lundi 21 avril 2025
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Puits de sciences

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© Christophe Leterrier

Après une première édition lancée l’an dernier, l’Université d’Aix-Marseille s’est de nouveau attelée à l’organisation de deux journées célébrant la conjugaison des arts, cultures et sciences. La prochaine édition de Scientifica se tient les 16 et 17 juin prochains sur le campus Schuman, au bien-nommé Cube. Le lieu, construit sur l’ancienne bibliothèque universitaire à quelques pas de la Maison de la Recherche, a été conçu comme un espace artistique et culturel à part entière. Il accueillera nombre d’événements pendant ces deux après-midis : expositions, conférences, mais aussi des programmations sonores immersives, auxquelles ont participé seize laboratoires, composantes et autres établissements et structures de recherche.

Célébrer l’union des arts et de la science

Aux manettes de ce projet d’envergure, la sociologue et professeure d’université Sylvia Girel, coordinatrice de l’Observatoire des publics et des pratiques de la culture. La chercheuse, tombée dans les arts visuels dès sa plus tendre enfance – son père, Alain Girel, comptait parmi les céramistes les plus en vue – a consacré la plupart de ses travaux de recherche à la réception des arts par leurs publics, et à leur diffusion par les lieux dédiés à leur fleurissement. 

Après avoir exploré, l’an dernier, la question de l’interdisciplinarité, les journées de cette édition ont délimité des axes plus précis, et néanmoins passionnants, pour les débats à mener : celui du dialogue entre arts et sciences, auquel sera dédié l’après-midi du 16 juin ; et celui de l’art – délicat ! – de la thèse, qui occupera tout l’après-midi du 17 juin. La première après-midi délimitera le domaine commun des arts et des sciences aujourd’hui, et la question épineuse de la réception et des publics de ce domaine. Et la seconde les témoignages de chercheurs jeunes et confirmés, qui évoqueront leurs expériences et parcours, ainsi que leur professionnalisation parfois hors des sentiers battus.

Plusieurs installations permettront également aux publics d’aborder le monde de la recherche de façon ludique : on attend de pied ferme L’Affaire Pétrarque, escape game conçu par le Cielam et Madirel, unissant les forces de la littérature et de la chimie des matériaux pour « cracker » un manuscrit médiéval. Ou encore Energeia, expérience collective et immersive pensée autour de l’énergie nucléaire. La conférence-performance de l’artiste Jeff Guess, To be determined, confrontera le public à la part de flou artistique et scientifique qui accompagne la recherche. Les expériences sonores concoctées par les étudiants de musicologie Art-Mur et Sous-entendu(s), fabriquées respectivement à partir de sons captés avec électro et samples et bandes sons de court-métrages, accompagneront auditivement les spectateurs. Suivez la fée bleue, installation immersive de bioluminescence pensée par la designeuse plasticienne et chercheuse Nadia Merad-Coliac promet quant à elle de leur ravir les mirettes. De quoi réviser les sciences par les sens !

SUZANNE CANESSA

Scientifica
16 et 17 juin 
Campus Schuman, Aix-en-Provence

Être au monde 

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Jocelyn Balu & Borumba © Zoé Lemonnier

La musique, miroir des peuples rassemble les pays de la Terre entière, nous parle « de paix, de tolérance, de curiosité envers l’Autre », selon les propos de Frank Tenaille, directeur artistique du Chantier, ce laboratoire hors norme de création, consacré aux nouvelles musiques traditionnelles et musiques du monde en trois journées qui ont su par leur énergie positive éloigner la colère des éléments des lieux de représentation. Les thématiques de la rencontre et du voyage s’y retrouvaient magnifiées. En ouverture, le concert Serr, Sere, (de « serre », le secret en arabe et « sere », la sérénité de la clarté du matin en occitan) offrait un condensé de l’esprit de cette manifestation et de la structure qui l’organise : fruit d’un travail mené pendant deux ans, par des musiciens issus d’Occitanie et d’Égypte, réunis lors d’une résidence de création du 22 au 26 mai à Correns, le concert nous plongeait dans l’univers des poètes des XIIe et XIIIe siècles et du contemporain Amjad Etry, poète syrien exilé à Marseille. 

Syrie, Perse et Écosse

Les poèmes passent d’une langue à l’autre, portés par les voix des chanteurs Clément Gauthier et Cheikh Zain Mahmoud, les timbres s’accordent aux textes, suivent Raimon de Miraval qui, regardant le soleil à travers les ailes déployées de l’alouette, comprend enfin la véritable nature de la lumière, partent en Syrie aux côtés d’un duc occitan qui ramène dans ses bagages les mots et la langue persane et les adapte à sa propre langue : « du trobar au tarab, du tarab au trobar ». La boucle se noue en un chatoyant manteau poétique, temps suspendu dont on retrouvera la qualité dans le sublime concert de clôture proposé par la famille Chemirani (Maryam, voix, Bijan, zarb, percussions, saz, Keyvan, zarb, percussions, santur) additionnée du celte Sylvain Barou (flûtes celtiques, bansouri, duduk, neyanban), Hâl, le voyage amoureux

La musique persane trouve des accords fusionnels avec les traditions de l’Irlande, de l’Ecosse et de la Bretagne, provoque des duos virtuoses (on ne se lasse pas du « dialogue des arbres » entre les deux percussionnistes ni du duo entre la flûte et le sandur), la voix de conteuse, bouleversante de Maryam, glisse un brin d’espièglerie ici, une émotion à fleur de peau là, éblouissements… Comment tout évoquer, tant l’ensemble est riche, depuis l’évocation des grands compositeurs brésiliens par Cristiano Nascimento, Wim Welker et leurs guitares à sept cordes aux rébétikos de la Grèce des années 30 par l’ensemble Pnevmatiko ou la conversation des Egarés, (Ballaké Sissoko, Vincent Dégal, Vincent Pierani et Emilien Parisien) qui abolit toutes les frontières pour un univers puissamment onirique, ou encore les moments de danse, balèti par Castanha é Vinovèl, Leila Negrau et son art du maloya ou encore la rumba congolaise  soyeuse de Jocelyn Balu et son bal poussière… Correns des enchantements…

MARYVONNE COLOMBANI

Les Printemps du monde se sont tenus du 26 au 28 mai, à Correns.

Les Arts Éphémères fêtent leurs quinze ans

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Kyoo Choix, Ce vent dont vous parlez nous porte loin de nous-mêmes, 2023

C’est un joyeux anniversaire que célèbrent cette année les Arts Éphémères. Ce rendez-vous devenu incontournable a pris ses quartiers au parc de Maison Blanche jusqu’au 11 juin, sous le patronage bienveillant de la mairie des 9e et 10e arrondissement. La maire Anne-Marie d’Estienne d’Orvesse félicite – et elle a bien raison – de la qualité artistique de ce temps fort comme du travail de médiation opéré autour de ce projet : plus de 2500 scolaires et écoles professionnelles y ont été impliquées. Et se réjouit de la présence accrue de l’école des Beaux-Arts de Marseille – Inseamm, dont les jeunes diplômé·e·s se révèlent une fois de plus particulièrement présents : six œuvres, sur les vingt-quatre exposées, sont le fruit de leur travail. La place accordée à la jeunesse est également à saluer ; de même que la fidélité à des artistes locaux. Le caractère dégradable, temporaire, des œuvres s’étant avéré un prérequis passionnant, le choix du thème de l’« essai », préconisé par les commissaires de l’exposition Isabelle Bourgeois et Martine Robin, semblait aller de soi. L’espace artistique n’est pas celui de la performance ou du discours, mais bien du tâtonnement, de l’exploration et de l’expérience. Pour des résultats toujours enthousiasmants. 

SUZANNE CANESSA

Les Arts Éphémères sont à retrouver jusqu’au 11 juin au parc de Maison Blanche, à Marseille.

Par les Villages, le théâtre vient à vous

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Olympe de Gouges de l'intérêt de se l'ouvrir ...ou pas! © X-DR

Le projet du collectif Opening Night, qui organise les temps forts Par les villages, est profondément politique : fondé et administré par des femmes metteuses en scène, le collectif s’affranchit des programmateurs et affirme que les compagnies locales existent, qu’elles peuvent se produire hors des circuits habituels et au plus près des gens. Dans les villages et les parcs, en laissant de la place aux amateur·e·s, en invitant des compagnies extérieures au Pays d’Aix, en jouant « la solidarité plutôt que la compétition », elles maintiennent l’idée que le théâtre est un art populaire à la portée de toutes et tous. 

Car cela fait plus de quinze ans que ça fonctionne, grâce au soutien du Pays d’Aix puis de la Métropole, qui y voient eux aussi un moyen efficace de démocratiser l’accès à la culture. 

L’édition de printemps de Par les Villages commence à Jouques les 27 et 28 mai avec Olympe de Gouges de la compagnie Bretzel : un spectacle sous forme d’une fausse conférence portée par trois comédiennes déterminées, forcément féministes, mais rappelant aussi son combat contre l’esclavage.

Senn’aga est aussi une compagnie aixoise portée par une femme, Agnès Petreau : dans 11 à table elle écrit, interprète et met en scène les onze personnages d’une maisonnée particulière, une famille d’accueil où les portes claquent et la parole tourne… Le soir, un concert du duo Odalva, qui compose des chansons récits et s’accompagne aux guitares. Durant les deux jours, Anatole (Théâtre des Babioles) va réparer les cœurs, dans des interventions poétiques au plus près du public. 

Lenteur et littérature

Le 3 juin Par les Villages se poursuit à Aix-en-Provence, dans le parc de la Torse avec Charlotte Teissier et Chimène Voronkoff (compagnie La Bouillonante) qui arriveront d’Arles en vélo. Le Nez au vent, récit d’une aventure sur bicyclette, est un spectacle en mouvement, qui se nourrit des mots que Charlotte écrit en pédalant, et des dessins au fusain que Chimène récolte. Apologie de la lenteur et du plein air, chaque représentation est unique… 

Cette édition printanière se conclut à Beauvezer les 17 et 18 juin avec deux spectacles inspirés de mythes littéraires. La compagnie En devenir 2 reprend ses Métamorphoses, et les récits d’Ovide où les corps des amants se transforment en cerf, en laurier, en larmes… Le collectif Les Dromolos propose quant à lui une adaptation à portée des enfants de Farenheit 451, où quand les pompiers bruleront les livres. 

AGNÈS FRESCHEL

Par les villages
Du 27 mai au 18 juin 
Jouques, Aix-en-Provence, Beauvezer
parlesvillagesopn.com

Quand les beaux jours reviennent

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Alice Zeniter © Jean Kader

Voilà désormais sept ans que le festival créé par Nadia Champesme et Fabienne Pavia s’est établi à Marseille, avec un succès qui ne se dément pas. Les nombreuses lectures, qu’elles soient musicales, dessinées, posthumes et ensommeillées se sont vite remplies. Elles ont même, pour la plupart, affiché complet. Les rencontres annoncées, disséminées sur les différents sites de La Criée, du Conservatoire, du Mucem et de la bibliothèque de l’Alcazar, ont attiré des auditeurs nombreux et attentifs, malgré le retour attendu d’une météo printanière et la concurrence rude des plages ensoleillées. Il faut croire que les frictions littéraires tant attendues réchauffent plus sûrement et plus durablement les cœurs d’un public abondant et de plus en plus diversifié, venu assister en masse aux événements les plus people – la venue de Mathieu Amalric ou de Marie-Sophie Ferdane, celle de la goncourisée Brigitte Giraud – mais aussi aux hommages à Italo Calvino ou Fernando Pessoa.

Frictions fructueuses

Le festival peut notamment s’enorgueillir de ses rendez-vous réussis avec la jeunesse : celui des Nouvelles des Collégiens, qui ont vu cinq écrivains accompagner chacun une classe de collégiens dans l’écriture d’une nouvelle ; celui qui a amené deux classes de lycéens marseillais à échanger avec Olivier Adam comme de bons petits intervieweurs en herbe. Ou encore les étudiants en théâtre du Conservatoire à Rayonnement Régional de Marseille, qui se sont emparés avec courage et poigne des mots d’Éric Fottorino

Les festivités prennent cependant, parfois, un tournant amer. On ne parvient ainsi pas complètement à croire aux tensions familiales chères à Olivier Adamet surtout à la réalisatrice Baya Kasmi, récitées pourtant avec générosité mais sur un ton beaucoup trop familier ce Dessous les roses un brin convenu. Les Variations de Paul pourtant lues avec conviction et bonhommie par leur auteur Pierre Ducrozet peinent à convoquer les imaginaires musicaux que le texte appelait de ses vœux, ou même à susciter chez les auditeurs un brin assommés le désir spontané de danser. La faute, peut-être, à la partition électro de Rubin Steiner, trop monolithique pour aborder tous les territoires du roman ? Ou peut-être le temps n’est-il tout simplement pas à ces frictions et à ces humeurs-là ?

L’effroi sous la glace

Pourtant bien menés et orchestrés, les entretiens dévient parfois, se fissurent. Ils semblent ouvrir des abîmes d’inquiétude inattendus, y compris par les auteurs et autrices elles-mêmes. Les nombreuses digressions de Daniel Pennac amènent ainsi un auteur prompt à discuter sans fin de son amour pour Italo Calvino, de son goût de l’argot ou ses « trucs » de prof à son effroi face au Pépère qui hante son Terminus Malaussène, digne représentant de l’ « extrême méchanceté » dans laquelle semble sombrer notre époque, d’autant plus proche, dans ses affects, de la pensée de l’extrême droite, qu’elle ne l’a pas encore vraiment connue. Même son de cloche lorsque Lola Lafon prendra la parole à propos du très beau Quand tu écouteras cette chanson, ode poignante à Anne Frank. Heureuse de constater que les lecteurs et lectrices émus par son livre et venus à sa rencontre « ne lui ressemblent pas », heureuse de rendre hommage aux qualités mésestimées d’une écrivain en herbe, Lola Lafon n’en demeure pas moins inquiète des protestations anonymes, silencieuses, répétées, de négationnistes de tous crins. C’est désormais l’urgence de produire « non pas des fictions, mais des récits » pour dire cette Histoire-là qui anime l’autrice s’étant pourtant illustrée en tant que romancière. 

Les lectures qui marquent le plus sont peut-être celles qui assument leur dureté et leur violence. Celle effectuée de main de maître par Marie-Sophie Ferdane sur le très beau texte de Makenzy Orcel a rappelé combien la langue, en se mâtinant de poésie, sait se mâtiner de rage, et comment dire cette rage peut ouvrir l’auteur et le lecteur au monde. Dire avec la même humanité, la même intensité, le destin d’une jeune femme française cabossée et celle d’un malien ayant fui la guerre. Tout aussi impressionnante et recueillie fut la lecture de La Pêche du Jour d’Éric Fottorino par les jeunes étudiants en théâtre, portée par le violon de Marc Vieillefon, les percussions et la voix de Salma Omri et le saxophone de Raphaël Imbert. Heureux et ému d’accueillir « un texte tout simplement historique » sur l’horreur migratoire, en compagnie de SOS Méditerranée, le directeur du conservatoire ne cache pas la nécessité de faire date.

Lola Lafon © Nicolas Serve

L’avenir au féminin

Le désir d’Histoire et d’historicité est peut-être celui qui transparaît le plus de cette édition qui a tiré le meilleur de ses rencontres entre auteurs, et surtout entre autrices. Le vertige est ainsi tenace à écouter dialoguer la romancière Noëlle Michel et la préhistorienne Marylène Patou-Mathis au sujet des Néanderthaliens, et des 100 000 ans d’avance que ces derniers ont encore sur les Homo sapiens. Le parfum de fin de règne se mêle heureusement ici à une volonté de détricoter l’Histoire – et la préhistoire – tels que racontés depuis le XIXe siècle, et de questionner le désir de domination au cœur de cette narrativisation de l’Histoire. Tout aussi passionnant sera le débordant entretien d’Alice Zeniter et Hélène Frappat, questionnant la place de la femme dans les récits au prisme de la philosophie et de la narratologie. L’autrice de Toute une moitié du monde ne peut que constater l’ampleur d’une tâche consistant à réinventer le récit et ses péripéties automatiques, quitte à risquer qu’on le trouve « un peu chiant », puisque trop éloignée de l’épopée aristotélicienne. Hélène Frappat se livre alors à une diatribe anti-Aristote jubilatoire, abattant tout ce qui se dresse sur son passage depuis sa formation de philosophe et sa carrière de romancière – et on devine que les obstacles n’ont pas manqué. L’ironie, l’humour convoqués ici avec génie sont peut-être, du propre aveu de l’autrice, l’arme la plus redoutable dont elle et ses semblables disposent.

C’est également un humour ravageur qui pousse une Jeanne Cherhal hésitante à ouvrir son nuancier érotique, illustré par Simon Frankart, et à prendre le micro au piano pour y livrer de très belles chansons. Et la nécessité de se relever, par l’absurde, d’un deuil insupportable, qui donna naissance au formidable Touché de Pascale Monnier, tirade d’infinitifs oulipienne portée merveilleusement par Mathieu Amalric. Un humour qui, plutôt que de dissimuler la gêne et la douleur, sait en faire ses meilleurs alliés.

SUZANNE CANESSA

Le festival Oh les beaux jours ! s’est déroulé du 23 au 29 mai, à Marseille.

Le génie de Baya

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Dame aux Roses, 1967, Gouache et graphite sur papier, 101 x 152cm. Collection Musée de l'Institut du monde arabe, Inv. AC.87-70

Le destin hors du commun de Fatma Haddad, connue sous le nom qu’elle s’était choisi Baya (1931-1998), est aujourd’hui reconsidéré par l’Institut du monde arabe à Paris et les musées de Marseille à travers l’exposition Baya, Femmes en leur jardin. Car il s’agit-là d’une nouvelle approche contextuelle, post coloniale et féministe de sa trajectoire et de son œuvre mises en relation directe avec le patrimoine matériel et immatériel de son pays d’origine : l’Algérie. Ce nouveau regard transcende son vocabulaire plastique et la densité culturelle de ses travaux. Comme le souligne Nicolas Misery, directeur des musées de la Ville, « Baya est une artiste autodidacte, féministe, algérienne et qui a donc été longtemps ostracisée. Les regards portés sur elle à l’époque sont mis en lumière pour comprendre comment elle était ou non acceptée et considérée ». Hormis l’intérêt incontestable de son œuvre protéiforme réunie grâce aux archives publiques et familiales, aux prêts muséaux (trois œuvres de Baya ont été acquises en 1982 par la Ville) et particuliers, l’exposition permet de rendre sa voix à Baya. De la faire entendre en français, en arabe et en anglais à un vaste public car « tout le monde à Marseille a une histoire avec elle, et la notion de réconciliation est très forte dans le projet ».

Huppes, 1975. Gouache sur papier, 100 x150cm. Collection Kamel Lazaar Foundation

Itinéraire d’une enfant précoce

Baya est âgée de 16 ans (!) lorsqu’en 1947 le galeriste Aimé Maeght expose à Paris ses gouaches et céramiques. Une percée considérée comme « miraculeuse », suivie d’une consécration, qui provoqua une avalanche de titres de presse aux relents coloniaux : « Baya, petite fille des mille et une nuits », « Vraie et fausse naïveté »… Une période d’entre-deux pour la jeune fille qui change de vie et de milieu social, partagée entre les traditions de sa grand-mère et l’éducation de sa mère adoptive Marguerite avec laquelle elle apprend à lire et à écrire. Avec ses premiers écrits apparaissent ses premières lignes sinueuses de couleurs : la lettre devient alors un motif décoratif. Mais Baya affirme qu’elle a commencé par le modelage de la terre, en Kabylie, là où les femmes pétrissent l’argile. Dès lors elle fait surgir ses propres récits dans des contes retranscrits par sa mère, dans des dessins, des gouaches aux motifs oniriques (femmes, oiseaux et chevaux aux lignes entremêlées, nature métamorphosée), des sculptures aux formes primitives…  

Femmes et cithare, 1966. Gouache sur papier, 100 x150cm. Collection Musée Cantini

Un monde coloré et joyeux, parfois féérique, qui se déploie sous les yeux de Picasso à Vallauris, jaloux de sa force créative, de Jean Dubuffet qui tente sans succès de la conseiller, et de Matisse dont elle dira : « C’est lui que je préfère ». Fin 1951, Baya a 20 ans et la question de son avenir se pose. Finalement elle se construira un destin algérien, épousera le musicien Hadj Mahfoud Mahieddine à Blida où elle vivra jusqu’à la fin de sa vie. Après avoir connu une longue parenthèse créative, elle reprendra la peinture en 1963, privilégiant son monde intérieur en le restituant plastiquement. Le déformant, le transformant selon sa subjectivité et son ressenti. 

Une œuvre universelle

Pour tirer les fils de la vie de Baya, l’exposition se nourrit d’une documentation abondante autant qu’inestimable. Qu’il s’agisse de documents d’époque : photos, enregistrements, articles, revues, objets, bijoux et costumes traditionnels algériens et citations de textes écrits par Baya longtemps considérée comme analphabète ! Ou de créations originales : vidéo autour du musicien Fouad Didi, édition d’un carnet par La Marelle avec Laurence Vilaine en résidence d’écriture. Plus que jamais Baya nous apparaît comme une artiste pionnière dont l’œuvre est désormais libérée des catégories préétablies par l’histoire de l’art européen. S’en est fini d’un soi-disant apparentement avec le surréalisme, l’art naïf ou brut : elle est unique.

MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

L’exposition s’accompagne d’une monographie publiée par les éditions Images plurielles (Marseille) et Barzakh (Alger). 

Baya. Une héroïne algérienne de l’art moderne
Jusqu’au 24 septembre
Centre de la Vieille Charité, Marseille 
musees.marseille.fr

Crier victoire

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Deux ans à peine après le triomphe de Titane et de Julia Ducournau, c’est une réalisatrice que Cannes a de nouveau décidé de couronner. Confirmant ainsi le tournant opéré par le festival depuis une huitaine d’années : récompenser un cinéma à mille lieues du glamour et des paillettes qu’il affiche pourtant à outrance. Un cinéma désireux de proposer de nouvelles formes et de nouveaux regards, mais surtout un cinéma attentif aux marges, soucieux de refléter les tensions sociales et politiques qui agitent notre monde. Il n’est en effet guère étonnant que le président Ruben Östlund, dont le dernier opus palmé l’an dernier dénonçait avec plus ou moins de finesse les dérives des élites économiques, ait misé sur l’outsider Justine Triet plutôt que sur ses confrères masculins. Et que Julia Ducournau, également membre du jury, lui ait emboîté le pas pour récompenser ce nouveau film de procès, prenant pour sujet une femme accusée d’avoir tué son mari. 

Exception culturelle

Cinéaste à la croisée des genres et des registres, formée aux Beaux-Arts, signant avec cette Anatomie d’une chute son quatrième long-métrage, Justine Triet s’empresse de louer une politique d’exception culturelle qui lui a permis « de se tromper, et de recommencer ». Elle met en garde un gouvernement violemment sourd aux mouvements sociaux, et son désir de « marchandisation de la culture ». C’en est trop pour Rima Abdul Malak, « estomaquée » par tant d’ingratitude, s’improvisant défenseuse du modèle de financement que la réalisatrice appelle pourtant à préserver. Tout en saluant mollement cette victoire : non pas parce qu’elle opère un pas de plus dans l’histoire des femmes au cinéma, mais parce qu’elle constitue la dixième palme remportée par la France. Confirmant la propension de ce gouvernement à instrumentaliser l’art, et à confondre culture et patrie. 

SUZANNE CANESSA

Oiseaux sans cages

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Bazar et Bémols © Thomas Mougeolle

Le festival « de chansons à plumes » Drôles d’oiseaux prend ses quartiers dans une ferme de la ceinture verte avignonnaise, ce qui permet de venir à pied depuis la ville, afin de profiter du grand air. Pour cette troisième édition de la manifestation, son instigateur, Thomas Pitiot, partage la scène avec d’autres artistes indépendants, dont il défend le travail. Le soir du 2 juin, en ouverture, il présente son dernier album, Chéri coco, empreint d’un esprit internationaliste à forte teneur sociale, avec l’auteure, compositrice et interprète folk Louise-Ellie en première partie.

Le lendemain matin, rendez-vous est donné à 10 heures aux enfants à partir de 3 ans : Hugo Barbet, accompagné de ses amis les Rasta Piafs, promet de mettre les saisons sens dessus-dessous dans un set très ludique. En soirée, Hélène Piris, violoncelliste déjantée, et Batlik, poète désabusé, se succéderont pour un concert tout en contraste. Et enfin, le dimanche 4 à 16 heures, place à la Chorale sauvage, près de cinquante interprètes qui n’hésitent pas, dit-on, à reprendre Moustaki, Zebda, Lavilliers, « et même du Dalida trafiqué ». Leur performance est suivie, pour conclure dans la joie de vivre, de celle du groupe Bazar et Bémols, trio de chanteurs adeptes du swing explosif.

L’ensemble des concerts est accessible à un prix très modeste. Un festival aux antipodes du showbiz on vous dit !

GAËLLE CLOAREC

Drôles d'oiseaux
2 au 4 juin
Ferme de l'Acacia, Avignon
06 52 35 35 65 
oceannomade.net

Les Nuits du Cygne, de Capuçon en Capuçon

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Célia Oneto Bensaid © X-DR

La Maison du Cygne est un lieu remarquable de la côte varoise, illuminé de soleil, de couleurs et d’essences méditerranéennes. Son jardin labellisé, ses expositions contemporaines attirent un public friand d’un certain classicisme. 

Lancées en 2021, Les Nuits du Cygne s’inscrivent dans cet esprit comme préservé du temps.  Après deux éditions qui ont rassemblé un public assidu pour des écoutes qui restent intimes, ce sont onze concerts qui sont proposés cette année, du 27 mai au 18 juin, autour des répertoires classiques et romantiques, et de la virtuosité. Des interprètes d’exception sont réunis autour de Renaud et Gautier Capuçon, les deux frères s’engageant, chacun sur son chemin, à la défense et promotion de jeunes interprètes qu’ils font jouer avec eux et dans les divers festivals où ils se produisent. 

Un seul regret : pour goûter au talent des frères Capuçon qui se produisent chacun deux fois, il faut débourser jusqu’à 80 euros, 50 euros pour Claire Désert et Anne Gastinel, alors que les concerts de solistes moins starisés s’en tiennent au maximum de 30 euros. Si vous n’avez pas les moyens, concentrez vous sur ceux-ci, qui s’annoncent exceptionnels, et sur le concert gratuit du 10 juin…

Au programme

Raphaelle Moreau – crédit Natacha Colmez-Collard

27 mai : Renaud Capuçon (violon), Paul Zientara (alto) Stéphanie Huang (violoncelle) et Guillaume Bellom (piano) jouent les quatuors avec piano n°1 et n°2de Mozart.

28 mai : On avance dans l’histoire et les harmonies, mais l’esprit reste délicat et classique, pour le quintette et le quatuor avec piano de Brahms. (Renaud Capuçon, Manon Galy (violon), Violaine Desperoux (alto), Stéphanie Huang et Guillaume Bellom)

31 mai : (30 € tarif plein !) Le pianiste David Kadouch joue Poulenc, Britten et Reynaldo Hahn, mais aussi leurs contemporaines dont l’histoire a gommé les noms : Ethel Smyth et Wanda Landowska. 

1er juin : (30 €) Adrien La Marca (alto) et Sun-Wook Kim (piano) nous embarquent pour un voyage romantique et virtuose entre Prokofiev et Rachmaninov.

2 juin : Anne Gastinel (violoncelle) et Claire Désert (piano) passent de Saint-Saëns et des élégies de Fauré au Grand Duo de Chopin !

3 juin : (30 €) Raphaëlle Moreau (violon) et Celia Oneto Bensaid (piano) explorent la musique française de Saint-Saëns à Messiaen, en passant par Ravel et Debussy, sans oublier elles non plus que les femmes composaient, dont Lili Boulanger.

8 juin : (30 €) Alexandre Malofeev a sidéré le public de la Roque d’Anthéron à 13 ans… À 21 ans, il continue de défendre un piano de la virtuosité romantique, de Beethoven à Wagner (transposé), en passant par Rachmaninov, bien sûr.

9 juin : (30 €) David Fray interprète Liszt, accompagné par la comédienne Chiara Muti qui en éclaire les références littéraires : Dante et Pétrarque.

10 juin : (gratuit !) Mathilde Calderini (flûte) et Anaïs Gaudemard (harpe) passent de Bach à Piazzolla en passant par Bartok, Debussy et Glück.

17 juin : Gautier Capuçon conclut le festival avec Jérome Ducros au piano. Une soirée acrobatique qui passe de Singing in the rain à l’Adagio de Barber. Rien que des tubes ! qu’ils sauront magnifier.

18 juin: soirée finale de la fondation Gautier Capuçon, qui accompagne ses élèves virtuoses dans les pages les plus difficiles de Smetana, Rachmaninov ou Shostakovitch. 

AGNÈS FRESCHEL

Les Nuits du Cygne
Du 27 mai au 18 juin
Maison du Cygne, Six-Fours-les-Plages
sixfoursvagueclassique.fr

Nous rencontrer, à notre échelle 

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Iza Hawa - Ali Chahrour © Carl Halal

Depuis 18 ans Les Rencontres à l’échelle animent Marseille d’un esprit particulier, aventureux, attentif aux arts de la scène méditerranéenne et sub-saharienne et de leurs diasporas en France. Depuis 18 ans aussi, les Bancs Publics portent ce festival à travers leur pôle de production et de coopération, ce qui permet aux Rencontres à l’échelle de programmer des créations et des premières européennes que Marseille a la chance de voir naître, et des artistes trop rares sur les scènes européennes.

C’est un voyage vers nos Suds qui caractérise une nouvelle fois la programmation, déplacée à la fin du printemps, et qui a su mettre en synergie La Friche, le Théâtre Joliette, le Mucem et Montevidéo qui accueillent les représentations. Festival multidisciplinaire, qui concocte un savant mélange de théâtre, de performance, de danse, de musique et d’expositions, Les Rencontres à l’échelle trouvent leur cohérence dans la force de leur thématique : l’ouverture à l’autre, aux histoires oubliées, à l’Histoire meurtrie, en pariant toujours sur l’universalité de l’expérience individuelle partagée, par l’émotion de l’art.  

FLEXFAB & ZILLER ©Raphael Piguet

Au programme

Cela commence le 6 juin avec une création du chorégraphe Ali Chahrour. Il y expose l’intimité d’un couple d’artiste libanais, Roger Assaf et Hanane Hajj Ali, célèbres l’un et l’autre au Liban, et l’approche de la mort. Celle de Roger Assaf, et celle de Beyrouth, détruite et désertée.  

Après des lectures et une belle soirée musicale à Montevidéo  le 7 juin, en route vers le Zef pour Nos ailes brûlent aussi de Myriam Merzouki, qui évoque la révolution tunisienne et l’immolation de Mohamed Bouaziz, puis le 9 juin vers la Friche pour Mer Plastique de Tidiani N’Diaye, une pièce pour cinq danseurs qui met en scène la pollution plastique de Bamako, mais aussi la nostalgie des terrains de jeu d’une enfance malienne. Avec une after On Air en forme de DJ set, avec la complicité de l’AMI, sur le toit terrasse de la Friche… 

La dernière soirée, le 13 juin, portera le témoignage de Mina Kavani, artiste iranienne en exil, qui raconte la dictature, la lutte, le départ, la vie ici, et comment elle reste coupée en deux, le corps ici, l’esprit toujours en lutte pour les femmes iraniennes. 

Durant tout le festival il y aura aussi des expositions, des performances sur la digue du large au coucher du soleil, la sortie d’ateliers de douze artistes, plasticiens, comédiens, auteurs, danseurs, venus de tous les Suds pour deux semaines de travail, ensemble. Pour s’ouvrir au monde et à la curiosité de l’autre, et tenter de panser les plaies du monde. 

AGNÈS FRESCHEL

Les Rencontres à l’échelle
Du 6 au 13 juin
Marseille, divers lieux
lesrencontresalechelle.com