes, sont une œuvre de Guillaume Bijl intitulée Souvenirs du XXe siècle, et interroge directement sur la notion de vérité, sur la croyance en ce que l’on voit, ce que l’on croit, et l’intérêt que l’on porte à un objet selon à qui il a appartenu. Comme une mise en abîme, on pense aussi au travail des équipes de ce musée dans la constitution de ses fonds.
Des collections du Mucem d’ailleurs largement mises à contribution dans les installations, comme celles du musée national du Sport de Nice, qui viennent dialoguer avec des œuvres d’art. On retrouve Johanna Cartier, qui nous fait part cette fois de son talent de joaillière, en recouvrant un ballon de foot par une multitude de perles et pierres de pacotille. À côté de lui, un ballon carré réalisé par Fabrice Hyber, un autre signé de la main d’Aimé Jacquet, et utilisé pendant la demi-finale de la Coupe du monde 1998 entre la France et la Croatie. Occupant une bonne place de l’espace, on s’attarde sur l’installation Club réalisée par Aurélie Ferruel et Florentine Guédon : un quinzaine de pièces qui multiplient les techniques créatives : sculpture sur bois, peinture, tissage, moulage… ici un ballon de rugby (en plâtre ?) ; là une photo (d’elles ?) grimées dans une tribune. C’est frais, et tranche avec une acidité appréciable le reste du parcours muséal.
De ces trois expositions n’en faisant qu’une, il ne serait pas très malin d’en dessiner un podium. Toutes se répondent avec intérêt, et sont nourries de la même intelligence. Des exploits, des chefs-œuvres réussit son entreprise à plusieurs niveaux, comme celui de faire dialoguer le sport et l’art sans rabaisser ni le sport ni l’art.
NICOLAS SANTUCCI
Des exploits, des chefs-d’œuvre Frac Sud Jusqu’au 22 décembre Mucem Jusqu’au 8 septembre Mac Jusqu’au 8 septembre